1) J'adore le ton alerte des conférences de cet éminent médiéviste des débuts du Moyen Âge
2) J'adore ses objets et les thématiques qu'il explore
3) Ses démonstrations sont lumineuses, s'appuyant sur une incontestable érudition et un petit côté pop-culture irrévérencieux qui entraîne le public avec lui.
Dans cette conférence, vous apprendrez l'origine du Seigneur des Anneaux (les influences de JRR Tolkien sont bien connues pour être médiévales)
Mais surtout, entre 30 min et 45 min, c'est là qu'on entre véritablement dans le sujet : la localisation dans le nord de la Francie/ Belgique seconde des tombes guerrières que l'on identifiait comme barbares car grandes épées franques (spatha), des chaudrons avec de la bière, squelette de cheval et bijoux d'apparat en orfèvrerie cloisonnée de grenats pouvait faire croire à l'arrivée de nombreuses troupes venues de Germanie, amenant avec eux leurs traditions. Mais cette interprétation ne tient pas, je vous laisse découvrir pourquoi.
Le plus vraisemblable, d'après Dumezil, serait que les populations gallo-romaines ont changé leur référent culturel pour s'adapter à la nouvelle dynastie royale (Clovis et ses descendants), d'autant plus que se déclarer franc permettait d'être exempté d'impôt !
Une révision de mon cours s'impose.
La suite (partie III) est toute aussi intéressante puisque Bruno Dumézil fait, à grands traits, toute la généalogie de cette interprétation historique qui naît au 19es, celle des grandes invasions. Le passage sur les Allemands, l'érudition allemande et le germanisme et le Völkerwanderung permet d'avoir un contrepoint au roman national français qui se constitue à la même époque et donc un deuxième exemple à présenter aux élèves du rôle politique joué par l'histoire nationale au 19e siècle. (autour de 55 min)...puis vient un passage édifiant sur la présentation des barbares dans les manuels de la 3e République. C'est là que j'apprends que cette carte qu'on utilise tous, qui présente les invasions par de grandes flèches traversant toute l'Europe, a été forgée en plein moment revanchard, avec les arrière-pensées que l'on comprend sans peine.
Bref, un grand moment de révision de mes certitudes en plus d'une heure de conférence qui passe comme un éclair.
Je complète ce post avec l'article Barbaricum de l'encyclopédie Les Barbares dirigée par Bruno Dumézil.
Bref, un grand moment de révision de mes certitudes en plus d'une heure de conférence qui passe comme un éclair.
Je complète ce post avec l'article Barbaricum de l'encyclopédie Les Barbares dirigée par Bruno Dumézil.
Proposition de séquence :Depuis les migrations des Cimbres et des Teutons vaincus par Marius à la fin du IIe siècle av. J.-C., puis les déplacements des Suèves d’Arioviste combattus par César en 58 av. J.-C., le monde germanique paraissait relativement stabilisé. Ces migrations avaient concerné des populations partant du sud de la Scandinavie, qui se heurtaient aux Celtes, tout en étant marquées par leur influence. L’origine de ce phénomène tenait probablement à un ensemble complexe de facteurs, climatiques, démographiques, voire culturels. On a évoqué un refroidissement climatique affectant la Scandinavie depuis le VIe siècle av. J.-C., mais son impact réel demeure discuté. On a également quelques difficultés à vérifier par l’archéologie l’hypothèse d’un éventuel surpeuplement de cette région durant la même période. On suppose parfois l’existence de rites obligeant les plus jeunes générations de guerriers à s’emparer de nouveaux territoires, qui rappelleraient les pratiques de certains peuples italiques. Ces migrations avaient abouti à l’établissement de tribus très morcelées, vivant au contact du limes. C’est d’ailleurs à cette même époque que les historiens antiques tels que Posidonios de Rhodes en 90 av. J.