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dimanche 18 février 2024

La dénazification, mission impossible




La dénazification, mission impossible: Mise en place dès la fin de la guerre, la dénazification de l'Allemagne a durablement sorti la société allemande des affres du totalitarisme. Et pourtant ! Cette vaste opération d'épuration fut loin d'être totale et a connu bien des ratés et des limites. Regardez le documentaire La dénazification, mission impossible en intégralité et en replay sur la chaîne de télévision LCP - Assemblée nationale

Le débat qui suit est aussi extrêmement intéressant. Il fait participer Johan Chapoutot. (Lien)

Attention, le documentaire et son prolongement n'est disponible que jusqu'au 7 mars.


Ci-dessous je propose un QCM qui peut servir de point d'appui pour les élèves pour prendre des notes sur de documentaire. C'est du moins comme cela que je l'utilise en classe.

mercredi 22 novembre 2023

Colonisation et migration

 Le cours de François Héran au Collège de France de cette année (2023-24)  est parfait pour les professeurs qui voudraient actualiser leurs données (nombreux doc) et leurs problématiques de leur cours de 1ere Tronc commun sur la colonisation et l'empire colonial.



dimanche 18 juin 2023

Churchill

 

Churchill, sa vie, ses crimes

Aux Sources (sur le site Hors-Série)

Tariq Ali

Émission animée et conçue par Stathis KOUVÉLAKIS

Traduction et sous-tirage : Ernest MORET

Il y a trois ans, à Londres, la statue de Winston Churchill devant le Parlement britannique était couverte de peinture rouge. Au même moment, des actions du même type, initiées par mouvement Black Lives Matter suite au meurtre de George Floyd, ont visé des dizaines de monuments dans plusieurs pays occidentaux. En cause dans ces actions symboliques, une histoire, coulée dans le marbre ou le bronze des statues, qui a partie liée avec l’esclavage, le colonialisme, le racisme.

Cette actualité a incité Tariq Ali, écrivain, militant de l’anti-impérialisme et figure historique de la gauche radicale britannique à se pencher sur le cas Winston Churchill. L’ouvrage qu’il lui consacre, publié d’abord en langue anglaise en 2022 et dont une traduction française vient de paraître aux éditions La Fabrique, n’est pourtant pas une biographie conventionnelle. Constatant la faible transmission de l’histoire des combats pour l’émancipation dans les nouvelles générations militantes, Ali utilise la figure de Churchill pour déployer une contre-histoire de cette séquence mouvementée, entre la fin du 19e siècle et le mitan du 20e, au cours de laquelle s’est déroulée sa longue carrière de journaliste, d’homme politique et d’écrivain.

Le portrait dressé est assurément à charge. Sont évoquées les multiples facettes du personnage, toutes reliées par un même fil : la défense acharnée de l’ordre capitaliste et, plus particulièrement de l’Empire britannique, qui fut indiscutablement la grande cause de sa vie.

La liste de ses crimes est aussi longue que la carrière d’un personnage qui fut controversé et, en fin de compte, peu apprécié de son vivant. Ali montre que le culte de Churchill est bien plus récent que ce qui est généralement admis. Il coïncide avec la montée du thatchérisme et l’épisode de la guerre des Malouines, mêlant contre-révolution néolibérale et nostalgie impériale d’une puissance sur le déclin.

Pourtant cet ouvrage n’est pas un simple réquisitoire : plus que de la personne du dirigeant conservateur ou de ses actes considérés individuellement, c’est de la logique d’un système dont il est question. Et plus que du système, ou du dirigeant qui a consacré son existence à le servir, ce dont nous parle Tariq Ali c’est du véritable protagoniste de cette histoire : des luttes de ces millions femmes et d'hommes qui, des mines du pays de Galles jusqu’aux rues d’Athènes et au moindre recoin de l’immense Empire, se sont se battus sans relâche contre tout ce que représente le nom de Winston Churchill.

Stathis Kouvélakis

Aux Sources , émission publiée le 17/06/2023
Durée de l'émission : 78 minutes


Compte-rendu rapide
Ce livre a pour objectif d'effectuer une opération de décentrage du regard sur l'impérialisme anglais du XXe siècle dont Churchill fut un ardent promoteur et défenseur. Il ne s'agit pas de dénoncer la personne et les choix de Churchill en tant qu'individu, mais d'éclairer, sur la longue durée, le système global qui a produit Churchill.

Q : De quoi Churchill est-il le nom, pour nous, dans le contexte présent ?
A son époque, Churchill a été souvent et durement attaqué, notamment par ceux qui attaquaient l'organisation élitiste, classiste du pouvoir britannique. C'est à partir de l'époque de la guerre des Malouines que la mémoire de Churchill a été revisitée et qu'il est devenu plus populaire. Depuis, les milieux universitaires décoloniaux "se battent" contre l'establishment politique (cf Tony Blair  a essayé de faire cesser les manifestations contre la mémoire de Churchill) pour rétablir une image plus historicisée du personnage, pour le démythifier. L'entreprise est rendue d'autant plus nécessaire étant donné l'utilisation de son image dans les guerres actuelles .





Il s'agit aussi de réarmer la gauche en lui redonnant l'accès à la connaissance des luttes historiques de la "ruling class" contre les classes ouvrières/salariées.

Q : Pourquoi Churchill a été si haï de son vivant ?
Il fut à l'avant-garde de la lutte contre le bolchevisme, les mouvements contre l'oppression de classe, d'une manière générale contre tout ce qu'il considérait comme étant du radicalisme. Au pays de Galles par exemple, alors que Churchill était ministre de l'intérieur d'un gouvernement libéral, il a brisé un mouvement de grève des mineurs et la troupe a défilé dans les rues des villes minières pour effrayer la population et a usé de la violence (1910-1911). Même si bien d'autres hommes politiques se sont comportés de la même manière, Churchill fut particulièrement haï car il avait la victoire flamboyante.

Q : Son anticommunisme l'a souvent mené dans des postures...(délicates mais qu'il assume)
Il fut également très actif dans la conduite des affaires militaires dans la lutte contre le tout jeune régime bolchévique pour soutenir les armées "blanches" immédiatement après la révolution russe. Il faut accusé à l'époque (gros scandale) d'avoir fait déverser sur les villages bolchéviques du gaz toxique.
Au début des années1920, il publie un article sur "sionisme et bolchevisme" où il distingue le bon juif et le mauvais juif, recyclant tous les stéréotypes sur le judéo-bochévisme, lequel a servi de base à l'idéologie fasciste naissante en Europe. Cette stratégie de diviser une communauté est un classique de la gouvernance colonialiste qu'il applique ici à une question européenne.
Rq) Pour l'auteur, c'est la même stratégie à nouveau l'oeuvre, par exemple au sein du Labour Party, contre ceux qui soutiennent le mouvement palestinien contre l'action du gouvernement israélien de Netanyahou, même quand ces personnes sont eux-mêmes juives.
Enfin, même si Churchill a été un des rares hommes politiques d'envergure à avoir compris à partir de 1938 que ne pas résister à Hitler était dangereux pour l'ordre européen et pour le maintien de la puissance britannique et de son empire, il a eu des complaisances qu'on qualifierait désormais de coupables vis-à-vis des dirigeants fascistes, singulièrement Mussolini et Franco.

Q : Churchill est, avant toutes choses, un soldat de l'empire britannique.
Pourtant, il se distingue par une série de désastres : cf ses mauvaises décisions en tant que 1er Lord de l' amirauté pour la bataille de Gallipoli (1915) contre l'empire ottoman ; dans ce désastre militaire, il n'a sauvé que les britanniques, laissant aller à la mort les troupes coloniales australiennes, néo-zélandaises, indiennes. A remarquer : le défenseur turc de Gallipoli était Mustapha Kemal, qui s'est servi de ce fait dans sa propagande personnelle après la guerre.

Q : Pour mettre en évidence la face sombre de la manière dont Churchill a conduit la 2nde guerre mondiale, il faut se tourner vers les colonies
Par ex : La famine au Bengale, alors que la production de riz de cette région était énorme. Tout le riz bengalais a été fourni aux armées engagées dans la guerre, au prix de plusieurs centaines milliers de morts civiles (certains historiens avancent 3 millions de morts). Cette atrocité a été perpétuée avec l'appui de tout le gouvernement, donc y compris les travaillistes de Clément Attlee, alors que la chose était bien connue puisque les autorités britanniques sur place transmettaient lettres et rapports.
Rq) Dans les mois qui suivent, la plus grande mutinerie au sein des forces coloniales britanniques puis en 1942, le mouvement de Gandhi qui publie Quit India.

En Europe, le projet de Churchill a été d'éviter le surgissement de mouvements internes aux pays soumis à la domination allemande, singulièrement si communistes. C'est par exemple le cas des troupes britanniques qui combattent la résistance en Grèce en décembre 1944. Du fait de l'importance stratégique des ports grecs pour le contrôle en Méditerranée des routes menant à l'empire britannique, il ne fallait en aucun cas que la Grèce connaisse le même destin que la Yougoslavie, libérée par l'armée de Tito. Aussi, quand le général Scobie a demandé à Churchill comment agir si la population grecque résistait au débarquement des troupes anglaises, Churchill a répondu d'agir comme dans les colonies, sans état d'âme. La Grèce a connu une guerre civile horrible, dans laquelle les Anglais ont payé des milices pour torturer et exécuter les résistants.
cf Greece, the hidden war, documentaire produit par Channel 4 au début des années 1980 et visible sur internet.

Q ; comment expliquer la défaite électorale de Churchill dès 1945 ?
C'est la revanche de la working class britannique. C'est un moment historique où tous les mouvements de gauche sont forts en Europe de l'ouest.



dimanche 13 mars 2022

Machiavel, immoral ?

 Fiche de lecture très synthétique (!) à partir du livre de Felix Gilbert, MACHIAVELLI AND GUICCIARDINI. Politics and History in Sixteenth Century Florence. C'est un livre certes ancien (il date de 1965) et d'autres études ont été publiées depuis, mais il constitue la référence de base des études machiavéliennes.

Ce billet de blog est à mettre en pendant d'un autre (à venir) qui s'intitule "gouverner par la morale au Moyen Age". 


portrait posthume de Machiavel par Santi di Tito, Palazzo Vecchio de Florence

Niccolò Machiaveli appartient à une branche appauvrie d'une famille ancienne de Florence. Il a dû travailler dans la chancellerie de la République de Florence au moment des guerres d'Italie. Son intelligence, sa culture et sa capacité de travail sont remarqués et il devient un des bras droits de Piero Soderini, gonfalonier de justice à vie. Quand celui-ci est chassé en 1512 et que les Medicis reviennent à Florence, Machiavel est écarté et il se retire dans le contado, dans une maison de famille. C'est au moment où il quitte la vie politique qu'il se met à écrire des traités politiques dont le plus connu est le Prince. Il faut l'étudier en parallèle de son Discours sur la première Décade de Tite-Live. Les deux écrits se complètent et de surcroît, il ne faut pas perdre de vue que le Prince, sorte de miroir des princes moderne, manuel à l'usage des gouvernants, est écrit pour tenter d'entrer dans les bonnes grâces des Médicis et ainsi, "reprendre du service".

Ces deux traités peuvent être considérés comme le début de la pensée politique moderne, même s'il ne faut surtout pas séparer Machiavel de son contexte puisqu'il réfléchit précisément par rapport à l'histoire récente et aux échecs de Florence et qu'il n'est pas détaché de l'esprit du temps. Il n'y a donc pas totalement une rupture. Comme les penseurs humanistes de son époque, il réfléchit sur l'usage de la force et sur les vicissitudes de la Fortune qui font et défont si rapidement les dominations depuis que l'entrée des armées françaises en Italie en 1494 a totalement bouleversé le fragile équilibre des Etats Italiens. Comme d'autres (Guicciardini par exemple), il a une approche rationnelle et utilise son expérience pour réfléchir. Enfin, comme tous les autres, il utilise les exemples historiques romains comme base d'études de cas pour appuyer ses démonstrations. Machiavel entreprend de faire pour la politique ce que d'autres font à son époque pour les Arts, la jurisprudence ou la médecine, à savoir un traité qui clarifie et codifie les principes de gouvernement à suivre, en s'inspirant de l'exemple des Anciens, pour bien maîtriser l'arte dello stato, la technique du bon gouvernement.

L'objectif principal est d'apprendre à savoir affronter ou utiliser la Fortune (ou la "qualité des temps", la contingence). Il faut être capable de lire les circonstances historiques et naturelles pour prendre les décisions, sans tergiverser. 
Ceci implique de :
- Penser l'impensable comme possible et surtout être prêt à tout. Pour comprendre un monde mouvant, le prince peut s'appuyer sur des permanences 1) les hommes sont fondamentalement mauvais et gouvernés par leur recherche de la satisfaction de leurs humeurs égoïstes. L'avidité, la recherche et le maintien de la richesse sont les principaux moteurs ("...parce que les hommes pardonnent plus vite la mort d'un père que la perte d'un patrimoine") 2) Il y a dans les sociétés deux catégories d'hommes : ceux qui "touchent" et ceux qui "regardent", ceux qui sont mus par l'ambition et ceux qui obéissent et exécutent, les oligarques qui sont la classe dirigeante et le peuple (la multitude).

- Savoir adapter son propre comportement en agissant toujours selon la virtù (difficilement traduisible, il s'agit d'une qualité particulière liée à la force et au courage. Cela n'a ent tout cas rien à voir vace la vertu chrétienne, plus avec la virtu romaine).
Agir sans tergiverser est en rupture par rapport à la tradition florentine qui valorisait la prudence et le fait d'attendre de voir où soufflait le vent pour agir. Comme le montre F. Gilbert, mais aussi et surtout  Cecile Terreaux -Scotto dans son livre sur les Ages de la vie dans la pensée florentine, cette attitude de "vieux" politiques rusés est mise en échec par la rapidité nouvelle des changements militaires et donc politiques initiés avec les guerres d'Italie. Toute le nouvelle génération formée à partir de 1494, et donc pas seulement Machiavel, réinterroge la sagesse traditionnelle qui conduisait les politiques florentins à temporiser et au contraire insistent sur la vertu particulière rendue nécessaire par la qualité des temps : savoir saisir l'occasion. CF sa description de Cesar Borgia...et même la précipitation et l'absence de réflexion dans les décisions du pape Jules II (papa terribile) sont bonnes car ils lui donnent un temps d'avance sur ses adversaires et c'est ce qui explique que ce pape n'échoue pas dans ses actions. Action et initiative sont des conditions du succès. Neutralité et compromis sont gages d'un échec certain.

