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samedi 13 mai 2023

Les premiers temps de l'Islam

Pour le cours de 1ere SPE HGGSP consacré au thème "Etat et religion", j'ai accumulé quelques fiches de notes sur l'Islam et le monde musulman médiéval, en me basant essentiellement sur le Coran des Historiens et des heures de conférences spécialisées que l'on peut trouver sur Youtube : ici  ( Dye le Coran et le problème synoptique et quelques questions sur les contextes du Coran ), ici (Amir-Moezzi évolution depuis les origines) ici (la leçon inaugurale de François Deroche au Collège de France) ou ici (Les Almohades), ici (le Coran des Pierres) par exemple.

Je partage par ce post mon plan de cours et les photos de mes notes, en espérant qu'elles pourront servir.

Lien vers une timeline que j'ai créée sur Genialy

Axe 2 : Pouvoirs politiques et pouvoirs religieux autour de la Méditerranée au Moyen Age 

I) Le Basileus et le Patriarche  III) L'occident entre Restauration impériale carolingienne et Réforme grégorienne

II) La question du pouvoir politique dans l'Islam des origines

1) Question complexe car :

- Muhammad annonce la fin des temps : L'Heure est imminente. Donc il n'y a pas de nécessité de penser un royaume musulman installé dans la durée. (encore qu'on trouve dans les Hadiths officiels une annonce de la succession des régimes jusqu'à la fin des temps : prophétie, califat selon la voie prophétique / "bien guidé", la royauté mordante / succession , la royauté imposée, retour du califat sur la voie prophétique)

- Muhammad ne prévoit pas de règles de succession => 3 siècles de guerres civiles (fitna) et de conflits de succession (ce point a été abordé lors des exposés)

- Muhammad ne vit pas l'expansion de l'Islam hors d'Arabie, la conquête de territoires étendus et la question de la conversion, ou pas (pour les Chrétiens et les Juifs), des populations à l'Islam. Cela a deux conséquences : Tout d'abord, la fin des temps se fait attendre et il faut s'adapter à la durée donc effacement autant que faire se peut des aspects eschatologiques. De plus, Muhammad s'inscrit nettement dans la tradition juive et chrétienne (Jesus Messie, mais pas fils de Dieu d'où le fait qu'il est appelé dans le Coran comme "fils de Marie") donc pas tant de différences que cela avec les communautés religieuses de l'empire byzantin.

R) cela pose le problème des temps de rédaction de la Sunna.

 








2) Il a donc fallu s'adapter = c'est ce que font les califes du 1er siècle de l'hégire et les premiers Omeyyades.

- L'influence byzantine

se mesure par le personnel de l'empire omeyyade qui reste en place et ne se convertit pas (dans un premier temps)

R) Cela explique en partie la facilité de l'imposition du pouvoir arabo-musulman sur ces territoires : l'empire sassanide était en phase de profonde décomposition. L'empire byzantin était affaibli par sa guerre contre l'empire sassanide, mais surtout les élites acceptent facilement la domination musulmane car elle en tire profit (autre exemple, le retour des Juifs à Jérusalem)

se voit par quelques signes extérieurs : cf le programme décoratif et iconographiques des palais du désert...

- l'islamisation de l'empire à partir d'Abd-el-Malik

Titre de calife et utilisation du mot "islam" pour désigner les croyants / Monnaie avec le texte de la sourate 112 


/ Dôme du rocher de Jérusalem

La version définitive du Coran est fixée (Coran attribué à Othman) et largement diffusée : le projet est d'accentuer les caractères propres de l'Islam pour le distinguer du judéo-christianisme + diluer les aspects apocalyptiques sans les renier : "En inscrivant sa profession de foi au cœur d’un complexe monumental qui préfigure l’apocalypse, ‘Abd al-Malik s’affirme comme le seul garant d’une foi islamique dont il définit l’orthodoxie. Ainsi les longues citations coraniques qui font référence aux chrétiens (BI) n’entendent-elles pas seulement réfuter le dogme de la Trinité, mais aussi mettre en garde contre l’éventuelle division de la communauté : les chrétiens, bien qu’ils aient « reçu la science », « se sont opposés les uns aux autres » (Coran 3 : 19) en raison de leurs divergences théologiques. Pour éviter que la fitna n’aboutisse à un résultat similaire, ʻAbd al-Malik invite les adeptes de sa religion à s’unir autour du dogme qu’il proclame. Avant même de se présenter, sur ses monnaies, comme le « lieutenant de Dieu » (khalīfat Allāh), il se veut le guide suprême des musulmans, celui qui permettra à tous les membres de la communauté – la umma mentionnée sur la porte orientale – de se présenter devant Dieu au jour du Jugement et de gagner leur salut éternel."

R) Certains historiens de l'Islam parlent d'Abd-el-Malik comme du véritable fondateur de l'Islam, de la même manière qu'on peut faire de Paul le fondateur du Christianisme.


3) Les contestations du pouvoir califal

- le Shiisme (vu en exposé)

   

     



2 études de doc :
La révolution abbasside
Une audience califale

 La mina, l’épreuve par laquelle le calife avait tenté d’imposer son autorité théologique contre les savants traditionalistes, achève de ternir l'image du calife abbasside.

- Un empire fragmenté et difficilement contrôlé => des califats concurrents
ex. Des Omeyyades à Cordoue après 750 / les Fatimides au Caire (969) / Le califat Almohade




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dimanche 16 avril 2023

Le christianisme évangélique : mutations et rapports au pouvoir politique

 En m'appuyant sur la série de 3 documentaires d'Arte sur les Evangéliques américains, je vous propose une fiche d'activité qui s'insère dans un cours de 1ere SPE HGGSP, thème Etats et Religions.


Le christianisme évangélique

 

I) Une diffusion mondiale récente

 = cas d'une église en expansion. Montrez en vous aidant des documents ci-dessous que cette expansion est le fruit d'une action volontariste et organisée.

 

Chronologie

1942 : création de la NAE (Association nationale des Evangéliques) aux Etats-Unis

1945-fin des années 1970 :

       campagnes mondiales d'évangélisation, nommées "Croisades", du pasteur Billy Graham : 185 pays visités en tout. A chaque fois, B. Graham réunit des foules dans des stades ou des gymnases. Par exemple, la plus grande = 1973 en Corée du Sud (3 millions d'auditeurs en 5 jours)

      Emission hebdomadaire aux Etats-Unis dans les années 1950 et 1960, "l'heure de la décision". 20 millions d'auditeurs/ semaine. + Il fonde le magazine Christianity Today et World Wide Pictures pour la production de films : cf "Welcome USA" sur un entrepreneur du pétrole converti par un télévangéliste interprété par Billy Graham lui-même et cf "Jesus" en 1979

1973 : 1er Congès international pour l'évangélisation mondiale à Lausanne (Suisse) : 2750 représentants évangéliques venant de 150 nations. 10 jours de conférences et élaboration d'une Déclaration de Lausanne, qui définit l'identité et la mission de l'Evangélisme.

1980's à nos jours :

       Développement des mega-churches. Actuellement plus de 2000 dans le monde, dont 1750 aux Etats-Unis

                                            


 Lakewoood (Colorado)


Brooklyn Tabernacle (NY)
 

       Nouveau chef : Jerry Falwell. Les évangéliques américains investissent dans la création de C.B.N. (Christian broadcast netwok) qui diffuse dans plus de 100 langues des programmes religieux. Ils possèdent plusieurs journaux (par ex. Charisma Media). Ils ont fondé des universités pour former leurs cadres dirigeants et les futurs cadres dirigeants des entreprises et des institutions US = Liberty University(1971-1985 ...) et Regent University (1977...). Des cursus sont disponibles totalement en ligne.

 


Carte : Une religion mondialisée

Dans le monde, un chrétien sur 4 est évangélique. L'église revendique 665 millions de fidèles. Une croissance de 30% entre 2010-2020

 


 

II) Les croyances, les rites et l'attittude morale

Il s’agit de montrer et d’expliquer que la forme évangélique du protestantisme est une manière de répondre aux défis de la modernité et de la globalisation.

