Affichage des articles dont le libellé est Medias. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Medias. Afficher tous les articles

mardi 19 mars 2024

Guerre et cinéma aux Etats-Unis

 

Présentation : je vous propose une activité en classe, sur la bataille d' Iwo Jima, qui peut être utilisée dans le cadre de l'enseignement de spécialité. A priori, elle cadre mieux avec le thème Histoire et Mémoire (Spé Term)  dans l'axe 1, "Histoire et Mémoire des conflits", mais je viens de l'utiliser en Spé 1ere, dans le cadre du cours sur l'information en temps de guerre. Il s'agissait de compléter le cours qui fait une part belle à la question de la propagande par un point plus spécifique : l'image iconique et les traces qu'elle laisse dans la mémoire.

Durée : puisqu'il s'agissait pour moi d'un complément de cours, j'ai calibré pour que l'activité soit faite en 1H. Il y aurait bien des possibilités d'approfondir, en utilisant davantage le film de Clint Eastwood, "Mémoires de nos pères". J'ai indiqué aussi en fin d'article deux autres pistes pour prolonger la réflexion.

Supports : poly pour les élèves (détaillé dans la suite de l'article) + Mémoires de nos pères de Clint Eastwood + épisode 8 de The Pacific

Documentation : un article de Laurent Tessier dans Transhumances IX, p. 233-244 + Le labo 1 (publication des clionautes, auteur JP Meyniac) , nov 2007 + article du Nouvel Obs , le drapeau rouge sur le Reichstag

Déroulé
  • On commence par regarder le début du film de 3:40 à 5:10. Les élèves ont un poly. C'est leur doc 1 (image + transcript)

Transcript scène d'ouverture de Mémoires de nos pères (+/-3:40-4:40). Film de Clint Eastwood -2006

"Beaucoup de gars que j'ai connus n'ont jamais parlé de ce qui s'est passé là-bas, sans doute parce qu'ils essaient de l'oublier. Ils ne se sont jamais considérés comme des héros. Ils sont morts, sans gloire. Personne ne les a pris en photo. Seuls leurs copains savent ce qu'ils ont fait. J'ai dit à leurs parents qu'ils sont morts pour leur pays...je ne suis pas sûr que c'était le cas. D'ailleurs il y a eu plein d'autres photos prises ce jour-là, mais que personne n'a voulu voir. Ce qu'on voit et ce qu'on fait à la guerre, la cruauté, est impensable. Mais d'une façon ou d'une autre, il nous faut y trouver un sens, et pour ça il nous faut une vérité facile à comprendre. [...] La bonne photo peut faire gagner ou perdre une guerre. Regardez le Vietnam, la photo de cet officier sud-vietnamien faisant sauter à bout portant la tête de ce Viêt-Cong. C'était fini, on avait perdu la guerre."


Ensuite, présentation de la photo

Doc 2 : Une photographie pour l'Histoire

Raising the Flag on Iwo Jima est prise le 23 février 1945 par le photographe américain Joe Rosenthal pour l'agence Associated Press. Elle montre cinq Marines américains et un soldat infirmier de la Navy hissant le drapeau des États-Unis sur le mont Suribachi, lors de la bataille sur l'île japonaise d'Iwo Jima durant la Seconde Guerre mondiale. La photographie est développée à Guam et envoyée immédiatement aux Etats-Unis. Des centaines de journaux la reprennent dès le lendemain. La photographie eut donc immédiatement un immense succès. Elle devint également le seul cliché à obtenir le prix Pulitzer de la photographie l'année de sa publication. Considérée comme l'une des images les plus significatives de son époque, elle constitue également l'une des photographies les plus diffusées de tous les temps. Elle a été choisie à l'époque pour servir de support à la campagne du 7e emprunt de guerre et donc a été reproduite sur des affiches, des timbres ... Les trois soldats survivants de ce moment ont été enrôlés par l'armée pour la tournée de levée de fonds à travers les Etats-Unis.

 

Analyse rapide de la photo pour en comprendre l'efficacité

Contextualiser en expliquant aux élèves que la guerre du Pacifique contre le Japon est une guerre que les Etats-Unis ont mené seuls contre le Japon qui les avait directement attaqués. Elle a nécessité un déploiement d'hommes et de ressources bien supérieur au front européen. Les conditions extrêmement difficiles de cette guerre (sauts de puces d'archipels en archipels => carte historique) pour se rapprocher du Japon, de même que la résistance acharnée des Japonais (cf les kamikazes) ont fait du front du Pacifique le front essentiel de la Seconde Guerre mondiale pour l'opinion publique américaine.

Intérêt stratégique d'Iwo Jima = indiqué au tout début de The Pacific : carte + images d'archives + témoignage de vétéran . Visionnage de ces quelques minutes (avant le générique)

Pour mieux comprendre pourquoi cette photo et pas une autre du même événement, les élèves sont amenés à comparer avec une autre photo. Celle-ci est juste projetée, pas distribuée.

=> bilan :

  • Une bataille stratégique, filmée et reportages radio en direct. 12 000 japonais sur un îlot de quelques dizaines de km². Nombre de morts US très élevé.
  • Quant à la photo elle-même : dynamisme de la scène, des marines (corps d'élite) qui en plus forment un seul corps (coopération et esprit d'équipe = valeurs "militaires") + annonce de la victoire future/message d'espoir : la ligne négative (diagonale descendante) est en passe de basculer en ligne positive (diagonale montante)

 

Qu'est-ce qu'une image iconique ?

Elle imprègne l'imaginaire collectif => réutilisée, détournée, mentionnée ...

doc 3 : quelques exemples de l'impact de cette image

a- Felix de Weldon pose devant son oeuvre : le US Marine Corps War Memorial d'Arlington (cimetière militaire)

= plus de 6 millions de visiteurs /anBataille Iwo Jima

b- Le drapeau rouge sur le Reichstag (Berlin), la réponse soviétique ( Photo : Evgueny Khaldeï, 2 mai 1945 pour l'agence Tass)

c- Andy Singer, D-Day, 1998

l'image iconique détournée...

Le rôle et l'efficacité du cinéma dans la fabrication et la transmission d'une mémoire "officielle"

"Mon boulot, c'est juste de raconter cette histoire. Et ensuite, quand le public viendra, j'espère que ça lui donnera une idée de ce qu'était cette génération : la famille, la camaraderie, le fait de pouvoir compter sur son voisin et ce que ça veut dire dans la vie" (extrait interview Eastwood dans les bonus du DVD, édition collector)

Doc 4 : présentation et exploitation de la série The Pacific

Après Band of brothers (2001) qui retraçait l'histoire d'une compagnie américaine du débarquement jusqu'à la fin de la guerre en Europe, Steven Spielberg et Tom Hanks récidivent en 2010 et co-produisent The Pacific. HBO est une chaîne du câble, connue pour ses programmes de très haute qualité. La série a reçu 8 Emmy Awards.

Basée sur deux livres de vétérans, Eugène Sledge et Robert Leckie la série entretient le flou entre la fiction et la réalité : les vétérans sont joués à l'écran par des acteurs, les scènes de bataille sont minutieusement reconstituées...

Comment le dispositif de la série joue-t-il sur cet aller-retour entre réalité et fiction ? Quel est le but recherché ? On pose ces deux questions aux élèves et on repasse le début (images d'archives et témoignage jusqu'au début du previously = 2min 32). Puis visionner la scène de bataille d'Iwo Jima à partir de 44min 18.

Ce n'est pas utile d'aller jusqu'au bout.

L'objectif est de comparer les images de la guerre filmées à l'époque et les images de la bataille dans la série.

