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lundi 11 décembre 2023

La chapelle degli Scrovegni : l'argent et la vertu

 Copié-collé du chapitre du livre de Giacomo Todeschini, Les Marchands et le Temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen Âge à l’Époque moderne, Albin Michel, Paris, 2017.

Chap 4, partie 4. La restitution des Scrovegni

La chapelle des Scrovegni, à Padoue, est un cas particulièrement significatif de « restitution », y compris du point de vue visuel. La construction de cet édifice, dont les fresques réalisées par Giotto, peintre « franciscain », sont célèbres, remonte au début du XIVe siècle. Elle résulte d’une donation des banquiers Scrovegni, c’est-à-dire d’une restitution de la part de leur richesse qui est supposée être le fruit de l’usure. Dans la géographie symbolique et charismatique de la ville de saint Antoine, véritable citadelle « mendiante » du nord de la Péninsule, cet édifice sacré, rendu encore plus précieux par le cycle iconographique de Giotto, apparaît donc comme la représentation matérielle, visible, de richesses accumulées de manière illégitime, mais rachetées, c’est-à-dire réinvesties dans un objet complexe, socialement profitable. Son usage multiple renvoie à une signification économique et civique complexe et cohérente.

Enrico Scrovegni, banquier mort à Venise en 1336. Monument funéraire (chapelle Scrovegni)
Dans sa bio wikipedia, il est dit que "il poursuit la politique monétaire initiée par son père — placé par Dante Alighieri dans le septième cercle de l'Enfer de la Divine Comédie à cause de ses gains notoirement mal acquis — et l'utilise afin d'assurer son ascension politique. Étant lui-même étant un prêteur à grande échelle, la tradition veut qu'il ait fait construire la chapelle des Scrovegni et embauché Giotto pour expier ses propres péchés d'usure ainsi que ceux de son père. Ce qui peut infirmer cette idée aujourd'hui controversée est que la somptueuse chapelle était destinée à son usage personnel et reliée au grand palais attenant qu'il s'était fait construire. Il est banni de Padoue en 1328.


Notons tout d’abord que la « Chapelle des Scrovegni », en tant qu’investissement ou richesse thésaurisée de la famille, se dévoile à la Padoue du xive siècle comme un emblème ostentatoire de la puissance de l’idéologie franciscaine et augustine de la dépossession. Elle témoigne de la réorganisation couronnée de succès d’une part illégale de patrimoine, permettant de légitimer celui-ci, selon des modes d’usage conçus comme socialement productifs. Le bien mal acquis de l’usure se convertit ainsi en murs consacrés et en images capables d’enseigner des concepts théologiques et économico-sociaux d’une haute complexité. Déployés par la tradition canonique et théologico-morale depuis le xiie siècle au moins, ces concepts se sont progressivement déposés dans les textes postérieurs au Decretum de Gratien, dans les codifications canoniques du xiiie siècle, avant d’être recueillis et mis en lumière par la réflexion économique des Mendiants.


Pour illustrer ce cas remarquable de « restitution », arrêtons-nous sur trois épisodes du récit narré par cet édifice : la signification qu’il prit par lui-même, en tant qu’objet sacré et précieux, produit par la dialectique réelle et métaphorique de la valeur concrétisée au cœur de la Padoue franciscaine ; le discours visible sur les vertus et les vices sociaux qu’il accueillit et transmit aux fideles ; la séquence visuelle, offerte sur ses murs, qui est aussi une réflexion complexe autour de la question des rapports entre le sacré et l’économique culminant dans la célèbre représentation des marchands chassés du Temple.


Construite entre 1302 et 1305 grâce au financement d’Enrico Scrovegni, la chapelle fut peinte à fresque par Giotto. Celui-ci était déjà célèbre à Padoue pour avoir peint dans la basilique Saint-Antoine.

Analysons d’abord la géographie des images pour y saisir le parcours et les particularités d’une réflexion théologique et canonique, telle que celle qui a été évoquée dans les pages précédentes, en essayant de ne pas forcer le contenu du texte iconologique. Il est clair, en raison en particulier de sa situation, que la représentation des « marchands chassés du Temple », où sont mis en scène les personnages et objets nécessaires pour illustrer la véhémence de l’expulsion et la fureur du Christ, en référence directe à l’évangile, appelle aussi immédiatement une autre référence, connue de tous les commentateurs des XIIe et XIIIe siècles : un texte apocryphe de Jean Chrysostome dont les collaborateurs de Gratien avaient tiré l’addition (palea) Ejiciens du Decretum, où le texte évangélique se muait en texte d’éthique économique. Il y était établi que l’usurier était « le plus maudit » des marchands et que l’usure, critère de la non-appartenance à la cité des fidèles, entraînait précisément l’expulsion du Temple, autrement dit l’exclusion de la communauté des véritables chrétiens. Dans le texte du Pseudo-Chrysostome et dans le contexte du Décret, comme du reste dans la fresque de Giotto, malgré une variante significative – comme nous allons le voir –, les « expulsés » du Temple appartiennent essentiellement à trois catégories : les marchands qui achètent et revendent les biens sans apporter d’améliorations ni les transformer ; les usuriers, qui tirent profit de la cession temporaire d’une somme d’argent qui autrement ne serait ni utilisée ni productive (ex pecunia reposita nullum usum capis) ; et, enfin, ceux auxquels se réfère le verset « et mensas nummulariorum evertit » (littéralement : « et il renversa les tables des changeurs » [Mt 21,10-17 ; Mc 11,15-17 ; Lc 19,45-46 ; Jn 2,13-17]). D’après le Pseudo-Chrysostome et d’autres passages du Decretum, ces derniers seraient le symbole des hommes non spirituels, des hommes charnels présents au sein de l’Église, qu’il faut donc expulser ; ou bien, ils représenteraient les Écritures antérieures aux évangiles, donc sans valeur et bons à être jetés hors du Temple.



D’autres passages du code de Gratien interprètent l’épisode évangélique dans un sens anti-simoniaque : dans cette perspective, les marchands « expulsés » seraient ceux qui vendent et achètent les choses sacrées et qui corrompent, en la dénaturant, l’atmosphère du Temple. Quoi qu’il en soit, la liste des « chassés du Temple » prend dans la palea Ejiciens une forme tripartite, qui ne correspond pas complètement au contenu de l’image de Giotto. Les étrangers au Temple sont des marchands qui exercent leur activité quand et comme il ne le faudrait pas. Mais ils sont aussi des hommes dont la condition pécheresse a déformé, falsifié l’« empreinte » (caragma : l’image frappée sur la monnaie). Leur condition est symbolisée ostentatoirement par leur capacité à échanger ce qui ne peut s’échanger, pour en tirer profit : la marchandise qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation, la monnaie qui ne circule pas, les choses sacrées. Jouant linguistiquement sur la métaphore « homo moneta Dei » qu’on trouve déjà chez Augustin, l’auteur du texte de la palea, puis à sa suite Gratien, ses commentateurs et les scolastiques du xiiie siècle, établissent une égalité entre l’immoralité marchande-usuraire et l’identité « infidèle » des hommes qui sont porteurs de cette immoralité. Si l’illégalité économique se concrétise par l’illusion de la vente de ce qui n’existe pas (la valeur d’argent ou de marchandises n’ayant aucune valeur ajoutée à leur valeur apparente), l’humanité, ou la chrétienté des « marchands du Temple », sont des falsifications, des monnaies frappées par le diable à la ressemblance de celle authentique, frappée à l’image de Dieu (in templo Dei non debent esse nummi, nisi spirituales, id est, qui Dei imaginem, non diaboli, portant).