Les objectifs d'un bon gouvernant doivent être d'assurer la stabilité, de sa propre domination certes, mais par là du régime qu'il dirige. Pour cela, il faut :
- tenir à distance les grands, tout en leur permettant d'agir en fonction de leurs penchants, donc en leur confiant des postes. C'est la raison pour laquelle les écrits de M. diffèrent de ceux de l'élite intellectuelle de son temps. Il n'est pas membre du groupe dominant de Florence et ne propose pas, pour guérir Florence, un programme aristocratique. Sans aller jusqu'à faire de ces écrits une lecture démocratique, ce qui serait un contresens, M. cependant milite pour une République. Dans son esprit c'est un retour à l'Antique. La République dirigée par la virtù est, pour lui, le meilleur des gouvernements. Il tient les optimates pour responsables de la perte de la liberté florentine. Il estime que le critère de la richesse (comme c'était essentiellement le cas à Florence) pour déterminer l'appartenance à l'élite est un mauvais système. De plus, le désir d'enrichissement crée les tensions entre les Grands et le peuple. Il reprend la vision de Salluste et prend l'épisode des Gracques pour dater le début du déclin de la République romaine. Loin de reprendre le topos de l'opposition entre les intérêts privés et le Bien commun (avec cette idée que les premiers doivent s'effacer devant le deuxième quand ils deviennent irréconciliables), M. pense que pour garantir le bien commun, il faut céder aux intérêts privés...à condition que le prince n'en soit pas lui-même esclave. Sur ce point-là, il rejoint une idée développée par d'autres penseurs médiévaux, la bestialité du prince, sa soumission à ses instincts et à ses intérêts serait la cause de la ruine des Etats (c'est un point majeur de la pensée politique de Philippe de Commynes par exemple)
- partisan d'un régime populaire, M. fait remarquer que seul une armée civique et non de condottieri/mercenaires peut prémunir l'Etat de la ruine, car aucun Etat ne vit isolé et loin des dangers car toutes les constructions étatiques sont en compétition les unes contre les autres et la seule alternative est de grandir ou de périr. Il préconise une alliance entre le prince et le peuple. Mais le peuple , souvent trompé par une fausse idée du Bien, agit pour sa ruine.
- pour obtenir cette alliance, il faut que le prince agisse sur l'imaginaire collectif : il s'agit de cultiver  l'imaginaire du peuple ;  il faut que le prince "manipule" le peuple en lui présentant le gain qu'il a à suivre un prince courageux. S'il fait ceci, le peuple le suivra toujours car la croyance dans le courage le galvanise. Parce que le peuple est un acteur collectif qui ne participe pas du pouvoir politique, donc qui est à distance, il a souvent une perception fausse. Il faut donc lui présenter des choix simples sous forme de gain et de perte et bien soigner les apparences. 
Remarque : Parce qu'il en arrive à la conclusion que la survie d'un Etat et son bon gouvernement dépendent moins de ses institutions que de l'esprit qui anime ses soutiens, la fameuse virtù doit animer aussi bien le prince que le peuple. L'esprit de celui qui crée l'Etat et ses institutions doit infuser dans l'esprit collectif. Il doit aussi y avoir des offices qui seraient en charge de vérifier régulièrement que l'esprit des lois (sans jeu de mot de ma part) est bien respecté (comme les tribuns de la plèbe et les censeurs dans l'antique Rome)
- malgré sa critique des factions (rien d'original), M. reconnaît comme nécessaire l'existence de groupes à l'intérieur de la société politique. Ces groupes doivent correspondre aux différentes "humeurs" de la population (comme vu plus haut, les ambitieux et les obéissants). Au lieu de distribuer les hommes selon la richesse ou la naissance, il vaudrait mieux les distribuer en fonction de leur nature.
- au final, le bon prince est celui qui parviendra à persuader le peuple qu'il incarne en sa personne les intérêts de de la société toute entière.


M. effectue donc, en mêlant des thèmes qui ne lui sont pas propres, une rupture avec l'ancienne vision d'une société gouvernée par la morale (chrétienne) et où la notion de Bien commun était centrale. Il cherche à la remplacer par une analyse rationnelle de la réalité des constructions politiques humaines et à créer une nouvelle morale, qui serait spécifiquement politique, fondée sur l'efficience.


vendredi 31 décembre 2021

Jésus après Jésus.

 Le premier siècle du christianisme.

Je vous propose le résumé des 10 épisodes de l'excellente série de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat, produite par Denis Freyd en 2003 et diffusée sur Arte. Les vidéos se trouvent facilement sur Youtube ou sur le site d'Arte.

  • Le premier épisode pose toutes les pistes d'une réflexion qui sera approfondie par la suite.
  • Le 2e épisode est consacré à la communauté de Jérusalem.
  • Le 3e épisode évoque l'espérance de la survenue du Royaume (terrestre) à partir des premières décennies qui suivent la mort de Jésus.
  • Le 4e temps est dédié aux tensions et querelles au sein des communautés du 1er siècle. 
  • L'épisode 5 est consacré à "Paul, l'avorton".
  • 6e émission : le concile de Jérusalem. 
  • 7e émission : l'antijudaïsme de Paul ?
  • Le 8e épisode se demande qui est le vrai fondateur de la nouvelle religion. 
  • Episode 9 : Rompre avec le Judaïsme
  • 10e émission (l'échec des révoltes juives) ou comment le christianisme remplace le judaïsme.



Jesus n'a pas fondé l'Eglise chrétienne.

Il n'a pas mis en place un dispositif qui institutionnellement serait la base d'un schisme. Il a pensé à l'intérieur d'Israël. Mais dans ce judaïsme palestinien du 1er siècle, il est représentatif d'une forme particulière de croyance. Il propose de relire la tradition d'Israël sur la base du pardon, avec de légères forme d'ouverture à l'égard des païens. Ce qu'il cherche, c'est le renouveau d'Israël.

Il annonce le royaume prochain et on peut légitimement penser, d'après les textes, qu'il promet aux 12 apôtres de "régir" et "juger" dans le futur royaume des 12 tribus d'Israël ("logion des 12 trônes"). Il compte sur eux pour les associer à une sorte de gouvernement qui doit renouveler eschatologiquement Israël. Leur simple présence, en tant que disciples, est en soi, annonciateur du royaume et commence déjà à le réaliser, dans l'intimité de la purification individuelle. Cela rencontre l'attente, que Jésus ne  dément jamais, que Dieu libère le territoire de l'occupation romaine et qu'ainsi Israël soit restauré en tant que lieu de la réalisation, le seul lieu au monde, de l'alliance avec le seul vrai Dieu. La  présence païenne interdisait la pratique effective du judaïsme le plus strict. Dès lors que le Royaume n'est pas symbolique ou une promesse pour le monde post-mortem, sa réalisation passait nécessairement par le départ des Romains et de leur armée d'occupation. Ces deux tendances, l'eschaton et le renouvellement par la purification  ou le rétablissement du royaume par une action politico-militaire, sont dans la Bible. Il semble clair que le projet du Nouveau Testament vise à détourner les disciples d'une attente imminente de la restauration du royaume d'Israël (surtout chez Luc, Evangile et les Actes) pour remplir le temps qui les sépare de l'accomplissement dernier par une oeuvre missionnaire. Il y a un changement de priorité : du royaume réel ou historique , l'auteur des Actes glisse vers un royaume de nature plus spirituelle.

Les disciples de Jésus pensaient qu'il était le Messie et ils espéraient la survenue rapide du Royaume. La mort infamante de Jésus sur la croix les prend au dépourvu. Pour la mentalité juive, cette mort est un scandale et réduit la "crédibilité" de Jésus comme Messie. Et assurément, elle consacre l'échec de l'aspect politique qui s'était agrégé à la personne de Jésus (cf INRI). Les Evangiles, qui reconstruisent a posteriori le discours de Jésus, restent vague sur l'aspect politique de l'annonce du Royaume. Rien de nationaliste dans le texte de la Bible, mais il semble évident que les paroles de Jésus étaient ambigües et ont suscité ce type d'espérance. Ce qui explique le profond abattement des disciples après la crucifixion, lors de laquelle, le comble, Dieu n'est pas intervenu. Du texte des Evangiles, on comprend que le groupe des amis de Jésus ne s'est reconstitué, après la débandade qui a suivi la crucifixion, que parce que Jésus s'est manifesté à eux, ressuscité. Pourtant, tout le monde, y compris dans ce groupe, n'était pas convaincu par la réalité de cette résurrection. Les chrétiens (le terme est impropre pour cette époque) sont ceux qui ont cru à la résurrection. C'est le premier des dogmes chrétiens. Mais les premiers chrétiens restent des juifs pour tout le reste.

Il existe une liste de ceux qui ont vu les apparitions de Jésus. Paul, dans la 1ere épitre aux Corinthiens, indique que cette liste est transmise par la tradition. Cette liste a une fonction d'argument d'autorité en additionnant ceux qui auraient vu et eu cette expérience. C'est le point de départ du christianisme. Le premier à avoir vu Jésus aurait été Simon/Cephas-Pierre. Si l'on ajoute le passage de l'Evangile de Matthieu (16-18), passage célèbre où Jésus aurait dit "tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église", mais passage qu'on ne retrouve ni chez Luc ni chez Marc, cela fait de Pierre le chef de la communauté de Jérusalem. Pourtant, partout ailleurs dans le Nouveau Testament, le personnage de Pierre est moins "glorieux". Il est à la fois le disciple qui renie Jésus, celui qui doute, l'impulsif qui se fait remettre en place par Jésus. Vraisemblablement, il est inutile de chercher dans les textes les indices d'un portrait de Pierre (comme des autres disciples les plus importants) : il est plus efficace d'interpréter les différentes manières de présenter Pierre comme un positionnement subtilement pour ou contre la place éminente de Pierre dans la communauté des premiers temps. Pour d'autres historiens, la figure de Pierre dans le Nouveau Testament est plus symbolique du christianisme primitif qu'une figure de pouvoir. En tous cas, Pierre poursuit l'oeuvre de Jésus, mais rapidement hors de Jérusalem puisque Pierre fait de nombreux voyages. Et même dans l'évangile selon Matthieu, Pierre n'est pas le seul à qui Jésus confie son église. En réalité, Jésus n'a pas organisé sa succession.

Au groupe des disciples, dont Pierre est la figure majeure, s'oppose la famille de Jésus, dont son frère, Jacques. Le livre des Actes place la famille de Jésus et notamment Marie, la mère de Jésus, au milieu des 12. C'est sans doute le but de Luc, l'auteur des Actes des apôtres, de présenter un récit qui rassemble et tisse une continuité. Il cherche à présenter une communauté profondément unie, alors qu'il y avait des tensions au sein de la communauté de Jérusalem.

Dans les Evangiles, la famille de Jésus, à Nazareth, est présentée, sauf Marie, comme critique et ne comprenant pas Jésus. celui-ci est en rupture avec sa famille. Une hypothèse qui a été défendue par certains spécialistes est que les Evangiles de Marc et de Jean reflèteraient les luttes de pouvoir et d'influence entre les communautés dont elles sont le porte-parole et auraient essayé de déconsidérer la famille. En tous cas, dans les Actes, après la mort de Jésus, on comprend qu'au moins une partie de sa famille a récupéré l'héritage de Jésus. Parmi eux, Jacques-Jacob/Iakov, présenté comme le frère de Jésus. C'est le personnage clef pour comprendre tous les conflits ultérieurs, au sein de la communauté chrétienne et entre les chrétiens et les juifs. La difficulté, c'est qu'il n'y a aucun témoignage direct et encore moins extérieur aux écrits bibliques. Jacques disparait dans la tradition évangélique (Evangile de Marc v65-70) qui est plus récente, puis il réapparaît dans les épitres de Paul, qui sont plus anciennes et dans les Actes, écrites par Luc, contemporain de la fin de Paul. Tel qu'il apparaît, Jacques est un juif très pieux, respecté de la communauté juive, qui va au temple et respecte la foi au Christ dans le judaïsme. Selon l'historien Flavius Josèphe, Jacques meurt lapidé à Jérusalem, à l'instigation du grand-prêtre du Temple, qui le voyait comme un rival potentiel.

La communauté de Jérusalem, avec Jacques à sa tête, a bénéficié d'une autorité sur tout le mouvement chrétien dans les premières décennies. Paul par exemple, est obligé de se rendre à l'assemblée de Jerusalem en 48 ou 49 pour rendre compte de la façon dont il organisait ses communautés. Jacques a cette occasion apparaît dans les textes comme une sorte de "fossile" un peu dépassé et réticent à l'égard des pagano-chrétiens.

Remarque : Jésus a des frères et des sœurs dans le texte de la Bible. Ce point a posé beaucoup de problèmes au Moyen Age, d'autant plus que la tradition catholique n'a pas voulu accorder à Marie d'autre enfant que Jésus et que, au tournant grégorien, l'Eglise a insisté sur le dogme de la virginité de Marie. Après la fin du IIe siècle, Jacques est devenu le cousin de Jésus (de adelphos -épitres de Paul-, il est devenu anepsios). La question, telle qu'elle se pose, c'est la question de l'étonnement pour les fidèles, déjà au 1er siècle, du fait de devoir faire tenir ensemble l'identité juive, palestinienne de Jésus et l'affirmation de foi selon laquelle cet être-là était unique et sans la tâche du péché originel. Cet étonnement explique les longs débats qui s'ensuivront sur la double nature de Jésus, à la fois homme et dieu. D'ailleurs, le Jesus historique n'a pas grand chose à voir avec ce que les chrétiens vont en faire. Le point décisif est la "divinisation" de Jésus. Jésus, seigneur (kurios) est-il aussi dieu (théos) ? Les débats sont nombreux et ils durent. Le concile de Nicée (325) fixe l'orthodoxie : la double nature de Jésus.


