dimanche 23 juin 2019

Fallait-il tuer Jules Cesar...

Je donne parfois quand j'ai une classe d'élèves de seconde travailleurs, motivés et plutôt de bon niveau, le sujet suivant en DM :

Fallait-il tuer Jules Cesar pour sauver la République ?

avec dossier documentaire

Jules César, un danger pour la République romaine ?

1 : RECHERCHE D’INFORMATIONS
Revoir dans le cours, le schéma des institutions de la République romaine.
Revoir dans le cours la partie sur les mécanismes régulateurs de la démocratie.

Doc 1 : La carrière politique de Jules César.
Caius Iulius Caesar, celui que nous appelons Jules César, naît à Rome le 12 juillet 100 avant J.C. Il appartient à la gens Iulia, la famille des Jules, l’une des plus prestigieuses et des plus anciennes familles romaines. Une légende prétend d’ailleurs que les Jules descendraient de Vénus. Cette famille fait partie du patriciat, la haute noblesse romaine qui a accès au gouvernement de Rome.
L’enfance d’un chef
On ne sait guère de choses de l’enfance de César. Il apprend à lire et à compter, étudie la grammaire grecque et latine, il lit les textes des grands auteurs. Le jeune homme pratique la gymnastique, l’équitation, la natation et l’escrime. A partir de seize ans, César étudie l’art de s’exprimer clairement et de bien parler.
Une époque troublée
L’époque de Jules César est assez difficile. D’un côté, les armées romaines ont conquis d’immenses territoires et Rome domine la majeure partie du bassin méditerranéen. Mais d’un autre côté, Rome traverse une grave crise politique et elle est en permanence au bord de la guerre civile.
Cursus honorum
A 27 ans, César débute sa carrière politique en s’engageant dans le cursus honorum. Il est d’abord élu au poste de tribun militaire (officier dans l’armée), puis il devient questeur (trésorier) de la province d’Espagne ultérieure. En 66 avant J.C., il est édile et s’attire la sympathie du peuple en organisant de grands jeux et des cérémonies spectaculaires. César se rapproche des deux plus puissants  personnages de l’époque : Pompée, un grand général et Crassus, l’homme le plus riche d’Italie.
Au sommet du pouvoir
César poursuit sa carrière politique. En 63 avant J.C., il obtient la charge de souverain pontife, le chef de la religion officielle de Rome. Il devient ensuite préteur, une magistrature d’importance : seuls les préteurs et les consuls peuvent recevoir le commandement militaire de légions. César part gouverner l’Espagne. Il rentre à Rome en 60 avant J.C.
César est maintenant un personnage politique de premier plan. Il a su s’entourer d’alliés de poids, notamment Pompée et Crassus. Tous trois s’entendent pour se soutenir et mener leurs projets ensemble. En 59 avant J.C., avec leur appui, César accède au consulat, la plus haute magistrature. C’est pendant le consulat de César que la loi agraire est votée permettant à vingt mille citoyens romains pauvres de recevoir des terres prises sur le domaine de l’Etat.
En quête de gloire militaire
En 58 avant J.C., César, devenu proconsul, reçoit le gouvernement des provinces de Gaule cisalpine et de Gaule transalpine. Il commande également quatre légions. César a désormais une brillante carrière politique, il ne lui reste plus que la gloire militaire. En effet, pour celui qui veut devenir un grand homme à Rome, il faut une réputation de chef de guerre victorieux et le soutien de nombreux soldats. Un général romain vainqueur peut avoir droit au triomphe, un grand défilé dans Rome avec ses soldats et son butin. Cette cérémonie lui donne le titre d’Imperator, ce qui est très prestigieux.
La guerre des Gaules (58-51 avant J.C.)
César rejoint ses provinces gauloises dans l’idée de conquérir la Gaule Chevelue. En 58 avant J.C., les hostilités avec les Gaulois débutent. La guerre dure jusqu’en 51 avant J.C. : elle s’achève par une victoire totale de César et la conquête de la Gaule. César sort de cet affrontement avec la réputation d’être un chef de guerre accompli. Il s’est considérablement enrichi et s’est attaché les soldats de son armée en leur distribuant des richesses.
A Rome, pendant ce temps …
Crassus et Pompée, venus rencontrer César, passent avec lui un nouvel accord secret : César soutient leur élection pour l’année 55 et leur obtiendra des provinces importantes l’année suivantes. En 54 avant J.C., Crassus devenu gouverneur de Syrie, subit une graves défaite contre les Parthes. Il est capturé et exécuté. Sans lui pour les réunir, Pompée et César s’éloignent progressivement. A Rome, la situation empire et le Sénat prend une mesure exceptionnelle en nommant Pompée seul consul de l’année.