-C., puis César commencèrent à désigner l’ensemble de ces populations sous le terme générique de Germains. Pour César, il s’agissait également d’expliquer l’arrêt de l’expansion romaine sur le Rhin, alors que, de part et d’autre de ce fleuve, vivaient des tribus très marquées par la civilisation celtique. Au contraire, selon Strabon, contemporain des conquêtes augustéennes, les Germains étaient apparentés aux Celtes. Même après le ralentissement de ces mouvements de grande ampleur, les Germains restèrent soumis à des brassages constants, qui rendent très difficile l’individualisation de groupes particuliers dont on pourrait suivre l’évolution jusqu’au IIIe siècle. C’est ainsi que les distinctions topographiques ou ethniques opérées par César ne coïncident pas forcément avec celles de Velleius Paterculus, de Strabon, de Pline l’Ancien, de Tacite ou encore de Ptolémée au IIe siècle. Il y eut vraisemblablement des rassemblements qui se faisaient et se défaisaient autour de quelques lignages aristocratiques se réclamant d’ancêtres mythiques communs. Les chercheurs contemporains fondent plutôt leurs classifications sur l’archéologie et la linguistique. Désormais, les peuples barbares sont donc distingués les uns des autres selon des critères plus culturels qu’ethniques. Ils se seraient répartis dans trois grandes régions : les Germains du Nord ou Germains de la mer, Angles, Cimbres et Jutes en Scandinavie et dans le Jutland ; les Germains de l’Ouest, ou Germains de la forêt, entre le Rhin, le Danube et l’Elbe ; les Germains de l’Est ou Germains de la steppe, Bastarnes, Skires, Costoboques, Goths, Vandales, Burgondes et Gépides au-delà de l’Elbe. Ce sont ainsi les Germains occidentaux qui se trouvèrent les premiers au contact de l’empire romain. Dès le premier quart du IIe siècle de notre ère, les migrations reprirent en Germanie orientale, en suivant d’abord la même direction que le mouvement qui avait déjà conduit les Bastarnes, les Skires puis les Costoboques en Ukraine et sur la mer Noire au IIIe siècle av. J.-C. Les Vandales remontèrent la vallée de l’Oder pour s’établir en Silésie, Galicie et Slovaquie. Derrière eux, les Goths, sans doute repoussés des côtes de la mer Baltique par la famine et la surpopulation, remontèrent les vallées de la Vistule et du Dniestr, où ils se scindèrent en Ostrogoths et Wisigoths. Les Burgondes se dirigèrent vers l’ouest en direction des vallées du Main et du Rhin, tandis que les Gépides parvenaient sur le territoire actuel de la Hongrie. Ces peuples, surtout les Goths, étaient généralement plus puissants et plus unis que les Germains occidentaux, notamment grâce aux richesses tirées du commerce de l’ambre. En effet, les Goths accédèrent au rang de puissance militaire en fédérant les peuples divers qu’ils rencontrèrent. Les Germains orientaux repoussèrent donc les populations qui se trouvaient sur leur passage. Il s’agissait d’une part des nomades des steppes qui s’étendaient à l’est des Carpathes, généralement d’origine iranienne : parmi les Sarmates, qui avaient absorbé les Scythes, on distinguait les Roxolans entre le Don et le Dniepr et les Iazyges sur le cours inférieur de la Tisza et du Danube, déjà mêlés aux Bastarnes. D’autre part, le contrecoup de ces migrations fut d’autant plus ressenti à l’ouest que le territoire occupé par les Germains occidentaux avait sans doute vu augmenter la densité de son peuplement. La pression se fit donc plus forte sur le Rhin, sur les champs Décumates et surtout sur le Danube. Les frontières romaines furent ainsi franchies à partir de 166 apr. J.-C. Les Chattes pénétrèrent en Gaule Belgique, les Chauques pratiquèrent la piraterie à l’embouchure du Rhin, les Quades et les Marcomans parvinrent en Norique puis en Vénétie, les Carpes en Dacie, les Sarmates Iazyges franchirent le Danube, les Costoboques et les Bastarnes atteignirent l’Achaïe et l’Asie. La stratégie impériale s’avéra alors inadaptée aux moyens militaires romains et à la situation au-delà des frontières. Après avoir consacré une grande partie de son règne à repousser les incursions germaniques, Marc Aurèle aurait peut-être envisagé de résoudre la question barbare en établissant deux nouvelles provinces au-delà du Danube. Si tant est qu’il ait réellement existé, ce projet fut abandonné par Commode et, moyennant parfois le versement de subsides, la situation se stabilisa jusqu’au règne de Caracalla. Son règne correspondit en effet à l’émergence d’un nouveau phénomène : la formation de vastes coalitions de tribus germaniques. La ligue des Alamans, attestée pour la première fois en 213 à l’occasion des combats qui valurent le titre d’Alamannicus à Caracalla, regroupait ainsi des tribus installées dans les hautes vallées de l’Elbe et de la Saale. Étymologiquement, le terme alaman est en effet formé de l’adjectif « tous » et du nom « hommes ». Il s’agissait pour ces Germains du haut Danube de résister aux pressions des autres peuplades germaniques en s’emparant de nouveaux territoires. Quant à la ligue franque, elle se constitua pour des raisons similaires quelques décennies plus tard sur le cours inférieur du Rhin