mercredi 5 juin 2019

Science et idéologie dans les régimes totalitaires



La science est censée ne pas être idéologique. Si la science est vouée à la découverte des lois de la nature, on doit nécessairement considérer qu’elle échappe à toute idéologie. Elle est porteuse d’un discours de Vérité, en dehors-de toutes idéologies qui elles, varient selon les lieux, les époques, les contextes, alors que l'idéologie consiste en un ensemble d’opinions et de croyances qui constituent une doctrine fournissant une explication du monde => D’une certaine manière, science et idéologie s’opposent. De fait, au cours de l’Histoire, on a vu des savants s’opposer à l’institution idéologique par excellence, l’Eglise, et en mourir. Cf. Giordano Bruno

Cependant, les sciences ont, à plusieurs reprises, servi de justification à une idéologie. À d'autres moments, ce sont les scientifiques qui sont sortis du laboratoire pour militer eux-mêmes en faveur d'idées ou d'options politiques.=> les frontières entre les deux sont en fait poreuses.

La science est en elle-même porteuse d’une idéologie : celle du progrès. 

Déjà au 18e siècle, les philosophes des Lumières considéraient que le progrès des connaissances apporterait le progrès social. Au 19e siècle, avec la multiplication des innovations, avec la « révolution industrielle », l’idéologie du progrès se renforce s'appuyant singulièrement sur les progrès de la science :  le "scientisme",  mot paraît-il forgé dans un article de revue de 1911 par le biologiste Félix Le Dantec. Renan, au XIXe siècle, parlait déjà d' "organiser scientifiquement l'humanité". En conséquence, le scientisme est une nouvelle idéologie, qui remplace la religion, et qui prétend, comme elle, remodeler l’Homme. Voici la conception que s'en faisait en 1911, le philosophe Jules de Gaultier:

«Le scientisme implique les postulats suivants : que le monde est un tout donné, que tout est calculable, qu'il n'y a pas d'inconnaissable. Subsidiairement ces postulats impliquent d'autres croyances : la croyance au mieux, à l'homme plus  heureux par la possession plus complète des lois de la nature, la croyance à la substitution possible des méthodes scientifiques aux religions et aux morales. Elle ne recherche pas, comme les philosophies de l'Instinct de connaissance, la connaissance pure et simple, mais elle [cherche à] connaître pour agir. »
  Ainsi, Marcellin Berthelot, grand chimiste  pouvait écrire :
« Un jour viendra où chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite motte de matière grasse, son petit morceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d’épices aromatiques, accommodés à son goût personnel ; tout cela fabriqué  économiquement et en quantités inépuisables par nos usines ; tout cela indépendant des saisons irrégulières, de la pluie, ou de la  sécheresse, de la chaleur qui dessèche les plantes, ou de la gelée qui détruit l’espoir de la fructification ; tout cela enfin exempt de ces microbes pathogènes, origine des épidémies et ennemis de la vie humaine. Ce jour-là, la chimie aura accompli dans le monde  une révolution radicale, dont personne ne peut calculer la portée ; il n’y aura plus ni champs couverts de moissons, ni vignobles, ni prairies remplies de bestiaux. L’homme gagnera en douceur et en moralité parce qu’il cessera de vivre par le carnage et la  destruction des créatures vivantes. » (Discours prononcé lors d’un banquet de la Chambre syndicale des Produits Chimiques le 5 avril 1884)



Or, c’est dans ce contexte d’un postulat de crédibilité et de véracité accordé sans critique aux sciences que naissent dans la première moitié du 20e siècle les régimes totalitaires.


