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dimanche 30 juillet 2023

Frontières, les cours de Didier Fassin au Collège de France

 la vidéo de la leçon introductive est accessible ici

Leçon 1

les 50 premières minutes sont consacrées à trois récits, récits fictifs mais inspirés par l'expérience de Didier Fassin résultant de 5 années d'enquête de terrain auprès des migrants/exilés/réfugiés. Ces récits sont simplifiés pour être exemplaires : une famille de migrants/exilés/réfugiés afghans qui traversent les Alpes depuis l'Italie, un groupe de maraudeurs qui cherche à venir en aide aux migrants et une patrouille de policiers surveillant la frontière. Dans ces récits, dit-il il est une protagoniste omniprésente et invisible : c'est la frontière "car elle n'est pas une simple ligne tracée sur une carte elle a une vie propre elle se meut et qu'elle soit montagneuse comme ici, ou maritime ou désertique comme ailleurs, elle violente, elle blesse, elle tue. C'est pourquoi c'est par ces géographies que je débuterai la prochaine séance".

R) le vocabulaire utilisé pour désigné le groupe des migrants change selon le point de vue. Le gouvernement français parle de migrants, eux-mêmes se nomment réfugiés et les humanitaires insistent sur le vocable d'exilés pour insister sur le caractère subi de la migration.

Sur ce sujet, une parfaite neutralité est illusoire et même pas souhaitable car la question de la frontière, en ce moment, pose des questions morales avec des enjeux politiques. Dans cette première leçon, Didier Fassin fait le point sur "d'où il parle".

 

Leçon 2

Etienne Balibar, Qu'est-ce qu'une frontière ?, 1997 (publication  et notes ) : il n'est pas possible de donner une def univoque de la frontière. C'est une notion complexe.

Les 5 dimensions de la frontière :

- une ligne déterminant la souveraineté sur un territoire. On ne peut donc la franchir qu'avec une autorisation. Il y a donc contrôle à la frontière.

Pourtant, dans le cas de la France, du fait de Schengen, il ne devrait plus y avoir de contrôle à la frontière : le traité créant l'espace Schengen, signé et par la France et l'Italie, ne prévoit que des dérogations temporaires (c'est la clause de sauvegarde) pour une durée allant de 10 jours à 6 mois si  accord des autres Etats membres, et ce en cas de menace grave pour la sécurité intérieure. Cette clause de sauvegarde a néanmoins été utilisée par la France à de nombreuses reprises, en 1995 ( éventualité de la circulation de stupéfiants depuis les Pays-Bas), en 1999 (pour s'opposer à la venue d'Italiens désireux de venir manifester à Paris dans un mouvement de soutien aux sans-papiers), en 2011 (pour empêcher des Tunisiens migrants d'entrer sur le sol français). Depuis 2015, arguant du danger terroriste, la France renouvelle tous les 6 mois cette dérogation. A la frontière italienne, particulièrement étudiée par Didier Fassin, la frontière intérieure est rétablie de facto et militarisée : actuellement 230 membres des forces de l'ordre gardent cette frontière alpine. A se demander si Schengen, contrairement à sa promesse d'un monde ouvert, ne sert pas uniquement à supprimer les contrôle sur les échanges de marchandises qui ralentissent le marché unique européen. Si bcp peuvent continuer à franchir cette frontière sans qu'on ne vérifie leur identité, sur la bonne foi de leur visage, de leur voiture, de la présomption qu'ils sont touristes, d'autres ne peuvent le faire qu'en s'aventurant dans la montagne à leurs risques et périls => la frontière est raciale : elle discrimine en fonction de l'origine. R) "Frontières raciales", c'est l'intitulé du colloque qui a accompagné cette première saison de cours.

- la frontière est aussi une zone = celle dans laquelle les contrôles peuvent être effectués. La loi fixe l'épaisseur de cette zone à 20 km au-delà et en-deçà de la ligne frontalière. Ce fut ajouté au code de procédure pénale dès 1993 donc "au moment où la vérification fixe et systématique devait être supprimée sur la ligne-frontière, le gouvernement instaurait un contrôle mobile et aléatoire dans la zone-frontière"  (Sara Casella Colombeau), ce pour quoi le gouvernement français fut par deux fois condamné par la Cour de Justice de l'Union Européenne qui considéra par deux arrêts en 2010 que la nouvelle procédure de contrôle  ne changeait pas fondamentalement la nature du contrôle aux frontières ce qui contrevenait donc aux dispositions de Schengen.

L'exemple de la surveillance des frontières française montre donc que paradoxalement, Schengen a renforcé les contrôles des frontières françaises avec deux dispositifs, l'un fixe, par dérogation, sur la ligne-frontière et l'autre mobile, par extension, dans la zone-frontière.

R) les frontières-point aux aéroports (et autour avec une auréole de 10 km) ont essaimé la frontière sur tout le territoire.


