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dimanche 22 septembre 2019

Et si les "grandes invasions" n'avaient pas eu lieu ?

Petit préambule :
1) J'adore le ton alerte des conférences de cet éminent médiéviste des débuts du Moyen Âge
2) J'adore ses objets et les thématiques qu'il explore
3) Ses démonstrations sont lumineuses, s'appuyant sur une incontestable érudition et un petit côté pop-culture irrévérencieux qui entraîne le public avec lui.


Dans cette conférence, vous apprendrez l'origine du Seigneur des Anneaux (les influences de JRR Tolkien sont bien connues pour être médiévales)



Mais surtout, entre 30 min et 45 min, c'est là qu'on entre véritablement dans le sujet : la localisation dans le nord de la Francie/ Belgique seconde des tombes guerrières que l'on identifiait comme barbares car grandes épées franques (spatha), des chaudrons avec de la bière, squelette de cheval et bijoux d'apparat en orfèvrerie cloisonnée de grenats pouvait faire croire à l'arrivée de nombreuses troupes venues de Germanie, amenant avec eux leurs traditions. Mais cette interprétation ne tient pas, je vous laisse découvrir pourquoi.
Le plus vraisemblable, d'après Dumezil, serait que les populations gallo-romaines ont changé leur référent culturel pour s'adapter à la nouvelle dynastie royale (Clovis et ses descendants), d'autant plus que se déclarer franc permettait d'être exempté d'impôt !



Une révision de mon cours s'impose.

La suite (partie III) est toute aussi intéressante puisque Bruno Dumézil fait, à grands traits, toute la généalogie de cette interprétation historique qui naît au 19es, celle des grandes invasions. Le passage sur les Allemands, l'érudition allemande et le germanisme et le Völkerwanderung permet d'avoir un contrepoint au roman national français qui se constitue à la même époque et donc un deuxième exemple à présenter aux élèves du rôle politique joué par l'histoire nationale au 19e siècle. (autour de 55 min)...puis vient un passage édifiant sur la présentation des barbares dans les manuels de la 3e République. C'est là que j'apprends que cette carte qu'on utilise tous, qui présente les invasions par de grandes flèches traversant toute l'Europe, a été forgée en plein moment revanchard, avec les arrière-pensées que l'on comprend sans peine.

Bref, un grand moment de révision de mes certitudes en plus d'une heure de conférence qui passe comme un éclair.