Peut-on donc dire que le véritable fondateur du christianisme est Paul ?

  • Temporalité = Paul (v 50-60) = 1ere génération qui a succédé à Jésus. Mort entre 60 et 64.
  • 7 lettres assurément authentiques (Romains, Galates, 1-Thessaloniciens, 1&2-Corinthiens, Philippiens, Philémon). Le reste du corpus attribué à Paul n'est pas de lui.


Le christianisme qui a émergé dans les premiers siècles est fondamentalement un christianisme paulinien (en témoigne sa sur-représentation dans les textes finalement choisis pour constituer le Nouveau Testament <=> constitution progressive du canon du Nouveau Testament). Mais ce christianisme qui a rompu avec le judaïsme et même a pris ses distances vis-à-vis de la figure juive, historique, de Jésus, ce christianisme unifié, n'est pas né d'un seul bloc, et certainement pas à l'époque de Paul.

Pourtant Paul a beaucoup modifié les interprétations de Jésus. Tout d'abord, il écarte le caractère national et politique de l'Evangile. Il fait de la résurrection un système théologique qui s'adresse plutôt aux individus en leur promettant le salut par l'immortalité et un royaume céleste. Il y a substitution d'une attente temporelle, historique, à une attente d'un autre espace pour l'éternité. Dans cette perspective, Israël n'occupe plus une position centrale.

Ensuite Paul a pris ses distances avec le groupe des "hébreux", c'est-à-dire les disciples du Christ réuni à Jérusalem. Pour comprendre comment les choses se sont passées, il faut remonter avant Paul, à la première communauté de Jérusalem. Passées les premières années, celle-ci est divisée entre les hébreux (les juifs parlant araméen) et les juifs hellénistes (une part importante de la population de la cité  = 40% de l'épigraphie des ossuaires de la ville, peut-être 15 à 20% de la population-, et une communauté non négligeable parmi les croyants). Les spécialistes s'accordent à penser qu'il y avait donc deux communautés distinctes, les 12 (les disciples, collaborant sans doute avec la famille de Jésus) et les 7 (leaders de la communauté helléniste), en s'appuyant sur l'analyse des Actes, 6-8 . Au-delà des différences linguistiques qui les empêchaient de suivre les rites ensemble, il y a aussi de profondes différences dans les pratiques et la conception du monde. Les juifs hébraïques seraient des communautés plutôt rigoristes, restées fidèles à la Loi, tandis que les juifs hellénistes seraient plus libéraux, aussi parce qu'imprégnés de philosophie grecque et, de ce fait, empreints d'une vision plus universaliste. Ce que fait Luc dans les Actes, c'est de situer à Jérusalem, en leur attribuant des anecdotes significatives, ces deux communautés qui devaient être en réalité deux mouvements plus répandus en Judée. Or, une forte tension a éclaté entre les deux communautés, comme on le devine dans Luc, Actes, 6.

Etienne, le premier martyre chrétien, mort lapidé, était diacre de la communauté des Sept, membre des synagogues de la diaspora, c'est-à-dire des Juifs venus s'installer à Jérusalem. Sa prédication a un succès visible. Apparemment, il critiquait le culte du Temple ("Dieu n'habite pas une maison faite de main d'homme"). Les historiens supposent donc qu'il fut  le porte-parole de la vision helléniste plus libérale, qui critiquait l'application stricte de la Torah, telle que pratiquée par les chrétiens hébreux. Cet événement trace une ligne de faille au sein du 1er mouvement chrétien. La mort d'Etienne est stylisée comme une répétition de la Passion, et l'auteur des Actes signale que ce martyre marque le début d'une grande persécution contre les adeptes de la Voie : ils auraient été tous expulsés sauf les apôtres. On peut légitimement penser que ce sont les chrétiens attachés à la Torah qui restent  ; Il n'y avait aucune raison de les inquiéter, puisqu'ils étaient respectueux de la tradition. En revanche, les chrétiens hellénistes, chassés de Jérusalem, fuirent vers des régions où le judaïsme n'était pas ou peu pratiqué, Antioche par exemple. Ce sont eux qui vont chercher à évangéliser les païens. Ils finissent par se radicaliser toujours davantage contre les judéo-chrétiens et contre les juifs. Les deux chemins se séparent. 

C'est le moment où Paul apparaît. 

Paul est témoin de la diversité des disciples du Christ. Ses écrits fournissent une version de l'histoire des premières communautés qui diffère du récit des Actes des Apôtres, rédigé par Luc une trentaine d'années plus tard (entre 80-90). Le Paul des épitres est plus radical et vitupère davantage que le Paul des Actes, qui est présenté, certes comme un missionnaire héroïque, mais qui doctrinalement est bien plus respectueux de la Loi et toujours soucieux de maintenir le lien avec la communauté de Jérusalem. Les données contenues dans les premières lettres de Paul contredisent ce que disent les Actes sur les premières années de la biographie paulinienne. Puis ensuite, on n'a plus rien que les Actes. Ceux-ci ne sont sans doute pas une source suffisamment fiable pour faire une biographie de Paul. Luc "invente" un Paul dans le but de le relier fortement à la communauté de Jérusalem.

Paul revendique (Epitre aux Corinthiens) revendique d'avoir "vu" Jésus, se mettant sur le même rang que les apôtres, même si il se dit "avorton", le dernier des derniers. Cette rencontre du Seigneur (que Luc met en scène avec l'épisode de la révélation sur le chemin de Damas) lui confère l'autorité dont il se revendique. Contrairement aux disciples, Paul n'a jamais rencontré Jésus de son vivant. Il n'était pas en Judée au moment où Jésus y prêchait. On se demande même, quand on constate qu'il cite rarement la parole de Jésus et parfois avec des variantes par rapport aux Evangiles, s'il avait même accès aux récits de la vie de Jésus. Peut-être qu'il ne connaissait que très peu le Jésus historique qui s'adressait aux Juifs. Le Jésus de Paul est le ressuscité : c'est quasiment la seule chose qui l'intéresse. 

Même si Paul semble faire de la question des Gentils (évangéliser les païens) une question nouvelle, alors qu'elle est discutée déjà dans la tradition juive et dans la Bible hébraïque. Voir les chapitres 40 à 66 d'Isaïe, voir le prophète Malachie, voir le livre d'Esther. "Lève-toi Jérusalem, et voici qu'accourent vers toi toutes les nations". Au dernier jour, les nations rejoindront Israël. Il y avait un courant dans la tradition juive qui cherchait à faire rentrer les autres nations "sous les ailes de la présence divine". Cette mission juive explique qu'à l'époque de Jésus, une personne sur dix dans l'Empire était juive et on trouvait des communautés juives dans beaucoup de villes disséminées dans tout l'Empire, ce dont témoignent les voyages de Paul qui, partout où il se rend, va au contact de la communauté juive et cherche les "craignant Dieu", ces gentils attirés par le judaïsme, mais bloqués dans leur conversion par la rigueur des obligations de la Loi. Pour Paul, la Loi hébraïque est un élément de division de la communauté. Il comprend qu'il faut remplacer la Loi par la Foi, pour faire le ciment de la communauté. Cette foi se réduit à une conception simple : seule la mort et la résurrection de Jésus est la voie vers le Salut. Dès lors, son activité missionnaire se développe indépendamment de la Loi. Les rites juifs ne sont plus indispensables. Il suffisait de croire de Jésus était réellement le fils de Dieu. Seule comptait donc la justification par la Foi. Paul prêchait en fait quelque chose de proprement révolutionnaire. Il prêchait que Jésus n'était pas venu seulement pour le salut des Juifs, mais pour le salut de l'humanité entière.

Comment la forme chrétienne se propage t-elle ?

On n'en sait rien. En tout cas, partout où il y avait des synagogues, il y avait des communautés chrétiennes. Les Historiens ont peu de sources, et elles sont toutes chrétiennes.

Il n'y a pas de Chrétiens au 1er siècle. Il y a des Juifs qui adoptent la foi au Messie. La séparation n'a pas encore eu lieu. Des petits groupes de fidèles de Jésus se regroupent ici et là, mais il n'y a pas encore d'Eglise (au sens d'une institution chrétienne)

Les sources, qui sont exclusivement bibliques pour les premiers temps, accordent une place exagérée à la communauté de Jérusalem, ce qui s'explique par la croyance en une fin des temps proche et le retour de Jesus (la Parousie) pour fonder le royaume à Jérusalem. Nous ne savons pas si la première communauté était structurée : on sait que tous les biens étaient mis en commun et des règles très strictes pouvant entraîner des exclusions. Autour de ces communautés, vivant aussi probablement dans l'abstinence, cessent le travail pour se consacrer à la prière, qui réalisent en actes une préfiguration du Royaume, devaient graviter des sympathisants qui eux, continuaient à vivre plus normalement. Puis, plus le temps passe, plus il dément l'annonce d'une fin de temps proche. La communauté de Jérusalem a dû se réorganiser, ne serait-ce que pour éviter la "faillite".

Le "concile" de Jérusalem : c'est l'assemblée des apôtres qui eut lieu vers 50. Il s'agit de régler les tensions qui existent entre la communauté de Jérusalem et les communautés qui se développent à l'extérieur de la Judée (dont la communauté d'Antioche, représentée par Paul) sur la base de la conversion des païens. L'objet est de savoir si ces païens doivent devenir des prosélytes juifs et se faire circoncire. L'enjeu se porte sur le repas pris en commun, l'eucharistie. Comment, au-delà de tous les autres rituels, des chrétiens-juifs de stricte observance pourrait partager la même table que des pagano-chrétiens ? Après une "franche engueulade", la communauté de Jérusalem accorde à Paul que la circoncision et le fait de manger casher n'était pas obligatoire : en revanche, il y a interdiction des viandes sacrifiées aux idoles, les viandes étouffées et le sang (= la Loi noachique < Noé). C'est la Loi la plus sommaire minimale qu'on réclame aux pagano-chrétiens. Mais au final, c'est la porte ouverte à la déjudaïsation. Rapidement, la composante juive du mouvement chrétien devient minoritaire.

Un an après cette rencontre, Paul écrit l'Epitre aux Thessaloniciens. Les spécialistes estiment que c'est le texte le plus ancien du Nouveau Testament. Or, il y a dans ce texte une charge violente contre les Juifs, "eux qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes, ils nous ont aussi persécutés. Ils ne plaisent pas à Dieu et sont ennemis de tous les hommes. Ils nous empêchent de prêcher aux païens pour les sauver et mettent ainsi le comble à leurs péchés. Mais la colère est tombé sur eux à la fin / elle est tombée sur eux pour en finir"  (chap 2, verset 14)

Une bonne partie de l'épisode 7 est consacrée à l'analyse de ces quelques phrases.  Ce que l'on peut en retenir tient en deux grandes idées. Paul, dont je rappelle qu'il était juif, reprend les thèmes assez classiques de la critique contre la communauté juive, critiques que l'on retrouve y compris au sein de la pensée juive sous la forme "ces juifs qui n'écoutent pas les prophètes" (tradition deutéronomiste du destin des prophètes), et dans la communauté païenne qui comprend mal que leur exclusivisme religieux justifie le séparatisme (d'où la supposée misanthropie juive). Ensuite, il faut comprendre cette phrase dans la perspective polémiste de son époque. Paul à Thessalonique dirige une communauté où la plupart sont des non juifs. "Ils nous empêchent de prêcher aux païens" et donc ils empêchent les autres hommes d'accéder au Salut. Ce texte met en lumière les tensions entre les premiers judéo-chrétiens  et les pagano-chrétiens ET les tensions entre les juifs et les premiers chrétiens. Ici, très probablement, Paul manifeste son exaspération envers les Juifs qui s'opposent aux fidèles chrétiens dans les églises de Judée. Cependant, le fait reste que ce texte a servi de base à l'antisémitisme chrétien antique qui s'est développé ensuite, à partir de la fin du 1er siècle. Le mot "judaïoi" renvoie au peuple tout entier : c'est une condamnation universelle. Des chercheurs ont voulu prouver, sans y réussir, que ces phrases n'étaient de Paul car nulle part ailleurs, Paul ne s'exprime de cette manière. D'autres pensent le prouver par la dernière phrase : "la colère est tombée sur eux à la fin". Le verbe est conjugué à l'aoriste donc désignant une action passée, et pour certains, il est clair que cette allusion renvoie à la destruction du Temple, mais c'est en 70 ! Le problème avec la théorie de la glose tardive rajoutée par un copiste à la lumière d'événements postérieurs, c'est qu'il n'y a aucune preuve et qu'à la limite, on peut  lire tout le nouveau Testament de cette manière dès qu'un élément pose problème.

Toujours est-il que Paul dresse le constat dramatique et douloureux de la séparation d'Israel et des communautés qu'il est en train de créer. Il repousse à la fin de l'Histoire le Salut d'Israel, quand la totalité se sera convertie, pas seulement Israel mais aussi tous les autres.

De fait, la pensée de Paul a changé et s'est adaptée aux circonstances tant du point de vue théologique que spirituel, même si pour certains, les différences dans les différents textes de Paul relèvent davantage de la rhétorique que du fond, c'est-à-dire sa capacité à reformuler la bonne nouvelle en fonction de ses interlocuteurs.

Au final, la chute du temple de Jerusalem marque la véritable rupture (70)

Luc, dans les Actes de Apôtres, a cherché à donner une image linéaire de la continuité de l'histoire des premiers chrétiens. Mais cela ne s'est pas passé comme cela, comme on l'a vu plus haut. La rupture est donc plus ou moins passée sous silence.
Les Actes ont été écrits après l'Evangile de Luc, sans doute juste après 70. Ils affirment que l'identité chrétienne ne peut pas se comprendre en dehors de Jésus ET Paul (qu'il aurait connu lors des derniers voyages de Paul). Cependant, Luc simplifie Paul et la théologie paulienne n'interesse pas Luc outre mesure. Le Paul présenté dans les Actes est plus "lisse" et la distance entre Paul et les chrétiens de Jérusalem est amoindrie. C'est, pour certains exégètes, une reconstruction complète de la figure de Paul.