- la frontière est aussi une présence incorporée pour les exilés qui vivent constamment sous la menace d'un contrôle d'identité. "La frontière est cette chose que les exilés portent en eux", même quand ils ne sont pas dans les zones où les contrôles d'identité sont possibles. Pour eux, la probabilité du contrôle de police est constante et élevée. En plus du contrôle policier qui rappelle toujours la frontière (par la procédure de l'expulsion), les institutions mêmes du pays d'accueil opèrent ce rappel incessant de la frontière.


mardi 20 octobre 2020

Les frontières du royaume de France au Moyen Age

Résumé de l'article " Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières (France, 1258-1529)" de Léonard Dauphant, dans Entre idéel et matériel 


JP Genet a initié une énorme entreprise éditoriale d'une série d'actes de colloques ayant comme thématique commune le pouvoir symbolique en Occident (1300-1640), publiés conjointement par les Éditions de la Sorbonne et l’École française de Rome. Dans ce cadre, Entre idéel et matériel se focalise sur l'espace, dans une série de 5 colloques sur les vecteurs de l'idéel à l'échelle franco-italienne, et a été coordonné par Patrick Boucheron dont le travail sur les espaces du pouvoir à Milan est bien connu.

L'article s'ouvre sur une anecdote plutôt amusante que je livre in extenso

"Le 7 janvier 1410, le Lyonnais Imbert de la Chèze rend hommage pour sa terre de Molesole, sur les berges du Rhône. Il explique qu’autrefois, il était vassal du comte de Savoie quand son bien était en rive droite du Rhône. Mais le Rhône a changé de cours : Molesole est maintenant en rive gauche. La Chèze rend hommage au seigneur de Vaulx-en-Velin et devient donc arrière-vassal du roi de France. Quelle est cette étrange conception du pouvoir qui amène à rompre un hommage féodal à cause d’une crue du fleuve ? Transposée dans la région frontière entre Savoie et Dauphiné, nous avons ici une conséquence de la définition de l’État français par des limites fluviales : le royaume des Quatre rivières. À partir du XIIIe siècle, l’État français a cherché à donner une définition territoriale à son pouvoir, en se rattachant au souvenir du traité de Verdun (843) : la frontière est définie par une liste géographique, la mer à l’ouest, les Pyrénées au sud et quatre rivières à l’est, Rhône, Saône, Meuse et Escaut.



Entre 1258 et 1529 (ces dates sont des moments de redéfinition de la frontière), l'état capétien assure son pouvoir dans ce cadre territorial dont il revendique la pleine et entière souveraineté d'où le conflit avec le roi d'Angleterre, son vassal pour le duché d'Aquitaine. Pourtant, la monarchie a pris le contrôle de terres au-delà des limites du royaume telles qu'elle sont présentées ci-dessus. À la logique territoriale se superposent d’autres logiques, dynastiques (accaparer l’héritage angevin en Provence) et politiques (assurer la paix dans la vallée du Rhône, pour le Dauphiné). Le tournant est en fait 1349 : le Transport du Dauphiné donne un statut particulier à la principauté, achetée par le roi mais pas intégrée au royaume. Le pouvoir royal peut s’étendre mais le royaume est fixe. La pratique souple est ainsi renforcée par une représentation stable. À la fin du XVe siècle, les seigneuries frontalières, qui se sont construites de part et d’autre des rivières-limites, ont toutes des juridictions distinctes sur chacune des deux  rives.


Les Quatre rivières apparaissent ainsi comme une des définitions majeures du pouvoir capétien, qui permet de légitimer l’État royal face aux princes. Le discours des Quatre rivières est un discours d’État, énoncé d’en haut ou du "centre" contre les concurrents de la monarchie. Il fixe la limite du ressort de la justice royale (l'appel toujours possible à son parlement). Il impose une représentation générale qui ne prend pas en compte les réalités multiples du terrain et, de fait, rares sont les segments frontaliers effectivement fixés sur le cours des rivières. Il s’agit d’une stylisation, mais, en descendant à l’échelon local, trouve-t-on un véritable contrôle de la limite par le pouvoir central ou la limite est-elle une marge contrôlée indirectement ?

Trois cas concrets sont ensuite présentés car ils offrent trois degrés de domination de la limite : nulle (les Pyrénées) ou plus ou moins indirecte (le Roussillon et la Champagne orientale).

Dans les Pyrénées, il n'y a pas d'officiers royaux : Les communautés des vallées françaises et castillanes marquent leurs limites sur les crêtes et régulent elles-mêmes leurs conflits frontaliers selon des modes traditionnels. Ces communautés demeurent longtemps hors de portée des pouvoirs, castillans comme français. La frontière n'est tracée que sous Napoléon III. En revanche, à l'est, à la limite du Roussillon aragonais, la frontière est puissamment défendue par des forteresses françaises dès l'époque de Louis IX (St Louis). En Champagne orientale, dans le bailliage de Chaumont, la situation est encore différente. Le centre de contrôle royal est la forteresse et le péage d’Andelot. En retrait de la limite, il surveille une route qui est une des « issues du royaume » : depuis la fin du XIIIe siècle, la monarchie a organisé et sécurisé un itinéraire obligatoire pour les marchands, jalonné de péages. Ce seuil reste très en retrait de la frontière de Barrois et de Lorraine. Dans le bailliage de Chaumont, la monarchie n’est ni loin ni près : elle délègue ses intérêts locaux à une dynastie, les Baudricourt qui donne 6 baillis entre 1385 et 1516. La forteresse frontalière est privée, mais de fait au service du roi.