Inévitable guerre civile
En 50 avant J.C., la charge de proconsul de César en Gaule touche à sa fin. Normalement, il devrait abandonner le commandement de ses armées et revenir à Rome comme simple citoyen. César demande au Sénat la permission de se présenter à nouveau au poste de consul. Mais le Sénat et Pompée refusent toutes ses propositions et exigent son retour à Rome sans ses armées.
César refuse d’abandonner ses armées ; il décide de franchir avec ses légions le Rubicon, un petit cours d’eau séparant la province de Cisalpine de l’Italie et qui représente une limite dont la traversée est normalement interdite aux soldats. César lance ainsi un défi au Sénat, ce qu’il exprime avec cette formule célèbre : Alea jacta est (« les dés sont jetés »).
La guerre civile est déclarée entre les armées de César et celles de Pompée. César s’empare de l’Italie en deux mois. Pompée est contraint d’abandonner Rome et de se replier en Orient.
Le combat des chefs
Une fois l’Italie maîtrisée, César se rend en Espagne, ses armées prennent également le contrôle de la Sicile et de la Sardaigne. A la fin de l’année 49 avant J.C., afin d’avoir les mains libres, César se fait nommer dictateur par le Sénat, puis consul pour l’année suivante. Il se prépare à affronter Pompée en Grèce.
Le 9 août 48 avant J.C., César et Pompée se rencontrent à la bataille de Pharsale. Pompée est vaincu, mais il parvient à s’enfuir en Egypte. Mal lui en prend, car il est assassiné à son arrivée à Alexandrie.
César et Cléopâtre
César découvre le meurtre de Pompée en arrivant en Egypte. La situation y est explosive : le jeune roi Ptolémée XIII et sa soeur Cléopâtre VII se font la guerre pour le trône. César décide de soutenir Cléopâtre. Le 27 mars 47 avant J.C., il remporte une grande bataille sur Ptolémée XIII qui meurt au combat. Cléopâtre devient la nouvelle reine d’Egypte et l’amante de César.
La mort de Pompée n’a pas mis fin au conflit car ses anciens partisans restent actifs. A Zéla, le 2 août 47 avant J.C., César écrase Pharnase. C’est à cette occasion qu’il prononce une phrase devenue célèbre : Veni,vidi, vici (« je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »).
Une grande partie des pompéiens s’est rassemblée en Afrique. César remporte une victoire décisive à la bataille de Thapsus, le 6 avril 46 avant J.C. Cette fois, c’est la fin de la guerre. Rentré à Rome, César célèbre quatre triomphes successifs, sur la Gaule, sur l’Egypte, sur le Pont et sur l’Afrique.
Seul maître à bord
César a réussi à éliminer ses adversaires politiques. Personne ne peut désormais s’opposer à son pouvoir. Les apparences de la République sont préservées par les titres qu’il se fait accorder par le Sénat : il est nommé consul pour dix ans, puis dictateur à vie, mais dans les faits, César règne seul sur Rome. Il cumule les pouvoirs civils, militaires et religieux et s’appuie sur son immense fortune.
Grandes réformes
En 45 et 44 avant J.C., César déploie une grande activité politique. Il offre au peuple romain de nombreux spectacles et banquets, et il embellit la ville de beaux monuments : il fait rénover le cirque, construire un théâtre, creuser un grand bassin pour des spectacles de batailles navales et il crée un nouveau forum à son nom. Il prend des mesures en faveur des plus pauvres : ventes de blé à bas prix, attribution de terres à des pauvres et à des vétérans (les retraités de l’armée).
César s’intéresse aussi à la culture et crée une grande bibliothèque d’ouvrages en grec et en latin. Il réorganise le calendrier romain qui devient le calendrier julien (à l’origine de notre calendrier actuel) avec une année de 365 jours un quart. Il donne son nom, Iulius, à son mois de naissance, notre mois de juillet.
On ne peut pas plaire à tout le monde …
Alors que César réunit ses légions en prévision d’une expédition militaire en Orient, une poignée de conjurés s’entendent pour l’éliminer définitivement. Aux Ides (le 15) de mars 44 avant J.C., en pleine réunion du Sénat, César est attaqué et frappé de plusieurs coups de couteaux.
De la République à l’Empire
Rome est bouleversée par cet assassinat et le peuple exprime sa colère. Le testament de César est une surprise : il déclare adopter son petit-neveu Octave. Après encore plusieurs années de guerre civile, la crise s’achève par la fin de la République aristocratique et la naissance d’un nouveau régime politique : en 27 avant J.C., Octave, fils adoptif de César, devient sous le nom d’Auguste le premier empereur romain.