 

      Une église née du protestantisme américain (les mouvements baptistes et anglicans puritains) mais qui s'en sépare. C'est pourquoi on entre dans l'évangélisme par un nouveau baptême ("born again")

 => une foi totalement christianocentrée : vivre dans l'acceptation de la présence en soi de Jésus, qui s'est sacrifié pour racheter les péchés. Entrer dans l'évangélisme est vécu comme un "reset", un nouveau départ qui garantit la vie éternelle.

 => une foi basée sur une lecture de la Bible (Ancien et nouveau Testament) : "La Bible ne doit pas servir seulement le dimanche (...) elle nous commande coment vivre, comment penser ..." (Michelle Bachmann, leader du Tea Party, une composante de parti Républicain) Tout est dans la Bible qui est infaillible = la lecture littérale du texte a fini par s'imposer au sein du mouvement. L’idée est que si tout change tout le temps dans le monde, le message de Jésus, lui , est éternel et immuable . D'où le développement du mouvement millénariste = dans l'attente de la fin du monde et du retour de Jésus.

 => une foi individuelle, qui réclame un engagement personnel (évangéliser) et qui se vit sur un mode charismatique (l'effusion de la grâce) => des rituels qui incitent à extérioriser la foi.

       Un fondamentalisme

Qui s’origine dans le SE des Etats-Unis (états de la Bible Belt). Contre la sécularisation, jugée pernicieuse et s’attaquant aux racines morales de la société du fait de la déchristianisation, il s’agit de régénérer la société en revenant aux vraies pratiques et aux vraies valeurs, qui sont censées être celles de la religion. Il faut restaurer le rôle dominant de la religion dans la société pour le contrôle social qu’elle permet. En rencontrant le littéralisme biblique, cette vision pessimiste d’un déclin de la société produit le fondamentalisme : il s’agit de restaurer le monde tel qu’il est pensé par les leaders évangéliques (de façon fantasmatique) = Dieu a créé l’Homme et la Femme donc la famille doit être traditionnelle, le sexe hors mariage interdit, l’homosexualité est un péché et doit être combattue. Toute vie est sacrée puisqu’elle est le véhicule de la foi en Christ donc les évangéliques reprennent dans les années 1970 le combat catholique contre l’avortement (mouvement pro-life). Le courant principal de l’évangélisme est donc un mouvement anti-libéral. Le capitalisme n’est pas en soi un problème (de grands capitalistes sont évangéliques) mais doit être moralisé…

 

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Doc.1 : une réflexion théorique à la fois sur la nature du fait religieux et sur ses recompositions

Extrait de l’article de Raphaël Liogier, RECOMPOSITIONS RELIGIEUSES DANS UN MONDE GLOBAL THÉORIQUEMENT SÉCULARISÉ, Karthala« Histoire, monde et cultures religieuses » 2015/2 n° 34 | pages 131 à 146

 « [...] Il existe aujourd’hui une nouvelle dynamique mythique générale, un métarécit émergeant en phase avec la globalisation–l’individuo-globalisme–qui refond progressivement les traditions religieuses dans son moule imaginaire. Cette culture croyante, apanage des mouvements New-Age très minoritaires dans les années 1960, est progressivement devenue, par euphémisation successive de ses aspects les plus excentriques [...], la culture croyante dominante des sociétés industrielles avancées. La progression constante des valeurs de bien-être dans les enquêtes des valeurs européennes depuis les années 1980 ne démontre pas autre chose : c’est l’ensemble de la société qui s’est « newagisée » […]. Le New-Age généralisé, aseptisé dans le langage du développement personnel (polarité individuelle) connecté au développement durable (polarité globale), autrement dit l’individuo-globalisme, se traduit dans des styles de vie, des choix alimentaires, des comportements, des orientations politiques. Le champ religieux s’est progressivement recomposé sous l’emprise de cette force [...]

Le charismatisme est l’expression la plus émotionnelle de l’individuo-globalisme, l’émotion se caractérisant par la négation du temps (négation de la progression par étape, par degré), au profit d’une grâce immédiate, conférée sans effort, dans l’effervescence du moment. Il s’agit bien pourtant dans le charismatisme du même mythe, celui de la profondeur abyssale des ressources individuelles, et de la puissance d’un monde sans limites, où tout est possible. Même dans les mouvements évangéliques, dépendant de la tradition chrétienne et devant donc se référer à elle, Dieu finit par s’apparenter à une puissance énergétique qui traverse l’adepte et lui permet de se reconnaître lui-même, de prendre conscience de sa puissance productive. Ce Dieu vivant à travers Jésus recharge l’adepte en situation de transe, et lui permet de se connecter à ses semblables ainsi qu’au monde entier. D’après Paul Heelas, d’ailleurs, les spiritualités d’inspiration New-Age et le théisme émotionnel contemporain participent de la même dynamique. Leur point commun serait le facteur HS. HS comme Holy Spirit (Esprit Saint, pour les théistes néo-évangéliques) et comme Higher Self (Soi Supérieur, pour le New-Age au sens large). Dans les deux cas, il y a sanctification de la force de vie qui est mystérieusement lovée dans l’intimité de l’être. La surprésentation des populations les moins nanties dans ces mouvements émotionnels n’est pas très étonnante. L’émotion permet par excellence de sublimer la frustration matérielle. Par ailleurs, et c’est là toute la force du charismatisme, les signes attendus et promis par ces épreuves émotionnelles, sont d’abord matériels, financiers. Ce n’est pas la santé supérieure, un mental libéré, une créativité accomplie, qui sont promis et attendus en priorité, mais la richesse matérielle, la sortie du ghetto, de la précarité, une prospérité offerte, fruits immédiats de la foi. […]. Lorsqu’aucun horizon rationnel d’amélioration de la condition économique n’est plausible, lorsqu’aucun effort ne semble pouvoir permettre de sortir d’un tunnel opaque dont le bout n’est pas perceptible, il ne reste plus que la transe, l’abandon et la foi dans le don d’une prospérité immédiate. C’est encore cependant l’individu qui est la priorité, sa réussite personnelle, mais avant tout matérielle contrairement au spiritualisme […] Ce ne sont pas toujours les plus démunis qui adhèrent à cet évangile de la prospérité, mais ce ne sont jamais, néanmoins, les classes supérieures économiquement, ni les créatifs culturels. L’Église pentecôtiste Hillsong, étudiée par Marion Maddox, issue des Assemblées de Dieu, implantée à Sydney et qui a des ramifications mondiales, est un réseau religieux pentecôtiste adapté aux classes moyennes, dont les leaders ont poussé à son paroxysme la sacralisation de la prospérité matérielle.[...]

Le fondamentalisme ne se définit pas forcément contre l’Occident, comme en témoigne l’existence d’un fondamentalisme nord-américain qui entend au contraire le sauver. Comme tous les mouvements réactionnaires, il vise à protéger la « tradition » contre un mal omniprésent. Le fondamentalisme s’alimente au sentiment de faiblesse, d’injuste oppression, et se traduit toujours par une certaine paranoïa, la perception d’un complot, voire chez certains individus, dans une version plus pathologique, par des délires de persécution. C’est en tout cas la traduction d’un manque qui touche l’identité, et qui entraîne une réaction de retranchement vers des origines reconstruites, vers des racines, une communauté, et le désir de redresser le monde.