Je complète ce post avec l'article Barbaricum de l'encyclopédie Les Barbares dirigée par Bruno Dumézil.
Depuis les migrations des Cimbres et des Teutons vaincus par Marius à la fin du IIe siècle av. J.-C., puis les déplacements des Suèves d’Arioviste combattus par César en 58 av. J.-C., le monde germanique paraissait relativement stabilisé. Ces migrations avaient concerné des populations partant du sud de la Scandinavie, qui se heurtaient aux Celtes, tout en étant marquées par leur influence. L’origine de ce phénomène tenait probablement à un ensemble complexe de facteurs, climatiques, démographiques, voire culturels. On a évoqué un refroidissement climatique affectant la Scandinavie depuis le VIe siècle av. J.-C., mais son impact réel demeure discuté. On a également quelques difficultés à vérifier par l’archéologie l’hypothèse d’un éventuel surpeuplement de cette région durant la même période. On suppose parfois l’existence de rites obligeant les plus jeunes générations de guerriers à s’emparer de nouveaux territoires, qui rappelleraient les pratiques de certains peuples italiques. Ces migrations avaient abouti à l’établissement de tribus très morcelées, vivant au contact du limes. C’est d’ailleurs à cette même époque que les historiens antiques tels que Posidonios de Rhodes en 90 av. J.-C., puis César commencèrent à désigner l’ensemble de ces populations sous le terme générique de Germains. Pour César, il s’agissait également d’expliquer l’arrêt de l’expansion romaine sur le Rhin, alors que, de part et d’autre de ce fleuve, vivaient des tribus très marquées par la civilisation celtique. Au contraire, selon Strabon, contemporain des conquêtes augustéennes, les Germains étaient apparentés aux Celtes. Même après le ralentissement de ces mouvements de grande ampleur, les Germains restèrent soumis à des brassages constants, qui rendent très difficile l’individualisation de groupes particuliers dont on pourrait suivre l’évolution jusqu’au IIIe siècle. C’est ainsi que les distinctions topographiques ou ethniques opérées par César ne coïncident pas forcément avec celles de Velleius Paterculus, de Strabon, de Pline l’Ancien, de Tacite ou encore de Ptolémée au IIe siècle. Il y eut vraisemblablement des rassemblements qui se faisaient et se défaisaient autour de quelques lignages aristocratiques se réclamant d’ancêtres mythiques communs. Les chercheurs contemporains fondent plutôt leurs classifications sur l’archéologie et la linguistique. Désormais, les peuples barbares sont donc distingués les uns des autres selon des critères plus culturels qu’ethniques. Ils se seraient répartis dans trois grandes régions : les Germains du Nord ou Germains de la mer, Angles, Cimbres et Jutes en Scandinavie et dans le Jutland ; les Germains de l’Ouest, ou Germains de la forêt, entre le Rhin, le Danube et l’Elbe ; les Germains de l’Est ou Germains de la steppe, Bastarnes, Skires, Costoboques, Goths, Vandales, Burgondes et Gépides au-delà de l’Elbe. Ce sont ainsi les Germains occidentaux qui se trouvèrent les premiers au contact de l’empire romain. Dès le premier quart du IIe siècle de notre ère, les migrations reprirent en Germanie orientale, en suivant d’abord la même direction que le mouvement qui avait déjà conduit les Bastarnes, les Skires puis les Costoboques en Ukraine et sur la mer Noire au IIIe siècle av. J.-C. Les Vandales remontèrent la vallée de l’Oder pour s’établir en Silésie, Galicie et Slovaquie. Derrière eux, les Goths, sans doute repoussés des côtes de la mer Baltique par la famine et la surpopulation, remontèrent les vallées de la Vistule et du Dniestr, où ils se scindèrent en Ostrogoths et Wisigoths. Les Burgondes se dirigèrent vers l’ouest en direction des vallées du Main et du Rhin, tandis que les Gépides parvenaient sur le territoire actuel de la Hongrie. Ces peuples, surtout les Goths, étaient généralement plus puissants et plus unis que les Germains occidentaux, notamment grâce aux richesses tirées du commerce de l’ambre. En effet, les Goths accédèrent au rang de puissance militaire en fédérant les peuples divers qu’ils rencontrèrent. Les Germains orientaux repoussèrent donc les populations qui se trouvaient sur leur passage. Il s’agissait d’une part des nomades des steppes qui s’étendaient à l’est des Carpathes, généralement d’origine iranienne : parmi les Sarmates, qui avaient absorbé les Scythes, on distinguait les Roxolans entre le Don et le Dniepr et les Iazyges sur le cours inférieur de la Tisza et du Danube, déjà mêlés aux Bastarnes. D’autre part, le contrecoup de ces migrations fut d’autant plus ressenti à l’ouest que le territoire occupé par les Germains occidentaux avait sans doute vu augmenter la densité de son peuplement. La pression se fit donc plus forte sur le Rhin, sur les champs Décumates et surtout sur le Danube. Les frontières romaines furent ainsi franchies à partir de 166 apr. J.-C. Les Chattes pénétrèrent en Gaule Belgique, les Chauques pratiquèrent la piraterie à l’embouchure du Rhin, les Quades et les Marcomans parvinrent en Norique puis en Vénétie, les Carpes en Dacie, les Sarmates Iazyges franchirent le Danube, les Costoboques et les Bastarnes atteignirent l’Achaïe et l’Asie. La stratégie impériale s’avéra alors inadaptée aux moyens militaires romains et à la situation au-delà des frontières. Après avoir consacré une grande partie de son règne à repousser les incursions germaniques, Marc Aurèle aurait peut-être envisagé de résoudre la question barbare en établissant deux nouvelles provinces au-delà du Danube. Si tant est qu’il ait réellement existé, ce projet fut abandonné par Commode et, moyennant parfois le versement de subsides, la situation se stabilisa jusqu’au règne de Caracalla. Son règne correspondit en effet à l’émergence d’un nouveau phénomène : la formation de vastes coalitions de tribus germaniques. La ligue des Alamans, attestée pour la première fois en 213 à l’occasion des combats qui valurent le titre d’Alamannicus à Caracalla, regroupait ainsi des tribus installées dans les hautes vallées de l’Elbe et de la Saale. Étymologiquement, le terme alaman est en effet formé de l’adjectif « tous » et du nom « hommes ». Il s’agissait pour ces Germains du haut Danube de résister aux pressions des autres peuplades germaniques en s’emparant de nouveaux territoires. Quant à la ligue franque, elle se constitua pour des raisons similaires quelques décennies plus tard sur le cours inférieur du Rhin en rassemblant dans un premier temps les Chamaves, les Chattes, les Sicambres et les Bructères, dans un second temps les Usipètes et les Tenctères. Ils sont attestés pour la première fois dans la biographie d’Aurélien de l’Histoire Auguste (Vie d’Aurélien, VII, 1-2). Le terme « Franc » découlerait de l’appellation « hommes libres » ou de leur réputation de bravoure, voire de férocité. Dans d’autres cas, les adversaires nouvellement venus au contact de l’empire fusionnèrent avec les occupants précédents tombés sous leur domination et introduisirent des formes d’organisation politique et militaire plus efficaces qui en faisaient désormais des adversaires redoutables et imprévisibles. Au contraire, les peuples combattus jusqu’au règne de Marc Aurèle étaient plus connus des Romains et plus limités dans leurs moyens d’action. Or, le pouvoir impérial et les élites de l’empire ne semblent pas avoir pris nettement conscience de la gravité de ces menaces d’une ampleur inédite. La meilleure preuve en est que les Romains tardèrent à adapter leur terminologie à leurs nouveaux adversaires. C’est ainsi que, généralement, les auteurs anciens ne distinguèrent pas avant un certain temps les populations récemment parvenues aux frontières de l’empire de celles qui les avaient précédées. Goths, Vandales et même plus tard Huns continuèrent à être souvent appelés Scythes. La première attestation du nom Goth remonte au titre de Gothicus Maximus revêtu par l’empereur Claude II en 269, alors que les incursions de ce peuple en Asie Mineure et dans les Balkans avaient commencé dès 238. Certes, Pline l’Ancien avait déjà évoqué des Gutones dans son Histoire naturelle au Ier siècle de notre ère, mais les Romains du IIIe siècle s’avérèrent incapables d’opérer le rapprochement entre les deux. Cette attitude est révélatrice autant d’une conception fixiste des êtres et des choses que d’un complexe de supériorité culturelle profondément ancrés dans les mentalités gréco-romaines. En outre, la vision augustéenne d’un empire ayant atteint les limites du monde connu et utile avait fini par contaminer les connaissances géographiques du temps. En outre, les buts de guerre des Germains demeurèrent longtemps difficiles à appréhender par les Romains. En effet, au IIIe siècle, il ne s’agissait généralement pas de véritables conquêtes territoriales mais plutôt d’incursions prédatrices à grandes distances destinées à faire le plus de butin et de captifs possible. L’inscription retrouvée à Augsbourg en 1992 gravée sur un autel dédié à la Victoire (AE, 1993, 1231) mentionne ainsi plusieurs milliers de prisonniers italiens arrachés aux Juthunges sur le chemin du retour par le gouverneur de Rhétie Marcus Simplicius Genialis en avril 260. Elle témoigne de la capacité des barbares à pénétrer très loin de leurs bases jusqu’au cœur de l’empire et donc de l’inadaptation du système défensif des frontières. En outre, le caractère très mouvant de leurs organisations politiques, oscillant entre éclatement et fédération, ne permettait pas toujours au pouvoir impérial romain d’identifier des interlocuteurs fiables et représentatifs avec lesquels engager des négociations. Après un répit relatif entre la Tétrarchie et le règne de Julien l’Apostat, la conjoncture militaire se dégrada de nouveau aux frontières romaines à partir du milieu du IVe siècle. En effet, les incursions barbares n’avaient plus pour seul objectif le pillage : certaines populations extérieures aspiraient désormais à s’installer à l’intérieur de l’empire. Elles y cherchaient les ressources qui leur manquaient mais aussi la sécurité, dans la mesure où elles se sentaient elles-mêmes menacées par l’arrivée de nouveaux peuples sur leur propre territoire. C’était particulièrement le cas des Goths qui tentaient d’échapper à la pression des Huns apparus entre le Don et le Danube vers 360. Cependant, comme au siècle précédent, le pouvoir impérial semble avoir mal apprécié la gravité respective des différentes menaces auxquelles il se trouvait confronté. Cette incompréhension est à l’origine de l’écrasement à Andrinople de l’armée romaine par les Goths, le 9 août 378, et, le 31 décembre 406, du franchissement du Rhin par les Vandales, les Suèves et les Alains.

