dimanche 9 juin 2019

Europacity et le Grand Paris

Dans le cadre de la construction du cours de 1ere sur la métropolisation en France, une réflexion engagée sur la signification paradigmatique d'un projet comme EuropaCity.

Mais tout d'abord, un reportage récent :




EUROPA CITY : un projet architectural en France portant ce nom interpelle fatalement. L’expression évoque la ville s’installant dans les champs du Triangle de Gonesse, en région parisienne. Elle nous parle d’une Europe des loisirs dans la langue anglaise des affaires, avec, selon la communication de ses promoteurs, « un montant d’investissement privé de 3,1 milliards d’euros ».

Membre du collectif Plicontrib, qui publie régulièrement des articles sur ce « projet inutile », Marco Papetti partage ici une enquête et une réflexion. Au fil de sa pensée, exprimée « à voix haute », sur cette « nouvelle destination des loisirs du Grand Paris », il insiste sur les limites de cette analyse théorique. «Il s’agit là d’une intuition vis-à-vis d’un événement symbolique : telle hypothèse, qui implique une distinction formelle entre deux types de capitalisme, reste à prouver et à vérifier, et nécessite un travail de recherche approfondi. »
par Marco Papetti. Source Visioncarto.net



Le triangle de Gonesse (paris-luttes.info)
Quand on arrive à Gonesse par le sud-est on traverse un paysage urbain bétonné qui enveloppe une des dernières terres agricoles fertiles cultivées de la région, sorte de zone tampon à l’écart du centre. On peut y ressentir une atmosphère de désolation, d’abandon et d’isolement. Un no man’s land, apparemment sans vie sociale. Ces non-lieux qui encerclent le Triangle sont des axes routiers, des centres commerciaux, des bureaux, des hangars et des entrepôts. Une grisaille et une intense laideur s’en dégagent. C’est au milieu de ce décor qu’Europa City devrait voir le jour sur les 700 hectares de terres cultivées qu’on appelle « Triangle de Gonesse ». Le projet, à vocation commerciale, touristique, culturelle et surtout écoresponsable, est emblématique du développement du capitalisme financier et mondialisé sur le territoire de l’Île de France dans le cadre du Grand Paris, dont l’ambition d’étalement vise à intégrer les banlieues du 93 et du 95.



Depuis le Triangle de Gonesse, la vue s’étend sur la plaine environnante. Par un ciel sans nuage et sans pollution, on aperçoit Paris au loin. Puis les yeux se posent sur la friche industrielle de PSA Aulnay qui a définitivement fermé en 2013. Le site est aujourd’hui un monument historique de la modernité : ruine du passé, cadavre d’un temps révolu, épave industrielle abandonnée à son destin rouillé. On peut voir dans cette opération une sorte de passage de témoin entre l’usine automobile désaffectée et Europa City, un symbole des métamorphoses profondes du capitalisme.

Le passage de témoin entre PSA Aulnay et Europa City

Dans le contexte du Grand Paris et du Triangle de Gonesse, le projet d’Europa City illustre le passage d’un vieux capitalisme ancré dans l’espace de l’État-nation à un capitalisme mondialisé. Le premier érigé sur un modèle industriel productiviste, le suivant sur la spéculation financière et immobilière, les échanges internationaux, l’emprise des multinationales, le tourisme et les loisirs, le secteur tertiaire et les services, les médias et les communications, la « culture », le travail linguistique et cognitif, les soins et de la formation. [...] 
Démantèlement de l’usine PSA
CGT PSA-Aulnay, mai 2014

Image promotionnelle, EuropaCity Flickr, licence CC
« La vie nocturne d’EuropaCity » fantasmée par ses promoteurs
« Ce nouveau quartier à 25 minutes de Paris permettra aux visiteurs de pouvoir se retrouver pour assister à de grands évènements sportifs ou à leurs rediffusions en direct, à des concerts en plein air, à des parades, à des flash mobs géants… des moments ensemble, festifs et toujours plus surprenants ! »
EuropaCity Flickr - licence CC

Le Grand Paris : l’extension de la métropole par-delà le périphérique

Or, si l’usine représentait le centre productif du capitalisme fordiste et industriel, le nouveau capitalisme néolibéral vise la métropole en tant qu’espace fondamental de production de la richesse financière. Et c’est bien l’ambition du Grand Paris et particulièrement d’Europa City qui a, selon son promoteur Immochan (filiale du groupe Auchan spécialisée dans la gestion de parcs commerciaux), vocation à devenir la living city de Gonesse. À la symbolique de l’usine solidement ancrée dans son territoire s’est substituée celle de services volatiles, de l’ubérisation et du précariat massif .
Mais en réalité, la métropole n’est pas comparable à l’usine . La métropole est un espace bien plus considérable, complexe, dense, stratifié, chaotique, contradictoire, sillonné de frontières et de flux humains, économiques, productifs, informatifs, technologiques multiples, plus rapides et plus puissants. Surtout, la métropole contemporaine n’est pas homogène, marquée par des dichotomies économiques, des fractures sociales, des diversités historiques et géographiques et des ségrégations raciales héritées du vieux monde. La valorisation de la production intensive et financière des richesses se joue désormais au centre de la métropole. Dans le contexte spécifique de la région parisienne, l’expression intra-muros décrit le rôle tenu par la ceinture du périphérique qui à la fois englobe la ville et la coupe de ses banlieues ; une ceinture qui agit comme un mur, comme une frontière. À Paris, un peu plus de 2 millions de personnes vivent dans la ville dite intra-muros tandis que la grande majorité de la population francilienne (10 millions d’habitants) vit en banlieue, c’est-à-dire extra-muros. Toutefois, la distinction entre intra-muros et extra-muros doit être considérée avec une certaine réserve. En effet, la ville intra-muros et les banlieues extra-muros sont loin d’incarner des espaces homogènes : certaines banlieues résidentielles sont très riches et il existe quelques quartiers relativement pauvres et populaires à Paris. En outre, la région parisienne intra-muros ne se réduit pas aux seuls espaces urbanisés, les frontières sont floues. Les « zones péri-urbaines », ainsi définies par les géographes, désignent les franges de la métropole longeant les campagnes. Il s’agit de territoires pleinement intégrés dans l’économie de la métropole. De ce fait, comment situer le Triangle de Gonesse ? Peut-on parler de zone hybride, mélange de banlieue (la ville de Gonesse) et de zone péri-urbaine (le Triangle lui-même) ?
Dans ce contexte, des questions fondamentales se posent : Quelle place tiennent les banlieues - et surtout les banlieues pauvres - dans le régime capitaliste d’accumulation des richesses ? Quels sont leurs rôles dans le dispositif productif de la métropole ? À quelle fonction et quelle stratégie répond l’extension en banlieue du Grand Paris ? Quelles seront les conséquences de ce processus sur les conditions de travail et les modes de vie des habitants des banlieues, notamment dans ces recoins aussi pauvres que Gonesse ?


Pour replacer cet exemple dans un contexte plus large et faire des liens avec d'autres cours

  • la bétonisation des sols agricoles




  • les moches entrées de ville : l'ex de Plan de Campagne




  • Villes et aménagement du periurbain

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