jeudi 28 décembre 2023

Les civils dans la guerre. Comment le droit international peut-il agir ?

 

(L’internationalisation du droit)


 

Selon l’ONU, 90% des morts en temps de guerre sont des civils. Historiquement, cette pratique de guerre qui consiste à cibler les civils (au mépris du droit de la guerre qui les protège = tuer intentionnellement des civils est interdit) s’inscrit dans le processus de guerre totale et anomique qui débute dans certains conflits de la fin du 19e siècle, mais essentiellement qui caractérise la 2nde Guerre Mondiale.

Le DIH fait partie du droit international qui régit les relations entre États. Ce dernier est formé d'accords conclus entre États, appelés traités ou conventions (donc c’est du droit contractuel), + de la coutume internationale, constituée par la pratique des États reconnue par eux comme étant obligatoire, + ainsi que des principes généraux du droit (= principe de Jus Cogens = la caractéristique d'une règle reconnue par tous les états et à laquelle aucune dérogation n'est possible. Le terme provient du latin et signifie «droit contraignant». On parle en français de normes impératives.). Donc est considéré comme nul tout traité qui contredirait certaines règles de base, par ex l’interdiction de l’esclavage.

R) C’est le traité de Vienne de 1969 qui codifie les règles des traités. Par exemple, tout traité conclu par un Etat doit être ratifié : le processus de ratification vaut pour manifestation de la volonté nationale et vaut donc pour approbation.

R) Les Etats et les organisations internationales (ex. ONU ; ex. l’UE à partir du traité de Lisbonne) sont les sujets du droit international car eux seuls ont la personnalité juridique adéquate : ils peuvent entretenir des relations diplomatiques ; ils peuvent conclure des traités ; ils peuvent présenter une réclamation internationale ; ils ont des droits ET des obligations reconnus par l’ordre international.

En revanche, les individus sont objets du droit international : on leur reconnaît des droits et une protection, mais ils n’ont pas le pouvoir de changer les règles et ils n’ont pas d’engagements vis-à-vis des autres Etats.

Le DIH s'applique dans les situations de conflit armé (Jus in bello).

Il ne détermine pas si un État a ou non le droit de recourir à la force (Jus ad bellum). Cette question est régie par une partie importante mais distincte du droit international, contenue dans la Charte des Nations unies. C’est inscrit dans l’article 2§4 de la charte de l’ONU de 1945 (que tous les Etats membres ont signée et acceptée donc théoriquement qu’ils respectent). Il s’agit d’une interdiction générale de recours à la menace ou à la force dans les relations entre Etats, soit contre l’intégrité territoriale, soit contre l’indépendance politique d’un Etat. Il y a une exception (charte art. 51) : c’est la légitime défense, la réponse à un crime d’agression. Pour autant, cette réponse doit être temporaire, nécessaire et proportionnelle. Ainsi, seul le Conseil de sécurité de l’ONU, théoriquement, peut habiliter l’usage de la force (donc la guerre) par une résolution, même en dehors d’une situation de légitime défense si il considère qu’il y a une menace pour la paix et la stabilité internationale. Enfin, on peut recourir à la force avec le consentement de l’Etat qui réclame l’usage de la force (cf l’intervention française au Mali)

 

1-      Historique et textes du DIH

1863 création d’un Comité international de secours aux blessés sur les théâtres de guerre (future croix rouges)

1864 – 1906- 1929= 3 conventions de Genève (ne réglementaient que les conflits interétatiques) pour la protection des soldats et des prisonniers de guerre.

4e convention de Genève  de 1949 : pour la protection des civils + 1977 :  protocoles additionnels pour des situations de guerre civile : ils postulent que la distinction entre les civils et les combattants doivent se faire en temps réel et pas a postériori. Le DIH réfute la notion de combattant hybride : on est soit civil, soit combattant.

R) La Section 3 de la 4e convention de Genève : règles sur les territoires occupés. Israël est une puissance occupante en Cisjordanie, Gaza et le Golan. Même si depuis 2005, l’armée s’est retirée de Gaza, elle contrôle par les mers et les frontières le territoire, elle administre indirectement le territoire en contrôlant eau/énergie/déplacement/ monnaie …Elle a donc un devoir de protection vis-à-vis des habitants de Gaza.

- le Protocole facultatif de 2000 se rapportant à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés.

De nombreuses règles de DIH sont désormais considérées comme appartenant au droit coutumier, c'est-à-dire comme règles générales s'appliquant à tous les États.

 

D'autres textes interdisent l'emploi de certaines armes et tactiques militaires ou protègent certaines catégories de personnes ou de biens. Il s'agit notamment de :

- la Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux Protocoles;

- la Convention de 1972 sur les armes biologiques;

- la Convention de 1980 sur certaines armes classiques et ses cinq Protocoles;

- la Convention de 1993 sur les armes chimiques;

- la Convention d'Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnel;

Le DIH est connu et intégré dans tous les manuels militaires de toutes les armées du monde. Les armées régulières développent des stratégies pour justifier leurs actions au regard du DIH et protéger leurs soldats d’éventuelles poursuites. De plus, tous les Etats développent des argumentaires pour justifier leurs actes en argumentant (de façon plus ou moins convaincante) par rapport au DIH existant. Seuls les EUA ont essayé d’imposer leurs règles, en dehors du droit international quand, en réaction aux attentats de 2001, ils ont invoqué la « guerre préventive » et le statut de « combattant illégal », qui n’existent ni l’une ni l’autre en droit international.

 

2-      Les règles qui encadrent le droit de la guerre

Aucune partie à un conflit armé n’est au-dessus des règles du droit humanitaire international. Ce sont des obligations qui s’imposent aux parties belligérantes en temps de guerre.

Les règles de base = protéger les non-combattants = civils, prisonniers + Droit des civils à l’assistance humanitaire

Par csq, le DIH comporte aussi des restrictions aux moyens de guerre, principalement les armes, et aux méthodes de guerre, comme certaines tactiques militaires. Par ex, cibler spécifiquement des civils est interdit = principe de distinction entre civil et militaire. En cas de doute sur la qualité d’une personne, elle doit être considérée comme civile. Le civil est toute personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes :

·         Membre d’une force armée régulière, même si celles-ci se réclament d’un gouvernement ou d’une autorité non reconnue par la puissance adverse

·         Membre de forces armées, de milices, de corps de volontaires

·         Membre de tout groupe armé placé et organisés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés. (guerilla, gropuscules armés...)

·         En revanche, pour les groupes armés non étatiques (ne relevant d’aucun Etat ou assimilé comme tel), le droit international ne dit rien sur eux (= groupes considérés comme terroriste ex ISIS, Al Qaïda…) Par défaut, ils sont considérés comme des civils criminels du fait de leur usage de la force, qui ne perdent leur protection que pendant la durée de la participation directe aux hostilités (Genève protocole additionnel de 1977 , GPI, art 45.1 et 51.2 et GPI II art 13.3

=> La prise d’otage est interdite, les biens civils ne doivent pas être ciblés…

Cette obligation de distinguer entre civils et combattants est un des fondements du droit humanitaire

Principe de précaution pour ne pas faire peser des risques sur les civils : prévenir les civils, permettre l’évacuation par les civils …

R) le siège n’est pas interdit spécifiquement dans le droit international humanitaire. En revanche, ttes les csq du siège conduisent nécessairement à une violation du droit international humanitaire (DIH) = impossibilité d’exercer son droit à l’assistance humanitaire.

Mais aussi, principe de proportionnalité = les armées doivent dans le choix de leurs cibles et de leur stratégie, éviter des pertes excessives de vies civiles. Il faut donc pouvoir évaluer des objectifs militaires et estimer si les pertes civiles sont acceptables au regard du gain militaire recherché. C’est compliqué à mettre en œuvre car ce doit être évalué à chaque fois pour toutes les opérations militaires.

 

3-      Les qualifications pénales : Crimes de guerre, crime contre l’humanité, génocide

On trouve la liste exhaustive des qualifications pénales en DIH dans le texte du statut de Rome (1998) créant la Cour Pénale Internationale. = Art 6, 7 et 8

R) il n’y a pas de définition internationale et reconnue par tous les Etats d’un crime de terrorisme => ce n’est pas une qualification pénale. C’est un mot de la politique, pas du droit. Mais il y a interdiction des actes qui ont pour but de répandre la terreur auprès de la population civile.

