Mais tout d'abord, un reportage récent :
EUROPA CITY : un
projet architectural en France portant ce nom interpelle fatalement.
L’expression évoque la ville s’installant dans les champs du Triangle de
Gonesse, en région parisienne. Elle nous parle d’une Europe des loisirs dans la
langue anglaise des affaires, avec, selon la communication de ses promoteurs,
« un montant d’investissement privé
de 3,1 milliards d’euros ».
Membre du
collectif Plicontrib, qui publie régulièrement des articles sur ce « projet
inutile », Marco Papetti partage ici une enquête et une réflexion. Au
fil de sa pensée, exprimée « à voix haute », sur cette
« nouvelle destination des loisirs du Grand Paris », il insiste sur
les limites de cette analyse théorique. «Il s’agit là d’une intuition
vis-à-vis d’un événement symbolique : telle hypothèse, qui implique une
distinction formelle entre deux types de capitalisme, reste à prouver et à
vérifier, et nécessite un travail de recherche approfondi. »
par Marco Papetti. Source Visioncarto.net
Le triangle de Gonesse (paris-luttes.info) |
Quand on
arrive à Gonesse par le sud-est on traverse un paysage urbain bétonné qui
enveloppe une des dernières terres agricoles fertiles cultivées de la région,
sorte de zone tampon à l’écart du centre. On peut y ressentir une atmosphère de
désolation, d’abandon et d’isolement. Un no man’s land, apparemment
sans vie sociale. Ces non-lieux qui encerclent le Triangle
sont des axes routiers, des centres commerciaux, des bureaux, des hangars et
des entrepôts. Une grisaille et une intense laideur s’en dégagent. C’est au milieu de ce
décor qu’Europa City devrait voir le jour sur les 700 hectares de terres
cultivées qu’on appelle « Triangle de Gonesse ». Le projet,
à vocation commerciale, touristique, culturelle et surtout écoresponsable,
est emblématique du développement du capitalisme financier et mondialisé sur le
territoire de l’Île de France dans le cadre du Grand Paris, dont l’ambition
d’étalement vise à intégrer les banlieues du 93 et du 95.
Depuis le Triangle de
Gonesse, la vue s’étend sur la plaine environnante. Par un ciel sans nuage et
sans pollution, on aperçoit Paris au loin. Puis les yeux se posent sur la
friche industrielle de PSA Aulnay
qui a définitivement fermé en 2013. Le site est aujourd’hui un monument
historique de la modernité : ruine du passé, cadavre d’un temps révolu,
épave industrielle abandonnée à son destin rouillé. On peut voir dans cette
opération une sorte de passage de témoin entre l’usine automobile désaffectée
et Europa City, un symbole des métamorphoses profondes du capitalisme.
Le passage
de témoin entre PSA Aulnay
et Europa City
Dans le contexte du
Grand Paris et du Triangle de Gonesse, le projet d’Europa City illustre le
passage d’un vieux capitalisme ancré dans l’espace de l’État-nation à un
capitalisme mondialisé. Le premier érigé sur un modèle industriel
productiviste, le suivant sur la spéculation financière et immobilière, les
échanges internationaux, l’emprise des multinationales, le tourisme et les
loisirs, le secteur tertiaire et les services, les médias et les
communications, la « culture », le travail
linguistique et cognitif, les soins et de la formation. [...]
Démantèlement de l’usine PSA
CGT PSA-Aulnay, mai 2014
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Image promotionnelle, EuropaCity Flickr, licence CC |
Le Grand Paris : l’extension de la métropole par-delà le périphérique
Or, si l’usine représentait le centre productif du capitalisme fordiste et industriel, le nouveau capitalisme néolibéral vise la métropole en tant qu’espace fondamental de production de la richesse financière. Et c’est bien l’ambition du Grand Paris et particulièrement d’Europa City qui a, selon son promoteur Immochan (filiale du groupe Auchan spécialisée dans la gestion de parcs commerciaux), vocation à devenir la living city de Gonesse. À la symbolique de l’usine solidement ancrée dans son territoire s’est substituée celle de services volatiles, de l’ubérisation et du précariat massif .
Mais en réalité, la
métropole n’est pas comparable à l’usine . La métropole est un espace bien plus considérable,
complexe, dense, stratifié, chaotique, contradictoire, sillonné de frontières
et de flux humains, économiques, productifs, informatifs, technologiques
multiples, plus rapides et plus puissants. Surtout, la métropole contemporaine
n’est pas homogène, marquée par des dichotomies économiques, des fractures
sociales, des diversités historiques et géographiques et des ségrégations
raciales héritées du vieux monde. La valorisation de la production intensive et
financière des richesses se joue désormais au centre de la métropole. Dans le
contexte spécifique de la région parisienne, l’expression intra-muros décrit
le rôle tenu par la ceinture du périphérique qui à la fois englobe la ville et
la coupe de ses banlieues ; une ceinture qui agit comme un mur, comme une
frontière. À Paris, un peu plus de 2 millions de personnes vivent dans la
ville dite intra-muros tandis que la grande majorité de la
population francilienne (10 millions d’habitants) vit en banlieue,
c’est-à-dire extra-muros. Toutefois, la distinction entre intra-muros et extra-muros doit
être considérée avec une certaine réserve. En effet, la ville intra-muros et
les banlieues extra-muros sont loin d’incarner des espaces
homogènes : certaines banlieues résidentielles sont très riches et il
existe quelques quartiers relativement pauvres et populaires à Paris. En outre, la région
parisienne intra-muros ne se réduit pas aux seuls espaces
urbanisés, les frontières sont floues. Les « zones
péri-urbaines », ainsi définies par les géographes, désignent les franges de la métropole
longeant les campagnes. Il s’agit de territoires pleinement intégrés dans
l’économie de la métropole. De ce fait, comment situer le Triangle de Gonesse ? Peut-on
parler de zone hybride, mélange de banlieue (la ville de Gonesse) et de zone
péri-urbaine (le Triangle lui-même) ?
Dans ce contexte, des
questions fondamentales se posent : Quelle place tiennent les banlieues -
et surtout les banlieues pauvres - dans le régime capitaliste d’accumulation
des richesses ? Quels sont leurs rôles dans le dispositif productif de la métropole ? À quelle
fonction et quelle stratégie répond l’extension en banlieue du Grand Paris ? Quelles
seront les conséquences de ce processus sur les conditions de travail et les
modes de vie des habitants des banlieues, notamment dans ces recoins aussi
pauvres que Gonesse ?
Pour replacer cet exemple dans un contexte plus large et faire des liens avec d'autres cours
- la bétonisation des sols agricoles
- les moches entrées de ville : l'ex de Plan de Campagne
- Villes et aménagement du periurbain