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mardi 19 mars 2024

Guerre et cinéma aux Etats-Unis

 

Présentation : je vous propose une activité en classe, sur la bataille d' Iwo Jima, qui peut être utilisée dans le cadre de l'enseignement de spécialité. A priori, elle cadre mieux avec le thème Histoire et Mémoire (Spé Term)  dans l'axe 1, "Histoire et Mémoire des conflits", mais je viens de l'utiliser en Spé 1ere, dans le cadre du cours sur l'information en temps de guerre. Il s'agissait de compléter le cours qui fait une part belle à la question de la propagande par un point plus spécifique : l'image iconique et les traces qu'elle laisse dans la mémoire.

Durée : puisqu'il s'agissait pour moi d'un complément de cours, j'ai calibré pour que l'activité soit faite en 1H. Il y aurait bien des possibilités d'approfondir, en utilisant davantage le film de Clint Eastwood, "Mémoires de nos pères". J'ai indiqué aussi en fin d'article deux autres pistes pour prolonger la réflexion.

Supports : poly pour les élèves (détaillé dans la suite de l'article) + Mémoires de nos pères de Clint Eastwood + épisode 8 de The Pacific

Documentation : un article de Laurent Tessier dans Transhumances IX, p. 233-244 + Le labo 1 (publication des clionautes, auteur JP Meyniac) , nov 2007 + article du Nouvel Obs , le drapeau rouge sur le Reichstag

Déroulé
  • On commence par regarder le début du film de 3:40 à 5:10. Les élèves ont un poly. C'est leur doc 1 (image + transcript)

Transcript scène d'ouverture de Mémoires de nos pères (+/-3:40-4:40). Film de Clint Eastwood -2006

"Beaucoup de gars que j'ai connus n'ont jamais parlé de ce qui s'est passé là-bas, sans doute parce qu'ils essaient de l'oublier. Ils ne se sont jamais considérés comme des héros. Ils sont morts, sans gloire. Personne ne les a pris en photo. Seuls leurs copains savent ce qu'ils ont fait. J'ai dit à leurs parents qu'ils sont morts pour leur pays...je ne suis pas sûr que c'était le cas. D'ailleurs il y a eu plein d'autres photos prises ce jour-là, mais que personne n'a voulu voir. Ce qu'on voit et ce qu'on fait à la guerre, la cruauté, est impensable. Mais d'une façon ou d'une autre, il nous faut y trouver un sens, et pour ça il nous faut une vérité facile à comprendre. [...] La bonne photo peut faire gagner ou perdre une guerre. Regardez le Vietnam, la photo de cet officier sud-vietnamien faisant sauter à bout portant la tête de ce Viêt-Cong. C'était fini, on avait perdu la guerre."


Ensuite, présentation de la photo

Doc 2 : Une photographie pour l'Histoire

Raising the Flag on Iwo Jima est prise le 23 février 1945 par le photographe américain Joe Rosenthal pour l'agence Associated Press. Elle montre cinq Marines américains et un soldat infirmier de la Navy hissant le drapeau des États-Unis sur le mont Suribachi, lors de la bataille sur l'île japonaise d'Iwo Jima durant la Seconde Guerre mondiale. La photographie est développée à Guam et envoyée immédiatement aux Etats-Unis. Des centaines de journaux la reprennent dès le lendemain. La photographie eut donc immédiatement un immense succès. Elle devint également le seul cliché à obtenir le prix Pulitzer de la photographie l'année de sa publication. Considérée comme l'une des images les plus significatives de son époque, elle constitue également l'une des photographies les plus diffusées de tous les temps. Elle a été choisie à l'époque pour servir de support à la campagne du 7e emprunt de guerre et donc a été reproduite sur des affiches, des timbres ... Les trois soldats survivants de ce moment ont été enrôlés par l'armée pour la tournée de levée de fonds à travers les Etats-Unis.

 

Analyse rapide de la photo pour en comprendre l'efficacité

Contextualiser en expliquant aux élèves que la guerre du Pacifique contre le Japon est une guerre que les Etats-Unis ont mené seuls contre le Japon qui les avait directement attaqués. Elle a nécessité un déploiement d'hommes et de ressources bien supérieur au front européen. Les conditions extrêmement difficiles de cette guerre (sauts de puces d'archipels en archipels => carte historique) pour se rapprocher du Japon, de même que la résistance acharnée des Japonais (cf les kamikazes) ont fait du front du Pacifique le front essentiel de la Seconde Guerre mondiale pour l'opinion publique américaine.