Proposition de séquence : 
Voici en PJ la frise chronologique que je donne aux élèves (frise avec questions que les élèves complètent avec les 30 premières minutes de cette autre conférence de Bruno Dumézil) : Les invasions barbares, la fin de l'empire romain

vendredi 13 septembre 2019

L'empereur à Rome : focus sur Auguste et Ara pacis


LA DEMOCRATIE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC L’EXISTENCE DE L’EMPEREUR ?


Doc 1 : Les pouvoirs de l’empereur
Du fait de l’attachement à la République des Romains, Rome est restée officiellement une République mais elle est dirigée par un princeps imperator (= prince qui veut dire « le premier » + imperator qui veut dire « victorieux »). On devrait parler de Principat plutôt que d’Empire.


doc d'accompagnement1

doc d'accompagnement 2


a)       En utilisant la titulature impériale (titres attribués à l’empereur inscrits tout autour de la pièce de monnaie), justifier qu’on puisse dire que l’empereur concentrait tous les pouvoirs.
b)       Montrer qu’il dirigeait directement l’empire (40 provinces-60 millions d’habitants environ) en utilisant le doc d’accompagnement 1
c)       Quelles sont donc les différences par rapport au système de la République ? Utilisez le doc d’accompagnement 2 pour comparer



 Doc 2 : Un texte qui raconte comment la République est devenue l’Empire
« En fait, César*, puisqu’il était le maître des finances […] et qu’il avait l’autorité militaire, pouvait exercer en tout et toujours un pouvoir souverain […]. Le nom d’Auguste lui fut donné par le Sénat  et par le peuple car il avait été décidé de lui donner un titre spécial. […] César se fit appeler Auguste, ce qui signifiait qu’il avait quelque chose de plus que les hommes [ordinaires]. […] Ce fut ainsi que la puissance du peuple et du Sénat passa toute entière à Auguste et qu’à partir de cette époque, fut établie une monarchie pure. »
Dion Cassius, Histoire Romaine.
*Auguste, 1er empereur, avait comme nom César puisqu’il avait été adopté par César

a)       D’où vient la puissance d’Auguste ? (1ère ligne)
b)       Montrez qu’Auguste n’a même pas besoin d’utiliser la force pour s’emparer du pouvoir (phrases 2 et 3)
c)       Pour Dion Cassius, Rome est donc une monarchie. Derrière l’apparente neutralité du récit, peut-on deviner l’opinion de l’auteur sur l’empereur.


Cette situation de coexistence des institutions héritées de la République et d’un empereur ayant tous les pouvoirs a duré de -27 (Octavien, fils adoptif de César devient l’empereur Auguste) jusque +476 (déposition du dernier empereur romain de Rome, Romulus Augustule : fin de l’empire romain). Cette longévité témoigne de la stabilité du système impérial. Comment les empereurs gagnaient-ils la sympathie des foules ?