Toutefois, dans l’image de Giotto ainsi que dans le texte de Gratien, quelque chose manque. Les « mercatores » expulsés du Temple sont bien de vrais marchands, et cela même s’ils sont dénoncés comme malhonnêtes et incapables, voire pire, comme marchands de « colombes », c’est-à-dire du Saint-Esprit (des biens consacrés) ; les « usurarii », chassés eux aussi, sont bien des vrais usuriers, autrement dit des marchands dépravés, qui font commerce d’une valeur inexistante ; mais les « nummularii », les changeurs, évoquent des attitudes morales qui ne sont pas symboliquement déformées par rapport au coin de la fidelitas authentique. Cependant, comme la monnaie échangée dans le Temple ne peut être que de nature spirituelle, leurs tables (mensae) sont renversées par le Christ. Le nummularius, le changeur, disparaît ainsi du discours en tant que figure professionnelle, concrètement analogue au mercator ou à l’usurarius. Aucune trace de lui dans la fresque de Giotto. On reconnaît, à gauche, la communauté apostolique, le groupe de fideles, porteurs d’une auréole dorée qui entoure leur tête (le caragma Dei, dans toute sa magnificence, comme un sceau d’or), au centre, le Christ qui, d’un geste menaçant, exprime sa volonté d’expulser les infidèles du Temple et, à droite, les « marchands », dépourvus des signes qui pourraient les désigner comme élus. Dans la bande inférieure de l’image, le bétail, les colombes, une table renversée évoquent l’activité marchande des rejetés. Mais rien ne les associe aux changeurs. La scène ne fait aucune allusion aux monnaies et ne contient aucune représentation précise de monnaies frappées.


Dans sa totalité, la chapelle constitue une restitution à la ville de l’argent usuraire. En tant qu’édifice sacré, écrin contenant des objets précieux et hautement représentatifs, chargé d’un discours en images, elle concrétise la volonté des banquiers Scrovegni de « restituer » à la civitas, selon les normes théologiques et éthiques, une richesse inutile, en la muant en richesse socialement utile, et donc pourvue de sens. Mais cette « restitution » contient en elle aussi des éléments argumentatifs qui en font comme un segment dans une séquence économico-politique autant théorique qu’impliquée dans la vie quotidienne, visant à distinguer qualitativement les divers aspects de l’économie citadine. Rien d’étrange, naturellement, dans le silence de Giotto, de Gratien et des scolastiques du xiiie siècle sur le métier de changeur. Les historiens ont d’ailleurs montré depuis longtemps que l’éthique économique médiévale, entendue à la fois comme pensée juridique et comme réflexion théologique et économique, avait manifesté sa faveur à l’égard de cette profession, considérée comme procédant à l’échange entre des valeurs réelles (les différents prix des monnaies). Elle était donc à l’origine d’un profit légitime et utile à la communauté, mais aussi des activités bancaires de marchands et compagnies de commerce.


Cependant, le chemin qui mène les Scrovegni à la « restitution » permet de comprendre quelque chose de plus à la reconnaissance de l’utilité d’un métier comme celui de changeur. C’est précisément le fait que les images et le lexique se complètent mutuellement dans une œuvre concrètement architecturale et picturale, visant à instruire et à moraliser, qui nous éclaire sur la légitimation des changeurs. Celle-ci n’est pas due à la nécessité de conformer la théorie à la pratique, de trouver un compromis entre doctrine et vie quotidienne, mais elle résulte plutôt du réseau complexe de comportements et de pratiques sociales auquel appartiennent les écrits de Gratien et des scolastiques, la politique de la restitution pratiquée par les Scrovegni, les pressions exercées par les frères mendiants sur les héritiers des usuriers pour qu’ils transforment la richesse mal acquise en œuvres utiles pour la société des fidèles[70], et les images de Giotto. Et ce sont ces images qui, en combinant de façon visible les enseignements des prêcheurs, théologiens et confesseurs, unifient et muent en un objet – le cycle des fresques des Scrovegni – une notion d’économie vertueuse.


Un fil rouge de notions économiques et sociales précises lie les fresques, et il est méta-linguistiquement représenté par la chapelle elle-même en tant qu’objet et contenant. En témoigne en particulier la représentation des vices et des vertus, peinte au-dessous du registre des scènes de la vie du Christ. Le cycle des vices conduit de la stultitia à la desperatio, de la vaine folie de la non-fidelitas au mouvement ondoyant de l’inconstantia, au geste autodestructeur de la desperatio induit par des comportements qui, comme l’invidia, illustrent clairement l’anti-socialité du désir de possession finalisé à lui-même.


S’oppose au cycle des vices celui des vertus, parmi lesquelles se distingue la figure particulièrement significative de la Karitas. Cette personnification majestueuse de l’art de la redistribution, fondement d’un gouvernement ordonné de la cité, évoque d’autres représentations du même sujet contemporaines ou plus tardives. Mais elle se distingue d’elles par la minutieuse précision de l’exécution du personnage et de l’inscription située au-dessous de l’image, échos d’une typologie conceptuelle empruntée aux traités politiques écrits dans les mêmes années par Rémi de Florence et Ptolémée de Lucques, mais aussi à la production doctrinale des écoles des Mendiants. Avec sa main gauche, Karitas offre son cœur au Christ, tandis qu’elle tient de sa main droite une représentation de la richesse offerte à la communauté des fidèles : des fruits de la terre, comme une corne d’abondance, transposant en image la réflexion sur l’éthicité de la fructificatio qui, de Pierre Damien aux débuts du xive siècle, avait progressivement opposé la productivité matérielle et spirituelle chrétienne à la stérilité improductive des infidèles[74], la capacité du serviteur fidèle d’investir les talents qu’on lui avait confiés à l’inique thésaurisation typique du serviteur paresseux.


