extrait de l'article Bible de l'encyclopédie Les barbares dirigée par B. Dumezil :
La Bible aux mains des barbares Le christianisme avait vocation à s’étendre au monde entier, donc à dépasser les frontières de l’Empire romain au sein duquel il était né. La prédication pour convertir les barbares aux marges de l’Empire fut précoce. Prisonniers chrétiens ou barbares, marchands faisant affaire de part et d’autre des frontières, barbares engagés dans l’armée romaine favorisèrent contacts et conversions. La Bible, dans ce processus, joua parfois un rôle, puisque le christianisme était une religion du livre. À l’origine composée en hébreu, en araméen et en grec, la Bible fit l’objet de traductions précoces dans d’autres langues, en plus du latin, langue administrative de l’Empire aux côtés du grec. Elle fut traduite en copte, parlé en Égypte, en syriaque, dialecte araméen pratiqué dans et hors de l’Empire, mais aussi en ge’ez (éthiopien ancien), en arménien, en géorgien, en gothique puis en slavon, langues d’au-delà les frontières de l’Empire. La Bible circula oralement en arabe avant le VIIe siècle. Les traductions écrites du Livre correspondirent souvent à la formalisation d’une langue écrite et d’une écriture compréhensibles par les populations locales : écriture et christianisation furent donc liées, comme dans le cas du slavon. Des résistances s’élevèrent contre ces traductions, surtout en Occident : on invoqua alors l’autorité d’Isidore de Séville, qui avait déclaré que les trois langues sacrées étaient l’hébreu, le grec, et le latin. En favorisant la création d’une langue littéraire propre à certains groupes barbares, la Bible contribua à la construction identitaire de ces derniers. Dans le cas des Goths, l’identité linguistique s’est doublée d’une spécificité religieuse. Si la Bible fut peut-être traduite en langue gotique dans l’entourage des premiers évêques en pays goth, de confession nicéenne, la version gothique aujourd’hui conservée porte l’empreinte d’une théologie arienne. Elle remonte à Ulfila, évêque en pays goth à partir de 341, arien et consacré par l’évêque arien de Nicomédie. Ulfila inventa pour cette traduction un vocabulaire chrétien et un alphabet nouveau, inspiré de la majuscule biblique grecque, de l’onciale latine et de runes. Son entreprise reposait sur une version grecque de la Bible. Ulfila prêcha une quarantaine d’années en latin, en grec, et en gotique, en pays goth ou dans l’Empire lors des persécutions des chefs goths païens. L’évangélisation d’Ulfila fut couronnée de succès : des Goths, le christianisme arien se propagea à d’autres groupes barbares, par exemple les Vandales. Il ne s’agit pourtant pas d’une évangélisation centralisée ou systématique : même après la mort d’Ulfila, des Goths nicéens sont attestés. Jérôme correspondit avec deux Goths, Sunnia et Frétéla, probablement nicéens : il répondit par lettre à leurs questions philologiques sur les Psaumes (Lettre 106). L’évangélisation et l’invention d’une langue littéraire pour traduire les Écritures ou les textes liturgiques n’étaient pas désintéressées : il s’agissait aussi, pour les États qui la promouvaient, d’étendre leur influence politique. La conversion du souverain de Grande-Arménie, au début du IVe siècle, a permis au royaume de signifier son autonomie face aux Sassanides et aux Romains ; un siècle plus tard, un moine arménien inventa un alphabet pour traduire la Bible dans la langue locale, plutôt que d’utiliser les versions grecques ou syriaques. En Grande-Moravie, les princes se convertirent sous l’influence des Carolingiens vers 831 et souhaitèrent ménager à leur Église une certaine autonomie. Confrontés aux réticences pontificales, ils firent appel aux Byzantins, lesquels dépêchèrent deux missionnaires, Cyrille et Méthode, dont la charge n’était plus tant d’évangéliser que d’organiser une Église autonome, sous influence byzantine plutôt que latine. Il en résulta une concurrence entre missions occidentales et orientales ; les deux camps prêchèrent en slave et Cyrille consolida son action en inventant un alphabet propre à transcrire cette langue et donc à traduire Bible et textes saints : le glagolitique. Cela ne suffit pas à convaincre les Moraves de rejoindre la chrétienté byzantine ; ils gagnèrent cependant la reconnaissance d’une identité et d’une langue liturgique propre, par la suite partagée avec d’autres populations. La Bible et ses usages, religieux et politiques, contribua donc au développement de la culture écrite dès l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ainsi qu’aux relations entre Romains et barbares habitant à l’intérieur et au-delà de l’Empire.
