lundi 16 septembre 2019

L'information en temps de guerre : l'exemple de la 2nde guerre mondiale en France


Deux journaux dans la guerre : Le Temps et Défense de la France.

1- Le Temps
Quotidien fondé en 1861 par Auguste Nefftzer sur le modèle de The Times. Organe de référence de la IIIe République, paraissant l’après-midi, il était une source importante pour la presse parisienne et provinciale paraissant le lendemain matin.  Modéré et libéral avant la guerre, il évolue dans l'entre deux guerres vers la droite, s’opposant en 1924 au Cartel des gauches et, en 1936, au Front populaire. Après la défaite de 1940, affaibli et voyant sa diffusion limitée à la zone libre, il soutient le régime de Vichy, avant de disparaître en 1942 après l’entrée des Allemands en zone libre. A la Libération, le général de Gaulle, désireux de disposer d’un journal de référence sérieux qui puisse aussi servir de relais à la diplomatie française impulse, sur les ruines du Temps, la création du journal Le Monde dont la direction est confiée à Hubert Beuve-Méry (1902-1989)



ex article « Révolution nationale » (11 juillet 1940).
" L’Assemblée nationale a accompli solennellement hier l’acte qui lui était commandé par l’intérêt supérieur de la patrie. Elle a confié au maréchal Pétain la mission et le pouvoir de promulguer par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution de l’État français. Constitution qui devra garantir, dans le cadre indiqué par l’admirable exposé des motifs que nous avons publié, « les droits du travail, de la famille et de la patrie ». Le Parlement avait, la veille, accompli le geste de sacrifice et de raison que le pays attendait de lui.
Disons-le tout de suite, ce n’est pas dans une atmosphère de résignation et d’impuissance que l’Assemblée nationale a délibéré. Il a fallu, hélas !, les défaites, le désastre de la patrie pour que les leçons de la débâcle fussent tirées. Mais, depuis longtemps, les esprits clairvoyants comprenaient la nécessité absolue pour notre pays de procéder à cette réforme profonde, à cette révolution nationale dans la légalité que le déclin constant de notre vitalité et de notre force rendait indispensables. Ce n’est pas leur faute si « les batailles perdues » ont imposé impérieusement un tel bouleversement et s’il a fallu tirer les conséquences d’un désastre. C’est le désastre lui-même qui a été la conséquence de ce funeste retard, de cette méconnaissance des réalités.
Mais à quoi bon se complaire et se perdre à des regrets et à des remords désormais inutiles ? Nous devons aujourd’hui tourner les yeux vers l’avenir, vers le relèvement de la patrie ensanglantée et mutilée, courbée sous la volonté du vainqueur, mais capable cependant de réaliser sa propre renaissance ; notre vieille France va enfanter dans la douleur une France nouvelle.
Ce que l’Assemblée nationale vient de réaliser, non sans grandeur, est sans précédent dans notre histoire, et peut-être dans l’histoire de tous les peuples. […] L’unité de la patrie dans le sacrifice et dans la peine est désormais assurée. L’avenir de la France est confié à des mains loyales et pures. L’acte de confiance au maréchal Pétain, qui n’a jamais été plus grand qu’en ces heures tragiques, est réalisé, mais en même temps, comme nous l’avons écrit, cet acte de confiance est un acte de foi et un immense espoir peut se lever dans toutes les âmes françaises. […]

Surligner les éléments de rédaction qui témoignent de l’absence d’objectivité de l’article


2- Défense de la France
  Défense de la France, est un des premiers journaux clandestins à avoir été créés. Créé  en juillet 1941 en zone occupée, par Philippe et Hélène Viannay et Robert Salmon, et disposant d’une véritable imprimerie indépendante, Défense de la France devient le plus fort tirage de la presse clandestine, un peu avant la Libération avec 450 000 exemplaires par jour. Les premiers numéros étaient imprimés sur une machine offset Rotaprint, cachée dans les caves de la Sorbonne, avec en exergue cette phrase de Pascal : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger ».  Le journal continuera une longue carrière après la guerre sous le titre France Soir.