 L'eugénisme nazi

"Physique allemande ? demandera-t-on. J'aurais pu dire aussi Physique aryenne, ou Physique des hommes du type nordique, Physique des explorateurs de réalité, Physique des chercheurs de vérité, Physique de ceux qui ont fondé la recherche scientifique, Naturforchung. La science est et reste internationale, voudra-t-on m'objecter. Mais cette objection est toujours fondée sur une erreur; en réalité, la science est, comme tout ce qui est produit par les hommes, conditionné par la Race et le sang. Elle peut apparaître internationale quand, de la validité universelle des résultats de la science de la Nature, on déduit à tort l'universalité de ses origines, ou bien quand on néglige le fait que des peuples de différents pays qui ont élaboré une science identique, ou de même genre que celle du peuple allemand, n'ont pu le faire que parce que et pour autant que ils sont ou étaient un mélange de races en majorité nordiques. Les peuples dont le mélange racial est d'un autre type ont une autre manière de pratiquer la science. A vrai dire, aucun peuple ne s'est jamais engagé dans la recherche scientifique sans disposer du terrain favorable des conquêtes antérieures des Aryens. Beaucoup d'étrangers n'ont jamais fait que suivre ces conquêtes ou que les imiter et les caractéristiques raciales ne se laissent reconnaître qu’après un long développement. En se fondant sur la littérature existante, on pourrait peut-être déjà parler d'une Physique des Japonais; dans le passé, il y a eu une Physique des Arabes. On n'a pas encore entendu parler d'une Physique des nègres. En revanche, une Physique portant la caractéristique des juifs s'est développée très largement [allusion ici à Einstein, son contemporain et adversaire pour plusieurs théories] qui n'a été que rarement identifiée jusqu'à présent parce que, en général, on classe les écrits selon la langue dans laquelle ils sont formulés. Les juifs sont partout, et il est clair que quiconque soutient encore aujourd'hui l'affirmation que la science de la nature est internationale pense inconsciemment à la science juive, qui naturellement est partout semblable aux juifs et partout la même."

Philipp Lennard, Traité de physique allemande, 1936, justifie l'utilisation de la notion de race comme modalité de la production du savoir scientifique

Les nazis n’ont  inventé ni l’eugénisme ni le racisme.
C’est Francis Galton qui est considéré comme le fondateur de l’eugénisme moderne. Il prétend tirer de la théorie de Charles Darwin (« l’origine des espèces » de 1859) une méthode scientifique permettant l’amélioration des qualités natives. Ainsi, selon lui, avec les progrès de la civilisation, les grands principes des sociétés démocratiques, tels que l’altruisme, nuisent et entraînent la dégénérescence de l’espèce humaine. L’objectif de Galton n’était pas d’améliorer l’espèce humaine en général mais d’assurer le développement et la prédominance des êtres humains qu’ils jugent supérieurs. Galton conclut « qu’il faut favoriser la survie des plus aptes et ralentir ou interrompre la reproduction des inaptes. »
Ainsi, peu à peu, les théories raciales se développent : il faut assurer la domination des races supérieures. Au 20ème siècle, les savants sont persuadés de pouvoir changer les données biologiques. Se dégage notamment la distinction entre l’eugénisme négatif, pour écarter certaines personnes qui transmettent de mauvais caractères et ainsi raréfier les tares héréditaires, et l’eugénisme positif, qui encourage la reproduction des personnes capables de transmettre les bons caractères.
L’idéal d’une aristocratie biologique se dessine: Alexis Carrel, dans  l’homme cet inconnu  de 1935, dira notamment : « Pour la perpétuation d’une élite, l’eugénisme est indispensable. Il est évident qu’une race doit reproduire ses meilleurs éléments. » Tous les eugénistes sont convaincus de la primauté de l’hérédité sur le milieu culturel et social, et mettent en avant le déterminisme génétique dans le déroulement de l’existence humaine.

source : MULLER-HILL (Benno). — Science nazie, science de mort. L'extermination des Juifs, des Tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945. Edition Odile Jacob, 1989.

Exercice donné à des élèves du secondaire dans un cours de mathématiques:

« Exercice n° 262 : 2 races R1 et R2 se mélangent dans un rapport où p : q où p + q égale 1 […] b) ce n'est qu'au bout de deux générations de métissage libre qu'on se rend compte qu'il est néfaste. On interdit aux personnes de race pure et aux personnes ayant des grands-parents R1 et R2 de se marier avec des personnes ayant deux grands-parents R2 ou plus. Quelle est la répartition des ascendants après deux nouvelles générations n - 2 ? »


En Allemagne, depuis le début du siècle, l'anthropologie allemande en effet « se transforma en intégrant à la fois l'orientation « thérapeutique » de l'eugénisme et la dimension héréditariste de la « biologie sociale » qui en découlait ». Il est donc faux de considérer la « science de la race » comme une création de toutes pièces des nazis après leur arrivée au pouvoir en 1933 ou comme la « pseudo-science » de quelques théoriciens de la race académiquement marginaux. La « raciologie » formait l'aboutissement de l'anthropologie physique allemande sous l'influence de la biologie darwinienne et de la nouvelle génétique dans le premier tiers du XXe siècle ».=> « la préparation spirituelle au nazisme fut accomplie par d'innombrables travaux scientifiques ». Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, en 1933, leur conception biologique est la même que celles de presque tous les savants allemands. En arrivant au pouvoir, il suffira donc à Hitler de créer le simple cadre favorable à l'épanouissement des adeptes cachés ou manifestes de l'extermination des différents. En avril 1933, par exemple, les nazis ne font que reprendre les projets de stérilisation établis sous la république de Weimar par des eugénistes. Il s'agit alors de stériliser de force les handicapés, malades mentaux ...