Cette représentation de la fructification, autrement dit de la richesse vertueuse, dérivant de la Karitas, distribuée à la communauté par cette personnification de l’alliance solidaire entre fideles, ressort encore plus par la représentation de ce à quoi elle s’oppose : les bourses que la Karitas foule à ses pieds. C’est un indice clair de la condamnation des richesses thésaurisées et improductives, de la pecunia reposita, présentée comme la négation de la fertilité dans la tradition textuelle qui, d’Ambroise au Pseudo-Chrysostome, avait été accueillie dans le texte du Decretum. Significativement, Karitas apparaît de surcroît arrondie par une grossesse qu’on ne doit pas séparer symboliquement de la richesse sacrée de la ville, de la civitas christiana qu’elle représente. Dans d’autres représentations, comme la sculpture du Siennois Tino da Camaino (1321) ou le tableau de Pollaiolo (xve siècle), Caritas apparaît comme une allégorie de l’oblation et de la distribution dont la capacité nourricière se distingue peu des représentations contemporaines de la Vierge allaitant. Giotto traite ce sujet avec plus de subtilité, ou plus exactement selon les termes d’une dialectique savante et doctrinale spécialisée. Sa Karitas est à la fois productive et distributive : par sa force active, elle produit, reproduit et offre, mais elle nie aussi la richesse enclose et stérile. Comme l’ont remarqué Carla Casagrande et Silvana Vecchio, la richesse renfermée dans la bourse, placée inutilement sous les pieds de Karitas, n’est autre chose que « la bourse que tient Invidia ». Ainsi, dans la figure de l’invidia, le vain désir de ce que l’on ne possède pas, et qui pour cela prend de la valeur, coïncide-t-il avec la dynamique de l’avaritia. Par sa capacité à contenir, reproduire et distribuer, la caritas s’oppose donc aussi bien aux logiques du désir indiscipliné et antisocial qu’à celles de l’avaritia, la convoitise et l’accumulation stérile de richesses.


Notons aussi que l’association, fréquente dans le droit canon, entre caritas et sollicitudo, entre vertu administrative et diligence attentive – qui désignait à l’origine l’engagement du clergé à garder intacts les biens ecclésiaux, quitte à les enlever, si nécessaire, à celui qui s’en était emparé de manière arbitraire – se lie ici à une notion civique d’ordre économique. C’est précisément celle-ci que Giotto peint et que les frères mendiants examinent dans leurs traités sur les contrats. L’inscription placée sous l’image met enfin l’accent sur l’impartialité de la caritas (cuncta cunctis liberalis offert manu, spetiali zelo caret), désignant la vertu oblative par le terme qui signifiait classiquement la générosité en sens éthique (liberalitas). Ainsi sa compétence législative apparaît explicitement (pro decreto servat normam)[77].


Cet assemblage d’image et de texte n’est pas seulement avertissement ou enseignement : il dit le parcours et la formation de la notion de cité. Dans un cadre narratif, le cycle des vices et des vertus au registre inférieur et celui des scènes de la vie de Jésus et de la Vierge au niveau supérieur composent un objet, la chapelle elle-même, dont la valeur civique s’organise matériellement par la stratification de couleurs, figures, concepts, matériaux de valeur artistique et architecturale grande ou moins grande. Aussi bien l’expulsion des marchands du Temple, placée auprès de l’autel, que la manifestation de la Karitas, sur le côté opposé de la nef, à proximité de l’entrée de la chapelle, instruisent l’historien sur l’importance et la signification de l’acte de la restitutio dans la Padoue du début du xive siècle. La « machine » architecturale et picturale salutaire, voulue et payée par les Scrovegni, offre à la civitas des chrétiens un discours et en même temps une accumulation organisée de richesses. Elle illustre à la fois une technique (mendiante et scolastique) de persuasion économique et politique, une logique doctrinale et éthico-économique, et une manière concrète de « restituer » à la communauté chrétienne, entendue comme ville productive, cette part de richesses qui lui avait été soustraite par suite d’opérations économiques étrangères à la sacralité de l’activité collective. Ces actions ne coïncidaient donc pas avec la mystique d’une « productivité » (fructificatio), conçue comme caractéristique des probati et fideles, autrement dit des chrétiens porteur du caragma, du signe de la fides authentique.


En raison du dialogue qui s’établit entre ordres mendiants (franciscains et augustins) et marchands-banquiers (les Scrovegni), la dynamique de la « restitution » donne lieu à la réalisation et à l’institution de structures qui, comme la chapelle padouane, thésaurisent et capitalisent la valeur restituée. Elle transforme la valeur rendue en objets, thésaurisés au profit de la ville et non de l’individu ; elle la capitalise en la reproduisant sous la forme d’une conscience accrue – et diffusée au sein de la civitas – du sens éthique qu’acquiert la richesse des chrétiens, lorsqu’elle est investie selon les termes prescrit par la raison ecclésiale : des termes considérés comme productifs pour la collectivité des alliés au nom du Christ, des fidèles. Dans cette perspective, « restituer » signifie avant tout lire dans la richesse, dans toute sorte de richesse, même la plus égocentrique et déviante, la possibilité de la restaurer et de la réinvestir, de sorte qu’elle ouvre aux chrétiens unis par le lien de la caritas et de l’amor patriae une voie vers le salut. Une fois réintroduite dans le cercle du patrimoine citadin et contrôlée par les garants du sacré, même l’accumulation de monnaie la plus avaricieusement occultée peut se transformer en un flot de lait divin et inépuisable[78].


Dans ce sens, restituer, indemniser, compenser apparaissent, pour l’Occident chrétien à la fin du Moyen Âge, comme prémisses nécessaires de toute économie de l’échange. À tout moment, la restitutio offre au prêt, à l’achat et vente, à la cession à temps déterminé, à toutes les formes de dialectique du donner et de l’avoir une occasion de vérification et de réparation. La restitution, comme critère reconnu d’une économie éthique devient la marque d’un marché qui se pense comme une ecclesia, comme l’assemblée de ceux qui seront en toute probabilité sauvés. Cette assemblée peut s’entendre comme la congrégation des fidèles (congregatio fidelium) de Thomas ou d’Ockham, ou comme la convocation des prédestinés (convocatio praedestinatorum) de John Wyclif. Le système d’obligations entre personnes qui stipulent les contrats, ainsi que la communauté des contractants (communitas contrahentium) renvoie constamment à la possibilité de rétractation offerte par la restitutio. Au cœur énergétique de la fidelitas, comme un mortier liant ecclesia et marché, se tient l’amicitia politica, à la fois alliance et familiarité, que Thomas d’Aquin considérait, en se fondant sur Aristote, Cicéron et le premier droit pénitentiel du xiiie siècle, comme typique de toute communauté probe et efficace.


