vendredi 17 mai 2019

Les Années d'Annie Ernaux : un extrait à utiliser en classe




Utiliser les textes d'Annie Ernaux dans le cadre du cours d'Histoire

Qui est Annie Ernaux ? (source annie-ernaux.org)
Depuis la parution de son premier livre, Les Armoires vides, en 1974, Annie Ernaux n’a cessé d’explorer, à travers l’écriture, l’expérience vécue – son expérience, mais aussi celle de sa génération, de ses parents, des femmes, des anonymes et des oublié.e.s, des autres. Son écriture s’oriente sur plusieurs axes, qui se recoupent au fil du temps et des livres: l’expérience du corps et de la sexualité; les relations interpersonnelles (familiales, amoureuses); les trajectoires et inégalités sociales; l’éducation; le temps et la mémoire; et l’écriture, véritable fil conducteur qui relie entre eux ces aspects. Toujours, dans les livres d’Annie Ernaux, les expériences les plus personnelles, voire intimes, sont chargées d’une dimension collective, sociologique, qu’il s’agisse de l’expérience du deuil, de la honte sociale, de la découverte de la sexualité, de la passion amoureuse, d’un avortement clandestin, de la traversée de la maladie, ou de la perception du temps.

Après avoir publié des textes d’inspiration autobiographique, mais présentés comme romans (Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rienLa Femme gelée), Annie Ernaux, avec La Place,  s’est détachée de la fiction pour creuser les possibilités de dire l’expérience et le réel. Ce faisant, elle a travaillé sur des formes narratives qui constituent de nouvelles directions dans l’écriture de soi: ses textes auto-socio-biographiques (La Place, Une femme, La Honte) explorent sa vie, celle de ses parents, et le milieu dans lequel elle a grandi, tandis que l’autobiographie collective Les Années dépeint l’histoire sociale et culturelle de la France, des années 1940 aux années 2000. 


SUJET = LA SOCIETE DE CONSOMMATION PENDANT LES TRENTE GLORIEUSES
Analyse de texte

Le témoignage d’une femme de lettres

« Avec l’emploi stable, les jeunes ménages ouvraient un compte bancaire, prenaient un crédit Cofremca pour s’équiper d’un réfrigérateur avec compartiment de congélation, d’une cuisinière mixte, etc., étonnés de se découvrir, par la grâce du mariage, pauvres face à tout ce qui leur manquait, dont ils ne soupçonnait pas le prix avant, ni la nécessité, qui allait maintenant de soi. (…) On se mettait à fréquenter assidûment des lieux inusuels, Casino, les rayons alimentaires de Prisu et des Nouvelles Galeries. Les velléités d’insouciance, de vivre comme avant, une virée nocturne avec les copains, une séance de cinéma, s’épuisaient avec l’arrivée du bébé auquel, dans la salle obscure, on ne cessait de penser, tout petit, seul dans son berceau. On achetait donc une télévision –qui achevait le processus d’intégration sociale. Le dimanche après-midi, on regardait Les chevaliers du ciel1, Ma sorcière bien-aimée2. L’espace se rétrécissait, le temps se régularisait, découpé par les horaires de travail, la crèche, l’heure du bain et du Manège enchanté3, les courses du samedi. On découvrait le bonheur d’ordre.
(…)
Dans les déjeuners auxquels avec une anxiété et une fièvre de jeunes ménages on invitait la belle-famille pour montrer qu’on était bien installés et avec plus de goût que les autres membres de la fratrie, après avoir fait admirer les voilages vénitiens, toucher le velours du canapé, écouter la puissance des baffles, sorti le service de mariage –mais il manquait des verres-, quand tout le monde avait réussi à se caser autour de la table, commenté la façon de manger la fondue bourguignonne – dont on avait trouvé la recette dans Elle -, les conversations petites-bourgeoises s’engageaient sur le travail, les vacances et les voitures, San Antonio*, les cheveux longs d’Antoine**, la laideur d’Alice Sapritch***, les chansons de Dutronc. On n’échappait pas à la discussion pour savoir s’il était économiquement plus rentable dans un couple que la femme travaille au-dehors ou reste à la maison. (…) L’évocation de la guerre se rétrécissait dans la bouche des plus de cinquante ans en anecdotes personnelles, pleines de gloriole, qui paraissaient aux moins de trente du radotage. Nous étions d’avis qu’il y avait pour tout cela des discours de commémoration et des gerbes de fleurs. (…) La page était tournée.
La contraception effarouchait trop les tables familiales pour qu’on en parle. L’avortement, un mot imprononçable. »

(1) Série télévisée française diffusée à partir de 1967
(2) Série télévisée américaine
(3) Emission pour enfants
* Personnage de roman policier
** Chanteur
***Comédienne et humoriste

D’après Annie Ernaux (écrivain français née en 1940), Les Années, Gallimard, 2008

Questionnaire :
1) Présentez le document : nature et type, auteur, source, dates (du document et de la période abordée par le document), idée principale.

2) Relevez et classez par thèmes les nouveautés économiques de cette époque. Définissez et expliquez l’expression « société de consommation ».

3) Montrez que se constitue une culture populaire commune.

4) Montrez que cette période est une époque d’émancipation des femmes mais que la conception de la famille reste traditionnelle.



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