Les bornes s’étendirent quelques temps plus tard à « toute pollution raciale », confirmant l’idéologie nazie et sa volonté d’assurer la domination de la race aryenne à travers l’empire allemand. Cette domination se fera au dépend de toute autre race inférieure. Les lois de Nuremberg énoncées en 1935 visèrent spécifiquement le peuple juif qu’il fallait, selon H. Goering, extirper afin de protéger le sang et l’honneur allemand. Ces accusations s’étendirent aux minorités identifiables suivantes : aliénés, tziganes, homosexuels, francs-maçons, témoins de Jéhovah, chrétiens et criminels récidivistes. Lorsqu'en septembre 1935, Hitler promeut les lois de Nuremberg de « ... protection du sang Allemand et de l'honneur Allemand... », prohibant sous peine de travaux forcés, mariages et relations sexuelles extraconjugales entre Juifs et citoyens de sang allemand, le Professeur Ernst Fisher, remercie le Fuhrer d'avoir permis aux chercheurs sur l'hérédité de mettre, d'une manière pratique, les résultats de leur recherche, au service du peuple. Le cadre ainsi créé, les généticiens, anthropologues biologistes, psychiatres, parcoururent en hésitant, mais en avançant régulièrement, progressivement, le chemin qui mènera à la solution finale pour chacun des groupes honnis. Exemplaire est la trajectoire, par exemple du Prof. Otmar von Verschuer, directeur de l'IEG d'Anthropologie de Berlin- Dahlem. Ce spécialiste incontesté des jumeaux avant guerre, finira par utiliser les gigantesques possibilités d'Auschwitz, comme il l'écrit dans un rapport scientifique daté de mars 1944 : "Mon assistant, le docteur en médecine et docteur es lettres Mengele, a collaboré à ce secteur de mes recherches. Il est en poste au camp de concentration d'Auschwitz en tant que Haupsturmfiihrer (capitaine SS) et médecin du camp (...). Des expériences anthropologiques sont menées sur les groupes raciaux les plus divers dans ce camp de concentration". En octobre 1939, le dictateur allemand autorisa les médecins à se prononcer en faveur de la mise à mort de leurs patients. Les premiers centres d’euthanasie furent ouverts à la fin de la même année, couvert et légitimé par l’expertise médicale allemande qui sélectionnait consciencieusement ses victimes dans cet éternel but d’assainissement sanguin de la race supérieure. Six centres de mise à mort furent construits : Grafeneck, Brandenburg, Schloss Hartheim, Sonnenstein et Hadamar. Nommés pudiquement instituts d’euthanasie, ces centres étaient gérés par des médecins SS et contenaient les premières chambres à gaz et fours crématoires du régime nazi. Entre 1940 et 1941, l’opération T4 liquida plus de 275.000 handicapés mentaux. Le rapport du Dr. Theo Lang (1941) souligne que les autorités allemandes avaient une notion excessivement large des termes ‘malade mental’. Ce programme de purification raciale reste méconnu du grand public mais il fut le fer de lance de la Solution Finale.

Quelqu'un avec une maladie génétique aura coûté à l'état 50000 Reichmark avant qu'il atteigne sa 60ème année - Ce coût qui doit être supporté par les citoyens en bonne santé.

Les terribles conséquences de la vie d'une poivrote. En 83 ans elle a eu 894 descendants dont 40 étaient indigent, 67 voleurs, 7 meutriers, 181 prostituées et 142 mendiants.
Affiche réalisée à l’occasion d’une exposition sur « L’hygiène raciale », organisée par l’association agricole nazie « Reichsnährstand » (1936)


 L’affaire Lyssenko, ou la pseudo-science au pouvoir


« Comment peut-on parler de science sans citer une seule fois le nom du plus grand savant de notre temps, du premier savant d’un type nouveau, le nom du grand Staline ? »

Victor Joannès, responsable communiste, en 1948. La session Pansoviétique de l'Académie d'Agronomie de l'URSS (Académie Lénine) dont les travaux sont très largement repris par la Pravda, voit la prise de pouvoir par l’agronome Trofim Lyssenko, lequel proclame la déchéance de la génétique et l’avènement de ses propres conceptions en matière d’hérédité.