Bilan =

  • une reconstitution apparemment fidèle (cf la butte et les soldats qui se font mitrailler en haut = quasiment identique entre archives et série). Le fait de commencer par les films de l'armée de l'époque et par le témoignage d'un vétéran légitime la fiction. Cela lui octroie une sorte de certificat d'authenticité.
  • une efficacité de la narration : focalisation interne (on entre directement dans la scène de combat, on est perdu, on ne comprend pas d'où viennent les tirs et on découvre l'ennemi en même temps que le personnage principal) + suspense (vont-ils réussir à tuer le japonais dans son bunker ?) (le héros va t-il finir étripé comme tous les autres ?)
  • des émotions multiples (horreur, stress, tristesse...) qui impriment en nous cette représentation de la guerre.
  • un message : l'héroïsme des soldats ordinaires => un modèle ?
En cette fin de séance, il reste à indiquer aux élèves que :

Comme le fait remarquer Pierre Conesa, géopoliticien français qui travaille sur les mêmes thématiques qu'Alford, les Etats-Unis n'ont pas un système unifié pour l'enseignement de l'Histoire. Les programmes scolaires relèvent de la compétence des États et non pas de l'état fédéral. C'est donc Hollywood qui fabrique et transmet aux différentes générations d'américains la mémoire commune de l'Histoire . Cette mémoire n'est pas unifiée, mais on distingue de nombreux points communs dans tous les récits de guerre à destination du public américain.

Par ailleurs, Laurent Tessier dans son article indique que : "en interrogeant les vétérans du Vietnam, nous avons pu constater que les soldats américains qui se sont battus lors de conflit sont souvent partis à la guerre avec, en tête, le fantasme de reproduire le modèle héroïque de leurs pères (la génération de la 2nde guerre mondiale) et de leurs grands-pères (celle de la 1ere guerre mondiale). [...] De même, les films se répondent comme si chaque génération de boys était représentée en référence à la précédente. [...] On constate depuis les années 60 (Vietnam) une sorte de blocage dans cette filiation".

Remarque 1: sur un idée de Lionel Chevassus, les élèves approfondiront en autonomie. J'ai repris son questionnaire de l'interview de Matthew Alford sur Le Media : "Hollywood, la machine à propagande".

Remarque 2 : sur le fait qu'il est devenu plus difficile de faire des films de guerre ouvertement héroïques depuis le Vietnam et que les films se répondent les uns aux autres, on pourrait évoquer une autre mini-série de HBO, Generation Kill de David Simon. Ce fut un flop médiatique et la série fut annulée à la fin de la première saison, ce qui est très rare avec HBO. Or, cette série refuse précisément toute héroïsation des soldats et montre une guerre profondément absurde.

mercredi 23 décembre 2020

Une leçon de journalisme : l’information dans un épisode de The Newsroom

 

Dans le cadre du programme de 1ere HGGSP, sur le thème des médias et de l'information, je vous propose une séance de réflexion sur les conditions de la production et de la diffusion de l'information politique. Personnellement, je découpe le thème en plusieurs points qui ne suivent pas exactement l'ordre du programme.

  • un chapitre introductif qui présente les évolutions techniques et sociétales du monde des médias depuis le 19e siècle, ce qui permet de dégager quelques grandes pistes de réflexion sur le thème
  • un chapitre sur les rapports entre les médias et le pouvoir politique depuis l'âge d'or de la presse jusqu'à nos jours
  • un chapitre sur ce qu'est l'information : pratiques et déontologie journalistiques,  limites et problèmes à l'heure de la post-vérité et de la circulation des fausses nouvelles sur Internet ou ailleurs ...

C'est donc en début de 3e chapitre que je propose aux élèves l'activité suivante. Après avoir posé les règles de la production d'information (qu'est-ce qu'une information, le point de vue journalistique, la hiérarchie de l'information, les règles de déontologie des journalistes ...), cet exercice est l'occasion de les approfondir en mettant la théorie au grill de questions concrètes.

De plus, à partir des questions abordées dans l'épisode (confrontation entre les journalistes et les propriétaires de la chaîne), l'épisode sert d'introduction à la suite du travail : dangers , problèmes et limites de l'information aujourd'hui.

Présentation de l'activité : il s'agit de réfléchir à ce qu'est le journalisme d'information à partir des propositions faites dans l'épisode 3 de la saison 1 de la série The Newsroom ("The 112th Congress")

C'est une série de HBO (3 saisons entre 2012 et 1014) dont le show-runner est Aaron Sorkin, connu pour A la maison blanche.

J'extrais de l'épisode 5 longs passages , ce qui fait que les élèves auront vu presque tout l'épisode, moins les moments qui relèvent des interactions fictionnelles entre les personnages. Comme mon titre l'indique, tout l'épisode est une leçon de journalisme à l'américaine..

Document annexe : je m'appuie sur l'excellent article d'analyse de la série du site Culture VOD. C'est à ma connaissance le seul en français. J'en cite quelques extraits dans la fiche d'activité, mais l'article est bien plus riche : il s'intéresse notamment à la réception de la série aux Etats-Unis et la replace dans le contexte de la montée du populisme qui a conduit à l'élection de Trump.

https://culturevod.fr/the-newsroom-a-lere-trump-la-tragedie-de-don-quichotte


Compétence et déroulé de la séance : Les élèves visionnent les extraits. Je leur fournis un questionnaire assez sommaire, qui les interroge aussi bien sur le contenu que sur la forme (cf ci-dessous). Les questions sont le prétexte à un débat qui doit faire émerger leurs représentations du travail journalistique et les faire se confronter aux enjeux présentés dans l'épisode.

 

Si vous n'avez pas l'épisode, me contacter.

Pitch :

Jeff Daniels incarne Will McAvoy, présentateur d'Atlantis Cable News, qui prend un congé obligatoire après une tirade publique sur les lacunes de l'Amérique lors d'un débat politique. Inénarrable scène, que je conseille fortement ! À son retour comme présentateur de NewsNight, il découvre que la plupart de ses collaborateurs ont démissionné. Voyant l'occasion de revenir aux jours de gloire des nouvelles télévisées au lieu de l' info-divertissement axé sur les cotes d'écoute , son patron Charlie Skinner a embauché l'ex-petite amie de Will, MacKenzie McHale en tant que nouveau producteur exécutif. McHale partage la vision de Skinner des nouvelles télévisées.

 

Le générique

«  Nostalgique, la série rappelle la gloire du grand journalisme américain. La série s’inscrit dans une longue tradition américaine du journalisme engagé et réformateur. Une culture qu’il est important de rappeler à une époque où l’opinion doute de ses médias et où le discours politique prétend échapper à leur surveillance. Les héros de The Newsroom portent en eux un héritage. A travers ces archétypes moraux, leur combat tragique et leurs discours flamboyants, Sorkin dresse le portrait d’une Amérique toujours fière de son 4ème pouvoir et fait appel aux icônes de sa gloire passée. A plusieurs reprises, la série invoque ses références. Murrow, le pionnier du nouveau journalisme diffusé à toute la nation grâce à la télévision, homme engagé et déterminé, opposant farouche du maccarthysme* et instrument de son effondrement. Cronkite, dont la couverture critique du Vietnam et du scandale du Watergate* lui a valu une réputation irréprochable et une influence inégalée. »

* il est d'ailleurs fait allusion au maccarthysme et à la chasse aux sorcières dans la dernière scène de l'épisode. Il s'agit donc d'un moment particulièrement traumatisant de la Guerre Froide. Le sénateur McCarthy dans au début des années 1950 a mené une commission du Sénat qui a enquêté sur des millions d'américains soupçonnés de sympathies communistes. L'objectif était d'écarter les "rouges" de l'appareil d'Etat et du milieu de la culture et des médias. Si McCarthy chute rapidement (1954) du fait de ses outrances, la paranoïa et la cascade d'accusations/dénonciations qui marque la période destabilisent grandement le modèle américain.

* vu dans la leçon précédente, tout comme la notion de 4e pouvoir.

