lundi 27 mai 2019

Cartographie à la Renaissance

On pourra compléter avec grand 
profit par cet article consacré à la Cartographie médiévale et avec l'exposition en cours aux archives nationales

Le monde connu en 1492 Le globe de Martin Behaim (1492)


Réalisé en 1492, le globe de Martin Behaim, commerçant et cartographe allemand, est le plus ancien globe terrestre connu. Il reflète la vision du monde des Européens à la fin du Moyen Âge, avant la découverte de l’Amérique. A consulter en 3D dans Gallica => https://c.bnf.fr/CnE et à retrouver en ce moment dans l’exposition "Monde en sphères" à la BnF ou dans l’exposition virtuelle dédiée (http://expositions.bnf.fr/monde-en-sphère). Sur la page Facebook de Gallica, une courte vidéo de présentation

Les Globes étaient à la fois des objets de science et des objets de luxe : Objets coûteux et prestigieux, les globes terrestres peints sont produits majoritairement en Hollande au XVIIe siècle et en Italie. A Paris, un moine vénitien, Vincenzo Coronelli, est encouragé par Louis XIV à faire des réductions de grands globes peints pour toucher un plus vaste public. Seize globes terrestres et célestes de 108cm de diamètre sont ainsi conservés qui témoignent du succès de cette stratégie commerciale. Associé à l'Académie des sciences, l'ingénieur Nicolas Bion publie de nombreuses brochures décrivant les globes, leur fabrication et leurs usages. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, profitant de l'engouement pour les voyages d'exploration, le globe devient un objet plus familier.



Fiche de lecture : Histoire des sciences et des savoirs, Dominique Pestre dir., vol 1, De la Renaissance aux Lumières

Cartographie et grandeur de la Terre. 

Aspects de la géographie européenne (XVIe-XVIIIe siècle) J-M Besse


Un nouveau concept géographique de la Terre

Jusqu'au milieu du XVIe siècle, plusieurs concepts de Terre coexistent sans fusionner : à la fois une sphère participant de l'ordre global du cosmos, lui-même sphérique, étudié par l'astronomie ; un élément qui, avec le feu, l'eau, l'air, entre dans la composition de toute chose et est à ce titre étudié par la physique; une création de Dieu et le reflet de son intention providentielle, donc objet de la théologie; enfin, la demeure des hommes, leur oekoumène, souvent représentée de façon carrée (les 4 points cardinaux). Le XVIe siècle voit l'apparition d'une conception géographique spécifique et unifiée de la Terre. Celle-ci est à la fois pensée, décrite, imaginée et perçue comme Terre universelle, comme surface partout habitable et parcourable. Elle devient l'objet d'un autre discours qui se détache progressivement du discours astronomique, qui lui aussi se modifie. Alors que l'astronomie, après Copernic, tend à considérer la Terre comme un élément parmi d'autres du système cosmique et à le ranger dans l'ensemble plus vaste des planètes à la loi commune, la géographie, en procédant à une unification et à une recomposition des divers discours qui envisagent la Terre, tend à l'identifier comme objet spécifique. Toute entière orientée vers la conquête, c'est-à-dire la description et l a mesure, elle dessine les contours de ce territoire élargi de l'existence humaine pour y désigner les nouvelles possibilités qui s'offrent à l'être humain.

Il ne semble pas possible dans le cas de la géographie d'envisager la question de la "révolution scientifique" sous l'angle du passage brutal d'une théorie à une autre, mais plutôt, il faut concevoir la perspective d'une pluralité des rythmes et des modalités selon lesquelles s'effectuent les diverses opération d'objectivation. Au XVIe s, l'astronomie et la géographie sont des disciplines voisines qui partagent certains de leurs concepts et mobilisent souvent les mêmes acteurs. Pourtant elles n'ont pas la même histoire, ni les mêmes temporalités.

Vermeer, l'astronome, 1668 (?) 

Vermeer, le géographe , 1669

L'unification spatiale du monde terrestre est le résultat des réaménagements successifs des représentations au fur et à mesure des entreprises de découverte et de colonisation menées par les Européens, et à mesure que les livres cosmographiques, les récits de voyage, les cartes et atlas décloisonnent les imaginaires. Autrement dit, l'espace géographique n'est pas un absolu, c'est-à-dire un cadre englobant, neutre et homogène. L'espace dans lequel les géographes travaillent et auquel ils se relient est celui de leurs pratiques spatiales concrètes et des échelles spatiales dans lesquelles les interactions savantes qu'ils tissent se déploient. D'où le fait que les aspects politiques et religieux, la structure des réseaux savants, mais aussi les contraintes interpersonnelles, les patronages, tout autant que les pratiques personnelles de l'espace, jouent un rôle déterminant dans la fabrication des savoirs géographiques.
La géographie européenne a été un des lieux où, sur le plan de l'image (cartes...) et du texte (récits de voyage...), l'image du monde terrestre a été réordonnée, dans un double mouvement de découverte et de réarticulation critique des savoirs. Mais elle a été aussi un opérateur pour la redéfinition de ce qu'on pourrait appeler les valeurs spatiales par rapport auxquelles les Européens avaient jusqu'alors défini le sens de leurs actions et de leurs pensées.