Comment l’URSS, qui proclamait par ailleurs son adhésion à une vision scientifique du monde, a-t-elle pu confier son agronomie à un charlatan, tout en le laissant détruire un pan entier de la recherche soviétique, celui de la génétique, pourtant jusque-là plutôt bien portant dans ce pays ?


Lyssenko s’inspire de la technique d’agrobiologie inventée par Mitchourine. Celui-ci est reconnu comme le fondateur de la nouvelle biologie prolétarienne. Cette méthode, dont Lyssenko s’attribue la découverte, est mise en avant afin d’améliorer les rendements de l’agriculture soviétique et ainsi sortir le pays de la crise. Il réussit à convaincre Staline que les imposteurs ne sont pas uniquement dans l’agriculture mais aussi dans la Science, puisqu’il dénonce la génétique classique comme « réactionnaire, métaphysique, idéaliste et stérile. » Grâce à des résultats trafiqués, obtenus sur des terres et des animaux, Lyssenko se fait une redoutable réputation et peut se permettre de discréditer entièrement ses opposants scientifiques. Les attaques de Lyssenko contre Vavilov, généticien et botaniste, président de l’Académie Lénine des Sciences agronomiques et membre du Comité Central. se développent à partir de 1931. Lyssenko estime que les progrès des rendements permis par les méthodes d’amélioration des variétés de plante par sélection et croisement  de l’école de Vavilov sont beaucoup trop lents, et il affirme aux autorités soviétiques que l’application de ses propres méthodes à grande échelle permettrait d’atteindre les objectifs fixés pour le court terme = l’hérédité des caractères acquis par les plantes au moyen de greffes. Il soutenait contre la plupart des généticiens du monde entier, que le milieu était déterminant dans la formation des caractères héréditaires, autrement dit qu’on pouvait changer ses caractères héréditaires artificiellement en changeant le milieu. C’est ainsi qu’il affirmait, faisant état de ses propres expériences, que le blé dans certaines conditions pouvait engendrer de l’avoine, du seigle ou de l’orge.



Contre la génétique de  Mendel démontrant que les caractères se transmettent de génération en génération par le biais des gènes et donc que les caractères acquis ne peuvent se transmettre, Lyssenko réussit à la discréditer auprès des grands. Le pouvoir oblige tous ceux qui travaillent sur la génétique mendélienne à arrêter leurs travaux, puis les envoie peu de temps après au Goulag. La recherche en génétique est strictement interdite et le Lyssenkisme devient l’unique façon de penser en Science. En 1936 et 1939, lors de deux conférences sur le sujet, la majorité des scientifiques se taisent  par peur des représailles.  Après son triomphe de 1948, Lyssenko est à la tête de l’agronomie et de la biologie soviétique, qu’il gère de manière dictatoriale en l’expurgeant de ses adversaires. Afin d’augmenter les rendements, les animaux et les plantes doivent être soumis à des conditions spécifiques censées engendrer des améliorations héréditaires. Les résultats se font sérieusement attendre, d’autant que de nombreux jeunes agriculteurs refusent de céder à ce formatage agricole et arrêtent de travailler. C’est une catastrophe pour l’agriculture du pays. Quelques proches de Staline émettent des doutes sur la théorie lyssenkiste et ses résultats mais Staline ne remet pas en cause son protégé, jusqu’à sa mort en 1953. Khrouchtchev, le successeur au pouvoir, continue de croire en Lyssenko et lui donne les mêmes privilèges, jusqu'à sa chute en 1964.


Trophim Lyssenko était soutenu parce qu’il affirmait que les caractères acquis peuvent être transmis héréditairement, ce qui convient parfaitement à l'idéologie marxiste. Le marxisme prône l’idée que la seule cause de l’inégalité entre les hommes tient à l’organisation de la société et à la répartition des moyens de production. Or, les généticiens de l’époque enseignent que les individus appartenant à la même espèce ont des caractères héréditaires différents, et sont donc inégaux par nature. La controverse lyssenkiste reflète l’espoir d’une transformation de la société, qu’il s’agit d’inscrire dans le temps. Il lui donne une fondation scientifique et permet d’en généraliser la portée au monde naturel. Le Lyssenkisme peut ainsi se revendiquer comme une science prolétarienne, contre une génétique bourgeoise qui prône l’idée que les caractères acquis ne peuvent se transmettre. Cette « science prolétarienne » remet en cause chromosomes et gènes et promet de transformer la steppe en vallée fertile et luxuriante.