Questions :

  1. Comment le générique installe t-il d'emblée ce ton nostalgique ?
  2. Que signifie le mot "nostalgie" ? Qu'est-ce que l'emploi de ce mot révèle du destin des valeurs portées par la série ?
  3. Vérifiez avec ce qui suit : le pitch des 3 saisons de la série.

"La série suit les tribulations d’ACN, une chaîne d’informations qui tente de promouvoir un débat d’idées structuré et raisonné, pris dans le tumulte d’une opinion publique qui se déchire et de la radicalisation du débat politique.

Dans la Saison 1, un changement de mentalité à la tête de la production entraîne la chaîne dans un combat contre l’idiocratie ambiante et la rhétorique délétère du Tea Party. L’audience est emportée par le fantasme de cette arrière-garde intellectuelle, ultime rempart de la démocratie.

La Saison 2 voit le rêve se muer en cauchemar alors que ses personnages font l’expérience de l’échec. Tous les idéaux du monde n’ont pas su les prémunir d’une faute professionnelle et éthique humiliante. Malgré leurs discours, ces héros n’en demeurent pas moins faillibles. Un retour à la réalité froid et bouleversant.

A l’aigreur de ses personnages, la Saison 3 ajoute le supplice de son public quand la chaîne doit accepter de compromettre ses idéaux pour exister. Pendant cinq épisodes insoutenables à qui s’est laissé emporter par l’idéalisme des premiers jours, elle trahira toutes ses promesses et ses ambitions passées pour devenir la caisse de résonnance des réseaux sociaux. Une tache indélébile sur sa vertu que l’ultime épisode tentera de racheter en caressant la promesse d’un compromis. Une conclusion qui se veut en demi-teinte mais ne peut atténuer l’amertume d’un espoir final qui sonne faux."

Scène d’ouverture de l’épisode 3 [2 :26 -8 :08]

(temps dans la fiction = automne 2010 avec des flashbacks sur l’année écoulée)

Tout en faisant un éditorial, Will s'excuse pour les bulletins d'information précédents et promet à ses téléspectateurs une meilleure émission, ce qui va contrarier le PDG de la société mère d'ACN. Le reste de l'épisode est structuré à partir de la réunion entre Charlie Skinner et les actionnaires de la chaîne qui listent ce qu'ils lui reprochent, une série d'émissions qui vont à l'encontre de leurs intérêts. C'est l'occasion de flash-back sur les mois écoulés depuis la scène inaugurale jusqu'à la soirée d'élection du 112e Congrès des Etats-Unis. La fin de l'épisode délivre la décision de l'actionnaire sur l'avenir de l'émission.

 

Remarque :

La série repose sur l’entrelacement des moments fictionnels plus ou moins légers sur l’histoire des personnages (avec un ton plutôt sitcom) et un ancrage hyper-réaliste obtenu de deux manières :

 1) par les références à des moments d’histoire des Etats-Unis : cf dans la scène d'ouverture, il est fait référence à David Sarnoff qui a fondé National Broadcasting Company(NBC) et a passé une large partie de sa carrière à Radio Corporation of America (RCA) et à William S. Paley qui fut le fondateur et le directeur de CBS.

2) par l’utilisation de documents d’archives télévisuelle et l’inscription de la fiction dans le temps du réel. C’est le cas ici avec l’audition, qui date de mars 2004, de Richard Clarke. Il fut notamment le coordinateur national pour la sécurité, la protection des infrastructures et le contre-terrorisme dans le Conseil de sécurité nationale des États-Unis de 1998 à 2003.

 

  1. Quelles sont les valeurs et les pratiques d’un bon journaliste d’information ?
  2. Comment la série explique-t-elle le pervertissement des émissions d’informations ?
  3. Comment dramatise-telle les enjeux d’une bonne information ?

 PS : après l'avoir expérimenté avec les élèves, il vaut mieux commencer par la question 3 et remonter ensuite l'ordre des questions

Les points de réflexion = rappel du lien entre démocratie et opinion publique "éclairée" (Q3) comment la publicité peut-elle influencer les sujets du journal et leur traitement (Q2) + point de vue et objectivité journalistique (Q1)

2e scène : l’attentat à la bombe dans Times Square [10 :17-13 :05]

Le 1 er mai 2010, à New York, une bombe est découverte par des passants dans une automobile garée près de Times Square. Le 2, le Mouvement des talibans du Pakistan (Tehrik-e-Taliban Pakistan, T.T.P.) revendique la tentative d'attentat et déclare que celui-ci devait être une réponse aux attaques des drones américains au Pakistan.

Charles Skinner doit se justifier devant la direction de la chaîne des choix éditoriaux de son émission News Night.

  • Quel traitement de l’attentat raté dans Times Square a été décidé en conférence de rédaction ? Pour quelle raison d’après vous ? Qu'en pensez-vous ?
  • Qu’est-il reproché à Charles Skinner ?

 => à la conférence de rédaction, les règles du journalisme ont-elles été suivies ?

3e scène : le traitement du Tea-Party [26 :10 –30 :45]

« The Newsroom  a anticipé le mouvement populiste qui a porté Trump au pouvoir. Diffusée entre 2012 et 2015, la série apporte un regard critique sur l’ascension du Tea Party et la dangerosité de sa rhétorique populiste, qui s’est emparée du débat public aux Etats-Unis. The Newsroom évoque des enjeux qui semblent toujours très actuels : le noyautage du Parti Républicain par les partisans du Tea Party et la transformation -ou radicalisation- idéologique du « Grand Old Party ». Dans la série comme dans la réalité, il semble parfois qu’être fondamentaliste, homophobe, anti-science et xénophobe soit devenu l’abécédaire du parti conservateur.

The Newsroom montre comment de rares Républicains opposés à la nouvelle ligne, résolument anti-libérale et fermée à la coopération extra-partisane, se voient sanctionnés et limogés par le Parti. Une représentation de la stigmatisation et de la répression au sein du GOP presque trop fidèle. Les conservateurs les plus radicaux ont désormais l’habitude de désigner des moutons noirs parmi leurs collègues les plus modérés. Ce sont des RINO, « Republicans In Name Only » (« Républicains seulement dans le nom »), aux positions jugées trop libérales et progressives. Une radicalisation profonde de l’échiquier politique américain saisissante qui n’épargne personne. [ on en a un exemple dans l'épisode : S1 E03 24:11- 26:05] Trump s’en est récemment pris à Mitt Romney, l’ancien candidat Républicain à la présidence des Etats-Unis en 2012, qu’il a qualifié de RINO en raison de sa posture modérée sur le coronavirus. Une critique relayée par les fidèles du président au sein du parti et des médias conservateurs. En résulte un climat politique profondément malsain, dans lequel des élus Républicains pratiquent l’autoradicalisation de peur de s’attirer les foudres l’exécutif et du parti qui pourrait les exclure. »

  • Qui sont « Charles » et « David » ?
  • Comment voit-on dans l’extrait que l’interview des deux membres du Tea Party a été minutieusement préparé ?
  • Quel est l’objectif, du point de vue des journalistes, de cet interview ?
  • A votre avis, quelle est la leçon de journalisme donnée par cette scène ?
  • A votre avis, est-ce cela le journalisme ? Comparez avec les médias français. D'une façon générale, comment se déroule l'interview d'un homme ou d'une femme politique ? Comment justifier cette différence dans le ton et dans la posture journalistique

 Approfondissement possible : comparer une conférence de presse d'un président des EUA et celle  d'un président français.

Dernière scène de l’épisode [51 :07-fin]

On est le lendemain de l'élection du 112e congrès des Etats-Unis dans laquelle 21% des membres du Congrès a été remplacé, essentiellement par des membres du Tea Party. C'est donc un échec pour les journalistes de News Night qui avaient l'espoir d'éveiller les consciences.

rappel : liens entre média et opinion publique (schéma vu dans la leçon introductive)

Confrontation entre le directeur exécutif et l’actionnaire majoritaire de la chaîne. Décision finale.