Doc 3 : La propagande impériale : Comment l’empereur « se met en scène » pour assurer sa domination

a-  Ovide, Fastes, traduction de Nisard, 1, 589-616 : anniversaire du nom d'Auguste donné à Octave par le Sénat (13 janvier)
C'est à ces Ides que toutes les provinces de l'empire ont été rendues au peuple romain, et que le nom d'Auguste, ô Germanicus, a été donné à votre aïeul. Jetez un coup d'oeil sur toutes les images de cire qui ornent les palais de la noblesse, et voyez si jamais titre plus glorieux a été décerné comme récompense. [...] Pourtant, ces distinctions sont purement humaines; c'est avec le souverain des dieux, c'est avec Jupiter, que César* partage son nom. Les mystères religieux étaient dits augustes par nos pères;  Auguste aussi a un temple que la main des prêtres a solennellement consacré. De ce mot aussi est dérivé celui d'augure; il désigne enfin tout ce qui doit son accroissement à la faveur de Jupiter. Qu'il accroisse donc l'empire de notre maître, et qu'il prolonge ses années. Puisse la couronne de chêne protéger la porte de nos demeures; et que sous les auspices des dieux, l'héritier d'un tel titre soutienne aussi heureusement que son père le sceptre pesant du monde !
*Le nom de Cesar renvoie à Octave-Auguste comme dans le texte qui précède





a) Comment Auguste a t-il été divinisé ?



b- Dédicace de l'Ara Pacis, prière à la Paix.(Ovide, Fastes, 1, 709-724)Nous voici amenés par la muse elle-même à l'autel de la Paix; nous sommes au second jour avant la fin de ce mois. Viens, ô déesse*, le front paré des lauriers d'Actium, et puissions-nous, avec tout l'univers, rester longtemps sous ton paisible empire! Rome n'a plus d'ennemis; rien n'alimente plus ses triomphes; la gloire militaire pâlit devant celle que te devront nos chefs; que le soldat ne soit armé que pour faire mettre bas les armes; que les sons belliqueux de la trompette n'annoncent plus que le retour de nos fêtes; que, d'un bout du monde à l'autre, on tremble devant les descendants d'Énée, et qu'à défaut de la terreur, l'amour nous soumette les nations. Prêtres, jetez l'encens sur les feux de l'autel,  frappez au front la victime blanche; demandez aux dieux, qui entendent les pieuses prières , que nous conservions longtemps la paix , et aussi longtemps que la paix, la maison qui nous la donne. Mais déjà j'ai rempli une première partie de ma tâche, et ce livre finit avec le mois qu'il a chanté.
* Il s'agit de la déesse de la Paix

C'est le Sénat qui a décidé la construction d'un autel dédié à la Pax Augusta (ou pax romana), en l'honneur du retour d'Auguste après la pacification de la Gaule et de l'Espagne. La dédicace, c'est à dire la cérémonie de consécration solennelle aux dieux a lieu le 30 Janvier de l'an 9. On peut supposer que le programme décoratif de l'autel a été supervisé par Auguste, tant l'ensemble monumental, situé en bordure du champ de Mars soutient sa propagande. Le message en est bien connu (il sera gravé sur des plaques de bronze affichée sur le mausolée d'Auguste,  ce sont les Res gestae). Une des façades du mur d'enclos de l'autel présente la déesse Rome assise sur un bouclier, ce qui renforce visuellement le sens du bâtiment. Auguste a mis fin aux guerres civiles, il a renforcé la puissance de Rome et agrandi l'Empire : les Romains peuvent grâce à lui profiter d'un âge d'or pacifique, ce qui est constamment évoqué dans le programme décoratif intérieur de l'ara Pacis par des grappes de raisin, des guirlandes de fruits évoquant l'abondance. L'Ara pacis était donc autant un lieu de cérémonie religieuse (ara = autel) qu'une reconnaissance officielle du rôle prééminent de Auguste.

 Restes d’une statue monumentale de Constantin




b-  Listez les autres  moyens par lesquels l’empereur maintient ou renforce sa domination (idée, exemple)



------------------------------------- (en complément pour éventuellement compléter à l'oral)
Lien vers une très bonne présentation du monument par un ou une collègue de collège (fiche HDA)


Un dernier point :
D'après Diana E. Kleiner, The great friezes of the Ara Pacis Augustae dans Mélanges de l'Ecole française de Rome -Antiquité, 1978

Dans cet article, l'auteur rappelle le lien que l'on peut faire entre les frises de l'ara Pacis et la frise des Panathénées du Parthénon, autant stylistiquement que dans sa fonction. 
Le dernier point de son article a plus particulièrement retenu mon attention.



La présence d'enfants et de femmes sur l'ara pacis (procession de l'aile sud) est une nouveauté artistique : on trouve peu de femmes et encore moins d'enfants dans l'art romain républicain. C'est donc une rupture qui s'explique par les buts politiques d' Auguste.
Les textes disent qu'Auguste s'est occupé personnellement de l'éducation de ses deux petits-fils (Gaïus et Lucius, fils de Marcus Agrippa et de sa fille, Julia) auxquels il était très attaché et qui devaient sans doute lui succéder. Dès 13 BC, sur des deniers, on peut voir le portait d'Auguste sur l'avers et Julia et ses deux enfants sur le revers. En 2 BC, on porte à Lugdunum, aussi bien sur des pièces d'or que des deniers, les portraits des deux enfants, la tête couverte de la toge, entourés de  boucliers et d'objets religieux. Enfin des groupes statuaire représentant les deux enfants ont été disséminés un peu partout dans l'empire. Selon F. Chamoux, seul Auguste lui-même était davantage représenté. Sur ces représentations officielles, Lucius était représenté comme  Octave (sur la pièce célébrant sa victoire à Actium)



 et Gaïus était coiffé comme le Auguste  de Prima porta.



Sur Auguste, on peut aussi utiliser la vidéo de la série Points de repères "Auguste empereur de Rome" qui est assez complète, plutôt bien faite sur le contenu même si il s'agit d'images d'animation.

mardi 27 août 2019

Introduction au cours sur la Méditerranée au XIIe siècle


La Méditerranée est l'espace où se rencontrent 3 civilisations.
  •  L'Europe occidentale divisée en plusieurs royaumes et où le christianisme est la seule religion tolérée => On parlera d'Occident chrétien. La langue commune est le latin.
  •  L'empire byzantin qui se situe à cheval sur l'Europe orientale et sur l'Asie mineure. La religion officielle est la religion orthodoxe. Ses habitants parlent le grec.
  •   Le monde musulman soumis en théorie à l'autorité du calife mais divisé en réalité entre plusieurs royaumes. La religion musulmane et la langue arabe sont des facteurs d'unité du monde musulman.