[…] Les tendances charismatistes peuvent être aussi mobilisées, comme les Églises évangéliques qui se développent surtout en Amérique latine et en Afrique subsahariennes, qui peuvent servir de réseaux d’influence de la politique américaine. Dans ce cas, le soft power religieux se met au  service d’un État, en l’occurrence les États-Unis d’Amérique. Nous avons aussi des leaders charismatistes musulmans, en Égypte avec le télécoraniste Amr Khaled et en Indonésie avec Aa Gym,ou des leaders spiritualistes comme le néo-soufi pakistanais anti-taliban Tahir ul-Qadri, à l’influence politique planétaire. Là encore, il existe aussi de nouveaux leaders qui eux opèrent sur la marché de la terreur –tels que l’hypercalife globalisé Abou Bakr al-Baghadi– qui savent susciter l’horreur des élites des sociétés industrielles avancées et, symétriquement, attirer les populations qui éprouvent des sentiments d’humiliation, de frustration sociale, et cherchent sur toute la surface du globe une occasion de revanche violente.

[...] Terminons en évoquant les révolutions arabes dont l’événement déclencheur superficiel fut l’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, d’un bachelier tunisien au chômage. À peine plus d’un mois plus tard, le président Ben Ali dut fuir comme un voleur son palais présidentiel. Il était pourtant considéré comme un dictateur inébranlable, dont le pouvoir reposait sur un système clientéliste parfaitement huilé en interne, et le soutien des grandes démocraties occidentales en externe. À la suite de ces événements tunisiens, d’autres dictatures arabes ont été renversées ou ébranlées, en Égypte, en Libye, dans le Golfe Persique. Un vent de liberté a soudain soufflé sur l’ensemble du Moyen-Orient. Puis, comme dans toutes périodes transitoires, il y eut les lendemains qui déchantent. Les partis islamistes, en particulier issus des Frères musulmans, ont naturellement réussi à récupérer les dividendes électoraux de leur statut de résistants pendant la période de dictature. Ce qui provoqua immédiatement l’inquiétude dans certains milieux « laïques » occidentaux qui ont cherché à présenter ces victoires électorales islamistes comme l’expression de la guerre des civilisations. Pourtant, comme on le voit en Tunisie, sur le terrain, les choses ne sont pas si simples. La position des islamistes est fragile, parce que même s’ils restent une des forces les plus structurées dans cette période tourmentée, ils ne sont pas à l’origine de la révolution. Et ils n’ont pas réussi à la confisquer. L’instabilité actuelle est bien d’ailleurs le signe qu’aucune reprise en main n’a été possible. L’instabilité est le signe d’une véritable révolution, qui peut se traduire par des périodes très difficiles, parfois d’une grande violence, comme au lendemain de la Révolution de 1789, en France. Le point commun des grandes révolutions, c’est qu’elles ne sont pas le produit des événements qui les ont déclenchées officiellement, mais d’une transformation profonde de la structure des désirs. En 1789, la bourgeoisie qui détenait une part de plus en plus importante du pouvoir économique ne pouvait plus accepter les privilèges politiques et symboliques de la noblesse. En 2010 au Moyen-Orient, la nouvelle classe bourgeoise émergente, cultivée, branchée sur internet, avide de réussite économique et sociale, ne pouvait plus supporter les privilèges écrasants de la classe sociale gouvernante. C’est ce qui explique, après l’exemple tunisien, qui sonne comme un sifflet de départ, la réaction en chaîne dans l’ensemble de la région. Dans le grand bain informationnel, dans lequel chacun se raconte, transfère, partage des images et des histoires, à travers les réseaux sociaux tels que Facebook, les désirs se concentrent plus vite, plus intensément, et produisent plus vite des effets sociaux, voire politiques. S’il y a aujourd’hui risque de collision, de violence, ce n’est pas entre des civilisations enracinées sur des valeurs millénaires, mais entre des espaces déterritorialisés de désirs.

Questions pour guider dans la lecture de ce document

Lignes 1 à 12 : elles expriment la thèse de l’auteur. Une nouvelle représentation mentale (il dit « meta-récit ») de la place de l’individu dans les sociétés s’est forgé dans les années 1960 et a irrigué toutes les formes de pensée actuelles, y compris la religion : l’auteur parle de New Age ou d’individuo-globalisme pour qualifier cette nouvelle représentation. A la ligne 24/25, il le nomme ……………………………..

Repérez la structure du texte. Dans un premier temps, il explique comment, selon lui, ce New-Age a créé une tendance charismatique dans la religion (lignes …… à ……..) puis comment il peut aussi permettre d’expliquer le fondamentalisme (lignes ……..à ……….) C’est l’aspect individualisme du « New Age »

 A partir de la ligne 50, l’auteur élargit le spectre de son analyse au monde entier et à d’autres mouvements que le mouvement évangélique. Il montre comment les mouvements religieux en expansion s’appuient sur la globalisation médiatique (quels exemples ? …………………………………………………..…) C’est l’aspect globalisme du « New Age »

Lignes 61-91 : à travers son analyse des Printemps arabes et de leurs suite, l’auteur cherche à montrer comment ces mutations des désirs individuels (réalisation de soi, désir de réussite sociale, revendications des droits) touchent en profondeur les sociétés, même non-occidentale. Il parle de « révolution » des désirs. Son propos est de dire que cette révolution à l’œuvre est mal, voire peu captée, par les mouvements religieux fondamentalistes.

 

Reprenons plus en détail. L’auteur fait une typologie des formes que peut prendre l’individuo-globalisme

Ligne 13 ; 20-22 ; 25-26 ; 41 : comment le charismatisme est-il défini ?

Ligne 26-38 : qui sont, d’après l’article, prioritairement les adeptes de ces mouvements charismatiques ? Pourquoi ?

Ligne 44 : comment le fondamentalisme est-il défini ?

Lignes suivantes : quelles motivations individuelles pousseraient à adhérer à une vision du monde fondamentaliste ?

 

Le point commun de ces deux approches, si l’on en croit l’auteur, serait donc que ces mouvements prospèrent en mobilisant les frustrations d’individus qui n’acceptent pas le monde tel qu’il est, du fait de leurs propres difficultés. La religion leur donnerait un moyen de peser sur le monde et de transformer (ou de l’espérer) leur propre « être-au-monde ». C’est une explication psychologique du phénomène religieux évangélique.

 

 Doc 2 : Le Brésil de Bolsonaro, un pays fracturé (vidéo dans Pearltrees. Vous pouvez passer les passages où ne s’expriment pas les partisans de Bolsonaro)

Comment les Bolsonaristes expliquent-ils leur engagement dans la droite conservatrice ?

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Doc 3 : un exemple historique de ce qu’est le fondamentalisme : le procès « du singe » et le créationnisme.

Voir les documents dans le dossier Pearltrees. Il s’agit d’une activité de manuel

Quelle est l’attitude fondamentaliste face à la science ?

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Comment les fondamentalistes agissent-ils pour faire triompher leur point de vue ?

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III) Le lobbyisme politique 

 Doc 1 : Le Brésil de Bolsonaro (vidéo)

Quelles sont les politiques suivies par le gouvernement de Bolsonaro ?

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Le mouvement évangélique américain a des proximités anciennes avec le pouvoir politique. Ainsi, Billy Graham était très ami avec le président républicain Eisenhower (1950’s) et avec le président républicain Nixon (fin 1960’s-début 1970’s). Mais c’est surtout à la fin des années 1970 qu’a lieu le grand tournant et l’activisme politique des évangéliques traditionnalistes de droite (paradoxalement alors que le président en exercice, Jimmy Carter, était un évangélique, mais libéral et du parti démocrate)

 

Les évangéliques appuient le candidat Ronald Reagan (Républicain) -1981-1988-. Ils revendiquent être la « majorité morale ». Ils occupent la rue avec leurs manifestations pro-life (anti-avortement). Ce combat va ensuite s’élargir à d’autres combats (« les 7 montagnes ») pour prendre le pouvoir spirituel non seulement aux Etats-Unis, mais partout où l’évangélisme de droite se répand dans le monde = il s’agit de devenir des leaders d’opinion dans le divertissement et la culture populaire, l’éducation, la famille, le gouvernement, le monde des affaires, et bien sûr la religion. En 2000, ils font élire G. Bush (2001-2009, Républicain) qui manifeste clairement sa proximité avec les idées évangéliques. En 2016, ils votent Trump à 81%. En 2018, ils contribuent à l’élection de Jaïr Bolsonaro au Brésil et de Scott Morison en Australie. Trump va donner des gages aux évangéliques de droite pendant tout son mandat. Il participe à une marche pro-life et nomme 3 juges ultra-conservateurs à la Cour Suprême (ce qui permet à celle-ci en 2022 d’annuler l’arrêt Roe -vs-Wade faisant de l’avortement un droit constitutionnel). Il fait transférer l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem avec la présence de sa fille à l’inauguration. Il nomme un directeur de la foi dans chaque ministère et dans chaque agence gouvernementale. En 2019, il active le veto des EUA à l’ONU contre un projet de résolution présenté par le docteur congolais Denis Mukwege pour faciliter l’accès à l’avortement aux femmes violées pendant les guerres.