Ces situations diverses montrent un pouvoir plus intéressé par la défense de principes territoriaux généraux que par le marquage frontalier, surtout dans les zones les plus éloignées. Mais qu’en pensent les habitants de la limite eux-mêmes ? Pour eux, la limite est-elle une réalité, matérielle et idéelle ?

En Picardie, pays riche et densément peuplé, où le pouvoir capétien est très présent depuis ses origines, la frontière est polarisée par des seuils, souvent des arbres plantés au bord des grandes routes commerciales qui mènent de Paris aux villes des Pays-Bas. On s'intéresse ici à un exemple de délimitation entre le domaine royal et les fiefs puisque Artois et Flandres font partie du royaume (en revanche, sur la carte ci-dessous, on voit aussi la limite du royaume avec l'Empire)

A partir du XIe siècle, le Tronc Bérenger est le symbole de la frontière picarde. Situé entre Bapaume et Péronne, sur la grande route de Paris à la Flandre, près de l’abbaye d’Arrouaise, il délimite les conduits et accueille les rites de franchissement : Philippe Auguste y aurait épousé Isabelle de Hainaut en 1180 selon les Grandes Chroniques de France. À partir de 1202, l’arbre-frontière est doublé par le péage de Bapaume : ce passage devient une des issues du royaume, obligatoire pour les marchands. Aux XIIIe et XIVe siècles, le point est fréquemment pris pour la ligne : passer l’arbre signifie changer de pays. Selon un accord entre Louis VIII et l’avoué d’Artois, l’Artois est tenue du roi entre le cours de la Lys et le Tronc Bérenger (vers 1224). Plus tard, les coutumes du nord de la France définissent l’aubain (étranger) comme celui qui est « né outre le Tronc Bérenger». Cet arbre avait une épaisseur historique et mythique égale à celle des Quatre rivières, mais qui mêlait le sacré et le profane. Selon la Vita des saints Luglius et Luglianus, ces deux frères irlandais partis en pèlerinage d’Irlande à Rome sont martyrisés à Lillers en Artois (vers la fin du VIIe siècle ou au début du VIIIe). La Vita précise qu’ils ont été tués par trois frères bandits, Bovo, Exelmus et Berengerius, dont la tombe donne son nom à l'arbre-frontière.
En 1442, une enquête compile les tarifs du péage de Bapaume pour le duc de Bourgogne. L’enquête est précédée par un récit des origines : celui-ci insiste sur la forêt, dangereuse pour les marchands car repaire de voleurs, dont le fameux Bérenger. Les habitants auraient fait appel au comte de Flandres qui fit raser la forêt et construire la tour de Bapaume. Dans cette enquête ducale, les saints martyrs ont disparu, la mémoire de la frontière s’est sécularisée. Ce n’est plus l’abbaye qui pacifie la région, mais le comte de Flandre, héros civilisateur et prédécesseur de Philippe le Bon, qui rase la forêt et fonde Bapaume. Les officiers ont remplacé les bandits sur les lieux de leurs forfaits et les moines dans la transmission de la mémoire ; les abbayes ne sont plus que les sites des bureaux de douane. Mais c’est toujours autour du Tronc Bérenger que s’organisent l’espace et le temps, dans un vertigineux passage des origines féodales et monastiques à l’émergence de l’État fiscal moderne.

conclusion
Le roi de France capétien n’a pas l’auctoritas d’un empereur sans État, ni la potestas d’un roi de guerre : il choisit d’être empereur dans les limites de son royaume, soit une forme de pouvoir et une forme d’espace. Sa souveraineté est limitée en étendue, non en intensité. Sous François Ier, les Quatre rivières demeurent comme cadre mental mais passent au second plan : le roi de justice devient un roi de guerre, le paradigme de la potestas supplante celui du ressort de justice. La frontière se durcit. On est désormais plus sensible aux incohérences entre l’idée et le terrain. Mais un héritage est manifeste : le royaume a reçu une définition souple mais stable. Il est un cadre de pensée qui permet d’énoncer l’espace de la « nation France » : à l’évidence géographique répond alors l’évidence historique et politique.






















mercredi 1 avril 2020

sujet d'analyse de doc - Frontières


Les frontières : extraits de l’entretien avec Catherine Wihtol de Wenden, politologue et spécialiste des relations internationales, Commissaire scientifique de l’exposition Frontières à la cité de l’Immigration. (Oct 2015)

