samedi 25 mai 2019

La Sicile médiévale : Palerme musulmane

D'après l'article d'Alessandro Vanoli, "1030: Palermo islamica, une metropoli mediterranea", in Storia mondiale dell'Italia, pp.211-214

Un port au cœur des réseaux méditerranéens

Palerme sous la domination musulmane fait partie d'un vaste réseau d'échanges  au sein du  monde musulman, de l'Espagne jusqu'à l'Inde. Par-delà les vicissitudes politiques ultérieures, ce réseau a en partie survécu.

Si l'on pouvait contempler le port de Palerme en 1030, il serait évident, à voir les navires chargés d'épices et de soie, que l'île était au coeur d'un vaste monde. C'était d'ailleurs une réalité ancienne, remontant au moins aux Phéniciens et aux Grecs, poursuivie sans interruption par les Romains et les Byzantins. La Sicile a toujours regardé vers les côtes de l'Afrique et l'Orient méditerranéen. Sur ce point d'ailleurs, Palerme ne se distinguait pas tellement des autres cités de l'île. Mais les Musulmans ont fait la différence.

Palerme musulmane

En juin 827, ils débarquèrent à Mazara, profitant des tensions internes du gouvernement byzantin. Ils venaient plus ou moins de l'actuelle Tunisie. Certains arabes, d'autres berbères. L'armée arabe avane lentement. Palerme tombe en 831. On dit que ce fut un carnage, mais ce fut aussi la naissance d'une nouvelle capitale. Dix ans plus tard, au moins la moitié de l'île était sous contrôle musulman. A partir de ses ports partaient des expéditions de razzia : Ponza et Ischia (au large de Naples), Rome le 23 août 846. Rien ne semblait arrêter les musulmans à l'époque. Entre 841 et 871, ils installèrent un émir à Bari et poursuivaient la lente conquête de l'île. 878, Syracuse puis finalement Taormina tomba. A l'époque, le pouvoir califal s’effritait et dans ce vaste espace musulman, des pouvoirs autonomes surgissaient, comme le califat autonome de la péninsule ibérique vers 929. En Orient, le califat chiite des Fatimides s'étendait jusqu'au Nil et Le CAire était en 969 leur nouvelle capitale. En quelques années, ils contrôlaient aussi l'Afrique du nord, et jusqu'à la Sicile. Une bonne partie des échanges commerciaux entre l'Océan Indien et la Méditerranée passait par eux, élargissant d'autant le monde vu de Sicile. Cependant, les plus anciennes communautés musulmanes murmuraient contre le pouvoir chiite en Sicile et des révoltes, particulièrement à Palerme, éclatèrent. Rien d'étonnant alors que le gouverneur de la cité décide de faire construire la citadelle de la Khalisa qui donna son nom au quartier actuel de Khalsa. Sous l'émirat des Kalbiti (948-1053) la Sicile connut une période de paix relative, alors que la prospérité de l'île était indéniable.
En 1030, Palerme ne ressemblait plus à la ville byzantine si ce n'est les deux cours d'eau qui la délimitaient. Balarm, de son nouveau nom, était entourée d'une muraille de pierre, ouverte par neuf portes et partagée entre cinq quartiers. Sa grande mosquée pouvait, disent les voyageurs, contenir jusqu'à  7000 personnes soit, selon le récit d'un voyageur du Xe siècle Ibn Hawqal, 36 files de fidèles. Près d'une autre mosquée, celle d'Ibn Saqlab, le grand souk des vendeurs d'huile, de farine, de poissons vivants, de drogues pharmaceutiques, de graines et des légumes, de viande, de plantes aromatiques, des boulangers, des ferronniers, des menuisiers, des potiers...Venus d'Orient la soie, mais aussi le lin, indaco teint en bleu et  salim d'Egypte, le poivre et la cannelle, l'aloe, les clous de girofle... Les produits en provenance de l'océan indien et d'Aden éteint ensuite transportés par voie terrestre jusqu'en Egypte jusqu'au Caire. la Sicile servait de plaque tournante pour les destinations italiennes comme Amalfi, Naples, les cités des Pouilles...



