mardi 19 mars 2024

Guerre et cinéma aux Etats-Unis

 

Présentation : je vous propose une activité en classe, sur la bataille d' Iwo Jima, qui peut être utilisée dans le cadre de l'enseignement de spécialité. A priori, elle cadre mieux avec le thème Histoire et Mémoire (Spé Term)  dans l'axe 1, "Histoire et Mémoire des conflits", mais je viens de l'utiliser en Spé 1ere, dans le cadre du cours sur l'information en temps de guerre. Il s'agissait de compléter le cours qui fait une part belle à la question de la propagande par un point plus spécifique : l'image iconique et les traces qu'elle laisse dans la mémoire.

Durée : puisqu'il s'agissait pour moi d'un complément de cours, j'ai calibré pour que l'activité soit faite en 1H. Il y aurait bien des possibilités d'approfondir, en utilisant davantage le film de Clint Eastwood, "Mémoires de nos pères". J'ai indiqué aussi en fin d'article deux autres pistes pour prolonger la réflexion.

Supports : poly pour les élèves (détaillé dans la suite de l'article) + Mémoires de nos pères de Clint Eastwood + épisode 8 de The Pacific

Documentation : un article de Laurent Tessier dans Transhumances IX, p. 233-244 + Le labo 1 (publication des clionautes, auteur JP Meyniac) , nov 2007 + article du Nouvel Obs , le drapeau rouge sur le Reichstag

Déroulé
  • On commence par regarder le début du film de 3:40 à 5:10. Les élèves ont un poly. C'est leur doc 1 (image + transcript)

Transcript scène d'ouverture de Mémoires de nos pères (+/-3:40-4:40). Film de Clint Eastwood -2006

"Beaucoup de gars que j'ai connus n'ont jamais parlé de ce qui s'est passé là-bas, sans doute parce qu'ils essaient de l'oublier. Ils ne se sont jamais considérés comme des héros. Ils sont morts, sans gloire. Personne ne les a pris en photo. Seuls leurs copains savent ce qu'ils ont fait. J'ai dit à leurs parents qu'ils sont morts pour leur pays...je ne suis pas sûr que c'était le cas. D'ailleurs il y a eu plein d'autres photos prises ce jour-là, mais que personne n'a voulu voir. Ce qu'on voit et ce qu'on fait à la guerre, la cruauté, est impensable. Mais d'une façon ou d'une autre, il nous faut y trouver un sens, et pour ça il nous faut une vérité facile à comprendre. [...] La bonne photo peut faire gagner ou perdre une guerre. Regardez le Vietnam, la photo de cet officier sud-vietnamien faisant sauter à bout portant la tête de ce Viêt-Cong. C'était fini, on avait perdu la guerre."


Ensuite, présentation de la photo

Doc 2 : Une photographie pour l'Histoire

Raising the Flag on Iwo Jima est prise le 23 février 1945 par le photographe américain Joe Rosenthal pour l'agence Associated Press. Elle montre cinq Marines américains et un soldat infirmier de la Navy hissant le drapeau des États-Unis sur le mont Suribachi, lors de la bataille sur l'île japonaise d'Iwo Jima durant la Seconde Guerre mondiale. La photographie est développée à Guam et envoyée immédiatement aux Etats-Unis. Des centaines de journaux la reprennent dès le lendemain. La photographie eut donc immédiatement un immense succès. Elle devint également le seul cliché à obtenir le prix Pulitzer de la photographie l'année de sa publication. Considérée comme l'une des images les plus significatives de son époque, elle constitue également l'une des photographies les plus diffusées de tous les temps. Elle a été choisie à l'époque pour servir de support à la campagne du 7e emprunt de guerre et donc a été reproduite sur des affiches, des timbres ... Les trois soldats survivants de ce moment ont été enrôlés par l'armée pour la tournée de levée de fonds à travers les Etats-Unis.

 

Analyse rapide de la photo pour en comprendre l'efficacité

Contextualiser en expliquant aux élèves que la guerre du Pacifique contre le Japon est une guerre que les Etats-Unis ont mené seuls contre le Japon qui les avait directement attaqués. Elle a nécessité un déploiement d'hommes et de ressources bien supérieur au front européen. Les conditions extrêmement difficiles de cette guerre (sauts de puces d'archipels en archipels => carte historique) pour se rapprocher du Japon, de même que la résistance acharnée des Japonais (cf les kamikazes) ont fait du front du Pacifique le front essentiel de la Seconde Guerre mondiale pour l'opinion publique américaine.

Intérêt stratégique d'Iwo Jima = indiqué au tout début de The Pacific : carte + images d'archives + témoignage de vétéran . Visionnage de ces quelques minutes (avant le générique)

Pour mieux comprendre pourquoi cette photo et pas une autre du même événement, les élèves sont amenés à comparer avec une autre photo. Celle-ci est juste projetée, pas distribuée.

=> bilan :

  • Une bataille stratégique, filmée et reportages radio en direct. 12 000 japonais sur un îlot de quelques dizaines de km². Nombre de morts US très élevé.
  • Quant à la photo elle-même : dynamisme de la scène, des marines (corps d'élite) qui en plus forment un seul corps (coopération et esprit d'équipe = valeurs "militaires") + annonce de la victoire future/message d'espoir : la ligne négative (diagonale descendante) est en passe de basculer en ligne positive (diagonale montante)

 

Qu'est-ce qu'une image iconique ?

Elle imprègne l'imaginaire collectif => réutilisée, détournée, mentionnée ...

doc 3 : quelques exemples de l'impact de cette image

a- Felix de Weldon pose devant son oeuvre : le US Marine Corps War Memorial d'Arlington (cimetière militaire)

= plus de 6 millions de visiteurs /anBataille Iwo Jima

b- Le drapeau rouge sur le Reichstag (Berlin), la réponse soviétique ( Photo : Evgueny Khaldeï, 2 mai 1945 pour l'agence Tass)

c- Andy Singer, D-Day, 1998

l'image iconique détournée...