  • Quel est l’objet du « débat » ?
  • Relever les arguments des deux protagonistes.
  • Est-ce l’argent ou le lien avec le pouvoir politique qui pose problème ici ?
  • Dernière phrase "surement pour me féliciter". Charles Skinner est-il naïf ou idéaliste ?

 


 

vendredi 27 décembre 2019

Fiche synthèse sur le conspirationnisme


Intérêt du thème : avec Internet, diffusion massive des théories du complot et des idéologies conspirationistes ce qui pose un problème à nos systèmes démocratiques => pop qui se rend ingouvernable ? Fractionnement de l’OP ?

Mise au point sur le vocabulaire :
Complot (entente secrète entre plusieurs individus pour nuire au pouvoir/ à une personne au pouvoir) ont toujours existé, donc sont attestés : ex. conspiration contre Jules César en ~ 44 ou conspiration des poudres par les catholiques anglais pour faire exploser le parlement en 1605 (=> masque de Guy Fawkes, un des conspirateurs, repris par V pour Vendetta -BD Alan Moore et David Lloyd- qui est devenu un des objets des manifestants anti-système) etc
L’existence de vrais complots rend vraisemblables les théories du complot.

Théorie du complot = expression utilisée pour discréditer les personnes qui doutent d’une explication officielle ou communément admise (qui font l’hypothèse a priori d’un complot pour expliquer tel ou tel événement). Les théories du complot sont donc liées à des événements particuliers et ont une audience plus ou moins grande selon l’événement et surtout selon leur reprise ou pas par des leaders d’opinion ou des ouvrages de fiction: ex. 80% des américains sont persuadés d’un complot non révélé derrière l’assassinat de JF Kennedy (1963) car de nombreux films, livres…en ont fait l’écho. L’opus Dei, les templiers etc « reprennent du service » avec le Da Vinci Code (2003) de Dan Brown (86 millions d’exemplaires vendus en 2010 + un film …).
Le conspirationnisme n’est pas seulement l’explication complotiste des événements, mais aussi une accusation portée contre un groupe/société secrète (les ultra-riche, les juifs, les bolchéviks, les judeo-maçonniques, les illuminati, les extra-terrestres …), présenté comme malveillant et agissant dans le monde de façon concertée.

Le conspirationnisme est une idéologie (façon de voir le monde) :
La pensée conspi procède d’une caractéristique majeure, l’hypercriticisme (méthode hypercritique). C’est une forme excessive de la critique des témoignages, une mise en doute irraisonnée et systématique, en dépit du bon sens et des preuves => le contraire d’une démarche « scientifique ». L’hypercritique est un croyant : « on nous ment, il faut trouver les preuves qu’on nous ment ». Ces personnes (autodésignées truthters, « chercheurs de vérité », s’engagent dans une « enquête » à charge, postulant que la vérité est ailleurs que dans les médias officiels et dans les affirmations des sachants qu’ils soient scientifiques, profs, journalistes ou hommes politiques (C’est ce qu’on appelle du populisme : le peuple contre les élites), ce qui leur permet d’affirmer tout et n’importe quoi sans contradiction. Ils sont confortés dans leur croyance par leur mise en réseau grâce au web dont la structure conforte les bulles de filtre, qui enferme les gens dans un cercle restreint de personnes qui pensent de la même manière. Leur système de pensée est autoréferent : « on n’arrive pas à apporter des preuves puisque les preuves sont systématiquement cachées et remplacées par des fausses preuves accréditant le mensonge officiel. Donc c’est la preuve qu’on nous ment. »

Les événements déclencheurs du phénomène conspirationniste sont :
Comme pour les rumeurs, le point de départ est un événement ou un ensemble d’événements perçus à la fois comme important et ambigus, insuffisamment expliqués. Il faut la rencontre avec un/des leaders d’opinion qui mettent leur charisme au service de la pensée conspi et agrègent autour d’eux des adeptes. Leur rhétorique est populiste : anti -étatisme, anti-intellectualisme, lutte du peuple contre les élites. Certains complots accèdent au rang de mythes, dont on peut faire l’histoire : Le plus ancien est le mythe du complot templier, lancé par le roi de France Philippe le Bel (fin XIIIe s) qui voulait récupérer les biens de ce puissant ordre militaire. Au XVIIe siècle, un autre ordre religieux, les Jésuites, est accusé des mêmes accusations que les Templiers. Pendant et depuis la Révolution française, c’est le tour des Francs-Maçons, société secrète inspirées de la philosophie des Lumières et qui lutte contre l’obscurantisme chrétien. Puis à la fin du 19e, dans le contexte de montée de l’antisémitisme, les services secrets russes inventent le complot juif des « Sages de Sion », les régimes fascistes mobilisent le complot judeo-bolchévique pour assurer leur domination… D’une manière générale, les théories conspirationnistes sont nées dans les milieux de l’extrême-droite.
Le deuxième facteur qui explique la montée des idées conspirationnistes depuis les années 1990, c’est à la fois l’hyperpuissance américaine depuis cette période (Bush, le « nouvel ordre mondial ») + l’utilisation de plus en plus massive du WEB comme mode d’information et de circulation des idées + perte de confiance dans les médias traditionnels

Qui sont les conspirationnistes ?
Les enquêtes d’opinion montrent que,
·         plus on est jeune plus on est sensible aux idées conspi (et à l’inverse, plus on est vieux, moins on y est sensible)
·         un faible niveau d’instruction rend indifférent aux idées conspi, un niveau lycée au contraire es favorise, un fort niveau d’instruction (BAC + 5ans) immunise contre les idées conspi
·         Forte corrélation entre les idées conspi et les pensées politiques radicales, extrême-droite surtout, mais aussi extrême gauche par exemple dans les milieux blacks muslims US…
·         Une faible culture politique ou appétence pour la politique : l’adhésion au conspirationniste est proportionnellement plus forte chez les abstentionnistes que chez les électeurs.

vendredi 25 octobre 2019

Ce que les acteurs des mouvements sociaux reprochent aux grands médias traditionnels

Dans la séquence "comment s'informe t-on ?" et "comment informer ?" de la spé HGGSP, j'ai proposé aux élèves un exercice à objectif essentiellement méthodologique.


Fiche de lecture sur un article du Monde diplomatique.

L'article est très long. Le but est donc de le réduire au maximum, sans perdre aucune idée importante.
Les élèves l'ont lu chez eux, puis ont eu une heure pour en faire un "résumé" et le 2e heure a été consacrée à la correction.
La consigne = relever les divers arguments et sélectionner quelques exemples significatifs qui illustrent l'argumentation du journaliste.

A l'occasion de la correction, nous sommes revenus sur : 
  • la nécessité de partir d'une définition claire de ce qu'on appelle la thèse de l'auteur pour être plus efficace ensuite sur le relevé d'informations. => la problématique est celle qui a été définie par moi pour progresser dans la leçon : Que reproche-t-on aux médias dominants, dans un contexte où la confiance envers le travail journalistique se dégrade depuis plusieurs décennies ? Puis, en s'appuyant sur la phase de présentation du doc, on a posé que le journaliste (et son journal) avait un point de vue "de gauche", "pro lutte sociale" et on a identifié sa réponse à cette problématique, c'est-à-dire sa thèse, à partir du titre : les médias dominants (mainstream) sont au service de la communication gouvernementale.

Il a été rappelé que le but de la fiche de lecture est de rendre fidèlement compte de la pensée de l'auteur, même si une autre étape (hors fiche de lecture) serait de critique/nuancer cette position. Ce n'était pas l'objet ici.

