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samedi 15 juin 2019

Les expositions universelles, témoins de leur temps

" Qu’avec la bénédiction du Dieu, cette réalisation contribue au bien-être de mon peuple et serve l’intérêt de la race humaine, en encourageant les arts de l’industrie et de la paix, en renforçant les liens qui unissent les nations de la terre et en établissant une rivalité amicale et honorable par laquelle pourront s’exercer les facultés qui nous ont été données par la bienveillante Providence. »

C'est en ces termes que la reine Victoria en 1951 inaugure la première exposition universelle de l'histoire, dans le premier bâtiment de fer et de verre jamais construit, le Crystal Palace. Ce faisant, elle consacre le rôle de leader du Royaume-Uni dans la nouvelle économie qui se met en place et le monde qui en découle.




Pour le Suisse Beat Wyss, auteur de Images de la mondialisation, exposition universelle de Paris en 1889, l’Exposition universelle de 1889, la quatrième, marque une étape décisive dans l’histoire de la mondialisation. Les trois premières avaient été conçues comme des foires pour les producteurs et les commerçants. Mais « elles se transformèrent vite en gigantesques spectacles sur la scène desquels des artisans et des artistes de tous les coins du monde venaient présenter leur culture », note Peter Geimer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. 

L’exposition de 1889 est l’acmé de ce processus : elle battit tous les records : 32 millions de visiteurs, 62 000 exposants venus de 54 pays. « Elle marque le début du tourisme de masse. Elle est aussi la première exposition universelle à attirer à ce point l’attention des médias du monde entier. » Pour la première fois, on voit apparaître, au pied de la tour Eiffel, un véritable « village planétaire ». Les échoppes proposant de la nourriture des quatre coins du monde rencontrèrent un immense succès et "à  travers l’acte de manger, la distance avec les mondes lointains est abolie ». "Cette entreprise fut une tentative de faire du monde un lieu homogène d’expérience, lisible pour le public de masse ».


A noter que la BnF propose sur son site une exposition virtuelle consacrée aux expositions universelles parisiennes
Consulter aussi  le site de Sylvain Ageorges : http://www.expositions-universelles.fr/index.html


L'exposition universelle de 1900



doc 1

La Tour Eiffel illuminée par l’électricité pour l’exposition universelle de Paris en 1900.


doc 2
Publicité pour le chocolat Suchard présentant l’intérieur du Grand Palais, construit pour l’occasion. Le Grand Palais abritait les expositions de peinture française, y compris les nouveaux courants (impressionnisme …)

doc 3

Les infrastructures de l’exposition pour accueillir les 50 millions de visiteurs



doc 4

Les pavillons d'exposition sur le champ de Mars

doc 5 :







Possibilité à partir de ces documents de proposer un exercice de réponse argumentée. Etant donné les thèmes abordés, je pense qu'il faut proposer cet exercice en fin de séquence


En quoi l'exposition universelle de Paris est le témoin de la société de son époque ?


Définition du sujet : Construire l’introduction
Les questions à se poser : 
Qu’est-ce qu’une exposition universelle ? Comment nommer et définir la société de la France de 1900 ?

Tenues régulièrement depuis 1851 (date de l’exposition universelle de Londres dans le Crystal Palace), ces expositions internationales sont l’occasion pour chaque Etat de présenter au monde le meilleur de ses réalisations techniques et culturelles. En 1900, Paris accueille pour la 2e fois l’exposition universelle. C’est alors en France ce qu’on appelle la « Belle Epoque ». La société française est traversée par un courant puissant d’optimisme et d’intérêt pour les progrès scientifiques et techniques. Ceux-ci apportent d’importantes transformations et de vraies améliorations dans leurs modes de vie. L’exposition universelle lui sert de vitrine. Elle est aussi le témoin assez fidèle de la société de son temps. En très grand nombre (50 millions de visiteurs) les Français viennent y découvrir non seulement les nouveautés industrielles et technologiques mais aussi, comme au spectacle, les joies de cette nouvelle société de loisirs que les progrès du temps rendent enfin possible. Ils enorgueillissent enfin. des splendeurs de l’exposition coloniale. 



Travail préparatoire : Faire le lien entre les documents et le cours.

