Affichage des articles dont le libellé est Colonisation. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Colonisation. Afficher tous les articles

mercredi 27 mai 2020

Les Antilles françaises et l'esclavage (XVIIIe siècle)

Etude d'un dossier documentaire

Montrez, en utilisant les documents que la société coloniale française tire sa richesse de l’organisation institutionnalisée et généralisée d’une inégalité des races. 

Doc 1 : Présentation de la structure des échanges entre la France et les Antilles

C'est au 17e siècle pour que la France s’engage véritablement dans l’aventure coloniale, et singulièrement le règne de Louis XIV.

A l’échelle nationale, le commerce américain profitait à quelques ports qui ont l’accord du roi : Calais, Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur, Saint-Malo, Morlaix, Brest, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Sète. L’essentiel du trafic est assuré par Bordeaux, Nantes, Marseille, Rouen-Le Havre-Honfleur. Bordeaux est le premier d’entre eux avec 41% du commerce antillais de la France à la fin de l’ancien régime. L’arrière-pays bordelais produit la farine et le vin dont les Antilles ont besoin et Bordeaux contrôle les liaisons commerciales avec l’Europe du Nord. Nantes est le second grand port colonial en raison de sa spécialisation rapide dans la traite négrière. L’arrière-pays produit des cotonnades qui restent le principal article d’exportation vers les colonies. Les ports de la Basse-Seine profitent de la croissance textile après 1750 pour développer la traite négrière et le commerce colonial. 

La France à la fin de l’ancien régime est un pôle de redistribution des produits tropicaux qui représentent près de 40% de son commerce extérieur. Des grandes fortunes se sont bâties sur la traite négrière et le commerce colonial comme celles des Bouteiller, les Bertrand de la Clauserie, les Chaurand. Par contre, le commerce avec le Canada est beaucoup moins profitable, d’où sa perte en quelque sorte en 1763. Ce commerce colonial est en croissance pendant tout le XVIII° siècle et son impact sur l’économie nationale a donc été réel. Ce sont les fortunes du royaume qui s’investissent dans ce grand commerce en acquérant des parts dans l’armement des navires. Il stimule les constructions navales. Les Antilles sont un débouché pour les productions nationales : le tiers du vin de Bordeaux, le blé d’Aquitaine, le textile du Maine, de l’Anjou, de Cholet. Il fournit enfin des emplois de matelots et les Antilles par leurs matières premières soutiennent l’emploi métropolitain : soixante centres cotonniers et plus de cent raffineries en dépendent à la fin du siècle. Economie et colonisation sont donc intimement liées.

Document 2 : Texte extrait du Père Labat " Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique ", Martinique, début du XVIIIème siècle

     "Je laissai la compagnie au presbytère pendant que j'allais confesser un nègre d'une habitation (1) de Mr. Roy, car il en avait deux très considérables dans ma paroisse et d'autres encore dans différents endroits. On ne peut sans étonnement penser à la fortune de cet homme. Il était venu aux îles en qualité d'engagé (3), dans les premières années que la colonie commença à se former ; il était de Bordeaux, tailleur ou chaussetier de son métier. Le temps de son engagement étant achevé, il se mit à torquer (3) du tabac, et quand la saison de torquer était passée, il travaillait de son métier. Il s'associa avec un autre torqueur, dont il hérita. Quelques années après il fit quelques voyages en course (4), si heureusement qu'en très peu de temps il se vit en état d'établir une sucrerie et de faire des établissements. Quand j'arrivai à la Martinique, il avait six sucreries où l'on comptait plus de huit cent nègres. Son fils aîné, avec lequel j'étais venu de France, était capitaine de milice (5), et une de ses filles avait épousé un capitaine de vaisseau de roi

  1.  Exploitation agricole d'une superficie variable = Plantation
  2. Un engagé n'a pas les moyens de payer la traversée pour les Antilles et "engage" donc ses futurs salaires pour rembourser le prix de son voyage
  3.  Mettre le tabac en rouleau.
  4.  La course, c'est-à-dire la piraterie
  5. Les colons, répartis en compagnies et régiments, constituaient à côté des troupes royales une troupe auxiliaire jouant d'ailleurs un rôle très important, la milice.


Document 3 : La journée d'un " pauvre Blanc " à Saint Domingue

     "Le métier est rude, mais s'il plaît à Dieu de me conserver la santé, aimant naturellement tout ce qui s'appelle culture de la terre, j'en prendrai bientôt le dessus, mais il y a bien du mauvais temps à passer sous un économe qui la plupart du temps vous regarde comme un chien ou tout au moins comme son valet. Pour la culture des cannes, je l'aurai bientôt apprise, ayant de la bonne volonté et connaissant déjà un peu la terre et les nègres. Mais ce qu'il y a de plus difficile, c'est la fabrication du sucre. Il y a le quart à faire à la sucrerie qui est 6 heures du soir jusqu'à minuit ou depuis minuit jusqu'à 6 heures du matin, et on fait une semaine le premier quart et une autre le second quart, tour à tour.

La journée s'emploie dans les jardins pour faire travailler les nègres ; visiter tous les jours les vivres pour que les gardeurs ne les volent pas, comme ils ont coutume tant qu'ils veulent pour les vendre ; voir s'il n'y a point de brèches dans les entourages de l'habitation ; les tailleurs de haies et les sarcleurs ; l'hôpital, si tout va bien pour les malades ; les gardeurs de boeufs, de chevaux, de moutons, si on les renferme bien tous les soirs, et si on ne les laisse point aller dans les jardins, entrer et se promener dans les cannes, pour voir si les arroseurs ne se contentent pas de mouiller les bordages ou la superficie et si tous ces gens là qui travaillent séparés de l'atelier, ne sont point à dormir au lieu de travailler et s'ils avancent assez, en un mot, je n'ai pas un moment de repos, au point que pour raccommoder un peu mes hardes je suis obligé malgré moi de faire comme les nègres, c'est-à-dire le faire le dimanche."

Source égarée


Une des plus anciennes habitations sucrières de Guadeloupe : source INRAP

Document 4 : Extraits du Code Noir (mars 1685)

"Art. 2. - Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. 12 .- Les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents.
Art. 15. - Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes.
Art. 22. - Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure du pays, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant deux livres et demie chacun au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de boeuf salé ou trois livres de poisson ou autres choses à proportion ; et aux enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.
Art. 28. - Les esclaves ne pourront rien avoir qui ne soit à leur maître ; et tout ce qui leur vient à quelque titre que ce soit, appartient en pleine propriété à leur maître.
Art. 38. - L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois (...) aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule ; et s'il recommence, aura le jarret coupé et sera marqué sur l'autre épaule ; et la troisième fois, il sera puni de mort.
Art. 42. - Les maîtres pourront, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verge ou de cordes. "


Document 5 : Evolution de la population de la Guadeloupe dans la seconde moitié du XVIIIème siècle

Années

Blancs

Libres

Esclaves noirs

1772

12737

1175

77957

1777

12700

1350

84100

1785

13599

1969

85290

1789

13712

3058

89823




Pas à pas : 

Consigne. Quels sont les deux thèmes du sujet ?