 

Pourquoi vouloir contrôler le pouvoir politique ?

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mercredi 15 mars 2023

Proposition pour une introduction générale au thème de 1ere HGGSP "Etats et Religions"

 Le thème se propose d'étudier les rapports entre Etat et Religion.

Ces rapports peuvent être théoriquement et logiquement de plusieurs sortes :

  • deux pouvoirs distincts et qui s'ignorent. Ils agissent dans des sphères différentes de la vie.  Classiquement, on parle du pouvoir temporel (ou séculier) pour le pouvoir politique et du pouvoir spirituel pour le pouvoir religieux. Le pouvoir temporel s'exerce dans le cadre de notre vie quotidienne par des prescriptions organisant notre vie sociale (la loi, le droit). Il a une autorité qu'on lui a conféré (du moins en démocratie). Le pouvoir spirituel s'intéresse quant à lui au Salut de nos âmes* et cela a plusieurs conséquences

- le pouvoir spirituel définit une morale ("Bien vivre") qui implique des prescriptions organisant elle-aussi notre vie sociale. Pour cette raison, *dans l'Histoire et dans les territoires que l'on va étudier (monde occidental et méditerranée essentiellement), le pouvoir spirituel est rarement complétement séparé du pouvoir politique puisque les deux pouvoirs ont la même prétention = diriger, gouverner les Hommes.

- Les sociétés laïques sont donc historiquement les seules à avoir tenté (réussi ?) la séparation des pouvoirs temporels et spirituels.

- Le pouvoir spirituel dispose d'un autre type d'autorité que le pouvoir temporel. Le pouvoir temporel a une autorité qui dépend de nous puisqu'il est politique, alors que l'autorité spirituelle est généralement transcendant : elle revendique pour elle-même venir de Dieu et s'exprimer à travers ses représentants sur terre. On peut par simplicité parler d'une autorité horizontale (interne à la société humaine) pour le pouvoir politique et d'une autorité verticale (descendant de Dieu vers la société humaine) pour le pouvoir spirituel.

  • deux pouvoirs distincts et qui coopèrent, essentiellement pour se renforcer (et il faut se poser la question de quel pouvoir en profite le plus = qui influence qui et comment ?, qui "manipule" qui ?)
  • deux pouvoirs distincts et qui s'affrontent (et il faut se poser la question de qui l'emporte sur l'autre et pourquoi)
  • deux autorités qui sont fusionnées au sein du même pouvoir

rappel : "pouvoir" et "autorité" 

L'autorité est la faculté d'être  obéi. Il s'agit alors de reconnaître à quelqu'un ou à une institution une légitimité à imposer ses décisions. Le pouvoir a un rapport à la puissance : il s'agit de la capacité, légitime ou pas, d'imposer ses décisions.

Définir l'Etat = l'État peut être considéré comme l'ensemble des pouvoirs d'autorité et de contrainte collective que la nation (communauté organisée sur un territoire) possède sur les individus en vue de faire prévaloir ce qu'on appelle l'intérêt général (ce qui est bon pour le plus grand nombre). Il est dirigé par une autorité politique (= élue ou non, qui légifère). Il dispose d'instruments (la "puissance publique") qui imposent les contraintes = justice, police, administrations diverses et variées.

Définir Religion

C'est là que ça devient plus compliqué (par ex, la différence entre spiritualité et religion). Les exposés nous ont montré plusieurs choses. Par delà les différences :

  • Une religion est un sytème organisé de croyances. Ces croyances s'articulent autour de l'existence d'une (ou plusieurs) divinité.s, doté.es d'une capacité d'intervention dans notre monde physique (créateur du monde etc.)
  • Une religion répond, grâce à ces croyances à des questions existentielles : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Que devenons-nous après notre mort ? ...
  • Toutes les religions sont prescriptives, c'est-à-dire qu'elles proposent/imposent au croyant des règles de conduite, plus ou moins contraignantes et plus ou moins codifiées.
  • De la religion découle donc des institutions plus ou moins structurées (on parlera par simplification d'"Eglise") qui visent à encadrer les pratiques et les conduites des fidèles par des rituels, des normes, un discours sur la morale (le Bien, le Mal ...)

Ainsi, il y a une prédisposition, que l'on vérifie historiquement, à la supériorité de l'autorité spirituelle sur l'autorité temporelle. Cependant, récemment" et initié par l' Occident , on a assisté à un processus de sécularisation qui tend à réduire l'autorité spirituelle des Eglises en les cantonnant à une sphère "privée" (Leçon 1). Par ailleurs, les Eglises ont souvent eu moins de pouvoir que les Etats et les rapports entre les deux ont pu être conflictuels (Leçon 2). Pour autant, le potentiel d'influence et d'autorité des Eglises reste fort et nous verrons (Leçon 3) que les Etats ou des groupes politiques instrumentalisent de nos jours les religions au service de la politique.

mardi 23 juin 2020

Les miroirs des princes au Moyen Age

 Un point sur les Miroirs des princes qui se base principalement sur la lecture du livre de Michel Sennelart, Les Arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Seuil, 1995.

Pour comprendre ces textes dédiés aux rois et aux princes et présentés comme des "manuels de bon gouvernement", il faut remonter aux principes de ce qui fonde la communauté chrétienne. En tant que chrétiens, la recherche en soi de la ressemblance divine qui doit conduire la vie du croyant rend les individus en société parties prenantes d'une communauté d'un type nouveau par rapport aux communautés politiques antiques. Les premiers auteurs chrétiens présentent la chose ainsi : "Ceux qui vivent selon la religion n'ont pas besoin que des magistrats les corrigent" (Jean Chrysostome -v.354-407). À la crainte qui régit les relations humaines dans la cité impériale s'opposait le libre choix dans la communauté des croyants, l'Eglise. Non qu'elle forme une communauté parfaite, mais le désordre s'il y survient, doit être corrigé sans violence, par la persuasion. Car l'Eglise est composée d'égaux, pensés comme libres et maîtres d'eux-mêmes et dont le gouvernement ne peut que s'appuyer sur la volonté. C'est le principe du libre arbitre, dont Pélage fut le principal promoteur (v.350-v.420). Cependant, avec St Augustin, qui s'est opposé aux disciples de Pélage, l'homme est aussi vu comme marqué du péché originel et donc portant en lui une corruption consubstantielle qui détruisit la liberté totale accordée par Dieu au premier homme, Adam : concupiscence et désirs sont une maladie de l'âme et une rébellion de la chair qui empêchent la volonté de s'exercer librement. Le chrétien n'a  donc d'autre choix que celui d'obéir strictement aux préceptes de Dieu, sa discipline. L'Etat a donc un rôle à jouer dans cette discipline des corps et des âmes en vue du salut et aucun chrétien ne peut vivre une vie autonome. C'est donc sur ces bases que l'institution ecclésiale a pu penser, en termes de violence nécessaire, les conditions d'un regimen chrétien. Il faut comprendre le regimen comme une modalité d'un gouvernement qui s'apparente à la gouvernance (le prince doit diriger, conduire sur la voie) et non comme la pratique simplement d'une domination.

J'en viens donc au Miroirs des princes.