Quels thèmes les documents abordent-ils sur lesquels on a des éléments de connaissance tirés du cours ?

Doc 1 avec la Tour Eiffel = fonction de vitrine + fonction symbolique : rappel de la grandeur de la France qui a produit les droits de l’Homme => la lumière électrique = le génie français qui éclaire le monde.

Doc 2 = 3 éléments :

· le support = doc est une publicité => possibilité de développer des éléments de connaissance sur la nouvelle économie = production de masse donc essor de la consommation, compétition entre les entreprises de tous pays pour vendre tjs plus, amélioration du niveau de vie et du confort. + D’où vient le chocolat = d’Afrique ou d’Amérique du sud càd des colonies => possibilité de dvlpper des éléments sur l’économie coloniale.

· Le contenu : Grand palais est encore actuellement un lieu dévolu aux grandes expositions culturelles à Paris. Il est construit pour l’occasion. On retrouve la fonction de vitrine. L’architecture est importante : comme pour le crystal palace = ampleur + verrière.

· Le Gd Palais servait à présenter les expositions de peinture, y compris dans les nouveautés = l’impressionnisme. C’est en effet à paris que s’invente la nouvelle peinture de l’époque, rompant avec les codes académiques (réalisme du traitement, sujets mythologiques ou historiques) pour adapter le regard de la peinture à la modernité du temps. Cf. la Gare St Lazare de Chaude Monnet.

Doc 3 = les transformations de Paris pour accueillir l’exposition universelle = le métro, une nouvelle gare, autant d’infrastructures qui resteront et qui ont, au-delà de l’aspect pratique d’acheminement des visiteurs, aussi une fonction de prestige = doter la capitale de moyens de transport modernes et efficaces => rivaliser avec Londres

Doc 4 = chaque pavillon présente un secteur industriel : il y a les secteurs déjà un peu anciens comme le textile, les mines et la métallurgie, mais aussi les pavillons présentant les dernières nouveautés de l’industrie chimique (base de l’industrie pharmaceutique) ou le palais de l’électricité qui permettait de découvrir le fonctionnement et les applications de cette nouvelle source d’énergie, la « fée électricité » comme on disait à l’époque. Ces pavillons sont appelés « palais » : la technique est la nouvelle reine de l’époque. Elle est la source du développement économique, de l’amélioration des conditions de vie. Elle promet le bonheur à tous.

Doc 5 = les richesses coloniales =>

· Deux empires en compétition

· L’économie coloniale

· La découverte d’autres cultures (cf. pagode …) mais colonialisme fort à cette époque = mission civilisatrice de l’Europe, racisme …



Plan détaillé rédigé

Rappels et conseils :
· toute argumentation se construit toujours de la même manière. Enonciation de la thèse, puis du premier argument, justification de l’argument par l’exemple, puis éventuellement explication, nuance, approfondissement… On passe ensuite au 2e argument relié au précédent par une transition et à nouveau justification …On part toujours du général pour préciser au fur et à mesure sa pensée. 


· Rédigez des phrases simples, syntaxiquement correctes. Reliez vos phrases entre elles par des connecteurs. Précisez toujours vos sujets. Chacune de vos phrases doit apporter une information nouvelle, qui fait progresser le raisonnement. 



I/ L’exposition universelle de 1900 est une vitrine du génie français

A) Paris, une capitale moderne

Les travaux dans Paris pour accueillir l’exposition universelle = les transports (gare, métro, trottoir roulant), les espaces d’exposition (Grand Palais et sa grande verrière)…autant d’occasions de rendre manifeste la maîtrise technique des innovations les plus récentes et les plus modernes. 

B) Paris, un haut lieu de la civilisation

L’illumination de la tour Eiffel le soir est en soi tout un symbole de ce que l’image que la France veut donner d’elle-même au reste du monde : modernité technique, audace artistique (impressionnisme), génie politique précurseur puisque cette tour, construite pour l’exposition universelle de 1889, rappelle la révolution française. Or, la rev fra, comme celle des EUA sert de modèle pour tous les peuples épris de liberté (DDHC) 

II/ L’exposition universelle rend hommage au progrès.