  • Relever les différentes fonctions politiques de J. César. A partir de quel moment ne respecte-t-il plus les règles du cursus honorum ?
  • César réussit à faire passer une réforme agraire. Montrer, grâce à des recherches personnelles sur les frères Gracques que ce n’était pas une réforme facile à obtenir.
  • Montrer que, malgré son origine noble, J. César mène une politique en faveur du peuple.
  • Retrouver les origines de la puissance et de la popularité de César.
  • En quoi peut-on le considérer comme le plus habile homme politique de sa génération ?
  • Pourquoi peut-on penser qu’il vise à exercer un pouvoir absolu et solitaire ?



Doc 2 : Plutarque, La vie de Brutus, extrait de La vie des hommes illustres.

Cependant Brutus était sans cesse excité par les discours de ses amis, par les bruits qui couraient dans la ville, et par des écrits qui l'appelaient, qui le poussaient vivement à exécuter son dessein. Au pied de la statue de Brutus, son premier ancêtre, celui qui avait aboli la royauté, on trouva deux écriteaux, dont l'un portait : « Plût à Dieu, Brutus, que tu fusses encore en vie! » Et l'autre : "Pourquoi, Brutus, n'es-tu pas vivant!" Le tribunal même où Brutus rendait la justice était, tous les matins, semé de billets sur lesquels on avait écrit : « Tu dors, Brutus. Non, tu n'es pas véritablement Brutus. » Toutes ces provocations étaient occasionnées par les flatteurs de César, qui, non contents de lui prodiguer des honneurs odieux, mettaient la nuit des diadèmes sur ses statues, dans l'espérance qu'ils engageraient par là le peuple à changer son titre de dictateur en celui de roi.
Lorsque Cassius sonda ses amis sur la conspiration contre César, ils lui promirent tous d'y entrer, pourvu que Brutus en fût le chef. Une pareille entreprise, disaient-ils, demande moins du courage et de l'audace, que la réputation d'un homme tel que lui, qui commence le sacrifice, et dont la présence seule en garantisse la justice …
Quand le sénat fut entré dans la salle, les conjurés environnèrent le siège de César, feignant d'avoir à lui parler de quelque affaire; et Cassius portant, dit-on, ses regards sur la statue de Pompée, l'invoqua, comme si elle eût été capable de l'entendre. Trébonius tira Antoine vers la porte; et en lui parlant, il le retint hors de la salle. Quand César entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur; et dès qu'il fut assis, les conjurés, se pressant autour de lui (…) et Casca, qui était derrière le dictateur, tire son poignard, et lui porte le premier, le long de l'épaule, un coup dont la blessure ne fut pas profonde. César, saisissant la poignée de l'arme dont il venait d'être frappé, s'écrie dans sa langue : "Scélérat de Casca, que fais-tu ?" Casca appelle son frère à son secours en langue grecque. César, atteint de plusieurs coups à la fois, porte ses regards autour de lui pour repousser les meurtriers : mais dès qu'il voit Brutus lever le poignard sur lui, il quitte la main de Casca qu'il tenait encore, et se couvrant la tête de sa robe, il livre son corps au fer des conjurés. Comme ils le  frappaient tous à la fois sans aucune précaution, et qu'ils étaient serrés autour de lui, ils se blessèrent les uns les autres. Brutus, qui voulut avoir part au meurtre, reçut une blessure à la main, et tous les autres furent couverts de sang.
Brutus et les autres conjurés se retirèrent au Capitole, les mains teintes de sang; et montrant aux Romains leurs poignards nus, ils les appelaient à la liberté. Au premier bruit de cet événement, ce ne fut dans toutes les rues que courses et cris confus de gens qui augmentaient ainsi le trouble et l'effroi; mais quand ils virent qu'il ne se commettait point d'autre meurtre, et qu'on ne pillait rien de ce qui était exposé en public, alors les sénateurs et un grand nombre d'autres citoyens, reprenant courage, se rendirent au Capitole auprès des conjurés. Le peuple s'étant assemblé, Brutus lui fit un discours analogue aux circonstances, et propre à gagner ses bonnes grâces : aussi fut-il approuvé et loué par le peuple même, qui cria aux conjurés de descendre du Capitole. Encouragés par cette invitation, ils se rendirent sur la place, où ils furent suivis par la multitude. (…). Quand Brutus s'avança pour leur parler, ils l'écoutèrent paisiblement; mais ils firent voir combien ce meurtre leur déplaisait, lorsque Cinna, dans le discours qu'il leur fit, ayant commencé par accuser César, ils entrèrent en fureur, et vomirent contre lui tant d'injures, que les conjurés se retirèrent une seconde fois dans le Capitole.

  • Rechercher qui est l’ancêtre célèbre de Brutus, « celui qui avait aboli la royauté » et ce qu’il a fait.
  • Pourquoi évoque-t-on à Rome l’exemple de cet ancêtre auprès de Brutus ? Pourquoi Brutus doit-il prendre la tête de la conjuration ?
  • Pourquoi les conjurés veulent-ils tuer César ? Au nom de quelle valeur ?
  • Comment réagit le peuple à l’annonce du meurtre de César ?
  • Rechercher ce qui se passe après la mort de César (la guerre civile)
  • Rechercher des informations sur le temple de Jules César divinisé, édifié sur le forum, à l’endroit de son bûcher funéraire. Qui l’a construit ? Rappelez ce qu'était le culte de l’empereur ?

2 : COMPOSITION. En vous aidant de l’analyse des documents et de vos connaissances, répondez à la question suivante sur la base d’une argumentation historique.

Fallait-il tuer Jules César pour sauver les institutions républicaines ?

Si cela peut aider, vous pouvez passer, au brouillon, par une étape intermédiaire : organisez un dialogue entre les partisans de deux camps opposés. Cela vous permettra de bâtir ensuite votre plan détaillé.
« Tu es le fils d’un plébéien.
Ton père, à l’origine un petit commerçant, s’est engagé dans l’armée et a accompagné et admiré César pendant ses différentes campagnes militaires. Aujourd’hui, il est désespéré.
Partout dans Rome on ne parle que d’une chose : César vient d’être assassiné. Vous rejoignez la foule de plus en plus nombreuse sur le forum. La discussion s’engage avec vos voisins. Certains justifient l’assassinat de César en disant qu’il fallait éliminer le dictateur et sauver la République pour le bien du peuple. Ton père leur répond en affirmant que les citoyens modestes ne jouent aucun rôle dans cette République aristocratique mais que César avait tout fait pour le bonheur du peuple.
Pourquoi peuvent-ils dire cela ? »

2 documents complémentaires : Dans sa pièce Jules César, le dramaturge anglais William Shakespeare (16e siècle) imagine les discours de Brutus et de Antoine, l’un justifiant et l’autre accusant les conjurés. Vous y trouverez des arguments dont vous pouvez vous inspirer pour la composition.