Le rôle et l'efficacité du cinéma dans la fabrication et la transmission d'une mémoire "officielle"

"Mon boulot, c'est juste de raconter cette histoire. Et ensuite, quand le public viendra, j'espère que ça lui donnera une idée de ce qu'était cette génération : la famille, la camaraderie, le fait de pouvoir compter sur son voisin et ce que ça veut dire dans la vie" (extrait interview Eastwood dans les bonus du DVD, édition collector)

Doc 4 : présentation et exploitation de la série The Pacific

Après Band of brothers (2001) qui retraçait l'histoire d'une compagnie américaine du débarquement jusqu'à la fin de la guerre en Europe, Steven Spielberg et Tom Hanks récidivent en 2010 et co-produisent The Pacific. HBO est une chaîne du câble, connue pour ses programmes de très haute qualité. La série a reçu 8 Emmy Awards.

Basée sur deux livres de vétérans, Eugène Sledge et Robert Leckie la série entretient le flou entre la fiction et la réalité : les vétérans sont joués à l'écran par des acteurs, les scènes de bataille sont minutieusement reconstituées...

Comment le dispositif de la série joue-t-il sur cet aller-retour entre réalité et fiction ? Quel est le but recherché ? On pose ces deux questions aux élèves et on repasse le début (images d'archives et témoignage jusqu'au début du previously = 2min 32). Puis visionner la scène de bataille d'Iwo Jima à partir de 44min 18.

Ce n'est pas utile d'aller jusqu'au bout.

L'objectif est de comparer les images de la guerre filmées à l'époque et les images de la bataille dans la série.

Bilan =

  • une reconstitution apparemment fidèle (cf la butte et les soldats qui se font mitrailler en haut = quasiment identique entre archives et série). Le fait de commencer par les films de l'armée de l'époque et par le témoignage d'un vétéran légitime la fiction. Cela lui octroie une sorte de certificat d'authenticité.
  • une efficacité de la narration : focalisation interne (on entre directement dans la scène de combat, on est perdu, on ne comprend pas d'où viennent les tirs et on découvre l'ennemi en même temps que le personnage principal) + suspense (vont-ils réussir à tuer le japonais dans son bunker ?) (le héros va t-il finir étripé comme tous les autres ?)
  • des émotions multiples (horreur, stress, tristesse...) qui impriment en nous cette représentation de la guerre.
  • un message : l'héroïsme des soldats ordinaires => un modèle ?
En cette fin de séance, il reste à indiquer aux élèves que :

Comme le fait remarquer Pierre Conesa, géopoliticien français qui travaille sur les mêmes thématiques qu'Alford, les Etats-Unis n'ont pas un système unifié pour l'enseignement de l'Histoire. Les programmes scolaires relèvent de la compétence des États et non pas de l'état fédéral. C'est donc Hollywood qui fabrique et transmet aux différentes générations d'américains la mémoire commune de l'Histoire . Cette mémoire n'est pas unifiée, mais on distingue de nombreux points communs dans tous les récits de guerre à destination du public américain.

Par ailleurs, Laurent Tessier dans son article indique que : "en interrogeant les vétérans du Vietnam, nous avons pu constater que les soldats américains qui se sont battus lors de conflit sont souvent partis à la guerre avec, en tête, le fantasme de reproduire le modèle héroïque de leurs pères (la génération de la 2nde guerre mondiale) et de leurs grands-pères (celle de la 1ere guerre mondiale). [...] De même, les films se répondent comme si chaque génération de boys était représentée en référence à la précédente. [...] On constate depuis les années 60 (Vietnam) une sorte de blocage dans cette filiation".

Remarque 1: sur un idée de Lionel Chevassus, les élèves approfondiront en autonomie. J'ai repris son questionnaire de l'interview de Matthew Alford sur Le Media : "Hollywood, la machine à propagande".

Remarque 2 : sur le fait qu'il est devenu plus difficile de faire des films de guerre ouvertement héroïques depuis le Vietnam et que les films se répondent les uns aux autres, on pourrait évoquer une autre mini-série de HBO, Generation Kill de David Simon. Ce fut un flop médiatique et la série fut annulée à la fin de la première saison, ce qui est très rare avec HBO. Or, cette série refuse précisément toute héroïsation des soldats et montre une guerre profondément absurde.

samedi 16 mars 2024

Le préjugé anti-italien dans quelques textes français (XIVe-début XVe s)

 

« les Ytaliens, lesquieulx sont les plus caultes gens et les plus malicieux que nacions du monde"

Les préjugés français à l' encontre de la gens italica ont une longue histoire, qui précèdent le loin l'arrivée au 19e siècle des travailleurs italiens chassés par la pauvreté et migrant en France. Les rapports entre les deux nations sont anciens et ont toujours été importants. De nombreux italiens résidaient ou traversaient le royaume de France et ses grands duchés (comme la Bourgogne) au Moyen Age. 

Une tentative d'essentialisation

Il est frappant de lire dans presque tous les textes des considérations négatives sur les Italiens qui essentialisent les défauts qu’on leur attribue.

L’explication la plus commune réside dans la théorie des climats. Même Commynes, qui use rarement de jugement de valeur à l’emporte-pièce, l’utilise pour expliquer que les Français, de par leur localisation ni trop au nord ni trop au sud, ont un avantage sur les autres peuples («’Ainsi appartenons-nous à la région chaude et aussi à la froide ; c’est pourquoi nous avons des gens des deux humeurs »). Le climat froid produit des personnes colériques et impulsives car elles sont censées compenser le froid du climat par une chaleur des humeurs et à l’inverse, les habitants des pays du sud auraient « le sang plus froid », ils seraient donc calculateurs et dissimulateurs.

C’est donc la ruse qui est, pour les chroniqueurs, le trait dominant des Italiens. « Les Lombards, qui combattent toujours par surprise plutôt qu’à découvert et qui ne savent rien faire sans employer la ruse ». Telle est le jugement définitif porté par Michel Pintoin alors qu’il raconte l’échec de la guerre menée en Lombardie par le comte d’Armagnac en 1391. Le comte succombe devant Alessandria, pour avoir commis un péché d’orgueil : « Le comte attribua à leur lâcheté ce qui n’était de leur part qu’un stratagème. Plein de mépris pour ces gens [les habitants d’Alessandria, reclus derrière leurs murailles] qu’il regardait comme de vils manants, il fit dresser ses tentes autour de la ville et préparer les machines de siège. Mais la fortune ne disposait à déjouer ses projets. » Les habitants de la ville eurent le dessus sur son armée et le prirent, lui, l’orgueilleux chevalier français, dans le piège où il perdit la vie. « Ainsi périt de la trahison ce noble et vaillant chevalier. » conclut Michel Pintoin.

