samedi 27 juin 2020

Pour inciter les élèves à lire le beau roman de Silvia Avallone : D'acier


I/ D’Acier est un roman sur le thème de l’Autre.

Tous les personnages sont des individus isolés, solitaires et perdus. Entre eux et les autres, les relations sont difficiles, le plus souvent violentes et marquées par l’incompréhension.

Rosa :

« Elle souleva la bassine et la vida dans l’évier du balcon, les yeux sur les grumeaux de crasse dans le tourbillon du siphon. Elle aurait voulu le voir crevé là, écroulé par terre, agonisant. […] Après, lui rouler dessus avec la voiture, l’écrabouiller sur la chaussée, le réduire en bouillie, comme le ver de terre qu’il était. Francesca comprendrait. Le tuer. Si je n’étais pas tombée amoureuse, si j’avais cherché du travail, si j’étais partie il y a dix ans. »

Pourquoi Rosa veut-elle tuer son mari, le père de Francesca ?

D’une manière générale, comment qualifier les relations au sein des couples du roman : Rosa/Enrico ; Sandra/Arturo ; Cristiano/Jennifer.

 

LISA, FRANCESCA, ANNA et les autres …

« Les filles de leur âge, les boudins que leur propre vision dans le miroir plongeait dans la crise totale, les détestaient. Anna et Francesca, leur beauté, elles te l’envoyaient dans la gueule. Chaque putain de minute, il fallait qu’elles prouvent qu’elles étaient mieux que toi, qu’elles avaient gagné, a priori et pour toujours.

Lisa réalisait que jamais elle n’irait se mettre comme ça au milieu des garçons, au centre de leur attention. Les cartes à la main, elle se serrait dans sa serviette. Entre ses dents, elle sifflait : « petites putes ».[…]

Anna sortit de l’eau. Elle passa devant Lisa et les autres boudins sans leur accorder un regard. Mais elle eut un sourire mauvais quand elle marcha sur une de leurs serviettes, comme pour dire : pauvres filles. Puis de la main elle salua Donata. C’est pas obligé, pensait Lisa, quand on est belle, d’être cruelle, en plus. Si Anna, à l’instant même tombait des rochers et se bousillait définitivement le visage, ce serait juste. Et ce serait justice si Francesca avait tout à coup le métabolisme qui partait en vrille et se retrouvait avec des cuisses énormes bourrées de cellulite.

Le mec à décrocher, tu le trouves toujours, à force de te frotter le cul sur lui, de lui sauter au cou et de lui fourrer tes nichons sous le nez. […]

Francesca, ignorante de ce venin, se glissait sous la douche et se donnait en spectacle. « Tu ne peux pas me faire ça », disait Nino, » c’est pas des choses à faire à un homme ». Francesca se rinçait les cheveux, frottait ses jambes pour enlever le sel tout en regardant Nino à travers les gouttes. Nino essayait de se contenir mais c’était impossible, et il finit par bondir à son tour sous la douche, la prit dans ses bras et lui mordit doucement la nuque.

« T’es fou ! Tout le monde nous regarde…dit Francesca en le repoussant mais en riant aussi.

Elle l’avait voulu, et elle l’avait eu : Nino à ses pieds, suppliant. Elle lui claque un baiser sur la bouche, en récompense. La plage, c’était comme être sur une scène, elle sentait des millions d’yeux braqués sur elle. Face à la foule, elle perdait toute timidité.

Puis elle repartit en courant vers l’eau, rejoindre Anna. Et ce malheureux Nino à trotter derrière, comme un chien.

[…] Le bar à cette heure-ci était assiégé. Autour des tables en plastique Algida, sous les parasols effilochés, les plus grands se la coulaient douce en sirotant des trucs alcoolisés. Maria, les jambes sur la table en une pose pas exactement distinguée, observa Anna et Francesca quelques minutes puis alluma une cigarette. « Ces deux-là, dit-elle en les désignant aux autres, si elles continuent comme ça, l’an prochain elles seront en cloque.

-Tu parles ! se mit à rire Jessica. Son frère la tuerait.

-Il faudrait que quelqu’un lui dise. Regarde la faire l’idiote avec Massimo… »

Cristiano détacha sa Southern Comfort de ses lèves.

-« Eh les sorcières ! cria t-il en rigolant. Vous avez pas fini ? Laissez les vivre ! Vous étiez comment il y a quelques années ? J’ai pas oublié, moi … »

Tout le monde éclata de rire.

Il y avait aussi Sonia, la diva, celle qui avait gravé le nom d’Alessio sur le banc et qui se plantait parfois dans la chambre d’Anna pour regarder des pornos. Elle s’était assise en croisant les cuisses, et son pareo minuscule laissait presque tout voir. C’était une sorte d’ex-Francesca de la via Stalingrado, qui travaillait maintenant comme vendeuse chez Calzedonia, et il était loin le temps où elle était belle. »

Pourquoi Lisa en veut-elle tant à Anna et Francesca ?

Ce qui se joue sur la plage :

Montrez qu’il s’agit d’une question de pouvoir.