Ces textes apparaissent quand des Etats se reconstituent et que le pouvoir temporel (le roi) s'affirme face au pouvoir spirituel (l’évêque, l'Eglise). Pourtant, il sont le fruit d'une évolution qui peut sembler à première vue paradoxale. En effet, l'enseignement des Pères de l'Eglise fut rassemblé aux VIIIe-IXe siècles par les auteurs carolingiens à l'intérieur de la doctrine, originale et cohérente, du ministère royal : absorption du droit naturel de l'Etat dans la justice chrétienne, subordination du pouvoir séculier à l'autorité sacerdotale. La royauté est désormais conférée par l'Eglise. Elle devient un office. Loin d'humilier le prestige du roi, cette conception relevant de ce que l'on appelle l'"augustinisme politique", a contribué à le renforcer fortement en lui conférant une dimension sacrale, par la grâce de l'onction. Le gouvernement qui consistait , pour le roi, à corriger, juger les récalcitrants et à protéger les autres, va impliquer la tâche de conduire également son peuple. De même, la "direction" qu'il organise va progressivement s'enrichir, à partir de sa mission de permettre le salut des âmes, du concept de salus publica, le Bien commun, qui a des finalités explicitement terrestres.

Les premiers "Miroirs" médiévaux sont donc carolingiens (Via regia de Smaragde de Saint-Mihiel vers 813, probablement dédié à Robert le pieux, semble être le premier) mais il faut noter que ce genre de textes politiques à destination des gouvernants n'est pas non plus complètement nouveau. Dans l'Antiquité aussi, la Cyropédie de Xenophon est un modèle dont les humanistes italiens se ré-empareront. Au Moyen Age, on trouve des textes de ce genre aussi bien au Nord (Speculum regale pour le roi norvégien Hakon le vieux avant 1263) que les Règles de conduite du gouvernant dans le monde arabe à partir du VIIe jusqu'à Ibn Khaldoun au début du XVe s. Le genre s'étoffe à partir du XIIe siècle, avec par exemple, le Policraticus de Jean de Salisbury.
Le terme de "Miroir"/Speculum n'est pas utilisé systématiquement. Il désigne des textes qui offrent au roi un idéal de justice et de bonté, censé correspondre au bon gouvernant, dans lequel le prince réel va puiser un modèle et chercher à conformer son image. Le roi lui-même peut être le miroir vivant dans lequel se reflètent les vertus qui sont enseignées dans les textes. Le roi chrétien use donc d'une autorité déléguée par Dieu. Il a pour tâche essentielle de protéger ses sujets et ils les protège d'abord dans la mesure où il règne justement, afin de les protéger de la tyrannie de leurs propres désirs. Pour cela, la foi est un pré-requis qui doit s'accompagner de la sagesse. Le roi est sapiens et litteratus, instruit en histoire et en droit, par exemple. Remarquons au passage que, quand les Italiens, aux XIV et XVes critiquent les rois de France, ils insistent sur l'ignorance des rois de France. C'est le cas par exemple de Pétrarque qui a eu l'occasion de rencontrer personnellement plusieurs rois de France et qui exprime des jugements sévères, sur Philippe VI par exemple. (Voir Patrick Gilli, Au miroir de l'humanisme. Les représentations de la France dans la culture savante italienne à la fin du Moyen Age, Ecole française de Rome, 1997, p.54 sqq.) 
De livre en livre se constitue un schème de propagande qui concilie les exigences nouvelles de la gestion de l'Etat territorial avec l'éthique sacerdotale de la royauté ministérielle. La vertu du bon gouvernant doit contrebalancer sa colère, sa violence, sa superbe et le Miroir lui indique comment moraliser sa force. L'utilité publique doit être le but du prince : en veillant à l'intérêt de chacun et de tous, le prince dirige (i.e. embarque tout le monde sur le bon chemin) en s'efforçant de maintenir dans le meilleur ordre la communauté humaine. Chez Jean de Salisbury, il domine ses sujets comme la tête dans le corps, commande aux membres, et bénéficie de privilèges qui font resplendir la hauteur de sa fonction. Ceci lui est dû à bon droit, puisque sa volonté ne saurait s'opposer à le justice. De là vient qu'on le définit habituellement comme la puissance publique et comme l'image, en quelque sorte, de la majesté divine. Le prince est transfiguré par son identification avec la loi, laquelle est un invariant, inscrit dans l'ordre même des choses voulu par Dieu.
Cependant, le renouveau du Droit latin à partir du XIIIe tend à s'opposer à cette vision d'un pouvoir royal immuable contraint par les lois de nécessité. Au nom d'une nécessité supérieure, qu'elle soit la défense du royaume, l'intérêt même du prince, les juristes créent un espace d'exception où va progressivement germer l'idée de raison d'Etat, dans laquelle le prince est au-dessus de la loi. Le concept moderne de l'Etat, qui suppose la suprématie de la puissance législative du prince sur une communauté territoriale, naît précisément au moment où s'épanouit les Miroirs des princes comme genre littéraire et politique. On en trouve aussi la trace dans certains de ces textes- voir par exemple le De morali principis institutione de Vincent de Beauvais, rédigé à la demande de St Louis vers 1260-1263. Le roi image de Dieu (Rex imago Dei), tel que le présentent ces textes, est une affirmation de la transcendance de l'Etat par rapport au corps social : cette transcendance est d'abord mystique au XIIIe siècle (cf St Louis, rare conjonction d'humilité christique et de majesté royale), puis les juristes la transposeront dans les siècles suivants en termes de souveraineté. Selon Sennelart, il ne faut pas assimiler cette doctrine nouvelle du XIIIe siècle à la doctrine traditionnelle du vicariat impérial, celle des premiers temps de l'histoire chrétienne dans laquelle l'empereur était le vicaire du Christ. Bien plus, le prince devient celui qui participe à la toute puissance divine tout comme le Christ qui fut à la fois homme et divinité. Comme dans les textes de la période précédente, il doit s'autolimiter et ne pas exercer une puissance absolue, mais une puissance vertueuse et modérée. Mais la rupture opérée est d'importance, puisqu'elle rompt avec l'idée d'une origine humaine au pouvoir temporel. Le roi n'est plus celui auquel l'Eglise accorde le "droit" de régner, ce qui est l'argumentaire principal de la doctrine théocratique affirmée par Grégoire VII et ses successeurs depuis la querelle des Investitures entre la fin du XIe siècle et le début du XIIe. Il s'agit d'un "paradoxal chassé-croisé d'arguments, où les défenseurs de l'autorité royale la théologisent et ses adversaires, au contraire, la laïcisent".
Enfin, c'est toujours au XIIIe siècle, en s'appuyant sur Saint Thomas d'Aquin, lisant Aristote, que l'on aboutit à une refondation de l'éthique gouvernementale. Notons que les écrits politiques du philosophe grec ne sont pas connus avant le milieu du XIIIe (Ethique à Nicomaque); La Politique est traduite du grec vers 1260 par Guillaume de Moerbeke, sur les instances de Thomas d'Aquin. Avec le De regno de Thomas d'Aquin et la Somme théologique (1267-1274), puis de ses successeurs comme Gilles de Rome ( De regimine principum, autre miroir des princes, à destination de Philippe le bel) rompus à la pratique de l'aristotélisme politique médiéval, on voit aussi l'évolution de la conception du mode de gouvernement : on passe de la contrainte exercée sur les corps corrompus à l'art, exercé par le prince, de créer les conditions de la "meilleure vie" d'une manière qui soit digne de la vocation du chrétien, et en même temps, puisqu'il est guide (rex sagittator chez Gilles de Rome, l'archer qui seul sait où diriger la flèche), il est l' agent de cohésion d'un corps social qui se dissoudrait s'il ne la maintenait en acte par sa volonté et son action. Par lui, la multiplicité s'organise en totalité et son rôle est de s'assurer que le lien social de la multitude soit parfait, c'est-à-dire qu'il subvient aux besoins de la vie, au premier chef à la paix. C'est à ce titre que pour Thomas d'Aquin, la monarchie est le meilleur des régimes politiques et le seul naturel, puisque le seul à pouvoir procurer l'unité de la paix, par la paix. L'autre originalité de Thomas d'Aquin, c'est qu'il est le premier à poser la question de l'Etat à travers les catégories de l'expérience et non de la morale, ce qui lui permet de reconnaître une relative autonomie de la pratique gouvernementale par rapport aux normes éthiques.

