lundi 17 juin 2019

Anatomie d'un instant (...espagnol)





Un roman intéressant à plus d'un titre.

Mes collègues de HLP seront sans doute intéressés par le prologue où Javier Cercas répond à la question qu'il se pose à lui-même : "Comment ai-je eu l'idée d'écrire une fiction sur le 23 février ?" . Il y répond sur 13 pages, mais les trois premières sont lumineuses et seraient, je le crois, d'une étude fructueuse avec des élèves. Quelques citations pour vous appâter :

"J'ai lu mi-mars 2008 que d'après une enquête publiée au Royaume-Uni, un quart des Anglais pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction". "...la télévision [...]le principal fabricant de réalité en même temps que le principal fabricant d'irréalité de la planète, [or] l'un des caractéristiques du coup d'Etat du 23 février est justement d'avoir été enregistré par la télévision et retransmis dans le monde entier." "...la vie publique du lieutenant-colonel putschiste se résume aux quelques secondes retransmises tous les ans lors desquelles, coiffé de son tricorne et brandissant son pistolet réglementaire 9 millimètres court, il fait irruption dans l'hémicycle du Congrès et humilie à coups de feu les députés présents. Nous savons certes qu'il s'agit d'un personnage réel, mais en fait il est irréel ; nous savons certes qu'il s'agit d'une image réelle, mais en fait elle est irréelle..." "...s'agissant du coup d'Etat du 23 février, il est difficile de distinguer le réel du fictif."

Au final, l'auteur fait le constat de l’échec de son projet initial : "étant incapable d'inventer ce que je sais de l'événement pour tenter d'en illuminer la réalité par la fiction, je me suis résigné à la raconter. [...] ainsi, même s'il n'est pas un roman, il ne renonce pas entièrement à être lu comme tel, voire même comme une singulière version expérimentale des Trois Mousquetaires."

Les professeurs en charge de la spécialité HGGSP qui ont à traiter du passage de la dictature à la démocratie et inversement, dans le thème consacré à la Démocratie (afin que nos élèves soient bien conscients que la démocratie n'est pas une donnée de nature, mais un acquis historique)  doivent justement "passer" (référence aux Points de Passage et d'Ouverture du programme de tronc commun) par l'Espagne et le Portugal entre  1974 et 1982. Un des rares espaces de liberté pédagogique qui nous reste concerne les modalités de traitement de ces jalons. Je propose ici de faire réaliser une fiche de lecture à un groupe d'élèves, sur la base d'un sélection de passages du roman...qui fait tout de même environ 400 pages.

  • Les incipit des cinq parties qui décrivent la scène de l'hémicycle, celle-là même qui fut diffusée le lendemain des faits, quand l'affaire était réglée et le risque d'un retour au franquisme définitivement écarté.

  • Les chapitres I 2; I 4 jusqu'à  "champ de pierres désolé"; I 6 jusqu'à "c'est alors qu'ils deviennent un instrument utile aux putschistes" ; I 8 ; I 11 à partir de "rien ne semblait non plus laisser prévoir au Pardo, à quelques kilomètres seulement de Madrid..." ; II 1 de "le général n'aurait pas accepté cette interprétation" à "en ajoutant un opprobre à celui qui existait déjà"  ; II 5 ;    III 4; III 5 jusqu'à "une époque que le pays entier semblait impatient de clore" ;  IV8 ; V2 à partir de "La mort de Franco"; V3 à partir de "Au début de son mandat"    
  • L'épilogue



L'objectif des élèves serait donc de dégager du récit les éléments de connaissance qui doivent permettre de rendre compte de l'événement, de ses causes et du contexte, des rapports de forces en présence et d'expliquer son dénouement.

Un tel saucissonnage n'empêchera pas, je l'espère, les élève de reconnaître qu'il y a du style et, qui sait, peut-être liront-ils le livre en entier.











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