La vraie déf de ces crimes = crime de guerre, voire pour certains d’entre eux, crime contre l’humanité.

A l’origine, on a défini des crimes de guerre = limitation de qu’il est possible de faire en temps de guerre et de ce qui est interdit. (art 8) = homicide, torture, traitement inhumain, déportation, détention illégale, prise d’otages, attaques contre le personnel humanitaire, attaque contre des biens à caractère civil, viol, prostitution forcée ou esclavage sexuel, utilisation de bouclier humain, mutilation, prise d’otage, déni de quartier …

Cette liste a été progressivement étoffée. Elle protège mieux en cas de conflit international que interne (guerre civile).

Puis il a été ajouté après la 2nde guerre mondiale :

Génocide (art.6)

Ce sont les mêmes faits, mais on va les qualifier autrement si on arrive à prouver l’intentionnalité de détruire, tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ciblé comme tel.

R) On qualifie une notion de tentative. Il n’y a pas besoin qu’il y ait eu complétement commission de génocide. Ainsi, quelqu’un peut être poursuivi pour génocide, même s’il y a eu peu de victimes.

 

Crime contre l’humanité (art 7)

= attaque généralisée ou systématique contre une population civile, même en dehors d’une guerre, avec commission multiple d’actes. Il est entendu qu’il doit y avoir une politique ayant pour but une telle attaque càd que la poursuite d’une politique d’un Etat encourage ou favorise une telle attaque contre une population civile.

R) Tous ces crimes sont imprescriptibles

En fonction de la qualification du conflit, le DIH peut varier. On distingue :

- Les conflits armés internationaux sont ceux qui opposent au moins deux États. Ces conflits sont régis par un vaste éventail de règles, dont celles inscrites dans les conventions de Genève et le Protocole additionnel I.

- Les conflits armés non internationaux opposent, sur le territoire d'un seul État, les forces armées régulières à des groupes armés dissidents, ou des groupes armés entre eux. Un ensemble plus limité de règles sont applicables à ce type de conflit. Celles-ci sont définies à l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève et dans le Protocole additionnel II.

Dans la plupart des conflits actuels = conflits asymétriques et internes à un pays.

Cependant, même si les groupes armés n’ont pas signé un traité international, ils sont tt de même soumis au droit humanitaire, en tant que « partie au conflit ». Quelle que soit la qualification du conflit, en général, les civils sont protégés par le DIH.

 

4-      Dans les conflits actuels, le DIH peut-il s’appliquer ? Comment faire du droit secondaire, càd juger et sanctionner un manquement au DIH

C’est la Cour Internationale de Justice qui poursuit les Etats (si ceux-ci reconnaissent la compétence de cette cour) C’est rare/jamais fait dans le cas de la guerre. Il y a eu un essai de codification par la CDI (Commission du Droit international de l’ONU) sur la responsabilité pénale des Etats et cela a été repris dans une résolution de l’assemblée générale de l’ONU (qui n’a pas valeur contraignante, mais peut être considéré comme du droit coutumier) Dans l’art 1, il est dit que tout fait internationalement illicite engage la responsabilité internationale de l’Etat. Pour pouvoir traîner un Etat devant la CIJ, il faut se demander si l’action reprochée peut être imputable à l’Etat ou à une entité disposant des prérogatives de puissance publique.

Poursuivre les criminels de guerre (on ne poursuit pas les Etats, mais des individus qui peuvent être des chefs d’Etat) : principe de complémentarité

·         On considère que les crimes en temps de guerre relèvent de la compétence des tribunaux nationaux

·         La Cour pénale internationale (CPI, siège à La Haye) pour les crimes les plus graves et pour juger les plus « gros perpétrateurs » (= les plus hauts responsables)

R) Israël n’est pas partie prenante au statut de Rome, donc la CPI n’a pas juridiction sur elle. En revanche, la Palestine, si. Et en 2019 , le procureur de la CPI a accepté de se reconnaître compétent et en 2020  d’ouvrir une instruction et les actes commis à Gaza relèvent de la compétence de la CPI => Karim Khan est le procureur actuel

Quand le procureur décide d’ouvrir une enquête (il ne faut pas qu’il y ait une procédure en cours sur la même chose dans la juridiction nationale), des ONG documentent les crimes de guerre et collaborent avec la CPI pour transformer la documentation en éléments de preuves valables dans un procès pénal.

R) Pour que le Procureur puisse ouvrir une enquête, il ne faut pas qu’il y ait une procédure en cours sur la même chose devant une juridiction nationale.

R) C’est une minorité de pays qui reconnaissent la compétence de la CPI. (voir une carte sur Internet)

·         Principe de compétence universelle, reconnu par certains Etats

= l’Etat est compétent pour la poursuite et le jugement d’une infraction même lorsque celle-ci n’a pas été commise sur son territoire et qu’elle a été commise par une personne étrangère sur une personne étrangère et sans que l’Etat soit victime de cette infraction. Bref aucun lien.

Peu de pays s’accordent la compétence universelle absolue. En revanche, certains s’accordent la compétence universelle relative = s’estiment compétent s’il existe un rattachement juridique avec l’infraction, par exemple si le commettant réside de façon permanente ou temporaire dan le pays en question. Un exemple marquant est l’arrestation d’Augusto Pinochet, ex-dictateur chilien, au Royaume-Uni en 1998. En France, un cas dans le cadre du conflit syrien. La loi confie le monopole des poursuites au Parquet, cela supprime la possibilité pour une victime ou une association de déclencher les poursuites.

 

lundi 11 décembre 2023

La chapelle degli Scrovegni : l'argent et la vertu

 Copié-collé du chapitre du livre de Giacomo Todeschini, Les Marchands et le Temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen Âge à l’Époque moderne, Albin Michel, Paris, 2017.

Chap 4, partie 4. La restitution des Scrovegni

La chapelle des Scrovegni, à Padoue, est un cas particulièrement significatif de « restitution », y compris du point de vue visuel. La construction de cet édifice, dont les fresques réalisées par Giotto, peintre « franciscain », sont célèbres, remonte au début du XIVe siècle. Elle résulte d’une donation des banquiers Scrovegni, c’est-à-dire d’une restitution de la part de leur richesse qui est supposée être le fruit de l’usure. Dans la géographie symbolique et charismatique de la ville de saint Antoine, véritable citadelle « mendiante » du nord de la Péninsule, cet édifice sacré, rendu encore plus précieux par le cycle iconographique de Giotto, apparaît donc comme la représentation matérielle, visible, de richesses accumulées de manière illégitime, mais rachetées, c’est-à-dire réinvesties dans un objet complexe, socialement profitable. Son usage multiple renvoie à une signification économique et civique complexe et cohérente.

Enrico Scrovegni, banquier mort à Venise en 1336. Monument funéraire (chapelle Scrovegni)
Dans sa bio wikipedia, il est dit que "il poursuit la politique monétaire initiée par son père — placé par Dante Alighieri dans le septième cercle de l'Enfer de la Divine Comédie à cause de ses gains notoirement mal acquis — et l'utilise afin d'assurer son ascension politique. Étant lui-même étant un prêteur à grande échelle, la tradition veut qu'il ait fait construire la chapelle des Scrovegni et embauché Giotto pour expier ses propres péchés d'usure ainsi que ceux de son père. Ce qui peut infirmer cette idée aujourd'hui controversée est que la somptueuse chapelle était destinée à son usage personnel et reliée au grand palais attenant qu'il s'était fait construire. Il est banni de Padoue en 1328.