En conclusion, j'ai essayé de présenter de la façon la plus claire possible un pan entier de la pensée politique du Moyen Age, tel qu'il est exposé dans le livre de Michel Sennelart. L'entreprise est difficile, et la lecture de son livre l'est tout autant, car il n'y a pas une linéarité simple, avec des inflexions tranchées selon les périodes, mais plutôt des auteurs qui dialoguent par delà les époques et qui innovent tout en restant dans les cadres de la tradition. Par ailleurs, j'ai insisté davantage sur les contenus et donc les idées politiques que sur l'histoire des textes eux-mêmes. Quelles sont les conditions de réception de telles oeuvres ? Quel est le "régime de textualité" auquel elles appartiennent (conditions externes et contraintes internes)? Par quels chemins et procédures ont-elles été sélectionnées comme "oeuvre" et donc digne de mémoire (et donc de copies et de commentaires) ?


jeudi 10 octobre 2019

La réforme grégorienne

La Réforme grégorienne est une "révolution" qui permit aux papes d'affirmer leur puissance pleine et entière (plenitudo potestatis) sur l'Eglise, mais aussi qui leur permit de s'affirmer face aux pouvoirs politiques et singulièrement face et en opposition à la magistrature suprême, celle exercée par l'Empereur. Cette affirmation d'une "monarchie pontificale" ne se fit pas sans contestations et crises.
Son origine lointaine peut être cherchée dans l'Eglise primitive (preconstantinienne) avec l'idée d'une primauté du siège de Rome, celui de St-Pierre, au sein de l'Eglise, qui est réaffirmée dans le 1er point du Dictatus papae  (l'évêché de Rome est le seul fondé directement par Dieu), mais c'est la période entre Leon IX (1049) et Innocent III (1198) qui s'avère décisive. A cette période, les papes s'affirment comme les seuls chefs de la Chrétienté.

Les dictatus papae sont un texte fondamental de l'histoire politique médiévale. Ils marquent le point de départ doctrinal de la "révolution papale" (Voir H.J. Berman, Law and Revolution. The formation of the western legal tradition, Harvard University Press, Cambridge, 1983). Il s'agit pour le pape Grégoire VII (Hildebrand) d'opérer un véritable coup de force politique et juridique en s'auto-attribuant, de façon purement déclarative, la souveraineté sur l'Eglise, en revendiquant l'indépendance du clergé vis-à-vis du pouvoir séculier et  en affirmant la suprématie ultime du pape en matière temporelle. De ce coup de force a découlé toute l'histoire politique de l'Etat moderne européen. (cf Dardot et Laval, Dominer. Enquête sur la souveraineté de l'Etat en Occident, La découverte, Paris, 2021, chap 2 à 5)

Extraits du Dictatus Papae, 1075

(copié/collé depuis le site Cliotexte)


«  I – L’Eglise romaine a été fondée par le Seigneur seul.
II – Seul le pontife romain est dit à juste titre universel.
III – Seul, il peut déposer ou absoudre les évêques.
IV – Son légat, dans un concile, est au dessus de tous les évêques.
V – Le pape peut déposer les absents.
VI – Vis-à-vis de ceux qui ont été excommuniés par lui, on ne peut entre autres choses habiter sous le même toit.
VII – Seul, il peut, selon l’opportunité, établir de nouvelles lois, réunir de nouveaux peuples [ou « de nouvelles paroisses »], transformer une collégiale en abbaye, diviser un évêché riche ou unir des évêchés pauvres.
VIII – Seul il peut user des insignes impériaux.
IX – Le pape est le seul homme dont tous les princes baisent les pieds.
X – Il est le seul dont le nom soit prononcé dans toutes les églises.
XI – Son nom est unique dans le monde.
XII – Il lui est permis de déposer les empereurs.
XIII – Il lui est permis de transférer les évêques d’un siège à un autre, selon la nécessité.
XIV – Il a le droit d’ordonner un clerc de n’importe quelle église, où il veut.
XV – Celui qui a été ordonné par lui peut gouverner l’église d’un autre mais non faire la guerre ; il ne doit pas recevoir d’un autre évêque un grade supérieur.
XVI – Aucun synode ne peut être appelé général sans son ordre.
XVII – Aucun texte canonique n’existe en dehors de son autorité.
XVIII – Sa sentence ne doit être réformée par personne et seul il peut réformer la sentence de tous.
XIX – Il ne doit être jugé par personne.
XX – Personne ne peut condamner celui qui fait appel au Siège apostolique.
XXI – Les causæ majores de n’importe quelle église doivent être portées devant lui.
XXII – L’Eglise romaine n’a jamais erré ; et selon le témoignage et l’Ecriture, elle n’errera jamais
XXIII – Le pontife romain, canoniquement ordonné, est indubitablement par les mérites de saint Pierre établi dans la sainteté, au témoignage de saint Ennodius, évêque de Pavie, d’accord avec de nombreux Pères comme on peut le voir dans le décret du bienheureux pape Symmaque.
XXIV – Sur son ordre et avec son consentement, les vassaux peuvent porter des accusations.
XXV – Le pape peut déposer et absoudre les évêques en l’absence de synode.
XXVI – Celui qui n’est pas avec l’Église romaine n’est pas considéré comme catholique.
XXVII – Le pape peut délier les sujets du serment de fidélité fait aux injustes. »

Plusieurs niveaux d'analyse de ce texte : ce qui concerne la nature du pape, ce qui concerne ses pouvoirs au sein de l'institution ecclésiale, ce qui concerne ses rapports avec les pouvoirs politiques et la société laïque. Dans le cadre d'une analyse de texte avec les 1ere HGGSP, les 3 thèmes peuvent faire l'objet d'une consigne simple de relevés. Faire repérer aussi aux élèves l'utilisation récurrente du mot "seul".
1) Le pape devient la plus haute instance juridique de l'Eglise (Dictatus XX, XXI), celui dont toute autorité ecclesiastique procède : à ce titre, il a tout pouvoir sur les autres dignitaires catholiques (Dictatus III, XIII, XIV) qu'il nomme, défait, transfère à sa guise. Il a tout pouvoir aussi sur la géographie et les structures  ecclésiastique, la délimitation des diocèses par exemple (Dictatus VII). Sa juridiction est dite universelle (Dictatus II), elle s'étend à) toutes les terres catholiques = l'Eglise est comme un immense diocèse dont il serait l'évêque.
Seul maître de l'Eglise, il n'a pas de contre-pouvoir. Les conciles, qui dirigeaient l'Eglise primitive, sont désormais réputés obéir à sa volonté et le Dictatus IV considère que même son légat est supérieur en autorité à n'importe quel évêque. Ses décisions ne sont pas critiquables puisqu'elles ne peuvent être réformées par personne (Dictatus XVIII). De toutes façons, il est la source du Droit canon (Dictatus XVII).
2) S'il est celui dont tout procède, c'est du fait de sa nature particulière : parce qu'il est installé sur le siège de St Pierre, il est réputé automatiquement saint lui-même (Dictatus XXIII), reprenant en cela des thèses affirmées par les Pères de l'Eglise. De plus, son poste de Vicaire du Christ en fait  l'image même du Christ sur terre. Enfin, parce que l'Eglise catholique romaine est considérée comme un tout, un corps dont il est la tête, il est parfait et infaillible (Dictatus XXII, XIX)
3) De ce fait, le pape devient le verus imperator. "Seul il peut utiliser les insignes impériaux" dit le Dictatus VIII. Dans cette construction idéologique, les papes récupèrent la figure de Constantin, fondateur de St Jean de Latran, à la fois empereur et chef de l'Eglise, ce qui leur permet de faire un pont entre l'histoire antique impériale et la temporalité chrétienne et papale. Dans la propagande pontificale, le pape devient l'héritier de Constantin. Son autorité s'affirme donc sans équivalent y compris sur les laïcs  (Dictatus IX). Il peut donc déposer les empereurs (Dictatus XII). Il dispose de surcroit, parallèlement à cette autorité politique, d' un outil puissant de pression sur les princes laïcs, la possibilité d'excommunier : dans ce nouveau contexte, l'excommunication délie les vassaux de leur serment de fidélité (Dictatus XXVII), avec même la possibilité pour les vassaux d'en appeler à la justice pontificale (Dictatus XXIV) contre leur seigneur.