A) Le progrès technique est source d’enrichissement

Sur le champ de Mars, la présence des palais de l’industrie rappellent le rôle essentiel des progrès techniques dans l’économie. En effet, la révolution industrielle, qui permet au 19e siècle l’enrichissement considérable des nations européennes, a été possible grâce à la mécanisation (cf. textile), à la domestication de nouvelles sources d’énergie (cf. mines) et à la mise au point de nouveaux matériaux (cf. constructions mécaniques et sidérurgie). Le RU, berceau de la révolution industrielle est à cet égard le pays le plus riche d’Europe encore en 1900, même si de nvx concurrents sont apparus, comme l’Allemagne, appuyée entre autres sur la tte récente industrie chimique et dans une moindre mesure la France. Les visiteurs ébaudis découvrent donc dans ces palais les nouvelles machines : Ils s’émerveillent de leurs prouesses techniques qui permettront aux industries de produire en masse les nouveaux produits qu’ils consommeront bientôt, à des prix sans cesse plus accessibles. La publicité qui se développe et dont nous voyons la trace avec le document 2 les incite à entrer dans la nouvelle ère de la prospérité : celle de la consommation de masse. 

B) Le progrès technique transforme la vie

L’exposition universelle est un spectacle, une féérie qui a attiré 50 millions de visiteurs, venus de toute la France et du reste de l’Europe. On y montre les nouveautés qui changent la vie quotidienne et ouvrent de nouveaux horizons. En 1900, les visiteurs découvrent l’électricité qui illumine la tour Eiffel. Bientôt « la fée électricité » permettra d’éclairer la rue et entrera dans les foyers. Plus tard, elle actionnera les machines, toujours plus petites et plus pratiques. Le cinématographe est aussi une des grandes attractions de l’exposition. Le président de conseil de la République française viendra même assister à une des premières représentations de cette merveille, inventée par les frères Lumière, des Français. Le trottoir roulant à deux vitesses ravit la population qui fait le rêve d’un monde où le progrès fera disparaître les travaux pénibles. 

III/ L’exposition universelle témoigne de l’idée répandue de la supériorité de l’Homme Blanc

A) La mission civilisatrice de l’Homme blanc

Chaque puissance coloniale expose dans différents pavillons les éléments caractéristiques et exotiques des peuples conquis (architectures, modes de vie, produits agricoles). Il ne faut pas y voir pour autant autre chose qu’un attrait pour le dépaysement. Les Européens ne rendent pas hommage à d’autres cultures et encore moins à d’autres civilisations : ils sont persuadés que seule l’Europe est civilisée et qu’elle apporte en outre-mer les bienfaits de cette civilisation. L’exposition coloniale a donc plutôt pour objet de permettre de mesurer l’écart entre les modes de vie indigènes et l’excellence du modèle européen, cet écart justifiant a posteriori la colonisation elle-même. L’exposition coloniale est donc un moyen de renforcer sa bonne conscience. 

B) Les colonies, facteurs de puissance

Pour continuer à justifier la colonisation, les avantages de la possession de colonies sont mis en avant : les produits agricoles et les matières premières, importés à bas prix des colonies, sont devenus indispensables aux industries européennes (cf. le coton d’Inde à la base du succès de l’industrie textile britannique). Plus généralement, la possession de colonies est un des signes extérieurs de la puissance. Malgré la conférence de Berlin, les pays européens sont d’ailleurs toujours en 1900 en lutte pour délimiter précisément les contours de leurs empires, ce qui n’est pas sans provoquer des tensions. En 1900 néanmoins, l’affaire est entendue : les deux plus grands empires sont britannique et français. 