  • Pour être efficace, il peut être nécessaire de recomposer l'ordre des différentes idées, en les regroupant soit par thèmes, soit, et c'est mieux, par grandes thèses. Il faut donc laisser de la place dans sa prise de notes au cas où il faudrait compléter par des relevés sur d'autres passages du texte. Ici, nous avons identifié 3 grandes étapes de la pensée (voir les ex de prise de notes ci dessous) en procédant comme suit : Quelle est l'idée principale du paragraphe ? Quel exemple est le plus efficace et le plus simple à retenir pour justifier cette idée ? Comment les idées principales des premiers paragraphes sont-elles reliées (quelle argumentation ? addition d'arguments/ nuance...) Comment nommer la première étape de l'argumentation ? (= phase de bilan). Puis, passés les premiers paragraphes, nous nous sommes systématiquement interrogés sur la pertinence du relevé d'informations : est-ce que ce paragraphe apporte des idées nouvelles ? est-ce que ce paragraphe fait progresser le raisonnement ? si la réponse à ces deux questions est non, on passe sans relever. J'en ai profité pour évoquer avec eux la question de la lecture "en diagonale" : il faut apprendre à lire vite. Dans les textes argumentatifs, on lit la première phrase qui, si l'argumentation est bien menée, exprime la thèse du paragraphe. On détermine si ça nous intéresse ou pas. On "scanne" visuellement le reste du paragraphe à la recherche des liens logiques (on passe les exemples) à la recherche des phrases affirmatives (sujet/verbe) et on se repose la question de déterminer si ça nous intéresse ou pas. On ne lit vraiment et minutieusement que si on a décidé que ce paragraphe était intéressant.


Deux prises de notes d'élèves (merci à Auréline et Assia)





lundi 16 septembre 2019

L'information en temps de guerre : l'exemple de la 2nde guerre mondiale en France


Deux journaux dans la guerre : Le Temps et Défense de la France.

1- Le Temps
Quotidien fondé en 1861 par Auguste Nefftzer sur le modèle de The Times. Organe de référence de la IIIe République, paraissant l’après-midi, il était une source importante pour la presse parisienne et provinciale paraissant le lendemain matin.  Modéré et libéral avant la guerre, il évolue dans l'entre deux guerres vers la droite, s’opposant en 1924 au Cartel des gauches et, en 1936, au Front populaire. Après la défaite de 1940, affaibli et voyant sa diffusion limitée à la zone libre, il soutient le régime de Vichy, avant de disparaître en 1942 après l’entrée des Allemands en zone libre. A la Libération, le général de Gaulle, désireux de disposer d’un journal de référence sérieux qui puisse aussi servir de relais à la diplomatie française impulse, sur les ruines du Temps, la création du journal Le Monde dont la direction est confiée à Hubert Beuve-Méry (1902-1989)



ex article « Révolution nationale » (11 juillet 1940).
" L’Assemblée nationale a accompli solennellement hier l’acte qui lui était commandé par l’intérêt supérieur de la patrie. Elle a confié au maréchal Pétain la mission et le pouvoir de promulguer par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution de l’État français. Constitution qui devra garantir, dans le cadre indiqué par l’admirable exposé des motifs que nous avons publié, « les droits du travail, de la famille et de la patrie ». Le Parlement avait, la veille, accompli le geste de sacrifice et de raison que le pays attendait de lui.
Disons-le tout de suite, ce n’est pas dans une atmosphère de résignation et d’impuissance que l’Assemblée nationale a délibéré. Il a fallu, hélas !, les défaites, le désastre de la patrie pour que les leçons de la débâcle fussent tirées. Mais, depuis longtemps, les esprits clairvoyants comprenaient la nécessité absolue pour notre pays de procéder à cette réforme profonde, à cette révolution nationale dans la légalité que le déclin constant de notre vitalité et de notre force rendait indispensables. Ce n’est pas leur faute si « les batailles perdues » ont imposé impérieusement un tel bouleversement et s’il a fallu tirer les conséquences d’un désastre. C’est le désastre lui-même qui a été la conséquence de ce funeste retard, de cette méconnaissance des réalités.
Mais à quoi bon se complaire et se perdre à des regrets et à des remords désormais inutiles ? Nous devons aujourd’hui tourner les yeux vers l’avenir, vers le relèvement de la patrie ensanglantée et mutilée, courbée sous la volonté du vainqueur, mais capable cependant de réaliser sa propre renaissance ; notre vieille France va enfanter dans la douleur une France nouvelle.
Ce que l’Assemblée nationale vient de réaliser, non sans grandeur, est sans précédent dans notre histoire, et peut-être dans l’histoire de tous les peuples. […] L’unité de la patrie dans le sacrifice et dans la peine est désormais assurée. L’avenir de la France est confié à des mains loyales et pures. L’acte de confiance au maréchal Pétain, qui n’a jamais été plus grand qu’en ces heures tragiques, est réalisé, mais en même temps, comme nous l’avons écrit, cet acte de confiance est un acte de foi et un immense espoir peut se lever dans toutes les âmes françaises. […]

Surligner les éléments de rédaction qui témoignent de l’absence d’objectivité de l’article


2- Défense de la France
  Défense de la France, est un des premiers journaux clandestins à avoir été créés. Créé  en juillet 1941 en zone occupée, par Philippe et Hélène Viannay et Robert Salmon, et disposant d’une véritable imprimerie indépendante, Défense de la France devient le plus fort tirage de la presse clandestine, un peu avant la Libération avec 450 000 exemplaires par jour. Les premiers numéros étaient imprimés sur une machine offset Rotaprint, cachée dans les caves de la Sorbonne, avec en exergue cette phrase de Pascal : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger ».  Le journal continuera une longue carrière après la guerre sous le titre France Soir.


1940 : les médias, responsables de la défaite ? (d’après l’analyse de l’historien et résistant  Marc Bloch)
  Ce n'est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes. Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple, qu'avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n'est possible ? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l'on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes mais faciles en somme à déceler, qu'inspire l'esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d'obéir uniquement à des consignes d'ordre politique, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, dans leur source, étrangers à notre pays. Sans doute, le bon sens populaire avait sa revanche. Il la prenait sous la forme d'une méfiance croissante envers toute propagande, par l'écrit ou par la radio. L'erreur serait lourde de croire que l'électeur vote toujours « comme le veut son journal ». J'en sais plus d'un, parmi les humbles, qui, recevant chaque jour le quotidien du cru, vote presque constamment, contre lui et peut-être cette imperméabilité à des conseils sans sincérité nous offre-t-elle, aujourd'hui, dans l'état où nous voyons la France, un de nos meilleurs motifs de consolation, comme d'espoir. […]   Était-ce donc que nos classes aisées et relativement cultivées, soit par dédain, soit par méfiance, n'avaient pas jugé bon d'éclairer l'homme de la rue ou des champs ? Ce sentiment existait sans doute. Il était traditionnel. Ce n'est pas de gaieté de cœur que les bourgeoisies européennes ont laissé « les basses classes » apprendre à lire. Un historien pourrait citer là-dessus bien des textes. Mais le mal avait pénétré plus loin dans les chairs. La curiosité manquait à ceux-là mêmes qui auraient été en position de la satisfaire. Comparez ces deux journaux quasi homonymes : The Times et Le Temps. Les intérêts, dont ils suivent, l'un et l'autre, les ordres, sont de nature semblable ; leurs publics, des deux côtés, aussi éloignés des masses populaires ; leur impartialité, également suspecte. Qui lit le premier, cependant,  en saura toujours, sur le monde, tel qu'il est, infiniment plus que les abonnés du second. […]
                                        Marc Bloch, L'étrange défaite, essai rédigé durant la 2nde guerre mondiale.

