jeudi 20 juin 2019

Définir la "nation"

L’idée de Nation apparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle en même temps que l’idée d’Etat-Nation. Sous l’Ancien Régime, le terme existait déjà : il désignait les peuples. Mais au XIXe siècle, ce mot de nation va prendre de nouvelles significations, plus politiques 

 Doc : L’Alsace est-elle allemande ou française ? 

 En introduction du commentaire de texte, il faut présenter la nature de ce document et son contexte historique. Ce texte date du 27 octobre 1870 ; il est postérieur à la guerre de 1870 entre l’Empire allemand et l’Empire français. Le 28 janvier, le gouvernement français signe un armistice avec Bismarck, chancelier de Guillaume Ier. Lors des préliminaires de paix, celui-ci exige l’Alsace et une partie de la Lorraine. La défense de l’Alsace et de la Lorraine est un des paramètres qui explique la Commune de Paris, qui se révolte contre le nouveau gouvernement français. Le drame alsaco-lorrain « ployant sous le joug prussien » alimentera l’iconographie, les chants, les pamphlets, les innombrables récits patriotiques écrits entre 1870 et 1914. L’historien allemand Théodore Mommsen tente de justifier les exigences de son pays sur l’Alsace et la Lorraine. Le géographe français Fustel de Coulanges lui répond. 


 « Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est de race germanique et parce que son langage est l’allemand. Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité. Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les Etats. Chaque nation s’est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu’on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à l’Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche l’Ecosse se détacherait de l’Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la Russie et l’Autriche se diviseraient chacune en trois ou quatre tronçons, la Suisse se partagerait en deux, et assurément Posen se séparerait de Berlin (1). Votre théorie des races est contraire à tout l’état actuel de l’Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire. 
La langue n’est pas non plus le signe distinctif de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. On parle trois langue en Suisse : la Suisse est-elle moins une seule nation, et direz-vous qu’elle manque de patriotisme ? D’autre part, on parle anglais aux Etats-Unis ; voyez-vous que les Etats-Unis songent à rétablir le lien national qui les unissait autrefois à l’Angleterre ? Vous vous targuez de ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois la Marseillaise  ? 
Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie c’est ce qu’on aime. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV (2), c’est notre révolution de 1789. Depuis ce moment, l’Alsace a suivi toutes nos destinées ; elle a vécu notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et nos revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et nos douleurs. Elle n’a rien eu de commun avec vous. La patrie pour elle, c’est la France. L’étranger pour elle, c’est l’Allemagne. » 

  1. Ce grand-duché, créé en 1815 par le congrès de Vienne à partir de la plupart des territoires de la province historique de Grande-Pologne, fut cédé par le congrès à la Prusse, contre la promesse faite au peuple polonais d'auto-administration et de libre développement. Mais en 1849, il fut annexé purement et simplement par la Prusse, dont la capitale était Berlin. 
  2.  L’Alsace a été conquise et intégrée à la France sous Louis XIV, entre 1648 et 1681 



 Questionnaire préparatoire 
Comment le document est-il construit ? = un modèle d’argumentation 
1) Repérez dans le 1er § la thèse de Mommsen => Quels sont pour Mommsen, les 2 fondements de la nationalité ? 
2) Soulignez en bleu dans les 1er et 2e § les arguments qui réfutent la thèse de Mommsen. Dans quel "registre" Fustel de Coulanges choisit-il ses arguments ? 
3) Entourez en rouge les deux idées clés qui définissent la nation d’après FdC. 
4) Quel événement historique fonde, d’après FdC, le sentiment national français. Quel exemple en donne t-il ? 
5) FdC utilise de façon équivalente le mot patrie et l’expression « sentiment national ». Regardez dans un dictionnaire si patriotisme et nationalisme sont réellement des synonymes. 

Synthèse Vous montrerez que s’opposent deux conceptions de la nation : premièrement une conception citoyenne et politique. Deuxièmement une conception ethnique et culturelle. 
Pour approfondir Chacune de ces conceptions débouche sur des modes différents d’acquisition de la nationalité (Faites une recherche sur ce point)

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