Une certaine manière de faire de la politique : le choc des cultures politiques

Déloyauté et dissimulation sont des traits fréquents des potentats italiens dans les chroniques. Il y a une longue série d’explications des échecs des seigneurs français en Italie par la trahison, ou du moins le non-respect de la parole donnée.

À propos des Napolitains, Christine de Pisan dans le Livre des faits et des bonnes mœurs du sage roi Charles V explique l’échec de la conquête du royaume de Naples par Louis d’Anjou, frère du roi, par la déloyauté des princes de ce pays : « Le duc d'Anjou, en dépit de la résistance de son ennemi, finit par conquérir à peu près tout le royaume. Il reçut la couronne de Naples et fut appelé le roi Louis. Il le resta longtemps, ne cessant de guerroyer. Si ce pays, qu'il avait conquis et dont les princes lui avaient fait allégeance, s'était montré loyal envers lui (ce qui n'était guère dans les usages de ces gens-là) et s'il avait pu disposer de vivres en suffisance (la contrée était déserte et dévastée), il n'aurait pas manqué de soumettre ses ennemis, puis de conquérir l'empire de Rome, ce qui lui tenait particulièrement à cœur. Mais faute de trouver des alliés loyaux dans le pays, faute d'un approvisionnement suffisant en vivres, il vit s'épuiser les forces de ses gens." 

C’est pourquoi on attribue fréquemment aux seigneurs italiens l’utilisation du poison pour « régler » leurs affaires C’est d'ailleurs  une pratique que reconnaissent les Italiens eux-mêmes : Voir Guicciardini au début de la Storia d’Italia : « était presque inconnue au-delà des monts cette méchante coutume d’empoisonner les hommes qui est fort usitée en plusieurs endroits d’Italie » (livre 1, p. 51)

Les exemples sont relativement nombreux dans les chroniques françaises. Dans la chronique du religieux de St Denis, il est rapporté par exemple, parlant de Charles de Duras, adversaire de Louis d’Anjou pour le trône de Sicile que :

« Mais d’après le conseil de ses partisans, il avait résolu de triompher, non par la force, mais par une trahison secrète. Convaincu qu’il était surtout de son intérêt de priver l’armée de son chef, il imagina la ruse suivante : il fit partir un messager perfide qui, sous prétexte d’accorder le défi au duc, portait une petite lance envenimée dont la pointe renfermait un poison tellement subtil que, s’il touchait le duc avec ce fer, ou seulement si le duc dirigeait son œil vers la pointe, il eût été à l’instant même empoisonné. Le projet échoua, grâce au duc de Potenza. Cet homme prudent et avisé, sachant bien les mœurs et le caractère des Siciliens, et se doutant de la ruse, fit surveiller le messager. »


Plus loin, Michel Pintoin évoque la haine entre la famille d’Armagnac et Galéas Visconti car celui-ci avait « dépouillé de leur patrimoine son neveu Charles et sa sœur, femmes de messire Bernard d’Armagnac ; il avait traitreusement surpris et fait empoisonner leur père, messire Barnabo, avec ses autres fils et ses autres filles. » Pareillement, quand il s’agit d’expliquer les rumeurs malveillantes contre la duchesse d’Orléans, Valentine Visconti, seule femme à continuer à jouir des faveurs du roi Charles VI lors de ses périodes de démence, il indique que les « soupçons, que rien ne semblait justifier, étaient fondés sur ce que, dans la Lombardie qui était la patrie de la duchesse, on faisait plus qu’en tout autre pays usage de poisons et de sortilèges. »

(quelques éléments explicatifs = Charles Visconti avait épousé Beatrix d’Armagnac. Les deux familles étaient donc liées par un double mariage. C’était le cas aussi de la famille royale puisque Louis d’Orléans avait épousé Valentine Visconti, fille de Giovanni Galeazzo. Le coup d’état de Giovanni Galeazzo contre son oncle Barnabo date de 1385. Pintoin en reparle dans le volume 3 (p.153) à l’occasion de la mort de Galeazzo en évoquant à nouveau l’empoisonnement de Barnabo.)

Au moment de dresser le bilan de la domination de son père, Galéas, Michel Pintoin revient une nouvelle fois sur le poison pour évoquer sa crainte de l’empoisonnement : « scrupuleux observateur de l’hospitalité, surtout lorsque de nobles seigneurs venaient le visiter, il les comblait de prévenance et leur faisait bonne chère, mais jamais il ne se mettait à table avec eux ; car il avait coutume de manger seul, et dans la crainte qu’on empoisonnât ses mets, comme il n’est que trop d’ordinaire en ce pays, il les faisait goûter avant lui par vingt de ses officiers. »

 

Donc les potentats sont réduits aux calculs politiques et aux manœuvres. L’habilité politique des seigneurs italiens, et ce qui faisait leur réputation (« Galeas, le seigneur de Milan, qui passait pour le plus habile de tous les princes de l’Occident »), consistait dans leur capacité à nouer des intrigues, au mieux de leurs intérêts, selon les rapports de force du moment. A propos des négociations entre Gênes et la couronne de France à l’époque de Charles VI, le portrait que livre Michel Pintoin du duc de Milan témoigne du jugement français sur la ruse et la dissimulation dont il fait preuve. Alors que Charles VI a envoyé à Milan des ambassadeurs pour rappeler au duc leur alliance (« pacte juré naguère lui faisait un devoir de défendre l’honneur et l’intérêt de la couronne de France »), traité de quasi-vasselage dans l’esprit du roi puisque ses ambassadeurs requièrent de Galeas Visconti l’aide et le conseil :

« Cette ambassade déplut fort au duc de Milan. Toutefois il dissimula son mécontentement et feignit de recevoir les députés avec plaisir. Il les paya de belles paroles et leur déclara qu’il se mettait à la discrétion du roi et qu’il offrait de le servir envers et contre tous, à l’exception de l’empereur qui, l’année précédente, l’avait créé duc et auquel il avait prêté serment d’obéissance et de fidélité. Toutes ces protestations n’étaient que mensonge et artifice. […] Les agents du duc de Milan, qui sous le faux prétexte de terminer quelques affaires, étaient venus séjourner dans la ville [de Génes],y réveillèrent les anciennes dissensions et rivalités des Guelfes et des Gibelins. Les envoyés du roi partirent donc sans avoir rien conclu, au grand déplaisir des principaux citoyens. »

Cette ruse italienne est toujours condamnée. Cependant elle a pu être vue comme un modèle, mais assez tardivement, avec Louis XI et Commynes.


le non-respect des hiérarchies : imaginaire féodal vs imaginaire républicain ?