Comme Luc est quasiment notre seul accès à cette période-là de la première chrétienté, d'autres personnalités de cette période ont sans doute disparu. Par ailleurs, l'historicité des Actes est incontestablement à remettre en cause. Luc reconstruit manifestement l'Histoire de la période. Il ne faut donc pas le lire ce texte de façon naïve.

Un autre but de Luc serait de montrer la diffusion du christianisme au centre de la terre habitée, c'est-à-dire à Rome. Il y a pour Luc l'importance de construire la continuité légitime de l'accueil du message de Jésus de Jérusalem à Rome. Le dernier mot des Actes (dernière parole de Paul) : c'est aux païens qu' a été envoyée la parole de Dieu. Les derniers mots des Actes marque le revirement : l'Evangile passe des juifs aux païens. Luc signale de façon réitérée l'endurcissement des juifs d'Israël qui refusent la parole divine, via Paul. C'est un schéma récurrent, qui montre Paul expulsé par la synagogue. Il y a une construction progressive des Juifs comme les "méchants", pas exclusivement cependant, puisqu'il y a toujours un petit noyau qui accepte la Bonne Nouvelle. Luc, qui écrit dans les années 85-90 écrit à une communauté qui s'est déjà séparée d'Israël, avec l'entrée de païens dans la communauté des disciples SANS assimilation à Israël. Cependant, Luc écrit pour rappeler constamment que les racines du Christianisme sont dans la synagogue. Bien entendu, Luc écrit du point de vue chrétien et il charge la responsabilité juive. Cependant, le peu de succès que les chrétiens ont rencontré dans le monde juif est perçu de façon tragique, comme une rupture non désirée.

=> Le christianisme nait au début du IIe siècle (Et encore, il ne s'institutionalise qu'au IVe siècle)

C'est le moment où tous les textes sont rassemblés. C'est aussi le moment où les textes de Paul recommencent à circuler après le "trou" des années 70-90 et une partie des épitres de cette période sont attribuées à Paul (Colossiens, Ephésiens). Le premier corpus est attesté par Marcion à propos d'un atelier de copiste à Rome en 140. Il atteste de 10 épitres attribuées à Paul. Est-ce que Marcion est l'éditeur de Paul ? Marcion, marchand du Pont converti, se trouve en 140 dans une école de théologie de Rome (il y en a deux autres à la même époque). Ces 3 écoles représentent 3 courants au sein de l'Eglise. Les apôtres se retrouvent dans l'école de Justin, les hellenistes dans celle de Valentin. Le courant paulinien est celui de Marcion. Pour lui, Paul est le seul qui a véritablement compris le message de Jesus. Marcion cherche à expurger des textes de Paul les falsifications selon lui introduites par les apôtres qui eux n'ont rien compris au message de Jésus. Il réunit en un seul ensemble les 10 épitres de Paul et l'évangile de Luc. Marcion pensait que Jésus avait prêché une religion totalement nouvelle, indépendante du Judaïsme. Pour lui, il ne fallait pas se référer aux textes juifs.

Les 4 évangiles circulaient. Il y avait aussi une littérature apocryphe assez nombreuse. Personne jusqu'ici n'avait eu l'idée de réunir un canon.

Paul est l'autorité fondamentale sur laquelle on se base au début du 2e siècle pour son activité missionnaire et pastorale, même si la théologie pauliniene  est, elle, négligée. Il faut attendre St Augustin pour que les pères de l'Eglise se penchent à nouveau sur la pensée de Paul. Il est symptomatique que Marcion qui militait tant pour imposer Paul l'ait si mal compris.

=> L'Eglise orthodoxe va se construire contre Marcion pour réintégrer la tradition juive, au point de se revendiquer comme le véritable Israël. 135 : l'échec de la révolte juive contre les Romains et une révolte messianique marque la rupture définitive. Les grands centres du judaïsme se réorganisent autour des pharisiens en Galilée et en Mesopotamie. L'héritage juif qu'on estime perdu, éparpillé au sein de la diaspora, est relevé par Justin qui se réclame du "verus Israël". Justin est martyrisé à Rome vers 160. Il est un des premiers "pères de l'Eglise". Les chrétiens réinterprètent l'ancien Testament (beaucoup d'écoles juives concurrentes jusqu'à cette époque donc cela n'a rien d'extraordinaire) en le spiritualisant. Globalement, les chrétiens reconnaissent l'ancien Testament, mais pas l'interprétation juive de ces textes. Les Juifs sont donc réputés ne pas avoir compris leurs propres textes. => le judaïsme est une forme non achevée de la Vérité.

Outre l'aspect doctrinal, les intervenants insistent sur l'aspect pragmatique de cette revendication de la judéité du christianisme. Dans l'empire romain, les Juifs avaient droit au privilège de pratiquer leur religion du fait de l'ancienneté de leur tradition religieuse, ce que les chrétiens n'avaient pas s'ils s'affirmaient comme membres d'une religion nouvelle. Pourtant, malgré l'aller-retour entre les deux religions et l'existence de judéo-chrétiens (qui pratiquent l'eucharistie mais font shabbat pour simplifier), la séparation est en marche et les polémiques virulentes. La notion de verus Israël est une sorte de "captation d'héritage" et les chrétiens les plus polémiques vont jusqu'à dénier aux Juifs le fait d'être de vrais juifs. Par ailleurs, leur refus d'accueillir la Bonne Nouvelle et de reconnaître Jésus comme le fils de Dieu est assimilé à une persévérance dans l'erreur qui serait quasi diabolique. Dans le même temps, comme les Juifs cherchent à institutionaliser leur religion et leurs pratiques, une des composantes est de bien affirmer qu'ils ne sont pas chrétiens.



vendredi 2 juillet 2021

L' Amérique latine, d'hier à aujourd'hui : histoire, éco, géopol...

 Excellente émission de Hors-Série " Amérique latine, berceau des luttes d'émancipation"  (26/06/2021) à l'occasion de la sortie de deux  livres coordonnés par l'historien Franck Gaudichaud




Pour accompagner le contenu de cette émission et remettre les analyses en contexte, voici le résumé d'un cours de fac dédié à l'histoire de l'Amérique latine. Donc, le texte n'est clairement pas de moi, mais je ne retrouve pas les références. My bad ...

Les éléments repris de l'émission seront en bleu. Ils concernent essentiellement la période actuelle.


Fil directeur : une Amérique latine, berceau des révolutions ? Deux siècles de mouvements sociaux et de révolutions dont certaines ont été victorieuses (cf Cuba) et servent de modèles (révolution mexicaine des 1910's, expérience sandiniste à p. de 1979 au Nicaragua) et ont alimenté les imaginaires y compris en dehors du sous-continent. ...eu croisement des luttes sociales et des mouvements de décolonisation (construire des Etats-Nation indépendants).

Attention : plusieurs types de révolutions sur le sous-continent

  • révolution socialiste
  • revolution anti-impérialiste
  • contre-révolution militaire
  • révolution nationale ...


L’Amérique latine début XXe

1. Culture européenne, cultures indiennes

Les indépendances du début du XIXe sont le fruit de l’aristocratie créole qui s’est opposée au pouvoir espagnol, leurs revendications s’inscrivent dans l’esprit des Lumières. Par exemple, au Brésil, sur le drapeau figure la devise de Auguste Comte ("Ordre et Progrès") Les élites latino-américaines sont donc fortement imprégnées de culture européenne. Cependant, leur objectif est de maintenir l’ordre social. Coexistent donc deux cultures : la culture officielle de référence européenne et la culture indigène. Les différences sociales sont déterminées par les différences culturelles et ethniques : blanc > créole > noir et indigène. Encore de nos jours, les sociétés latino-américaines sont marquées de cet ordre post-colonial.

2. La difficile consolidations des États-nations au XIXe

L’histoire des États américains au XIXe a été particulièrement mouvementée : conflits inter-étatiques (Bolivie/ Pérou, Pérou/Chili) essentiellement pour les frontières ET luttes intra-étatiques entre centralistes et fédéralistes (comme en Argentine). Les États américains sont, pour la plupart, des états fédéraux (Mexique, Argentine, Brésil) non seulement en raison de la taille des États. L’histoire de la consolidation des États-Nations au XIXe est celle d’un conflit permanant entre la volonté centralisatrice de l’État et les forces centrifuges des pouvoirs locaux et régionaux. Ces seigneurs territoriaux avec lesquels l’État devra négocier faute de pouvoir les contrôler, s’appuient sur des formes de sociabilité traditionnelle et des réseaux locaux fortement ancrés dans le territoire.


Que l’on ait adopté une constitution plutôt présidentialiste ou parlementaire, le suffrage universel n’est adopté en Argentine qu’en 1912, en URUGUAY en 1918 (y compris le suffrage féminin dans ce dernier cas). Ailleurs on en est encore très loin. À la veille de la première guerre mondiale, seulement 5% des adultes mâles votent en Colombie, 3% au Chili. Au Chili encore, dans les années 1960, il n’y a que 20% d’électeurs et 44 % seulement dans les années 70. De toute façon, le système électoral fonctionne bien mal, parce que il y a de très fortes contraintes sur les votes et parce que les résultats sont truqués.

Certains hommes ambitieux disposant de la force militaire (les caudillos) ont pu confisquer le pouvoir politique à leur profit, et exercer des dictatures plus ou moins violentes. Le caudillo est un guide pour son pays, sa légitimité étant fondée sur sa valeur militaire qui suppose des valeurs morales et politiques. L’exemple type du caudillo installé au pouvoir est celui de Porfirio Diaz au Mexique de 1876 à 1910. Vicente Gomez (1908 - 1935) au Venezuela


Au début du siècle, seuls l’Argentine, l’Uruguay, le Chili, la Colombie et le Costa Rica ont l’apparence de régime constitutionnels à peu près représentatifs. Dans la plupart des états, le choix politique est entre une oligarchie de propriétaire ou encore un caudillo exerçant le pouvoir de façon dictatorial s'accommodant ou pas avec l’oligarchie.



3. Les interventions des États-Unis en Amérique latine

Le fondement idéologique de cet interventionnisme est la doctrine Monroe en 1823, légitimé par le Manifest Destiny du peuple américain fondé sur le respect de l’autonomie des Amériques face aux européens. L’interventionnisme se dote d’un instrument efficace de propagande avec les conférences Panaméricaines où les États-Unis assurent la direction et établissent l’ordre du jour.

La défense des intérêts économiques des entreprises nord-américaines apparaît primordiale et particulièrement évident dans le cas de Panama. Après l’acquisition de la Compagnie française qui avait débuté les travaux par une cie américaine, les ÉU obtiennent une bande de territoire de 6 Miles de large pour 99 ans (janvier 1903). Cependant certains milieux colombiens voyant là un abandon de la souveraineté, les ÉU soutiennent une révolte de séparatiste panaméen qui aboutit à la création de l’État indépendant du Panama.

Fort de ses succès à Cuba et au Panama, Théodore Roosevelt définit placidement dans un mélange de naïveté et de cynisme, le droit d’intervention des ÉU sous le nom de politique du big stick (gros bâton). D’où les interventions en République Dominicaine en 1905 s’ensuit un véritable gouvernement des marines jusqu’en 1941, à Haïti en 1915, au Nicaragua en 1909, 1912 et 1926. L’arrivée au pouvoir de Franklin Delano Roosevelt en 1933 va représenter une certaine volonté de substituer une politique de “bon voisinage”. On reconnaît enfin tout au moins formellement l’égalité des nations, l’abolition de l ‘amendement Platt concernant Cuba par exemple, la non-intervention lors de la nationalisation de pétrole par Cardenas au Mexique en 1938. Mais cela ne signifie pas que les ÉU ne sont pas attentifs à la défense de leurs intérêts ni à la promotion d’un américanisme à l’échelle du continent, dont ils seraient le guide et qui s’exprimerait par le commerce.

Point sur : La Révolution mexicaine 1910 - 1920
Depuis 1876, Porfirio Diaz exerçait une véritable dictature de type bonapartiste. Si une certaine modernisation, fondée sur les investissements étrangers est indéniable, elle a surtout profité à l’oligarchie traditionnelle. => soulèvement militaire de Pascual Orozco et de Francisco “Pancho” Villa. D’autres soulèvements, plus ou moins bien coordonnés suivirent dans les dernières semaines de 1910 dans le Nord + mars 1911, soulèvement au Sud conduit par Emiliano Zapata. = des paysans et petite bourgeoisie. Le 28 novembre 1911, Emiliano Zapata publie son “Plan de Ayala”. Le programme est fondé sur les revendications paysannes : récupération des terres usurpées sous le porfiriat ; expropriation d’un tiers des latifundios ; confiscation des terres des hacenderos qui luttent contre la Révolution. En 1911, 95% des paysans étaient sans terre.
Renversement de Diaz et Madero élu président le 6 novembre 1911 entreprit de faire fonctionner la république parlementaire Mais affrontement avec les zapatistes et les partisans de Villa.
=>La constitution fédérale de 1917

Ainsi, si la propriété privée était garantie, elle instituait également la restitution des terres aux ejidos (structures paysannes collectives). Elle accordait parallèlement la journée de 8 heures et le droit de grève. Dans le domaine politique, elle garantissait les libertés publiques et imposait la non réélection du président, établissait le mariage et l’enseignement civil. Au total, une constitution clairement réformiste, sensiblement progressiste, mais qui ne satisfaisait pas les secteurs les plus radicaux. Elle sert néanmoins de modèle aux autres pays d'Amérique latine.