Le discours de Brutus après la mort de César :

«Romains, compatriotes et amis, entendez-moi dans ma cause, et faites silence afin de pouvoir m'entendre. [...]. Censurez-moi dans votre sagesse, et faites appel à votre raison, afin de pouvoir mieux me juger. S'il est dans cette assemblée quelque ami cher de César, à lui je dirai que Brutus n'avait pas pour César moins d'amour que lui. Si alors cet ami demande pourquoi Brutus s'est levé contre César;-voici ma réponse : Ce n'est pas que j'aimasse moins César, mais' j'aimais Rome davantage. Eussiez-vous préfère voir César vivant et mourir tous esclaves, plutôt que de voir César mort et de vivre, tous libres? César m'aimait, et je le pleure; il fut fortuné, et je m'en réjouis; il fut vaillant, et je l'en admire; mais il fut ambitieux, et je l'ai tué ! Ainsi, pour son amitié, des larmes; pour sa fortune, de la joie; pour sa vaillance, de l'admiration ; et pour son ambition, la mort! Quel est ici l'homme assez bas pour vouloir être esclave! S'il en est un, qu'il parle, car c'est lui que j'ai offensé. Quel est ici l'homme assez grossier pour ne vouloir pas être Romain? S'il en est un, qu'il parle ; car c'est lui que j'ai offensé. Quel est l'homme assez vil pour ne pas vouloir aimer sa patrie? S'il en est un, qu'il parle; car c'est lui que j'ai offensé... J'attends une réponse.»

Le discours d’Antoine après la mort de César :
« Amis, Romains, compatriotes, prêtez-moi l’oreille. Je viens pour ensevelir César, non pour le louer. […] Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux : si cela était, c’était un tort grave, et César l’a gravement expié. Ici, avec la permission de Brutus et des autres (car Brutus est un homme honorable, et ils sont tous des hommes honorables), je suis venu pour parler aux funérailles de César. Il était mon ami fidèle et juste ; mais Brutus dit qu’il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. Il a ramené à Rome nombre de captifs, dont les rançons ont rempli les coffres publics : est-ce là ce qui a paru ambitieux dans César ? Quand le pauvre a gémi, César a pleuré : l’ambition devrait être de plus rude étoffe. Pourtant Brutus dit qu’il était ambitieux ; et Brutus est un homme honorable. Vous avez tous vu qu’aux Lupercales je lui ai trois fois présenté une couronne royale, qu’il a refusée trois fois : était-ce là de l’ambition ? Pourtant Brutus dit qu’il était ambitieux ; et assurément c’est un homme honorable. Je ne parle pas pour contester ce qu’a déclaré Brutus, mais je suis ici pour dire ce que je sais. […] »

samedi 22 juin 2019

Chrétiens et juifs au Moyen Age

Extraits de la chronique dite de Jean de Venette (1340-1368)
coll "Lettres gothiques", Livre de Poche

1348 : la Grande Peste noire (p.113)
"On disait que cette peste avait pour origine une infection de l'air et des eaux, parce que ce n'était pas alors une époque de famine : aucun produit nécessaire à la vie ne manquait, tout était en abondance. On rendit les Juifs responsables de cette corruption de l'air et des eaux, comme de ces morts subites et nombreuses ; on les accusa d’avoir empoisonné les puits et les cours d'eau et d'avoir corrompu l'air. La cruauté du monde se déchaîna contre eux si bien qu'en Allemagne et ailleurs où vivaient les Juifs, ils furent massacrés et occis un peu partout par les chrétiens, et brûlés par milliers. Admirez leur constance, ferme mais insensée, comme celle de leurs femmes. Quand on les brûlait, les mères juives pour empêcher que leurs enfants ne fussent conduits au baptême, les jetaient d'abord dans le bûcher avant de s'y précipiter elles-mêmes afin d'être brûlées avec leurs mari et leurs enfants.
On trouva aussi beaucoup de mauvais chrétiens qui, eux aussi, empoisonnaient les puits. Mais ces intoxications, à supposer qu'elles aient existé, n'auraient pas pu produire une telle peste ni tuer autant de peuple. Autre en fut la cause : la volonté de Dieu ..."

1366 : Juifs et marranes en Espagne (p.317)
"En 1366, les ennemis et les brigands abandonnèrent les forteresses qu'ils avaient occupées en Normandie et ailleurs. Ils s'en allèrent en Espagne où le roi Pierre et son frère Henri se disputaient la possession du royaume. En effet, Henri disait que, bien que Pierre eût régné assez longtemps, il régnait contre droit et justice. Le trône appartenait plutôt à lui, Henri. Il reprochait à Pierre de ne pas être le fils du feu roi, mais un autre enfant échangé, le fils de Juifs, que la reine avait substitué à la fille qu'elle venait de mettre au monde. Des chevaliers secrétaires de la reine avaient révélé sur leur lit de mort avoir enlevé en secret un enfant juif et avoir caché la fille de la reine, car le roi avait juré qu'il tuerait son épouse si elle lui donnait encore une fille. Par peur du roi, Pierre fut en secret substitué et la fille mise à l'abri par la reine, sans que le roi en sache rien. Henri affirmait aussi que Pierre lui-même était un hérétique et, ce qui est pire, qu'il suivait la loi des Juifs. Il avait renoncé à la loli de Notre Seigneur Jesus-Christ, qu'il méprisait. Pour toutes ces raisons, selon les antiques droits du royaume lui-même devait être institué et élu à sa place. ce qui fut fait. Le peuple d'Espagne en effet a élu Henri après avoir écarté et déposé l'autre. Ce Pierre était assoiffé du sang des siens : ses mœurs étaient viles et malhonnêtes comme le prouve le fait suivant : il fit tuer et étouffer sans raison sa propre épouse, une princesse du sang de France, pudique, chaste, sainte et honnête, pour prendre une concubine qui, disait-on, était en fait juive. [...] le roi Pierre continua à gouverner lui-même, son palais et même tout le royaume par l'intermédiaire des Juifs. En Espagne, ceux-ci sont très nombreux."