Pour l’année 1416, Michel Pintoin rapporte un épisode significatif de l’orgueil de la République de Gênes, qui manifeste sa volonté de ne pas accepter de se laisser traiter en sujets soumis de l’empereur Sigismond. A cette époque, les Génois ont envoyé des bateaux pour aider le roi de France à débloquer le port d’Harfleur contre les Anglais. L’empereur Sigismond « écrivit aux Génois pour les détacher de la France. Il déployait dans sa lettre l’éloquence la plus fleurie […] néanmoins à la fin, il prenait à la fin le ton de la menace, pour le cas où ils n’obéiraient pas à sa volonté. Les Génois mécontent lui répondirent […] qu’ils entendaient ne jamais rompre le pacte d’amitié qui les unissait depuis si longtemps au roi de France […] Quant à ses menaces, ils y répondirent, dit-on, d’une manière emblématique en dessinant au-dessous de la suscription de leur lettre une main avec le pouce entre l’index et le doigt du milieu : c’était ainsi que dans plusieurs pays et royaumes, les nobles et le peuple se témoignaient leur mépris, lorsqu’ils voulaient se railler les uns des autres. »

L’Italie a vraiment une place très particulière dans le paysage politique de l’Europe occidentale de cette époque. Patrick Boucheron parle de « laboratoire italien ». De fait, traditions, pratiques et vocabulaires sont, à première vue, bien différents.

Pour illustrer le « dialogue de sourds » entre deux traditions et deux rapports au pouvoir, on peut se focaliser sur l’épisode de la vente de Pise rapporté par l’auteur anonyme du Livre des fais du mareschal Boucicaut :

(Il s’agit d’une biographie contemporaine de la vie du maréchal Boucicaut, entrepris entre avril 1406 et avril 1407 et qu'il fut achevé le 9 avril 1409. L’auteur, anonyme, fait office de chroniqueur. C'est dans l'entourage de Boucicaut à Gênes qu'il faut sans doute chercher les commanditaires du livre (même si certains, Kervyn de Lettenhove par exemple) ont voulu faire de Christine de Pisan l’autrice de la chronique. Il n'est pas invraisemblable de penser que, derrière les commanditaires anonymes, il n'y ait Boucicaut lui-même. Si l'on en croit le chroniqueur, celui-ci n'aurait entrepris son œuvre que pour glorifier la chevalerie en la personne de Boucicaut. Ces déclarations, assez traditionnelles, du narrateur ne doivent pas nous dissimuler les causes réelles qui sont à l'origine du Livre des fais, à savoir un plaidoyer en faveur du maréchal. L'ouvrage relève de la littérature engagée (p.XXVI) contre la propagande vénitienne, pour justifier la vente de Pise aux Florentins et enfin, faire, d'une façon plus générale, l'apologie d'une politique qui soulevait, à Gênes, bien des oppositions et qui débouche (quelques semaines ou mois après la fin de la rédaction de ce livre) sur la révolte anti-française des Génois.)

Il faut d’abord rapidement situer le contexte. A la suite de négociations serrées, la République de Gênes se donne au roi de France par traité en 1396 et celui-ci y place en 1401 Boucicaut en tant que gouverneur. A ce titre, Boucicaut entre sur le théâtre politique de l’Italie du nord où les territoires et les seigneurs (Florence, Milan, Venise pour les plus puissants) sont dans une lutte d’influence qui débouche parfois sur des luttes ouvertes, mais d’où n’émerge jamais un vainqueur durable. Or,

"Si fu voir que, en l'an mil CCCC et cinq, les Pisains se rebellerent contre leur seigneur, et le chacierent de la seignourie de Pise, selon les generales coustumes qui sont qui sont ou pays de la de non eulx tenir longuement soubz une seigneurie, quant ilz se treuvent les plus fors. »

Boucicaut est approché par les ambassadeurs de Pise, car la ville est sous la menace de Florence, sa puissante voisine et de Milan : elle vient en effet en 1402 de chasser son nouveau seigneur Gabriel-Marie Visconti, fils naturel de l’ancien duc de Milan et donc demi-frère du duc actuel. Parallèlement, Gabriel-Marie se tourne auprès de Boucicaut pour qu’il l’aide à récupérer son héritage :

Dont quant le dit seigneur se vid ainsi debouter de son heritage par ses mauvais subgés, pour ce que il sentoit que il n'avoit mie assez gens et force pour les remettre en subgecion, se va tirer vers le mareschal, comme a lieutenant du roy de France son souverain seigneur, a qui il avoit fait hommage de son dit heritage, lui querir ayde au nom du roy, si comme seigneur doit au besoing secourir son vassal qui le requiert a son ayde.

D’après le Livre des faits, les Pisans font monter les enchères entre les seigneurs potentiels, la République de Florence ou le roi de France, tout en refusant catégoriquement de revenir sous la domination de Gabriel-Marie. Boucicaut voit une bonne occasion d’accroitre l’influence et la puissance de la France en Italie et accepte la reconnaissance de suzeraineté du roi de France sur le territoire de Pise, comme cela avait été fait quelques années plus tôt avec Gênes. On comprend bien que la politique des Pisans a été de préférer un seigneur lointain plutôt que la soumission à Florence, et que les négociations avec Florence n’avaient d’autres objectifs que d’obtenir de Boucicaut, qui négociait pour le roi, les conditions les plus avantageuses pour la cité.