1-

 2-

 Quelle est la question (problématique) qui est donc posée ?

 

 

Relevé des informations document par document

Texte de présentation (doc 1)

Thème => quelle partie ?

 Idée 1 : Listez les produits exportés de la métropole vers les Antilles.

 Idée 2 : Quelles activités bénéficient du grand commerce avec les Antilles ?

 Idée 3 : Quelles régions de France et quelles catégories sociales bénéficient et dépendent du grand commerce avec les Antilles ?

 

 Texte doc 2

Thème/ Partie ?

 Idée 1 : Quel est le niveau de fortune de Mr Roy ? A t-il toujours été riche ?

 Idée 2 : Quelles activités lui a permis de se constituer le capital de base nécessaire à sa réussite sociale ?

 Idée 3 : A votre avis pourquoi la milice était-elle essentielle dans les colonies ? (croiser avec tableau doc 5)

 Quelles idées vont dans les différentes parties ?

 

Texte doc 3

Thème/ Partie ?

Idée 1 : A quoi comprend-on dans le texte que ce colon est "pauvre" ? => quelle idée précédemment listée est donc nuancée par ce texte ?

 Idée 2 : De quoi se plaint cet propriétaire d'esclave ? Pourquoi n'a t-il pas d'employé pour faire le travail à sa place?

 Idée 3 : Quel est le travail à fournir dans une plantation de sucre ? Comment est-il organisé ?

 

 

Texte doc 4 = que veut dire « Code » ?

Thème/ Partie?

 Idée 1 : Qu'est-ce qu'être esclave ?

 Idée 2 : Quels sont les indicateurs de la violence des sociétés esclavagistes ?

 Idée 3 : en utilisant l'art 22 et ce qui a été vu dans le texte précédent, montrer que l'exploitation des esclaves était indispensable à la rentabilité des plantations


Tableau stat doc 5 :

Thème/ Partie ?

Idée 1 : comparer le nombre de colons blancs et le nombre d'esclaves. Par rapport à ce qu'on a dit précédemment, qu'en concluez-vous ?

Idée 2 : à qui correspond la catégorie "libre" ? Comparer les libres et les esclaves. Que concluez-vous ?

Idée 3 : Dernière ligne Pourquoi une augmentation du nombre de "libres" en 1789 ? Comparer les libres et les esclaves entre 1785 et 1789. Que concluez-vous ?


2e étape du travail préparatoire : regrouper les infos par thème

Pour organiser le plan détaillé (ordre des idées dans les différentes parties), faites une carte mentale


Bilan : phase de réponse à la problématique (en conclusion)

Quel est le lien  entre existence de l’esclavage , enrichissement des colons et racisme ?

 

 Doc complémentaire

Les débats révolutionnaires autour de la question de l’abolition de l’esclavage

A la veille de la Révolution, l'abolitionnisme est défendu en France par la Société des Amis des Noirs, fondée en février 1788 par Brissot. Elle compte parmi ses 130 ou 140 membres, l'abbé Grégoire et Condorcet, rejoints en 1789 par La Fayette, Mirabeau, le duc de la Rochefoucauld, le comte de Clermont-Tonnerre … Elle peut également compter sur la bienveillance de Necker et sur le journal de Brissot, Le Patriote Français. Son action comme son discours sont relativement modérés car elle semble désarmée face au réalisme apparent des arguments économiques esclavagistes. Or, Benjamin Franklin et Adam Smith ont déjà souligné la moindre rentabilité de ce mode de production. Enfin, les Amis des Noirs prônent un abolitionnisme timoré et progressif, persuadés comme Voltaire que les noirs sont inférieurs aux blancs. Cependant, la Révolution proclame dans la DDHC la liberté et l’égalité comme un droit naturel de tous les Hommes. La question se pose donc avec urgence : ces droits concernent-ils les noirs et les mulâtres des Antilles ? Deux questions sont débattues aux assemblées. D'une part, celle de la citoyenneté des libres de couleur (accordée en mai 1791). D'autre part, celle de l'abolition (votée en février 1794). Entre ces deux dates, il y aura eu en 1791 la révolte de l‘île de St Domingue qui devient en 1793 la première colonie libre noire du monde et en 1804 une République indépendante. Mais Napoléon 1er rétablit l’esclavage en 1802


Pour d'autres ressources et compléments : voir ici

samedi 23 mai 2020

"Notre monde vient d'en trouver un autre" (M. de Montaigne)

Correction analyse texte Michel de Montaigne p.130 (référence = manuel Hachette)

 

La consigne : A partir de l’analyse du texte et de vos connaissances, montrez comment Montaigne décrit la société amérindienne avant l’arrivée des Européens, puis expliquez les conséquences de leur conquête sur les sociétés d’Amérique.

En jaune : il faudra donc, comme toujours dans une analyse de document, que dans chaque paragraphe, vous releviez les informations du texte qui, dans un deuxième temps, devront être explicitées et approfondies par des connaissances extérieures au document (= vos connaissances de cours)

En bleu = partie 1. Le thème de cette partie 1 est défini par le mot clef = « décrit la société amérindienne ». La période considérée = AVANT la conquête

En vert = partie 2. Le thème de cette partie 2 est défini par le mot clef « conséquence de la conquête ». Conséquences pour qui ? = les sociétés amérindiennes.

 

En introduction = présentation comme d’habitude du document étudié = Auteur (pensez à reprendre les lignes sous le doc qui présentent Montaigne), date (1588), source (Essais, livre II, chapitre VI). Puis contextualisation : rappeler les grandes dates et les principaux acteurs de la conquête du continent américain. Puis idée principale du texte (elle ne peut se définir que quand on a déjà fait tout le travail d’analyse au brouillon) = l’avis de Michel de Montaigne sur la conquête coloniale par les Espagnols et les Portugais du continent américain est originale pour son époque puisqu’il la condamne.