Marcel Prenant, biologiste, membre du Parti communiste : « Bientôt, le pain sera fourni gratuitement et à volonté - applaudissement nourris. La vie est toujours plus belle dans les cités ouvrières et les kolkhozes où les fleurs tapissent les pelouses et égaillent les logements. Grâce à Staline, qui proclama « L’homme est le capital le plus précieux », le citoyen connaît déjà ce monde heureux où selon la parole de Marx « Il y a pour tous, du pain et des roses ». Vive à jamais –applaudissements nourris- Vive à jamais notre cher et grand Staline. Vive le communisme. Tonner d’applaudissements avec des voix qui scandaient : Vive Staline !
C'est aussi un argument de plus dans la guerre froide

Madeleine Quéré , militante du PCF:
"Alors Lyssenko avait émis l’idée que l’on pouvait tripler la surface cultivable pour remonter le pays. Il faut dire que leur pays était envahi, était donc à reconstruire depuis la ligne de Berlin. Vous vous souvenez quand même de ces héros, les Stakhanovistes, etc. Nous étions très, très éduqués avec ces idées-là. Et le fait que Mitchourine ait trouvé ce blé, qui avait trois épis, vous vous rendez compte ! Alors que le nôtre n’en avait qu’un, donc on pouvait tripler tout en ayant la même surface. Ça avait été un espoir terrible. Ils en avaient envoyé un peu dans toutes les sections. Et je me souviens en Dordogne d’avoir vu un bouquet de blé comme ça, dont la tige avait trois épis. Et moi qui étais jeune, qui partais travailler dans les bureaux de poste à Province, il se trouvait que moi aussi j’étais embarquée à faire connaître, aux paysans, ce blé parce que c’était l’espoir de pouvoir manger à son aise alors qu’encore il y avait les tickets de pain, il y avait ce fameux pain de maïs que nous fournissaient les Américains, et qui était un maïs contaminé parce qu’ils donnaient le pain filant, ce qu’on appelait le pain filant, et je dis ça parce que mon père était boulanger. Ils n’arrivaient pas à pétrir ces pains parce que les farines étaient mauvaises. C’était la faute des Américains, bien entendu. De ce fait, ce blé de Mitchourine prenait de l’importance parce que le pain était une base d’alimentation très, très importante"


science prolétaire contre science bourgeoise

[Exposé présenté à la réunion générale du parti communiste italien des 6-7 avril 1968 à Turin]
Nous appuyons sur la vision fondamentale du matérialisme dialectique qui comprend le monde comme un processus historique, rejette  toutes les catégories immuables […] Cette méthode s'oppose radicalement à celle de la philosophie classique qui prétendait découvrir par la raison logique les principes de l'Être, pour ensuite les appliquer au monde. Engels critique impitoyablement cet idéalisme qui considère les Principes comme des entités absolues.

[…] il n'y a pas de «lois de la raison» a priori et immuables, notre raison et ses lois sont un produit du monde et de notre activité dans le monde; elles traduisent notre effort pour comprendre, représenter et maîtriser les phénomènes du monde.
Il s'ensuit que la raison n'a rien de stable; tout comme l'homme entier, elle se modifie au fur et à mesure que se modifient les conditions d'existence, les besoins, les activités et les connaissances de l'espèce humaine. Des choses qui étaient «rationnelles» hier ne le sont plus aujourd'hui et réciproquement; de même, dans une société divisée en classes antagoniques, chacune d'elles possède sa propre «rationalité».
Et voici que la Science se dresse, fière et altière, pour déclarer: Vous l'avez dit, il faut des connaissances positives; eh bien, Je suis cette Connaissance positive, alors inclinez-vous devant Moi!
Or nous contestons à la science actuelle ce caractère de science tout court, de connaissance humaine en général. Alors qu'elle se prétend Vérité, sinon éternelle du moins objective et au-dessus des classes, nous dénonçons son caractère de classe, nous la qualifions de science  bourgeoise. C'est cet aspect et ses conséquences que nous voulons étudier ici.

