D'après les Grandes chroniques de France, règne de St Louis (ed. Viard)
1231* "Comment le roi d'Aragon conquit Majorque"
(français modernisé)-pp 48-49
"Messire Jacques, le roi d'Aragon, tint son parlement en la cité de Barcelone, et fit appel à tous les barons de son royaume et toute la chevalerie. Il leur dit que la cour de Rome lui avait confié la mission d'aller en terre d'outre-mer montrer les prouesse de sa chevalerie contre les Sarrasins. Mais il m'est avis, dit le roi, qu'il vaut mieux pour moi montrer ma vaillance contre les sarrasins qui sont proches et frontaliers de notre royaume. Si vous vous y engagez, considérez près de nous le roi de Majorque qui ne nous aime pas [...]. Il détient une belle et bonne terre que nous pourrions avoir si vous voulez m'aider. Si Dieu nous donne la grâce de la conquérir, nous nous en départirions volontiers et en grande part à nos amis, notre Seigneur Jésus Christ en serait servi et honoré et la fausse loi qu'ils tiennent serait détruite."
*c'est en fait en 1229 que l'ost du roi d'Aragon se met en route contre Majorque. Par ailleurs, le récit qui en est donné dans les Grandes Chroniques confond différentes expéditions sur plusieurs années de distance
1244 "De la destruction de la terre d'outre-mer"
(français modernisé)-pp 108-109
"Cette même année où le roi fut malade, arriva une sorte de gens que l'on appelait Grossoins [il s'agit des Kharismiens, peuple de la mer Caspienne chassé par l'avancée des Tartares] et ils entrèrent dans la terre sainte et prirent Jérusalem de force. Ils tuèrent les femmes et les enfants, firent couler le sang sans épargner quiconque et pas seulement dans la cité, mais aussi dans l'église du saint-Sépulcre. Alors fut accomplie la prophétie de David qui dit :"Dieu, des gens viendront dans ton héritage, ton temple ils conchieront de sang et de vilaines ordures, ils tueront tes gens et abandonneront leurs chairs aux oiseaux et aux bêtes, ils feront couler le sang autour de Jérusalem comme une grande rivière et il ne se trouvera personne pour mettre les dépouilles en sépulture". Ce peuple mauvais se porta dans la cité de Gaza et ils tuèrent tous les chrétiens qu'ils trouvèrent, les Templiers, les Hospitaliers et presque tous les nobles du pays et l'on a craint qu'ils ne gâtent toute la terre que les chrétiens tenaient par-delà la mer"
1247 "Du miracle qu'il advint en Turquie"
(français modernisé) -pp 115-116
"Il arriva dans la cité de Coine (Iconium/Konya en Anatolie) qu'un jongleur jouait avec un ours dans la cité, sur une place, devant une foule de Sarrasins et de marchands chrétiens. Or il y avait une croix gravée sur un pilier de pierre. Alors que l'ours allait et venait sur la place, il se tourna vers le pilier et pissa sur le signe de la croix et aussitôt il tomba mort devant l'assistance. Les chrétiens commencèrent à dire que c'était ce que voulait Dieu, puisqu'il avait pissé sur le signe de la croix. Un sarrasin qui était là, par dépit de ce que les chrétiens disaient que c'était une vengeance divine, s'approcha et tapa du poing sur la croix, au mépris de Jésus-Christ. Mais aussitôt qu'il le fit, le bras et la main devinrent tout secs, au vu de la foule qui ne pouvait l'aider. Un autre sarrasin qui était dans une taverne, entendant le grand miracle, il sortit, dévoyé, fendit la foule et commença à pisser contre la croix en disant : "Regardez, je fais ceci car je méprise les chrétiens". A peine, l'avait-il dit qu'il tomba mort devant tous. De ce miracle, les chrétiens furent très joyeux, et les sarrasins courroucés."
1248 Divisions dans le camp sarrasin, rapports amicaux avec le Temple
(français modernisé) -pp 134-135
Au début de la 7e croisade menée par St Louis et les barons français, les sultans d'Alep et d'Egypte (nommé Babiloine dans le texte) se faisaient la guerre.
"Arriva devant lui le messager du calife qui l'admonesta, de par son maître, de faire la paix avec le sultan de Babiloine, en lui démontrant les grandes pertes et les grands dommages qui en résulteraient pour le peuple sarrasin s'ils ne s'accordaient pas car les chrétiens arrivaient de l'occident pour détruire la loi de Mahomet. Et s'ils arrivaient que les sarrasins se combattissent les uns les autres, une grande confusion et de grandes pertes pourraient survenir, alors que les chrétiens, qui sont leurs ennemis, auraient joie et profit. Cependant, sans que le sultan ne puisse se justifier, il ne voulut rien accorder à la paix et dit que tant que le sultan de Babiloine serait sur ses terres, il ne traiterait de ces choses et que s'il ne levait pas le siège de Camelle (Homs en Syrie), il le combattrait.
[...] A Damas, ce sultan demeurait, fort malade. Quand il fut allégé de sa maladie, il envoya chercher le maître du Temple (il s'agit de Guillaume de Sonnac) qui était de ses amis et lui dit qu'il serait fortement bien disposé envers lui si celui-ci pouvait faire en sorte que le roi de France s'en retourna en sa terre et que des trêves fussent conclues. Le maître du Temple répondit que c'était volontiers qu'il se mettait en peine et il envoya ses messagers porteurs de lettres pour le roi.[...] -le roi- fut très courroucé à la lecture de ces lettres [...] et envoya une réponse par lettres de son sceau lui [ordonnant] qu'il n'accepte plus de demande de la part du sultan de Babiloine ni qu'il ne discute avec lui de ce qui regarde le roi de France ou ses barons."