Palerme, cité cosmopolite tirait sa richesse aussi de la présence d'autres communautés et de leurs réseaux, et surtout les hébreux qui opéraient depuis des siècles dans les ports de commerce. Nous connaissons cette histoire par les archives de la genizah (l'espace de la synagogue dévolu à la conservation des objets de culte non utilisés) du Caire. Des centaines de milliers de documents, lettres, registres de compte, traités rabbiniques, poèmes...rédigés pour l'essentiel entre les XI et XIIIe siècles, tout un monde d'une vitalité culturelle qui embrassait toute la Méditerranée.
Mais bientôt l'Histoire va changer. Venus des terres septentrionales, les normands vont accoster. Mais comme souvent, les conquérants seront conquis : la guerre contre les musulmans de Sicile n'empêchera pas Roger II et ses descendants de conclure des accords commerciaux et diplomatiques avec le califat fatimide du Caire.

Les supports pour la classe de Seconde

  • Al Idrisi, géographe arabe pour les rois de Sicile, a écrit le livre des voyages agréables dans des pays lointains, le plus souvent connu sous le nom Tabula Rogeriana. C'est une description du monde et une carte du monde créées en 1154.  Elle est restée la carte du monde la plus précise pendant les trois siècles qui ont suivi.

Et pour aller plus loin, l'expo virtuelle site de la BNF, la Sicile d'Al -Idrisi et la Méditerranée au XIIe siècle, qui est une mine de documents utilisables pour le cours de 2nde.
  • Extrait de "l'Italie vue du ciel" : Palerme et son architecture mixte

  • Un texte trouvé sur le blog de Pierrick Auger pour mettre des mots sur le plan ci-dessus : 

Palerme décrite par le savant géographe Al- Idrisi
« La première de ces villes est Balharm (Palerme), cité des plus remarquables par sa grandeur et des plus illustres par son importance ; chaire de prédication parmi les plus célèbres et prestigieuses du monde. Elle est dotée de qualités qui lui confèrent une gloire inégalable et réunit beauté et noblesse. Siège du gouvernement dès les temps primitifs et les premiers temps de l’islam, c’est de là que partaient les flottes et les armées lors des expéditions militaires et c’est là qu’elles revenaient, comme elles le font encore aujourd’hui. Cette ville est sur la côte, elle a la mer à l’est, et est entourée de montagnes hautes et massives. Le rivage à cet endroit est plaisant et riant, il est orienté vers l’est. La ville est dotée de bâtiments magnifiques, qui accompagnent les voyageurs et étalent la beauté de leur construction, la finesse de leur réalisation et leur merveilleuse originalité.(…) De tous côtés, la ville est traversée par des cours d’eau et des sources pérennes ; les fruits y poussent en abondance ; ses édifices et ses promenades sont tellement beaux qu’il est impossible à la plume de les décrire et à l’intelligence de les concevoir ; le tout est une vraie séduction pour l’œil. Le Cassaro dont il vient d’être fait mention est parmi les villes fortifiées les mieux défendues et les plus élevées ; il peut résister aux attaques et est tout à fait imprenable. À son sommet est un fort, bâti récemment pour le grand roi Roger et constitué d’énormes blocs de pierre de taille recouverts de mosaïques. Les murs du « Palais » sont bien alignés et élevés, ses tours de guet et ses postes de garde sont d’une construction fort solide, de même que les différents palais et salles qu’il abrite. Ces derniers sont ornés des motifs calligraphiques les plus merveilleux et couverts de peintures remarquables. Tous les voyageurs attestent la splendeur de Palerme et en font une description hyperbolique. Ils affirment clairement qu’il n’y a point hors de Palerme d’édifices plus magnifiques que les siens, de demeures plus nobles, de palais plus imposants et de maisons plus agréables. Le « Faubourg » qui environne l’ancienne ville forte dont il vient d’être fait mention est très vaste, il contient un grand nombre de maisons, d’hôtelleries, de bains, de boutiques et de marchés. Il est entouré d’une enceinte, d’un fossé et d’un espace vide. À l’intérieur, il y a beaucoup de jardins, de parcs splendides, de canaux d’eau fraîche courante provenant des montagnes qui entourent cette plaine. À l’extérieur, au sud, coule la rivière de ‘Abbâs, qui fait tourner des moulins en assez grand nombre pour suffire aux besoins de la ville."



Printfriendly