4. Un modèle agro-minier

L’essor économique dans le premier tiers du XXe est fondé sur l’exploitation des ressources naturelles.
Ressources agricoles en premier lieu : l’Argentine en 1913 est les 3e producteur mondial de blé et le 1e exportateur de viande bovine. Cet essor a été rendu possible par la baisse des coûts de transports et par la mise au point de la conservation par le froid.
Ressources minières également : le nitrate et le cuivre chilien ou anglo-chilien, l’étain bolivien, le pétrole mexicain (concession accordée par Porfirio Diaz à la Standart Oil de Rockfeller) et plus tard le pétrole Vénézuélien (Cédé par Vicente Gomez à la Shell) qui devient le 1er exportateur mondial et le 3eme producteur mondial de pétrole.

Une économie prospère mais débouchant sur un système mono-productif tourné vers l’exploitation des ressources agro-minières. C’est une économie très ouverte qui possède comme avantage de permettre un développement très rapide du pays mais c’est un économie déséquilibré qui engendre l’économie des cycles :par exemple au Brésil, au cycle du café qui fit la fortune de Sao Paulo suivit le cycle du caoutchouc. Ces cycles sont vites achevés après que les sols eurent été littéralement épuisés par une exploitation effrénée. Lorsque le retournement cyclique se fait sentir, il laisse des villes minières (Antofagasta au Chili par exemple après la fin du cycle du nitrate) ou des régions entières à l’abandon. De plus cet économie des cycles favorise une accumulation de capitaux destinés à la spéculation et non à l’investissement.

Timides industrialisations en Argentine (industrie de transformation de la viande en conserve par ex). l’Uruguay le Chili, le Pérou.


Les économies ouvertes d’Amérique latine sont dépendantes vis à vis de l’étranger à la fois en amont et en aval. En amont, car les investissements proviennent dans leur quasi totalité de l’étranger. Seule l’Argentine et à un moindre degré la bourgeoisie de Sao Paulo sera en mesure à la fin des année 20 de procéder à une politique d’investissement au demeurant limitée. En aval la dépendance est d’autant plus forte que les exportations concentrés sur un ou deux produits et que la géographie des exportations est elle très concentrée. En 1928, les exportations comptent pour 30% dans la formation du PIB argentin, pour 35% au Chili ou au Pérou, mais pour plus de 50% au Costa Rica, au Honduras.

Remarque :Le cas le plus extrême est celui de la United Fruit Compagny qui en Amérique centrale et dans la région caraïbe/colombienne possède les plantations, les chemins de fer, les embarcadères, contrôle les douanes et exerce une domination totale sur la vie sociale et politique de la région et la politique économique menée par le gouvernement.

+ la dépendance financière <= emprunts. Dans les années 1920, l’Argentine consacre 39% de son budget à payer le service de la dette extérieur (22 emprunts cumulés). Beaucoup d’État d’Amérique centrale furent contraint de céder aux ÉU le contrôle et l’administration de leurs douanes ou de leur chemin de fer.


L’Amérique latine de 1930 à 1960 : L’époque “nationale-populaire”


Les décennies du milieu du siècle sont marquées en Amérique latine par une réaction contre la dépendance économique, politique et même culturelle à l’égard de l’Europe et des États-Unis.

1- La manifestation et les effets de la crise des années 30

Les économies latino-américaines furent particulièrement éprouvées par la crise. Le prix des exportations latino-américaines s’effondrèrent du tiers pour la laine et le caoutchouc, de moitié pour le café, le blé et l’étain. La valeur des exportations chuta de 64,3 % entre 1929 et 1933. Cuba perdit plus de 70% de la valeur de ses exportations, la Bolivie et le Chili, plus de 80%. À l’exception de l’Argentine, tous les Etats se déclarèrent en faillite et durent procéder en catastrophe à la dévaluation de leur monnaie.

Dans les années 30, dans beaucoup de pays, se développent des mouvement ultra-conservateurs, autoritaires (au Honduras et au Guatemala, ils sont même fascistes). Un des exemples les plus manifestes est celui du Guatemala ou se déroula une dictature particulièrement féroce au bénéfice de la United Fruit Company et d’une oligarchie latifundiaire d’origine allemande.

SAUF Exception : Au Mexique, les élections de 1934 voient la victoire de Lazaro Cardenas issu de la gauche mexicaine qui se réclame dans la continuité des réformes de la Révolution + nationalisation du pétrole => Or Roosevelt n’est pas intervenu à la fois dans l’optique du bon voisinage et dans les mauvaise relations qu’entretenait Roosevelt et les Compagnies pétrolières texanes.


À la fin des années 30 et durant les années 40, il se produisit en Amérique latine un phénomène politique que l’on nomme généralement "national-populiste”. Il s’agit d’une façon formelle d’expression politique qui se veut nationale et réformiste. Elle est fondamentalement liée au développement de nouvelles couches moyennes urbaines : petite bourgeoisie, employés et fonctionnaire. Peuvent y être rattachés tant l’APRA au Pérou que le MNR de Bolivie, l’Accion Democratica vénézuelienne et bien sur les régimes de Getulio Vargas au Brésil et de Peron en Argentine.

Malgré leur sociologie plutôt populaire, les partis “populistes” représentent en fait essentiellement les intérêts des groupes de la bourgeoisie nationale non liée au capital étranger. C’est le sens de leur soutien à l’État. Leur idéologie est fondée sur un nationalisme d’État teinté d’idéal socialisant plus ou moins affirmé, selon les cas (plutôt davantage dans le cas de l’APRA péruvienne de Victor Haya de la Torre, nettement moins dans le cas de Vargas -Brésil- ou de Peron -Argentine-). mais aussi non dénué d’une certaine sympathie pour certains traits du fascisme, notamment le culte du chef et le goût de l’ordre (surtout chez Peron). 
<=> mouvement populiste historique des années 1930's et 1940's = alliance de classes des classes populaires mobilisées contre l'oligarchie , le prolétariat flottant, précaire, urbanisé, les classes moyennes + incarnation dans un homme charismatique + tout en donnant des gages à l'oligarchie en étant un rempart contre le danger de la révolution socialiste/communiste <= obsession de l'ordre social , de contrôle de la société + idéologie nationaliste.
Mouvement caméléon, notamment en Argentine, qui peut être de gauche ou de droite conservatrice, selon le moment politique

Point sur : Au Brésil, l’Estado Novo
En 1937, Getulio Vargas lançait son programme d’Estado Novo sur le plan économique, il s’agit de réduire la monoculture caféière d’une part et de renforcer le capital national et de stimuler l’industrie d’autre part. Sur le plan politique et social, il s’agissait clairement d’établir une sorte de corporatisme. Vargas dissout les partis politiques et les syndicats. La population est intégré dans les corporations organisées par l’État. EN 1944, cependant, Vargas autorise à nouveau les partis (y compris le parti communiste clandestin depuis 1922 : son dirigeant Luis Carlos Prestes “le prisonnier politique le plus connu d’Amérique latine” est libéré) et les syndicats => coup d’État militaire qui le renverse en octobre 1945 au profit du général Dutra. Celui-ci organise bien des élections mais interdit le parti communiste et la Confédération des travailleurs brésiliens, centrale syndicale commune aux communistes et aux socialistes. En 1950, les élections présidentielles ramènent au pouvoir Getulio Vargas. Les milieux conservateurs s’emploient à le contester et à s’opposer à sa politique économique et sociale. Ils accusent sa planification, le protectionnisme et les nationalisations. En 1954, un “mémorandum des colonels” s’en prend à Vargas et le pousse au suicide. Mais la réaction populaire paralyse les ambitions de la droite civile et militaire. 1955 : la présidence de Juscelino Kubitschek.
Le nouveau président engage résolument le pays dans le “développementisme”, la planification, l’industrialisation et la modernisation (dont la construction d’une nouvelle capitale ex-nihilo : Brasilia).

2- Le “développement auto-centré”

Deux points expliquent la généralisation du nationalisme économique au milieu du siècle en Amérique latine :
  • La crise consécutive au Krach de 1929 avait montré la faillite des politiques économiques fondées sur l’exportation des ressources agricoles et minières. Vers la fin des années 30, des politiques de sortie de crise fondées sur la substitution des importations et l’intervention de l’État, menées au Mexique et au Brésil (+ 2,3% de croissance), avaient paru, au contraire indiquer une voie susceptible de renouer avec la prospérité.
  •  Le soutien d’une partie de la bourgeoisie nationale et celui des masses populaires urbaines.
<= La croissance démographique et ses effets cumulés est sans contexte un phénomène massif de l’histoire contemporaine du continent. Le taux de croissance annuel de la population est de 2,3% durant la décennie 1940-1950, de 2,7% pour 1950-1960, de 2,9% pour 1960-1970 et encore 2,7% pour 1970-1980. La population totale est de 160 millions en 1955, 275 millions en 1970 et de 352 millions en 1980 et de 540 millions en 2000. Mais , il faut noter que cette croissance n’est pas homogène selon les grandes zones sous-continentales. Cette croissance a provoqué celle des villes et des agglomérations et accru les tensions entre mondes urbains et ruraux.


Le nationalisme économique se manifeste par des mesures de lutte contre le capital étranger. Les mesures les plus spectaculaires et emblématiques furent les nationalisations avec indemnisation de compagnies étrangères. La nationalisation pionnière fut celle du pétrole mexicain en 1938. D’autres nationalisation de compagnies pétrolières suivirent comme en Argentine en 1946, nationalisation des chemins de fer : au Mexique en 1940, en Argentine en 1946, au Brésil de 46 à 50, au Chili en 51.

+ Luttes plus féroces pour l’électricité : le Brésil et l’Argentine se heurtèrent aux monopoles canadiens et états-uniens, dont celui de la Light. C’est encore plus difficile avec les trust miniers : au Chili, le gouvernement démocrate-chrétien de Frei eut toutes les peines du monde à imposer une participation de 25% dans le capital du trust du cuivre de l’Anaconda Cooper Cy.



En complément de ces transferts de propriété, les États s’efforcèrent également de réglementer les investissements étrangers :
  •  une législation anti-trust étaient institutée par l’Argentine en 46-48. En 1952, le Brésil exigeait des sociétés anonymes que 51% au moins de leurs capitaux soient souscrits soit par l’État soit par des particuliers brésiliens
=> la création et le développement d’entreprises nationales, publiques (dont la Pemex, cie de Pétrole mexicaine fut longtemps le modèle) ou semi- publique comme Petrobras ou Electrobras, cies du pétrole et de l’électricité du Brésil.
  • la tentative de concilier le développement des exportations et le protectionnisme. Le résultat devait être l’établissement d’un appareil industriel autochtone substitutif des importations.


3. La crise des années 1970 et 1980

La crise mondiale des années 70 touche de plein fouet les économies latino-américaines qui apparaissaient comme plus florissantes.

<= relative stagnation du secteur agricole et faible modernisation + la structure de la production industrielle était fragile. L’industrie latino-américaine concerne pour plus de la moitié de la production des biens de type traditionnel (agro-alimentaire, meubles, tabacs, boissons) les industries des secteurs dynamiques (chimie, métallurgie, constructions automobiles) ne sont réellement présentes qu’en Argentine, au Brésil, au Mexique et dans une mesure bien plus faible en Uruguay ou en Colombie. Surtout, partout (y compris en Argentine ou au Brésil) la part des biens d’équipements dans la consommation des ménages est bien trop faible du fait de la pauvreté de la pop.



4- Impasse et échec des expériences “réformistes” :

Remarque : À la fin de la guerre et avec l’arrivée de Truman à la Maison Blanche, les États-Unis reprennent une politique active en Amérique latine. Celle-ci est à la fois réservoir de matières premières et un débouché pour les industries états-uniennes. Sur le plan politique, si entre 44 et 46, il s’agit pour les États-Unis de promouvoir une certaine démocratisation, à partir de 47, il s’agit surtout dans le cadre de la guerre froide de lutter contre le communisme : c’est l’idée de la “défense continentale”. Avec le soutien des oligarchies locales, bon nombre de mouvement démocratiques ou sociaux sont assez vite accusés de faire le lit du communisme. La Conférence interaméricaine de Rio de Janeiro de septembre 1947 et la création de l’OEA (organisation des États Américains) à Bogota en avril 48 sont les signes de cette volonté.


Plusieurs états connaissent durant les années 44-47, l’expérience de régimes démocratiques : le Pérou avec l’élection de José Luis Bustamante soutenu par l’APRA ( mouvement réformiste puissant et violemment anti-communiste), le Vénézuela avec celle de Romulo Betencourt, le Costa Rica où le président est soutenu par les communistes. Mais ces expériences tournent court : au Pérou et au Venezuela un coup d’état renverse le président en 48, au Costa Rica, l’acte additionnel à la constitution de 48 interdit le parti communiste (comme au Brésil, à Cuba, au Chili et au Pérou entre autres). Dans des contextes différents, l’histoire de la Colombie, du Guatemala et de la Bolivie témoignent de l’impossibilité de s’engager sur des voies réformistes à l’instar par exemple des expériences européennes contemporaines. L’expérience populiste de gauche du Pérou des années 60 en est une illustration supplémentaire.

ex. 1. Gaitan et le bogotazo en Colombie

Ospina Perez représentant de la droite conservatrice gagne les élections de 46 alors que le chômage et la vie chère favorisent la croissance du nombre des manifestations. Le gouvernement y répond par la répression légale et la violence terroriste exercée conjointement avec des milices au service des grands latifundiaires. L’opposition libérale de gauche s’organise à sont tour. La violencia devient le maitre mot de la vie politique en Colombie. Jorge Gaitan, dirigeant de l’aile gauche du parti libéral cristallise sir son nom toutes les aspirations démocratiques et révolutionnaires. En 1947, il exige la réforme agraire, une politique économique industrialisante et nationale, une réforme bancaire et l’élimination de la corruption. Il reçoit le soutien des syndicats. Le 9 avril 1948, il est mystérieusement assassiné. Les jours suivants, ses partisans déclenchent une émeute populaire qui tien la ville sous son contrôle pendant quelques temps (au moment ou se tient la conférence panaméricaine, obligée de suspendre sa séance). Ce soulèvement spontané est rapidement écrasé. La répression contre les démocrates s’étendit par la suite sur plusieurs mois (Gabriel Garcia Marquez donne une description de Gaitan et du Bogotazo dans son premier ouvrage, ses mémoires dont le titre français est Vivre pour la raconter). En 1949, le président Ospino Perez proclamait l’état d’urgence, dissolvait le parlement et suspendait toutes les libertés publiques.


ex. 2. La répression contre la révolution guatémaltèque

Les années de l’après-guerre sont marquées par l’établissement d’in régime démocratique. Après que les États-Unis, eurent en 1944 contraint à la démission le dictateur Ubico ; un soulèvement démocratique exigea des élections. Celles-ci furent gagnées par Juan Arévalo représentant de la gauche démocratique et réformiste. Le droit de vote aux femmes et aux analphabètes (80% de la population à l’époque). On promulgua un code du travail et établit la semaine de 48h. Le gouvernement entama une grande campagne d’alphabétisation et créa une banque nationale de crédit. Les latifundios allemands furent démantelés, mais les grands propriétaires nationaux conservèrent intacts leurs domaines.