 

La partie 1

Que dit Montaigne ? Liste des relevés et interprétation = travail au brouillon

Les Amériques sont un « nouveau monde »  c’est-à-dire jusqu’ici inconnu des Européens ;

« grand » ; « plein et fourni de membres » = peuplé ;

 « il y a 50 ans, il ne connaissait ni lettres, ni poids et mesures, ni vêtements, ni céréales, vignes, il vivait nu dans le giron de la mère nourricière (= la nature), et ne vivait que par les moyens qu’elle lui fournissait » = chasseur/cueilleur mais pas agriculteur = non civilisé. On remarque que pourtant Montaigne ne dit pas qu’ils sont moins civilisés, il n’utilise pas le terme de civilisation ou de barbarie, il ne dit pas que les Européens sont supérieurs (comme Sépulvéda lui le faisait). Il faudra insister sur ce point dans la rédaction et expliquer pour Montaigne ne reprend pas à son compte l’opinion commune des Européens de son temps. C’est cela faire une analyse critique de document. Lui Montaigne utilise plutôt les mots suivants : « si enfant » (donc plus positif que « barbare » ou « sauvage »)

«  qu’on lui apprend encore son a.b.c » les Européens sont en train de la transformer sur leur modèle

«La stupéfiante magnificence des villes de Cuzco et de Mexico….ils ne nous cédaient pas en habileté » = la vision positive de Montaigne se confirme, il évoque la beauté des villes et des jardins, des œuvres d’art amérindiennes ; il parle de l’habileté des artistes et artisans amérindiens. Il dit aussi explicitement que les Amérindiens n’étaient pas moins habiles, moins capables de créer la beauté que les Européens. « la plus riche et la plus belle partie du monde » dit-il à la fin de l’extrait. Il dit aussi que les Indiens étaient autant capables de raison que les Européens :« La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux témoignent qu’ils ne nous devaient rien en clarté et en pertinence ». Donc, contrairement à Sépulvéda, Montaigne ne croit pas à la supériorité de la civilisation européenne sur la culture amérindienne : il dit juste que c’était différent, un « autre monde » comme c’est dit dans la première phrase. Il le redit plus loin dans le texte en renversant la perspective et en se plaçant du point de vue des Indiens : « le juste étonnement qu’apportaient à ces nations-là l’arrivée inattendue de gens barbus, si différents par la langue, la religion, l’apparence et le comportement ».

 

Quelles sont donc les idées du texte qui structurent le premier paragraphe ? comment compléter avec des connaissances de cours ?

1-      Montaigne décrit un autre monde

Grand, peuplé, sans agriculture, de culture totalement différente de celle des Européens. Nuancer : on sait grâce au cours que tous les peuples amérindiens n’étaient pas des tribus de chasseurs-cueilleurs, mais qu’il y avait de grands empires (Incas, Mayas) avec des techniques complexes de gestion de l’eau, d’administration …

2-      Montaigne le décrit de façon positive

Beauté de ses villes et de ses jardins, richesse (or, perles et pierrerie, poivre…) Montaigne fait une allusion => utiliser le doc 1 p. 116 pour décrire la complexité et la beauté de la ville de Mexico

3-      Montaigne ne souscrit pas à l’idée de la supériorité de la civilisation européenne sur les cultures amérindiennes.

Citer les éléments du texte qui le prouvent. PUIS Il faut donc amener les infos vues dans l’EDC sur la controverse de Valladolid et exposer l’opinion de Sépulvéda qui est l’exact inverse de la position de Montaigne.

Bilan partie 1 : un monde « enfant » dit Montaigne qu’il présente positivement. En fait c’est presque un monde idyllique, un paradis terrestre.(cette idée a été dans l’étude de cas valladolid, mythe du bon sauvage)

 

La partie 2

Que dit Montaigne ? Liste des relevés et interprétation = travail au brouillon

« Je crains bien que nous n’ayons hâté son déclin … et que nous lui aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts ». La suite du texte va apporter les arguments de Montaigne pour justifier cette phrase. C’est donc une thèse. Je propose de ne pas annoncer cette thèse tout de suite en début de partie 2,mais de l’utiliser comme bilan et ceci afin de ne pas créer une rupture dans le raisonnement la fin de la partie 1.

Nous avons terminé la partie 1 sur l’idée que Montaigne réfute la prétendue supériorité européenne. Or voici ce qu’il dit juste après : « nous ne l’avons pas soumis (…) par la supériorité de notre valeur et de nos forces naturelles », mais dit-il plus loin « ce qui les a vaincus, ce sont les ruses et les mensonges avec lesquels les conquérants les ont trompés ». « Nous nous sommes servis de leur ignorance et de leur inexpérience » = ignorance de la duperie et de la trahison doit-on comprendre => Donc Montaigne renverse l’équation Européens > Amérindiens. Dans son texte les Amérindiens sont supérieurs moralement aux Européens (il dit « nous » et pas « les conquistadors »). Il rejoint par là la position de Bartolomé de Las Casas, qu’il a sûrement lu.

La suite du texte confirme cette idée. Les Européens ont apporté (« nous les avons pliés …à l’exemple et sur le patron de nos mœurs ») en Amérique « la trahison, la luxure, l’avarice et toute sorte d’inhumanité et de cruauté ». Les phrases qui suivent apportent des exemples de ces cruautés « tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée. »

 

« Notre monde vient d’en trouver un autre » + « qui fit jamais payer un tel prix pour les profits du commerce et du trafic ? » « la plus belle partie du monde bouleversée pour la négociation des perles et du poivre ». Avec ces dernières phrases Montaigne rappelle de façon allusive les raisons de la découverte puis de la conquête du continent américain : le commerce des épices et des richesses amérindiennes que mettent en place les colons.

 

 

Quelles sont donc les idées du texte qui structurent le 2eme paragraphe ? comment compléter avec des connaissances de cours ?

1-      MAIS Les Européens ont apporté la violence et la destruction dans le paradis terrestre (cette phrase servira de transition entre les deux parties.

Conquête par la force et la ruse, massacres, destruction des cités, monde bouleversé. Il faudra donner des exemples précis pour illustrer ces allusions de Montaigne. Reprendre les exemples du manuel évoqués en cours : pour la cruauté, doc 2p.116 et 2 p.117. Compléter avec le travail forcé (3 et 4p123) et le choc épidémiologique/microbien (cours)

Bilan = un ethnocide (« déclin et ruine »)

2-      Ils l’ont fait pour l’argent

Citations texte + rappels des causes des voyages d’exploration et rappel mise en place de l’exploitation économique des richesses naturelles du continent américains / commerce transatlantique

3-      Ils sont moralement inférieurs aux amérindiens.

Citations du texte.