Les sociétés coloniales (époque moderne) quelques ressources

Quelques  ressources  : 

L'Afrique et ses voisins : 



Le rôle du Portugal dans le début de la traite et de l'économie de plantation : le laboratoire de Sao Tomé


extrait de l'excellente série documentaire en 4 parties , les routes de l'esclavage





Les castes au Mexique




La colonisation hollandaise de l'Indonésie (suivre le lien)



"La ville neuve, fondée le 30 mai 1619, était protégée du côté de la mer par des fortifications modernes, neuf fois plus vastes que les installations précédentes, et construites en blocs de corail blanc. La forteresse comportait quatre bastions baptisés Diamant, Rubis, Saphir et Perle, ce qui avait inspiré aux indigènes javanais le surnom de kota-inten, Ville de Diamant. Ce nom lui resta, et avant tout parce que, en quelques années, son activité commerciale en fit l'une des cités les plus prospères de toutes les Indes. Il ne restait plus trace de l'ancienne Jacatra. La nouvelle Batavia ressemblait à n'importe quelle ville hollandaise. Ses maisons étaient bâties avec des briques pour la plupart acheminées de Hollande dans les cales des retourschepen, auxquels elles tenaient lieu de ballast. Elles s'abritaient sous des toits de tuiles, comme leurs cousines d'Amsterdam, dont elles avaient la haute silhouette caractéristique. Les rues, bordées d'arbres, étaient tirées au cordeau. La ville était pourvue d'écoles, d'églises et même de canaux, le tout construit dans le plus pur style européen. Ses habitants ne faisaient que peu de concessions aux mœurs tropicales, et la plupart des Néerlandais qui y vécurent abusaient du tabac et de l'alcool, exactement comme ils l'auraient fait sur le sol national. Ils accordaient une grande importance à tous les attributs extérieurs du rang et du statut social, et malgré l'accablante moiteur ambiante, les soldats comme les marchands étaient vêtus d'habits de lourd drap noir, conformément à l'usage hollandais. Quant aux autochtones, ils n'étaient pas admis dans l'enceinte de la forteresse. Néanmoins, même les visiteurs qui la découvraient pour la première fois, ne pouvaient voir en Batavia une ville véritablement européenne. Sous bien des aspects, elle restait profondément marquée par son origine orientale. On y trouvait notamment un important quartier chinois, et une rue entière bordée de tripots qui étaient interdits aux Occidentaux après la tombée de la nuit. Un citoyen sur quatre était chinois et le reste de la population était, pour deux tiers, des esclaves asiatiques. La communauté européenne comptait environ mille deux cents soldats, et quelques centaines de marchands, d'employés administratifs et d'artisans. Les Hollandaises faisaient rarement le voyage avec leurs époux et tous les hommes ou presque vivaient avec des maîtresses indigènes. La nature environnante était à l'avenant : la forêt tropicale entrelaçait ses lianes jusqu'aux portes de la ville, et la jungle environnante abritait des singes, des rhinocéros et des tigres, qui s'en prenaient parfois aux esclaves des plantations de canne à sucre, jusqu'au pied des remparts. Pour ne rien arranger, des bandes de brigands de Bantam venaient rôder dans le voisinage, n'hésitant pas à attaquer et à dépouiller ceux qui avaient l'imprudence de se risquer trop loin de la ville. Batavia vivait donc dans une sorte de splendide isolement. Les nouveaux colons y arrivaient par voie de mer. Ils pouvaient y vivre des années et en repartir comme ils étaient venus, sans avoir rien vu du reste du pays. Intra-muros, la communauté des habitants était particulièrement homogène et unidimensionnelle, puisque la quasi-totalité de la population travaillait directement pour la VOC. Au fil des années, les Dix-sept persévérèrent dans leurs efforts pour attirer de nouveaux émigrants européens, qu'ils espéraient persuader de s'installer aux Indes comme free-burghers – des citoyens privés susceptibles de bâtir l'infrastructure nécessaire à la vie d'une vraie cité. Mais comme les nouveaux arrivants étaient régulièrement décimés par les épidémies et se voyaient exclus du commerce des épices, leur nombre ne parvint jamais à s'élever au-delà d'une infime fraction de la population. Les quelques colons potentiels qui se risquaient à faire le voyage n'y demeuraient jamais bien longtemps. Physiquement et nerveusement épuisés par le climat malsain dans lequel baignait toute la région, ils ne songeaient qu'à fuir au plus vite. Les maladies y pullulaient, comme les moustiques, et à midi, la chaleur était si accablante que la Jan Compagnie elle-même permettait à ses employés de se reposer aux pires heures de la journée. Ils ne travaillaient que de 6 à 11 heures, puis de 13 heures à 18 heures. L'autorité suprême de Batavia était exercée par le gouverneur général des Indes, un fonctionnaire de haut grade, spécialement dépêché de Hollande par la Compagnie. Il gouvernait – soit directement, soit par l'entremise de ses subordonnés locaux – non seulement la ville elle-même, mais aussi toutes les factoreries et les biens de la Compagnie, depuis l'Arabie jusqu'aux côtes japonaises. Il veillait à la rentabilité du commerce des épices et au bon déroulement des affaires militaires et diplomatiques. À Batavia même, ses pouvoirs étaient aussi étendus que ceux d'un potentat oriental. Il était assisté du Conseil des Indes, une assemblée constituée de huit marchands éminents, qui le conseillaient et participaient à ses prises de décision – mais les membres de cette assemblée ne prenaient que rarement le risque de s'opposer à un homme dont ils dépendaient totalement et qui avait tout pouvoir sur leur carrière. Comme il fallait au bas mot dix-huit mois pour envoyer une requête en Hollande et recevoir la réponse, un gouverneur particulièrement déterminé pouvait ainsi défier impunément les Dix-sept pendant des années – et certains ne s'en privèrent pas. Le pouvoir d'un gouverneur intelligent ne se heurtait qu'à deux sortes de limites. D'abord la loi : les règles hollandaises étaient appliquées dans tous les territoires de la VOC et les affaires juridiques étaient entre les mains du fiscaal, un juriste délégué par les autorités hollandaises – l'autre étant la constante fluctuation, en puissance et en nombre, des forces armées de la VOC. Comme toute nation européenne opérant sur les mers d'Orient, les Hollandais étaient perpétuellement à court de vaisseaux et d'hommes. Chaque gouverneur général savait donc qu'en cas d'attaque des forteresses et des installations dont il avait la charge, soit par des forces autochtones, soit par les armées anglaises et portugaises, ses ressources étaient si limitées que la perte d'un seul bâtiment ou d'un seul bataillon pouvait faire basculer l'issue de l'affrontement à son désavantage. Les soldats et les marins de la VOC n'en étaient d'ailleurs que trop conscients et, à Batavia, ils étaient bien plus difficiles à contenir que sur le sol national. Pendant les cinq ans que durait leur service en Orient, les hommes buvaient, se bagarraient et couraient la gueuse sans guère craindre de représailles. Il pouvait arriver qu'ils troublent gravement l'ordre public."