Conclusion : elle doit permettre un bilan càd une synthèse de ce qui a été dit mais qui approfondit et cloture la reflexion

L’exposition universelle est donc le lieu de la compétition pacifique des plus grandes nations industrielles. Chacune d’entre elle s’y présente sous son meilleur jour et tente d’y prouver sa supériorité technique, économique, culturelle. A l’occasion des expositions universelles sont d’ailleurs organisés des concours. Le point central de cette confrontation est la modernité : chacun doit montrer qu’il est plus avancé, plus développé que l’autre. Pour autant cette compétition bon enfant, qui ravit les visiteurs à qui, somme toute, on offre un grand spectacle, ne doit pas nous cacher la face sombre de la « Belle époque » : les inégalités sociales et la misère qui excluent de l’optimisme ambiant les catégories populaires mais aussi les rivalités commerciales, territoriales et parfois militaires de pays qui, en 1914, s’engageront dans le conflit le plus meurtrier de l’histoire mondiale.

lundi 3 juin 2019

Négoce et progrès des connaissances



Fiche de lecture : Histoire des sciences et des savoirs, Dominique Pestre dir., vol 1, De la Renaissance aux Lumières

Les savoirs du commerce : le cas de l'Asie par Romain Bertrand.


Avec l'arrivée de Christophe Colomb à Hispaniola en 1492, puis celle de Vasco de Gama à Calicut en 1498, l'Europe entre dans ce qu'il n'est pas exagéré de nommer un "long siècle des Indes" (de sa progressive conquête), lequel s'achève vers le milieu du XVIIe siècle avec l'installation territoriale pérenne des Hollandais et des Britanniques en Inde et Insulinde. Inde étant compris au pluriel , Asie et Amerique.

Les cartes
Comme le prouve l'exemple privilégié des Provinces-Unies à l'orée du Siècle d'or, les univers du négoce et de la connaissance savante, loin d'être dissociés, s'entremêlent sur une échelle et des modalités inédites. Les savoirs concrets accumulés par les navigateurs, les explorateurs et les commerçants qui se confrontent aux connaissances héritées des Antiques (la géographie de Ptolémée par exemple) et aux textes érudits médiévaux provoquent une remise en cause de ces derniers. Ainsi, l'historiographe des Indes, nommé par le roi d'Espagne en 1523, Gonzalo Fernandez de Oviedo y Valdés affirme que ce qu'il sait et dit des heurs et malheurs de la conquête "ne peut s'apprendre à Salamanque, ni à Bologne ou Paris, mais dans la chaire du gaillard arrière, avec le quadrant en main".


Les Moluques , carte de Petrus Clancius et Cornelis Claes, c.1593, exposée au palais municipal puis royal du Dam (Amsterdam).
On remarque que la carte est illustrée des produits que les compagnies de commerce néerlandaises achetaient dans l'archipel pour les revendre à prix d'or en Europe. La cargaison de la première expédition commerciale néerlandaise quelques années avant la réalisation de cette carte a généré une recette qui aurait permis de rembourser toutes les dettes contractées par la toute jeune République lors de sa guerre contre l'Espagne.


Une partie d'une carte des Indes occidentales, exposées dans le palais municipal puis royal de  Dam. Peter Goos, c.1660

Les curiosités
Au tournant du XVIIe siècle, les "routes des Indes" charrient vers l'Europe quantité de "curiosités" qui s'arrachent à prix d'or à Amsterdam, Paris ou Londres. Pierres, animaux empaillés, plumes...les exotica des Indes nourrissent, sur fond de crise du merveilleux et de divorce entre science et théologie une réflexion avivée sur les frontières mouvantes entre règnes animal, minéral et végétal.  Les botanistes européens missionnent les marins pour qu'ils leur ramènent des plantes et graines exotiques pour alimenter leurs catalogues. La direction de la VOC (compagnie des Indes néerlandaises) fait instruction aux apothicaires et chirurgiens navigant sur leur bateaux de ramener systématiquement à Amsterdam les exemplaires nouveaux de plantes, fruits et feuilles. Ces diverses naturalia, disposées harmonieusement sur les étagères des cabinets de curiosité sont propices également ç une réflexion philosophique, voire dévote, sur les merveilles de la Création de Dieu.
A la fin du XVIes, chez les humanistes qui depuis des décennies développent un savoir antiquaire (c'est aussi les premières fouilles et les premiers musées , au Capitole par exemple, exposant les beautés des vestiges antiques), le cabinet de curiosité se doit également de posséder des artificialia , objets indigènes qui témoignent de la diversité de l'artisanat et des croyances. Mais les critères de classification et d'historicisation de tels objets font débat : peut-on insérer une statuette en ivoire de Ceylan sur la même étagère qu'un marbre romain ? Les statuettes boudhistes sont-elles de même statut que les croix ouvragées orthodoxes ?...