Plus d’un siècle après la « restitution » des Scrovegni, les Observants, héritiers de la tradition intellectuelle franciscaine qui, avec Olivi, avait commencé à codifier la réflexion sur « restituer » comme réflexion sur la circulation ordonnée de la richesse au sein de la communauté des chrétiens, transformeront définitivement les lexiques de la restitutio en un chapitre spécialisé de tout discours économique interne à la civitas fidelium. Très vite impliqués dans la construction d’un système discursif de l’administration citadine, des franciscains de l’observance, comme Angelo da Chivasso, à Gênes, ou Alessandro Ariosti et Francesco Piazza, à Bologne, pourront soutenir que « restituer » s’inscrit dans la logique, typique d’une société marchande, des indemnisations et des garanties commerciales. Ils découvriront aussi dans la restitutio un principe à même de légitimer la collecte de l’impôt, même si, cela vaut d’être rappelé, les collecteurs eux-mêmes chargés par les pouvoirs locaux resteront définis comme des sujets contraints à la restitution en cas d’abus de leur office.


présentation complète du programme pictural ici

dimanche 4 avril 2021

La montagne d'or

 Dans le cadre du programme de Géographie pour les 2nde (chapitre sur les ressources et le milieux), le manuel Hachette propose une activité d'analyse de document que j'ai faite faire à mes élèves. La voici :



L'exercice n'est pas simple puisqu'il présente deux difficultés :

* en introduction, dans la phase de présentation du document, il faut, à partir de la nature du texte , i.e. une tribune de presse, que les élèves comprennent que l'auteur n'est pas neutre, mais que son point de vue est opposé au projet. La difficulté vient de la conclusion pour laquelle les élèves sont invités à revenir sur cette notion de point de vue et doivent se demander quelle est l'objectivité de l'auteur de la tribune. Or, cette notion d'objectivité est en général floue pour les élèves, car ils la confondent avec la neutralité. Ce point étant réglé dès l'introduction (non, l'auteur n'est pas neutre), que reste t-il à dire en conclusion, dans la phase de bilan ? On a donc redéfini avec les élèves l'objectivité, laquelle consiste à maintenir son discours dans le cadre des faits, en adéquation avec la réalité, et à prendre en compte tous les facteurs et tous les arguments (quitte à en privilégier certains parce qu'on les juge plus pertinents). Et ils ont eu comme consigne de comparer les de l'auteur avec des faits, des chiffres, des statistiques qu'ils ont dû aller rechercher sur Internet, en lien avec les différents arguments du texte... C'est donc une opération complexe, qu'ils  ont eu beaucoup de mal à faire de façon efficace. 

Pour les aider, un choix de documents :

La forêt guyanaise, un milieu protégé, mais mis en danger par l'orpaillage illicite


La pauvreté en Guyane (INSEE, 2017)




Remarque : J'ai choisi de leur faire faire cela en conclusion et non pas dans le cadre du développement (phase d'explication des relevés, 2e temps de l'analyse), comme c'était plus logique, pour avoir un barème qui ne les pénalise pas trop.

Remarque : Cet exercice ne peut pas être fait en début d'année. Pour ma part, j'intervertis le thème 1 et le thème 2 du programme, selon la chronologie des chapitres suivantes. Chap 1 = la démographie mondiale Chap 2 = Ressources et environnement, des équilibres fragiles Chap 3 = Risques Chap 4 = Les politiques de développement ...


* pour le développement, constitué de deux paragraphes, une autre difficulté est apparue. Autant le relevé des arguments de l'auteur de la tribune n'a pas posé trop de problèmes, autant les contre-arguments des promoteurs du projet, que l'on peut deviner en creux dans le texte, n'auraient pas été reconnus par mes élèves si je n'avais pas insisté spécifiquement sur ce point. C'est une opération mentale (l'analyse en creux) pour laquelle ils n'ont aucun réflexe  à ce stade (2nde)


Bref, l'exercice du manuel est un bon exercice, mais je le crois infaisable sans un accompagnement, une préparation au préalable.

Entre temps, j'ai découvert ce roman de Colin Niel


C'est un bon polar qui se déroule en Guyane, dans le milieu des orpailleurs et des mines d'or. Or, quelques pages reprennent exactement le même thème de la controverse autour du projet de la Montagne d'or. Il était trop tard pour que je l'utilise, mais je n'exclus pas de la faire les années prochaines car j'aime tout particulièrement brouiller les frontières entre l'HG et le Français, en proposant aux élèves de travailler, à l'occasion, sur des documents littéraires. 

Je ne sais pas encore sous quelle forme, dans quel cadre d'activité scolaire je pourrais éventuellement utiliser cet extrait, mais en attendant, je livre ici les pages qui en constitueraient le support.








Et sinon, quelques ressources pour approfondir

Une vidéo de présentation qui donne des images aux élèves pour mieux se représenter la chose et fixe les idées essentielles



Sur le site officiel du projet, la page "calendrier" pour montrer rapidement et facilement que les décisions de ce genre nécessitent la coopération de plusieurs acteurs (industriels, financiers, institutionnels), qu'il y a des passages obligés (études d'impact)...


Puis un article pour donner la fin de l'histoire et replacer la décision du gouvernement dans le contexte plus large de la défense de l'environnement et du "refus" de l'artificialisation des sols

samedi 26 septembre 2020

Mon cours sur la crise de 29 et ses conséquences

 Le manuel est le Belin


TH1 : La crise de 1929 et ses conséquences

Introduction

La crise de 1929 est une crise économique qui touche les Etats-Unis puis leurs partenaires commerciaux. Quelles sont les grandes caractéristiques de l’économie des pays occidentaux à cette époque ?

L’économie occidentale s’est profondément transformée au 19e siècle du fait du passage d’une économie traditionnelle, fondée sur la propriété foncière et l’exploitation des ressources de la terre/ la production « artisanale »/ le mercantilisme, à une économie industrielle. On parle, de façon impropre, d’une « révolution industrielle ».

Rappels pgme de 1ere :

·         1ere révolution indus : origine RU à p. fin 18e s, puis diffusion en Europe du nord. Bases machine à vapeur donc charbon comme source d’énergie. Transformation du travail par le regroupement de la production dans les usines. Naissance d’une nouvelle classe sociale = les ouvriers et ouvrières. Mécanisation d’anciennes productions (textile) et essor de nouveaux secteurs économique = chemin de fer, machines-outils

·         2e révolution industrielle à p. 2e ½ du 19s : multiplication des nouveaux secteurs économiques dans l’industrie lourde (chimie…), poursuite de la mécanisation grâce aux innovations techniques. Le tout permet un élargissement des horizons (dans le temps -photographie…- et l’espace -téléphone, transatlantiques ….) et une amélioration du confort de vie (éclairage électrique, pasteurisation…)

La révolution industrielle a entraîné une croissance économique sans précédent et la mise en place d’une économie que l’on qualifie de capitaliste.

Quelles sont les grandes caractéristiques de l’économie capitaliste ?

Système économique global qui se met en place avec la révolution industrielle => XIXe siècle. Il se caractérise par 3 éléments essentiels

-C’est la possession d’un capital ou l’accès à ce capital (car il peut être emprunté) qui distingue les agents économiques (moteurs du système) des autres. Ce système est qualifié par Marx  d’ « appropriation privée des moyens de production », c’est-à-dire que ceux qui ont accès au capital sont considérés comme les propriétaires des moyens de production (les usines…) et donc s’approprient les profits générés par le travail.