La Bible aux mains des barbares Le christianisme avait vocation à s’étendre au monde entier, donc à dépasser les frontières de l’Empire romain au sein duquel il était né. La prédication pour convertir les barbares aux marges de l’Empire fut précoce. Prisonniers chrétiens ou barbares, marchands faisant affaire de part et d’autre des frontières, barbares engagés dans l’armée romaine favorisèrent contacts et conversions. La Bible, dans ce processus, joua parfois un rôle, puisque le christianisme était une religion du livre. À l’origine composée en hébreu, en araméen et en grec, la Bible fit l’objet de traductions précoces dans d’autres langues, en plus du latin, langue administrative de l’Empire aux côtés du grec. Elle fut traduite en copte, parlé en Égypte, en syriaque, dialecte araméen pratiqué dans et hors de l’Empire, mais aussi en ge’ez (éthiopien ancien), en arménien, en géorgien, en gothique puis en slavon, langues d’au-delà les frontières de l’Empire. La Bible circula oralement en arabe avant le VIIe siècle. Les traductions écrites du Livre correspondirent souvent à la formalisation d’une langue écrite et d’une écriture compréhensibles par les populations locales : écriture et christianisation furent donc liées, comme dans le cas du slavon. Des résistances s’élevèrent contre ces traductions, surtout en Occident : on invoqua alors l’autorité d’Isidore de Séville, qui avait déclaré que les trois langues sacrées étaient l’hébreu, le grec, et le latin. En favorisant la création d’une langue littéraire propre à certains groupes barbares, la Bible contribua à la construction identitaire de ces derniers. Dans le cas des Goths, l’identité linguistique s’est doublée d’une spécificité religieuse. Si la Bible fut peut-être traduite en langue gotique dans l’entourage des premiers évêques en pays goth, de confession nicéenne, la version gothique aujourd’hui conservée porte l’empreinte d’une théologie arienne. Elle remonte à Ulfila, évêque en pays goth à partir de 341, arien et consacré par l’évêque arien de Nicomédie. Ulfila inventa pour cette traduction un vocabulaire chrétien et un alphabet nouveau, inspiré de la majuscule biblique grecque, de l’onciale latine et de runes. Son entreprise reposait sur une version grecque de la Bible. Ulfila prêcha une quarantaine d’années en latin, en grec, et en gotique, en pays goth ou dans l’Empire lors des persécutions des chefs goths païens. L’évangélisation d’Ulfila fut couronnée de succès : des Goths, le christianisme arien se propagea à d’autres groupes barbares, par exemple les Vandales. Il ne s’agit pourtant pas d’une évangélisation centralisée ou systématique : même après la mort d’Ulfila, des Goths nicéens sont attestés. Jérôme correspondit avec deux Goths, Sunnia et Frétéla, probablement nicéens : il répondit par lettre à leurs questions philologiques sur les Psaumes (Lettre 106). L’évangélisation et l’invention d’une langue littéraire pour traduire les Écritures ou les textes liturgiques n’étaient pas désintéressées : il s’agissait aussi, pour les États qui la promouvaient, d’étendre leur influence politique. La conversion du souverain de Grande-Arménie, au début du IVe siècle, a permis au royaume de signifier son autonomie face aux Sassanides et aux Romains ; un siècle plus tard, un moine arménien inventa un alphabet pour traduire la Bible dans la langue locale, plutôt que d’utiliser les versions grecques ou syriaques. En Grande-Moravie, les princes se convertirent sous l’influence des Carolingiens vers 831 et souhaitèrent ménager à leur Église une certaine autonomie. Confrontés aux réticences pontificales, ils firent appel aux Byzantins, lesquels dépêchèrent deux missionnaires, Cyrille et Méthode, dont la charge n’était plus tant d’évangéliser que d’organiser une Église autonome, sous influence byzantine plutôt que latine. Il en résulta une concurrence entre missions occidentales et orientales ; les deux camps prêchèrent en slave et Cyrille consolida son action en inventant un alphabet propre à transcrire cette langue et donc à traduire Bible et textes saints : le glagolitique. Cela ne suffit pas à convaincre les Moraves de rejoindre la chrétienté byzantine ; ils gagnèrent cependant la reconnaissance d’une identité et d’une langue liturgique propre, par la suite partagée avec d’autres populations. La Bible et ses usages, religieux et politiques, contribua donc au développement de la culture écrite dès l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ainsi qu’aux relations entre Romains et barbares habitant à l’intérieur et au-delà de l’Empire.