Intérêt stratégique d'Iwo Jima = indiqué au tout début de The Pacific : carte + images d'archives + témoignage de vétéran . Visionnage de ces quelques minutes (avant le générique)

Pour mieux comprendre pourquoi cette photo et pas une autre du même événement, les élèves sont amenés à comparer avec une autre photo. Celle-ci est juste projetée, pas distribuée.

=> bilan :

  • Une bataille stratégique, filmée et reportages radio en direct. 12 000 japonais sur un îlot de quelques dizaines de km². Nombre de morts US très élevé.
  • Quant à la photo elle-même : dynamisme de la scène, des marines (corps d'élite) qui en plus forment un seul corps (coopération et esprit d'équipe = valeurs "militaires") + annonce de la victoire future/message d'espoir : la ligne négative (diagonale descendante) est en passe de basculer en ligne positive (diagonale montante)

 

Qu'est-ce qu'une image iconique ?

Elle imprègne l'imaginaire collectif => réutilisée, détournée, mentionnée ...

doc 3 : quelques exemples de l'impact de cette image

a- Felix de Weldon pose devant son oeuvre : le US Marine Corps War Memorial d'Arlington (cimetière militaire)

= plus de 6 millions de visiteurs /anBataille Iwo Jima

b- Le drapeau rouge sur le Reichstag (Berlin), la réponse soviétique ( Photo : Evgueny Khaldeï, 2 mai 1945 pour l'agence Tass)

c- Andy Singer, D-Day, 1998

l'image iconique détournée...

Le rôle et l'efficacité du cinéma dans la fabrication et la transmission d'une mémoire "officielle"

"Mon boulot, c'est juste de raconter cette histoire. Et ensuite, quand le public viendra, j'espère que ça lui donnera une idée de ce qu'était cette génération : la famille, la camaraderie, le fait de pouvoir compter sur son voisin et ce que ça veut dire dans la vie" (extrait interview Eastwood dans les bonus du DVD, édition collector)

Doc 4 : présentation et exploitation de la série The Pacific

Après Band of brothers (2001) qui retraçait l'histoire d'une compagnie américaine du débarquement jusqu'à la fin de la guerre en Europe, Steven Spielberg et Tom Hanks récidivent en 2010 et co-produisent The Pacific. HBO est une chaîne du câble, connue pour ses programmes de très haute qualité. La série a reçu 8 Emmy Awards.

Basée sur deux livres de vétérans, Eugène Sledge et Robert Leckie la série entretient le flou entre la fiction et la réalité : les vétérans sont joués à l'écran par des acteurs, les scènes de bataille sont minutieusement reconstituées...

Comment le dispositif de la série joue-t-il sur cet aller-retour entre réalité et fiction ? Quel est le but recherché ? On pose ces deux questions aux élèves et on repasse le début (images d'archives et témoignage jusqu'au début du previously = 2min 32). Puis visionner la scène de bataille d'Iwo Jima à partir de 44min 18.

Ce n'est pas utile d'aller jusqu'au bout.

L'objectif est de comparer les images de la guerre filmées à l'époque et les images de la bataille dans la série.

Bilan =

  • une reconstitution apparemment fidèle (cf la butte et les soldats qui se font mitrailler en haut = quasiment identique entre archives et série). Le fait de commencer par les films de l'armée de l'époque et par le témoignage d'un vétéran légitime la fiction. Cela lui octroie une sorte de certificat d'authenticité.
  • une efficacité de la narration : focalisation interne (on entre directement dans la scène de combat, on est perdu, on ne comprend pas d'où viennent les tirs et on découvre l'ennemi en même temps que le personnage principal) + suspense (vont-ils réussir à tuer le japonais dans son bunker ?) (le héros va t-il finir étripé comme tous les autres ?)
  • des émotions multiples (horreur, stress, tristesse...) qui impriment en nous cette représentation de la guerre.
  • un message : l'héroïsme des soldats ordinaires => un modèle ?
En cette fin de séance, il reste à indiquer aux élèves que :

Comme le fait remarquer Pierre Conesa, géopoliticien français qui travaille sur les mêmes thématiques qu'Alford, les Etats-Unis n'ont pas un système unifié pour l'enseignement de l'Histoire. Les programmes scolaires relèvent de la compétence des États et non pas de l'état fédéral. C'est donc Hollywood qui fabrique et transmet aux différentes générations d'américains la mémoire commune de l'Histoire . Cette mémoire n'est pas unifiée, mais on distingue de nombreux points communs dans tous les récits de guerre à destination du public américain.