La carte fait apparaître des zones d'affrontement entre ces 3 civilisations :
l'Espagne où les royaumes chrétiens se livrent à la reconquête des territoires musulmans (reconquista)
les Etats latins d'Orient en Syrie et Palestine conquis par les occidentaux à l'occasion des croisades.
La frontière de l'Empire byzantin en Asie mineure qui est menacée par la progression turque.

=> Quels sont les contacts entre ces 3 civilisations ? Affrontements et/ou échanges commerciaux, culturels, scientifiques... Ces 3 civilisations ont -elles bénéficié de ces contacts pour s'enrichir économiquement et culturellement ou ont-elles coexisté sans se mélanger ? Comme le programme de seconde s'intéresse plus particulièrement à la civilisation européenne, nous nous poserons ces questions à propos de l'Occident chrétien.
Pbque : Quel est le bilan des contacts et des échanges qui eurent lieu au XIIe siècle entre l'Occident chrétien et les deux autres civilisations méditerranéennes ?

rappel historique = évolution des 3 espaces depuis l'Antiquité
·       L'Occident chrétien
- Les "invasions barbares" (wisigoths, ostrogoths, vandales, burgondes, francs...) du IVe et du Ve siècle provoquent la disparition de l'Empire romain ( en 476 = déposition du dernier empereur, Romulus Augustule par le général ostrogoth Odoacre) + création des royaumes barbares (ex. en Gaule du N = Clovis crée le royaume des Francs).
- Chaque royaume va désormais évoluer séparément avec sa propre langue et ses propres coutumes, inspirées des traditions du peuple barbare qui dirige. La civilisation romaine disparaît petit à petit (les populations par exemple ont abandonné les anciennes villes romaines). Néanmoins, il reste des éléments d'unité = la langue latine qui est parlée par les élites de toute l'Europe et la religion (l'Eglise dirigée par le Pape est particulièrement puissante. Elle tire sa fortune des dons que lui font la population et des territoires que le Pape dirige directement = Etats de l'Eglise en Italie centrale)[1].
- Le rêve de recréer l'Empire romain n'a jamais disparu. Charlemagne[2] réussit par la guerre et l'habileté diplomatique à dominer un immense territoire s'étendant de l'Atlantique à l'Elbe, de la mer du N au N de l'Italie. Le Pape le couronne empereur en 800. Mais rapidement après sa mort, son empire éclate et disparaît. En 962, un roi germanique Otton Ier restaure l'empire qui devient le St Empire romain germanique. De taille plus modeste, il ne couvre en fait que l'Europe centrale et le N de l'Italie.
·       L'empire byzantin
C'est ce qui reste de l'Empire romain. En 395, l'empire romain fut définitivement coupé en 2 : empire romain d'Occident capitale Rome et chef religieux, le Pape + empire romain d'Orient, capitale Constantinople et chef religieux le Patriarche. A partir de cette date, les 2 parties de l'empire vont évoluer différemment. Alors qu'en Occident, les Etats se multiplient et se divisent, en Orient, les empereurs parviennent à se maintenir malgré les crises. L'empereur tire sa force de son alliance avec l'Eglise orthodoxe qui n'a jamais voulu reconnaître l'autorité de Rome et qui a des rites différents. Les deux Eglises sont officiellement séparées depuis 1054.
·       Le monde musulman
- immense, constitué de peuples divers et de pouvoirs politiques nombreux, c'est néanmoins une communauté unie par la religion. Tous les musulmans font partie de la communauté des croyants qui doit obéir au calife, successeur de Mahomet(570/580-632), le fondateur de la religion. A la suite de l'apparition de l'archange Gabriel, il se met à prêcher une nouvelle religion qui s'inspire de celles des juifs et des chrétiens. Pour les musulmans, JC n'est pas le Messie mais c'est un des prophètes de Dieu. Le dernier prophète de Dieu et le plus grand est Mahomet. En 622 (hégire), il est chassé de sa ville natale (La Mecque en Arabie) et se réfugie à Médine où il met sur pied une petite armée qui reconquiert La Mecque. Après sa mort en 632, l'Islam se répand rapidement en Arabie puis en Asie mineure et au Maghreb. En 711, les arabes musulmans sont en Espagne et montent vers le N jusque en 732 où leur expansion est bloquée grâce à la victoire de Charles Martel (Poitiers). Les musulmans sont plutôt tolérants bien que leur religion soit universaliste.

- Le calife est à la fois un chef religieux et un chef politique. Mais les musulmans sont divisés. Certains (minorité chiite) ne reconnaissent pas l'autorité du calife pour des raisons religieuses. De plus, l'empire est tellement vaste que les représentants du calife (émir ou sultan) dirigent de façon autonome et n'hésite pas à entrer en conflit avec le calife. Enfin, depuis 969, il y a deux califes, un à Bagdad ( les Abbassides dominés par les turcs) j'en 1258 et l'autre au Caire (les Fatimides) en Egypte.