 

Conclusion

Bilan = critique de la conquête car destruction d’une culture autre, de peuples moralement bien supérieurs aux Européens qui les dominent. Les positions de Montaigne rejoignent celles de B. de Las Casas

Ouverture = Montaigne annonciateur des philosophes des Lumières avec l’idée que différences ne veut pas dire infériorité, l’idée de la tolérance et du refus de la cruauté, fut-ce au nom de la religion et du progrès « nous leur avons fait payer bien cher nos opinions et nos arts »

Un point d’étonnement. Montaigne ne dit rien des esclaves africains. Peut-être ailleurs dans les Essais ?


samedi 21 décembre 2019

Sujet colonisation : Albert Sarraut


Analyse d'un document "source"



[La] puissance coloniale [de la France] est un de ces éléments fondamentaux, dans le présent et dans l'avenir. Avec son domaine d'outre-mer, la France est une nation de cent millions d'habitants, riche d'incomparables richesses. Sa force militaire, c'est-à-dire sa sécurité, et son avenir économique, c'est-à-dire son indépendance, dépendent largement encore demain de ce potentiel colonial. Voilà donc ce qu'il faut analyser. Et le communisme français, qui, sur l'ordre de l'extérieur, se porte sur tous les points où s'articule notre vie nationale pour fausser successivement tous les rouages, désagréger les organes, rompre les assemblages, saboter les mécanismes de notre activité, s'est attaché spécialement, en ces dernières années, à essayer de briser les clés de voûte de notre grande œuvre coloniale.
Vainement, le groupement révolutionnaire qui s'acharne à cette besogne essaie-t-il de donner le change en invoquant un prétexte d'humanité, au nom duquel il prétend émanciper des colonies opprimées et des indigènes asservis. Stratagème trop grossier, dont il sait lui même que l'on ne peut plus être dupe. Car l'honneur de la colonisation française est précisément d'avoir totalement transfiguré l'esprit de l'entreprise coloniale, en la pénétrant du sens profond du droit humain. La colonisation n'est plus pour la France une opération à caractère mercantile, elle est essentiellement une création d’humanité; si le colonisateur a le droit évident d'en recueillir de légitimes avantages, il considère -c'est la doctrine française- qu'elle n'est pas simplement un enrichissement universel, profitant à l'ensemble du patrimoine mondial, (,,,) à la fois la richesse morale et la richesse matérielle; cet enrichissement d'humanité doit être fait et poursuivi dans l'acceptation et avec la collaboration des races que le colonisateur gouverne et qu'il a pour premier devoir d'accroître en valeur et en dignité humaine.(...)

Albert Sarraut, Discours à Constantine, 23 avril 1927, le Petit Parisien.


La consigne :  à l'aide du document, éclairé et contextualisé par vos connaissances de cours, expliquez pourquoi Albert Sarraut veut une évolution de l'administration coloniale et montrez que son programme de réforme représente en fait une application stricte des principes qui ont justifié la colonisation.

jeudi 8 août 2019

La V.O.C. et les voyages marchands

Le programme d'Histoire seconde reprend l'ancien intitulé d'une "ouverture de l'Europe au monde" en le centrant sur l'espace atlantique et les conséquences de la "découverte du nouveau monde". Il y a pourtant un pan entier de l'histoire coloniale et marchande de l'Europe moderne qui est rarement mis en avant et va passer à la trappe du nouveau programme, les relations avec l'Asie orientale. C'est d'autant plus dommage que le livre de Romain Bertrand, L'Histoire à parts égales paru au Seuil en 2011, aurait offert aux professeurs la possibilité d'un réaménagement plus subtil de l'enseignement de la  "conquête coloniale" européenne.


Bref, toujours est-il que je suis allée en vacances à Amsterdam et à cette occasion,  j'ai relu ce livre 
 Mike Dash, l'Archipel des hérétiques, 2001.

C'est un roman historique, basé sur les archives dont le journal de bord du Batavia. Je n'y connais rien en la matière, mais l'auteur me semble être rigoureux dans sa démarche, sa bio dit qu'il a fait des études d'Histoire. Son livre n'est certes pas un livre d'Histoire et il présente parfois des raccourcis et des simplifications qui peuvent faire lever le sourcil, quand ce ne sont pas des raisonnements pseudo démonstratifs qui n'existent que pour servir son récit, mais pour autant ce roman constitue une entrée facile à lire pour l'amateur d'histoire qui voudrait se construire des images mentales sur la marine marchande, les conditions des voyages au long cours au XVIIe siècle et de façon plus générale sur le siècle d'or hollandais.
Il expose donc l'histoire vraie du Batavia, retourship de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales (V.O.C.) dont on peut visiter une reconstitution grandeur nature à Lelystat au nord d'Amsterdam. Je ne déflore pas l'histoire, évidemment tragique, de ce naufrage et de ses suites. La conduite des naufragés qui ont survécut quelques mois sur des îlots affleurant au large de l'Australie a donné lieu, au moment de leur sauvetage à un procès, dont l'auteur a pu consulter les minutes.
Cette histoire est passionnante, et l'est d'autant plus que le livre est nourri d'informations précises qui la resitue en détail dans son contexte.




Sur ce bateau voyagèrent près de 300 personnes, parties d'Amsterdam à la fin de l'année 1628 pour Batavia, capitale des Indes néerlandaises. Le naufrage eut lieu sur un affleurement de récifs formant un minuscule archipel de plusieurs îlots dont aucun ne disposait d'eau potable. Le bateau est détruit et personne ne peut dire où il a fait naufrage. La route n'est pas encore balisée, les cartes imprécises, le Batavia naviguait dans une zone inconnue. Le capitaine et ses officiers prirent la grande chaloupe pour chercher du secours, laissant sur les récifs plus de 270 personnes, marins, hommes de la VOC (compagnie néerlandaise des Indes orientales), soldats, passagers et passagères, et leurs enfants.


la création de la V.O.C.



"La Jan Compagnie était gérée par tout un assortiment de conseils, d'assemblées et de comités. L'assemblée des dix-sept directeurs contrôlait l'ensemble de l'organisation et chaque chambre constituait son propre conseil de direction. Le gouverneur général de Java lui-même n'agissait qu'à travers le Conseil des Indes, et dans toute flottille de la VOC, l'autorité suprême n'était pas le président ou commandeur, agissant seul, mais le breede raad – le « conseil élargi ». Quand les vaisseaux étaient en mer, tous les subrécargues et tous les capitaines de la flotte avaient voix à cette assemblée, qui statuait non seulement sur toute question de stratégie générale, mais jugeait aussi les affaires de droit commun ou criminel. Comme les navires d'une même flotte se trouvaient fréquemment séparés au cours du voyage, chaque retourschip constituait sa propre assemblée, ordinairement formée de cinq membres : le capitaine et le subrécargue, d'une part ; et de l'autre, l'intendant adjoint, le premier timonier et le maître d'équipage."