Notons tout d’abord que la « Chapelle des Scrovegni », en tant qu’investissement ou richesse thésaurisée de la famille, se dévoile à la Padoue du xive siècle comme un emblème ostentatoire de la puissance de l’idéologie franciscaine et augustine de la dépossession. Elle témoigne de la réorganisation couronnée de succès d’une part illégale de patrimoine, permettant de légitimer celui-ci, selon des modes d’usage conçus comme socialement productifs. Le bien mal acquis de l’usure se convertit ainsi en murs consacrés et en images capables d’enseigner des concepts théologiques et économico-sociaux d’une haute complexité. Déployés par la tradition canonique et théologico-morale depuis le xiie siècle au moins, ces concepts se sont progressivement déposés dans les textes postérieurs au Decretum de Gratien, dans les codifications canoniques du xiiie siècle, avant d’être recueillis et mis en lumière par la réflexion économique des Mendiants.


Pour illustrer ce cas remarquable de « restitution », arrêtons-nous sur trois épisodes du récit narré par cet édifice : la signification qu’il prit par lui-même, en tant qu’objet sacré et précieux, produit par la dialectique réelle et métaphorique de la valeur concrétisée au cœur de la Padoue franciscaine ; le discours visible sur les vertus et les vices sociaux qu’il accueillit et transmit aux fideles ; la séquence visuelle, offerte sur ses murs, qui est aussi une réflexion complexe autour de la question des rapports entre le sacré et l’économique culminant dans la célèbre représentation des marchands chassés du Temple.


Construite entre 1302 et 1305 grâce au financement d’Enrico Scrovegni, la chapelle fut peinte à fresque par Giotto. Celui-ci était déjà célèbre à Padoue pour avoir peint dans la basilique Saint-Antoine.

Analysons d’abord la géographie des images pour y saisir le parcours et les particularités d’une réflexion théologique et canonique, telle que celle qui a été évoquée dans les pages précédentes, en essayant de ne pas forcer le contenu du texte iconologique. Il est clair, en raison en particulier de sa situation, que la représentation des « marchands chassés du Temple », où sont mis en scène les personnages et objets nécessaires pour illustrer la véhémence de l’expulsion et la fureur du Christ, en référence directe à l’évangile, appelle aussi immédiatement une autre référence, connue de tous les commentateurs des XIIe et XIIIe siècles : un texte apocryphe de Jean Chrysostome dont les collaborateurs de Gratien avaient tiré l’addition (palea) Ejiciens du Decretum, où le texte évangélique se muait en texte d’éthique économique. Il y était établi que l’usurier était « le plus maudit » des marchands et que l’usure, critère de la non-appartenance à la cité des fidèles, entraînait précisément l’expulsion du Temple, autrement dit l’exclusion de la communauté des véritables chrétiens. Dans le texte du Pseudo-Chrysostome et dans le contexte du Décret, comme du reste dans la fresque de Giotto, malgré une variante significative – comme nous allons le voir –, les « expulsés » du Temple appartiennent essentiellement à trois catégories : les marchands qui achètent et revendent les biens sans apporter d’améliorations ni les transformer ; les usuriers, qui tirent profit de la cession temporaire d’une somme d’argent qui autrement ne serait ni utilisée ni productive (ex pecunia reposita nullum usum capis) ; et, enfin, ceux auxquels se réfère le verset « et mensas nummulariorum evertit » (littéralement : « et il renversa les tables des changeurs » [Mt 21,10-17 ; Mc 11,15-17 ; Lc 19,45-46 ; Jn 2,13-17]). D’après le Pseudo-Chrysostome et d’autres passages du Decretum, ces derniers seraient le symbole des hommes non spirituels, des hommes charnels présents au sein de l’Église, qu’il faut donc expulser ; ou bien, ils représenteraient les Écritures antérieures aux évangiles, donc sans valeur et bons à être jetés hors du Temple.



D’autres passages du code de Gratien interprètent l’épisode évangélique dans un sens anti-simoniaque : dans cette perspective, les marchands « expulsés » seraient ceux qui vendent et achètent les choses sacrées et qui corrompent, en la dénaturant, l’atmosphère du Temple. Quoi qu’il en soit, la liste des « chassés du Temple » prend dans la palea Ejiciens une forme tripartite, qui ne correspond pas complètement au contenu de l’image de Giotto. Les étrangers au Temple sont des marchands qui exercent leur activité quand et comme il ne le faudrait pas. Mais ils sont aussi des hommes dont la condition pécheresse a déformé, falsifié l’« empreinte » (caragma : l’image frappée sur la monnaie). Leur condition est symbolisée ostentatoirement par leur capacité à échanger ce qui ne peut s’échanger, pour en tirer profit : la marchandise qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation, la monnaie qui ne circule pas, les choses sacrées. Jouant linguistiquement sur la métaphore « homo moneta Dei » qu’on trouve déjà chez Augustin, l’auteur du texte de la palea, puis à sa suite Gratien, ses commentateurs et les scolastiques du xiiie siècle, établissent une égalité entre l’immoralité marchande-usuraire et l’identité « infidèle » des hommes qui sont porteurs de cette immoralité. Si l’illégalité économique se concrétise par l’illusion de la vente de ce qui n’existe pas (la valeur d’argent ou de marchandises n’ayant aucune valeur ajoutée à leur valeur apparente), l’humanité, ou la chrétienté des « marchands du Temple », sont des falsifications, des monnaies frappées par le diable à la ressemblance de celle authentique, frappée à l’image de Dieu (in templo Dei non debent esse nummi, nisi spirituales, id est, qui Dei imaginem, non diaboli, portant).


Toutefois, dans l’image de Giotto ainsi que dans le texte de Gratien, quelque chose manque. Les « mercatores » expulsés du Temple sont bien de vrais marchands, et cela même s’ils sont dénoncés comme malhonnêtes et incapables, voire pire, comme marchands de « colombes », c’est-à-dire du Saint-Esprit (des biens consacrés) ; les « usurarii », chassés eux aussi, sont bien des vrais usuriers, autrement dit des marchands dépravés, qui font commerce d’une valeur inexistante ; mais les « nummularii », les changeurs, évoquent des attitudes morales qui ne sont pas symboliquement déformées par rapport au coin de la fidelitas authentique. Cependant, comme la monnaie échangée dans le Temple ne peut être que de nature spirituelle, leurs tables (mensae) sont renversées par le Christ. Le nummularius, le changeur, disparaît ainsi du discours en tant que figure professionnelle, concrètement analogue au mercator ou à l’usurarius. Aucune trace de lui dans la fresque de Giotto. On reconnaît, à gauche, la communauté apostolique, le groupe de fideles, porteurs d’une auréole dorée qui entoure leur tête (le caragma Dei, dans toute sa magnificence, comme un sceau d’or), au centre, le Christ qui, d’un geste menaçant, exprime sa volonté d’expulser les infidèles du Temple et, à droite, les « marchands », dépourvus des signes qui pourraient les désigner comme élus. Dans la bande inférieure de l’image, le bétail, les colombes, une table renversée évoquent l’activité marchande des rejetés. Mais rien ne les associe aux changeurs. La scène ne fait aucune allusion aux monnaies et ne contient aucune représentation précise de monnaies frappées.


Dans sa totalité, la chapelle constitue une restitution à la ville de l’argent usuraire. En tant qu’édifice sacré, écrin contenant des objets précieux et hautement représentatifs, chargé d’un discours en images, elle concrétise la volonté des banquiers Scrovegni de « restituer » à la civitas, selon les normes théologiques et éthiques, une richesse inutile, en la muant en richesse socialement utile, et donc pourvue de sens. Mais cette « restitution » contient en elle aussi des éléments argumentatifs qui en font comme un segment dans une séquence économico-politique autant théorique qu’impliquée dans la vie quotidienne, visant à distinguer qualitativement les divers aspects de l’économie citadine. Rien d’étrange, naturellement, dans le silence de Giotto, de Gratien et des scolastiques du xiiie siècle sur le métier de changeur. Les historiens ont d’ailleurs montré depuis longtemps que l’éthique économique médiévale, entendue à la fois comme pensée juridique et comme réflexion théologique et économique, avait manifesté sa faveur à l’égard de cette profession, considérée comme procédant à l’échange entre des valeurs réelles (les différents prix des monnaies). Elle était donc à l’origine d’un profit légitime et utile à la communauté, mais aussi des activités bancaires de marchands et compagnies de commerce.