Repères chronologiques :


Plan du cours

I/ La méditerranée est un espace où des civilisations s’affrontent
A)    L’idée de croisade
B)    La création des Etats latins d’orient et Reconquista
C)    La méfiance mutuelle : chrétiens, juifs et musulmans
II/ Pourtant, les violences n’empêchent pas les contacts et les échanges culturels
A)    La Sicile impériale
B)    Les Francs à l’école arabe en Espagne
C)    Le rôle des marchands italiens : ex de Venise



[1] * Le rôle et l'importance de l'Eglise dans la société occidentale donnera lieu à un point à part du cours.
[2] ** Clovis (481-511)® mérovingiens de 500 à 754 (couronnement de Pepin le bref = avènement des carolingiens) ® 987 ( couronnement de Hugues Capet et avènement des capétiens) ®1789.


Sur les relations Chrétiens/Juifs voir ce post
Sur les relations Chrétiens/ Musulmans, voir ce post
Sur Palerme musulmane, voir ce post et sur les musulmans de Sicile, c'est ici
Sur Venise, voir ce post.
Sur les récits de la première croisade, voir ce post
Sur les Templiers

Personnellement, j'ai décidé de traiter ce chapitre entièrement sur la base d'exposés d'élèves et leurs reprises : pour la liste des exposés, télécharger ici . Le manuel est le Hachette 2019.

vendredi 23 août 2019

Deux exercices d'analyse de texte sur Athènes


METHODO : L’ANALYSE DE TEXTE HISTORIQUE


FAIRE UNE INTRODUCTION

 Ce texte, écrit par l’historien grec Thucydide, au Ve siècle avant J.-C. concerne la domination de la cité d’Athènes sur ses alliées de la Ligue de Délos.
Les Athéniens reçurent ainsi l’hégémonie du plein gré des alliés […] : ils fixèrent quelles villes devaient leur fournir contre le Barbare de l’argent ou bien des navires – le principe officiel étant de ravager le pays du Roi en représailles pour les torts subis. […] le tribut qui fut fixé à l’origine se montait à quatre cent soixante talents ; on le déposait à Délos, et les réunions se faisaient dans le sanctuaire. Cependant, les Athéniens, dont l’hégémonie, au début, s’exerçait sur des alliés autonomes, et invités à délibérer dans des réunions communes, devaient [s’opposer] non seulement au Barbare, mais à leurs propres alliés, lorsque ceux-ci se montraient rebelles, et aux éléments péloponnésiens mêlés dans chaque affaire. […] : les Athéniens montraient des exigences strictes. […]. Aussi bien, d’une façon générale, l’autorité des Athéniens ne s’exerçait-elle plus comme avant, avec l’agrément de tous ; et, de même qu’ils ne faisaient plus la guerre sur un pied d’égalité avec les autres, de même il leur était aisé de châtier les dissidents. […] aussi Athènes voyait-elle croître sa flotte, grâce aux frais qu’ils assumaient, tandis qu’eux-mêmes, en cas de défection, entraient en guerre sans armements ni expérience.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I.96-99
Vocabulaire :
tribut : c’est la somme d’argent payée par les cités à Athènes contre sa protection militaire, pour la dédommager des frais supplémentaires que coûtent l’entretien d’une armée. Ce tribut s’appelle le « trésor » de la Ligue de Délos, laquelle est l’ensemble des cités qui payent cette somme à Athènes. D’abord localisé à Delos, il fut amené à Athènes par Périclès.
talent : monnaie athénienne équivalant à 6000 drachmes. Avec la Ligue de Délos, la monnaie athénienne va s’imposer dans toutes les cités alliées. Si l’on fait une opération de conversion, on s’aperçoit que 460 talents valent 2 760 000 drachmes, soit 2 760 000 journées d’un ouvrier travaillant sur le chantier de construction de l’Acropole, à la fin du Ve siècle avant J.-C.
autonomes : des cités autonomes sont des cités qui se donnent à elles-mêmes leurs propres lois donc qui se gouvernent seules.
dissidents : les cités qui refusent d’obéir (ici à Athènes)

1ère étape : Quelle est la nature du document ? Présentation S.A.N.D.
a) C’est un discours destiné à justifier la domination d’Athènes sur ses alliés.
b) C’est un récit historique qui analyse les causes et les conséquences des faits.
c) C’est une critique de la domination athénienne.
d) C’est une narration.

2e étape : compréhension des points obscurs (s’aider du manuel) pour comprendre le contexte.
Le texte porte sur la guerre du Péloponnèse et en recherche les causes. Le texte porte donc sur la situation avant la guerre du Péloponnèse
a)       Quand a eu lieu la guerre du Péloponnèse ? Qui se bat contre qui ? Qui gagne, qui perd ?
b)       En sachant qu’hégémonie veut dire domination, sur qui les Athéniens sont-ils hégémoniques ? Comment ont-ils obtenu ce pouvoir ? Quand ? Contre qui se battait alors Athènes ? Citer les deux batailles qu’elle a gagnées.

3e étape : Le plan du texte (pas forcément à présenter en intro, mais il faut l'avoir à l'esprit pour faciliter l'analyse)
Ici, la meilleure façon de couper le texte est de distinguer trois parties :
  • mode de fonctionnement de la Ligue de Délos
  • évolution de la Ligue de Délos entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse
  • analyse des causes de cette évolution
 4e étape : L'idée générale
Quel est le contenu du document : Comment pourrait-on le résumer en une phrase ?
a) Les Athéniens ont profité d’un contexte militaire difficile pour établir leur hégémonie sur le monde grec.
b) La Ligue de Délos reposait sur la participation volontaire de tous ses membres : l’attitude d’Athènes fut mal acceptée par les cités alliées.
c) Pendant les cinquante années qui se sont écoulées entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse, l’alliance militaire rassemblée autour d’Athènes pour répondre à la menace perse est devenue un empire maritime sous domination athénienne.