Le commerce des curiosités des "Indes" devient si rentable dans l'Europe lettrée du premier quart du XVIIe siècle que d'habiles faussaires se mettent à fabriquer de toutes pièces les exotica les plus recherchées.


noix de coco gravée

boule prélevée dans l'intestin d'une chèvre


Bilan : La collecte, la conservation et le commerce des exotica des Indes contribue fortement à l'affinement des techniques de la description et de la catégorisation des choses de la nature. Plus largement, le cabinet de curiosité est l'un des lieux ou l'une des matrices de la réorganisation humaniste des arts et des savoirs

Johann Georg Hinz, 1666
Ce tableau pourrait faire l'objet d'une séance HDA introductive au chapitre sur "l'ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du "nouveau monde"

Les livres
La "description des Indes" n'est pas qu'affaire de commentaires savants. Elle s'accomplit aussi sous la forme de récits de voyage. Un 3e monde, celui de la librairie et de l'édition spécialisée unit commerce et savoir, sous le signe des Indes. De par l'ampleur de leur catalogue, certains éditeurs comme Cornelis Claesz à Amsterdam ou la famille Craesbeeck à Lisbonne, contribuent fortement à fixer les règles du genre, entre "descriptions vraies" et "récits de choses merveilleuses", illustrées systématiquement par des gravures. En dehors des canaux de l'université se développé aussi les méthode d'apprentissage des langues indigènes et tout spécialement du malais qui était parlé et compris d'un bout à l'autre de la route des Épices (de l'océan Indien aux Moluques). Le premier livre de malais parlé est publié en 1603 à Amsterdam ; il est le fait d'un marchand, Frederik de Houtman, qui a appris le malais durant sa captivité dans le sultanat d'Aceh, au nord de Sumatra, entre 1599 et 1601. Dans les décennies suivantes, ce sont les commis de la VOC ou des ministres ordinaires de l'Eglise réformée qui voyagent sur leurs bateaux, qui effectuent les premières traductions du Credo et des Évangiles en malais.
Les compagnies à chartes (VOC, Compagnie danoise des Ondes orientales ...) et les réseaux missionnaires (jésuites, dominicains, augustins...) fonctionnent alors, conjointement et concurremment, comme de puissantes agences d'institutionnalisation de la circulation de l'information savante tout au long des réseaux transocéaniques. L'inquisition tente de réguler et limiter la diffusion des savoirs, elle qui a charge de contrôler l'orthodoxie des européens qui partent s'installer dans les terres lointaines. L'usage des "magies et superstitions locales" par les soldats ou les matrones est traqué et réprimé. De lourdes peines associant amendes et pénitences publiques frappent ceux qui useraient des remèdes et onguents locaux ou emploieraient des médecins locaux, assimilés à des jeteurs de sorts.





A Lire : L'Histoire à parts égales : récits d'une rencontre Orient(Occident XVI-XVIIe s , par Romain Bertrand, Seuil, 2011

Pour prolonger : billet de blog " la Voc et les voyages marchands"

lundi 27 mai 2019

Cartographie à la Renaissance

On pourra compléter avec grand 
profit par cet article consacré à la Cartographie médiévale et avec l'exposition en cours aux archives nationales

Le monde connu en 1492 Le globe de Martin Behaim (1492)


Réalisé en 1492, le globe de Martin Behaim, commerçant et cartographe allemand, est le plus ancien globe terrestre connu. Il reflète la vision du monde des Européens à la fin du Moyen Âge, avant la découverte de l’Amérique. A consulter en 3D dans Gallica => https://c.bnf.fr/CnE et à retrouver en ce moment dans l’exposition "Monde en sphères" à la BnF ou dans l’exposition virtuelle dédiée (http://expositions.bnf.fr/monde-en-sphère). Sur la page Facebook de Gallica, une courte vidéo de présentation

Les Globes étaient à la fois des objets de science et des objets de luxe : Objets coûteux et prestigieux, les globes terrestres peints sont produits majoritairement en Hollande au XVIIe siècle et en Italie. A Paris, un moine vénitien, Vincenzo Coronelli, est encouragé par Louis XIV à faire des réductions de grands globes peints pour toucher un plus vaste public. Seize globes terrestres et célestes de 108cm de diamètre sont ainsi conservés qui témoignent du succès de cette stratégie commerciale. Associé à l'Académie des sciences, l'ingénieur Nicolas Bion publie de nombreuses brochures décrivant les globes, leur fabrication et leurs usages. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, profitant de l'engouement pour les voyages d'exploration, le globe devient un objet plus familier.