-Les travailleurs subissent un mouvement de prolétarisation (encore un terme marxiste) c’est-à-dire qu’ils sont dépossédés du contrôle de leur travail : ils deviennent de simples agents d’exécution. Ils reçoivent pour leur temps de travail un (maigre) salaire.

- C’est un système qui repose sur la circulation du capital. Cette circulation du capital est assurée désormais pour l’essentiel par des intermédiaires qui sont les banques et les bourses.

- C’est une économie du risque : les acteurs économiques quels qu’ils soient prennent toujours des risques car l’économie est basée sur la compétition sur les marchés. De ce fait, on assiste à une alternance de cycles de croissance (innovation, nouveaux produits, nouveaux marchés) et de crise (ralentissement de la croissance du marché, surproduction)

 

Quelle est la situation économique des EUA au début du XX ?

Ils se sont industrialisés à p. de la 2e rev indus et ont rapidement rattrapé le RU. A la faveur de la 1ere GM, ils sont devenus la 1ere puissance industrielle et financière du monde occidental. Ils connaissent une phase de grande prospérité. Les salaires, même ouvriers, y sont plus forts qu’ailleurs. L’économie se bancarise (recours au crédit …) avec 30 ans d’avance sur l’Europe. Ils sont un modèle de prospérité capitaliste. En 1922, le $ remplace la £ comme monnaie d’échange internationale.

Pour autant, la crise de 1929 surprend le monde par son ampleur. Elle bouleverse les équilibres économiques et politiques de l’époque. Elle nourrit depuis l’imaginaire mondial de la catastrophe.

En quoi la crise de 1929 fut la grande crise du capitalisme ?

 

I/ Une crise sans précédent (la crise aux EUA)

A)  Une crise systémique (= « effet boule de neige », « cercle vicieux »)

Extraits vidéos dans pearltree

Synthèse = organigramme



L’événement déclencheur = le krach boursier du 24 octobre 1929 : panique boursière à Wall Street (5 fois plus de titres mis en vente ce jour-là qu’à l’ordinaire) et effondrement des cours (-10% en une jour. En 1932, la bourse a détruit 2/3 de la valeur de 1929)

Cette crise dure. Pourquoi ? = contagion de la crise boursière au reste de l’économie + « la crise nourrit la crise »

4200 faillites de banques => contraction du crédit et ruine des épargnants => contraction du marché (demande), baisse des prix et manque de financement => multiplication des faillites d’entreprises et donc chômage de masse (en 1932, ¼ de la pop act US est au chômage soit 12 millions de personnes. Pop US = 123 M) et pour les autres, les salaires baissent fortement.

Il s’agit d’une récession : recul de la production (plus de -50% dans l’industrie) et recul du PIB (1932, -25% pr début 1929)

 

B)  Pourquoi cette crise étonne et pourquoi les gouvernements n’ont pas une réaction efficace ?

La cause du krach = spéculation boursière effrénée et généralisée. Y compris les classes moyennes spéculent en achetant les actions à crédit (j’à 90% de sa valeur). En 1929, pour chaque $ emprunté, 40 cts l’étaient pour l’achat d’action. Phénomène de bulle : forte progression de la valeur des titres (+ 40% en 1928), supérieure aux réalités des profits des entr.

Les « années folles » vivent dans l’illusion d’une croissance ininterrompue : les salaires élevés (cf Ford, 5£ par jour), les innovations dans l’organisation de la production (1907 1ere Ford T produite en grande série, 1912 Taylor et les « principes d’organisation scientifique des entreprises », Ford et la Chaine à p. de 1913), la demande stimulée par la publicité naissante et le recours au crédit semblent avoir réglé le problème de l’adéquation de l’offre et de la demande.

R) D’après une étude économique de 1929, il y avait en 1928 parmi les foyers équipés en électricité, environ 1/3 équipés de machines à laver et /ou d’aspirateurs, 5% de réfrigérateurs. Il y avait 7,5 M postes de radio. La conclusion du rapport laissait prévoir un avenir radieux pour la consommation aux EU. : « En ce qui concerne tous ces appareils électriques, nous sommes loin du point de saturation (...) Il semble que nous n’ayons fait qu’effleurer les promesses de l’avenir. ». Les besoins semblaient inépuisables.

Un nouveau mode de vie se développe, fondé sur l’accès au confort et sur la satisfaction de tous les besoins matériels : c’est l’American Way of Life. Ce mode de vie américain devient un modèle pour les pays européens qui sont à la traîne. exemples : Le nbre d’automobile en circulation en 1929 était de 26 M aux EU. (1 auto pour 6 hbts) alors qu’il n’était que de 1,1 en France (1 auto pour 44 hbts). Le revenu par habitants aux EUA est passé de 522$/an en 1921 à 716 en 1929.+37%

 

Les présidents US , Coolidge puis Hoover, laissent faire la spéculation, puis n’interviennent pas pour contrer la crise. C’est le résultat d’une idéologie libérale : le « laisser faire ». L’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie. Il doit se limiter aux fonctions régaliennes : sécurité du territoire (armée et police) ; justice, création monétaire. Pour financer ces fonctions et l’administration, l’Etat peut prélever des impôts, mais ceux -ci doivent être les plus légers possibles. En cas de crise, ne pas intervenir car la crise « purge » le marché et écarte les plus fragiles. L’idée est que la crise crée les conditions d’une croissance future (cf les cycles économiques de Kondratiev). En revanche, politique d’austérité : l’Etat dépense le moins possible pour limiter l’inflation.

 

C)   Une crise sociale sans précédent, porteuse de tensions

La crise touche tout le monde : agriculteurs ruinés, salariés sans travail, rentiers ruinés. Les expulsions mettent dans la rue des millions de gens, à la recherche d’un travail. Les gens se pressent en foule aux soupes populaires. Dans un Etat où n’existe aucune forme de sécurité sociale, la perte du travail est l’assurance de se retrouver à la rue. Les bidonvilles (Hoovervilles) se multiplient au pays de l’American way of life.

Les tensions sociales s’accentuent (voir doc pearltree pour témoignage + vidéo 3 : la grande manifestation devant la Maison Blanche des anciens combattants de la 1ere guerre mondiale qui réclame le paiement de leur pension en 1932)

Les idées communistes et socialistes progressent ce qui remet en cause l’idéologie libérale et même le système capitalisme. Police, armée et justice sont mobilisés contre les manifestants.