Dossier documentaire pour une activité avec les élèves
Doc 1 : St
Patrick convertit les Irlandais (432-461)
Mais Patrice convertit Dichu, le premier homme qu'il baptisa en Ulster. Quand Pâques fut proche, Patrice pensa qu'il n'y avait pas d'endroit plus convenable pour célébrer la fête que la plaine de Breg près de Tara. Là il planta sa tente à Ferta Fer Féice et prépara le feu pascal. Il arriva que c'était l'époque où se célébrait la fête païenne de Tara. De tous côtés s'y rendaient les rois et les nobles, ainsi que les druides et les augures d'Irlande. Ce soir-là, il était interdit d'allumer aucun feu en Irlande avant le feu de Tara. Et voilà que les païens virent toute la plaine de Breg illuminée par le feu de Patrice. Les druides dirent que si ce feu n'était pas éteint cette nuit-là, il ne s'éteindrait jamais. Le roi fit atteler les chars et se rendit auprès de Patrice. Celui-ci adressa une prière à Dieu, et un tremblement de terre mit en fuite l'armée de Loégaire qui demanda la paix. Le lendemain, comme les hommes d'Irlande étaient assemblés à boire dans la grande salle du palais, les portes étant fermées, Patrice parut au milieu d'eux. Le roi le fit approcher de lui, et le chef des druides, LucatMoel, lui offrit une coupe empoisonnée : Patrice bénit la coupe et le liquide se figea; puis il renversa la coupe et en fit tomber le poison; il la bénit de nouveau et le contenu se liquéfia. Le druide, voyant ce prodige, provoqua Patrice à qui ferait le plus de merveilles et Patrice accepta le défi.
Extrait de la Vie de st Patrick
Doc 2 : St Amand
convertit les flamands (625-640)
C’est un disciple de St Colomban, moine irlandais qui a lancé un vaste mouvement d’évangélisation de l’Europe de l’ouest et du nord. L’Irlande n’a jamais été romanisée, et n’a donc jamais connu ni l’organisation civile en ‘cités’ ni l’organisation ecclésiastique en diocèses. Le pays a été évangélisé non par évêques, mais par des moines, d’abord à partir du monastère d’Armagh, fondé par saint Patrick. Par la suite, l’Irlande a développé une organisation ecclésiastique ayant pour centres les monastères. Les moines celtes vivaient de façon extrêmement ascétique et, suivant l’exemple de St Colomban, ils partirent en missionnaires – pèlerins à travers l’Europe, fondant au passage des monastères pour évangéliser les paysans païens et les rois locaux.
En cette même période, nous raconte son biographe,
Amand qui parcourt «des lieux et des diocèses», entend parler d’une région sur
l’Escaut, nommée Gand, dont les habitants, sous la coupe du Diable, adorent des
arbres et des idoles. A cause de la «férocité» de ce peuple et de l’infertilité
de la terre, aucun prêtre n’avait osé y aller pour annoncer la parole de Dieu.