LA LIBERTÉ DES GRECS MENACÉE ET L’UNITÉ IMPOSSIBLE

Etude d’un texte historique (document-source)

COMPRENDRE UNE ARGUMENTATION

Démosthène est un homme politique athénien du IVe siècle avant JC, durant la montée de l’influence macédonienne en Grèce. Appartenant au parti populaire/démocrate, il tenta par une série de discours que l’on nomme les Philippiques de convaincre les Athéniens de la nécessité de la guerre contre le roi de Macédoine, au nom de la défense de l’identité grecque (il dit « hellène ») et de l’indépendance d’Athènes. Mais beaucoup, y compris à Athènes, étaient favorables à Philippe de Macédoine et à ses projets d’union des cités grecques, sous sa domination, contre l’ennemi commun, l’empire perse. Aussi, les discours de Démosthène restèrent-ils sans effet. 



EXTRAITS DU TEXTE DU DISCOURS PRONONCÉ DEVANT L’ECCLESIA EN -341


1

Bien que, dans presque toutes vos assemblées, ô Athéniens! de nombreux discours vous retracent les attentats commis par Philippe, depuis son traité de paix, contre vous, contre la Grèce entière ; bien que, d'une voix unanime, vous disiez, mais sans le faire, que, pour le bien public, il faut, par nos paroles, par nos actes, arrêter et punir l'injurieuse audace de cet homme; je vois la négligence et la trahison miner toutes les affaires au point […] je croirais impossible de mieux organiser la ruine de la république. Plusieurs causes, sans doute, ont concouru à ce résultat, qu'une ou deux fautes seulement ne pouvaient amener : mais la principale, si vous examinez bien, vous la trouverez dans les orateurs plus jaloux d'être vos courtisans que vos sages conseillers. Fidèles à maintenir ce qui fonde leur propre renommée, leur crédit personnel, les uns ont les yeux fermés sur l'avenir, et décident que vous ne savez pas, Athéniens, voir plus loin qu'eux. Accusant, calomniant ceux qui dirigent vos affaires, les autres ne font qu'armer Athènes contre Athènes, et ménager à Philippe, par cette diversion, une liberté illimitée et d'action et de langage. Voilà la politique qui a passé dans vos mœurs, voilà la source de vos troubles et de vos fautes. Je réclame donc, Athéniens, le droit de vous exposer librement quelques vérités sans allumer votre courroux. […]  jusqu'à présent, Philippe n'a triomphé que de votre paresse et de votre insouciance; il n'a pas triomphé d'Athènes.

2

 […] Voici donc comme je pose, avant tout, l'état de la question : Avons-nous le choix entre la guerre et la paix ? Parlons de la paix d'abord. […] L'homme qui a tiré l'épée, qui s'environne d'une armée considérable, jette en avant le nom de paix, et nous fait une guerre réelle, le seul parti à prendre n'est-il pas de le repousser ? Après cela, dites, à son exemple, que vous observez la paix, j'y consens ; mais appeler paix ce qui ouvre au Macédonien, maître de tous les autres pays, la route de l'Attique, c'est d'abord démence, ensuite c'est désigner une paix d'Athènes avec Philippe, non de Philippe avec Athènes. Tel est le privilège qu'il achète au prix de tant d'or répandu : il vous fait la guerre sans que vous la lui fassiez. […] Mais, grands dieux ! avec le sens commun, quel homme décidera sur les paroles plutôt que sur les faits, si l'on est en paix ou en guerre avec lui ? […] Pour moi, loin de convenir que de telles actions sont conformes à la paix, quand je le vois mettre la main sur Mégare, organiser la tyrannie dans l'Eubée, pénétrer actuellement dans la Thrace, intriguer dans le Péloponnèse, exécuter tant de projets avec l'épée, j'affirme qu'il a rompu la paix et commencé les hostilités : quiconque dispose tout pour ma perte m'attaque dès lors, bien qu'il ne lance encore ni javelot ni flèche.

3

[…] je considère que tous les peuples, à commencer par vous, ont accordé à Philippe un droit qui fut toujours une source de guerre parmi les Grecs. Quel est ce droit ? celui de faire tout ce qu'il lui plaît, de mutiler, de dépouiller la Grèce en détail, d'envahir, d'asservir ses cités. La prééminence sur les Hellènes fut, pendant soixante-treize années, exercée par vous, vingt-neuf ans par Lacédémone*; et, dans ces derniers temps, Thèbes reçut de la victoire de Leuctres une sorte de supériorité : jamais cependant, ô Athéniens ! ni à vous, ni aux Thébains, ni aux Lacédémoniens la Grèce n'abandonna une puissance absolue. Au contraire, dès que vous, disons mieux, dès que les Athéniens d'alors semblaient s'écarter des bornes de la modération envers quelque État, tous croyaient devoir courir aux armes, et ceux qui n'avaient pas d'injures à venger se liguaient avec l'offensé. Lacédémone domine à son tour, et notre suprématie a passé dans ses mains : mais elle essaye de la tyrannie, elle ébranle violemment les anciennes institutions, et aussitôt tous les Grecs, même ceux qu'elle a ménagés, se relèvent pour la combattre.  […] Néanmoins, toutes les fautes commises, soit par les Lacédémoniens, soit par nos pères pendant un siècle, sont peu de chose, Athéniens, ou plutôt ne sont rien, comparées aux attentats de Philippe contre la Grèce depuis treize ans au plus qu'il a commencé à surgir.