Point sur la source : Les grandes chroniques de France
Au XIIe siècle, dans le milieu des moines de l'abbaye de St-Denis et sous l'impulsion de l'abbé Suger (1122-1151), eut lieu une première grande compilation des histoires des rois passés, dans le but d'exalter la monarchie française et tenir mémoire des faits les plus importants de leurs règnes. L'abbaye de St-Denis est très proche de la cour royale, en tant que gardienne des objets sacrés de la royauté et Suger fut conseiller des rois Louis VI et Louis VII. Cette première série de textes est en latin (Gesta gestis francorum) et c'est St Louis qui demanda plus tard de traduire ces chroniques royales en ancien français et de les continuer. Aussi, les volumes qui suivirent, écrits par divers continuateurs de Primat de St Denis jusque 1461 , sont immédiatement postérieurs aux faits rapportés et constituent de ce fait des témoignages de première main pour l'histoire française...à condition bien sur de les utiliser avec toute la prudence méthodologique qui s'impose.Point sur Louis IX
Quarante-quatrième roi de France, et neuvième issu de la dynastie des Capétiens directs, il est le quatrième ou cinquième enfant et deuxième fils connu du roi Louis VIII, dit « Louis le Lion », et de la reine Blanche de Castille, de laquelle il reçoit une éducation très stricte et très pieuse durant toute son enfance. Aîné des membres survivants de sa fratrie, il hérite de la couronne à la mort de son père, alors qu'il n'est âgé que de douze ans. Il est alors sacré le 29 novembre 1226, mais c'est la reine mère qui, conformément au testament de Louis VIII, exerce la régence du Royaume jusqu'à la majorité du nouveau monarque. Sa mère et lui sont alors confronté à plusieurs révoltes de grands féodaux: ils "commencèrent à murmurer contre le jeune roi, disant que cet enfant ne devait pas tenir le royaume et que bien fous étaient ceux qui lui obéiraient alors qu'il était si jeune. Ils firent donc alliance et promirent qu'il ne lui obéiraient en rien" (Grandes chroniques, ed Viard, p.35). Louis IX fut un roi réformateur, dont l'action a eu une importance capitale pour le renforcement du pouvoir monarchique en France qui passe par l'affirmation de la majestas du roi, au croisement du droit romain et du droit canonique : le roi, dont on peut faire appel à la Justice, est le garant du Bien commun et de la paix. Comme le clerc qui est le recteur des âmes, le roi conduit fermement ses sujets, son royaume sur la voie du Bien qui permet le salut. Louis IX se présente donc comme le modèle du prince chrétien tel qu'ils apparaissent dans les Miroirs des Princes, genre littéraire qui réapparaît (après la période carolingienne) et se développe justement à partir de son époque et qui sont des traités de parénétique royale, mot savant qui signifie "discours moral, exhortation à la vertu". A 30 ans, en 1244, Louis IX tombe gravement malade à Pontoise et guérit "miraculeusement". Il fait alors le vœu de croisade. Cela renforce un mode de gouvernement qui s'appuyait déjà beaucoup sur les manifestations de la foi : il fait construire la Ste Chapelle pour servir d'écrin aux reliques offertes ou acquises du supplice de Jésus en 1237 : c'est le plus beau trésor de reliques de la chrétienté. Il part une première fois en croisade en 1248 puis une deuxième fois en 1270 et il y meurt.
C'est pourquoi on trouve dans les Grandes chroniques de France de nombreuses références à des événements liés à la "terre sainte", la lutte contre les musulmans, les miracles...Cela correspond à un programme royal de gouvernement.
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Lien vers un ancien article de Claude Cahen sur les captifs musulmans des Francs de Syrie
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Podcast de l'émission La Fabrique de l'Histoire du 19 juin 2019 consacré aux récits de croisade
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Description de la cité de St-Jean d'Acre
Par Ibn Jobair (1145-1217)
Que Dieu l'anéantisse et la rende à l'Islam ! C'est la capitale des
cités des francs en Syrie, l'escale des voiles se dressant comme des étendards
sur la mer immense, le port de tout navire, l'égale par sa grandeur et son
animation de Constantinople, centre de réunion des bateaux et des caravanes,
rendez-vous des marchands musulmans et chrétiens de tous pays. Ses rues et ses
voies publiques regorgent de la foule, et la place est étroite où poser son
pas; elle brûle dans l'incroyance et l'iniquité; elle regorge de cochons et de
croix; sale, dégoûtante, toute remplie d'immondices et d'ordures. Les francs
l'ont enlevée aux musulmans dès la première décade du VIe siècle; l'islam l'a
pleurée à pleines paupières; ce fut l'une de ses plus lourdes peines. Les
mosquées y sont devenues des églises, et les minarets des sonnoirs à cloches.
Dieu a conservé pure, dans sa mosquée principale, une place qui est restée aux
musulmans, comme un petit oratoire où les étrangers d'entre eux se réunissent
pour célébrer la prière rituelle (…)
A l'est de la ville est une source
appelée "source de la vache" car c'est d'elle que Dieu fit sortit la
bête pour Adam. On descend à cette source par des degrés fort doux. Elle est
proche d'une mosquée dont le mihrab est resté intact; les francs se sont donnés
un autre mirhab dans la partie est; ainsi musulmans et chrétiens s'y assemblent
et prennent les uns une direction de prière et les autres une autre. Entre les
mains des chrétiens, cette mosquée est vénérée, respectée.
1) Quelle est
l'importance économique de la ville d'Acre ?
2) Quelle est
l'importance politique et militaire d'Acre ?
3) Comment les 2
religions cohabitent-elles à Acre ?+
Lien vers un ancien article de Claude Cahen sur les captifs musulmans des Francs de Syrie
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