Amand le prend comme un défi. Il veut y aller prêcher la bonne parole, mais non
sans se mettre sous la protection de l’évêque de Noyon et du roi Dagobert Ier (†
639). Ce dernier l’autorise, au besoin, à baptiser les gens par la force. Cette
nouvelle phase de la vie de saint Amand doit se situer entre 625 et 640. Sa
mission en terre flamande n ’a pas été de tout repos. « Il y souffrit
beaucoup d’afflictions pour le nom du Christ. Et pendant que ses compagnons, à
cause du manque de nourriture et de vêtements, repartaient chez eux, il resta
seul et de sa propre main, il tournait la meule et mangeait du pain mélangé à
de la cendre. Et souvent, quand il détruisit des sanctuaires païens, il fut
battu par des femmes et des hommes et jeté dans le fleuve. Mais il racheta des
captifs de leur esclavage et les conduisit à la grâce du baptême. » (Vie
de St Amand) A Tournai, à l’occasion d’une réunion de dignitaires francs,
ce n’est pas seulement la prédication évangélique qui impressionne les
habitants, mais encore un grand miracle, la résurrection d’un homme exécuté par
pendaison, après avoir été torturé. Le biographe parle de conversions massives
dans la région. Après sa mission auprès des Flamands, saint Amand se tourne
vers un nouveau terrain d’action : le roi Dagobert Ier. Celui-ci avait un
penchant immodéré pour la gent féminine, mais, comble de paradoxe, toujours pas
d’héritier. Or, il en naît un, en 630/631, des relations intimes entretenues
pendant un voyage en Austrasie avec une jeune fille nommée Ragnétrude. C’est le
futur Sigebert III. Dagobert tient absolument à ce que le petit soit baptisé
par Amand. Mais il y a un problème, et de taille ! Car Amand n’est pas là,
puisqu’il a été expulsé du royaume par ce même Dagobert, sûrement pour lui
avoir reproché la liberté de ses mœurs.
2bis (doc d'accompagnement)
Document 3 : Charlemagne évangélise les Saxons
(772-802)
« Aucune guerre
ne fut plus longue, plus atroce, plus pénible pour le peuple franc que la guerre
de Saxe. Car les Saxons, comme presque toutes les nations de Germanie, étaient d’un
naturel féroce ; ils pratiquaient le culte des démons et se montraient ennemis de
notre religion. La guerre fut menée des deux côtés avec une égale vigueur et se
poursuivit pendant trente –trois années consécutives [...]. Elle ne s’acheva que lorsque les Saxons eurent accepté
les conditions imposées par le roi Charles : abandon du culte des idoles, adoption
de la foi et de la religion chrétienne, fusion avec le peuple franc en un peuple
unique ».
Eginhard, La vie de Charlemagne, IXe siècle
3bis (doc d'accompagnement)
Charlemagne
détruit le sanctuaire saxon d'Irminsul, faisant disparaître un lieu de sacrifices païens.
Selon les Saxons, Irminsul était un arbre soutenant le Ciel, près de la Weser. En représailles, les
Saxons s'attaquent au monastère de Fritzlar dans
la Hesse et pillent l'évêché de Büraburg.
Charlemagne fait décapiter plusieurs milliers de prisonniers saxons à Verden et ordonne la déportation de
plusieurs clans vers le royaume des Francs. Il édicte en 785 un premier capitulaire
saxon (De
partibus Saxoniae) qui condamne
sévèrement (peine de mort) les meurtres de prêtres, les pratiques païennes
(incinération). Il met en place le baptême forcé et exige des Saxons qu'ils
prêtent serment de fidélité au roi des Francs. En 792-793, une nouvelle révolte agite la Saxe alors que
l'évangélisation ne donne aucun résultat. Le baptême de Widukind au
palais royal d'Attigny sous le parrainage de Charlemagne devait convertir les
élites saxonnes et ramener la paix. Les déportations se poursuivent pourtant
ici ou là. En 797,
Charlemagne instaure un nouveau capitulaire saxon, plus clément que le
précédent. La peine de mort est abolie contre les païens et commuée en amendes.
Les troubles cessent progressivement vers 799. Enfin, vers 802-803, la loi des Saxons est mise par écrit et intègre la Saxe dans le
nouvel Empire carolingien.
Questions
1) Quelles sont les formes possibles d’évangélisation d’un territoire : qui ? comment ? (doc 1 à 3)2) Montrez que les moines évangélisateurs sont présentés comme des héros* par les Vies de saints, qui servent de modèles aux chrétiens.(doc 1 et 2)
*Faites attention aux multiples sens de ce mot
3) Montrez qu’il n’est pas question de liberté religieuse au Moyen-âge.(doc 1 et 3)
4) Quelles sont les relations entre les moines évangélisateurs et les rois chrétiens ? (doc 2)