« Et en ces entrefaites que ilz batissoient ceste chose, les ambassadeurs de Pise retournerent devers le mareschal […] ilz vouloient que ainçois qu'ilz s'i donnassent [au roi], que le mareschal leur baillast et delivrast .III. Chasteaulx en leurs mains, c'est assavoir la citadelle, le chastel de Ligourne, et celui de Lipe-et-faite, que tenoit ancore messire Gabriel en sa main. Et le mareschal leur respondi adont : " Que voulez vous faire de la citadelle ?" Et ilz respondirent : "Nous la voulons raser par terre, et tenir les autres .II. chasteaulx en nos mains." -"Quel seigneurie, ce dit le mareschal, ara donques le roy sur vous, ne quel pouoir aroit il de justicier les mauvais et de les punir ?"- "Nous ne voulons, ce dirent ilz, qu'il y ait autre seignourie fors que le nom d'en estre seigneur"-"Pou de chose, ce dit le mareschal, seroit au roy cellui tiltre ; mais donnez vous y si comme ceulx de Jannes ont fait, ou ainsi que vous vous donnastes a messire Sirart de Plombin, duquel le duc de Milan ot puis le seigneurie et le tiltre. »

 

Deux logiques se rencontrent donc ici. Pour les Pisans, la seigneurie ne doit être que nominale : elle est un rapport théorique de sujétion et ne se traduit dans les faits que par les obligations fiscales qui doivent être les plus légères possibles pour être acceptables. Avoir comme seigneur le roi de France ne doit pas empêcher la République de Pise d’exercer en réalité un gouvernement autonome et c’est pour cela que châteaux et place-fortes sont réclamés : ils sont les conditions nécessaires de l’autonomie de fait. Pise veut être une République et, symboliquement comme pratiquement, elle ne veut plus de citadelle dans l’espace urbain. En revanche, Boucicaut, dans une vision très française, ne conçoit pas qu’une ville puisse être autonome autrement que dans l’administration des affaires courantes. La justice relève de la haute prérogative du seigneur ; le pouvoir du seigneur doit être manifeste (la citadelle) comme effectif. Dans les chroniques françaises, quand les auteurs disent des habitants qu’ils souhaitent leur liberté ou les libertés, c’est en référence au refus de paiement des taxes. Retrouver les anciennes libertés, c’est en fait appliquer les anciennes franchises et être exemptés des taxes, notamment royales. En Italie, la liberté a un sens plus large : il s’agit là vraiment de se gouverner de façon autonome.

 

Pour clôturer le récit de cette péripétie, on apprend dans le Livre des faits que les Pisans adressèrent une fin de non-recevoir aux exigences françaises. Et même, les messagers génois de Boucicaut à Pise reçurent la réponse suivante :

 "leur respondirent les Pisains tieulx parolles : " De tout ce que vous nous requerez nous ne ferons rien, et ne nous en parlez plus, mais faites mieulx : levez la seigneurie a vostre roy, et tuez Bouciquaut et tous ses François, et vivez a peuple comme nous, et soions tout un comme freres, et vous ferez que sages."

« Vivre à peuple » c’est vivre, si ce n’est en République, du moins en respectant l’autonomie de la cité. Et voici que la boucle se referme : dans leur désir de liberté, les Pisans chassent leur seigneur, qui n’était ni naturel, ni traditionnel puisqu’imposé par Milan depuis peu. En cherchant à préserver leur autonomie, ils mènent des négociations parallèles et sont conduits à se révolter contre les Français, ce qui renforce le préjugé anti-italien des Français. La grille de lecture des Français, que l’on va retrouver tout le temps est donc la suivante : les Italiens ne fonctionnent qu’au rapport de force.

 (R-  Sur la profondeur de l’attachement au principe communal en Italie, je renvoie au chapitre de Gian Maria Varanini, “Legittimità implicita dei poteri nell’Italia centro-settentrionale del tardo medioevo La tradizione cittadina e gli stati regionali” dans l’ouvrage  dirigé par J.P. Genet, sur la Légitimité implicite. Il fait le bilan des dernières décennies de recherche universitaires sur les systèmes communaux italiens et y rappelle que le système communal a un ADN, comme il dit, profondément enraciné en Italie et qui peut ressurgir même quand les cités ont été longtemps dirigées par une famille unique, considérée comme « seigneur naturel ».)

 


dimanche 10 mars 2024

Le procès d'assises

 


En DGEMC, le film permet la présentation de la procédure pénale ainsi que la réflexion des élèves autour de l'administration de la preuve, de la vérité judiciaire et  de l'intime conviction. 

Bien sûr, il s'agira de faire délibérer les élèves, comme s'ils étaient les jurés.

Un (léger) découpage du film sera utile pour ne laisser que les informations dont les jurés ont connaissance. Les interactions de Sandra et son fils sont donc à mettre de côté. Le film alternant de longues scènes, sans montage serré, c'est possible à mettre en œuvre.


Vous trouverez en téléchargement ici un fichier qui vise à organiser cette activité.


dimanche 18 février 2024

La dénazification, mission impossible




La dénazification, mission impossible: Mise en place dès la fin de la guerre, la dénazification de l'Allemagne a durablement sorti la société allemande des affres du totalitarisme. Et pourtant ! Cette vaste opération d'épuration fut loin d'être totale et a connu bien des ratés et des limites. Regardez le documentaire La dénazification, mission impossible en intégralité et en replay sur la chaîne de télévision LCP - Assemblée nationale

Le débat qui suit est aussi extrêmement intéressant. Il fait participer Johan Chapoutot. (Lien)

Attention, le documentaire et son prolongement n'est disponible que jusqu'au 7 mars.


Ci-dessous je propose un QCM qui peut servir de point d'appui pour les élèves pour prendre des notes sur de documentaire. C'est du moins comme cela que je l'utilise en classe.

dimanche 4 février 2024

Existe t-il un droit à vivre dans un environnement sain ?

 Voici la transposition en activité pour les élèves de DGEMC d'un cours donné par Mme PASCALE MARTIN-BIDOU dans le cadre d'un DU de l'université Panthéon Assas (formation dédiée aux enseignants de DGEMC)


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Vous avez le droit à votre ordinateur et d’accéder à pearltrees pour le vocabulaire

Etudiez le dossier documentaire en vous aidant des questions (réponses sur un brouillon)

Une fois l’étude du dossier documentaire terminée, rédiger une synthèse (voir sujet en fin de poly)

 

Les documents

 

1.   La reconnaissance du droit à l’environnement en droit

   En droit international

Déclarations de principes :

Exemple, résolution AGNU 28 juillet 2010, reconnaissant « le droit à l'eau potable et à l'assainissement sûrs et propres comme un droit de l'homme essentiel à la pleine jouissance de la vie et du droit à l'exercice de tous les droits de l'homme ».

Exemple, résolution AGNU (assemblée générale des Nations-Unies) 28 juillet 2022 reconnaissant que « le droit d'accès à un environnement propre, sain et durable est un droit humain universel ».