-          Vous dites dans votre dernier ouvrage que la frontière est un des attributs de la souveraineté de l’Etat. Pouvez-vous revenir sur cette relation entre Etat et frontière ?
L’Etat à travers la frontière contrôle sa population, ceux qui travaillent, ceux sur qui on va lever l’impôt et ceux à qui on impose le service militaire. Ce sont trois aspects régaliens très classiques : le contrôle de l’économie, la levée de l’impôt et ce qu’on appelle l’impôt du sang. […] Pendant très longtemps, les Etats ont donc été réticents à laisser sortir leurs nationaux […] mais aujourd’hui on a eu une inversion de la logique des frontières. Depuis les années 1990, les Etats ont compris qu’il était souvent plus intéressant pour eux de faire sortir leur population parce qu’ils peuvent en tirer un bénéfice comme les transferts de fonds voire exporter le chômage ou la contestation sociale. La frontière qui était fermée de l’intérieur est devenue frontière ouverte, en revanche le droit d’entrée est devenu de plus en plus difficile.
-          Comment la matérialisation des frontières et les formes de contrôle des frontières ont-ils évolués ces dernières décennies (par rapport au début du 20è siècle notamment) ?
On a dévoyé la frontière quand on s’est aperçu qu’elle n’était pas assez étanche. Depuis le système de Schengen, on s’appuie sur d’autres types de frontière, à distance par le système des visas dans les consulats des pays européens, par des accords bilatéraux de contrôle des frontières au sud et à l’est, avec des accords de re-admission des clandestins dans les pays d’origine. En fait, on a externalisé la frontière en dehors de l’Europe.  Mais on s’est aperçu que ça ne fonctionnait pas toujours car les pays en charge de contrôler pour l’Europe sa frontière extérieure ne sont pas stables : les révolutions arabes ont fait exploser les Etats sur lesquels on s’appuyait le plus. Cette logique de l’externalisation et de la délégation de compétence a trouvé ses limites.
-          Aujourd’hui, quelles questions posent les frontières ?
Aujourd’hui ce qui est en débat, c’est précisément la pertinence des frontières, parce que le monde est en mouvement. Nous sommes dans un monde fluide, un monde qui bouge et finalement on s’interroge parfois sur la réalité des frontières parce qu’on est dans une sorte d’interdépendance totale du monde. Aujourd’hui les informations, les capitaux, les biens de consommation, la connaissance circulent et les seuls qui ont des difficultés à circuler, ce sont les hommes et les femmes. Par ailleurs, la réalité des frontières a déjà été fortement battue en brèche à l’échelle européenne avec l’ouverture interne des frontières de l’Europe (on est en train de célébrer les 30 ans de Schengen pour la circulation interne des européens). [donc les équilibres entre ouverture et fermeture sont à revoir] Mais il y a des positions opposées et contradictoires entre les acteurs : un seul exemple, le patronat est pour l’ouverture des frontières, tout comme les associations militantes « no border » tout en étant opposés sur d’autres points. Au milieu de toutes ces contradictions, les Etats sont frileux à faire avancer le débat dans l’opinion publique, d’autant plus que l’extrême-droite a un peu posé les termes du débat dans l’opinion publique.
-          Est-ce que de nouveaux modèles émergent déjà ?
Le forum mondial « Migration et développement », dialogue de haut niveau promu par l’ONU, vise précisément à promouvoir un droit international à la mobilité. La stratégie de dissuasion et sécuritaire des pays d’accueil qui dure depuis 30 ans a échoué. […] Mais il manque encore les outils de gouvernance qui pourraient s’imposer aux Etats-Nation.

Après avoir présenté le document dans son contexte pour préciser les enjeux qu’il évoque, vous ferez l’analyse critique de ce texte afin de montrer et d’expliquer en quoi le débat actuel autour de la question des frontières vise à préciser son degré d’ouverture et/ou de fermeture.

dimanche 15 mars 2020

Les virus ignorent les frontières

Petite activité improvisée en urgence pour coller à l'actualité, dans le cadre du cours sur les frontières.