Arévalo s’était réclamé du socialisme humaniste qu’il opposait au socialisme matérialiste. Or, il au pouvoir, il tenta de promouvoir une “démocratie fonctionnelle”, censée assurer la coordination des intérêts des différentes classes sociales. Les problèmes devaient être résolus dans le cadre de conférences locales, régionales et nationales. Une première conférence nationale n’eut pas de suite. Les conflits de classe ne pouvaient être ainsi estompés.

Les élections de 51 furent gagnés par Arbenz qui avec le soutien des partis réformistes, des syndicats et des communistes entama enfin la réforme agraire. Une réforme agraire au demeurant modérée, qui ne touchait que les domaines de plus de 300 hectares et qui permit à plus de 100 000 familles d’accéder à l’exploitation. Les élections de 1933 furent un vrai succès pour le gouvernement. Mais en juin 54, avec l’appui de l’OEA et des états dictatoriaux voisins, inquiets de l’exemple guatémaltèque et prétextant la dérive marxiste, le colonel guatémaltèque Armas envahissait le pays depuis le Honduras et obtenait de l’armée qu’elle dépose le président Arbenz. Une terrible répression contre les forces démocrates s’ensuivit.


ex 3. La “révolution réformiste” en Bolivie, 1952-1954 : un type nouveau de populisme
La Bolivie est le pays le plus indien de l’Amérique du sud, le pays le plus retardé aussi. C’est un pays de monoproduction, la chute du cours de l’étain en 52 a provoqué un déséquilibre important.

Au lendemain de la 2nd Guerre mondiale, la Bolivie est encore un pays frustré par le traumatisme de la guerre du Chaco. Dans une société où les indiens sont majoritaires et où les structures sociales sont les plus archaïques de toutes l’Amérique du Sud, l’oligarchie est destabilisée par la brusque chute des cours décidé par les États-Unis au moment de la guerre de Corée.

Une insurrection des mineurs porte au pouvoir le MNR (Movimiento nacionalista revolucionario) en 52; L’idéologie du MNR est passablement vague. Ce qui la rapproche des mouvements populistes. Mais le culte du chef n’y est point poussé comme au Brésil et a fortiori comme en Argentine. Dans son combat contre l’oligarchie, le MNR est très largement soutenu par les Indiens, les mineurs et les ouvriers, les classes moyennes et même paradoxalement par le parti communiste et les jeunes officiers progressistes des Forces Armées.

Le gouvernement du MNR procède à la nationalisation des mines d’étain et à la création d’un organisme public pour les gérer (la Comibol). Paz Estenssoro (président de 52 à 56 et de 60 à 64) promet la disparition des latifundios et l’affranchissement des Indiens. La réforma agraire, relativement importante, de 1953 s’inspire de la Révolution mexicaine. Si les terres des vallées les plus modernes et capitalistes ne furent pas concernées, près de 10 millions d’hectares des altiplanos furent distribués à plus de 200 000 familles.

Dans le domaine politique, le MNR établit le suffrage universel, autorise et encourage la création de centrale syndicale (la COB); mais surtout, il organise les ouvriers et paysans en milices chargées de défendre les acquis de la révolution.

La fin des années 50 vit les difficultés apparaître puis s’amplifier :
  • des divisions apparurent entre révolutionnaires, entre partisans de la poursuite du processus révolutionnaire et nationalisateur et ceux et qui pensaient que le pays devait se rapprocher des États- Unis afin de bénéficier des subsides que le gouvernement de Washington promettait dans le cadre de l’alliance pour le progrès.
  • la situation économique, due aux tensions sur le marché de l’étain dégrada les conditions de vie des ouvriers et les paysans étaient déçus des résultats de la réforme agraire.
  •  depuis leur défaite en 52, les forces armées avaient entrepris de se rendre plus populaire notamment grâce au général Barrientos, un homme neuf.
Paz emportait les élections de 64, mais son vice-président le général Barrientos le renversait le 4 novembre et les forces armées inauguraient une longue période de dictature militaire au demeurant très instable jusqu’à l’arrivée du général Hugo Banzer au début de la décennie 70. 


Point sur : La révolution cubaine, une révolution nationaliste progressiste
Depuis 1934, à la suite d’un soulèvement, Fulgencion Batista est l’homme fort de Cuba, sous son propre nom ou derrière ceux des hommes qu’’il porte à la présidence. À partir du coup d’État de 52, il renforce son pouvoir personnel et celui d’une mince oligarchie. La traditionnelle relation de dépendance à l’égard des ÉU est renforcée.

C’est dans ce contexte qu’a lieu en 53, la première tentative révolutionnaire de Fidel Castro, jeune avocat nationaliste qui se réclame de José Marti, le héros de la guerre d’indépendance. Son objectif est de libérer le pays de la corruption et du pouvoir des “secteurs aisés et conservateurs”, c’est-à-dire la haute bourgeoisie et le remettre au peuple qui regroupe dans sa conception tant la petite bourgeoisie (artistes, commerçants, enseignants, ingénieurs,...) que le prolétariat rural et urbain. Arrêté et jugé (“l’histoire m’acquittera”), condamné à 19 ans de prison, il est ensuite amnistié et se réfugie au Mexique. Il y prépare avec un groupe de 24 hommes dont l’argentin Ernesto “Che” Guevara le débarquement du 2 décembre 1956 dans la Sierra Maestra.

En deux ans, le noyau originel va se transformer en véritable armée rebelle et prendre La Havane, d’où Batista s’est enfui le 1er janvier 1959. Cette rapide victoire s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs :

- La capacité de Castro à rassemble les paysans pauvres en distribuant immédiatement les terres des grands domaines dans les régions qu’il contrôle.

- La petite bourgeoisie des villes et les étudiants soutiennent le mouvement qui lutte contre une dictature vénale, corrompue et inféodée aux ÉU.

- La situation très difficile du peuple cubain : 600 000 chômeurs sur une population de X millions d’habitants, le rend très réceptif.

Cette victoire revêt une importance tout à fait exceptionnelle. Pour la première fois en Amérique latine, une guérilla parvient à mettre en déroute une armée professionnelle. Ce triomphe a un immense retentissement dans tout le continent. Son importance est d’autant plus grande que le castrisme va être à l’origine d’une expérience révolutionnaire en Amérique latine par l’instauration dès 61 d’un régime socialiste.
Le 17 mai 1959 est promulguée la Réforme agraire. Il s’agit encore s’une réforme modérée, avec indemnisation. Le fait remarquable c’est qu’elle transforma la moitié des terres en coopératives plutôt que de la distribuer en trop petits lots. Cela a été plus facile ici qu’ailleurs, parce que les paysans des plantations de sucre étaient davantage des propriétaire ruraux que de véritables paysans ayant faim de terre. Dès cet instant, il se constitue un front anti-révolutionnaire formé des partisans de l’oligarchie des grands propriétaires - dont les nord-américains qui possédaient 50% des terres, de certaines fractions de la moyenne bourgeoisie qui possédaient des intérêts dans l’industrie sucrière et dont l’émigration de milliers de membres des calles aisées est le signe. Dans un discours prononcé à l’ONU en septembre 1960 Castro répond que Cuba ne peut accepter les exigences d’Eisenhower de voir les indemnisations payées immédiatement et en dollars. Les ÉU menacent l’île d’embargo qui dépendaient à 80% pour les produits industriels d’importation et à 90% pour les exportations de sucre.


C’était sans compter avec la détermination de Castro. Cuba signe avec l’URSS un accord commercial portant sur 20% de la production de sucre, puis un second accord qui prévoit l’échange sucre-pétrole. En mars 1960, un bateau explose dans le port de la Havane. En octobre, la socialisation de l’économie s’accentue avec la nationalisation des banques, puis l’expropriation des grandes entreprises industrielles ; par ailleurs, la loi de Réforme urbaine interdit à une personne privée de percevoir mensuellement plus de 600 dollars de loyer et institue un système qui vise à rendre tous les locataires propriétaires de leurs logements.

À la fin de 1960, l’URSS offre de défendre militairement Cuba. Le 16 avril 1961, la tentative de débarquement sur la Baie des Cochons est un fiasco pour les ÉU. Le même jour, Castro proclame le caractère socialiste du régime. Les tâches prioritaires sont désignées à l’ardeur des militants sont la lutte pour l’éducation et la santé.

En 1962, sous la pression des ÉU, Cuba est exclu de l’OEA. En octobre, la “crise des fusées” place Cuba au coeur des tensions internationales. En 1965, la création du nouveau parti communiste a pour objectif de réunir les membres de l’ancien parti communiste et les révolutionnaires castristes issus du mouvement de la Sierra Maestra.



La contre-révolution en Amérique latine

Les dictatures conservatrices n’avaient jamais disparu du continent, même durant les années 44-48, où l’heure semblait davantage propice aux régimes populistes d’une part et aux expériences démocratiques (au demeurant fragiles et éphémères) d’autre part. Ainsi parmi les plus répressives et plus longues celle de la famille Somoza au Nicaragua (propriétaire du 1/4 des terres du pays), celle de Trujillo en république Dominicaine. Passées les années de l’immédiat après-guerre, où la Maison Blanche les avait tenu à l’écart, les dictateurs avaient vu leur pouvoir consolidé. Sans doute, en partie grâce à la CIA qui voyait en eux d’excellentes sentinelles contre le communisme, mais également avec l’aval des oligarchies locales et sous l’effet, non négligeable des luttes de clans internes aux différentes classes dirigeantes et à l’armée. La révolution cubaine a incontestablement effrayé les forces conservatrices et a servi de prétexte tant aux coups d’états contre les moindres expériences réformistes qu’aux interventions préventives.

Au milieu des années 60, de l’aveu même de Lyndon Johnson, il apparaît que l’Alliance pour le progrès a échoué. Le désir de réaction sociale d’importants groupes des oligarchies locales prend comme justification la volonté de s’opposer de façon plus énergique au communisme. Lors de la conférence tricontinentale de La Havane en janvier 1966, Castro, il est vrai, appelle les peuples d’Amérique latine à la révolution sociale tandis que Che Guevara développe sa théorie du foco (foyer révolutionnaire) et mène la guerilla en Bolivie.

En fait, le mouvement de reprise en main autoritaire et oligarchique avait débuté bien avant en Argentine et le coup d’État militaire de 64 au Brésil en était le revélateur. Par ailleurs, les putschistes faisaient preuve d’une conception très élargie du danger “subversif” s’il leur incombait de mener la lutte contre les guérillas révolutionnaires en Colombie, au Pérou et plus tar au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua, ils s’élevèrent ave la même volonté contre les expériences socialistes comme au Chili ou plus simplement “populistes réformistes” comme au Brésil ou au Pérou ; parfois même comme en Uruguay ou en Argentine en 76, le coup d’état était clairement préventif.

A la fin de la décennie 1970, le bilan est sombre. Si on excepte le Costa Rica et compte tenu de la confiscation de la vie politique par le PRI au Mexique et de la parodie de système représentatif en Colombie, tous, tous les pays d’Amérique latine vivaient sous un régime très autoritaire voir dictatorial au contenu fort conservateur.


1. Des militaires ultraconservateurs contrôlant le pouvoir en Argentine

Le renversement de Peron en Argentine en 1955 peut être interpétré comme une réaction conservatrice. L’expérience du général Lonardi de “péronisme sans Peron” tourne court en 1956 : le général Aramburu a pour objectif de faire disparaître toutes les dispositions, toutes les lois et tous les organismes issus du péronisme, en particulier en matière sociale. Mais la combativité ouvrière et syndicale empêchera les militaires libéraux et nettement pro-nord-américains (ceux qu’on appelle en Argentine les “gorilles”) de réaliser leur objectif. Le régime d’apparence démocratique rétabli (Le radical Frondizi est élu président en 1958) est en fait fragile dans un contexte dominé par l’armée. Les fractions dominantes au sein de l’armée assimilent au communisme le péronisme. et même le radicalisme de Frondizi. Malgré les concessions qu’il n’a cessé de faire aux militaires, l’armée le renverse en 1962 tout comme sons successeur en 1966. Les Forces militaires Armées désignent directement le président Ongania qui monopolise tous les pouvoirs. Ongania et la junte militaire qui l’entoure dissolvent tous les partis politiques et donnent comme objectif au pouvoir la défense par tous les moyens des valeurs de l’occident chrétien et menèrent une politique économique ultra- libérale.