 

Convention et traités

Convention de Ramsar (Iran) en 1971 pour la protection des milieux et zones humides

 

1ere dédiée spécifiquement à l’environnement = Convention de Rio qui découle du 1er sommet de la Terre tenu à Rio en 1992 : sur la diversité biologique

 

   Les textes français

La reconnaissance législative

Loi montagne (1985) et Loi Littoral (1986)

 

Loi sur l’eau (1992) => Ou des textes plus spécialisés, par ex : Article L. 210-1 du Code de l'environnement : « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

 

Article L. 110-2 du code de l’environnement (le code de l’environnement est créé en 2000) : « les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain ». (< Loi Barnier de 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement) = 94 articles qui vont changer 6 codes. C’est la 1ere loi générale.

 

En 2021 la loi « Climat et résilience » reprend une partie des propositions de la Convention citoyenne pour le Climat et vise à faire entrer les préoccupation environnementale dans notre quotidien autour de thématique comme « se déplacer, se nourrir »… Elle créé un délit de mise en danger de l’environnement (passible de 3 ans de prison et 250 000 euros d’amende) quand on expose l’environnement à un risque, même si celui-ci ne se réalise pas. + un délit d’écocide quand il y a une atteinte grave et durable (plus grave donc plus durement puni)

 

La protection constitutionnelle

= Charte de l'environnement : Article 1er.” Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.”. La charte ajoute un art 2 qui dispose une obligation, pour les personnes publiques comme les personnes privées, à préserver l’environnement

 

Question

Il s’agit de montrer le caractère récent de cette législation et d’expliquer le processus d’élargissement progressif du champ de compétence du droit en matière de protection de l’environnement.

 

Il s’agit de définir quel(s) type(s) de droit(s) nouveau(x)  est/sont créé(s)

 

2.      Les moyens de protection

   Au niveau national

Le juge administratif

1er ex : 2005 le juge de Châlons-en-Champagne (TA) saisi d’un référé-liberté pour empêcher la tenue d’un technival (une rave party dans un lieu environnementalement fragile), répond qu’on est bien face à un nouvel objectif à valeur constitutionnelle

Ordonnance du CE de sept 2022 : extrait « M. B... C... et Mme A... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au département du Var de suspendre les travaux de recalibrage de la route départementale n°29 au lieu-dit " Les Martins ", sur le territoire de la commune de la Crau. (…) Considérant 5. En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article

Rappeler de quel ordre juridique relèvent TA et CE + signification de ces initiales. Expliquer en quoi consiste un référé-liberté.

Montrer que le droit à l’environnement implique une obligation de ne pas faire (une atteinte à l’environnement), mais aussi une obligation de protéger, donc de faire.

A vote avis, comment le CE a-t-il statué dans l’affaire de sept 2022.

 

Le Conseil constitutionnel

Ex 1 Décision QPC 2013-346 du 11 octobre 2013 relative à l'interdiction de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures

Ex 2 : Décision DC du 4 août 2016, relative à la loi pour la reconquête de la biodiversité

Ex3 : Décision QPC du 31 janvier 2020 : la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle.” (à l’occasion d’une loi relative aux conditions de commercialisation de certains produits phytosanitaires : il s’agissait de déroger à l’interdiction du l’emploi du glyphosate pour la production des betteraves sucrières) + « Les limites apportées par le législateur à l’exercice d’un droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées à un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

 

Expliquez ce quest une QPC et comment elle se déclenche.

 

Comment comprenez-vous la décision du CC du 31 janv 2021 et singulièrement la deuxième citation ?

 

   La protection par la Cour européenne des droits de l’homme

C’est une protection par ricochet car les textes fondateurs sont silencieux sur ce point et le texte de la Conv EDH. La CEDH utilise d’autres droits qui sont garantis par le texte de la Conv EDH pour protéger le droit à un environnement sain = le droit à la vie (art 2 Conv EDH) etc

 

Ex1 : Le droit à l’environnement via le droit à la vie

Article 2 de la Convention. Affaire Öneryildiz/Turquie (arrêt de grande chambre du 30 novembre 2004) : impact des activités industrielles dangereuses par nature sur le droit à la vie des individus.

 

Ex2 : Le droit à l'environnement via le respect de la vie privée

Article 8 de la convention qui garantit le droit à la vie privée et notamment le respect du domicile. (affaire Lopez Ostra/Espagne, arrêt du 9 décembre 1994) = « des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la santé de l’intéressé »

 

Ex3 : Le droit à l’environnement via le droit de propriété

Contrôle de proportionnalité : juste équilibre entre l’intérêt général - la protection de l’environnement - et l’intérêt particulier - l’atteinte à la propriété (art.1er protocole 1). Le droit de propriété cède face à la protection du littoral dans les affaires Depalle et Brosset-Triboulet / France (Grande chambre 29 mars 2010).

 

Toutefois cette protection est encadrée et limitée du fait même qu’elle est dérivée.

   Il faut qu’il y ait atteinte à un droit garanti par la Convention, qu’on peut mesurer.

De plus, il y a difficulté parfois à établir

   Le lien de causalité entre le fait générateur et la nuisance

   Un seuil de gravité

Il faut un seuil de gravité minimum. Flamenbaum et autres /France, 13 décembre 2012 (prolongation de la piste principale de la ligne d’aéroport de Deauville). La CEDH tranche en faveur de la France car elle considère que les autorités ont maintenu un juste équilibre entre les nuisances sonores et l’intérêt général.

 

Rappelez ce qu’est la CEDH et les mécanismes de sa saisine.

Comment comprenez-vous l’expression « protection par ricochet ». Montrez que le droit progresse ici par la jurisprudence.

Quelles sont les conditions pour que la protection de la CEDH s’applique en termes de protection de l’environnement ?

 

 

Le sujet de synthèse

Le droit à vivre dans un environnement sain : la construction progressive d’un droit

Vous suivrez le plan des documents = deux parties les textes / la protection

Aidez-vous des questions pour construire votre raisonnement


mercredi 31 janvier 2024

Exercice 1ere Tronc commun : l'enracinement de la République en France

 

thème 1ere Tronc commun : L’enracinement de la République en France

Célébrer ou attaquer la République

Exercice 1 : une analyse d'image

 AFFICHE CÉLÉBRANT LE CENTENAIRE DE LA RÉPUBLIQUE 




Proposition de corrigé

1) Présentation du document : rédigez une introduction qui présente le document, en dégage les centres d’intérêt et propose une problématique.