Doc chronologie
En 399, le pape Anastase 1er convoque un concile, les mariages mixtes entre Juifs et Chrétiens sont interdits.

En 439, est promulgué le code Théodosien de Justinien II. Il est interdit aux juifs d’exercer une profession publique ou militaire, et l’on cherche à imposer la conversion de force au christianisme dans l’Empire.

Théodoric dit le Grand (474 - 526) Roi des Ostrogoths et du Royaume ostrogoth d'Italie prendra sous sa protection les Juifs de Gênes et de Milan.

En 582, Chilpéric 1er établit un édit ordonnant «à tous les Juifs de Paris d’être baptisés sous peine d'avoir les yeux  crevés » .

En 591, le pape Grégoire 1er dit le Grand (de 590 à 604) s’oppose aux conversions forcées des Juifs et prône la persuasion.

Vers 850, le concile de Meaux Paris adopte une série de dispositions destinées à réprimer le prosélytisme juif et à éviter toute promiscuité avec les Chrétiens :
- Interdiction pour les Juifs de servir dans l'armée,
- Interdiction d'occuper un emploi public,
- Interdiction d'avoir des esclaves chrétiens et faire le commerce des esclaves.
- Interdiction de sortir de chez soi à la fin de la semaine sainte, pour éviter que leur vue n'excite la colère des Chrétiens.
- Interdiction de construire de nouvelles synagogues.
- La garde des enfants juifs est confiée à des clercs pour les élever dans la religion chrétienne.
Charles le Chauve (843 – 877), tolérant, refusera d'appliquer les mesures d'exception et de les inscrire dans un capitulaire.

C'est à partir du XI° siècle qu'un important changement envers les Juifs se manifeste, d'abord avec la « grande persécution » de 1007 à 1011, puis avec la première croisade en 1096, les persécutions se feront au nom d’une prétendue collusion avec les musulmans, et aussi au titre de crime de «déicide».
En 1215, le Quatrième Conseil de Latran a forcé les Juifs à porter un insigne dans les provinces du Languedoc, de la Normandie et de Provence, et visera à son application la plus large. : «Il apparaît parfois que par erreur des chrétiens s'unissent à des femmes juives ou sarrasines ou des juifs ou des sarrasins à des femmes chrétiennes. Pour que cesse un tel péché et qu'un tel mélange ne puisse avoir lieu dans l'avenir sous prétexte d'ignorance, nous décrétons que ces personnes des deux sexes, dans chaque province chrétienne et en tout temps, devra se distinguer par le caractère de son vêtement. » Mais aussi les juifs devront se conformer à :
1- Des taxes sur le prêt d’argent  : « Plus les chrétiens sont interdits de pratiques usuraires, plus la perfidie des juifs augmente en la matière. Nous ordonnons que si à l'avenir les juifs extorquent des intérêts excessifs aux chrétiens, ils soient coupés de tout contact avec les chrétiens jusqu'à ce qu'ils aient fait réparation de leur cupidité immodérée.»  
2 – Interdiction aux emplois publics : « Il semble absurde que des blasphémateurs du Christ aient le pouvoir sur des chrétiens.»

En  1290, Les Juifs sont chassés d’Angleterre par Édouard Ier.

En 1306, Philippe IV de France (dit le Bel) expulse les Juifs de France, confisque leurs biens et il s’approprie leurs créances. 100 000 Juifs environ sont expulsés et prennent en majorité le chemin de l’Espagne.

A partir de 1348, la grande peste provoqua des émeutes antijuives en Provence, en Suisse, en Allemagne : Six mille Juifs furent tués à Mayence. De nombreux Juifs fuirent vers l’Est, en Pologne et Lituanie. En février 1349, près de deux mille Juifs furent brûlés à Strasbourg, d'autres furent jetés dans la Vienne à Chinon.

En 1451, se met en place de l’inquisition en Castille. Naissance du phénomène religieux des Marannes (juifs officiellement convertis mais pratiquant toujours les rites juifs en secret). En 1478, le pape permet la création d'une Inquisition spéciale en Espagne visant essentiellement la persécution des juifs restés fidèles au judaïsme après les conversions forcées. Des milliers d'autodafés (« actes de foi ») ont lieu, au cours desquels des juifs sont brûlés sur le bûcher, ou étranglés s'ils avouent. En 1492, les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, expulsent tous les juifs du Portugal et de l'Espagne, exilant environ 150 000 personnes et détruisant les communautés prospères.





1) Montrer en utilisant la chronologie que l’attitude envers les Juifs a longtemps été indécise. De quelle période date le retournement ? 



2) Montrer que le statut des juifs est celui de citoyens de second ordre. Quels métiers sont interdits aux Juifs et quels métiers sont autorisés ? 