Illustration : Les raisins de la colère (voir post sur ce blog) ou Les Temps modernes de Chaplin

 

D)  Les mécanismes d’extension de la crise hors des EUA

PPO p. 26/27

Doc 1 et 2 : L’Amérique latine est particulièrement concernée par la crise du fait de sa forte croissance dans les années 1920, qui repose sur la production et l’exportation de produits de base (café, cacao, etc.) et dépend de l’accès aux marchés de biens et de capitaux des pays riches. Ce sont des économies extraverties, dépendantes des EUA qui étaient leur principal partenaire commercial.

 

Doc 5 : La crise se manifeste dans la décennie 1930 à une contraction considérable des échanges commerciaux, qui affecte l’agriculture tropicale, le secteur des métaux (la production de nitrate au Chili), entraînant un effondrement financier et monétaire et une récession générale dans ces pays d’exportation agricole et minière. La crise se caractérise de surcroît par une montée en flèche du chômage et par une très forte paupérisation

On peut mesurer cette chute brutale du commerce extérieur en prenant en considération l’évolution de la valeur des exportations pour la Bolivie, le Chili et la Colombie. Entre 1929 et 1932, la chute des exportations chiliennes est d’environ 300 millions de pesos et, pour la Bolivie, cette valeur est de 100 millions. Pour la Colombie, la valeur des exportations est pratiquement divisée par deux entre ces dates.

R)     La crise se propage du fait de la contraction du commerce mondial (- 202% entre janv 29 et mars 33). Les EUA importent moins. C’est la même chose en Europe. RU et All, très dépendants des EUA, sont lourdement touchés. La France, qui était plus protectionniste et commerçait essentiellement avec son empire colonial est touchée plus tardivement et moins fortement.

 

L’enlisement dans la crise économique appelle donc des solutions nouvelles.

Doc 3 : Pour lutter contre l’effondrement des prix (surproduction), en Amérique latine, comme aux EUA, les producteurs détruisent leurs récoltes.

D’un point de vue macroéconomique, l’État devient ouvertement interventionniste, revenant au dirigisme et à la planification pour sauver l’économie. Doc 5 : il investit pour substituer aux importations US une production industrielle locale = début de l’industrialisation et politique de développement autocentrée.

 

Doc 4 : Ce renforcement du poids de l’État se remarque particulièrement dans des pays qui choisissent la voie d’un régime autoritaire pour endiguer la crise. Au Brésil, l’Estado Novo de Getúlio Vargas (il est au pouvoir à p. de 1930 et fait un coup d’état en 1937) semble s’appuyer sur les forces traditionnelles de la nation (la famille et la patrie) et la mobilisation de tous les travailleurs, unis pour surmonter la crise. Ce régime paraît s’inspirer des techniques de gouvernement autoritaires, en recourant massivement à la propagande, comme l’indique cette affiche.

 

Les conséquences politiques ne sont pas moins considérables : entre 1930 et 1934, plus de la moitié des gouvernements d’Amérique latine sont renversés, mettant fin au processus d'émergence de gouvernements constitutionnels et inaugurant une phase caractérisée par l’autoritarisme gouvernemental, la répression des mouvements de masse et l’intervention des militaires dans l’exercice du pouvoir. Bien sûr, il ne faut pas oublier les États où la démocratie résiste (Colombie, Venezuela où la dictature est renversée en 1936) et l’existence de nombreux mouvements contestataires, liés ou non à l’influence des partis communistes (révolte de 1935 au Brésil contre l’Estado novo, révolte « rouge » au Salvador en 1932, ou la courte expérience de la République socialiste du Chili qui dure 12 jours en juin 1932).

La crise de 1929 contribue à accélérer la mise en place de régimes autoritaires en Amérique du Sud.

 

Quelle est la situation en Europe ?

 

II/ Un contexte inquiétant : les conséquences politiques de la crise en Europe

 

La crise touche rapidement l’Europe, pour les mêmes raisons que l’Amérique latine : la contraction du commerce mondial, renforcée par le protectionnisme, provoque faillites et chômage de masse.

Cependant, la mesure et la temporalité de la crise est un peu différente selon les pays : manuel p. 36/37 (statistiques) + PWPT et infos plus détaillée sur le cas français dans l’EED sur fev 1934

 

Fiche méthode : analyser un tableau stat dans manuel p. 37 à connaître et surtout les techniques de calcul taux de variation, coef multiplicateur (rapport entre les données de deux dates), indice.

 

L’Allemagne est relativement plus touchée que la France : sa situation se dégrade constamment jusqu’en 1933. En 1933, son PIB/hbt est à l’indice 87 (base 100 en 1929) alors que pour la Fra = indice 90. Sans être épargnée par la crise, il est indéniable que le commerce maintenu avec les colonies a joué pour la France un rôle d’amortisseur. Durant cette crise, les ouvriers sont le plus touchés (cf en France, recul des emplois industriels -1,4 millions) : ils grossissent les rangs de ceux qui se pressent aux soupes populaires dans les deux pays (voir vidéo INA accessible à partir du manuel p.24 « la crise en France ») et protestent en organisant manifestations et marches de la faim. Cependant, le chômage reste modéré en France tandis qu’il dépasse les 15% de la population active en Allemagne en 1932 (soit 6 millions de chômeurs). Ceci s’explique par la rapidité de l’effondrement économique en Allemagne, touchée dès 1929 alors qu’en France, la baisse de la production est plus graduelle.

 

A)  Les tensions en France fragilisent la démocratie, mais ne la détruisent pas

 La politique déflationniste menée par les gvts fra ne résout pas la crise (elle n'a d'ailleurs pas cet objectif) : but limiter la dette pour garder une monnaie stable donc baisse des dépenses de l'état. //t dans les entreprises, baisse également des salaires.

1-      Doc 3 p.25 : la politique suivie par les gouvernements successifs suscite de l’antiparlementarisme

Répondre à la question

Définir antiparlementarisme + politique de déflation

Dans les milieux touchés par la crise, on accuse le gouvernement parlementaire d’inefficacité : les politiques répondent en effet à la crise en appliquant les dogmes du libéralisme : baisser les dépenses de l’Etat pour conserver un équilibre budgétaire et donc ne pas créer d’inflation, susciter la baisse des salaires pour que les entreprises retrouvent des marges… et gérer policièrement les mécontentements. La solidarité avec les déshérités est laissée à la charité publique. Or ce type de politique dite déflationniste ou de rigueur, renforce la crise sociale. Les tensions s’exaspèrent : dans ce texte de juin 1934, le leader du parti agraire et paysan, Fleurant Agricola, en appelle quasiment à l’insurrection contre le gouvernement «  l’affiche […] sera le coup de clairon qui vous demandera […] de sortir de la tranchée […] Les paroles vont finir, les actes doivent les remplacer».