Fiche de lecture : Histoire des sciences et des savoirs, Dominique Pestre dir., vol 1, De la Renaissance aux Lumières

Cartographie et grandeur de la Terre. 

Aspects de la géographie européenne (XVIe-XVIIIe siècle) J-M Besse


Un nouveau concept géographique de la Terre

Jusqu'au milieu du XVIe siècle, plusieurs concepts de Terre coexistent sans fusionner : à la fois une sphère participant de l'ordre global du cosmos, lui-même sphérique, étudié par l'astronomie ; un élément qui, avec le feu, l'eau, l'air, entre dans la composition de toute chose et est à ce titre étudié par la physique; une création de Dieu et le reflet de son intention providentielle, donc objet de la théologie; enfin, la demeure des hommes, leur oekoumène, souvent représentée de façon carrée (les 4 points cardinaux). Le XVIe siècle voit l'apparition d'une conception géographique spécifique et unifiée de la Terre. Celle-ci est à la fois pensée, décrite, imaginée et perçue comme Terre universelle, comme surface partout habitable et parcourable. Elle devient l'objet d'un autre discours qui se détache progressivement du discours astronomique, qui lui aussi se modifie. Alors que l'astronomie, après Copernic, tend à considérer la Terre comme un élément parmi d'autres du système cosmique et à le ranger dans l'ensemble plus vaste des planètes à la loi commune, la géographie, en procédant à une unification et à une recomposition des divers discours qui envisagent la Terre, tend à l'identifier comme objet spécifique. Toute entière orientée vers la conquête, c'est-à-dire la description et l a mesure, elle dessine les contours de ce territoire élargi de l'existence humaine pour y désigner les nouvelles possibilités qui s'offrent à l'être humain.

Il ne semble pas possible dans le cas de la géographie d'envisager la question de la "révolution scientifique" sous l'angle du passage brutal d'une théorie à une autre, mais plutôt, il faut concevoir la perspective d'une pluralité des rythmes et des modalités selon lesquelles s'effectuent les diverses opération d'objectivation. Au XVIe s, l'astronomie et la géographie sont des disciplines voisines qui partagent certains de leurs concepts et mobilisent souvent les mêmes acteurs. Pourtant elles n'ont pas la même histoire, ni les mêmes temporalités.

Vermeer, l'astronome, 1668 (?) 

Vermeer, le géographe , 1669

L'unification spatiale du monde terrestre est le résultat des réaménagements successifs des représentations au fur et à mesure des entreprises de découverte et de colonisation menées par les Européens, et à mesure que les livres cosmographiques, les récits de voyage, les cartes et atlas décloisonnent les imaginaires. Autrement dit, l'espace géographique n'est pas un absolu, c'est-à-dire un cadre englobant, neutre et homogène. L'espace dans lequel les géographes travaillent et auquel ils se relient est celui de leurs pratiques spatiales concrètes et des échelles spatiales dans lesquelles les interactions savantes qu'ils tissent se déploient. D'où le fait que les aspects politiques et religieux, la structure des réseaux savants, mais aussi les contraintes interpersonnelles, les patronages, tout autant que les pratiques personnelles de l'espace, jouent un rôle déterminant dans la fabrication des savoirs géographiques.
La géographie européenne a été un des lieux où, sur le plan de l'image (cartes...) et du texte (récits de voyage...), l'image du monde terrestre a été réordonnée, dans un double mouvement de découverte et de réarticulation critique des savoirs. Mais elle a été aussi un opérateur pour la redéfinition de ce qu'on pourrait appeler les valeurs spatiales par rapport auxquelles les Européens avaient jusqu'alors défini le sens de leurs actions et de leurs pensées.

