Interview de Henri Schneider, sidérurgiste du
Creusot
Est-il indispensable
que le directeur d’une usine absorbe à lui seul tous les bénéfices ?
Pensez-vous qu’il ne
faille pas d’argent pour faire marcher une « boite » comme
celle-ci ? […] Le capital qui alimente tous les jours les usines, les
outillages perfectionnés, le capital sans lequel rien n’est possible, qui
nourrit l’ouvrier lui-même ! Ne représente t-il pas une force qui doit
avoir sa part de bénéfices ? […] Il y a un ouvrier, parmi les mille que
j’ai embauchés, qui gagnait 100 sous par jour : il s’est dit :
« Tiens Bibi n’a besoin que de 4 francs pour vivre. Bibi va mettre de côté
20 sous tous les jours et au bout d’une année, il aura 365 francs » ;
il recommence l’année suivante, dix ans, vingt ans de suite, et voilà un
capitaliste ! Presque un petit patron ! Son fils pourra agrandir le
capital paternel et c’est peut-être la grande fortune qui commence. La
trouverez-vous mal gagnée ? […]
Mais si l’ouvrier a 5
enfants, comment mettra t-il de l’argent de côté ?
Ah, ça, c’est une loi
fatale …On tâche ici de corriger le plus qu’on peut cette inégalité, mais
comment la supprimer ? Oh ! A cet égard, le Pape a dit tout ce qu’il
y avait à dire ; je trouve que sa dernière encyclique (nom des recommandations
émises par le Pape) est une merveille de sagesse et de bon sens. Il y
explique que le patron a des devoirs étroits à remplir vis-à-vis de ses
salariés, et c’est vrai.
Croyez-vous que les
crises de surproduction sont fatales, et que pour empêcher le chômage qui en
résulte, une entente soit possible entre les patrons ?
Pas du tout ! C’est
un mal nécessaire, on n’y peut absolument rien ! La production dépend de
la mode, ou d’un courant dont on ne peut prévoir ni la durée ni le
développement […] Aujourd’hui tout est au « militaire », on ne fait
que des canons en acier et des plaques de blindages ; demain, ce mouvement
peut s’arrêter pour une cause ou une autre, qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas
prévoir. Donc, pléthore sur le marché, arrêt dans le travail, chômage, chômage
forcé, fatal !
Croyez-vous que la
concentration des capitaux et des moyens de production a atteint son maximum ou
doit encore se développer ?
Il n’y a pas de
maximum ! s’écrie rudement M. Schneider et ses mains font un grand geste
autour de lui. Ça marche toujours, ça n’a pas de bornes, ça !
Et l’action de
l’Etat ?
Très mauvaise ! Très
mauvaise ! Je n’admets pas un préfet dans les grèves ; c’est comme la
réglementation du travail des femmes et des enfants : on met des entraves
inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu’on veut défendre.
On décourage les patrons de les employer.
La journée de Huit
heures ?
Oh ! Je veux
bien ! dit M. Schneider. […] si tout le monde est d’accord. Seulement les
salaires diminueront ou le prix des produits augmentera, c’est tout
comme ! Au fond, la journée de huit heures est une lubie. Dans 5 ou 6 ans,
on n’y pensera plus. […] Pour moi, la vérité c’est qu’un ouvrier bien portant
peut très bien faire ses 10 heures par jour et on doit le laisser libre de
travailler davantage si cela lui fait plaisir.
J. Huret, Enquête sur la question sociale en Europe,
Paris, 1897.
Consignes pour l'analyse du document
- BIOGRAPHIE DE SCHNEIDER
Présenter
Henri Schneider (origines familiales, mariages et relations, carrière) ? Pourquoi
peut-on dire de lui que c’est un capitaliste ? Que connaissez-vous de la
carrière de Schneider qui montre qu’il tente de contrôler le pouvoir politique.
A qui peut bien lui servir son influence sur le pouvoir politique (réfléchissez
à partir de l’exemple qu’il développe sur la production sidérurgique pour
l’armée)
- SCHNEIDER, PATRON PATERNALISTE
Pourquoi peut-on dire de lui que
c’est un patron paternaliste ? (à quel moment du texte y fait-il
allusion ? citez) Que pense H. Schneider des ouvriers ?
- SCHNEIDER, PATRON LIBERAL
Dans quelles
réponses voit-on que Schneider est un libéral ? (Justifiez )
Dans la
réponse à la question 1, comment Schneider justifie t-il qu’une fois déduit les
salaires des ouvriers, tout le bénéfice de l’entreprise rémunère le capital
qu’il a lui-même investi dans l’entreprise ? Envisage t-il, dans la
dernière question, de baisser la part des profits du capital d’une manière ou
d’une autre ?
- LA CRITIQUE MARXISTE :
L’OPINION DU JOURNALISTE
Quelles critiques, marxistes,
peut-on faire de sa conception du partage de la richesse.
Quelle critique, marxiste,
peut-on faire de sa conception des rapports patron/ouvrier ?
Un exemple du travail de correction avec les élèves. La forme de la carte mentale est adaptée à l'exercice d'argumentation car, ensemble, on classe et on hiérarchise les idées qui émergent du dialogue prof/élève