La seconde révolution
industrielle (1850-1960) a définitivement ancré le monde occidental dans la
modernité économique. A ce titre, on peut faire du secteur de l’automobile un
modèle d’industrialisation de la 2nde révolution industrielle.
Le
secteur de la construction automobile naît au tournant du XIXe siècle et du XXe
siècle. C’est d’abord une industrie de luxe, qui fait construire encore
essentiellement à la main, des automobiles pour une toute petite frange très
fortunée de la population. Les choses changent cependant assez vite à la faveur
de la première guerre mondiale, et sous l’influence d’innovations venues des
Etats-Unis.
L’industrie automobile se lance
dans la production de masse dès les années 1910. Le mouvement part des usines
Ford qui en 1908 produisent les premiers une voiture en grande série = la Ford T. En France, grande
patrie de l’automobile européenne, André Citroën lance en 1919 la Torpedo A 10 CV, première
voiture française produite en grandes séries. Ce changement d’échelle dans ce
secteur d’activité est rendu possible par des innovations dans le mode de
production. En 1912, Frédéric Taylor, un ingénieur américain publie les Principes d’organisation scientifique des
entreprises. Ses expérimentations sur la parcellisation du travail, la
réduction des temps inutiles, ses nouvelles fixations de normes de production
en fonction de la rentabilité et de la productivité sont tout de suite adoptées
par les chefs d’entreprises les plus novateurs. C’est dans l’automobile, couplé
avec la mécanisation, que le taylorisme est d’abord appliqué (1913). La chaîne
est née, d’abord dans les usines Ford, puis vite adoptée partout ailleurs. Les
ateliers s’agrandissent jusqu’à devenir gigantesques : Dans les années 30,
à l’usine Ford de Red River, 80 000 ouvriers travaillent ; chez
Renault ; 25 000 employés ; chez Citroën, l’usine parisienne du
quai de Javel s’étend sur 90
hectares . Les voitures ne sont plus seulement des objets
de luxe, façonnées par des ouvriers spécialisés amoureux de leur métier. Elles
deviennent essentiellement des objets standardisés, de conception assez simple,
destinés à une consommation de masse. La Ford
T est produite à une moyenne de un million d’exemplaires par
an. Ceci caractérise la 2nde révolution industrielle et la
différencie de la 1ère révolution.
Ceci dit, les modèles doivent
tout de même évoluer et le secteur automobile est porté par des innovations
permanentes : en 1922, la
Citroën B-12 est la première voiture au monde dotée d’une
carrosserie monopièce en acier. En 1934, la Citroën 7 CV est la première traction
avant : sa suspension et ses roues indépendantes en font une voiture d’une
« conception entièrement nouvelle ».
La révolution
des modes de production dans le secteur automobile s’explique par la nécessité pour les chefs d’entreprise d’adapter leur activité à une concurrence
extrêmement forte. On compte aux Etats-Unis, déjà avant la 1ère
guerre mondiale, pas moins de 7 marques différentes qui se partagent le marché
intérieur. Le marché étant tout de même encore limité, le secteur était donc
très concurrentiel : les marques automobiles sont obligées d’innover dans
tous les domaines si elles veulent survivre. Les modernisations productives
permettaient donc de produire plus, plus vite (650 tractions avant sortent tous
les jours des usines Citroën en 1934) et moins cher. L’argument du prix devient
en effet primordial. Les ventes de la
Ford T ont commencé à décoller quand son
prix a baissé de 850 $ en 1909 à 550 $ en 1915.
Pour ces mêmes raisons, les
industriels automobiles innovent dans les méthodes de vente et de marketing.