Par ailleurs, Laurent Tessier dans son article indique que : "en interrogeant les vétérans du Vietnam, nous avons pu constater que les soldats américains qui se sont battus lors de conflit sont souvent partis à la guerre avec, en tête, le fantasme de reproduire le modèle héroïque de leurs pères (la génération de la 2nde guerre mondiale) et de leurs grands-pères (celle de la 1ere guerre mondiale). [...] De même, les films se répondent comme si chaque génération de boys était représentée en référence à la précédente. [...] On constate depuis les années 60 (Vietnam) une sorte de blocage dans cette filiation".

Remarque 1: sur un idée de Lionel Chevassus, les élèves approfondiront en autonomie. J'ai repris son questionnaire de l'interview de Matthew Alford sur Le Media : "Hollywood, la machine à propagande".

Remarque 2 : sur le fait qu'il est devenu plus difficile de faire des films de guerre ouvertement héroïques depuis le Vietnam et que les films se répondent les uns aux autres, on pourrait évoquer une autre mini-série de HBO, Generation Kill de David Simon. Ce fut un flop médiatique et la série fut annulée à la fin de la première saison, ce qui est très rare avec HBO. Or, cette série refuse précisément toute héroïsation des soldats et montre une guerre profondément absurde.

samedi 27 juin 2020

Pour inciter les élèves à lire le beau roman de Silvia Avallone : D'acier


I/ D’Acier est un roman sur le thème de l’Autre.

Tous les personnages sont des individus isolés, solitaires et perdus. Entre eux et les autres, les relations sont difficiles, le plus souvent violentes et marquées par l’incompréhension.

Rosa :

« Elle souleva la bassine et la vida dans l’évier du balcon, les yeux sur les grumeaux de crasse dans le tourbillon du siphon. Elle aurait voulu le voir crevé là, écroulé par terre, agonisant. […] Après, lui rouler dessus avec la voiture, l’écrabouiller sur la chaussée, le réduire en bouillie, comme le ver de terre qu’il était. Francesca comprendrait. Le tuer. Si je n’étais pas tombée amoureuse, si j’avais cherché du travail, si j’étais partie il y a dix ans. »

Pourquoi Rosa veut-elle tuer son mari, le père de Francesca ?

D’une manière générale, comment qualifier les relations au sein des couples du roman : Rosa/Enrico ; Sandra/Arturo ; Cristiano/Jennifer.

 

LISA, FRANCESCA, ANNA et les autres …

« Les filles de leur âge, les boudins que leur propre vision dans le miroir plongeait dans la crise totale, les détestaient. Anna et Francesca, leur beauté, elles te l’envoyaient dans la gueule. Chaque putain de minute, il fallait qu’elles prouvent qu’elles étaient mieux que toi, qu’elles avaient gagné, a priori et pour toujours.

Lisa réalisait que jamais elle n’irait se mettre comme ça au milieu des garçons, au centre de leur attention. Les cartes à la main, elle se serrait dans sa serviette. Entre ses dents, elle sifflait : « petites putes ».[…]

Anna sortit de l’eau. Elle passa devant Lisa et les autres boudins sans leur accorder un regard. Mais elle eut un sourire mauvais quand elle marcha sur une de leurs serviettes, comme pour dire : pauvres filles. Puis de la main elle salua Donata. C’est pas obligé, pensait Lisa, quand on est belle, d’être cruelle, en plus. Si Anna, à l’instant même tombait des rochers et se bousillait définitivement le visage, ce serait juste. Et ce serait justice si Francesca avait tout à coup le métabolisme qui partait en vrille et se retrouvait avec des cuisses énormes bourrées de cellulite.