Montrez qu’il s’agit de profiter du peu de temps de bonheur dont une jeune fille dispose.

Montrez que ce théâtre de la plage est un théâtre d’illusions.

 

Elena :

« Elle, en effet, n’avait rien à voir avec ces trois-là. Jamais, elle n’avait porté ces minijupes en jean qui arrivent à l’aine, ni ces ceintures cloutées, encore moins tous ces colliers minables. Elle, quand elle s’asseyait, elle n’ouvrait pas les jambes. Les gros mots, elle se dispensait d’en hurler. Et le seul tissu de sa jupe fourreau lilas traçait entre son monde et le leur un fossé infranchissable.

Sonia, Maria et Jessica restèrent un instant indécises ; à la regarder, avec un mélange d’attirance et de méfiance.

Elle, avant même d’entrer à l’école primaire, elle connaissait l’alphabet et savait compter jusqu’à cent. Ses parents lui avaient appris à lire, ils lui avaient expliqué ce qu’est un livre et combien de métiers il y a dans le monde –toutes choses qu’il est donné à bien peu de savoir, via Stalingrado. Elle n’avait pas galopé dès l’âge de cinq ans dans les rues du quartier, ne s’était pas cachée dans les caves pour apprendre à fumer ni ne s’était laissée tripoter derrière les poteaux en ciment : personne, quand elle avait onze ans, n’avait soulevé sa jupe.

Pourtant elle était là, l’ovale de son visage souriant d’une façon désarmante. Et pour les trois filles, tout compte fait, c’était une satisfaction. Elle s’excusa de n’avoir pas trop de temps : on l’attendait à l’extérieur. Mais elle ne pouvait pas s’en aller sans leur dire au revoir. Elle les aimait bien, ces trois-là, qui de leur côté l’aimaient aussi, mais un peu moins. »

Pourquoi Elena est-elle une « extra-terrestre » dans ce monde-là. Qu’est-ce qui la rend si différente ?

Expliquez : « ces trois-là, de leur côté, l’aimaient bien aussi, mais un peu moins » ?

 

ANNA (& FRANCESCA)

« Elle (F ) ressentait une violente colère, à présent. Cette petite conne, qui ne s’était même pas souvenue de son anniversaire, qui ne lui avait pas souhaité Noël, n’avait même pas trouvé le moyen depuis tout ce temps de glisser un mot sous sa porte. Et maintenant elle se retrouvait à passer un bavoir au cou de son père avant de lui donner la becquée. Francesca haïssait le monde entier.

Anna aussi, assise en cet instant au bar Nazionale, obligée de se farcir son frère et cet autre imbécile de Cristiano –qui était là à roter, se rouler des joints sous la table et parler de cuivre, de dope, toujours la même chose-, aurait voulu rembobiner le magnéto du temps, s’arrêter un instant sur cet instantané de Francesca et elle devant le stand L’Oréal au Gardenia, et rewind à l’infini. Elles s’amusaient trop, à piquer du rouge ou du crayon à paupières. Elles construisaient toute une scène, avant de tendre discrètement la main…Anna se souvenait. Elles jouaient aux dames : « Essaie donc celui-ci Francesca, n’est-il pas magnifique ? Oh ! Je trouve qu’il te va très bien ! –mais non, Anna, tu ne vois pas comment il éteint mon visage ? Non, vraiment, il ne me convient pas du tout ! » Et au beau milieu de leur numéro, au lieu de poser le crayon à paupières, elles le glissaient dans leur poche.

Anna se souvenait et souriait. […] Elle ne voulait pas l’admettre, mais c’était tellement mieux avant, quand elles étaient amies. »

Que nous apprend cet extrait des rapports Garçon/Fille ?

Pourquoi Anna et Francesca ne sont-elles plus amies ? Pourquoi ont-elles laissé passé tant de temps sans se réconcilier alors qu’elles se manquent ?

Observez la différence de niveau de langue quand elles « jouent aux dames ». Pourquoi peut-on affirmer que le langage  a une fonction de distinction sociale.

 

II/ Un roman social et politique 

D’acier est un roman profondément désenchanté, roman d’un lieu abandonné, quartier ouvrier en temps de crise, où aucun rêve ne semble réalisable.

 

La lutte des classes

« Elle se mit à examiner les murs : des parois hautes de 10 étages qui barraient la vue sur les quatre côtés. Elle aimait regarder. Elle aimait s’arrêter sur les détails. Il y avait de tout sur les rebords des fenêtres : des plantes desséchées, des chaussures, des casseroles mises à sécher. D’ici, on ne voyait pas la mer. On voyait les pans de crépi écaillé, les pointes de fer rouillées qui sortaient comme des ongles du béton armé des piliers.