Cependant, le chemin qui mène les Scrovegni à la « restitution » permet de comprendre quelque chose de plus à la reconnaissance de l’utilité d’un métier comme celui de changeur. C’est précisément le fait que les images et le lexique se complètent mutuellement dans une œuvre concrètement architecturale et picturale, visant à instruire et à moraliser, qui nous éclaire sur la légitimation des changeurs. Celle-ci n’est pas due à la nécessité de conformer la théorie à la pratique, de trouver un compromis entre doctrine et vie quotidienne, mais elle résulte plutôt du réseau complexe de comportements et de pratiques sociales auquel appartiennent les écrits de Gratien et des scolastiques, la politique de la restitution pratiquée par les Scrovegni, les pressions exercées par les frères mendiants sur les héritiers des usuriers pour qu’ils transforment la richesse mal acquise en œuvres utiles pour la société des fidèles[70], et les images de Giotto. Et ce sont ces images qui, en combinant de façon visible les enseignements des prêcheurs, théologiens et confesseurs, unifient et muent en un objet – le cycle des fresques des Scrovegni – une notion d’économie vertueuse.


Un fil rouge de notions économiques et sociales précises lie les fresques, et il est méta-linguistiquement représenté par la chapelle elle-même en tant qu’objet et contenant. En témoigne en particulier la représentation des vices et des vertus, peinte au-dessous du registre des scènes de la vie du Christ. Le cycle des vices conduit de la stultitia à la desperatio, de la vaine folie de la non-fidelitas au mouvement ondoyant de l’inconstantia, au geste autodestructeur de la desperatio induit par des comportements qui, comme l’invidia, illustrent clairement l’anti-socialité du désir de possession finalisé à lui-même.


S’oppose au cycle des vices celui des vertus, parmi lesquelles se distingue la figure particulièrement significative de la Karitas. Cette personnification majestueuse de l’art de la redistribution, fondement d’un gouvernement ordonné de la cité, évoque d’autres représentations du même sujet contemporaines ou plus tardives. Mais elle se distingue d’elles par la minutieuse précision de l’exécution du personnage et de l’inscription située au-dessous de l’image, échos d’une typologie conceptuelle empruntée aux traités politiques écrits dans les mêmes années par Rémi de Florence et Ptolémée de Lucques, mais aussi à la production doctrinale des écoles des Mendiants. Avec sa main gauche, Karitas offre son cœur au Christ, tandis qu’elle tient de sa main droite une représentation de la richesse offerte à la communauté des fidèles : des fruits de la terre, comme une corne d’abondance, transposant en image la réflexion sur l’éthicité de la fructificatio qui, de Pierre Damien aux débuts du xive siècle, avait progressivement opposé la productivité matérielle et spirituelle chrétienne à la stérilité improductive des infidèles[74], la capacité du serviteur fidèle d’investir les talents qu’on lui avait confiés à l’inique thésaurisation typique du serviteur paresseux.


Cette représentation de la fructification, autrement dit de la richesse vertueuse, dérivant de la Karitas, distribuée à la communauté par cette personnification de l’alliance solidaire entre fideles, ressort encore plus par la représentation de ce à quoi elle s’oppose : les bourses que la Karitas foule à ses pieds. C’est un indice clair de la condamnation des richesses thésaurisées et improductives, de la pecunia reposita, présentée comme la négation de la fertilité dans la tradition textuelle qui, d’Ambroise au Pseudo-Chrysostome, avait été accueillie dans le texte du Decretum. Significativement, Karitas apparaît de surcroît arrondie par une grossesse qu’on ne doit pas séparer symboliquement de la richesse sacrée de la ville, de la civitas christiana qu’elle représente. Dans d’autres représentations, comme la sculpture du Siennois Tino da Camaino (1321) ou le tableau de Pollaiolo (xve siècle), Caritas apparaît comme une allégorie de l’oblation et de la distribution dont la capacité nourricière se distingue peu des représentations contemporaines de la Vierge allaitant. Giotto traite ce sujet avec plus de subtilité, ou plus exactement selon les termes d’une dialectique savante et doctrinale spécialisée. Sa Karitas est à la fois productive et distributive : par sa force active, elle produit, reproduit et offre, mais elle nie aussi la richesse enclose et stérile. Comme l’ont remarqué Carla Casagrande et Silvana Vecchio, la richesse renfermée dans la bourse, placée inutilement sous les pieds de Karitas, n’est autre chose que « la bourse que tient Invidia ». Ainsi, dans la figure de l’invidia, le vain désir de ce que l’on ne possède pas, et qui pour cela prend de la valeur, coïncide-t-il avec la dynamique de l’avaritia. Par sa capacité à contenir, reproduire et distribuer, la caritas s’oppose donc aussi bien aux logiques du désir indiscipliné et antisocial qu’à celles de l’avaritia, la convoitise et l’accumulation stérile de richesses.


Notons aussi que l’association, fréquente dans le droit canon, entre caritas et sollicitudo, entre vertu administrative et diligence attentive – qui désignait à l’origine l’engagement du clergé à garder intacts les biens ecclésiaux, quitte à les enlever, si nécessaire, à celui qui s’en était emparé de manière arbitraire – se lie ici à une notion civique d’ordre économique. C’est précisément celle-ci que Giotto peint et que les frères mendiants examinent dans leurs traités sur les contrats. L’inscription placée sous l’image met enfin l’accent sur l’impartialité de la caritas (cuncta cunctis liberalis offert manu, spetiali zelo caret), désignant la vertu oblative par le terme qui signifiait classiquement la générosité en sens éthique (liberalitas). Ainsi sa compétence législative apparaît explicitement (pro decreto servat normam)[77].


Cet assemblage d’image et de texte n’est pas seulement avertissement ou enseignement : il dit le parcours et la formation de la notion de cité. Dans un cadre narratif, le cycle des vices et des vertus au registre inférieur et celui des scènes de la vie de Jésus et de la Vierge au niveau supérieur composent un objet, la chapelle elle-même, dont la valeur civique s’organise matériellement par la stratification de couleurs, figures, concepts, matériaux de valeur artistique et architecturale grande ou moins grande. Aussi bien l’expulsion des marchands du Temple, placée auprès de l’autel, que la manifestation de la Karitas, sur le côté opposé de la nef, à proximité de l’entrée de la chapelle, instruisent l’historien sur l’importance et la signification de l’acte de la restitutio dans la Padoue du début du xive siècle. La « machine » architecturale et picturale salutaire, voulue et payée par les Scrovegni, offre à la civitas des chrétiens un discours et en même temps une accumulation organisée de richesses. Elle illustre à la fois une technique (mendiante et scolastique) de persuasion économique et politique, une logique doctrinale et éthico-économique, et une manière concrète de « restituer » à la communauté chrétienne, entendue comme ville productive, cette part de richesses qui lui avait été soustraite par suite d’opérations économiques étrangères à la sacralité de l’activité collective. Ces actions ne coïncidaient donc pas avec la mystique d’une « productivité » (fructificatio), conçue comme caractéristique des probati et fideles, autrement dit des chrétiens porteur du caragma, du signe de la fides authentique.


En raison du dialogue qui s’établit entre ordres mendiants (franciscains et augustins) et marchands-banquiers (les Scrovegni), la dynamique de la « restitution » donne lieu à la réalisation et à l’institution de structures qui, comme la chapelle padouane, thésaurisent et capitalisent la valeur restituée. Elle transforme la valeur rendue en objets, thésaurisés au profit de la ville et non de l’individu ; elle la capitalise en la reproduisant sous la forme d’une conscience accrue – et diffusée au sein de la civitas – du sens éthique qu’acquiert la richesse des chrétiens, lorsqu’elle est investie selon les termes prescrit par la raison ecclésiale : des termes considérés comme productifs pour la collectivité des alliés au nom du Christ, des fidèles. Dans cette perspective, « restituer » signifie avant tout lire dans la richesse, dans toute sorte de richesse, même la plus égocentrique et déviante, la possibilité de la restaurer et de la réinvestir, de sorte qu’elle ouvre aux chrétiens unis par le lien de la caritas et de l’amor patriae une voie vers le salut. Une fois réintroduite dans le cercle du patrimoine citadin et contrôlée par les garants du sacré, même l’accumulation de monnaie la plus avaricieusement occultée peut se transformer en un flot de lait divin et inépuisable[78].