Le mec à décrocher, tu le trouves toujours, à force de te frotter le cul sur lui, de lui sauter au cou et de lui fourrer tes nichons sous le nez. […]

Francesca, ignorante de ce venin, se glissait sous la douche et se donnait en spectacle. « Tu ne peux pas me faire ça », disait Nino, » c’est pas des choses à faire à un homme ». Francesca se rinçait les cheveux, frottait ses jambes pour enlever le sel tout en regardant Nino à travers les gouttes. Nino essayait de se contenir mais c’était impossible, et il finit par bondir à son tour sous la douche, la prit dans ses bras et lui mordit doucement la nuque.

« T’es fou ! Tout le monde nous regarde…dit Francesca en le repoussant mais en riant aussi.

Elle l’avait voulu, et elle l’avait eu : Nino à ses pieds, suppliant. Elle lui claque un baiser sur la bouche, en récompense. La plage, c’était comme être sur une scène, elle sentait des millions d’yeux braqués sur elle. Face à la foule, elle perdait toute timidité.

Puis elle repartit en courant vers l’eau, rejoindre Anna. Et ce malheureux Nino à trotter derrière, comme un chien.

[…] Le bar à cette heure-ci était assiégé. Autour des tables en plastique Algida, sous les parasols effilochés, les plus grands se la coulaient douce en sirotant des trucs alcoolisés. Maria, les jambes sur la table en une pose pas exactement distinguée, observa Anna et Francesca quelques minutes puis alluma une cigarette. « Ces deux-là, dit-elle en les désignant aux autres, si elles continuent comme ça, l’an prochain elles seront en cloque.

-Tu parles ! se mit à rire Jessica. Son frère la tuerait.

-Il faudrait que quelqu’un lui dise. Regarde la faire l’idiote avec Massimo… »

Cristiano détacha sa Southern Comfort de ses lèves.

-« Eh les sorcières ! cria t-il en rigolant. Vous avez pas fini ? Laissez les vivre ! Vous étiez comment il y a quelques années ? J’ai pas oublié, moi … »

Tout le monde éclata de rire.

Il y avait aussi Sonia, la diva, celle qui avait gravé le nom d’Alessio sur le banc et qui se plantait parfois dans la chambre d’Anna pour regarder des pornos. Elle s’était assise en croisant les cuisses, et son pareo minuscule laissait presque tout voir. C’était une sorte d’ex-Francesca de la via Stalingrado, qui travaillait maintenant comme vendeuse chez Calzedonia, et il était loin le temps où elle était belle. »

Pourquoi Lisa en veut-elle tant à Anna et Francesca ?

Ce qui se joue sur la plage :

Montrez qu’il s’agit d’une question de pouvoir.

Montrez qu’il s’agit de profiter du peu de temps de bonheur dont une jeune fille dispose.

Montrez que ce théâtre de la plage est un théâtre d’illusions.

 

Elena :

« Elle, en effet, n’avait rien à voir avec ces trois-là. Jamais, elle n’avait porté ces minijupes en jean qui arrivent à l’aine, ni ces ceintures cloutées, encore moins tous ces colliers minables. Elle, quand elle s’asseyait, elle n’ouvrait pas les jambes. Les gros mots, elle se dispensait d’en hurler. Et le seul tissu de sa jupe fourreau lilas traçait entre son monde et le leur un fossé infranchissable.

Sonia, Maria et Jessica restèrent un instant indécises ; à la regarder, avec un mélange d’attirance et de méfiance.

Elle, avant même d’entrer à l’école primaire, elle connaissait l’alphabet et savait compter jusqu’à cent. Ses parents lui avaient appris à lire, ils lui avaient expliqué ce qu’est un livre et combien de métiers il y a dans le monde –toutes choses qu’il est donné à bien peu de savoir, via Stalingrado. Elle n’avait pas galopé dès l’âge de cinq ans dans les rues du quartier, ne s’était pas cachée dans les caves pour apprendre à fumer ni ne s’était laissée tripoter derrière les poteaux en ciment : personne, quand elle avait onze ans, n’avait soulevé sa jupe.