Le projet échoue autant économiquement que socialement (manifestation de Cordoba en 69) et politiquement (subversion armée des péronistes de gauche : les Montoneros, manifestations populaires et élection de Peron à la présidence en 73 avec 62% des voix).
À son retour au pouvoir en 1973, Péron manifeste l’intention d’appliquer la même politique de conciliation des classes qu’il avait mené avant 1955. Mais la situation a beaucoup évolué. Politiquement, la crise économique que travers le pays ne lui permet pas de pratiquer la même politique sociale généreuse du justicialisme des années 40 ou de procéder à des nationalisations avec indemnisations. En même temps, la jeunesse et la gauche péroniste penche pour une évolution du justicialisme vers le socialisme tandis que la droite du parti prône au contraire une conciliation avec l’oligarchie. Peron choisit clairement de soutenir la droite du parti. Une orientation encore renforcée après sa mort par sa deuxième femme, Isabel, qui devient présidente en 1974 et le ministre Lopez Rega. Pour faire face à la guerilla des Montoneros, ils décrètent l’état de siège et laissent faire les escadrons de l’AAA ( Alliance Anticommuniste Argentine). Malgré tout, la lutte contre la “subversion” semble trop molle et l’orientation libérale pas assez nette aux militaires qui s’emparent à nouveau du pouvoir le 24 mars 1976. = La dictature des militaires
Cette fois-ci, la junte militaire dirigée par le général Jorge Videla n’a pas l’intention de simplement contrôler le pouvoir, mais bien, comme au Chili, de l’exercer directement. La répression fut d’une rare violence, pire qu’au Chili sans doute : plusieurs dizaines de milliers de disparus et de torturés, notamment dans les locaux de l’École de mécanique de la Marine.



2. Un signal : le coup d’État militaire au Brésil de 1964

Après que le successeur de Kubitschek : Janio Quadros eut démissionné en 1963, les conditions de l’affrontement de 1954 se dessinent à nouveau : d’un côté Goulart, soutenu par le mouvement populaire et nationaliste ainsi que par de larges fractions de l’Église ; de l’autre, les conservateurs, une partie des libéraux et une partie de la hiérarchie catholique et l’armée.

Les partis politiques libéraux et traditionnels semblants impuissants, les États-Unis se décide à soutenir les putschistes en avril 64 et amènent au pouvoir le général Castelo Branco. Après la réussite du coup d’État, tous les partis politiques et syndicats existant sont dissous. Le régime crée son propre parti : l’Alliance rénovatrice nationale. À partir de 1969, le régime militaire se durcit : les libertés politiques sont suspendues, la répression est accrue sur les militants de gauche, les intellectuels et même les membres de l’Église catholique engagés dans la lutte contre la dictature.

Au début, de la présidence du général Ernesto Geisel (1974 - 1979) s’amorce une timide révolution : les tortures et assassinats politiques diminuent.



3. Le coup d’État et la dictature sanglante de Pinochet au Chili / le modèle néolibéral (Chili et la junte mil argentine)

Le coup d’État du 11 septembre 1973 préparé par la CIA et les Forces armées a reçu le soutien de l’oligarchie mais aussi des classes moyennes et de l’Église. Le général Augusto Pinochet qui s’empare du pouvoir a pour objectif d’éradiquer le communisme et le socialisme athées. La répression sanglante qu’il fait subir au pays tue plusieurs milliers de personnes dans les semaines qui suivent le putsch. L’ampleur de la répression est telle que le cardinal-primat déplore en avril 74 les détentions arbitraires et le climat de peur dans le pays. Condamné à l’ONU, Pinochet se donne une légitimité en organisant à son profit un plébiscite en 78 qui lui assure tous les pouvoirs dans la constitution militaire de 1980. À partir de 1983, l’opposition clandestine parvient à organiser des manifestations (interdites biens entendu) de mineurs du cuivre puis une protesta dans les quartiers populaires (les poblaciones). L’armée procède à une 2nde vague répressive mais l’opposition à laquelle s’est jointe de larges secteurs de l’Église ne plie pas.

Il est indéniable que les dictatures militaires qui s’installent sur le continent durant les années 70 ont pour objectif clair de rompre avec les politiques économiques antérieures pour des raisons qui sont davantage sociales qui strictement économiques. Le cas du Chili est exemplaire :
Pinochet fait venir au Chili des disciples de Milton Friedman, professeur d’économie à Chicago, et chantre de l’ultralibéralisme. On assiste au démantèlement de la politique économique menée par l’Unité populaire mais aussi de bon nombres d’éléments structurant de l’économie chilienne.

Les entreprises publiques sont privatisées. L’ouverture du marché chilien est assurée par l’abolition des douanes et l’offre de conditions très avantageuses aux investissements étrangers. Malgré ce qui a pu être dit à une époque sur le “miracle chilien”, les résultats, y compris du strict point de vue économique sont très contrastés. L’économie est touchée par une très sévère crise en 1975 puis en 1982. À partir de 1984, certains indicateurs économiques paraissent donner de bons résultats : + 20% d’augmentations des exportations grâce à la hausse du prix du cuivre +Le pays bénéficient de larges crédits extérieurs. Les classes moyennes profitent de la libéralisation des importations sur bon nombres de produits étrangers. Mais en même temps, le PIB par habitant et la consommation par habitant dans les milieux populaires diminuent.

En Argentine Martinez de la Hoz, ministre de l’économie, seul civil du gouvernement de la Junte militaire est issu de l’oligarchie agraire et est très lié au capital étranger. Les principes qu’il compte appliquer sont :
  • liberté des prix
  • liberté des investissements
  • liberté du marché des changes et des taux d’intérêts
  • liberté des exportations et des importations
  • liberté des baux et loyers ruraux
  • suppression des tarifs préferentiels et des prix subventionnés pour les services publics et le combustible
  • liberté des salaires
Il s’agit de revenir au modèle qui avait fait la prospérité de l’Argentine à la fin du XIXe en promouvant la croissance de la production agricole et en accroissant la rente foncière. Le secteur agro-exportateur est effectivement dopé par la mise en oeuvre de cette politique. Mais l’industrie mise sur pied parfois difficilement durant les décennies antérieurs, livrée à la concurrence est fortement pénalisée.
En trois ans le salaire réel a diminué de 50%, l’inflation atteint 170%, le chômage touche 1 500 000 personnes en 1981, l’endettement extérieur est passé de 9 à 30 milliards entre 76 et 81. => Martinez de la Hoz est limogé en 1981. Mais aucun de ses successeurs ne parvient à résoudre la crise. L’inflation devient véritablement galopante : 250% en 1983. Les syndicats mais aussi les industriels réclament une relance de la consommation, mais une telle politique entrerait en conflit avec les consignes du FMI dont l’Argentine est tributaire.



4- Les dictatures désavouées

Au chili, en octobre 1988, pensant contrôler sans problème le scrutin, Pinochet organise un nouveau plébiscite afin de pérenniser son pouvoir jusqu’en décembre 1996, mais c’est le non qui l’emporte. Pinochet refuse de partir. Mais en décembre 1989, sous la pression populaire, il est contraint d’organiser des élections présidentielles. C’est le candidat démocrate-chrétien Patricio Aylwin qui l’emporte au nom de l’union de l’opposition contre le candidat de Pinochet et des chefs d’entreprises enrichis durant la période ultra-libérale du pouvoir militaire. Mais, Pinochet refuse de quitter son poste de commandant en chef de l’armée. Il est en position ainsi de surveiller cette démocratie contrôlée par l’armée.
La bonne nouvelle des années 80 fut la disparition de la plupart des dictatures les plus répressives du continent.

La disparition des dictatures est due sans doute à la combinaison des oppositions : L'Église et la théologie de la libération qui relaie les protestation populaires, celle du mouvement syndical qui peu à peu renaît, celle des intellectuelles. Mais elle s’explique également par le changement stratégique des États-Unis qui ne souhaitent plus soutenir des régimes peu compatibles avec leurs nouveaux discours sur les Droits de l’Homme (L’exemple de Noriega en 1989 est patent). Les crises économiques peuvent être aussi le ferment de contestations nouvelles :
L'ouverture à la concurrence des marchés intérieurs et les progrès de la mondialisation + les crises de la dette renforcent les inégalités sociales, héritées des structures sociales de l’époque coloniale et de l’appropriation des terres collectives indigènes au XIXe. L'extrême inégalité de la répartition des revenus n’est pas comblée par le développement économique : dans le sous-continent 5% des plus riches concentrent 35% de la richesse alors que 40% des plus pauvres ne disposent que de 5%. Mais cette moyenne continentale masque des écarts qui peuvent être bien plus grands : au Brésil notamment et tout particulièrement dans le Nordeste où l’ordre social inégalitaire est garanti par la répression privée des grands propriétaires couverte par la répression gouvernementale.
Partout échec social 1980 : 120 millions de pauvres en Amérique latine => 2005 : 250 millions de pauvres.

Pour autant, les “sorties de dictature” empruntèrent des voies différentes selon les conditions spécifiques à chaque pays et selon “les circonstances” ( Au Chili par exemple, les forces armées gardent un contrôle et une influence sur la vie politique). Ainsi en Argentine ce fut très directement la Guerre des Malouines du 2 avril au 14 juin 1982 qui précipita la fin du régime de la Junte militaire. Les succès argentins des premières semaines purent faire croire que les généraux allaient recréer les illusions des la victoire argentine lors de la coupe du monde de football de 1978. Mais l’ampleur de l’échec militaire et diplomatique face à la GB contraint le général Galtieri à la démission. En juillet, la Junte était dissoute mais les militaires conservaient encore le pouvoir. Cependant le mouvement populaire qui avait tenté de se maintenir sous les conditions extrêmement dangereuses de la dictature (syndicats clandestins, mouvement des mères de la place de Mai) s’enhardit et organisa à la fin de l’année d’importantes manifestations. Les partis politiques renaissaient. Les militaires durent concéder l’organisation d’élection pour octobre 1983. Celles-ci furent gagnées par le radical Raul Alfonsin. La question des disparus et des responsabilités de la répression allait néanmoins peser sur le mandat d’Alfonsin qui dut en outre faire face à de nouvelles tentatives de putsch.

Au Brésil, à partir de la fin des années 1970, une certaine opposition modérée (Mouvement démocratique brésilien) fut tolérée. Les luttes d’opposition à la dictature s’intensifient. En 1978, l’amnistie est proclamée, l’habeas corpus rétabli et la censure supprimée. Une certaine vie politique est rétablie mais elle reste limitée aux partis strictement contrôlés. Sous la présidence de Joao Figueiredo (1979-1985) le régime dictatorial s’affaiblit tandis que se consolide le mouvement anti-autoritaire.
En 1985, la campagne populaire pour l’élection au suffrage direct du président se heurte au refus du congrès et des militaires mais l’élection, au suffrage indirect, de José Sarney, pourtant issu de l’appareil politique du régime militaire, marque le début d’une véritable transition démocratique. Cependant la mandature de Sarney (1985-1988) est marquée par des hésitations politiques et la gabegie étatique. Sarney lance avec un certain succès le “plan cruzado” qui doit éliminer l’inflation galopante en gelant les prix et les salaires. Mais la situation se détériore et les partis d’opposition dont le Parti des Travailleurs accroît son influence en remportant la mairie de Sao Paulo aux élections municipales en 1988. Une Assemblée constituante est élue en octobre 1988. La nouvelle constitution modifie le mode d'élection du président (au SU à 2 tours) tout en renforçant le rôle du Congrès face à l’exécutif fédéral. De même est mise en vigueur une réforme fiscale renforçant les finances des États et des municipalités qui renouent dans une certaine mesure avec le fédéralisme



Point sur : L'économie mexicaine dans les années 1980
C’est sans doute l’histoire du Mexique qui témoigne le mieux du retournement économique général. La présidence de Miguel de la Madrid (82 - 88) signifie un changement qui ira en s’amplifiant par la suite, tant sur le plan économique que sur le plan idéologique et géopolitique (l’abandon des références à la Révolution et des discours tiers-mondistes par le gouvernement au cours des années 80 le rapproche des États d’Amérique centrale traditionnellement lié à Washington comme le Panama par exemple).

Le Mexique de 1970’ s avait paru s’inscrire dans un renouveau de la tradition Cardeniste. Après la répression qui avait frappé la contestation étudiante de 1968, l’accession à la présidence de Luis Echevarria (70 - 76) avait paru signifié la volonté de renouer avec l’esprit révolutionnaire et l’expérience du président Cardenas : la politique économique est placée sous le signe du “développement partagé” ; l’État renforce son rôle dans les secteurs jugés prioritaire, en outre, des efforts significatifs sont faits en faveur de l’éducation. 
Le mandat d’Échevarria est également marqué par l’affirmation du Mexique comme non-aligné et par la rhétorique tiers-mondiste. Il se rapproche de Cuba, affirme son soutien à Allende et rompt les relations diplomatiques avec le Chili en 73. Il s’efforce d’atténuer la dépendance économique du Mexique par rapport aux ÉU en développant les échanges avec les autres États latino-américains.

Mais la situation économique du pays se dégrade rapidement au début des années 1980. La hausse du cours du pétrole et la découverte de nouveaux gisements avaient poussé dans les années 70 la Pemex a contracter de très lourds emprunts d’équipement. En 1981, la dette du Mexique s’élève à 80 milliards de $, la 2nd du monde. Comme le pays tire l’essentiel de ses devises de la vente des hydrocarbures, l’effondrement brutal du prix du brut le met dans l’impossibilité d’honorer ses remboursements : d’autant plus que compte tenu de la hausse brutale des taux d’intérêts, le service annuel de la dette s’élève à 1,1 milliards de $. La récession aux ÉU qui contracte les exportations vers ces pays et la fuite massive des capitaux mexicains vers les EU (35 Milliards de $) aggravent la situation et pousse le président Lopez Portillo à nationaliser les banques privées mexicaines et à instaurer le contrôle des changes. En 1982,le gouvernement mexicain procède à deux dévaluations successives du peso en février et avril de 60% et de 68% et instaure un programme d’austérité qui ampute de 70% le pouvoir d’achat des salariés.

En contrepoint de l’obtention en 84 d’un rééchelonnement des remboursements de la dette, Miguel de la Madrid prend des mesures d’austérité budgétaire sévères. Les conditions de vie des travailleurs mais également d’une bonne part des classes moyennes se détériorent. Le mécontentement social s’exprime au travers de la candidature de Cuaunhtémoc Cardenas aux élections de 1988 et qui recueille 31% des suffrages.