Dans ce sens, restituer, indemniser, compenser apparaissent, pour l’Occident chrétien à la fin du Moyen Âge, comme prémisses nécessaires de toute économie de l’échange. À tout moment, la restitutio offre au prêt, à l’achat et vente, à la cession à temps déterminé, à toutes les formes de dialectique du donner et de l’avoir une occasion de vérification et de réparation. La restitution, comme critère reconnu d’une économie éthique devient la marque d’un marché qui se pense comme une ecclesia, comme l’assemblée de ceux qui seront en toute probabilité sauvés. Cette assemblée peut s’entendre comme la congrégation des fidèles (congregatio fidelium) de Thomas ou d’Ockham, ou comme la convocation des prédestinés (convocatio praedestinatorum) de John Wyclif. Le système d’obligations entre personnes qui stipulent les contrats, ainsi que la communauté des contractants (communitas contrahentium) renvoie constamment à la possibilité de rétractation offerte par la restitutio. Au cœur énergétique de la fidelitas, comme un mortier liant ecclesia et marché, se tient l’amicitia politica, à la fois alliance et familiarité, que Thomas d’Aquin considérait, en se fondant sur Aristote, Cicéron et le premier droit pénitentiel du xiiie siècle, comme typique de toute communauté probe et efficace.


Plus d’un siècle après la « restitution » des Scrovegni, les Observants, héritiers de la tradition intellectuelle franciscaine qui, avec Olivi, avait commencé à codifier la réflexion sur « restituer » comme réflexion sur la circulation ordonnée de la richesse au sein de la communauté des chrétiens, transformeront définitivement les lexiques de la restitutio en un chapitre spécialisé de tout discours économique interne à la civitas fidelium. Très vite impliqués dans la construction d’un système discursif de l’administration citadine, des franciscains de l’observance, comme Angelo da Chivasso, à Gênes, ou Alessandro Ariosti et Francesco Piazza, à Bologne, pourront soutenir que « restituer » s’inscrit dans la logique, typique d’une société marchande, des indemnisations et des garanties commerciales. Ils découvriront aussi dans la restitutio un principe à même de légitimer la collecte de l’impôt, même si, cela vaut d’être rappelé, les collecteurs eux-mêmes chargés par les pouvoirs locaux resteront définis comme des sujets contraints à la restitution en cas d’abus de leur office.


présentation complète du programme pictural ici

mardi 28 novembre 2023

La transition, un changement global

 Une proposition d'étude de cas pour introduire le programme de 2nde en Géographie et apporter le vocabulaire utile  (acteur,  développement et développement durable, enjeu, risque, transition, démocratie participative) ainsi qu'un rappel des indicateurs les plus communément utilisés (mesure du peuplement, de la richesse, de la forme de structure économique). 


Il se base sur cette émission de radio  (à faire écouter par les élèves chez eux) dont on fait le bilan en classe en s'aidant de la fiche ci-dessous.



mercredi 22 novembre 2023

Colonisation et migration

 Le cours de François Héran au Collège de France de cette année (2023-24)  est parfait pour les professeurs qui voudraient actualiser leurs données (nombreux doc) et leurs problématiques de leur cours de 1ere Tronc commun sur la colonisation et l'empire colonial.



mardi 21 novembre 2023

Alexandre le grand

 Carte mentale à partir de la vidéo de l'émission de P. Boucheron, Quand l'Histoire fait date.





Cette séance peut se faire en début d'année de seconde, dans l'objectif de familiariser les élèves à la méthodologie de la prise de notes et pour présenter la méditerranée antique (hors programme) ou en 1ere, en exercice sur la notion d'empire (thème de la puissance)

jeudi 16 novembre 2023

L'indépendance de la Grèce

Dans le cadre du cours de 1ere HGGSP sur le thème de la Puissance, je fais un chapitre consacré aux Etats et à leur forme de domination et d'expansion (titre Empire et Hégémonie cf l'activité qui introduit la notion d'hégémonie). Après une première partie sur les empires qui se termine par l'étude du jalon sur l'empire ottoman, une 2e partie est consacrée à la forme des Etats-Nation. Elle débute par l'étude de cas de la Grèce des années 1820-1830. Puisqu'il ne faut pas empiéter sur le programme du tronc commun (PPO la liberté de la Grèce), on passe très vite sur le courant philhellène qui constitue une opinion publique en Europe de l'Ouest favorable à l'intervention aux côtés des Grecs révoltés contre les Ottomans, on fait une analyse du tableau de Delacroix , scènes de massacre de Scio, pour en montrer les procédès visant à créer du pathétique, 



puis et surtout, on analyse le texte suivant :

    L'insurrection qui va conduire la Grèce à l'indépendance débute le 25 mars 1821, après 400 ans de domination ottomane. Un premier congrès national est réuni à Épidaure pour rédiger une Constitution (1/13 janvier 1822). Il adopte également un Acte d'indépendance pour expliquer les raisons du soulèvement et les difficultés du pays.
Source : La traduction a été publiée par Dufau dans le supplément à la collection des constitutions, chez Pichon et Didier, 1830.

Déclararation d'indépendance de la Grèce. 

Donné à  Épidaure, le 15 (27) janvier 1822, et l'an 1er de l'indépendance.

signé : Alexandre Mavrocordato, président du Congrès. 

La nation grecque prend le ciel et la terre à témoin que, malgré le joug affreux des Ottomans qui la menaçait d'une ruine entière, elle existe encore. Pressée par les mesures aussi iniques que destructives que ces tyrans féroces, après avoir violé leurs capitulations ainsi que tout esprit d'équité, rendaient de plus en plus oppressives, et qui ne tendaient à rien moins qu'à l'anéantissement du peuple soumis, elle s'est trouvée dans la nécessité absolue de courir aux armes pour mettre à l'abri sa propre conservation. Après avoir repoussé la violence par le seul courage de ses enfants, elle déclare aujourd'hui devant Dieu et devant les hommes, par l'organe de ses représentants légitimes réunis dans le congrès national, convoqué par le peuple, son indépendance politique.

Descendants d'une nation distinguée par ses lumières et pas la douce civilisation, vivant à une époque où cette même civilisation répand, avec une profusion vivifiante, ses bienfaits dur les autres peuples de l'Europe, et ayant sans cesse le spectacle du bonheur dont les peuples jouissent sous l'égide protectrice de la loi, les Grecs pouvaient-ils rester plus longtemps dans un état aussi affreux qu'ignominieux, et voir avec apathie le bonheur qu'ils sentaient que la nature a également réservé à tous les hommes ! Des motifs si puissants et si justes ne pouvaient sans doute que presser le moment du réveil, où la nation, pleine de ses souvenirs et de son indignation, devait réunir ses forces pour revendiquer ses droits et venger la patrie d'une tyrannie dont rien n'égale l'horreur.

Telles sont les causes de la guerre que nous avons été forcés d'entreprendre contre les Turcs. Loin d'être fondée sur des principes de démagogie et de rébellion, loin d'avoir pour motifs les intérêts particuliers de quelques individus, cette guerre est une entreprise nationale et sacrée ; elle n'a pour but que la restauration de la nation et sa réintégration dans les droits de propriété, d'honneur et de vie ; droits qui sont le partage des peuples policés nos voisins, mais qui étaient arrachés aux Grecs par une puissance spoliatrice.
Des clameurs publiques, peu dignes d'hommes nés libres et élevés au sein de l'Europe chrétienne et civilisée, dirigées contre notre cause, sont parvenues jusqu'à nous. Mais quoi ! les Grecs seuls, de toutes les nations européennes, devraient-ils être exclus comme indignes de ces droits que Dieu a établis pour tous les hommes ? ou bien étaient-ils condamnés par leur nature, à un esclavage éternel qui perpétuait chez eux la spoliation, les violences et les massacres ? Enfin la force brutale de quelques hordes barbares qui, sans être jamais provoquées, vinrent, précédées du carnage et suivies de l'esprit de destruction, s'établir au milieu de nous, pouvait-elle jamais être légalisée par le droit des gens de l'Europe ? Les Grecs, sans l'avoir jamais reconnue, n'ont jamais cessé de la repousser par les armes, toutes les fois qu'une espérance ou des circonstances favorables se sont présentées.