Le siècle d'or
C'est au commerce qu'Amsterdam dut ce surprenant succès. Dès le XVe siècle, les Hollandais s'étaient dotés d'une des flottes les plus puissantes d'Europe. Leurs vaisseaux transportaient des matières premières telles que le bois, le bitume ou le sel, de la Baltique à la mer du Nord et à la côte atlantique. Les compagnies hollandaises étaient renommées pour leur efficacité, la modicité de leurs tarifs et leur volume de transit auprès duquel, dès la Renaissance, celui de leurs rivales paraissait dérisoire. Et les financiers d'Amsterdam étaient le fer de lance de cette prospérité. Aux alentours de l'an 1500, les anciens armateurs hollandais qui s'étaient enrichis uniquement dans le transport des marchandises furent supplantés par des négociants qui, tablant sur la situation centrale de la Hollande septentrionale, commencèrent à acheter et à revendre des denrées pour leur propre compte. Les sept provinces, qui devaient par la suite se fédérer pour constituer la République de Hollande, bénéficiaient d'une situation géographique idéale pour profiter de l'expansion du commerce international, jusque-là concentré autour des ports d'Espagne et d'Italie. Les Pays-Bas se trouvaient à mi-chemin entre la Scandinavie et la péninsule Ibérique, au cœur du réseau maritime et fluvial reliant la côte atlantique à l'Europe centrale. Les marchandises qui arrivaient dans les ports hollandais pouvaient être acheminées dans les plus brefs délais et à moindre coût vers l'Allemagne, l'Angleterre, le sud des Pays-Bas et la France.
Anvers, Bruges et Gant, établies de longue date comme centres du commerce de la laine et du coton, supplantèrent longtemps Amsterdam – ainsi que Middelburg, sa grande rivale de Zélande. La prospérité des grandes villes du Sud attira des marchands spécialisés dans les denrées rares, telles que le sucre ou les épices, produits de luxe dont le commerce était nettement plus lucratif que celui des matières premières ordinaires. Les marchands de Hollande du Sud conservèrent leur position dominante jusqu'à la seconde moitié du XVIe siècle. Il fallut attendre la fin des années 1570 pour que les provinces du Nord commencent à menacer leur suprématie – et ce, d'une part, à cause de la rébellion hollandaise* qui éclata en 1572, et se prolongea, par intermittence, jusqu'en 1648. Avant la guerre, Amsterdam comptait environ trente mille habitants. Ce chiffre, considérable pour l'époque, ne représentait que le tiers de la population d'Anvers et restait nettement inférieur à celui de Bruxelles, de Gant ou de Bruges. En 1600, la population d'Amsterdam avait doublé et, en 1628, elle atteignait les cent dix mille habitants. Amsterdam avait dépassé toutes ses rivales du Sud et comptait désormais parmi les quatre principales métropoles d'Europe. Les Hollandais commencèrent à s'intéresser aux Indes en 1590, lorsqu'ils comprirent que les richesses de l'Orient surpasseraient celles que l'on pouvait tirer du commerce de la fourrure, de l'huile de baleine, ou du bois. À cette époque, le commerce avec les Indes était encore aux mains des Portugais et des Espagnols.

*Contre la domination de Philippe II, roi d'Espagne et maître des pays bas-espagnols. En 1581, les pays bas septentrionaux soit 7 provinces, proclament leur indépendance et forment une République des Provinces-Unies. Son territoire accueille de nombreux réfugiés, protestants qui quittent les pays-bas méridionaux, toujours sous la domination espagnole. C'est parmi ces réfugiés qu'on trouve beaucoup des fondateurs des compagnies de commerce qui se lancent dans la course aux épices à la fin du XVIe siècle.



"Mais il n'était pas simple de rivaliser avec la domination ibérique. L'Espagne et le Portugal protégeaient leur monopole en entourant d'un secret absolu toutes les informations qu'ils détenaient sur les Indes. En 1590, les Pays-Bas – ainsi que les autres puissances occidentales – n'avaient toujours pas la moindre idée du meilleur itinéraire pour arriver jusqu'aux épices, des coordonnées précises des îles les plus riches, ni de la nature et de la position des forces qu'ils auraient à affronter. Quant aux informations qui leur étaient les plus vitales, des instructions de navigation détaillées pour se diriger dans les mers d'Extrême-Orient, elles étaient les plus jalousement gardées par l'ennemi. Avant l'apparition de cartes et d'instruments de navigation fiables, toutes les grandes puissances maritimes d'Occident s'évertuèrent à préserver le savoir accumulé par leurs navigateurs. Elles synthétisèrent des décennies d'expérience sous le terme générique de rutters, pour établir des manuels d'instructions reposant sur toutes les informations dont on disposait, concernant telle contrée ou tel itinéraire. Ces manuels comptaient parmi les trésors d'État les plus jalousement préservés. Les capitaines et les timoniers avaient ordre exprès de les détruire, si leur navire se trouvait en péril de naufrage ou de capture, et ils se conformèrent si scrupuleusement à ces impératifs qu'on ne trouva jamais aucun de ces fameux manuels à bord des navires espagnols ou portugais arraisonnés par des corsaires. Toutes les tentatives échouèrent, y compris les plus subtiles et les plus élaborées. Les Hollandais envoyèrent des espions à Lisbonne avec mission de voler ou d'acheter au moins un exemplaire de ces rutters. En pure perte. Or, sans une parfaite compréhension des informations qu'ils contenaient, toute expédition à destination de l'Orient était d'emblée condamnée à l'échec."

Les routes maritimes

Les cartes marines sont d'une importance cruciale pour ces voyages au long cours. Les Portugais veillaient sur leurs cartes. Mais ils furent espionnés. A la fin du XVIe, les armateurs des Provinces-Unies montent des flottes tout azimut pour voguer sur les brisées des Portugais. En l'espace d'une cinquantaine d'années (jusque dans les années 1620), ils les ont remplacés dans le commerce avec l'Orient, s'emparant même parfois de leurs comptoirs et places-fortes. Les cartes néerlandaises vont se construire au fur et à mesure des voyages. Pour l'époque qui nous intéresse, le début du siècle d'or hollandais, en fait un peu plus tard puisque la carte date du milieu du XVIIe siècle et le naufrage du Batavia date de 1629, voici l’extrême-orient  connu des marins de la VOC

Johannes Vingboons, Amsterdam, ca.1650





"Pour les occupants du retourschip, le grand continent rouge n'était qu'une vaste lacune figurant sur leurs cartes sous le nom de Terra Australis Incognita – la Terre Australe Inconnue. En 1629, son existence n'était pas encore établie de façon définitive. Certains géographes antiques, tels que le gréco-égyptien Ptolémée, en l'an 173 de notre ère, avaient imaginé de diviser le monde en quatre gigantesques continents – l'Europe et ce que l'on connaissait de l'Afrique et de l'Asie qui était supposée occuper la portion nord-est du globe – mais cette masse de terre semblait appeler un contrepoids. Les premières cartes du monde représentaient donc, au sud de l'équateur, un continent colossal qui ceinturait le monde et, dans nombre de cas, reliait l'Afrique et l'Amérique du Sud à la Chine. Au cours du XVe et du XVIe siècle, comme les Portugais et les Espagnols sillonnaient les mers du sud, on commença à soupçonner que la Terre Australe ne pouvait être aussi vaste qu'on l'avait d'abord supposé. Les navires qui croisaient au large du cap de Bonne-Espérance et du cap Horn ne l'avaient jamais aperçue. Ils faisaient route vers le nord-ouest en traversant le Pacifique, ou vers l'est, dans l'océan Indien, sans trouver la moindre trace du mystérieux continent. À l'époque où la VOC fut fondée, le seul emplacement qui restât inexploré, et où l'on pût encore le situer, était ce grand vide qui s'étendait au sud des Indes, et à l'ouest des Amériques."