3) Expliquer les raisons de l’attitude des chrétiens envers les juifs (textes). Quels mythes et quels stéréotypes antijuifs naissent au Moyen-âge ? (textes) 

4) Quelle est la situation particulière de l'Espagne au Moyen Age à l'égard de la communauté juive ? (doc + recherches)



Un approfondissement scientifique pour se documenter : 


jeudi 20 juin 2019

Définir la "nation"

L’idée de Nation apparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle en même temps que l’idée d’Etat-Nation. Sous l’Ancien Régime, le terme existait déjà : il désignait les peuples. Mais au XIXe siècle, ce mot de nation va prendre de nouvelles significations, plus politiques 

 Doc : L’Alsace est-elle allemande ou française ? 

 En introduction du commentaire de texte, il faut présenter la nature de ce document et son contexte historique. Ce texte date du 27 octobre 1870 ; il est postérieur à la guerre de 1870 entre l’Empire allemand et l’Empire français. Le 28 janvier, le gouvernement français signe un armistice avec Bismarck, chancelier de Guillaume Ier. Lors des préliminaires de paix, celui-ci exige l’Alsace et une partie de la Lorraine. La défense de l’Alsace et de la Lorraine est un des paramètres qui explique la Commune de Paris, qui se révolte contre le nouveau gouvernement français. Le drame alsaco-lorrain « ployant sous le joug prussien » alimentera l’iconographie, les chants, les pamphlets, les innombrables récits patriotiques écrits entre 1870 et 1914. L’historien allemand Théodore Mommsen tente de justifier les exigences de son pays sur l’Alsace et la Lorraine. Le géographe français Fustel de Coulanges lui répond. 


 « Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est de race germanique et parce que son langage est l’allemand. Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité. Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les Etats. Chaque nation s’est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu’on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à l’Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche l’Ecosse se détacherait de l’Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la Russie et l’Autriche se diviseraient chacune en trois ou quatre tronçons, la Suisse se partagerait en deux, et assurément Posen se séparerait de Berlin (1). Votre théorie des races est contraire à tout l’état actuel de l’Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire. 
La langue n’est pas non plus le signe distinctif de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. On parle trois langue en Suisse : la Suisse est-elle moins une seule nation, et direz-vous qu’elle manque de patriotisme ? D’autre part, on parle anglais aux Etats-Unis ; voyez-vous que les Etats-Unis songent à rétablir le lien national qui les unissait autrefois à l’Angleterre ? Vous vous targuez de ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois la Marseillaise  ? 
Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie c’est ce qu’on aime. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV (2), c’est notre révolution de 1789. Depuis ce moment, l’Alsace a suivi toutes nos destinées ; elle a vécu notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et nos revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et nos douleurs. Elle n’a rien eu de commun avec vous. La patrie pour elle, c’est la France. L’étranger pour elle, c’est l’Allemagne. » 

  1. Ce grand-duché, créé en 1815 par le congrès de Vienne à partir de la plupart des territoires de la province historique de Grande-Pologne, fut cédé par le congrès à la Prusse, contre la promesse faite au peuple polonais d'auto-administration et de libre développement. Mais en 1849, il fut annexé purement et simplement par la Prusse, dont la capitale était Berlin. 
  2.  L’Alsace a été conquise et intégrée à la France sous Louis XIV, entre 1648 et 1681 



 Questionnaire préparatoire 
Comment le document est-il construit ? = un modèle d’argumentation 
1) Repérez dans le 1er § la thèse de Mommsen => Quels sont pour Mommsen, les 2 fondements de la nationalité ? 
2) Soulignez en bleu dans les 1er et 2e § les arguments qui réfutent la thèse de Mommsen. Dans quel "registre" Fustel de Coulanges choisit-il ses arguments ? 
3) Entourez en rouge les deux idées clés qui définissent la nation d’après FdC. 
4) Quel événement historique fonde, d’après FdC, le sentiment national français. Quel exemple en donne t-il ? 
5) FdC utilise de façon équivalente le mot patrie et l’expression « sentiment national ». Regardez dans un dictionnaire si patriotisme et nationalisme sont réellement des synonymes. 

Synthèse Vous montrerez que s’opposent deux conceptions de la nation : premièrement une conception citoyenne et politique. Deuxièmement une conception ethnique et culturelle. 
Pour approfondir Chacune de ces conceptions débouche sur des modes différents d’acquisition de la nationalité (Faites une recherche sur ce point)

mercredi 19 juin 2019

Evangélisation de l'Europe occidentale

extrait de l'article Bible de l'encyclopédie  Les barbares dirigée par B. Dumezil :