4
 […] Tout ce que nous sommes de Grecs, nous le savons, nous le voyons, et nous ne sommes pas indignés ! Au lieu de nous envoyer des ambassades réciproques, lâchement indifférents, isolés derrière les fossés de nos villes, jusqu'à ce jour nous n'avons pu rien faire pour l'utilité commune, rien pour le devoir, ni former une ligue, ni réunir nos cœurs et nos bras. D'un oeil tranquille chaque peuple voit cet homme grandir, semble compter comme gagné pour lui le temps employé à la destruction d'un autre, et ne donne au salut de la Grèce ni une pensée, ni un effort. Personne n'ignore pourtant que, semblable aux accès périodiques de la fièvre ou de quelque autre épidémie, Philippe atteint celui-là même qui se croit le plus éloigné du péril.

5

D'ailleurs, vous le savez encore, si les Hellènes ont souffert sous la domination de Sparte ou d'Athènes, du moins leurs injustes maîtres étaient de vrais enfants de la Grèce. Ici nos fautes pourraient se comparer aux dissipations d'un fils légitime, né dans une famille opulente : en blâmant, en condamnant sa conduite, nous ne saurions méconnaître ni son titre de fils, ni ses droits à l'héritage dont il abuse.  Mais qu'un esclave, qu'un enfant supposé s'avise d'engloutir une succession étrangère, avec quel courroux, grands dieux ! nous flétrirons tous un vol si affreux, si révoltant ! Où est-il donc, notre courroux contre Philippe et ses attentats ! Philippe qui n'est pas Grec, qu'aucun lien n'unit aux Grecs, Philippe qui n'est pas même un Barbare d'illustre origine, misérable Macédonien né dans un pays où l'on ne put jamais acheter un bon esclave !




6

[…] Greffier, lis mon mémoire. Suit la lecture de la Proposition de Démosthène pour préparer efficacement la guerre contre Philippe. Suit un extrait : Il faut nous armer les premiers, il faut donner l’exemple ; puis convoquer, coaliser, instruire, exciter le reste de la Grèce. Voilà ce qui convient à la majesté d'Athènes.  Ce serait une erreur de croire que Chalcis ou Mégare sauveront la commune patrie, tandis que vous fuirez les travaux : trop heureuses ces deux villes si elles peuvent se sauver elles-mêmes ! A vous seuls appartient cette tâche : noble privilège que vos ancêtres ont acheté et transmis à leurs enfants par tant de périls et tant de gloire ! Mais, si chaque Athénien, toujours inactif, n'a d'empressement que pour ce qui le flatte, d'attention que pour prolonger sa paresse, d'abord il ne trouvera personne pour le remplacer ; ensuite, le fardeau que nous repoussons, la nécessité, je le crains, viendra nous l'imposer : car, s'il existait pour la Grèce d'autres libérateurs, elle les aurait trouvés depuis longtemps, grâce à votre refus d’agir ; mais non, il n'en est point.




Un discours pour convaincre 
Le discours de Démosthène est l’œuvre de quelqu’un qui maîtrise les codes de la rhétorique antique (art de construire ses discours). La partie 1 du discours sert d’introduction : elle vise à alerter les Athéniens du grand danger qui les menace. C’est ce qu’on appelle l’exorde :  Cette introduction permet à l’orateur de justifier sa prise de parole et de montrer que l’intérêt du public rejoint le sien à propos du sujet qu’il va traiterLes paragraphes suivants sont une suite d’arguments qui ont pour but de prouver la nécessité d’agir contre Philippe de Macédoine en présentant l’analyse que fait Démosthène de la situation. Il s’agit de la narration (qui présente les faits) puis de la division (étude des arguments point par point) et enfin de la péroraison (conclusion qui en appelle aux sentiments et exalte l’auditoire) Enfin, passée cette longue justification générale vient l’exposé des mesures réclamées par Démosthène qui sont elles-aussi justifiées point par point.



Consignes
Reconstituer l’argumentation de Démosthène. (Tous les élèves)
Chaque paragraphe, numérotés de 1 à 6, a été résumé en une ou deux phrases. Reconstituez l’ordre des phrases pour produire le résumé du discours.
a- Donc Athènes doit défendre la Grèce : elle seule le peut.
b-    Les cités grecques ne sont pas unies, ce qui profite à Philippe
c- Athènes marche vers sa ruine mais rien n’est perdu si Athènes réagit
d- Philippe fait la guerre à la Grèce
e-    Philippe n’est pas grec : sa domination est donc celle d’une puissance étrangère
f- La domination de Philippe est contraire à la tradition historique de liberté des cités grecques.

Une vision contradictoire de l’unité grecque (groupe 1)
Dans les deux paragraphes consacrés à la Grèce en général, le premier rappelle l’histoire de la Grèce : D’après Démosthène, pourquoi n’y eut-il jamais d’unité de la Grèce ? Expliquez les allusions historiques (phrases soulignées)
Malgré cela, pourquoi Démosthène juge-t-il nécessaire l’unité des cités grecques face à Philippe ?

Les crimes de Philippe (groupe 2)
Listez et reformulez au besoin, dans les paragraphes consacrés à l’action de Philippe de Macédoine, les faits et éléments que Démosthène lui reproche

La condamnation et l’explication de l’inaction d’Athènes (groupe 3)
Dans les paragraphes consacrés à Athènes et de la phrase en gras, comment Démosthène explique -t-il la mauvaise politique des Athéniens face à Philippe ? Quel devrait être le rôle d’Athènes et pourquoi ce rôle échoit à Athènes plus que n’importe quelle autre cité grecque ?

R) L’ordre des questions correspond à un niveau croissant de difficulté



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