1940 : les médias, responsables de la défaite ? (d’après l’analyse de l’historien et résistant  Marc Bloch)
  Ce n'est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes. Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple, qu'avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n'est possible ? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l'on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes mais faciles en somme à déceler, qu'inspire l'esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d'obéir uniquement à des consignes d'ordre politique, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, dans leur source, étrangers à notre pays. Sans doute, le bon sens populaire avait sa revanche. Il la prenait sous la forme d'une méfiance croissante envers toute propagande, par l'écrit ou par la radio. L'erreur serait lourde de croire que l'électeur vote toujours « comme le veut son journal ». J'en sais plus d'un, parmi les humbles, qui, recevant chaque jour le quotidien du cru, vote presque constamment, contre lui et peut-être cette imperméabilité à des conseils sans sincérité nous offre-t-elle, aujourd'hui, dans l'état où nous voyons la France, un de nos meilleurs motifs de consolation, comme d'espoir. […]   Était-ce donc que nos classes aisées et relativement cultivées, soit par dédain, soit par méfiance, n'avaient pas jugé bon d'éclairer l'homme de la rue ou des champs ? Ce sentiment existait sans doute. Il était traditionnel. Ce n'est pas de gaieté de cœur que les bourgeoisies européennes ont laissé « les basses classes » apprendre à lire. Un historien pourrait citer là-dessus bien des textes. Mais le mal avait pénétré plus loin dans les chairs. La curiosité manquait à ceux-là mêmes qui auraient été en position de la satisfaire. Comparez ces deux journaux quasi homonymes : The Times et Le Temps. Les intérêts, dont ils suivent, l'un et l'autre, les ordres, sont de nature semblable ; leurs publics, des deux côtés, aussi éloignés des masses populaires ; leur impartialité, également suspecte. Qui lit le premier, cependant,  en saura toujours, sur le monde, tel qu'il est, infiniment plus que les abonnés du second. […]
                                        Marc Bloch, L'étrange défaite, essai rédigé durant la 2nde guerre mondiale.

Quelle est la thèse de Marc Bloch. Résumez son argumentation

La guerre des ondes

A. extraits de l' émission « les Français parlent aux Français » sur la BBC.

Entre le 19 juin 1940 (suite à l'Appel du 18 juin dans un bulletin d'information) et le 25 octobre 1944, des programmes en langue française furent diffusés depuis les studios de la section française de la BBC (British Broadcasting Corporation, société de production et de diffusion des programmes de radio-télévision britanniques). Sous le nom de Radio Londres, qui entendait s'opposer à Radio Paris, antenne du gouvernement de Vichy, furent produits six bulletins quotidiens d'informations françaises et des émissions à contenu politique, dont des programmes humoristiques. Enregistrés à Londres par les équipes françaises de la BBC, les sketches et chansons s'appuyaient le plus souvent sur des airs très connus, des jeux de mots et un contenu détourné ; les textes étaient interprétés par Pierre Dac, Pierre Lefevre et d'autres, accompagnés par l'orchestre de Francis Chagrin, auteur des arrangements. Rompant avec le style emphatique de la radio française, ils employaient un ton nouveau à l'antenne et inventaient une radio de proximité avec, outre les sketches et chansons, des messages personnels, des blagues ou des publicités détournées. Le succès rencontré poussa les Allemands à faire interdire Radio Londres en confisquant les postes et en punissant lourdement les auditeurs. La radio était devenue une arme de guerre. Elle encourageait les Français à s'insurger contre l'occupant et dénonçait, parfois avec humour, la désinformation des radios collaborationnistes.