en rassemblant dans un premier temps les Chamaves, les Chattes, les Sicambres et les Bructères, dans un second temps les Usipètes et les Tenctères. Ils sont attestés pour la première fois dans la biographie d’Aurélien de l’Histoire Auguste (Vie d’Aurélien, VII, 1-2). Le terme « Franc » découlerait de l’appellation « hommes libres » ou de leur réputation de bravoure, voire de férocité. Dans d’autres cas, les adversaires nouvellement venus au contact de l’empire fusionnèrent avec les occupants précédents tombés sous leur domination et introduisirent des formes d’organisation politique et militaire plus efficaces qui en faisaient désormais des adversaires redoutables et imprévisibles. Au contraire, les peuples combattus jusqu’au règne de Marc Aurèle étaient plus connus des Romains et plus limités dans leurs moyens d’action. Or, le pouvoir impérial et les élites de l’empire ne semblent pas avoir pris nettement conscience de la gravité de ces menaces d’une ampleur inédite. La meilleure preuve en est que les Romains tardèrent à adapter leur terminologie à leurs nouveaux adversaires. C’est ainsi que, généralement, les auteurs anciens ne distinguèrent pas avant un certain temps les populations récemment parvenues aux frontières de l’empire de celles qui les avaient précédées. Goths, Vandales et même plus tard Huns continuèrent à être souvent appelés Scythes. La première attestation du nom Goth remonte au titre de Gothicus Maximus revêtu par l’empereur Claude II en 269, alors que les incursions de ce peuple en Asie Mineure et dans les Balkans avaient commencé dès 238. Certes, Pline l’Ancien avait déjà évoqué des Gutones dans son Histoire naturelle au Ier siècle de notre ère, mais les Romains du IIIe siècle s’avérèrent incapables d’opérer le rapprochement entre les deux. Cette attitude est révélatrice autant d’une conception fixiste des êtres et des choses que d’un complexe de supériorité culturelle profondément ancrés dans les mentalités gréco-romaines. En outre, la vision augustéenne d’un empire ayant atteint les limites du monde connu et utile avait fini par contaminer les connaissances géographiques du temps. En outre, les buts de guerre des Germains demeurèrent longtemps difficiles à appréhender par les Romains. En effet, au IIIe siècle, il ne s’agissait généralement pas de véritables conquêtes territoriales mais plutôt d’incursions prédatrices à grandes distances destinées à faire le plus de butin et de captifs possible. L’inscription retrouvée à Augsbourg en 1992 gravée sur un autel dédié à la Victoire (AE, 1993, 1231) mentionne ainsi plusieurs milliers de prisonniers italiens arrachés aux Juthunges sur le chemin du retour par le gouverneur de Rhétie Marcus Simplicius Genialis en avril 260. Elle témoigne de la capacité des barbares à pénétrer très loin de leurs bases jusqu’au cœur de l’empire et donc de l’inadaptation du système défensif des frontières. En outre, le caractère très mouvant de leurs organisations politiques, oscillant entre éclatement et fédération, ne permettait pas toujours au pouvoir impérial romain d’identifier des interlocuteurs fiables et représentatifs avec lesquels engager des négociations. Après un répit relatif entre la Tétrarchie et le règne de Julien l’Apostat, la conjoncture militaire se dégrada de nouveau aux frontières romaines à partir du milieu du IVe siècle. En effet, les incursions barbares n’avaient plus pour seul objectif le pillage : certaines populations extérieures aspiraient désormais à s’installer à l’intérieur de l’empire. Elles y cherchaient les ressources qui leur manquaient mais aussi la sécurité, dans la mesure où elles se sentaient elles-mêmes menacées par l’arrivée de nouveaux peuples sur leur propre territoire. C’était particulièrement le cas des Goths qui tentaient d’échapper à la pression des Huns apparus entre le Don et le Danube vers 360. Cependant, comme au siècle précédent, le pouvoir impérial semble avoir mal apprécié la gravité respective des différentes menaces auxquelles il se trouvait confronté. Cette incompréhension est à l’origine de l’écrasement à Andrinople de l’armée romaine par les Goths, le 9 août 378, et, le 31 décembre 406, du franchissement du Rhin par les Vandales, les Suèves et les Alains.
Voici en PJ la frise chronologique que je donne aux élèves (frise avec questions que les élèves complètent avec les 30 premières minutes de cette autre conférence de Bruno Dumézil) : Les invasions barbares, la fin de l'empire romain