Pourtant elle était là, l’ovale de son visage souriant d’une façon désarmante. Et pour les trois filles, tout compte fait, c’était une satisfaction. Elle s’excusa de n’avoir pas trop de temps : on l’attendait à l’extérieur. Mais elle ne pouvait pas s’en aller sans leur dire au revoir. Elle les aimait bien, ces trois-là, qui de leur côté l’aimaient aussi, mais un peu moins. »

Pourquoi Elena est-elle une « extra-terrestre » dans ce monde-là. Qu’est-ce qui la rend si différente ?

Expliquez : « ces trois-là, de leur côté, l’aimaient bien aussi, mais un peu moins » ?

 

ANNA (& FRANCESCA)

« Elle (F ) ressentait une violente colère, à présent. Cette petite conne, qui ne s’était même pas souvenue de son anniversaire, qui ne lui avait pas souhaité Noël, n’avait même pas trouvé le moyen depuis tout ce temps de glisser un mot sous sa porte. Et maintenant elle se retrouvait à passer un bavoir au cou de son père avant de lui donner la becquée. Francesca haïssait le monde entier.

Anna aussi, assise en cet instant au bar Nazionale, obligée de se farcir son frère et cet autre imbécile de Cristiano –qui était là à roter, se rouler des joints sous la table et parler de cuivre, de dope, toujours la même chose-, aurait voulu rembobiner le magnéto du temps, s’arrêter un instant sur cet instantané de Francesca et elle devant le stand L’Oréal au Gardenia, et rewind à l’infini. Elles s’amusaient trop, à piquer du rouge ou du crayon à paupières. Elles construisaient toute une scène, avant de tendre discrètement la main…Anna se souvenait. Elles jouaient aux dames : « Essaie donc celui-ci Francesca, n’est-il pas magnifique ? Oh ! Je trouve qu’il te va très bien ! –mais non, Anna, tu ne vois pas comment il éteint mon visage ? Non, vraiment, il ne me convient pas du tout ! » Et au beau milieu de leur numéro, au lieu de poser le crayon à paupières, elles le glissaient dans leur poche.

Anna se souvenait et souriait. […] Elle ne voulait pas l’admettre, mais c’était tellement mieux avant, quand elles étaient amies. »

Que nous apprend cet extrait des rapports Garçon/Fille ?

Pourquoi Anna et Francesca ne sont-elles plus amies ? Pourquoi ont-elles laissé passé tant de temps sans se réconcilier alors qu’elles se manquent ?

Observez la différence de niveau de langue quand elles « jouent aux dames ». Pourquoi peut-on affirmer que le langage  a une fonction de distinction sociale.

 

II/ Un roman social et politique 

D’acier est un roman profondément désenchanté, roman d’un lieu abandonné, quartier ouvrier en temps de crise, où aucun rêve ne semble réalisable.

 

La lutte des classes

« Elle se mit à examiner les murs : des parois hautes de 10 étages qui barraient la vue sur les quatre côtés. Elle aimait regarder. Elle aimait s’arrêter sur les détails. Il y avait de tout sur les rebords des fenêtres : des plantes desséchées, des chaussures, des casseroles mises à sécher. D’ici, on ne voyait pas la mer. On voyait les pans de crépi écaillé, les pointes de fer rouillées qui sortaient comme des ongles du béton armé des piliers.

Sa mère lui avait expliqué : il y a deux classes sociales. Et les classes sociales luttent entre elles, parce qu’il y a une classe de salauds qui ne fait rien, et qui opprime la classe honnête qui se donne du mal. C’était comme ça que le monde marchait. Sa mère était à Rifondazione communista, elle faisait partie de ces 5% là de la population italienne. Et Alessio, à cause de çà, la traitait de minable. Son père avait le mythe d’Al Capone et du Parrain –celui de Coppola. Son frère avait la carte au syndicat des metallos, la FIOM, mais il votait Forza Italia. Parce que Berlusconi, lui, c’est sûr que c’est pas un minable.