B. Extraits de Radio-Paris

Philippe Henriot : principal collaborateur de Radio-Paris, il prend la parole tous les jours à l'antenne de Radio Paris pour défendre la collaboration, attaquer la France libre et les Français libres du Général de Gaulle. Il se bat particulièrement contre Pierre Dac et Maurice Schumann, qui animent l'émission « Les Français parlent aux Français » sur la BBC. Sur Youtube, écouter Pierre Dac répond à Henriot. Surnommé le Goebbels français, il est  nommé Ministre de l'Information et de la Propagande dans le gouvernement de Vichy en janvier 1944. Il est abattu par la Résistance le 28 juin 1944.


L’œil de Vichy

EXTRAIT VIDEO => TE

L'Oeil de Vichy est un documentaire réalisé en 1993 par Claude Chabrol, sur un “scénario” des historiens Jean-Pierre Azéma et Robert Paxton. Le film rassemble et présente des images d'archives tirées des actualités officielles entre 1940 et 1944. Il peint ainsi le tableau de cette époque, de son fonctionnement et de ses obsessions. Les images sont montées chronologiquement et ne sont pas commentées car le film « n'en a pas besoin ». Seule la voix de Michel Bouquet vient à intervalle régulier rétablir la vérité sur des images mensongères ou apporter des précisions sur le contexte. A sa sortie, le documentaire déclenche la polémique. Lors de la présentation du film en 1993, Claude Chabrol dit que « ce film ne montre pas la France telle que je la vois mais telle que Pétain et les vichystes ont voulu qu'on la voie.


« comment Vichy met en valeur les réalisations du Troisième Reich,
met en valeur le régime nazi et le cite en exemple ».

Ils s'appuient sur des images de 1941 vantant les mérites du travail en Allemagne, qui permet aux chômeurs « d'aller gagner leur vie et celle de leur famille outre-Rhin ». Dans ce cadre « 50 000 ouvriers français travaillent momentanément en Allemagne, gagnant ainsi un salaire élevé pour leur catégorie ». 300 000 ouvriers volontaires partent jusqu'en 1942 pour l'Allemagne, avant que 650 000 autres ne partent sous la contrainte dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO). On devine en fond du document une deuxième voix, couverte par la musique et le commentaire. Est-ce la version pour la France du journal allemand de l'UFA Deutsche-Wochenchau ? Rien ne permet de l'affirmer mais cela rentre bien dans la question soulevée initialement par Jean-Pierre Elkkabach.

Tout l'argumentaire de la propagande de Vichy est déroulé dans les Actualités mondiales. Le départ volontaire « permet non seulement d'alléger sensiblement les crédits de secours accordés par l'Etat français, mais aussi de donner aux ouvriers l'occasion d'apprécier la valeur des institutions nationales-socialistes allemandes ». C'est la mise en place d'une nouvelle Europe à l'heure allemande, marquée par les cris de joie du départ et les visages souriants des femmes qui partent. Au retour, dans cette nouvelle Europe, resterait le « souvenir tant du standard de vie que des bonnes conditions de travail, et enfin de l'accueil amical et de vraie camaraderie que leur réservèrent les ouvriers allemands ».

Ces images de propagande sont « beaucoup vues à l'époque », quand les Français les découvrent sur grand écran au moment où le cinéma est « en pleine gloire ». Claude Chabrol évalue le nombre de spectateurs à 200 millions par an en 1938, à 300 millions en 1942 et 400 millions en 1943. La croissance de la fréquentation depuis le milieu des années 1930 s'est progressivement stabilisée autour de 400 millions de spectateurs. Les années 1940, 1942 et 1944 connaissent une relative contraction qui peut s'expliquer par les épisodes militaires de guerre sur le territoire national. Dans la période 1940-1944, 220 films sont produits qui attirent le public. Les Actualités qui précèdent le long métrage sont « chahutées », avec des protestations « dans quelques villes » (Montpellier, Angoulême, Perpignan). Les actualités étaient alors projetées avec la lumière allumée, « pour voir les siffleurs ».


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