La Bible aux mains des barbares Le christianisme avait vocation à s’étendre au monde entier, donc à dépasser les frontières de l’Empire romain au sein duquel il était né. La prédication pour convertir les barbares aux marges de l’Empire fut précoce. Prisonniers chrétiens ou barbares, marchands faisant affaire de part et d’autre des frontières, barbares engagés dans l’armée romaine favorisèrent contacts et conversions. La Bible, dans ce processus, joua parfois un rôle, puisque le christianisme était une religion du livre. À l’origine composée en hébreu, en araméen et en grec, la Bible fit l’objet de traductions précoces dans d’autres langues, en plus du latin, langue administrative de l’Empire aux côtés du grec. Elle fut traduite en copte, parlé en Égypte, en syriaque, dialecte araméen pratiqué dans et hors de l’Empire, mais aussi en ge’ez (éthiopien ancien), en arménien, en géorgien, en gothique puis en slavon, langues d’au-delà les frontières de l’Empire. La Bible circula oralement en arabe avant le VIIe siècle. Les traductions écrites du Livre correspondirent souvent à la formalisation d’une langue écrite et d’une écriture compréhensibles par les populations locales : écriture et christianisation furent donc liées, comme dans le cas du slavon. Des résistances s’élevèrent contre ces traductions, surtout en Occident : on invoqua alors l’autorité d’Isidore de Séville, qui avait déclaré que les trois langues sacrées étaient l’hébreu, le grec, et le latin. En favorisant la création d’une langue littéraire propre à certains groupes barbares, la Bible contribua à la construction identitaire de ces derniers. Dans le cas des Goths, l’identité linguistique s’est doublée d’une spécificité religieuse. Si la Bible fut peut-être traduite en langue gotique dans l’entourage des premiers évêques en pays goth, de confession nicéenne, la version gothique aujourd’hui conservée porte l’empreinte d’une théologie arienne. Elle remonte à Ulfila, évêque en pays goth à partir de 341, arien et consacré par l’évêque arien de Nicomédie. Ulfila inventa pour cette traduction un vocabulaire chrétien et un alphabet nouveau, inspiré de la majuscule biblique grecque, de l’onciale latine et de runes. Son entreprise reposait sur une version grecque de la Bible. Ulfila prêcha une quarantaine d’années en latin, en grec, et en gotique, en pays goth ou dans l’Empire lors des persécutions des chefs goths païens. L’évangélisation d’Ulfila fut couronnée de succès : des Goths, le christianisme arien se propagea à d’autres groupes barbares, par exemple les Vandales. Il ne s’agit pourtant pas d’une évangélisation centralisée ou systématique : même après la mort d’Ulfila, des Goths nicéens sont attestés. Jérôme correspondit avec deux Goths, Sunnia et Frétéla, probablement nicéens : il répondit par lettre à leurs questions philologiques sur les Psaumes (Lettre 106). L’évangélisation et l’invention d’une langue littéraire pour traduire les Écritures ou les textes liturgiques n’étaient pas désintéressées : il s’agissait aussi, pour les États qui la promouvaient, d’étendre leur influence politique. La conversion du souverain de Grande-Arménie, au début du IVe siècle, a permis au royaume de signifier son autonomie face aux Sassanides et aux Romains ; un siècle plus tard, un moine arménien inventa un alphabet pour traduire la Bible dans la langue locale, plutôt que d’utiliser les versions grecques ou syriaques. En Grande-Moravie, les princes se convertirent sous l’influence des Carolingiens vers 831 et souhaitèrent ménager à leur Église une certaine autonomie. Confrontés aux réticences pontificales, ils firent appel aux Byzantins, lesquels dépêchèrent deux missionnaires, Cyrille et Méthode, dont la charge n’était plus tant d’évangéliser que d’organiser une Église autonome, sous influence byzantine plutôt que latine. Il en résulta une concurrence entre missions occidentales et orientales ; les deux camps prêchèrent en slave et Cyrille consolida son action en inventant un alphabet propre à transcrire cette langue et donc à traduire Bible et textes saints : le glagolitique. Cela ne suffit pas à convaincre les Moraves de rejoindre la chrétienté byzantine ; ils gagnèrent cependant la reconnaissance d’une identité et d’une langue liturgique propre, par la suite partagée avec d’autres populations. La Bible et ses usages, religieux et politiques, contribua donc au développement de la culture écrite dès l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ainsi qu’aux relations entre Romains et barbares habitant à l’intérieur et au-delà de l’Empire.

Dossier documentaire pour une activité avec les élèves


Doc 1 : St Patrick convertit les Irlandais (432-461)
Mais Patrice convertit Dichu, le premier homme qu'il baptisa en Ulster. Quand Pâques fut proche, Patrice pensa qu'il n'y avait pas d'endroit plus convenable pour célébrer la fête que la plaine de Breg près de Tara. Là il planta sa tente à Ferta Fer Féice et prépara le feu pascal. Il arriva que c'était l'époque où se célébrait la fête païenne de Tara. De tous côtés s'y rendaient les rois et les nobles, ainsi que les druides et les augures d'Irlande. Ce soir-là, il était interdit d'allumer aucun feu en Irlande avant le feu de Tara. Et voilà que les païens virent toute la plaine de Breg illuminée par le feu de Patrice. Les druides dirent que si ce feu n'était pas éteint cette nuit-là, il ne s'éteindrait jamais. Le roi fit atteler les chars et se rendit auprès de Patrice. Celui-ci adressa une prière à Dieu, et un tremblement de terre mit en fuite l'armée de Loégaire qui demanda la paix. Le lendemain, comme les hommes d'Irlande étaient assemblés à boire dans la grande salle du palais, les portes étant fermées, Patrice parut au milieu d'eux. Le roi le fit approcher de lui, et le chef des druides, LucatMoel, lui offrit une coupe empoisonnée : Patrice bénit la coupe et le liquide se figea; puis il renversa la coupe et en fit tomber le poison; il la bénit de nouveau et le contenu se liquéfia. Le druide, voyant ce prodige, provoqua Patrice à qui ferait le plus de merveilles et Patrice accepta le défi. 
Extrait de la Vie de st Patrick


Doc 2 : St Amand convertit les flamands (625-640)
C’est un disciple de St Colomban, moine irlandais qui a lancé un vaste mouvement d’évangélisation de l’Europe de l’ouest et du nord. L’Irlande n’a jamais été romanisée, et n’a donc jamais connu ni l’organisation civile en ‘cités’ ni l’organisation ecclésiastique en diocèses. Le pays a été évangélisé non par évêques, mais par des moines, d’abord à partir du monastère d’Armagh, fondé par saint Patrick. Par la suite, l’Irlande a développé une organisation ecclésiastique ayant pour centres les monastères. Les moines celtes vivaient de façon extrêmement ascétique et, suivant l’exemple de St Colomban, ils partirent en missionnaires – pèlerins à travers l’Europe, fondant au passage des monastères pour évangéliser les paysans païens et les rois locaux.