Quelle est la thèse de Marc Bloch. Résumez son argumentation

La guerre des ondes

A. extraits de l' émission « les Français parlent aux Français » sur la BBC.

Entre le 19 juin 1940 (suite à l'Appel du 18 juin dans un bulletin d'information) et le 25 octobre 1944, des programmes en langue française furent diffusés depuis les studios de la section française de la BBC (British Broadcasting Corporation, société de production et de diffusion des programmes de radio-télévision britanniques). Sous le nom de Radio Londres, qui entendait s'opposer à Radio Paris, antenne du gouvernement de Vichy, furent produits six bulletins quotidiens d'informations françaises et des émissions à contenu politique, dont des programmes humoristiques. Enregistrés à Londres par les équipes françaises de la BBC, les sketches et chansons s'appuyaient le plus souvent sur des airs très connus, des jeux de mots et un contenu détourné ; les textes étaient interprétés par Pierre Dac, Pierre Lefevre et d'autres, accompagnés par l'orchestre de Francis Chagrin, auteur des arrangements. Rompant avec le style emphatique de la radio française, ils employaient un ton nouveau à l'antenne et inventaient une radio de proximité avec, outre les sketches et chansons, des messages personnels, des blagues ou des publicités détournées. Le succès rencontré poussa les Allemands à faire interdire Radio Londres en confisquant les postes et en punissant lourdement les auditeurs. La radio était devenue une arme de guerre. Elle encourageait les Français à s'insurger contre l'occupant et dénonçait, parfois avec humour, la désinformation des radios collaborationnistes.

B. Extraits de Radio-Paris

Philippe Henriot : principal collaborateur de Radio-Paris, il prend la parole tous les jours à l'antenne de Radio Paris pour défendre la collaboration, attaquer la France libre et les Français libres du Général de Gaulle. Il se bat particulièrement contre Pierre Dac et Maurice Schumann, qui animent l'émission « Les Français parlent aux Français » sur la BBC. Sur Youtube, écouter Pierre Dac répond à Henriot. Surnommé le Goebbels français, il est  nommé Ministre de l'Information et de la Propagande dans le gouvernement de Vichy en janvier 1944. Il est abattu par la Résistance le 28 juin 1944.


L’œil de Vichy

EXTRAIT VIDEO => TE

L'Oeil de Vichy est un documentaire réalisé en 1993 par Claude Chabrol, sur un “scénario” des historiens Jean-Pierre Azéma et Robert Paxton. Le film rassemble et présente des images d'archives tirées des actualités officielles entre 1940 et 1944. Il peint ainsi le tableau de cette époque, de son fonctionnement et de ses obsessions. Les images sont montées chronologiquement et ne sont pas commentées car le film « n'en a pas besoin ». Seule la voix de Michel Bouquet vient à intervalle régulier rétablir la vérité sur des images mensongères ou apporter des précisions sur le contexte. A sa sortie, le documentaire déclenche la polémique. Lors de la présentation du film en 1993, Claude Chabrol dit que « ce film ne montre pas la France telle que je la vois mais telle que Pétain et les vichystes ont voulu qu'on la voie.


« comment Vichy met en valeur les réalisations du Troisième Reich,
met en valeur le régime nazi et le cite en exemple ».

Ils s'appuient sur des images de 1941 vantant les mérites du travail en Allemagne, qui permet aux chômeurs « d'aller gagner leur vie et celle de leur famille outre-Rhin ». Dans ce cadre « 50 000 ouvriers français travaillent momentanément en Allemagne, gagnant ainsi un salaire élevé pour leur catégorie ». 300 000 ouvriers volontaires partent jusqu'en 1942 pour l'Allemagne, avant que 650 000 autres ne partent sous la contrainte dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO). On devine en fond du document une deuxième voix, couverte par la musique et le commentaire. Est-ce la version pour la France du journal allemand de l'UFA Deutsche-Wochenchau ? Rien ne permet de l'affirmer mais cela rentre bien dans la question soulevée initialement par Jean-Pierre Elkkabach.

Tout l'argumentaire de la propagande de Vichy est déroulé dans les Actualités mondiales. Le départ volontaire « permet non seulement d'alléger sensiblement les crédits de secours accordés par l'Etat français, mais aussi de donner aux ouvriers l'occasion d'apprécier la valeur des institutions nationales-socialistes allemandes ». C'est la mise en place d'une nouvelle Europe à l'heure allemande, marquée par les cris de joie du départ et les visages souriants des femmes qui partent. Au retour, dans cette nouvelle Europe, resterait le « souvenir tant du standard de vie que des bonnes conditions de travail, et enfin de l'accueil amical et de vraie camaraderie que leur réservèrent les ouvriers allemands ».

Ces images de propagande sont « beaucoup vues à l'époque », quand les Français les découvrent sur grand écran au moment où le cinéma est « en pleine gloire ». Claude Chabrol évalue le nombre de spectateurs à 200 millions par an en 1938, à 300 millions en 1942 et 400 millions en 1943. La croissance de la fréquentation depuis le milieu des années 1930 s'est progressivement stabilisée autour de 400 millions de spectateurs. Les années 1940, 1942 et 1944 connaissent une relative contraction qui peut s'expliquer par les épisodes militaires de guerre sur le territoire national. Dans la période 1940-1944, 220 films sont produits qui attirent le public. Les Actualités qui précèdent le long métrage sont « chahutées », avec des protestations « dans quelques villes » (Montpellier, Angoulême, Perpignan). Les actualités étaient alors projetées avec la lumière allumée, « pour voir les siffleurs ».


mercredi 11 septembre 2019

Questionnaire pour l'expo virtuelle de la BNF sur l'histoire de la presse


 le site de la BNF : « la presse à la une »

Axe 1 : l'Histoire de la presse

La navigation dans ce site est assez complexe. Commencez par vous faire une première idée en visitant l’exposition (rubrique « en images » colonne 1). Puis vous approfondirez et irez rechercher des réponses plus précises dans les mêmes thèmes développés par écrit (colonnes 2 et 3 sur la page d’accueil)





Naissance de la Presse (de la gazette à Internet + la fabrique de l’info)
·     Nom, auteur et date de création du premier journal français. Zoomez sur l’image : décrivez la mise en page.
  •  Date et nom du 1er quotidien d’information. Observez la mise en page. Quelles différences par rapport au modèle précédent ?
  •  Quelle période est considérée comme « l’âge d’or de la presse » ? Justifiez l’expression et expliquez la périodisation (= pourquoi à cette période ?). Quelles sont les évolutions en termes de mise en page et de contenu ?

Axe 2 : La presse et les pouvoirs (de la gazette à l’internet + la mise en scène)
  • A quelles occasions et sous quels régimes, la presse est-elle censurée, contrôlée ? De quelles manières peut-elle être manipulée ?
  • Depuis quand la presse française est-elle indépendante du pouvoir politique ? Expliquez la périodisation.
  •  Dans pistes pédagogiques Daumier, lire « la caricature ».


Tache finale : préparez tous les arguments et exemples pour rédiger un paragraphe argumenté sur le sujet suivant  "l'Etat et le contrôle de la presse du XVIIe  au XIXe siècles : une intervention limitée ?"


Axe 3 : comment informer ?

  • Qu'est-ce que l'information ?
Quels sont les différents types d’informations ? (on parle aussi de rubriques) => lister/caractériser
Le fait-divers est-il de l’information ? => Dans la page consacrée au fait divers, relever ses principales caractéristiques. Expliquer l'expression "information-spectacle". Quel peut être l'intérêt social du fait divers ?
Le journaliste témoin (rubrique "fait social") : informer, c'est d'abord "rendre compte". Quelles sont les règles qui s'imposent au journaliste dès la fin du 19e siècle ? Quelles difficultés peut rencontrer le journaliste pour bien "rendre compte" (dernier paragraphe) ? Le journaliste, spécialement le journaliste-reporter, peut aussi être un "témoin" : à travers la présentation des premiers grands reporters du 20e s, comment caractériser leur démarche ?
Sur la page "le journaliste acteur", repérer les formes d'utilisation de la photo de presse et les critiques que l'on peut éventuellement lui porter.
Dessin et photo de presse (vous renvoie sur expo AFPSi vous avez le temps…
Dans pistes pédagogiques AFP, lire l’analyse de l’image du milicien de la guerre d’Espagne, photographié par R. Capa. A compléter avec  « les photos icônes » dans Dossier pédagogique de l’expo Presse à la Une.