Sa mère lui avait expliqué : il y a deux classes sociales. Et les classes sociales luttent entre elles, parce qu’il y a une classe de salauds qui ne fait rien, et qui opprime la classe honnête qui se donne du mal. C’était comme ça que le monde marchait. Sa mère était à Rifondazione communista, elle faisait partie de ces 5% là de la population italienne. Et Alessio, à cause de çà, la traitait de minable. Son père avait le mythe d’Al Capone et du Parrain –celui de Coppola. Son frère avait la carte au syndicat des metallos, la FIOM, mais il votait Forza Italia. Parce que Berlusconi, lui, c’est sûr que c’est pas un minable.

Anna examinait la cour avec attention. C’était son monde. Elle vit passer Emma avec son gros ventre : elle s’était mariée en toute hâte à seize ans avec Mario qui en avait 18.[…] Elle se dit qu’elle ne croyait ni à ce que disait sa mère, ni à ce que gueulait son frère, encore moins aux conneries de son père. Elle ne croyait qu’à la cour de son immeuble.[…] Anna y était née, mais elle voyait bien que les papiers gras, les mégots et quelquefois les seringues par terre, ça n’était pas bon signe. Que tout le monde pissait sous les piliers. »

 

Sur la violence des rapports de classe, voir le dialogue entre Elena et Alessio sur les licenciements (p. 332 sqq)

 

Le désenchantement de la politique

« Alessio était énervé. Il pensait à sa sœur, à la Golf GT tellement super. S’il y avait des gens qu’il ne supportait pas c’était bien ces trous du cul gâteux de la gauche. DS , Rifondazione. Quelle daube, ces cocos : les airs qu’ils se donnaient, les grands mots qu’ils débitaient. Aux élections du 13 mai, il avait voté Forza Italia. Il était sur d’une chose : les mots, ça ne sert à rien. »

 

Pourquoi le discours politique de la gauche ne fonctionne t-il plus dans ce milieu ?

 

L’usine, le personnage central du livre :

« L’épais magma noir et rouge du métal en fusion bouillonnait dans les poches de coulée, des fûts ventrus transportés depuis les wagons-torpilles. Citernes sur roues, semblables à des créatures des premiers âges. Alessio avait fini son service, il se versait une bouteille d’eau sur la tête.

Le métal était partout, à l’état naissant. Cascades ininterrompues d’acier et de fonte rougeoyante, de lumière visqueuse. Des rapides, des torrents, des estuaires de métal en fusion pris entre les digues de la coulée, enfermé dans les cuves des poches, transvasé par les entonnoirs et déversé dans les trains à bandes.

Si tu levais les yeux, tu voyais bouillonner le mélange de fumées grasses, dans un vacarme de robots. A toute heure du jour et de la nuit la matière était transformée. Le minerai et le charbon arrivaient par la mer, accostaient au port industriel sur de gigantesques navires minéraliers : un carburant, qu’acheminaient dans les airs les bandes transporteuses, ces autoroutes aériennes en sauts-de-mouton qui filaient sur une infinité de kilomètres, des quais jusqu’à la cokerie, jusqu’aux hauts-fourneaux. Au milieu de tout ça, tu sentais ton sang circuler à un rythme dingue, des artères jusqu’aux capillaires, et tes muscles gonfler par à-coups : tu régressais à l’état animal.

Dans ce gigantesque organisme, Alessio était minuscule, et vivant.

Il jeta un coup d’œil à la blonde du calendrier Maxim. L’envie de baiser, constante, là-dedans. La réaction du corps humain dans le corps du Titan industriel : bien plus qu’une usine, c’était la matière elle-même en transformation. Elle avait un nom et une formule. Fe26C6. La fécondation assistée s’opérait dans une cuve haute comme un gratte-ciel, l’urne rouillée de l’Afo4, avec son ventre et ses centaines de bras, sa tête en tricorne. »

Par quels procédés, l’usine est-elle assimilée à un monstre ?

 

Via Stalingrado, un lieu dont ne sort pas

Francesca :

« -Je ne veux pas devenir une ratée, continua t-elle ; Sonia, Jessica, ou même mon frère…Ils travaillent du matin au soir, et le week-end ils se défoncent. Après ils se marient, ils font un gamin, et pour finir ils meurent. Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Rien. Personne ne s’est aperçu de leur existence.

-Il faudrait passer à la télé…

-C’est pas vrai ! Pardon pour les bimbos et les présentateurs et les danseuses…mais c’est pas Fabrizio Frizzi (présentateur d’une émission de variété) qui fera l’Histoire ! Elle balança un coup de poing devant elle. »C’est pas ça être quelqu’un de sérieux !

[…]

-Quand on est né ici, où il y a même pas un cinéma correct, quand on a grandi dans ce quartier de merde, à ton avis on peut faire l’Histoire ?

-Tu ne comprends pas. Au fond, toi t’es pessimiste. Mettons que je sois syndicaliste et je m’en prends à la Lucchini (l’usine sidérurgique), et je lance une grève tellement énorme qu’ils sont même obligés d’éteindre le haut-fourneau, ça serait super, non ? »

 

Quels sont les rêves d’Anna et de Francesca ? Ont-elles une chance de les réaliser ?

Quels sont les rêves des autres personnages ? Que leur arrive-t-il ?


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