Dash, Mike. L'archipel des hérétiques : La terrifiante histoire des naufragés du Batavia



Une présence plus éphémère en Amérique
Les succès et la puissance de la VOC, ainsi que l'affaiblissement du Portugal expliquent que les Provinces-Unis se tournent également vers l'ouest. Entre 1630 et 1654, ils établissent une colonie sur la côte septentrionale du Brésil, sous la gestion de la West India Company (WIC fondée en 1621)
plantation sucrière au Brésil, Musée de la Marine, Amsterdam

Paysage brésilien, Frans Jansz Post, 1637, Mauritshuis

Franz Janszoon Post, Village au Brésil, 1654, Musée de la Marine, Amsterdam


Fiche de lecture : Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques de 1773 à 1802, Raymonde Monnier dir., Ed. Ellipses


Révoltes, insurrections et révolutions dans les colonies françaises des Antilles 1773-1803
Fabien Marius-Hatchi

Les colonies françaises des Antilles abritent des sociétés où la violence morale, politique et physique est estimée nécessaire au maintien de la domination de la catégorie des libres sur celle des esclaves.
Elles sont le lieu durant la période de 3 révolutions qui se renforcent, se concurrencent …. :
-          révolutions antiségrégationnistes, contre un système social fondé sur une humiliation des hommes de couleur
-          révolutions antiesclavagistes
-          révolutions anticoloniales : en tant que colonies, les Antilles sont dépendantes vis-à-vis de la métropole : économiquement par le système de l’Exclusif, politiquement par leur soumission à un gouverneur militaire nommé par la métropole et par leur statut de possessions et non de provinces françaises.