Bilan : comment comprenez-vous l'obligation d'objectivité du journaliste ?

  • Informer, est-ce seulement rendre compte ?
Qu’est-ce que la presse d’opinion ? 
Quel est le travail d'un journaliste d'investigation ?
Qu’est-ce que la presse militante ? Prenez l'exemple du Bondy Blog : pour quelle(s) raison(s) s'est-il constitué ?

  • La charte de déontologie du journalisme
Dite aussi "charte de Munich" (voir les pages wikipedia sur la charte et sur la déontologie du journalisme) : que veut dire "déontologie" ? Quelles menaces pèsent sur le respect de ces règles déontologiques ?

Bilan : rédiger une synthèse sur les missions et les modalités du travail journalistique


vendredi 6 septembre 2019

1932, le scandale des fraudes fiscales

1932 : l'affaire des fraudes fiscales et le gouvernement Herriot
Sébastien Guex, université de Lausanne. L'Economie politique n° 033 - janvier 2007
L'histoire de la IIIe République durant l'entre-deux-guerres est parsemée de scandales politico-financiers. L'affaire Stavisky est la la plus célèbre. Le scandale dit "des fraudes fiscales" ou "de la Banque commerciale de Bâle", survenu durant les derniers mois de 1932, a sombré dans un profond oubli en France. Pourtant, ce scandale vaut qu'on s'y arrête. Ne serait-ce que parce qu'il a fortement contribué, en Suisse, au renforcement et à l'institutionnalisation, en 1934, du célèbre secret bancaire. Mais dans une perspective française, l'affaire des fraudes fiscales est aussi intéressante.

Le scandale
Le 27 octobre 1932, sur demande provenant du ministère des Finances, le commissaire de la Sûreté générale dirige une minutieuse perquisition dans un appartement discrètement loué par l'une des plus grandes banques suisses de l'époque, la Banque commerciale de Bâle (BCB). La Sûreté saisit de nombreux papiers. Parmi ceux-ci figurent des documents particulièrement sensibles et notamment des carnets où se trouve une longue liste des noms et adresses des clients de la banque. Il ressort des interrogatoires et des papiers saisis que la BCB entretient cette sorte d'agence, non déclarée aux autorités françaises et donc clandestine, depuis 1927 en tout cas, permettant aux propriétaires de frauder l'impôt. L'ampleur de la fraude est gigantesque. La somme de la fortune qui échappe au fisc se situe entre 1 et 2 milliards de francs français de l'époque, privant l'Etat de recettes de plusieurs dizaines de millions de francs par année. Les carnets saisis font apparaître que plus de 1 000 personnes sont impliquées, la très grande majorité appartenant à la haute société: trois sénateurs et un député influents, une douzaine de généraux, deux évêques, deux conseillers à la cour d'appel de Paris, de grands industriels ou brasseurs d'affaires, parmi lesquels la famille Peugeot, la famille Coty, propriétaire du quotidien Le Figaro, le directeur général du grand journal parisien Le Matin, ou encore Maurice Mignon, l'un des plus importants distributeurs de publicité financière auprès de la presse française. A eux seuls, les noms à particule ne constituent pas loin de 10% de la liste.
Une dizaine de jours après la perquisition, l'affaire commence à s'ébruiter. Le 8 novembre 1932, en effet, le député socialiste Fabien Albertin dépose une interpellation à la Chambre des députés "sur les mesures que le gouvernement compte prendre pour réprimer les graves fraudes fiscales récemment découvertes". Le jour même, le principal quotidien socialiste, Le Populaire, publie un long article en première page où, sous le titre "Scandale sur scandale", il commente l'interpellation en exprimant l'espoir que "les malandrins qui fraudent le fisc (seront) impitoyablement châtiés".
La discussion mouvementée à la Chambre, dont la presse se fait largement l'écho, semble accroître la pression sur les autorités gouvernementales et judiciaires et accélère ainsi les choses. Il est convenu, à la demande expresse du ministre de la Justice de demander immédiatement la levée de l'immunité des quatre parlementaires impliqués. Enfin la totalité des trente-huit juges d'instruction du Parquet de la Seine sont mis sur l'affaire, en répartissant entre eux les dossiers ouverts, dont le nombre atteindra finalement 1 084. Durant la semaine suivante, les autorités françaises entreprennent encore deux démarches qui stimulent l'intérêt public pour le scandale. Le 23 novembre, le Parquet rend publique une liste comprenant les noms et les adresses des quelque 130 premiers inculpés. Plusieurs quotidiens la font paraître le lendemain. A partir de la fin du mois de novembre, on entre dans une nouvelle phase, celle où, suite à une politique active de neutralisation et d'enlisement, le scandale retombe. Le Populaire ne s'y trompe pas, qui écrit, le 9 décembre 1932: "petit à petit, l'étouffement s'organise".
Les étapes comme les facteurs qui conduisent à l'étouffement se laissent suivre assez facilement.
·         Premier facteur : les autorités ne mandatent, et cette fois-ci leur décision reste très discrète, que quatre experts-comptables pour examiner les 1 084 dossiers ouverts, dont la plupart sont d'une redoutable complexité. Le Populaire (22 nov. 1932) a beau dénoncer cette décision qui "se moque littéralement de l'opinion" et vise à rendre la "justice (…) paralytique", sa protestation n'aura aucun effet.
·         Second élément: la divulgation des noms des 130 premiers inculpés provoque une très vive réprobation. Plusieurs députés interpellent furieusement le gouvernement à la Chambre. Quant à la presse de droite, elle s'étrangle d'indignation. Le Figaro (25 et 27 nov. 1932) voit par exemple, dans cette disposition, l'expression de l'"anarchie" et de la "dictature de la délation" . Devant cette tempête, les autorités reculent: elles cessent aussitôt la communication des noms.
·         Contrairement à la plupart des autres affaires politico-financières de l'entre-deux-guerres, lors desquelles les quotidiens de gauche mais aussi de la droite musclée ou antiparlementaire ainsi que la presse "à sensation", à l'instar de Paris-Soir, attisent ou déclenchent même l'incendie, les fronts se présentent très différemment dans ce cas-ci. La presse de droite, qu'elle soit modérée ou dure, ainsi que les journaux à sensation tentent, dès le début, d'étouffer l'affaire. Dans ce sens, on emploie deux méthodes. D'une part, le silence. C'est à peine si Paris-Soir mentionne le scandale: quatre minuscules articles, et c'est tout. L'Action Française comme Le Matin sont aussi d'une discrétion inhabituelle. Le Figaro ainsi que les quotidiens de droite plus modérés, comme Le Petit Journal, Le Petit Parisien ou Le Temps, accordent, certes, davantage de place à l'événement (entre une dizaine et une vingtaine d'articles chacun), mais se taisent le plus rapidement possible. L'autre méthode utilisée, parfois en parallèle, relève d'une tactique éprouvée dans ce genre d'affaires. Au lieu de dénoncer la fraude et ceux qui en profitent, on accuse les impôts et le fisc, dépeints comme exorbitants, monstrueux et pousse-au-crime. Ainsi drapée des vertus de la légitime défense, la fraude fiscale est banalisée, bientôt justifiée, le scandale minimisé et l'Etat condamné.