"Dans les premières années d'existence de la VOC, les marins de la Compagnie s'en tenaient généralement aux voies maritimes ouvertes par les Portugais. Après le cap de Bonne-Espérance, ils remontaient vers le nord en longeant les côtes africaines jusqu'à Madagascar, puis obliquaient vers le nord-est et traversaient l'océan Indien en direction des Indes. Mais cet itinéraire n'était pas dénué d'inconvénients. Pendant tout le voyage, la chaleur était accablante. Les Portugais n'étaient pas très accueillants et la route était semée d'écueils et de hauts-fonds. Après le passage du Cap, il fallait composer avec des courants et des vents contraires qui ralentissaient considérablement la progression des navires. Les voyages de seize mois n'étaient pas rares – sans compter les cyclones et les ouragans qui engloutirent de nombreux navires. Si les Hollandais continuaient à suivre cet itinéraire, malgré ces multiples désavantages, c'était parce qu'ils n'avaient pas de meilleure solution. Jusqu'en 1610, année où Henrik Brouwer, un officier supérieur de la VOC, découvrit un autre passage, nettement au sud des voies maritimes habituelles. Au lieu de remonter le long de la côte, après le Cap, il avait continué plein sud, jusqu'à la limite nord des Quarantièmes Rugissants et avait rencontré dans cette zone une ceinture de forts vents d'ouest très constants qui portèrent ses navires en direction des Indes. Lorsque Brouwer estima avoir atteint la longitude du détroit de la Sonde, qui sépare Java de Sumatra, il remit le cap au nord et jeta l'ancre dans le port de Bantam, au terme de seulement cinq mois et vingt-quatre jours de mer. Il s'était épargné plus de trois mille deux cents kilomètres de trajet, avait évité les Portugais et, ayant divisé par deux le temps nécessaire au trajet, il accosta à Java avec un équipage en pleine forme. Les Dix-sept n'en revenaient pas. Accélérer les voyages, c'était augmenter d'autant les bénéfices et, à partir de 1616, tous les navires hollandais se virent intimer l'ordre d'emprunter cette nouvelle voie, découverte par Brouwer."


"Les difficultés que rencontrait la VOC, comme la Compagnie anglaise des Indes orientales, pour déterminer la position précise de leurs navires avaient pour origine le problème de navigation le plus insoluble de l'époque : l'impossibilité où l'on était de calculer les longitudes en pleine mer.*
En toute logique, on pouvait donc s'attendre à ce qu'un navire finisse par venir s'échouer quelque part le long de la côte australienne. En l'occurrence, ce fut la Compagnie anglaise des Indes orientales qui y laissa un de ses bâtiments – le Tryall. En 1621, elle avait imposé à tous ses navires de prendre le nouvel itinéraire des Hollandais, sans avoir bien mesuré ses dangers et sans pouvoir accéder aux cartes, toutes lacunaires, dont disposaient les marins de la VOC. Le 25 mai 1623, peu avant minuit, cet indiaman qui avait appareillé de Plymouth sous le commandement de John Brookes, heurta un écueil immergé, quelque part au large du cap Nord-Ouest."


*C'est au milieu du XVIIIe s que le problème fut résolu grâce à la mise au point de chronomètres précis et fiables. Umberto Eco y a consacré un de ses romans, L'île du jour d'avant


Pour compléter, voir trois autres post de ce blog : les cartes et l'ouverture des horizons,   cartes marines et cabinets de curiosité   et les sociétés coloniales


Mais retournons en mer...


"Pour la seule construction du Batavia, sans ses gréements, ni ses équipements, la Compagnie dut débourser près de cent mille florins – une fortune, pour l'époque. Cette dépense était amplement justifiée, car la VOC exploitait ses navires jusqu'à ce qu'ils tombent littéralement en miettes. Les chocs et les épreuves de toutes sortes auxquels le Batavia devrait résister au cours d'un seul voyage vers les Indes seraient venus à bout de n'importe quel bâtiment ordinaire. Même avec leurs trois coques, les indiaman survivaient rarement à plus de cinq ou six aller-retour en Orient. Après dix ou vingt ans de bons et loyaux services rendus à ces Dix-sept Messieurs, ils étaient renvoyés au Zuyder Zee et démontés pour fournir du bois de construction. On jugera de la formidable rentabilité du commerce des épices : lorsqu'un indiaman était ainsi débité en planches et en poutres, le coût de sa construction avait été plusieurs fois amorti par les bénéfices réalisés sur ses cargaisons. Un retourschip neuf de la taille du Batavia pouvait charger environ six cents tonnes de fournitures, de provisions et de marchandises. Au bout d'un an ou deux de service, la coque était saturée d'eau de mer et sa capacité diminuait de 20 %. Mais les cales d'un indiaman n'étaient pleines que sur le chemin du retour. Le navire était alors si chargé d'épices que les sabords des canons n'étaient plus qu'à soixante centimètres de l'eau. Il n'y avait pratiquement pas de demande pour les marchandises occidentales aux Indes et, bien qu'à leur départ des Pays-Bas les navires de commerce aient embarqué des caisses de livres de psaumes, de grenades à main, de marmites et de cercles de tonneaux destinés aux garnisons hollandaises cantonnées en Orient, la seule cargaison de quelque importance qu'on emportât vers Java était constituée de pierres et de matériaux de construction, pour les factoreries que la Compagnie faisait bâtir en Orient. Chaque année, les autorités hollandaises des Indes passaient commande de briques en quantités toujours plus importantes, qui tenaient lieu de ballast à l'aller.(...) Les populations indigènes n'avaient que faire des tissus de lin hollandais ou du gros drap anglais, qui étaient à l'époque les principaux produits d'exportation de l'Europe du Nord. Mais elles avaient une soif insatiable de métaux précieux, et raffolaient en particulier des pièces d'argent, qui tenaient couramment lieu de monnaie d'échange en Orient. Les retourschepen mettaient donc le cap vers l'est chargés non pas de produits d'exportation, mais de toute une cargaison d'objets d'argenterie et de pièces d'argent. Des sommes colossales (jusqu'à deux cent cinquante mille florins par bateau, soit l'équivalent de vingt millions de dollars actuels) étaient ainsi entreposées dans les cales de l'indiaman, dans de grands coffres de bois."