Partant de ces principes et sûrs de nos droits, nous ne voulons, nous ne réclamons que notre rétablissement dans l'association européenne où notre religion, nos moeurs et notre position nous appellent à nous réunir à la grande famille des chrétiens et à reprendre, parmi les nations, le rang qu'une force usurpatrice nous a ravi injustement. C'est dans cette intention aussi pure que sincère que nous avons entrepris cette guerre, ou plutôt que nous avons concentré les guerres particulières que la tyrannie musulmane a fait éclater sur les diverses provinces et sur nos îles, et nous marchons d'un commun accord à notre délivrance, avec la ferme résolution de l'obtenir ou d'ensevelir enfin à jamais nos malheurs sous une grande ruine digne de notre origine qui, dans ces calamités, ne fait que peser davantage sur nos coeurs.

[...]


 Deux axes d'analyse sont donnés aux élèves 

1) Quelles sont les justifications de la révolte apportées par ce texte ? Autrement dit comment la domination ottomane est-elle qualifiée ?

2) Relever toutes les occurrences du mot "nation" et le champ lexical qui lui est associé. Comment peut-on distinguer "nation", "peuple", "patrie" ? Quelles sont, dans ce texte, les fondements de la nation grecque ?

mercredi 11 octobre 2023

Un sujet d'analyse d'image sur l'URSS de Staline

  

Sujet  : Analyse critique de document

En quoi ce tableau du « réalisme soviétique » est-il une œuvre de propagande ?





Staline et les membres du Politburo au parc Gorki de Moscou (« le central park russe »). 

Ce tableau a été réalisé pour l’exposition internationale de New York par l’artiste soviétique Svarog (1939). Parmi les éléments identifiables sur le tableau, on voit en arrière-plan le pont de Crimée – pont suspendu en acier inauguré sur la Moskova en 1938- et à droite la tour des parachutes, la principale attraction du parc dans les années 1930. Notons que l’artiste a retouché son oeuvre pour faire disparaître Piotr Smirnov, commissaire du peuple à la marine de guerre, fusillé peu après la réalisation du tableau.

 

Faire l’analyse détaillée de ce tableau pour mettre en évidence à la fois les procédés et les thèmes de propagande soviétique visibles sur le tableau. N’oubliez pas d’identifier les destinataires de l’œuvre et de présenter ce qu’est le « réalisme soviétique » en introduction, et de « critiquer » le document en conclusion.

  

samedi 30 septembre 2023

Compo puissance -1


Sujet : Depuis la fin de la guerre froide, assiste-t-on à un chaos mondial lié à des affrontements entre les grandes puissances ?


Comme il s'agit de la première composition de l'année avec les 1ere HGGSP, le travail préparatoire a été mené en classe et avec mon aide, puis les élèves se sont répartis par groupes de travail pour élaborer collectivement le plan détaillé des trois grandes parties. Ils ont ensuite divisé leur groupes en unités de travail pour rédiger les paragraphes. 

Cet exercice fait suite à une série d'exposés (avec de grosses reprises) qui ont permis de dresser un tableau assez complet, sans être exhaustif, de l'état des relations internationales depuis les années 1980. Le vocabulaire, les grandes notions et les principaux repères étant acquis, il s'agit dans un 2e temps d'organiser la masse d'informations et de connaissances. C'est l'objet de cette composition.


La liste des exposés est disponible ici

Les grandes idées élaborées en classe :

1) la vidéo de P Bulher (les experts du Dessous des cartes) sur les nouveaux visages de la puissance

    la carte mentale de synthèse élaborée en classe

    la vidéo du dessous des cartes sur l'ONU, un  système à bout de souffle

2) le bilan des exposés


Grands axes de l'intro

  • Historiquement, les Etats ont mené des politiques d'affirmation de leur puissance, ce qui les conduisait éventuellement à des affrontements (def puissance)
  • Il est courant de dire que la Guerre froide, par le contrôle que les deux super-Grands exerçaient sur leur bloc et par l'équilibre de la terreur, a eu un effet de stabilisation (def super-grands)
  • Sur quelles bases de régulations s'organise le monde actuel et comment expliquer la multiplication, en apparence chaotique, des conflits ces 30 dernières années ?

Grands axes du plan
  • L'effondrement du bloc communiste et la disparition de l'URSS fin 1991 a laissé les Etats-Unis seuls à pouvoir prétendre réguler la scène internationale. Ils sont de plus en plus isolés, contestés et donc affaiblis. 
  • De nouveaux Etats s'affirment soit en tant que grande puissance, soit en tant qu'ils ont une capacité de nuisance. Les tensions et conflits sont nombreux et l'Occident se trouve souvent seul et contesté.
  • Le droit international et les règles élaborées par l'ONU sont certes toujours valables et elles ont le mérite d'exister, mais elles peinent à encadrer les nouvelles formes de conflit et de tensions.

Conclusion
 - basculement du monde
- réinventer le multilatéralisme en sortant des logiques de puissance, mais comment ? peut-on tabler sur de nouveaux acteurs, les peuples / les opinions publiques ?


dimanche 30 juillet 2023

Frontières, les cours de Didier Fassin au Collège de France

 la vidéo de la leçon introductive est accessible ici

Leçon 1

les 50 premières minutes sont consacrées à trois récits, récits fictifs mais inspirés par l'expérience de Didier Fassin résultant de 5 années d'enquête de terrain auprès des migrants/exilés/réfugiés. Ces récits sont simplifiés pour être exemplaires : une famille de migrants/exilés/réfugiés afghans qui traversent les Alpes depuis l'Italie, un groupe de maraudeurs qui cherche à venir en aide aux migrants et une patrouille de policiers surveillant la frontière. Dans ces récits, dit-il il est une protagoniste omniprésente et invisible : c'est la frontière "car elle n'est pas une simple ligne tracée sur une carte elle a une vie propre elle se meut et qu'elle soit montagneuse comme ici, ou maritime ou désertique comme ailleurs, elle violente, elle blesse, elle tue. C'est pourquoi c'est par ces géographies que je débuterai la prochaine séance".

R) le vocabulaire utilisé pour désigné le groupe des migrants change selon le point de vue. Le gouvernement français parle de migrants, eux-mêmes se nomment réfugiés et les humanitaires insistent sur le vocable d'exilés pour insister sur le caractère subi de la migration.

Sur ce sujet, une parfaite neutralité est illusoire et même pas souhaitable car la question de la frontière, en ce moment, pose des questions morales avec des enjeux politiques. Dans cette première leçon, Didier Fassin fait le point sur "d'où il parle".

 

Leçon 2

Etienne Balibar, Qu'est-ce qu'une frontière ?, 1997 (publication  et notes ) : il n'est pas possible de donner une def univoque de la frontière. C'est une notion complexe.

Les 5 dimensions de la frontière :

- une ligne déterminant la souveraineté sur un territoire. On ne peut donc la franchir qu'avec une autorisation. Il y a donc contrôle à la frontière.

Pourtant, dans le cas de la France, du fait de Schengen, il ne devrait plus y avoir de contrôle à la frontière : le traité créant l'espace Schengen, signé et par la France et l'Italie, ne prévoit que des dérogations temporaires (c'est la clause de sauvegarde) pour une durée allant de 10 jours à 6 mois si  accord des autres Etats membres, et ce en cas de menace grave pour la sécurité intérieure. Cette clause de sauvegarde a néanmoins été utilisée par la France à de nombreuses reprises, en 1995 ( éventualité de la circulation de stupéfiants depuis les Pays-Bas), en 1999 (pour s'opposer à la venue d'Italiens désireux de venir manifester à Paris dans un mouvement de soutien aux sans-papiers), en 2011 (pour empêcher des Tunisiens migrants d'entrer sur le sol français). Depuis 2015, arguant du danger terroriste, la France renouvelle tous les 6 mois cette dérogation. A la frontière italienne, particulièrement étudiée par Didier Fassin, la frontière intérieure est rétablie de facto et militarisée : actuellement 230 membres des forces de l'ordre gardent cette frontière alpine. A se demander si Schengen, contrairement à sa promesse d'un monde ouvert, ne sert pas uniquement à supprimer les contrôle sur les échanges de marchandises qui ralentissent le marché unique européen. Si bcp peuvent continuer à franchir cette frontière sans qu'on ne vérifie leur identité, sur la bonne foi de leur visage, de leur voiture, de la présomption qu'ils sont touristes, d'autres ne peuvent le faire qu'en s'aventurant dans la montagne à leurs risques et périls => la frontière est raciale : elle discrimine en fonction de l'origine. R) "Frontières raciales", c'est l'intitulé du colloque qui a accompagné cette première saison de cours.