Éléments devant impérativement apparaître :

* Nature du document : c'est une affiche de propagande, émanant du gouvernement de la III  République en 1892, pour commémorer le centenaire de la République (1792-1892)

* Intérêt du document : l'affiche illustre les bienfaits de la République. Mise en place des  symboles  républicains,  c'est-à-dire  des  valeurs  que  défend  et  propage  le  régime républicain.

* Problématique : Quels sont ces bienfaits et symboles républicains mis en avant ? Quels liens le régime souhaite-t-il établir entre la III  République et la Ière, en 1792 ?


2) Dans quel contexte historique fut diffusée cette affiche ?

1892 est une période difficile dans l'histoire de la III République. 

Il faut rappeler ici, même brièvement, quelles ont été les difficultés de l'instauration d'un régime républicain (cf. l'Assemblée conservatrice élue en 1871, Mac Mahon, la République qualifiée de République in extremis par l'amendement Wallon). 

A partir des années 1880 : la République s'enracine solidement: les Républicains les plus modérés ont été au pouvoir pendant les 20 premières années et ont mis en place un régime parlementaire dans le cadre d'une évolution démocratique et libérale. Mais en 1892, la République vient de traverser une grave crise qui l'a tout de même sérieusement ébranlée : l'affaire Boulanger (entre 1885 et 1890, à expliquer en quelques mots). Alors que les valeurs républicaines ont été remises en cause par cette vague antiparlementariste, il convient pour le régime de réaffirmer que les bienfaits apportés par la République sont innombrables, contrairement à ce que dénoncent ses adversaires

3) Quels sont les symboles républicains mis ici en avant ? (les expliciter)

Dans ses premières années, celles de son enracinement, la République a été exaltée par une série de symboles (cf. par exemple la Marseillaise, devenue l'hymne national en 1879). Nous en retrouvons ici deux :

- La Marianne au bonnet phrygien : c'est l'incarnation de la République française, coiffée du bonnet  des  affranchis.  Ses  premières  représentations  apparaissent  sous  la  Révolution française, mais c'est sous la III  République que les bustes de Marianne commencent à fleurir dans les mairies

-  Le  drapeau  tricolore  de  1789,  devenu  pavillon  national  en  1794,  "oublié"  pendant  la Restauration et la Monarchie de Juillet a été adopté à nouveau en 1848, puis peu à peu accepté par les Français et jamais plus remis en cause depuis.

4) Que cherche-t-on à démontrer par le biais de cette affiche ? En quoi est-ce révélateur de l'époque ?

En réaction à la vague antiparlementariste soulevée par l'affaire Boulanger, il s'agit donc  de  réaffirmer  les  bienfaits  qu'apporte  la  République  à  la  Nation  (on  apprendra d'ailleurs aux écoliers de la III  République que les deux sont indissociables) 

La République apporte    :

 * la paix : le rameau d'olivier, symbole pacifique depuis l'Antiquité, et le calme bucolique qui règne.

* la prospérité : la corne d'abondance, autre symbole antique, le chemin de fer (le progrès, la modernité et la croissance économique), les travaux des champs (les campagnes prospères où les paysans mangent à leur faim, cultivent une terre saine et fertile et nourrissent la population française)… Mais aussi la poitrine opulente de Marianne, mère nourricière.

* plus anecdotique : sont aussi représentés les arts (la palette) Marianne veille sur ses enfants, gages d'avenir (la France), telle une mère attentive et attentionnée.

Mais cette affiche est aussi intéressante par le lien qu'elle établit entre la IIIe République et la I , celle de 1792, issue de la Révolution de 89. C'est la continuité qui est saluée ici, la revendication de l'héritage révolutionnaire de 89 qui est mis en avant, en passant par dessus le I  Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, la II  République 


Possibilité aussi de donner en analyse ce tableau de 1891 => c'est l'occasion, au delà de l'analyse du contenu/message, d'un rappel rapide des règles d'analyse d'un tableau = la composition, les lignes directrices, la palette de couleur, la lumière)

Suffrage universel Un bureau de vote en 1891. Peinture d'Alfred Bramtot (1852-1894) 1891 les Lilas, Hôtel de Ville



Exercice 2 : commentaire d'image avec question d'ensemble

(remettre en page les images )








Comment l’art contribue-t-il à l’élaboration de la culture républicaine à la fin du 19e siècle ?

 

Introduction

Groupe statuaire monumental, intitulé Triomphe de la République inauguré en 1899 place de la Nation, dans un quartier alors populaire de la capitale.

L’auteur Dalou est un ancien communard rêve d’un monument à la gloire des ouvriers. C’est pourtant un monument républicain qu’on lui commande, qu’il crée et pour lequel il reçoit la légion d’honneur des mains du psdt de la Rép le jour de l’inauguration.

Ce jour là, la foule porte les drapeaux rouges des ouvriers et bleu-blanc -rouge de la nation française. A l’époque, les statues publiques, en général des grands hommes ou commémoratifs d’événements importants de l’histoire républicaine, sont inaugurées en grande pompe. Elles témoignent de l’unité et de la vigueur de la nation française. Elles sont le point de ralliement lors des grandes fêtes civiques. Elles témoignent de la vigueur des rituels républicains de l’époque.

 

I/ Héritage de la Révolution française

C’est ma révolution française qui institue des rituels civiques pour ancrer dans les esprits et les cœurs l’amour de la République. Il faut remplacer dans les imaginaires et les sensibilités les codes et référents culturels de la monarchie. Les révolutionnaires plantent des arbres de la liberté, organisent des défilés républicains, panthéonisent leurs grands hommes. Le peuple n’est plus seulement spectateur des rituels politiques, il en devient l’acteur. Il en est aussi l’objet. Ici, les personnes représentées sont des allégories, mais ce sont aussi, physiquement, des corps de gens du peuple.

Le groupe statuaire reprend des symboles qui rappelle l’origine révolutionnaire de la République française. Un symbole (trad « ce qui rassemble ») est un signe de reconnaissance, décrypté aisément par toute personne éduquée aux valeurs républicaines. Les références à l’antiquité romaine (période républicaine) existent dans l’art révolutionnaire comme chez Dalou : le faisceau que tient la République est un symbole d’autorité. Les magistrats romains étaient entourés de licteurs qui portaient les mêmes faisceaux. Le génie tenant la flamme conduit le char. La flamme est une référence et un jeu de mot. Elle renvoie à la philosophie des lumières, qui est la 2e source d’inspiration des révolutionnaires républicains. Elle est aussi symbole du progrès. C’est le génie de la liberté. Il tient de son autre main les chaines brisées du despotisme.