"Au XVIIe siècle, on ne s'embarquait généralement pas pour l'Orient de son plein gré. Les plantations d'épices de l'archipel indonésien étaient certes source d'une inimaginable richesse, mais ceux qui en profitaient n'étaient ni les marins, ni les marchands qui partaient risquer leur vie sur la route des Indes, mais les riches armateurs et négociants d'Amsterdam, de Middelburg, de Delft, de Hoorn ou d'Enkhuizen, ces marchands cousus d'or qui attendaient paisiblement le retour de leurs navires sur le sol national. Pour le commun de son personnel commercial et pour ses matelots, s'engager au service de la VOC présentait assurément quelques avantages et quelques occasions de bénéficier du commerce des épices, mais c'était aussi et surtout risquer une mort prématurée, en s'exposant aux naufrages, aux épidémies, aux fièvres de toute sorte, à la malnutrition et à la violence. L'espérance de vie d'un marchand aux Indes était d'à peine trois ans, et de tous ceux qui s'embarquèrent sur les bâtiments de la VOC durant toute l'existence de la Compagnie* (soit plus d'un million de personnes), moins d'un tiers revirent le sol natal."
*1602-1799
** surnom de la VOC
"À la Jan Compagnie**, le recrutement se faisait de façon plus ou moins aléatoire. On ne faisait passer ni tests ni examen aux candidats, et on ne leur demandait aucune référence. Comme seuls les destitués, têtes brûlées et autres proscrits se portaient candidats, la VOC ne pouvait s'offrir le luxe de se montrer excessivement tatillonne. Et les postulants des couches les plus élevées de la société étaient particulièrement rares. La demande en personnel commercial était si forte (puisque la plupart des bâtiments partaient avec une équipe d'une douzaine de personnes constituée d'un directeur, le subrécargue, flanqué d'un intendant adjoint et assisté de huit ou dix assistants administratifs, commis, comptables, et secrétaires), que le seul critère d'embauche était la capacité de la nouvelle recrue à s'engager par contrat sur cinq ans. Il ne devait être ni en faillite, ni catholique, ni « frappé d'infamie » – encore que ces règles elles-mêmes ne fussent appliquées qu'avec une rigueur toute relative."










vendredi 19 juillet 2019

La colonisation française (19e-20e s)

Une série de support pour servir au cours ou pour des DS

 Pourquoi coloniser ?


Le 18 mai 1879, un banquet commémoratif de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises réunissait, cent vingt convives. Victor Hugo présidait le repas. Il avait à sa droite Victor Schoelcher, l'auteur principal du décret de 1848.
 Au dessert, M. Victor Schoelcher a dit les paroles suivantes:
            « Cher Victor Hugo, en vous voyant ici, et sachant que nous vous entendrons, nous avons plus que jamais confiance, courage et espoir. Quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénétrera jusqu'au coeur de l'Afrique, sur les routes qu'y fraient incessamment d'intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l'enfance, et leur enseigner la liberté, l'horreur de l'esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine ; votre parole, Victor Hugo, aura puissance de civilisation ; elle aidera ce magnifique mouvement philanthropique qui semble, en tournant aujourd'hui l'intérêt de l'Europe vers le pays des hommes noirs, vouloir y réparer le mal qu'elle lui a fait. (…) ».
            Après ces paroles, dont l'impression a été profonde, Victor Hugo s'est levé et une immense acclamation a salué longtemps celui qui a toujours mis son génie au service de toutes les souffrances. Le silence s'est fait, et Victor Hugo a prononcé les paroles qui suivent :
            « Messieurs, (…) Le moment est venu de faire remarquer à l'Europe qu'elle a à côté d'elle l'Afrique. (…) Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de nations: Unissez-vous ! allez au sud. (…).
            L'Afrique n'a pas d'histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe. (…) Cette Afrique farouche n'a que deux aspects : peuplée, c'est la barbarie ; déserte, c'est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables (…). De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la nature et attendent l'homme ; on voit les points où germeront des villes ; on devine les communications (…).
Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. (Applaudissements.)
            Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. (…)
            Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la.(…). Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. (Applaudissements prolongés.)
            Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez (…).»

            Victor Hugo, Depuis l'Exil 1876-1885, Actes et Paroles, volume 4


En contrepoint




Le racisme colonial


Doc  Chanson :  Les Amazones du Dahomey
[...] Ell's ont la peau comm' du cirage
On dit que ce peuple sauvage
A chaqu'repas mange du feu
Ça doit vous étonner un peu [...]

Refrain :
Mais, vraiment, l'on ne croyait pas
Qu'pareill's gens vivaient ici bas
Et qui n'fut douté jamais
D'aller au Dahomey

Ell's ont de drôles de coutumes
Ainsi qu'de primitifs costumes
Ell's ne port'nt pas de faux appas
C'est naturel du haut en bas [...]

Le roi souvent pour se distraire
Comme il est d'un' humeur sévère
Fait trancher pour son bon plaisir
La tête à son peuple martyr [...]

Pour mettre un terme à ce carnage
Il faut vers ce peuple sauvage
Sans hésiter, cré nom d'un nom !
Braquer sans tarder le canon [...]

Refrain :
Il faut donc aller sans retard
Déployer chez eux l'étendard.
 Libre enfin, le noir, désormais  Vivrait au Dahomey

Édouard Vézinaud, Les Amazones du Dahomey, 1890 (sur l’air de : Devant la Samaritaine)




La destructuration des sociétés traditionnelles


et 

En 1931, un jeune géographe, Jacques Weulersse, traverse l'Afrique. À Élisabethville, au Congo belge, il s'entretient avec l'évêque.

Je conçois votre admiration, me dit-il après quelques instants de conversation. Oui nous avons accompli une oeuvre admirable, admirable et terrible. Ici, comme partout dans le monde contemporain, plus que partout ailleurs sans doute, la puissance de nos moyens d'actions l'emporte sur le sens de nos responsabilités. La création soudaine d'une gigantesque industrie dans un pays reculé, peuplé de primitifs, pose d'angoissants problèmes. La question de la main d'oeuvre prime toutes les autres ; pour que les usines grandissent, pour que les rails s'allongent dans la brousse ou la forêt, pour que les capitaux engagés rapportent, il faut à tout prix du travail noir, et chaque jour davantage.
Mais le recrutement intense -vous l'avez vu se développer le long de toutes les pistes- dissocie la vie indigène; les villages se désagrègent, les antiques coutumes périssent, le malheureux indigène transporté brusquement de sa case solitaire dans l'usine colossale, devenu un "matricule" sur un chantier, astreint à une tâche mécanique, impitoyable dans sa régularité, comment pourrait-il résister à un si brutal dépaysement ? L'âme naïve du Noir est troublée jusque dans ses profondeurs. Nous voulons en faire le support de notre organisation industrielle, mais notre civilisation matérielle est trop lourde pour lui ; il ne la soutient pas, il la subit, et elle l'écrase.