Anna examinait la cour avec attention. C’était son monde. Elle vit passer Emma avec son gros ventre : elle s’était mariée en toute hâte à seize ans avec Mario qui en avait 18.[…] Elle se dit qu’elle ne croyait ni à ce que disait sa mère, ni à ce que gueulait son frère, encore moins aux conneries de son père. Elle ne croyait qu’à la cour de son immeuble.[…] Anna y était née, mais elle voyait bien que les papiers gras, les mégots et quelquefois les seringues par terre, ça n’était pas bon signe. Que tout le monde pissait sous les piliers. »

 

Sur la violence des rapports de classe, voir le dialogue entre Elena et Alessio sur les licenciements (p. 332 sqq)

 

Le désenchantement de la politique

« Alessio était énervé. Il pensait à sa sœur, à la Golf GT tellement super. S’il y avait des gens qu’il ne supportait pas c’était bien ces trous du cul gâteux de la gauche. DS , Rifondazione. Quelle daube, ces cocos : les airs qu’ils se donnaient, les grands mots qu’ils débitaient. Aux élections du 13 mai, il avait voté Forza Italia. Il était sur d’une chose : les mots, ça ne sert à rien. »

 

Pourquoi le discours politique de la gauche ne fonctionne t-il plus dans ce milieu ?

 

L’usine, le personnage central du livre :

« L’épais magma noir et rouge du métal en fusion bouillonnait dans les poches de coulée, des fûts ventrus transportés depuis les wagons-torpilles. Citernes sur roues, semblables à des créatures des premiers âges. Alessio avait fini son service, il se versait une bouteille d’eau sur la tête.

Le métal était partout, à l’état naissant. Cascades ininterrompues d’acier et de fonte rougeoyante, de lumière visqueuse. Des rapides, des torrents, des estuaires de métal en fusion pris entre les digues de la coulée, enfermé dans les cuves des poches, transvasé par les entonnoirs et déversé dans les trains à bandes.

Si tu levais les yeux, tu voyais bouillonner le mélange de fumées grasses, dans un vacarme de robots. A toute heure du jour et de la nuit la matière était transformée. Le minerai et le charbon arrivaient par la mer, accostaient au port industriel sur de gigantesques navires minéraliers : un carburant, qu’acheminaient dans les airs les bandes transporteuses, ces autoroutes aériennes en sauts-de-mouton qui filaient sur une infinité de kilomètres, des quais jusqu’à la cokerie, jusqu’aux hauts-fourneaux. Au milieu de tout ça, tu sentais ton sang circuler à un rythme dingue, des artères jusqu’aux capillaires, et tes muscles gonfler par à-coups : tu régressais à l’état animal.

Dans ce gigantesque organisme, Alessio était minuscule, et vivant.

Il jeta un coup d’œil à la blonde du calendrier Maxim. L’envie de baiser, constante, là-dedans. La réaction du corps humain dans le corps du Titan industriel : bien plus qu’une usine, c’était la matière elle-même en transformation. Elle avait un nom et une formule. Fe26C6. La fécondation assistée s’opérait dans une cuve haute comme un gratte-ciel, l’urne rouillée de l’Afo4, avec son ventre et ses centaines de bras, sa tête en tricorne. »

Par quels procédés, l’usine est-elle assimilée à un monstre ?

 

Via Stalingrado, un lieu dont ne sort pas

Francesca :

« -Je ne veux pas devenir une ratée, continua t-elle ; Sonia, Jessica, ou même mon frère…Ils travaillent du matin au soir, et le week-end ils se défoncent. Après ils se marient, ils font un gamin, et pour finir ils meurent. Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Rien. Personne ne s’est aperçu de leur existence.

-Il faudrait passer à la télé…

-C’est pas vrai ! Pardon pour les bimbos et les présentateurs et les danseuses…mais c’est pas Fabrizio Frizzi (présentateur d’une émission de variété) qui fera l’Histoire ! Elle balança un coup de poing devant elle. »C’est pas ça être quelqu’un de sérieux !

[…]

-Quand on est né ici, où il y a même pas un cinéma correct, quand on a grandi dans ce quartier de merde, à ton avis on peut faire l’Histoire ?

-Tu ne comprends pas. Au fond, toi t’es pessimiste. Mettons que je sois syndicaliste et je m’en prends à la Lucchini (l’usine sidérurgique), et je lance une grève tellement énorme qu’ils sont même obligés d’éteindre le haut-fourneau, ça serait super, non ? »

 

Quels sont les rêves d’Anna et de Francesca ? Ont-elles une chance de les réaliser ?

Quels sont les rêves des autres personnages ? Que leur arrive-t-il ?


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