L’œil avisé reconnaît enfin dans la femme, coiffée de son bonnet phrygien, marchant debout sur un char, une allégorie de la République. Elle est reprise par Delacroix dans son célèbre tableau, la Liberté guidant le peuple. Dalou y fait une référence directe, par le sein découvert. Plus tard, avec la 2nde République (1848-1851), cette femme deviendra Marianne. Sous la 3e République, des bustes de Marianne sont dans toutes les mairies.

 

II/ Idéologie proprement républicaine

Donc Marianne est la Liberté, elle est aussi la République. La République est le régime qui permet, qui crée la liberté nous dit la statue. Elle est le guide vers la libération du peuple. Cette Marianne-là a une portée universelle. Comme la DDHC, elle est un modèle pour les peuples du monde entier, ce que suggère le globe sur lequel elle avance.

Son char est tiré par deux lions, anciens animaux royaux, désormais symboles de la force du peuple. Mais c’est un peuple domestiqué, sous le joug qui tire le char. Ce joug qui permet de ne pas craindre la fureur et la force du peuple, c’est le suffrage universel. C’est lui qui transforme le peuple en nation. La République n’est donc pas le peuple, elle est l’émanation du peuple par le biais du suffrage universel, elle est régime représentatif. Les révolutionnaires déjà s’inspiraient de la Rome républicaine, et non pas de la démocratie directe d’Athènes. Symptomatiquement, si les lions sont à l’avant du char, la paix marche derrière le char. Elle porte les instruments de l’abondance et sème derrière elle fleurs et fruits.

Liberté, égalité, fraternité : devise de la République française. Un couple d’un homme et d’une femme, accompagné d’enfants entoure le char. Ils sont aussi le peuple, le peuple réel (l’ouvrier) et des allégories. La femme représente la Justice : elle en porte les signes (main de justice). L’homme est le travail. Les deux sont l’égalité car à égalité. Où est la fraternité ?

 

III/ Une spécificité de la statue de Dalou, la préoccupation sociale

Si les deux marchent de conserve, ils permettent l’abondance (le char est couvert de cornes d’abondance). Il y a là un message social clair. Pas d’abondance et pas de République sans justice face au travail, sans équité (symbole de la balance tenue par l’enfant devant la justice). La justice doit être la même pour tous, la République doit traiter tous les citoyens comme ses enfants. Or, à l’époque, la classe ouvrière n’adhère pas complétement à la République : la 3e Rép est pour elle « une république bourgeoise ».

Dalou lui veut croire en la valeur d’une loi républicaine de première importance. Les lois Ferry créant l’école primaire publique, gratuite, laïque et obligatoire constituent l’espoir pour l’ouvrier que ses enfants pourront sortir de la condition ouvrière (briser la reproduction sociale = émancipation par l’école). C’est pourquoi il place le jeune enfant avec ses livres dans les jambes de l’ouvrier portant sa masse.

 

Conclusion

Dalou a choisi de montrer une image de la République en mouvement, une promesse.

Remarque : à l’origine, le char de la République, placé dans un bassin d’eau était entourés de crocodiles en bronze crachant de l’eau vers la statue centrale. Ils faisaient partie du groupe monumental. Ils symbolisaient les dangers et les ennemis de l’idée républicaine.





Exercice 3 : Les contestations de la République, commentaire de texte

Le programme de L'Action Française (1908)


" L'Action française est le journal des bons citoyens désabusés de la République, ralliés à la Monarchie. (...) Seuls les intéressés, les nigauds et les pauvres primaires ignorants peuvent se soustraire à cette évidence : LA RÉPUBLIQUE C'EST LE MAL.

La République est le gouvernement des Juifs, des Juifs traîtres (...), des Juifs voleurs (...), des Juifs corrupteurs du peuple et persécuteurs de la religion catholique (...).

La République est le gouvernement des pédagogues protestants qui importent d'Allemagne, d'Angleterre et de Suisse un système d'éducation qui abrutit et dépayse le cerveau des jeunes Français.

La République est le gouvernement des francs-maçons qui n'ont qu'une haine : l'Église, qu'un amour : les sinécures et le trésor public ; fabricants de guerre civile, de guerre religieuse, de guerre sociale, parasites de nos finances, ils nous mèneront à une banqueroute matérielle et morale (...).

La République est le gouvernement de ces étrangers plus ou moins naturalisés ou métèques, qui (...) accaparent le sol de la France, ils disputent aux travailleurs de sang français leur juste salaire, ils font voter des lois qui ruinent l'industrie (...).

Régime abominable (...), la République est décidément condamnée, et la seule inquiétude de la raison française tient à ce qu'on ignore qui l'on mettra à la place de ce qui est. NOUS Y METTRONS LE ROI.

Le Roi : c'est-à-dire la France personnifiée par le descendant et l'héritier des quarante chefs qui l'ont faite, agrandie, maintenue et développée (...). Il est trop ridicule de vouloir être un peuple fort, un peuple puissant en Europe, sans un chef héréditaire pour veiller à notre destinée historique.

Mais le gouvernement du Roi est aussi le seul qui, en maintenant l'ordre, puisse effectuer parmi nous les mêmes progrès sociaux qu'ont accomplis les monarchies voisines, et ajouter à ces progrès tout ce que la richesse et le génie de notre race permettent de prévoir et de réaliser (...).

Patriotes français, nationalistes, antidreyfusards, catholiques - hommes d'ordre, hommes de progrès - riches, pauvres, de toute classe, de tout métier, de tout parti, vous qui en avez assez, qui êtes las de gémir, qui voulez en finir : vous lirez tous l'Action Française qui dira chaque jour, non seulement les maux publics, mais le moyen, le moyen sûr, le moyen radical, l'unique moyen de terminer les misères de la Patrie, JETER À BAS LA RÉPUBLIQUE ! PROCLAMER LE DUC D'ORLÉANS."

Après avoir présenté le document et le contexte, faites l'analyse du document pour montrer et expliquer en quoi l'Action Française est un mouvement d'extrême droite : nationaliste et xénophobe, monarchiste et anti-républicain.

En conclusion, vous vous demanderez si la violence des propos a entraîné une violence dans les actes entre 1898 et 1940 et quel fut le poids de l'AF dans l'histoire de France (recherches personnelles obligatoires)



 


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