Ainsi, nous avons montré dans la partie 2 du cours qu'aucune frontière n'est hermétiquement fermée. L'exemple des pandémies en est une autre démonstration  liée à l'actualité.
La mondialisation des échanges renforcée à partir du 19e siècle sous l'effet de l'industrialisation et de la colonisation provoque l'extension spatiale des grandes épidémies.
Comme le montre cet exemple, celui de la grippe espagnole :
Relevez les explications apportées quant à la diffusion du virus de la grippe espagnole.
Retournons légèrement en arrière dans le temps : Pourquoi les Etats ont-ils été débordés par la grippe espagnole ?
D'après les explications de l'historienne Anne Asmussen (dans une tribune du Monde, 6 mars 2020. En gris les passages copiés/collés de son article) c'est précisément à cette époque, la 2e moitié du 19e s,  que les autorités sanitaires européennes tombent d'accord pour arrêter d'appliquer les méthodes jusque là antiquement utilisées contre les épidémies : la quarantaine dans les lazarets (faites une recherche sur le sens de ce mot).Ponctuant les crises cholériques, les conférences sanitaires internationales qui voient le jour en 1851 à Paris et dont une douzaine se tient jusqu’à la Grande Guerre, oeuvrent pour réguler, avec des moyens limités, le contrôle de la triade épidémique alors dominante : choléra, peste, fièvre jaune. Si elles sont qualifiées d’internationales, ces instances réunissant médecins et diplomates sont en fait dominées par les puissances européennes, alors préoccupées de leur expansion coloniale
Comme la peste et le choléra étaient endémique en Méditerranée, les vagues successives d'épidémies multipliant le blocage des ports, on dénonce alors ce système de protection comme étant inefficace (puisque les virus reviennent sans cesse), coercitif (puisqu'on forçait les gens à rester dans les lazarets qui étaient des mouroirs) et anti-économique (puisqu'on bloquait les ports).
Tandis que les nations européennes renoncent aux quarantaines en les remplaçant par l’« English System » – l’inspection à bord des bateaux, le dépistage individuel rendu possible à la fin du siècle par l’outillage sanitaire issu de la théorie microbienne, l’hospitalisation et le suivi de l’itinéraire des malades –, elles repoussent leur frontière sanitaire à l’extérieur. Alexandrie et Constantinople sont le siège des « Conseils sanitaires », incluant les Etats de la région qui s’imposent progressivement comme des acteurs de la sécurité sanitaire. Dans cet espace méditerranéen se forgent des pratiques de coopération internationale en matière de santé. De plus, il s'agit désormais d'aller lutter contre les maladies "à la source", c'est-à-dire dans les lieux d'origine des virus : par exemple pour lutter contre le choléra, les médecins européens recréent des lazarets où ils enferment les malades , non plus en Europe où ce n'est plus accepté, mais à La Mecque, lieu du pèlerinage international musulman et plaque tournante de la propagation Asie/Mediterranée des fièvres en tout genre. Autre exemple qui nous est plus connu : Au-delà du bassin méditerranéen, les immigrants européens qui, en masse, font le voyage transatlantique vers les Etats-Unis, doivent, à partir des années 1890, satisfaire à l’examen médical du port new-yorkais d’Ellis Island. A l’arrivée, ils subissent le triage sanitaire de l’« Inspection Line » en quête des maladies contagieuses, comme le trachome, qui leur vaudront exclusion du territoire, et des handicaps « susceptibles de rendre une personne incapable de gagner sa vie ». En fait,  les autorités
sanitaires américaines ont de fait très peu pratiqué l’exclusion pour raison médicale, mais c’est parce qu’elles ont aussi externalisé leur frontière sanitaire en assignant aux compagnies maritimes le soin de contrôler au départ la bonne santé des passagers.
Enfin, au  l’émergence de la notion de « porteur de germes », mise en valeur par le bactériologiste allemand Robert Koch en travaillant à la protection des militaires contre la fièvre typhoïde contribue cependant à remodeler en profondeur la définition de la frontière sanitaire. Cette nouvelle catégorie épidémiologique, qui désigne « les individus sains, capables de propager une maladie dont ils ne présentent pas de symptômes », éclaire des phénomènes de contagion jusque-là inexpliqués. Dans le cas de la typhoïde, elle réoriente les moyens de lutte anti-épidémique vers le dépistage des individus suspects, mis à l’isolement. Il n’est plus besoin de protection aux frontières puisqu'on comprend que les virus ne sont pas un danger extérieur, mais un danger déjà potentiellement présent dans la population nationale. Au moment de la grippe espagnole, les institutions internationales avaient renoncé à gendarmer l'espace de circulation des microbes.
=> est-ce que la fermeture des frontières (l'interdiction des entrées de voyageurs européens) comme vient de le décider Donald Trump sera efficace ?
Cliquez sur le lien pour accéder à l'article et visionner la vidéo : c'est ici
Quelle est l'erreur dans le raisonnement de Trump quand il explique pourquoi il ferme les frontières etats-uniennes aux ressortissants européens ?




Enfin, comment se questionner en citoyen de façon logique (video 26 mars 2020): 

mercredi 12 février 2020

La Guerre en Yougoslavie (1991 ‐ 1999)

Etude documentaire : La Guerre en Yougoslavie (1991 ‐ 1999) : 
Notions étudiées : Nationalisme, guerre civile, purification ethnique, génocide, minorité nationale, crime de guerre, TPI


Introduction : Les guerres de Yougoslavie sont une série de conflits violents dans les territoires de l'ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavie entre 1991 et 1999. Deux séries de guerres se succèdent, avec la chute du communisme en Europe et l'éclatement de la Yougoslavie. Cette guerre opposa différents groupes ethniques ou nations de l’ex‐Yougoslavie. Les guerres furent les plus meurtrières en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On estime que le bilan humain de ces guerres s'élève à 300 000 morts dont deux tiers de civils, s'accompagnant de 4 millions de personnes déplacées. Beaucoup des principaux personnages clés impliqués furent ou sont poursuivis pour crimes de guerre.

SI temps (mais on en a rarement), possibilité de projeter la vidéo suivante dans son intégralité -29 min- sinon à partir de 7 min 27 pour le siège de Sarajevo jusqu'à 22min 40 (doc 3)  : https://www.dropbox.com/home/VAL%20TSTMG%20Hist%20RI/documentation%20RI?preview=guerre+en+ex+yougoslavie+29+min.mp4


Quelles sont les causes et quelles sont les caractéristiques du dernier conflit majeur européen ?

Doc 2 : « L’implosion de la Yougoslavie (1991‐1999)  le réveil des nationalités  

Document 3 : Le siège de Sarajevo en 1992. Vidéo
Contexte : Après les opérations menées contre les Slovènes, puis les Croates, les Serbes portent la guerre en en Bosnie‐ Herzégovine, accentuant le processus de décomposition de la Yougoslavie. La capitale bosniaque, Sarajevo, est plus particulièrement visée.