- la frontière est aussi une zone = celle dans laquelle les contrôles peuvent être effectués. La loi fixe l'épaisseur de cette zone à 20 km au-delà et en-deçà de la ligne frontalière. Ce fut ajouté au code de procédure pénale dès 1993 donc "au moment où la vérification fixe et systématique devait être supprimée sur la ligne-frontière, le gouvernement instaurait un contrôle mobile et aléatoire dans la zone-frontière"  (Sara Casella Colombeau), ce pour quoi le gouvernement français fut par deux fois condamné par la Cour de Justice de l'Union Européenne qui considéra par deux arrêts en 2010 que la nouvelle procédure de contrôle  ne changeait pas fondamentalement la nature du contrôle aux frontières ce qui contrevenait donc aux dispositions de Schengen.

L'exemple de la surveillance des frontières française montre donc que paradoxalement, Schengen a renforcé les contrôles des frontières françaises avec deux dispositifs, l'un fixe, par dérogation, sur la ligne-frontière et l'autre mobile, par extension, dans la zone-frontière.

R) les frontières-point aux aéroports (et autour avec une auréole de 10 km) ont essaimé la frontière sur tout le territoire.


- la frontière est aussi une présence incorporée pour les exilés qui vivent constamment sous la menace d'un contrôle d'identité. "La frontière est cette chose que les exilés portent en eux", même quand ils ne sont pas dans les zones où les contrôles d'identité sont possibles. Pour eux, la probabilité du contrôle de police est constante et élevée. En plus du contrôle policier qui rappelle toujours la frontière (par la procédure de l'expulsion), les institutions mêmes du pays d'accueil opèrent ce rappel incessant de la frontière.


dimanche 18 juin 2023

Churchill

 

Churchill, sa vie, ses crimes

Aux Sources (sur le site Hors-Série)

Tariq Ali

Émission animée et conçue par Stathis KOUVÉLAKIS

Traduction et sous-tirage : Ernest MORET

Il y a trois ans, à Londres, la statue de Winston Churchill devant le Parlement britannique était couverte de peinture rouge. Au même moment, des actions du même type, initiées par mouvement Black Lives Matter suite au meurtre de George Floyd, ont visé des dizaines de monuments dans plusieurs pays occidentaux. En cause dans ces actions symboliques, une histoire, coulée dans le marbre ou le bronze des statues, qui a partie liée avec l’esclavage, le colonialisme, le racisme.

Cette actualité a incité Tariq Ali, écrivain, militant de l’anti-impérialisme et figure historique de la gauche radicale britannique à se pencher sur le cas Winston Churchill. L’ouvrage qu’il lui consacre, publié d’abord en langue anglaise en 2022 et dont une traduction française vient de paraître aux éditions La Fabrique, n’est pourtant pas une biographie conventionnelle. Constatant la faible transmission de l’histoire des combats pour l’émancipation dans les nouvelles générations militantes, Ali utilise la figure de Churchill pour déployer une contre-histoire de cette séquence mouvementée, entre la fin du 19e siècle et le mitan du 20e, au cours de laquelle s’est déroulée sa longue carrière de journaliste, d’homme politique et d’écrivain.

Le portrait dressé est assurément à charge. Sont évoquées les multiples facettes du personnage, toutes reliées par un même fil : la défense acharnée de l’ordre capitaliste et, plus particulièrement de l’Empire britannique, qui fut indiscutablement la grande cause de sa vie.

La liste de ses crimes est aussi longue que la carrière d’un personnage qui fut controversé et, en fin de compte, peu apprécié de son vivant. Ali montre que le culte de Churchill est bien plus récent que ce qui est généralement admis. Il coïncide avec la montée du thatchérisme et l’épisode de la guerre des Malouines, mêlant contre-révolution néolibérale et nostalgie impériale d’une puissance sur le déclin.

Pourtant cet ouvrage n’est pas un simple réquisitoire : plus que de la personne du dirigeant conservateur ou de ses actes considérés individuellement, c’est de la logique d’un système dont il est question. Et plus que du système, ou du dirigeant qui a consacré son existence à le servir, ce dont nous parle Tariq Ali c’est du véritable protagoniste de cette histoire : des luttes de ces millions femmes et d'hommes qui, des mines du pays de Galles jusqu’aux rues d’Athènes et au moindre recoin de l’immense Empire, se sont se battus sans relâche contre tout ce que représente le nom de Winston Churchill.

Stathis Kouvélakis

Aux Sources , émission publiée le 17/06/2023
Durée de l'émission : 78 minutes


Compte-rendu rapide
Ce livre a pour objectif d'effectuer une opération de décentrage du regard sur l'impérialisme anglais du XXe siècle dont Churchill fut un ardent promoteur et défenseur. Il ne s'agit pas de dénoncer la personne et les choix de Churchill en tant qu'individu, mais d'éclairer, sur la longue durée, le système global qui a produit Churchill.

Q : De quoi Churchill est-il le nom, pour nous, dans le contexte présent ?
A son époque, Churchill a été souvent et durement attaqué, notamment par ceux qui attaquaient l'organisation élitiste, classiste du pouvoir britannique. C'est à partir de l'époque de la guerre des Malouines que la mémoire de Churchill a été revisitée et qu'il est devenu plus populaire. Depuis, les milieux universitaires décoloniaux "se battent" contre l'establishment politique (cf Tony Blair  a essayé de faire cesser les manifestations contre la mémoire de Churchill) pour rétablir une image plus historicisée du personnage, pour le démythifier. L'entreprise est rendue d'autant plus nécessaire étant donné l'utilisation de son image dans les guerres actuelles .





Il s'agit aussi de réarmer la gauche en lui redonnant l'accès à la connaissance des luttes historiques de la "ruling class" contre les classes ouvrières/salariées.

Q : Pourquoi Churchill a été si haï de son vivant ?
Il fut à l'avant-garde de la lutte contre le bolchevisme, les mouvements contre l'oppression de classe, d'une manière générale contre tout ce qu'il considérait comme étant du radicalisme. Au pays de Galles par exemple, alors que Churchill était ministre de l'intérieur d'un gouvernement libéral, il a brisé un mouvement de grève des mineurs et la troupe a défilé dans les rues des villes minières pour effrayer la population et a usé de la violence (1910-1911). Même si bien d'autres hommes politiques se sont comportés de la même manière, Churchill fut particulièrement haï car il avait la victoire flamboyante.

Q : Son anticommunisme l'a souvent mené dans des postures...(délicates mais qu'il assume)
Il fut également très actif dans la conduite des affaires militaires dans la lutte contre le tout jeune régime bolchévique pour soutenir les armées "blanches" immédiatement après la révolution russe. Il faut accusé à l'époque (gros scandale) d'avoir fait déverser sur les villages bolchéviques du gaz toxique.
Au début des années1920, il publie un article sur "sionisme et bolchevisme" où il distingue le bon juif et le mauvais juif, recyclant tous les stéréotypes sur le judéo-bochévisme, lequel a servi de base à l'idéologie fasciste naissante en Europe. Cette stratégie de diviser une communauté est un classique de la gouvernance colonialiste qu'il applique ici à une question européenne.
Rq) Pour l'auteur, c'est la même stratégie à nouveau l'oeuvre, par exemple au sein du Labour Party, contre ceux qui soutiennent le mouvement palestinien contre l'action du gouvernement israélien de Netanyahou, même quand ces personnes sont eux-mêmes juives.
Enfin, même si Churchill a été un des rares hommes politiques d'envergure à avoir compris à partir de 1938 que ne pas résister à Hitler était dangereux pour l'ordre européen et pour le maintien de la puissance britannique et de son empire, il a eu des complaisances qu'on qualifierait désormais de coupables vis-à-vis des dirigeants fascistes, singulièrement Mussolini et Franco.