Cité par. C. Pervillé, l'Europe et l'Afrique de 1914 à 1974, Ophrys, 1994.
  







Réformer la domination coloniale


Doc : discours de Constantine d'Albert Sarraut
« [La] puissance coloniale [de la France] est un de ces éléments fondamentaux, dans le présent et dans l'avenir. Avec son domaine d'outre-mer, la France est une nation de cent millions d'habitants, riche d'incomparables richesses. Sa force militaire, c'est-à-dire sa sécurité, et son avenir économique, c'est-à-dire son indépendance, dépendent largement encore demain de ce potentiel colonial. Voilà donc ce qu'il faut analyser. Et le communisme français, qui, sur l'ordre de l'extérieur, se porte sur tous les points où s'articule notre vie nationale pour fausser successivement tous les rouages, désagréger les organes, rompre les assemblages, saboter les mécanismes de notre activité, s'est attaché spécialement, en ces dernières années, à essayer de briser les clés de voûte de notre grande œuvre coloniale.
Vainement, le groupement révolutionnaire qui s'acharne à cette besogne essaie-t-il de donner le change en invoquant un prétexte d'humanité, au nom duquel il prétend émanciper des colonies opprimées et des indigènes asservis. Stratagème trop grossier, dont il sait lui même que l'on ne peut plus être dupe. Car l'honneur de la colonisation française est précisément d'avoir totalement transfiguré l'esprit de l'entreprise coloniale, en la pénétrant du sens profond du droit humain. LA COLONISATION N'EST PLUS POUR LA FRANCE UNE OPERATION A CARACTERE MERCANTILE, ELLE EST ESSENTIELLEMENT UNE CREATION D'HUMANITE; si le colonisateur a le droit évident d'en recueillir de légitimes avantages, il considère -c'est la doctrine française- qu'elle n'est pas simplement un enrichissement universel, profitant à l'ensemble du patrimoine mondial, (,,,) à la fois la richesse morale et la richesse matérielle; cet enrichissement d'humanité doit être fait et poursuivi dans l'acceptation et avec la collaboration des races que le colonisateur gouverne et qu'il a pour premier devoir d'accroître en valeur et en dignité humaine.(...)


Albert Sarraut, Discours à Constantine, 23 avril 1927, le Petit Parisien.

La consigne :  à l'aide du document, éclairé et contextualisé par vos connaissances de cours, expliquez pourquoi Albert Sarraut veut une évolution de l'administration coloniale et montrez que son programme de réforme représente en fait une application stricte des principes qui ont justifié la colonisation.


Contester la domination coloniale


Doc : Extrait de la lettre du capitaine Khaled (Algérie) au président Wilson (Etats Unis) en 1919
(source : Guy Pervillé, L'Europe et l'Afrique, Ophrys, 1994, p. 25-27)

En vaincus résignés, nous avons supporté tous ces malheurs, en attendant et en espérant des jours meilleurs.

La déclaration solennelle suivante : « Aucun peuple ne peut être contraint de vivre sous une souveraineté qu'il répudie », faite par vous en mai 1917 dans votre message à la Russie, nous laisse espérer que ces jours sont enfin venus.
Mais sous la tutelle draconienne de l'Administration algérienne, les indigènes sont arrivés à un tel degré d'asservissement qu'ils sont devenus incapables de récriminer : la crainte d'une répression impitoyable ferme toutes les bouches.
Malgré cela, nous venons, au nom de nos compatriotes, faire appel aux nobles sentiments de l'honorable Président de la libre Amérique: nous demandons l'envoi de délégués choisis librement par nous pour décider de notre sort futur, sous l'égide de la Société des Nations. 
Vos 14 conditions de paix mondiale, Monsieur le Président, acceptées par les Alliés et les puissances centrales, doivent servir de base à l'affranchissement de tous les petits peuples opprimés, sans distinction de race ni de religion. 
Vous représentez aux yeux du monde entier le digne porte drapeau du droit et de la justice. Vous n'êtes entrés dans cette guerre gigantesque que pour les étendre à tous les peuples. Nous avons une foi ardente en votre parole sacrée. Cette requête est faite pour éclairer votre religion et attirer votre bienveillante attention sur notre situation de parias. 
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre haute considération.




2-



--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Une proposition de DS : analyse de documents

Doc 1 : Célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie
 En 1930 le centenaire de la prise d’Alger est l’occasion de célébrer les aspects positifs de la colonisation. A cette occasion de nombreux événements sont organisés par les dirigeants de la III° République en France et en Algérie.




Doc 2 : Les conséquences de la colonisation : l’exemple de la Mitidja.

La Mitidja est une plaine de 100 km de longueur et de 20 de largeur au pied de l’Atlas soit 120 à 130 000 hectares. En 1830 elle est en partie constituée de marécages dans lesquels sévit le palud. Elle souffre d’un excès d’eau en hiver et de sécheresse en été.
       
Travaux réalisés 
- 1860 : plus de 12 000 hectares sont assainis grâce à un réseau de plus de 200 km de canaux.
- 1930 : 22 000 ha assainis ; creusement d’une galerie souterraine de 2900 mètres sous le Sahel pour évacuer l’eau de la partie occidentale vers la mer.
- 1930 : 17 000 hectares sont irrigués, dont 7000 à partir de réservoirs, le reste à partir de barrages

Population en 1930 : 130 000 habitants dont 42 000 Européens.

Répartition de la propriété foncière en 1930 
- Exploitations détenues par les Européens = 110 000 ha.
- Exploitations tenues par les musulmans = 20 000 ha (contre 50 000 ha en 1917).




Consigne bac : En utilisant les documents et vos connaissances, vous montrerez les différences entre les représentations et la réalité de la colonisation en Algérie.
Aide à la mise en œuvre :
1-   Présentez le document en insistant sur le contexte.
2- Relevez dans le document 1 les éléments qui représentent la réussite coloniale sur le plan technique, économique et humain. Commencez par décrire : distinguez les différents plans de l’affiche, le paysage, les personnages. Trouver la correspondance avec les termes de la consigne (quel élément symbolise la modernité technique, la prospérité économique, l’égalité entre les hommes). 

3- Confrontez le document 1 au document 2 : la réalité correspond-elle à cette représentation ?

- Quels sont les éléments du doc 2 qui reflètent les travaux et la transformation de l’environnement ?

- Quels sont les éléments qui montrent les aspects négatifs de la colonisation ?


Sur le même thème, voir autre post du blog  : les sociétés coloniales (époque moderne)

Printfriendly