BILAN : le pape s'affirme comme l'incarnation de l'Eglise => cf Gilles de Rome/aegidius romanus "le souverain pontife peut être nommé l'Eglise elle-même" (De ecclesiastica potestate, écrit pendant la querelle entre Boniface VIII et Philippe le Bel , vers 1302-1303). Les Dictatus papae sont donc le premier moment dans lequel les prétentions théocratiques des papes médiévaux prennent forme.


Un questionnement possible pour les élèves :

1) Quels sont les "dictatus" qui évoquent le/ les pouvoir.s du pape ? Quelle est donc la liste de ces pouvoirs ? Sur quel.s espace.s  s'étend la juridiction papale ? 

Seul maître de l'Eglise, il n'a pas de contre-pouvoir. A quoi le voit-on dans le texte ?

2) S'il est celui dont tout procède, c'est du fait de sa nature particulière : quels sont les "dictatus" qui évoquent ce point ? De qui est-il l'héritier (spirituellement et temporellement)

3) De ce fait, son autorité s'affirme donc sans équivalent y compris sur les laïcs (Dictatus ....?). Quelles sont les conséquences de ce points sur les rapports du pape avec les princes laïcs ?

Chercher des informations sur la querelle des investitures et l'épisode de Canossa.



Copié/collé du passage du livre des Dardot-Laval, pour mieux comprendre le texte et ses enjeux

En 1075, la question était de savoir comment, à défaut d’armées qui lui soient propres, la papauté pouvait faire aboutir ses prétentions. C’est là que le droit joua un rôle décisif comme «source d’autorité» et comme «moyen de contrôle». Durant les dernières décennies du XIe siècle, le parti papal commença à rechercher le registre écrit de l’histoire de l’Église pour soutenir la souveraineté du pape sur le clergé aussi bien que l’indépendance du clergé vis-vis de toute la branche séculière de la société, voire une possible suprématie sur celle-ci. Il encouragea les érudits à développer une science du droit qui pourrait fournir une base de travail pour mettre en œuvre ces politiques. Dans le même temps, le parti impérial commença aussi à rechercher d’anciens textes qui pourraient appuyer sa cause contre l’usurpation papale. Des deux côtés, le conflit se porta ainsi sur le terrain du droit. En 1075, Grégoire VII rédigea un document proprement révolutionnaire, le Dictatus papae (« Ce que dicte le pape »), consistant en vingt-sept propositions [...] 

 Les propositions 2 et 3 font valoir que le pape n’est pas un évêque parmi d’autres, contrairement à ce qu’affirmaient les empereurs, puisqu’il est le seul à mériter en droit l’appellation d’« universel ». La proposition 7 revêt une importance décisive en ce qu’elle affirme une forme de souveraineté législative : le pape seul a le droit de « faire de nouvelles lois selon les besoins du temps » (pro temporis necessitate novas leges condere) et il est manifeste que, dans l’esprit du rédacteur, le pape est seul juge des «besoins du temps». En cela il s’arroge le monopole reconnu par le droit romain aux seuls empereurs. Certes, les « lois » dont il est ici question sont les lois de l’Église, mais elles n’en prétendent pas moins s’imposer à toute la « société chrétienne ». Comme on l’a déjà vu, le modèle de la création divine sera de plus en plus invoqué par la suite pour rendre compte de ce pouvoir de changer les lois : au début du XIIIe siècle, le canoniste Tancrède dira que le pape fait de rien quelque chose comme Dieu, qu’il peut accorder dispense au-dessus du droit et contre lui (super ius et contra ius), qu’il peut rendre injuste ce qui était juste en corrigeant et changeant le droit (corrigendo ius et mutando). La proposition 18 mérite tout particulièrement d’être soulignée : s’il est vrai que, comme le souligne E. Kantorowicz, l’essence de la souveraineté réside dans le fait de pouvoir juger tous les autres sans pouvoir être soi-même jugé par les autres, alors on a là le point central autour duquel gravite toute cette déclaration de souveraineté dans la mesure où le pape s’y proclame incontestablement juge souverain en s’arrogeant la prérogative de réviser tous les jugements rendus par d’autres que lui sans que d’autres puissent réviser les siens. De là, via la bulle Unam Sanctam de Boniface VIII, la maxime pontificale revendiquant la juridiction universelle : «Sancta sedes omnes iudicat, sed a nemine iudicatur».  Pour peu que l’on rattache toutes ces propositions les unes aux autres, on s’aperçoit que cette revendication de souveraineté concerne aussi bien la relation du pape à l’Église tout entière (hiérarchie ecclésiastique et fidèles) que la relation du pape en tant que souverain de l’Église aux pouvoirs civils les plus élevés : car non seulement il peut déposer et investir les évêques (proposition 3), mais il peut aussi déposer les empereurs (proposition 11). On voit par là que le pape ne se contente pas d’être le monarque de l’Église, il se fait le champion d’une « papauté impériale » : le Dictatus affirme en effet que seul le pape peut utiliser les insignes impériaux (ceux prétendument donnés par Constantin à Sylvestre) et, de fait, Grégoire VII adopte définitivement le manteau rouge sur le modèle du manteau impérial d’Othon III, mais aussi sur le modèle byzantin. L’Église se voit ainsi assignée une mission universelle, celle d’unir le monde entier sous sa direction.