Dans cette voie, ce sont Le Figaro et L'Action française qui se montrent les plus actifs. Commentant l'interpellation d'Albertin, l'éditorial du Figaro dénonce, dès le lendemain (11 nov. 1932), "le fisc, ses excès et ses inquisitions (…) détestables" qui poussent à "se demander si (…) l'impôt abusif ne crée pas nécessairement le délit, si blâmable soit-il". Le ton du Figaro ira crescendo. Le 27 novembre, par exemple, un éditorial s'écrie: "Le vrai scandale est (…) d'abord la spoliation fiscale d'inspiration socialiste et démagogique qui ruine la France et fait naître la fraude". Quelques jours plus tard (9 déc. 1932), François Coty, sous le titre "Termites", n'a pas de mots assez durs pour le fisc qui "écrase la nation française" par "ses appétits déchaînés", son "pillage" et sa "curée démagogique". Même son de cloche à L'Action Française. "Il y a des fraudeurs parce que les taxes sont trop lourdes" (13 nov. 1932).
Seule la presse socialiste ou communiste s'est efforcée de souffler sur la braise. Mais ses moyens d'investigation et son audience étaient beaucoup trop limités, en 1932, pour mettre en échec la stratégie du silence et de la banalisation déployée par le reste des journaux
·         Un quatrième et important facteur a contribué à enliser et étouffer l'affaire. La commission du Sénat refuse la levée de l'immunité des trois sénateurs impliqués.
·         La chute du gouvernement Herriot, le 14 décembre 1932, va également contribuer - et il s'agit du dernier facteur - à enliser l'affaire. Certes, le nouveau garde des Sceaux ne paraît pas décourager la justice de suivre son cours. Ce n'est pas le cas, en revanche, du nouveau ministre des Finances, un pilier de la droite modérée, qui n'est autre que le président de la commission du Sénat dont on vient de parler. Il rejoint, parmi les trois ministères qui s'occupent de l'affaire (Finances, Justice, Affaires étrangères), la position du Quai d'Orsay qui, très vite, a cherché à apaiser le scandale afin, notamment, de ne pas s'aliéner les banques et le marché financier suisses.
En fin de compte, seule toute petite partie des personnes impliquées sera condamnés - à des peines d'amendes - à la suite de jugements qui s'étaleront de 1935 à 1944. Quant aux responsables suisses de l'agence clandestine de la BCB à Paris, ils seront condamnés en juin 1948, seize ans après l'affaire, à des peines de prison (avec sursis), mais bénéficieront immédiatement d'une amnistie.

Les aspects politiques du scandale
La  perquisition de l'agence clandestine de la BCB n'avait "pas été simplement le fait du hasard". En effet, l'attention des plus hautes sphères politiques avait été attirée depuis fort longtemps, six ans au moins, sur les activités déployées dans l'Hexagone par les banques helvétiques dans le but d'attirer la clientèle française en lui permettant de frauder le fisc. Un rapport de mai 1929 citait même nommément la Banque commerciale de Bâle. Mais durant toutes ces années, les autorités ne réagissent pas.
Cela change durant la seconde moitié de 1932. Rappelons que, suite à la victoire de son parti aux élections législatives de mai 1932, Edouard Herriot est nommé pour son second grand mandat en tant que président du Conseil. Début juin, il forme un gouvernement quasiment homogène, au sens où celui-ci ne comprend que des membres du centre et de l'aile droite du Parti radical-socialiste et n'inclut aucun représentant de l'aile gauche du parti et, a fortiori, aucun socialiste. Face à la grave crise économique qui touche la France, ce gouvernement préconise une vigoureuse politique déflationniste, dont la clé de voûte est le rétablissement de l'équilibre budgétaire par la diminution des dépenses. Une telle politique s'attaque particulièrement aux employés de l'Etat et, de manière plus générale, aux salariés, mais elle mécontente aussi de vastes couches parmi les agriculteurs, les commerçants et les artisans. Aussi le ministère Herriot se heurte-t-il non seulement aux socialistes mais, fâchant l'électorat radical, il suscite également l'opposition d'une partie croissante de son propre parti. Le soutien dont il dispose au Parlement s'effrite rapidement. En juillet 1932 déjà, lors de la première discussion que le Palais-Bourbon consacre aux propositions financières du gouvernement, l'atmosphère est si tendue que Herriot estime sa chute possible. C'est ce contexte politique particulier qui permet de comprendre le déclenchement de l'affaire. En déclenchant l'affaire des fraudes fiscales, le gouvernement tente de redorer son blason auprès des socialistes et de l'aile gauche du Parti radical. En s'en prenant spectaculairement à la fraude, il s'agit donc pour le gouvernement de frapper l'opinion publique en lui montrant que, s'il exige des sacrifices des couches populaires, il n'hésite pas, par ailleurs, à s'attaquer aux riches et aux puissants. Autrement dit, il cherche à faire passer l'amertume des mesures d'austérité auprès du public, et plus particulièrement auprès des socialistes et de l'aile gauche des radicaux, en leur offrant, en guise de compensation, le sucre d'une répression accrue de la fraude fiscale.

Mais pourquoi le gouvernement Herriot est-il tombé?
A l'opposition des socialistes et de la droite dure vient s'ajouter celle de nombreux députés du centre et de la droite modérée.  Ainsi, il est difficile de penser que l'inculpation d'un nombre si élevé de personnages aussi considérables, dans le cadre du scandale, n'ait pas puissamment nourri la colère et les rancunes contre le gouvernement et n'ait donc pas considérablement influencé le vote de défiance de la Chambre, vote qui intervient, rappelons-le, un mois seulement après la révélation de l'affaire. D'autant plus - suprême sacrilège - que les noms d'une partie non négligeable d'entre eux ont été livrés à l'opprobre du public.

Dans une tentative désespérée de mieux faire passer sa politique déflationniste sur sa gauche, le gouvernement Herriot s'est risqué à ouvrir cette boîte de Pandore qu'est la fraude fiscale. Mal lui en a pris: suscitant l'ire de tous ceux qui tenaient à refermer cette boîte au plus vite, il n'a pas tardé à être balayé. Pour les fortunes de France, le compte en Suisse avait encore de beaux jours devant lui.


Analyse :
Comment le pouvoir politique utilise-t-il la presse pour des objectifs politiques ?
La presse est-elle indépendante ? Comment reflète-t-elle les divisions politiques de l’époque ?




BILAN


Ce que les faits nous apprennent : la presse à l’époque est libre (depuis la loi de 1881) et elle est largement militante : les partis politiques ont leurs titres de presse. Elle a un rôle d’interpellation du politique. C’est ainsi que le scandale est révélé et alimenté par le quotidien du parti socialiste Le Populaire et des contrefeux sont organisés par la presse de droite Le Figaro ou l’Action française. Donc, 1er enseignement : le débat qui organise l’opinion publique est alimenté et structuré par la presse d’opinion.
En ce qui concerne les rapports entre pouvoir politique et pouvoir médiatique : on comprend à la lecture du document que le gouvernement Herriot (de centre droit) a tenté d’instrumentaliser la presse en permettant qu’éclate le scandale. Son idée, c’est de faire de la politique par la presse (se concilier les forces de gauche en lâchant du lest sur la corruption) mais très vite, il va chuter. Pourquoi ? parce qu’il joue l’opinion publique, qui ne se mobilise pas tellement et ne descend pas dans la rue, contre les élites économiques, qui elles, se mobilisent dans la presse sur des thèmes de lutte contre l’impôt, qui « obligerait les riches à frauder » (!) (= contrefeu)  et qui décrédibilise et étouffe le scandale. La droite mobilise aussi à l’Assemblée les députés de droite qui s’unissent et ont une majorité pour faire chuter le gouvernement.

Printfriendly