Il surfe là sur le climat insurrectionnel qui a éclaté en février 1934

 

Correction activité « février 34 » pour complément

Il faut en effet rajouter à l’exaspération liée à la crise deux points : 1) la crise en France est très sélective, elle touche les actifs. Les rentiers, les pensionnés, les propriétaires fonciers ne sont pas touchés. 2) Elle s’accompagne de scandales qui éclaboussent le gouvernement : le plus connu est le scandale Staviski (janv 1934) où un escroc parvient à détourner 200 millions de F-or grâce à ses connections dans le milieu politique. Mais déjà en 1932, le scandale des fraudes fiscales avait montré que des hauts personnages (noblesse, clergé, politiques, journalisme …) avaient fraudé le fisc de plus de 1 milliard de F-or et le gouvernement, attaqué à sa droite, avait abandonné les poursuites judiciaires.

ð  Mécontentement de gauche, antiparlementarisme de droite, gouvernements fragilisés (cf les deux premiers textes) => situation inflammable. C’est donc à ce moment que les ligues d’extrême-droite telles l’Action française et ses Camelots du roi, les Jeunesses patriotes, certaines associations d’anciens combattants (U.N.C. ; Croix de feu) pensent renverser le gvt et prendre le pouvoir. L’occasion en est la manifestation du 6 février 1934, qui tourne à l’émeute, en combats de rue entre manifestants de droite et manifestants de gauche et est réprimée par la police. Une vingtaine de morts et un millier de blessés.

 

Conséquences ?

Sur le moment, le gvt Daladier démissionne. L’échec ne décourage pas les ligues et autres organisations monarchistes et fascistes (au max = 300 000 adhérents toutes organisations confondues), mais leur moment est passé. Le gvt les rend illégales (dissolution des ligues) donc elles sont contraintes à la clandestinité.

 

2-      Le front populaire

En revanche, fev 34 fait peur au mvts de gauche qui y voient la possibilité d’un basculement dans le fascisme. Instruits de l’exemple allemand (la division entre socialistes et communistes a permis l’arrivée au pouvoir de Hitler en janvier 1933) et avec la bénédiction de Staline, les deux gauches s’allient : (cf images dans PWPT)

·         12 février = manifestation unitaire

·         Juillet = conclusion officielle de l’alliance avec pour slogan « le pain, la paix, la liberté »

·         Juillet 1935 : constitution du « Front populaire » avec ralliement du parti radical (centriste). Le chef de cette alliance, celui qui prendra la tête du gvt de front populaire = Léon Blum, leader du parti le plus important, la SFIO (socialiste / environ 130 000 adhérents contre seulement 28 000 au PCF)

·         Fin avril-Début mai 1936 : victoire électorale aux élections législatives. Les communistes doublent leurs voix par rapport à 1932.

 

PPO Les accords Matignon

Quelle est la proposition de la gauche pour sortir de la crise ? Peut-elle mettre son programme en action ?

 

Parcours A > 1. Les accords de Matignon sont conclus dans le contexte des grandes grèves du printemps et de l’été 1936 et après la victoire historique de la coalition du Front populaire. On a appelé ce mouvement les « grèves joyeuses » car il s’agissait, pour une fois, d’appuyer le gouvernement et les syndicats dans les négociations avec les syndicats patronaux.1,5 millions de grévistes paralysent l’économie du pays, et pour la première fois, occupent les usines. 2. Il s’agit pour le gouvernement de tenter de mettre fin au grand mouvement de grève qui paralyse le pays, et aussi de relancer l’économie. Le rapport de force étant favorable, les syndicats ouvriers arrachent facilement d’importantes concessions au patronat : ce sont les plus grands acquis sociaux du mouvement ouvrier français depuis l’origine.

·         augmentation des salaires dans le privé de 7% à 15% puis, dans une deuxième vague des salaires des fonctionnaires. Il s’agit de relancer la consommation

Par la suite, le gvt Blum crée une première assurance-chômage et un système d’assurance-retraite pour les mineurs, créant ainsi un embryon de sécurité sociale + politique de grands travaux pour employer les chômeurs.

 

Pour mieux contrôler l’économie, nationalisation de certains secteurs jugés stratégiques : création par ex de la SNCF (chemins de fer), des industries d’armement, contrôle renforcé de la Banque de France pour contrôler le Franc (d’ailleurs dévaluation du F pour doper les exportations)

 

Mais il s’agit aussi de réconcilier les travailleurs avec la République en améliorant leur vie et en leur redonnant de la fierté :

·         15 jours de congés payés par les employeurs + diminution du temps de travail (semaine de 40H)

Et au-delà des accords Matignon, d’autres mesures sont prises :

·         Billets de SNCF à tarif réduit

·         Création de maison de la culture dans les quartiers

 

3. La politique du Front populaire transforme durablement, par les accords de Matignon, les rapports au sein des entreprises en créant des délégués syndicaux dans les entreprises et en inaugurant la pratique des négociations tripartites. 4. Cette politique suscite des critiques car elle impose des augmentations de salaires et diminue les pouvoirs des patrons dans les entreprises grâce aux délégués syndicaux. L’opposition au Front populaire s’organise et l’expérience du Front Pop est somme toute éphémère : dès juin 1937, le parti radical change d’alliance et le gvt Blum est renversé. A partir de 1938, les lois du Front Pop sont « détricotées ».

 

Rq) prolongement voir affiche anticommuniste p. 65 et l’affiche de la Révolution nationale p.107

 

Bilan : La politique économique du Front populaire est une politique de relance par la consommation, ainsi qu’une politique de gauche, socialiste, visant à équilibrer les rapports de force et de dignité au sein de la société française.

 

B)  La crise de 1929 précipite l’arrivée de Hitler au pouvoir

1-Mesures de la crise : PWPT

 

2-Causes du succès du parti nazi

 

L’Allemagne de la République de Weimar (1918-1933) a un régime politique fragile parce que récent et sans tradition démocratique solidement enracinée => le nazisme recrute dans les milieux conservateurs et de certains anciens combattants, unis dans leur détestation de la démocratie et des droits de l’homme, vues comme facteur de division entre le peuple et donc comme facteur de faiblesse pour l’Etat, dans le cadre d’un monde qui est hostile et dont il faut se défendre (cf diktat) + anticommunisme. Mais le parti de Hitler, le NSDAP, reste relativement confidentiel jusqu’au déclenchement de la Grande crise de 1929.

 

Grace à un programme "attrape tout" de droite et de gauche PWPT : ordre+ mise au pas du prolétariat + exaltation de la grandeur nationale (cf passage du syndicat à la corporation, interdiction des grèves) mais réponse au besoin de protection (l’Etat garantit une solidarité nationale – NSDAP « affranchissement de toute servitude capitaliste »), grâce à une propagande massive (« sans la radio, nous n’aurions pas gagné » dit Hitler), à une action de terrain (distribution de soupes populaires et , en même temps, l’action des « corps francs » (= unités armées qui font le coup de main contre les communistes  = SA) qui leur permet de recevoir des financements des grands industriels et de la noblesse qui craint le désordre et la révolution, les nazis gagnent les élections de 1932.