Ce texte proprement révolutionnaire ne fut pas immédiatement rendu public. Mais, en décembre 1075, Grégoire fit connaître le contenu du « Manifeste papal » dans une lettre à l’empereur Henri IV où il requérait la subordination à Rome de l’empereur et des évêques de son empire. Henri répliqua, comme vingt-six de ses évêques, dans des lettres du 24 janvier 1076. Une lettre de l’empereur commence par ces mots : « Henri, roi non pas par usurpation mais par la sainte ordination de Dieu, à Hildebrand, à présent non pas pape mais moine félon. » Elle se termine ainsi : « Toi, par conséquent, damné par cette orientation et par le jugement de tous nos évêques et le nôtre propre, descends et renonce à la chaire apostolique que tu as usurpée. Laisse un autre monter sur le trône de saint Pierre. Moi, Henri, roi par la grâce de Dieu, je te dis, conjointement à tous nos évêques : Descends, descends [Descende, descende], sois damné pour les siècles. » En guise de réponse, Grégoire VII excommunia et déposa Henri, qui en janvier 1077 voyagea comme un humble pénitent à Canossa, où le pape séjournait, et aurait attendu trois jours pour pouvoir se présenter pieds nus dans la neige, confesser ses péchés et déclarer sa contrition. Ainsi, invoqué dans sa capacité spirituelle, le pape lui donna son absolution et retira son excommunication et sa déposition. Cela donna à Henri une chance de réaffirmer son autorité sur les magnats germaniques, ecclésiastiques ou séculiers, qui s’étaient rebellés contre lui. Mais la lutte avec le pape ne fut différée que pour un court temps. En 1078, le pape promulgua un décret dans lequel il disait : « Nous décrétons que nul dans le clergé ne devra recevoir l’investiture d’un évêché ou d’une abbaye ou d’une église de la main d’un empereur ou d’un roi ou de tout autre personne laïque, homme ou femme. » Il en résulta la reprise du conflit entre l’empereur et le pape et les guerres d’investiture. L’enjeu politique immédiat de ces guerres était celui du pouvoir des empereurs et des rois d’investir les évêques et autres ecclésiastiques des insignes de leurs fonctions. Derrière cette question, il y avait celle de la loyauté et de la discipline du clergé après l’élection et l’investiture. Ces questions étaient d’une importance politique fondamentale. Cependant, quelque chose de plus profond que cet enjeu politique était encore impliqué, à savoir le salut des âmes. Car, précédemment, l’empereur, ou le roi, en tant que « vicaire » du Christ, devait répondre pour les âmes de tous lors du Jugement dernier. À présent, comme on l’a vu, c’est le pape qui prétendait être le seul vicaire du Christ avec la responsabilité de répondre pour les âmes de tous les hommes au Jugement dernier. L’empereur Henri avait écrit au pape Grégoire VII que, selon les Pères de l’Église, l’empereur ne pouvait être jugé par aucun homme, lui seul étant sur Terre « juge de tous les hommes », et qu’il y avait un seul empereur, tandis que l’évêque de Rome n’était que le premier d’entre les évêques. Telle était en fait la doctrine orthodoxe qui avait prévalu pendant des siècles. Cependant, Grégoire voyait dans l’empereur le premier d’entre les rois, un laïc, dont l’élection comme empereur devait être confirmée par le pape et qui pouvait être déposé par le pape pour insubordination. L’argument était formulé en termes scolastiques : « le roi est soit un laïc ou soit un clerc », et, comme il n’est pas ordonné, il est évidemment un laïc et ne peut donc avoir aucune fonction dans l’Église. Mieux, dans un moment de tension, Grégoire VII a pu alléguer que l’autorité des rois et des ducs ne venait pas de Dieu mais du diable, tout en écrivant aussi au roi de Hongrie que son royaume, « comme les autres royaumes les plus nobles », ne devait être soumis à personne d’autre qu’à l’Église de Rome. Une telle prétention ne laissait aux empereurs et rois aucune légitimité, car l’idée d’un État séculier, c’est-à-dire sans fonction ecclésiastique, n’était pas encore née, étant seulement en train de naître. Elle attribuait aussi au pape des pouvoirs théocratiques car la division des fonctions ecclésiastiques en spirituelles et temporelles n’était pas encore née, étant seulement en train de naître. Regardée sous cet angle, l’Église issue de la révolution papale apparaît comme un État avant la lettre, mais qui, à la différence des États séculiers encore à venir, reposait sur une assise spirituelle et s’attribuait pour cette raison une vocation universelle, tout en ne répugnant pas à recourir à la violence et à la guerre pour s’imposer face aux pouvoirs concurrents : Grégoire VII aurait inlassablement répété l’exclamation du Prophète (Livre de Jérémie, 48, 10) « Maudit soit l’homme qui détourne son glaive du sang ! ». En fin de compte, en dépit de leurs prétentions à la domination universelle, ni le pape ni l’empereur ne purent maintenir leurs revendications originelles. Sous le concordat de Worms en 1122, l’empereur garantit que les évêques et les abbés seraient librement élus par la seule Église et il renonça à son droit de les investir avec les symboles spirituels de l’anneau et de la crosse, qui impliquaient le pouvoir de soigner les âmes. Le pape, pour sa part, concédait à l’empereur le droit d’être présent aux élections et, là où les élections étaient contestées, d’intervenir. De plus, les prélats germaniques n’étaient pas consacrés par l’Église jusqu’à ce que l’empereur les ait investis, par le sceptre, avec ce que l’on appelait les regalia, c’est-à-dire les droits féodaux de propriété, de justice et de gouvernement séculier, lesquels entraînaient le devoir réciproque de rendre hommage et fidélité à l’empereur (hommage et fidélité qui impliquaient de s’acquitter de services féodaux et de droits sur les grands domaines fonciers qui allaient avec les hautes fonctions ecclésiastiques). En Angleterre et Normandie, avec l’accord obtenu à Bec en 1107, le roi Henri Ier avait également accordé des élections libres, quoique en sa présence, et renoncé à son droit d’investiture. Le fait décisif est que le pouvoir de nomination ait été partagé, puisque soit le pape soit l’empereur pouvait en fait opposer un veto. Cependant, les concordats (Worms, Bec) laissaient au pape une autorité extrêmement large sur le clergé et une autorité considérable sur la société laïque. Sans son approbation, le clergé ne pouvait pas être ordonné. Il établissait les fonctions et les pouvoirs des évêques, des prêtres, des diacres et d’autres titulaires de fonctions cléricales. Il pouvait créer de nouveaux évêchés, diviser ou supprimer les anciens, transférer ou déposer les évêques. Son autorisation était requise pour instituer un nouvel ordre monastique ou pour changer la règle d’un ordre existant. Qui plus est, le pape était appelé le « principal dispensateur » de toute la propriété de l’Église, qui était comprise comme le « patrimoine du Christ ». Le pape était aussi souverain en matière de culte et de foi religieuse. Seul il pouvait donner l’absolution pour certains crimes (telle une agression contre un clerc), canoniser les saints et distribuer les indulgences. Aucun de ces pouvoirs n’avait existé avant 1075. Selon les mots de Gabriel Le Bras cités par H. J. Berman : « Le pape gouvernait l’Église tout entière. Il était l’universel législateur, son pouvoir n’étant limité que par la loi naturelle et la loi divine positive (consignée dans la Bible et dans des documents similaires de la Révélation). Il convoquait des conciles généraux, les présidait, et sa confirmation était nécessaire pour donner force de loi à leurs décisions. Il mettait fin aux controverses sur de nombreux points au moyen de décrétales. Il était l’interprète du droit et garantissait privilèges et dispenses. Il était aussi l’administrateur et le juge suprême. Les causes d’importance (maiores causae), dont il n’y avait jamais d’énumération définitive, furent réservées pour son jugement. » Là encore, aucun de ces pouvoirs n’avait existé avant 1075. Grégoire déclara que la cour pontificale était la « cour de toute la chrétienté ». Désormais, le pape avait une juridiction générale sur toutes les causes qui lui étaient soumises par quiconque, il était « juge ordinaire de toutes les personnes » et cela était entièrement nouveau. Sur les laïcs, le pape exerçait son gouvernement en matière de foi et de morale aussi bien que dans des matières civiles telles que le mariage et l’héritage. À certains égards, son gouvernement dans ces matières était absolu ; à d’autres, il était partagé avec l’autorité séculière. En d’autres matières encore qui étaient considérées comme relevant de la juridiction séculière, l’autorité papale devint souvent invoquée. Avant 1075, la juridiction du pape sur les laïcs avait été subordonnée à celle des empereurs et des rois et n’était généralement pas plus grande que celle d’autres évêques ayant un rôle dirigeant. Au-delà donc de la seule question des investitures, ce qui était profondément en question était la délimitation de deux sphères de juridiction, celle du temporel et celle du spirituel. Le conflit entre Henri II d’Angleterre et Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry et ancien chancelier démissionnaire, est à cet égard emblématique. Un âpre combat politique se déroula pendant six ans (1164-1170) entre ces deux hommes, combat qui prit fin avec l’assassinat de Becket dans la cathédrale de Cantorbéry par des chevaliers du roi. Un article des « constitutions » de Clarendon décrétées par le roi fut à l’origine du scandale : il stipulait que tout clerc accusé de crime, au cas où sa culpabilité serait établie par un tribunal ecclésiastique, devrait être renvoyé au tribunal royal pour la fixation de la sentence. Le conflit portait donc sur l’étendue de la juridiction ecclésiastique et mettait en pleine lumière une concurrence entre deux types de juridiction et les deux types d’autorité leur correspondant.


DARDOT, Pierre; LAVAL, Christian. Dominer  (pp. 123-131). La Découverte. 

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