Ils utilisent massivement la publicité pour se vanter leurs produits (forcément
plus rapides, plus confortables que les autres …) et se différencier de la
concurrence. En France, André Citroën fait figure de pionnier : il invente
la communication événementielle avec les « croisières » noire (1924)
et jaune (1933) : parce que les voitures de cette marque se sont montré
capables de traverser les continents africain et asiatique, elles acquièrent de
ce fait une réputation de robustesse et de fiabilité. De plus, ces événements
associent à la marque des valeurs positives comme l’aventure et l’exotisme si
en vogue en ces temps d’expositions coloniales. Pour ancrer encore davantage la
marque dans l’esprit des futurs consommateurs, Citroën a aussi l’idée en 1925
d’illuminer la tour Eiffel, monument patrimonial français et symbole de
modernité industrielle, avec des lettres de 30 mètres de haut à son
nom. Enfin, comme toutes les autres marques d’ailleurs, il dote ses voitures
d’un logo facilement identifiable, les doubles chevrons renversés.
Toutes ces innovations marketing
permettent le passage à une consommation de masse. Ford le premier avait
d’ailleurs mis en place une politique salariale élevée (5$ par semaine) pour
permettre à ses propres ouvriers d’économiser et d’accéder au crédit pour
acheter leurs voitures. Cette politique connue sous le nom de Fordisme n’est
pas immédiatement reprise par les autres constructeurs qui, eux, continuent
longtemps à payer mal leurs salariés à la pièce, mais elle préfigure ce qui se
fera de façon massive après la 2nde guerre mondiale, dans tous les
secteurs industriels d’ailleurs. D’une autre manière, mais pour obtenir les
mêmes résultats, le directeur de General Motors, entre 1923 et 1956,
« planifie l’obsolescence [des modèles] et les politiques de prix »
permettant de faire changer les goûts des consommateurs tout en leur donnant la
possibilité de changer de voiture assez souvent.
Enfin,
les politiques industrielles et financières des groupes automobiles sont elles
aussi des modèles pour les autres secteurs industriels. Le cas de General
Motors est à bien des égards exemplaire. Le fondateur William Durant en fait,
presque dès sa création, une société par actions, côtée en bourse. Ce système
lui permet d’obtenir des fonds propres,
sans dépendre des banques, et avec l’avantage que, si son entreprise fonctionne
bien, le cours de ses actions montant, son capital grossit de façon
automatique. Mais les besoins en capitaux sont si importants qu’il doit tout de
même emprunter à des banques d’affaires 15 millions de $ en 1909. Il perd son
indépendance (les banquiers entrent au conseil d’administration et peuvent
nommer le PDG : d’ailleurs ils « démissionneront » Durant en
1910) mais il gagne en puissance financière. Cette puissance lui permet de
poursuive ses opérations de concentration industrielle. Entre 1908 et 1910, GM devient un groupe
détenant plusieurs marques automobiles qui se complètent plutôt que de se
concurrencer. La concentration est aussi verticale, avec le rachat de
fournisseurs de composants et de fabricants de camions. Par ailleurs, la
taille, la puissance financière et industrielle du groupe lui permet d’être en
position de force dans ses rapports avec les pouvoirs publics et donc d’obtenir
l’octroi de marchés avantageux : le remplacement des tramways par des bus
par exemple. Pourtant, cette puissance n’est parfois pas suffisamment
importante pour éviter d’être intégré à des holding détenu par de riches
familles capitalistes industrielles venues d’autres secteurs comme les Dupont
de Nemours, qui ont fait leur fortune dans la chimie, ou comme A. P. Sloane,
l’industriel du roulement à billes.
Au total, nous avons
effectivement montré que le secteur de l’industrie automobile fut
particulièrement innovant, tant dans le domaine de la production et des
innovations, que dans celui de la commercialisation, du marketing et des
opérations financières. Ces avancées sont le fait de capitaines d’industrie
caractéristiques du premier âge capitaliste et qui utilisent tous les moyens
que l’économie moderne met à leur disposition. Leurs groupes industriels tirent
la croissance des économies des pays occidentaux. La révolution automobile
qu’ils initient change aussi considérablement les paysages et les modes de vie
des sociétés modernes.
Identifier les différentes étapes formelles de l'exercice
puis reconstituer le plan détaille.