Avec la crise, les partis extrémistes, hostiles à la République, progressent tandis que les partis au pouvoir reculent. C’est particulièrement le parti nazi (NSDAP) qui bénéficie le plus de la crise (en 1930, 28 % de membres ouvriers adhérant normalement au SPD ou au KPD). Lors des élections de 1932, le NSDAP devient le premier parti au Reichstag avec 33% des voix contre 20,4% pour le SPD et 16,8% pour le KPD.

ð  Les socialistes et communistes sont majoritaires mais leur division va permettre aux nazis de prendre le pouvoir. Le président Hindenburg fait de Hitler son chancelier en janv 1933. Aussitôt, celui-ci met fin à la République.

 

3-      L’action de Hitler pour sortir de la crise PWPT

Grands travaux (rien d’original cf Roosevelt cf Fra)

Corporatisme pour soumettre les ouvriers au patronat

Remilitarisation => essor de l’industrie lourde dopée par les commandes de l’Etat

Puis Hitler compte sur la guerre et le pillage des ressources des pays étrangers pour sortir définitivement les Allemands de l’ornière.

 

III/ Sauver le capitalisme

 

A)  Roosevelt et le New deal

 

Video dans pearltree

Président démocrate, membre d’une aristocratie politique (un de ses lointains oncles avait été président des EUA au début du XXe siècle) il rompt avec la succession de présidents effacés et sans autorité. Il s’appuie sur les moyens modernes de communication, il fait une campagne très axée sur sa personne, sa famille et une promesse, celle du redressement du pays. Le jour de son investiture, il demande des pouvoirs spéciaux pour « mener la guerre » à la crise.

 

1-      Les « cent jours » du New Deal

PPO : 1933 Roosevelt et le New Deal pp. 28-29 compléter avec les doc dans pearltree et doc 1 p. 41 => « l’etat providence »

Les conséquences du New Deal = PWPT

 

 

Parcours A au complet : synthèse à rédiger pour les élèves (travail ramassé pour préparer la QP)

 

Dès le début de son 1er mandat en tant que président des EUA en mars 1933, Franklin Delano Roosevelt inaugure une politique de combat contre la crise économique et sociale dans son pays, ce qui constitue une rupture avec la politique de ses prédécesseurs.

 

 

Traditionnellement, les gouvernements américains étaient libéraux, c’est-à-dire qu’ils se refusaient à intervenir dans l’économie. Se contentant de soutenir la valeur de la monnaie, ils menaient une politique déflationniste (baisse des dépenses, baisse des salaires, laisser-faire des marchés) et protectionniste dans les échanges extérieurs. Les faillites d’entreprises, le chômage de masse, la paupérisation de la population ne trouvaient donc pas de solution et la crise a nourri la crise de 1929 à 1933. Roosevelt, lui, a fait campagne en promettant le « retour des jours heureux ». Il propose un nouveau pacte entre la population américaine et l’état fédéral qu’il nomme le « New Deal ». Les principes qui sous-tendent la politique de Roosevelt sont assez simples. D’un côté il s’agit d’injecter de l’argent dans l’économie pour stimuler la reprise de la consommation, et donc de la production. Il s’inspire là des idées de Keynes. De plus, un Etat plus protecteur qui garantisse une certaine sécurité pour tous, même ceux privés d’emploi, doit permettre de redonner la confiance nécessaire à la relance économique et la justice sociale nécessaire à la pacification du pays. De l’autre, il faut que l’Etat réglemente plus étroitement les entreprises et les marchés, en se dotant des moyens de contrôle et en créant des contre-pouvoirs au pouvoir patronal dans les entreprises.

 

Roosevelt bénéficie d’un climat favorable pour agir très rapidement. En 100 jours, il fait passer beaucoup de réformes. C’est le « premier new deal ». Dans le domaine agricole, par l’A.A.A. (agricultural adjustment administration), il subventionne les agriculteurs pour qu’ils réduisent leur production ce qui permet de faire remonter les prix. Dans les entreprises, la NRA (national recovery administration) surveille la concurrence pour établir des règles justes, impose un salaire minimum et un temps de travail maximal. Un peu plus tard, les syndicats sont autorisés dans les grandes entreprises avec un pouvoir de négociation. Avec la WPA (Work projects administration), l’Etat fédéral lance une politique de grands travaux à travers le pays (construction de barrages, de ponts, de bâtiments administratifs) pour lesquels il embauche des chômeurs. Les sans-abri sont logés dans des camps fédéraux où ils sont correctement pris en charge. Enfin, le Social Security Act en 1935 marque la création d’une forme d’état-providence aux Etats-Unis avec des aides spécifiques pour les personnes fragiles. C’est le retour de la confiance, favorisé par la propagande gouvernementale et les « causeries au coin du feu » du président.

 

Le bilan du New Deal est mitigé et difficile à faire car Roosevelt s’est heurté dans la 2e partie du New Deal à beaucoup de résistances et n’a donc pas pu mettre totalement en œuvre son programme. Dès 1935-36, la Cour suprême a majorité conservatrice censure les principales mesures du 1er New deal. « L’économie a recommencé à lentement décroitre et le chômage à augmenter » (doc 4 p.29). Mais la postérité du New Deal est importante : il a inspiré les politiques européens (par les grands travaux, même Hitler s’en inspire). Son conseiller, Keynes, est à l’origine d’une doctrine économique qui triomphe partout en Occident durant les 30 glorieuses. C’est un nouveau modèle qui remplace le libéralisme économique. Son embryon de sécurité sociale est la base de réflexion de Beveridge, qui pendant la 1nde Guerre Mondiale propose un modèle de sécurité sociale universelle, laquelle se répand, elle aussi dans les sociétés occidentales des 30 glorieuses. Le nouveau système américain devient le modèle occidental de l’après seconde guerre mondiale.

 

 

Bilan / Sauver le capitalisme = au prix de l’abandon du libéralisme et du renforcement du rôle de guidage éco et de réglementation de l’Etat. Les résistances de la fin des années 1930 sont balayées par la seconde Guerre mondiale. Les recettes de F D Roosevelt deviennent après 1945 la base du modèle américain.

 

 

B)  Les Etats-Unis reprennent la main (en guise de conclusion-ouverture)

 

Avec la 2nde GM, les EUA deviennent « l’arsenal des démocraties », ce qui leur permet de sortir définitivement de la crise. La machine à produire tourne à plein régime grâce aux commandes militaires.

 

 

Au sortir de la 1nde GM, les EUA assument leur rôle de grande puissance économique et négocient, avec leurs alliés, à la conférence de Bretton woods, la mise en place d’une système économique international stable, basé sur le dollar et les investissements américains. PWPT

 

Jeter un œil à la suite du manuel chap « un nouvel ordre international »

Le programme du CNR (p 117) et la création de la sécurité sociale p.115 pour la France

Les accords de Bretton Woods p. 121

Le plan Marshall p. 137

 


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