En cette même période, nous raconte son biographe, Amand qui parcourt «des lieux et des diocèses», entend parler d’une région sur l’Escaut, nommée Gand, dont les habitants, sous la coupe du Diable, adorent des arbres et des idoles. A cause de la «férocité» de ce peuple et de l’infertilité de la terre, aucun prêtre n’avait osé y aller pour annoncer la parole de Dieu. Amand le prend comme un défi. Il veut y aller prêcher la bonne parole, mais non sans se mettre sous la protection de l’évêque de Noyon et du roi Dagobert Ier († 639). Ce dernier l’autorise, au besoin, à baptiser les gens par la force. Cette nouvelle phase de la vie de saint Amand doit se situer entre 625 et 640. Sa mission en terre flamande n ’a pas été de tout repos. « Il y souffrit beaucoup d’afflictions pour le nom du Christ. Et pendant que ses compagnons, à cause du manque de nourriture et de vêtements, repartaient chez eux, il resta seul et de sa propre main, il tournait la meule et mangeait du pain mélangé à de la cendre. Et souvent, quand il détruisit des sanctuaires païens, il fut battu par des femmes et des hommes et jeté dans le fleuve. Mais il racheta des captifs de leur esclavage et les conduisit à la grâce du baptême. » (Vie de St Amand) A Tournai, à l’occasion d’une réunion de dignitaires francs, ce n’est pas seulement la prédication évangélique qui impressionne les habitants, mais encore un grand miracle, la résurrection d’un homme exécuté par pendaison, après avoir été torturé. Le biographe parle de conversions massives dans la région. Après sa mission auprès des Flamands, saint Amand se tourne vers un nouveau terrain d’action : le roi Dagobert Ier. Celui-ci avait un penchant immodéré pour la gent féminine, mais, comble de paradoxe, toujours pas d’héritier. Or, il en naît un, en 630/631, des relations intimes entretenues pendant un voyage en Austrasie avec une jeune fille nommée Ragnétrude. C’est le futur Sigebert III. Dagobert tient absolument à ce que le petit soit baptisé par Amand. Mais il y a un problème, et de taille ! Car Amand n’est pas là, puisqu’il a été expulsé du royaume par ce même Dagobert, sûrement pour lui avoir reproché la liberté de ses mœurs.
2bis (doc d'accompagnement)



Document 3 : Charlemagne évangélise les Saxons (772-802)
« Aucune guerre ne fut plus longue, plus atroce, plus pénible pour le peuple franc que la guerre de Saxe. Car les Saxons, comme presque toutes les nations de Germanie, étaient d’un naturel féroce ; ils pratiquaient le culte des démons et se montraient ennemis de notre religion. La guerre fut menée des deux côtés avec une égale vigueur et se poursuivit pendant trente –trois  années  consécutives [...]. Elle  ne s’acheva que lorsque les Saxons eurent accepté les conditions imposées par le roi Charles : abandon du culte des idoles, adoption de la foi et de la religion chrétienne, fusion avec le peuple franc en un peuple unique ».

 Eginhard, La vie de Charlemagne, IXe siècle


3bis (doc d'accompagnement)

Charlemagne détruit le sanctuaire saxon d'Irminsul, faisant disparaître un lieu de sacrifices païens. Selon les Saxons, Irminsul était un arbre soutenant le Ciel, près de la Weser. En représailles, les Saxons s'attaquent au monastère de Fritzlar dans la Hesse et pillent l'évêché de Büraburg. Charlemagne fait décapiter plusieurs milliers de prisonniers saxons à Verden et ordonne la déportation de plusieurs clans vers le royaume des Francs. Il édicte en 785 un premier capitulaire saxon (De partibus Saxoniae) qui condamne sévèrement (peine de mort) les meurtres de prêtres, les pratiques païennes (incinération). Il met en place le baptême forcé et exige des Saxons qu'ils prêtent serment de fidélité au roi des Francs. En 792-793, une nouvelle révolte agite la Saxe alors que l'évangélisation ne donne aucun résultat. Le baptême de Widukind au palais royal d'Attigny sous le parrainage de Charlemagne devait convertir les élites saxonnes et ramener la paix. Les déportations se poursuivent pourtant ici ou là. En 797, Charlemagne instaure un nouveau capitulaire saxon, plus clément que le précédent. La peine de mort est abolie contre les païens et commuée en amendes. Les troubles cessent progressivement vers 799. Enfin, vers 802-803, la loi des Saxons est mise par écrit et intègre la Saxe dans le nouvel Empire carolingien.

Questions

1) Quelles sont les formes possibles d’évangélisation d’un territoire : qui ? comment ? (doc 1 à 3)

2) Montrez que les moines évangélisateurs sont présentés comme des héros* par les Vies de saints, qui servent de modèles aux chrétiens.(doc 1 et 2)
*Faites attention aux multiples sens de ce mot

3) Montrez qu’il n’est pas question de liberté religieuse au Moyen-âge.(doc 1 et 3)

4) Quelles sont les relations entre les moines évangélisateurs et les rois chrétiens ? (doc 2)




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