Document 4. "Ce qui est reproché à Ratko Mladic" (infographie)
 


Doc 5 : caricature de Plantu après les accords de paix de Dayton (1995) sous l'égide des Etats-Unis d'Amérique (OTAN)





Questionnaire
1. A l'aide des documents 1 et 2, présentez les principales causes des conflits yougoslaves. Quelle est l'intention de Plantu dans cette caricature (document 1) ?
2. Qui sont les principales victimes de la guerre de Bosnie ? Justifiez votre réponse avec des éléments précis. (doc 3;4;6)
3. Quels  crimes de guerre ont été commis ? Qui en est responsable ? (doc 3;4;6)
4. Quels sont, d’après vous (cf carte 2) les buts de guerre des milices serbes ? *
5. Quelles sont les conséquences pour Ratko Mladic et Slobodan Milosevic ? La justice rendue permet-elle de régler définitivement les tensions entre les communautés ? (doc 4 et 5)

Vocabulaire : 

Nationalisme : Volonté d'un peuple d'obtenir ou de défendre une nation, c'est à dire un territoire appartenant à son peuple. Le nationalisme peut se traduire par une volonté de domination des autres peuples et peut entraîner des conflits.
Génocide : crime extrême qui consiste en l'élimination physique volontaire et programmée, totale ou partielle, d'un groupe national, ethnique ou religieux
Purification ethnique : Violences physiques (massacres, viols, pillages) et psychologiques pour chasser d'un territoire des populations considérées comme étrangères et homogénéiser la population d'une région.
Crime de guerre : Violation grave des lois de la guerre. Ceci inclut les cas où une des parties en conflit s'en prend volontairement à des objectifs civils (aussi bien humains que matériels) et les prisonniers de guerre.
Tribunal pénal international (TPI) : Tribunal chargé, à l'échelle mondiale, de condamner les crimes de guerres et les crimes contre l'humanité commis durant des conflits. Il se trouve à La Haye (Pays‐Bas).



*c'est la question principale si l'on donne cette étude dans la cadre du cours de 1ere SPE sur les frontières.

dimanche 22 septembre 2019

Et si les "grandes invasions" n'avaient pas eu lieu ?

Petit préambule :
1) J'adore le ton alerte des conférences de cet éminent médiéviste des débuts du Moyen Âge
2) J'adore ses objets et les thématiques qu'il explore
3) Ses démonstrations sont lumineuses, s'appuyant sur une incontestable érudition et un petit côté pop-culture irrévérencieux qui entraîne le public avec lui.


Dans cette conférence, vous apprendrez l'origine du Seigneur des Anneaux (les influences de JRR Tolkien sont bien connues pour être médiévales)



Mais surtout, entre 30 min et 45 min, c'est là qu'on entre véritablement dans le sujet : la localisation dans le nord de la Francie/ Belgique seconde des tombes guerrières que l'on identifiait comme barbares car grandes épées franques (spatha), des chaudrons avec de la bière, squelette de cheval et bijoux d'apparat en orfèvrerie cloisonnée de grenats pouvait faire croire à l'arrivée de nombreuses troupes venues de Germanie, amenant avec eux leurs traditions. Mais cette interprétation ne tient pas, je vous laisse découvrir pourquoi.
Le plus vraisemblable, d'après Dumezil, serait que les populations gallo-romaines ont changé leur référent culturel pour s'adapter à la nouvelle dynastie royale (Clovis et ses descendants), d'autant plus que se déclarer franc permettait d'être exempté d'impôt !



Une révision de mon cours s'impose.

La suite (partie III) est toute aussi intéressante puisque Bruno Dumézil fait, à grands traits, toute la généalogie de cette interprétation historique qui naît au 19es, celle des grandes invasions. Le passage sur les Allemands, l'érudition allemande et le germanisme et le Völkerwanderung permet d'avoir un contrepoint au roman national français qui se constitue à la même époque et donc un deuxième exemple à présenter aux élèves du rôle politique joué par l'histoire nationale au 19e siècle. (autour de 55 min)...puis vient un passage édifiant sur la présentation des barbares dans les manuels de la 3e République. C'est là que j'apprends que cette carte qu'on utilise tous, qui présente les invasions par de grandes flèches traversant toute l'Europe, a été forgée en plein moment revanchard, avec les arrière-pensées que l'on comprend sans peine.

Bref, un grand moment de révision de mes certitudes en plus d'une heure de conférence qui passe comme un éclair.