Les géographes de la première modernité transforment le sens de l'espace

Réorganisation des catégories de pensée sur :

  • Le proche/le lointain
  • La taille et la grandeur de l'espace
  • Les orientations de l'espace et ses hiérarchies (centralités, périphéries)
  • Mais aussi renouvellement considérable des réflexions sur les appartenances et les identités.


Concernant les supports de diffusion et d'élaboration du savoir géographiques, au delà de la diversité des propositions , quatre schèmes :

  • Le schème géométrique : méthodes projectives et méthodes des coordonnées initient une conception de l'espace comme une surface en grille : une table de coordonnées
  • Autre schème de découpage et d'organisation de l'espace terrestre, le schème des ordres de grandeur :  Echelles spatiales qui peuvent s’emboîter
  • Schème descriptif (expression exemplaire, la Cosmographie universelle de Sebastian Münster). Le géographe trouve des modèles opératoires, pour mettre en oeuvre sa description du côté des arts de la mémoire, de la méthode des mieux communs ou de la rhétorique de l'éloge
  • Le schème de la méthode : classement généralisé, création de catégories d'espace, sur un modèle en arbre (= du général au particulier)

La place de la géographie dans l'histoire des cultures visuelles

Un exemple : la place de l'iconographie et des cartouches dans la cartographie des XVI et XVIIe s. Une histoire culturelle et sociale de la cartographie permet d'y reconnaître plusieurs fonctions et discours.
Le cartouche est avant tout un élément décoratif qui appartient aux domaines de l'architecture, de la sculpture et de la gravure. Il désigne et détermine a priori le cadre d'interprétation de la carte. C'est aussi un contenant, un espace vide à l'intérieur duquel on place un titre, une inscription, un blason... annonçant le contenu de la carte. Enfin, il donne l'identité politique du lieu ainsi que son possesseur. On peut comprendre le titre comme l'énonciation d'un titre de propriété. Il traduit un type de relation sociale, celle qui existe entre l'auteur et l'éditeur de la carte d'une part et le dédicataire de l'autre : caractéristique de l'économie du patronage, qui oblige le patron (dédicataire) à offrir protection et rémunération en échange du livre ou de la carte dédiés qui en échange doivent manifester la gloire du patron. Quel que soit le niveau d'autorité auquel la carte est présentée (roi, dauphin, ministres et grands commis, autorité ecclésiastiques, celle(ci est supposée traduire les effets positifs de l'exercice de cette autorité.
=> Un même cartouche peut donc développer des discours de niveaux différents, mais le discours du pouvoir est toujours présent.
Il peut contenir ou s'accompagner de vignettes iconographiques. Celles-ci, sur le modèle rhétorique de l'evidentia, donnent la "vérité" visuelle de l'espace représenté en représentant les ressources naturelles du pays, sa faune et sa flore, ses populations et coutumes, ses costumes ... Ou bien, des représentations allégoriques relevant d'un discours de la civilisation : les quatre éléments, la Bible, les allégories des continents, des instruments scientifiques de mesure ... Il s'agit de mettre en évidence l'image du monde terrestre, mais aussi du cosmos, ordonné et mesurable. Remarquons qu'on retrouve là sur la carte une pratique largement diffusée lors des entrées princières , celle des tableaux vivants ou des décorations des arcs de triomphe qui présentent de façon allégorique les territoires soumis à l'autorité du prince. Par exemple, en 1539 à l'occasion du mariage de Cosme de Médicis avec Eleonore de Tolède, un défilé convoque la géographie sus la forme de personnages allégoriques représentant les rivières, montagnes et autres éléments du territoire soumis à Florence. Quelques jours auparavant, Charles Quint paradait Porta del prato entouré de personnifications des pays constituant son empire : on pouvait y voir le "nouveau Pérou", l'Afrique, le Danube et l'océan Atlantique.

C'est le cas également dans d'autres dispositifs décoratifs, comme la galerie des cartes au palais du Vatican, chef d'oeuvre du XVIe siècle.





Ou encore les exceptionnelles cartes de marbre au sol du palais communal d'Amsterdam



Pour prolonger : article de ce blog sur les voyages marchands de la VOC

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