Pour le candidat de PRI, Carlos Salinas de Gortari (88 - 94) élu avec seulement 50,35% des suffrages va engager décidément le Mexique dans la voie du néolibéralisme que son prédecesseur avait ouverte et rompre avec plus d’un demi-siècle de tradition national-populaire et interventionniste. La dette (105 milliards de $) dont le service représente en 89 60% du budget national est la principale préoccupation de Salinas qui engage à cet effet des négociations avec ces créanciers qui aboutissent à la réduction du nominal de la dette commerciale et à un nouvel rééchelonnement plus supportable pour l’économie mexicaine : 14 milliards de $ affectés au service de la dette en 90- 91. Cependant certains experts nord-américains ont calculé qu’en 10 ans, le Mexique avait déboursé 118 milliards de $ sans que la dette ait diminué. 
Salinas engage une très vaste campagne de privatisation (on passe de 11 000 entreprises publiques à seulement 200) qui a pour objectif immédiat de fournir au Trésor des liquidités destinées à satisfaire ses engagements vis à vis de ses créanciers, et pour objectif structurel le retrait de l’État et l’adoption du libéralisme.

Après l’adhésion du Mexique au GATT, l’aboutissement de cette démarche est la signature le 12août 1992 du traité de commerce avec les ÉU et le Canada. L’ALENA entre en vigueur le 1er janvier 1994. Le traité prévoit de supprimer progressivement les barrières douanières entre les 3 états membres en attendant de s’ouvrir à d’autres partenaires comme le Chili. Le traité facilite également la circulation des capitaux. C’est ainsi que les firmes nord- américaines ont désormais le droit d’investir dans les services portuaires ou le secteur énergétique mexicains. Les filiales de la PEMEX sont privatisées en 96. En revanche, la circulation de la main d’oeuvre demeure soumise à contrôle : des accords complémentaires au traité prévoient d’organiser et de réguler l’immigration mexicaine aux ÉU.


Exemples : Pérou, Argentine 

Au Pérou, début des années 80 = crise sociale sans précédent au Pérou : 70% des habitants vivent dans la pauvreté. 
Le Président Alan Garcia, premier président issue de l’APRA, tente en 1984 de mener une politique en dehors des exigences du FMI et va même jusqu’à nationaliser les banques. Il se heurte alors à une campagne de presse qui lui aliène les classes moyennes. En décembre 1987, Garcia se soumet et adopte une série de mesures conformes aux injonctions du FMI : dévaluation sélective et sévère politique salariale, sans pour autant se concilier les bonnes grâces des conservateurs.

Dans un climat alourdi par la guerilla du Sentier Lumineux et du Tupac Amaru, c’est un candidat sans parti mais doué d’un sens certain de la manipulation et de la démagogie : Alberto Fujimori qui accède à la présidence contre la gauche socialiste et contre la droite ultra-libérale de Mario Vargas Llosa. Cependant Fujimori accepte le plan d’ajustement draconien de l’économiste Hernadi de Soto et du FMI. Face au mécontentement populaire, Fujimori s’appuie sur l’armée pour faire passer de force un programme ultra-libéral de privatisations, d’ouverture commerciale et d’appel aux investissements étrangers. Les conséquences sociales (tel l’exode rural qui fait doubler la population de Lima)sont telles que l’Église demandent un calmement. Les prêtres sont mis au pas. Le programme économique est poursuivi tandis que le régime est de plus en plus soutenu par l’armée et les services secrets (qui luttent sans merci contre la guérilla) alors que le trafic de drogue devient une activité importante du pays.


L’Argentine est à bien des égards un cas d’école. De 1989 à 2001, elle a suivi à la lettre toutes les recommandations du FMI. Si au Chili, le modèle libéral des Chicago Boys n’avait donné les résultats escomptés, en Argentine, le libéralisme des militaires et de Martinez de la Hoz avait donné des résultats catastrophiques :  300% d’inflation en 1983, 700% en 1982, 1000% en 1986. Et un déficit budgétaire égal à 14% du PIB, la dette extérieure est multipliée par six.

En l’absence de nouveaux crédits, les autorités argentines démocratiques vont devoir mettre en place les politiques d’ajustement préconisées par le FMI : le plan Austral du nom de la nouvelle monnaie. L’Argentine rembourse ses dettes - le transfert financier est négatif, estimé à 3 milliards de $ en 83, 6 en 86, 4 en 89- Mais les salaires s’effondrent, le chômage explose, l’inflation un temps stoppée repart. En 1988 un nouveau plan, plus sévère comprenant la réduction drastique du déficit et des privatisations entre en vigueur. Profitant du mécontentement social, les péronistes emportent les élections en mai 1989.
Mais le président Carlos Menem va conformément aux injonctions du FMI engager le pays dans la voie de la dérèglementation, des privatisations (pétrole, téléphone, mines, électriques, eau, autoroute, chemins de fer, métro, poste, santé, enseignement° et du champ libre aux effets de marché : en moins de 2 ans, la conversion de l’Argentine péroniste, entamée sous la dictature militaire et poursuivi par le radical Alfonsin a été achevé par ... un péroniste, entouré, il est vrai de technocrates venus des banques états-uniennes et de représentants de l’oligarchie. Toutes entreprises, les infrastructures, les services sont remis au secteur privé (en l’occurrence au Cies nord- américaines et espagnoles). Le commerce extérieur est entièrement libéralisé, le contrôle des changes supprimé. Licenciements de dizaines de milliers de fonctionnaires, retraites diminuées.

En mars 1991, le ministre des Finances Cavallo établit la libre convertibilité de l’austral et du $. L’orthodoxie libérale est récompensé par le retour des crédits des institutions financières internationales. Le taux d’inflation chute de 4521% en 89 à 3,0% en 94. Buenos Aires devient une place financière importante. On parle alors de la remarquable réussite de l’Argentine libérale, citée comme exemple par les experts des institutions internationales.




Flux et reflux de la démocratisation (depuis les années 2000)


La contestation de l’ordre social conservateur et des politiques néo-libérales, longtemps anesthésiée par la crise des modèles socialistes (échec des sandinistes au Nicaragua, cf aussi l'échec de Chavez dans sa tentative de coup d'état militaire en 1992) et socio-démocrates n’avait semblé devoir être représentée que par des mouvements intrinsèquement oppositionnel et marginalisé comme la rébellion des indiens du Chiapas menée par Marcos depuis 94.

Il faut attendre la fin de la décennie pour repérer les premier frémissements de cette contestation au niveau politique national. Les années 1990's sont un moment destituant. Mouvements populaires (multi-classes) en lutte avec un caractère commun : la lutte contre le néo-libéralisme. = De nouveaux acteurs par rapport aux mouvements de lutte des décennies précédentes car ces acteurs-là ont été écrasés par la répression d'Etat et par les transformations économiques (travailleurs précaires et précarisés, une partie du mouvement syndical, mais affaibli, les mouvements indigènes qui sont les premiers impactés par les multinationales qui ravagent leurs espaces de vie). + Nouvelles formes de mobilisation : davantage en dehors des partis et des actions de terrains spontanées : barrer des routes, agir dans sa vie quotidienne ex des cantines populaires autogérées...+ grandes manifestations populaires (cf Argentine 2001 avec le mot d'ordre "Que se vayan todos") + mouvement des sans-terres car la question agraire n'est toujours pas réglé.


L’accession au pouvoir d’Hugo Chavez au Venezuela en 98 est le premier signe du retournement de tendance. Chavez engage son pays dans un important programme de réformes sociales, relance alphabétisation et élabore une stratégie de croissance inspirée des programmes développementistes des années 50 à 60. La rébellion des paysans indigènes d’Equateur en janvier 2000 et l’élection en novembre 2002 du candidat des pauvres Lucio Gutierrez ; au Pérou, la démission forcée de Fujimori au Pérou en novembre 2000 en sont autant d’indices... L'élection du représentant du parti des travailleurs Luis Inacio Lula da Silva à la présidence du Brésil en octobre 2002 est le détonateur : pour la première fois, l’immense Brésil, 170 millions d’habitants, 10eme PIB du monde est gouverné dans des conditions démocratiques par un représentant de la gauche radicale fort critique à l’égard de la mondialisation libérale.
+2005 : élection en Bolivie d'Evo Morales qui traduit la cristallisation politique de tous ces mouvements sociaux et indigénistes.

=> on voit donc plusieurs scenarii d'accès au pouvoir de ce "moment progressiste".
  • La coagulation des mouvements sociaux qui se cristallise en mouvement politique qui gagne les élections et gouverne au nom du peuple (Bolivie/Equateur, Vénézuela))
  • La lente conquête du pouvoir par un mouvement institutionnalisé (le PT brésilien qui gagne les élections après 4 campagnes présidentielles) et qui va petit à petit se recentrer politiquement 
  • La récupération et la canalisation de l'agitation sociale, c'est le cas en Argentine, par un péronisme de gauche.


=> Ces trente dernières années ont été marquées par une intensité de mobilisations sociales et politiques assez extraordinaires. En réaction aux gouvernements dictatoriaux et au modèle néo-libéral imposé par la force. Crise d'hégémonie du néo-libéralisme ?

Principales réformes mises en place dans ces Etats (Venezuela, Brésil,  Equateur, Bolivie, Nicaragua) tant sur le niveau politique (= retour de l'Etat social, compensateur, redistributif) et économique (Etat post néolibéral, mais sans rupture avec le capitalisme) et international (accent mis sur les intégrations régionales, discours bolivarien de l'unité des pays d'Amérique latine, contre les EUA) 
=> amélioration très concrète des conditions de vie des populations les plus pauvres, développement des infrastructures
Remarque : ceci est rendu possible par un moment économique particulier = prix internationaux élevés des matières premières qui permet la redistribution accrue SANS ATTAQUER les inégalités structurelles de la répartition des richesses.
=> nouveau moment géopolitique : les EU semblent se détourner de l'Amérique latine et davantage se tourner vers l'Asie et vers le Moyen-Orient tandis que l'Amérique du Sud s'affirme sur la scène internationale
=> une démocratie plus participative (développement des conseils communaux et des espaces de dialogue et/ou de participation directe entre les mvts sociaux mobilisés et l'Etat) = une manière de repenser la démocratie. = Reconfiguration des rapports entre l'Etat et la société
=> dans les pays où forte pop indigène, transformations institutionnelles en Etat pluri-nationaux qui ont permis un déplacement politique très clair des minorités blanches vers une représentation plus juste des différentes communautés
Remarque : jamais les progressistes n'ont pu gagner tout le pouvoir. Le plus souvent l'appareil judiciaire, les grands industriels et les milieux économiques, ainsi que les patrons des grands médias sont très hostiles à ces gouvernements progressistes.


Cependant, le caractère "rupturiste" et  transformateur de ces mouvements initiaux n'a pas duré. Il s'est transformé par l'exercice du pouvoir = Institutionnalisé, verticalisé, bureaucratisé + l'impulsion par en bas est canalisée, "subalternisée" et donc au final désarmée par ces gouvernements qui ne sont absolument pas révolutionnaires. Il y a aspiration des leaders des mouvements sociaux qui deviennent des cadres de l'appareil d'état institutionnel + l'hyperprésidentialisme qui est historique en Amérique latine (le "césarisme"), empêchent l'autonomie des mouvements sociaux. De plus, les critiques de gauche, décoloniales/anti-patriarcales et féministes/contre l'extractivisme/ écologiques, sont désamorcées, voire réprimées quand elles ne peuvent être cooptés. Par exemple, dans la même période, il y a aussi des formes de répression syndicale. Il n'y a donc pas eu d'alternative de gauche au progressisme.

Rupture dès le début des années 2010 : 
  • Pour son 2e mandat (2014 jusqu'à sa destitution = "coup d'état institutionnel" en août 2016), Dilma Roussef adopte une politique économique d'inspiration libérale en gouvernement avec des chicago boys brésiliens, le tout dans un contexte de crise économique.
+ la difficulté à sortir du modèle éco extractiviste. Ce schéma de dépendance vient de la longue durée du colonialisme. Sortir de la dépendance aux matières premières est compliqué sur le court terme et est même impossible pour un seul pays. La volonté d'enrichir la pop a tout de même provoqué un néo-extractivisme alors que c'est contradictoire avec le schéma de la gauche qui veut combattre les dépendances et avec les revendications indigénistes.
  • Garcia Linéra, le vice-président bolivien (qui est aussi sociologue) a produit des textes fondamentaux pour comprendre la période et sa trajectoire est emblématique. Au départ, il est le chantre des communes indigènes comme force de transformation, mais ensuite il ne jure plus que par l'Etat. Or l'Etat n'a plus, du fait de la crise économique, les moyens de sa politique sociale. De plus, il est confronté à la réaction et à la montée en puissance politique et culturelle des forces oligarchiques, évangélistes, militaristes (cf les trois "B" au Brésil = Boeuf, Bible, Balle). La possibilité d'une politique de conciliation de classe n'est plus possible.
                            

Bilan : ces gouvernements n'ont pas construit un bloc historique mobilisé, politisé, capable d'affronter la remontée en puissance des droites qui sont très installées dans ces sociétés. L'inclusion des pauvres par la consommation et la redistribution sociale a laissé ces gouvernements seuls quand la conjoncture économique et politique s'est retournée.

=> Comment réformer des sociétés face à des oligarchies qui ne sont nulle part démocratiques et sont prêtes à la violence ?


Enfin, le cas du Venezuela est un drame pour les gauches américaines. Corruption du pouvoir (c'est le drame de la rente pétrolière ici comme ailleurs car l'état n'a pas modernisé ses structures politiques et économiques), dérive autoritaire avec l'augmentation de la répression contre les syndicats, effondrement économique qui se manifeste par l'effondrement du salaire moyen (salaire minimum = 1,54$/mois), l'effondrement de la monnaie, la fuite des capitaux, et donc 5 millions d'émigrants. La gestion de Maduro est catastrophique pour le pays, même si le rôle des EU (le poids des sanctions illégitimes US contre le Venezuela) n'est absolument à négliger. Le régime tient car il tient l'armée et redistribue à sa clientèle, la boli-bourgeoisie, qui elle, vit très bien.


R) point non abordé ici : les relations aux Etats-Unis...histoire de vous laisser l'envie d'aller écouter l'émission :) 

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