Je complète ce post avec l'article Barbaricum de l'encyclopédie Les Barbares dirigée par Bruno Dumézil.
Depuis les migrations des Cimbres et des Teutons vaincus par Marius à la fin du IIe siècle av. J.-C., puis les déplacements des Suèves d’Arioviste combattus par César en 58 av. J.-C., le monde germanique paraissait relativement stabilisé. Ces migrations avaient concerné des populations partant du sud de la Scandinavie, qui se heurtaient aux Celtes, tout en étant marquées par leur influence. L’origine de ce phénomène tenait probablement à un ensemble complexe de facteurs, climatiques, démographiques, voire culturels. On a évoqué un refroidissement climatique affectant la Scandinavie depuis le VIe siècle av. J.-C., mais son impact réel demeure discuté. On a également quelques difficultés à vérifier par l’archéologie l’hypothèse d’un éventuel surpeuplement de cette région durant la même période. On suppose parfois l’existence de rites obligeant les plus jeunes générations de guerriers à s’emparer de nouveaux territoires, qui rappelleraient les pratiques de certains peuples italiques. Ces migrations avaient abouti à l’établissement de tribus très morcelées, vivant au contact du limes. C’est d’ailleurs à cette même époque que les historiens antiques tels que Posidonios de Rhodes en 90 av. J.-C., puis César commencèrent à désigner l’ensemble de ces populations sous le terme générique de Germains. Pour César, il s’agissait également d’expliquer l’arrêt de l’expansion romaine sur le Rhin, alors que, de part et d’autre de ce fleuve, vivaient des tribus très marquées par la civilisation celtique. Au contraire, selon Strabon, contemporain des conquêtes augustéennes, les Germains étaient apparentés aux Celtes. Même après le ralentissement de ces mouvements de grande ampleur, les Germains restèrent soumis à des brassages constants, qui rendent très difficile l’individualisation de groupes particuliers dont on pourrait suivre l’évolution jusqu’au IIIe siècle. C’est ainsi que les distinctions topographiques ou ethniques opérées par César ne coïncident pas forcément avec celles de Velleius Paterculus, de Strabon, de Pline l’Ancien, de Tacite ou encore de Ptolémée au IIe siècle. Il y eut vraisemblablement des rassemblements qui se faisaient et se défaisaient autour de quelques lignages aristocratiques se réclamant d’ancêtres mythiques communs. Les chercheurs contemporains fondent plutôt leurs classifications sur l’archéologie et la linguistique. Désormais, les peuples barbares sont donc distingués les uns des autres selon des critères plus culturels qu’ethniques. Ils se seraient répartis dans trois grandes régions : les Germains du Nord ou Germains de la mer, Angles, Cimbres et Jutes en Scandinavie et dans le Jutland ; les Germains de l’Ouest, ou Germains de la forêt, entre le Rhin, le Danube et l’Elbe ; les Germains de l’Est ou Germains de la steppe, Bastarnes, Skires, Costoboques, Goths, Vandales, Burgondes et Gépides au-delà de l’Elbe. Ce sont ainsi les Germains occidentaux qui se trouvèrent les premiers au contact de l’empire romain. Dès le premier quart du IIe siècle de notre ère, les migrations reprirent en Germanie orientale, en suivant d’abord la même direction que le mouvement qui avait déjà conduit les Bastarnes, les Skires puis les Costoboques en Ukraine et sur la mer Noire au IIIe siècle av. J.-C. Les Vandales remontèrent la vallée de l’Oder pour s’établir en Silésie, Galicie et Slovaquie. Derrière eux, les Goths, sans doute repoussés des côtes de la mer Baltique par la famine et la surpopulation, remontèrent les vallées de la Vistule et du Dniestr, où ils se scindèrent en Ostrogoths et Wisigoths. Les Burgondes se dirigèrent vers l’ouest en direction des vallées du Main et du Rhin, tandis que les Gépides parvenaient sur le territoire actuel de la Hongrie. Ces peuples, surtout les Goths, étaient généralement plus puissants et plus unis que les Germains occidentaux, notamment grâce aux richesses tirées du commerce de l’ambre. En effet, les Goths accédèrent au rang de puissance militaire en fédérant les peuples divers qu’ils rencontrèrent. Les Germains orientaux repoussèrent donc les populations qui se trouvaient sur leur passage. Il s’agissait d’une part des nomades des steppes qui s’étendaient à l’est des Carpathes, généralement d’origine iranienne : parmi les Sarmates, qui avaient absorbé les Scythes, on distinguait les Roxolans entre le Don et le Dniepr et les Iazyges sur le cours inférieur de la Tisza et du Danube, déjà mêlés aux Bastarnes. D’autre part, le contrecoup de ces migrations fut d’autant plus ressenti à l’ouest que le territoire occupé par les Germains occidentaux avait sans doute vu augmenter la densité de son peuplement. La pression se fit donc plus forte sur le Rhin, sur les champs Décumates et surtout sur le Danube. Les frontières romaines furent ainsi franchies à partir de 166 apr. J.