Les géographes de la première modernité transforment le sens de l'espace

Réorganisation des catégories de pensée sur :

  • Le proche/le lointain
  • La taille et la grandeur de l'espace
  • Les orientations de l'espace et ses hiérarchies (centralités, périphéries)
  • Mais aussi renouvellement considérable des réflexions sur les appartenances et les identités.


Concernant les supports de diffusion et d'élaboration du savoir géographiques, au delà de la diversité des propositions , quatre schèmes :

  • Le schème géométrique : méthodes projectives et méthodes des coordonnées initient une conception de l'espace comme une surface en grille : une table de coordonnées
  • Autre schème de découpage et d'organisation de l'espace terrestre, le schème des ordres de grandeur :  Echelles spatiales qui peuvent s’emboîter
  • Schème descriptif (expression exemplaire, la Cosmographie universelle de Sebastian Münster). Le géographe trouve des modèles opératoires, pour mettre en oeuvre sa description du côté des arts de la mémoire, de la méthode des mieux communs ou de la rhétorique de l'éloge
  • Le schème de la méthode : classement généralisé, création de catégories d'espace, sur un modèle en arbre (= du général au particulier)

La place de la géographie dans l'histoire des cultures visuelles

Un exemple : la place de l'iconographie et des cartouches dans la cartographie des XVI et XVIIe s. Une histoire culturelle et sociale de la cartographie permet d'y reconnaître plusieurs fonctions et discours.
Le cartouche est avant tout un élément décoratif qui appartient aux domaines de l'architecture, de la sculpture et de la gravure. Il désigne et détermine a priori le cadre d'interprétation de la carte. C'est aussi un contenant, un espace vide à l'intérieur duquel on place un titre, une inscription, un blason... annonçant le contenu de la carte. Enfin, il donne l'identité politique du lieu ainsi que son possesseur. On peut comprendre le titre comme l'énonciation d'un titre de propriété. Il traduit un type de relation sociale, celle qui existe entre l'auteur et l'éditeur de la carte d'une part et le dédicataire de l'autre : caractéristique de l'économie du patronage, qui oblige le patron (dédicataire) à offrir protection et rémunération en échange du livre ou de la carte dédiés qui en échange doivent manifester la gloire du patron. Quel que soit le niveau d'autorité auquel la carte est présentée (roi, dauphin, ministres et grands commis, autorité ecclésiastiques, celle(ci est supposée traduire les effets positifs de l'exercice de cette autorité.
=> Un même cartouche peut donc développer des discours de niveaux différents, mais le discours du pouvoir est toujours présent.
Il peut contenir ou s'accompagner de vignettes iconographiques. Celles-ci, sur le modèle rhétorique de l'evidentia, donnent la "vérité" visuelle de l'espace représenté en représentant les ressources naturelles du pays, sa faune et sa flore, ses populations et coutumes, ses costumes ... Ou bien, des représentations allégoriques relevant d'un discours de la civilisation : les quatre éléments, la Bible, les allégories des continents, des instruments scientifiques de mesure ... Il s'agit de mettre en évidence l'image du monde terrestre, mais aussi du cosmos, ordonné et mesurable. Remarquons qu'on retrouve là sur la carte une pratique largement diffusée lors des entrées princières , celle des tableaux vivants ou des décorations des arcs de triomphe qui présentent de façon allégorique les territoires soumis à l'autorité du prince. Par exemple, en 1539 à l'occasion du mariage de Cosme de Médicis avec Eleonore de Tolède, un défilé convoque la géographie sus la forme de personnages allégoriques représentant les rivières, montagnes et autres éléments du territoire soumis à Florence. Quelques jours auparavant, Charles Quint paradait Porta del prato entouré de personnifications des pays constituant son empire : on pouvait y voir le "nouveau Pérou", l'Afrique, le Danube et l'océan Atlantique.

C'est le cas également dans d'autres dispositifs décoratifs, comme la galerie des cartes au palais du Vatican, chef d'oeuvre du XVIe siècle.





Ou encore les exceptionnelles cartes de marbre au sol du palais communal d'Amsterdam



Pour prolonger : article de ce blog sur les voyages marchands de la VOC

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