Q : Churchill est, avant toutes choses, un soldat de l'empire britannique.
Pourtant, il se distingue par une série de désastres : cf ses mauvaises décisions en tant que 1er Lord de l' amirauté pour la bataille de Gallipoli (1915) contre l'empire ottoman ; dans ce désastre militaire, il n'a sauvé que les britanniques, laissant aller à la mort les troupes coloniales australiennes, néo-zélandaises, indiennes. A remarquer : le défenseur turc de Gallipoli était Mustapha Kemal, qui s'est servi de ce fait dans sa propagande personnelle après la guerre.

Q : Pour mettre en évidence la face sombre de la manière dont Churchill a conduit la 2nde guerre mondiale, il faut se tourner vers les colonies
Par ex : La famine au Bengale, alors que la production de riz de cette région était énorme. Tout le riz bengalais a été fourni aux armées engagées dans la guerre, au prix de plusieurs centaines milliers de morts civiles (certains historiens avancent 3 millions de morts). Cette atrocité a été perpétuée avec l'appui de tout le gouvernement, donc y compris les travaillistes de Clément Attlee, alors que la chose était bien connue puisque les autorités britanniques sur place transmettaient lettres et rapports.
Rq) Dans les mois qui suivent, la plus grande mutinerie au sein des forces coloniales britanniques puis en 1942, le mouvement de Gandhi qui publie Quit India.

En Europe, le projet de Churchill a été d'éviter le surgissement de mouvements internes aux pays soumis à la domination allemande, singulièrement si communistes. C'est par exemple le cas des troupes britanniques qui combattent la résistance en Grèce en décembre 1944. Du fait de l'importance stratégique des ports grecs pour le contrôle en Méditerranée des routes menant à l'empire britannique, il ne fallait en aucun cas que la Grèce connaisse le même destin que la Yougoslavie, libérée par l'armée de Tito. Aussi, quand le général Scobie a demandé à Churchill comment agir si la population grecque résistait au débarquement des troupes anglaises, Churchill a répondu d'agir comme dans les colonies, sans état d'âme. La Grèce a connu une guerre civile horrible, dans laquelle les Anglais ont payé des milices pour torturer et exécuter les résistants.
cf Greece, the hidden war, documentaire produit par Channel 4 au début des années 1980 et visible sur internet.

Q ; comment expliquer la défaite électorale de Churchill dès 1945 ?
C'est la revanche de la working class britannique. C'est un moment historique où tous les mouvements de gauche sont forts en Europe de l'ouest.



samedi 13 mai 2023

Les premiers temps de l'Islam

Pour le cours de 1ere SPE HGGSP consacré au thème "Etat et religion", j'ai accumulé quelques fiches de notes sur l'Islam et le monde musulman médiéval, en me basant essentiellement sur le Coran des Historiens et des heures de conférences spécialisées que l'on peut trouver sur Youtube : ici  ( Dye le Coran et le problème synoptique et quelques questions sur les contextes du Coran ), ici (Amir-Moezzi évolution depuis les origines) ici (la leçon inaugurale de François Deroche au Collège de France) ou ici (Les Almohades), ici (le Coran des Pierres) par exemple.

Je partage par ce post mon plan de cours et les photos de mes notes, en espérant qu'elles pourront servir.

Lien vers une timeline que j'ai créée sur Genialy

Axe 2 : Pouvoirs politiques et pouvoirs religieux autour de la Méditerranée au Moyen Age 

I) Le Basileus et le Patriarche  III) L'occident entre Restauration impériale carolingienne et Réforme grégorienne

II) La question du pouvoir politique dans l'Islam des origines

1) Question complexe car :

- Muhammad annonce la fin des temps : L'Heure est imminente. Donc il n'y a pas de nécessité de penser un royaume musulman installé dans la durée. (encore qu'on trouve dans les Hadiths officiels une annonce de la succession des régimes jusqu'à la fin des temps : prophétie, califat selon la voie prophétique / "bien guidé", la royauté mordante / succession , la royauté imposée, retour du califat sur la voie prophétique)

- Muhammad ne prévoit pas de règles de succession => 3 siècles de guerres civiles (fitna) et de conflits de succession (ce point a été abordé lors des exposés)

- Muhammad ne vit pas l'expansion de l'Islam hors d'Arabie, la conquête de territoires étendus et la question de la conversion, ou pas (pour les Chrétiens et les Juifs), des populations à l'Islam. Cela a deux conséquences : Tout d'abord, la fin des temps se fait attendre et il faut s'adapter à la durée donc effacement autant que faire se peut des aspects eschatologiques. De plus, Muhammad s'inscrit nettement dans la tradition juive et chrétienne (Jesus Messie, mais pas fils de Dieu d'où le fait qu'il est appelé dans le Coran comme "fils de Marie") donc pas tant de différences que cela avec les communautés religieuses de l'empire byzantin.

R) cela pose le problème des temps de rédaction de la Sunna.

 








2) Il a donc fallu s'adapter = c'est ce que font les califes du 1er siècle de l'hégire et les premiers Omeyyades.

- L'influence byzantine

se mesure par le personnel de l'empire omeyyade qui reste en place et ne se convertit pas (dans un premier temps)

R) Cela explique en partie la facilité de l'imposition du pouvoir arabo-musulman sur ces territoires : l'empire sassanide était en phase de profonde décomposition. L'empire byzantin était affaibli par sa guerre contre l'empire sassanide, mais surtout les élites acceptent facilement la domination musulmane car elle en tire profit (autre exemple, le retour des Juifs à Jérusalem)

se voit par quelques signes extérieurs : cf le programme décoratif et iconographiques des palais du désert...

- l'islamisation de l'empire à partir d'Abd-el-Malik

Titre de calife et utilisation du mot "islam" pour désigner les croyants / Monnaie avec le texte de la sourate 112 


/ Dôme du rocher de Jérusalem

La version définitive du Coran est fixée (Coran attribué à Othman) et largement diffusée : le projet est d'accentuer les caractères propres de l'Islam pour le distinguer du judéo-christianisme + diluer les aspects apocalyptiques sans les renier : "En inscrivant sa profession de foi au cœur d’un complexe monumental qui préfigure l’apocalypse, ‘Abd al-Malik s’affirme comme le seul garant d’une foi islamique dont il définit l’orthodoxie. Ainsi les longues citations coraniques qui font référence aux chrétiens (BI) n’entendent-elles pas seulement réfuter le dogme de la Trinité, mais aussi mettre en garde contre l’éventuelle division de la communauté : les chrétiens, bien qu’ils aient « reçu la science », « se sont opposés les uns aux autres » (Coran 3 : 19) en raison de leurs divergences théologiques. Pour éviter que la fitna n’aboutisse à un résultat similaire, ʻAbd al-Malik invite les adeptes de sa religion à s’unir autour du dogme qu’il proclame. Avant même de se présenter, sur ses monnaies, comme le « lieutenant de Dieu » (khalīfat Allāh), il se veut le guide suprême des musulmans, celui qui permettra à tous les membres de la communauté – la umma mentionnée sur la porte orientale – de se présenter devant Dieu au jour du Jugement et de gagner leur salut éternel."

R) Certains historiens de l'Islam parlent d'Abd-el-Malik comme du véritable fondateur de l'Islam, de la même manière qu'on peut faire de Paul le fondateur du Christianisme.


3) Les contestations du pouvoir califal

- le Shiisme (vu en exposé)

   

     



2 études de doc :
La révolution abbasside
Une audience califale

 La mina, l’épreuve par laquelle le calife avait tenté d’imposer son autorité théologique contre les savants traditionalistes, achève de ternir l'image du calife abbasside.

- Un empire fragmenté et difficilement contrôlé => des califats concurrents
ex. Des Omeyyades à Cordoue après 750 / les Fatimides au Caire (969) / Le califat Almohade




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