-C. Les Chattes pénétrèrent en Gaule Belgique, les Chauques pratiquèrent la piraterie à l’embouchure du Rhin, les Quades et les Marcomans parvinrent en Norique puis en Vénétie, les Carpes en Dacie, les Sarmates Iazyges franchirent le Danube, les Costoboques et les Bastarnes atteignirent l’Achaïe et l’Asie. La stratégie impériale s’avéra alors inadaptée aux moyens militaires romains et à la situation au-delà des frontières. Après avoir consacré une grande partie de son règne à repousser les incursions germaniques, Marc Aurèle aurait peut-être envisagé de résoudre la question barbare en établissant deux nouvelles provinces au-delà du Danube. Si tant est qu’il ait réellement existé, ce projet fut abandonné par Commode et, moyennant parfois le versement de subsides, la situation se stabilisa jusqu’au règne de Caracalla. Son règne correspondit en effet à l’émergence d’un nouveau phénomène : la formation de vastes coalitions de tribus germaniques. La ligue des Alamans, attestée pour la première fois en 213 à l’occasion des combats qui valurent le titre d’Alamannicus à Caracalla, regroupait ainsi des tribus installées dans les hautes vallées de l’Elbe et de la Saale. Étymologiquement, le terme alaman est en effet formé de l’adjectif « tous » et du nom « hommes ». Il s’agissait pour ces Germains du haut Danube de résister aux pressions des autres peuplades germaniques en s’emparant de nouveaux territoires. Quant à la ligue franque, elle se constitua pour des raisons similaires quelques décennies plus tard sur le cours inférieur du Rhin en rassemblant dans un premier temps les Chamaves, les Chattes, les Sicambres et les Bructères, dans un second temps les Usipètes et les Tenctères. Ils sont attestés pour la première fois dans la biographie d’Aurélien de l’Histoire Auguste (Vie d’Aurélien, VII, 1-2). Le terme « Franc » découlerait de l’appellation « hommes libres » ou de leur réputation de bravoure, voire de férocité. Dans d’autres cas, les adversaires nouvellement venus au contact de l’empire fusionnèrent avec les occupants précédents tombés sous leur domination et introduisirent des formes d’organisation politique et militaire plus efficaces qui en faisaient désormais des adversaires redoutables et imprévisibles. Au contraire, les peuples combattus jusqu’au règne de Marc Aurèle étaient plus connus des Romains et plus limités dans leurs moyens d’action. Or, le pouvoir impérial et les élites de l’empire ne semblent pas avoir pris nettement conscience de la gravité de ces menaces d’une ampleur inédite. La meilleure preuve en est que les Romains tardèrent à adapter leur terminologie à leurs nouveaux adversaires. C’est ainsi que, généralement, les auteurs anciens ne distinguèrent pas avant un certain temps les populations récemment parvenues aux frontières de l’empire de celles qui les avaient précédées. Goths, Vandales et même plus tard Huns continuèrent à être souvent appelés Scythes. La première attestation du nom Goth remonte au titre de Gothicus Maximus revêtu par l’empereur Claude II en 269, alors que les incursions de ce peuple en Asie Mineure et dans les Balkans avaient commencé dès 238. Certes, Pline l’Ancien avait déjà évoqué des Gutones dans son Histoire naturelle au Ier siècle de notre ère, mais les Romains du IIIe siècle s’avérèrent incapables d’opérer le rapprochement entre les deux. Cette attitude est révélatrice autant d’une conception fixiste des êtres et des choses que d’un complexe de supériorité culturelle profondément ancrés dans les mentalités gréco-romaines. En outre, la vision augustéenne d’un empire ayant atteint les limites du monde connu et utile avait fini par contaminer les connaissances géographiques du temps. En outre, les buts de guerre des Germains demeurèrent longtemps difficiles à appréhender par les Romains. En effet, au IIIe siècle, il ne s’agissait généralement pas de véritables conquêtes territoriales mais plutôt d’incursions prédatrices à grandes distances destinées à faire le plus de butin et de captifs possible. L’inscription retrouvée à Augsbourg en 1992 gravée sur un autel dédié à la Victoire (AE, 1993, 1231) mentionne ainsi plusieurs milliers de prisonniers italiens arrachés aux Juthunges sur le chemin du retour par le gouverneur de Rhétie Marcus Simplicius Genialis en avril 260. Elle témoigne de la capacité des barbares à pénétrer très loin de leurs bases jusqu’au cœur de l’empire et donc de l’inadaptation du système défensif des frontières. En outre, le caractère très mouvant de leurs organisations politiques, oscillant entre éclatement et fédération, ne permettait pas toujours au pouvoir impérial romain d’identifier des interlocuteurs fiables et représentatifs avec lesquels engager des négociations. Après un répit relatif entre la Tétrarchie et le règne de Julien l’Apostat, la conjoncture militaire se dégrada de nouveau aux frontières romaines à partir du milieu du IVe siècle. En effet, les incursions barbares n’avaient plus pour seul objectif le pillage : certaines populations extérieures aspiraient désormais à s’installer à l’intérieur de l’empire. Elles y cherchaient les ressources qui leur manquaient mais aussi la sécurité, dans la mesure où elles se sentaient elles-mêmes menacées par l’arrivée de nouveaux peuples sur leur propre territoire. C’était particulièrement le cas des Goths qui tentaient d’échapper à la pression des Huns apparus entre le Don et le Danube vers 360. Cependant, comme au siècle précédent, le pouvoir impérial semble avoir mal apprécié la gravité respective des différentes menaces auxquelles il se trouvait confronté. Cette incompréhension est à l’origine de l’écrasement à Andrinople de l’armée romaine par les Goths, le 9 août 378, et, le 31 décembre 406, du franchissement du Rhin par les Vandales, les Suèves et les Alains.

Proposition de séquence : 
Voici en PJ la frise chronologique que je donne aux élèves (frise avec questions que les élèves complètent avec les 30 premières minutes de cette autre conférence de Bruno Dumézil) : Les invasions barbares, la fin de l'empire romain

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