En plus des raisons de soulèvement intrinsèques à ces sociétés, la période 1773-1802 inscrit les Antilles dans un processus mondial d’affrontements entre les idées philosophiques et les systèmes politiques.
1776 = 1ère déclaration d’indépendance d’une colonie américaine vis-à-vis de sa métropole européenne.
Révolution fra, début d’une lutte acharnée pour la destruction des inégalités.

Enfin, elles s’inscrivent dans un espace occupé par plusieurs puissances européennes qui sont régulièrement en guerre pour se partager la possession des îles : GB / PB/ FRA/ et dans une moindre mesure ESP

I/ Le système colonial et ses remises en cause sous l’AR, 1773-1789

Les colonies fra présentent la particularité d’avoir construit un ordre esclavagiste ségrégationniste fondé sur le préjugé de couleur, tout en abritant une classe nombreuse d’affranchis et de métis libres, dont certains étaient de grands propriétaires de plantations esclavagistes. Cette originalité, augmentée du déséquilibre croissant entre pop libre et pop esclave, a entraîné tte une série de crises du système et sa remise en cause avant même le déclenchement de la Rév.fra.

  1. L’ordre esclavagiste et la résistance des esclaves.
A partir du dernier quart du XVIIe siècle, l’économie sucrière transforme le paysage social des colonies françaises . Les petites exploitations qui utilisaient une md’o peu nbreuse, mêlant petits colons, engagés européens et esclaves africains se voient remplacées par de grandes exploitations capitalistes nécessitant une md’o abondante et bon marché. => recours exclusif aux esclaves africains au XVIIIe siècle => la population esclave y devient prédominante (de l’ordre de 80% et même 89% à St-Domingue). Les colons blancs sont très minoritaires (entre 6% à St-Domingue et 14,5% en Martinique)

Au sein des habitations qu’elles soient sucrières, cotonnières, cacaotières ou caféières, les esclaves (nègres en langage colonial) sont répartis à des tâches différenciés selon qu’ils sont bossales ; càd nés et capturés en Afrique, ou créoles, càd nés aux Amériques.
Les bossales sont les esclaves de culture. Leur durée de vie est limitée à une dizaine d’années, les planteurs préférant épuiser une md’o remplaçable plutôt que d’investir dans des instruments agricoles, des animaux de trait ou des machines. Ce système de reproduction de la md’o par remplacement après épuisement entre en crise dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle à cause du renchérissement du prix des esclaves (x2 entre 1750 et 1789) – coût plus grand de la capture en Afrique-. Certains colons envisagent alors d’établir « l’élevage d’esclaves » par l’amélioration des conditions de vie et de travail.
Les esclaves créoles sont affectés à des travaux qualifiés dans l’artisanat ; la domesticité ou l’encadrement des esclaves de culture. Ils peuvent soit bénéficier de l’affranchissement soit épargner l’argent nécessaire au rachat de leur propre personne voire à celui de leurs proches.

Cette différence de statut explique parfois le fait que certains esclaves créoles ont pu participer aux milices contre les révoltes de nègres dans l’espoir de gagner leur liberté mais ne doit pas cacher la solidarité de lutte au sein de la pop esclave. Que ce soit le marronnage individuel ( souvent temporaire et terrible pour l’esclave + forte amende pour les libres qui le cachent) ou le « grand marronnage » -action collective visant à détruire la société esclavagiste-, la révolte servile est la norme plutôt que l’exception. Durant notre période, les colonies françaises ont abrité, malgré l’étroitesse des îles, plusieurs républiques de marrons :
-          celle des Mondongues établie dans les montagnes de Ste Rose à la Guadeloupe et qui dure jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848
-          celle des Barruhocos à St Domingue. Elle obtiendra même en 1784 une reconnaissance officielle par le gouverneur du moment (Bellegarde).

L’habitude des révoltes serviles explique le fort degré de militarisation des sociétés coloniales. Les colonies sont gouvernées par un général d’armée et dépendent du ministre de la marine sous la monarchie absolue. Elles comptent la présence de militaires et de nombreux forts. Les colons forment en plus leurs propres milices.

2.      La construction de l’ordre colonial ségrégationniste
Le système esclavagiste est soutenu juridiquement par l’édit de 1685 « touchant la police des Iles de l’Amérique française » dit le Code noir. = préparé par Colbert.
Toutefois, le Code noir ne recô que 2 statuts : celui de libre et celui d’esclave. Ces deux statuts ne sont nullement liés à la couleur, notion entièrement absente du texte. Les mariages entre colons blancs et esclaves noirs sont autorisés voire encouragés au nom de la morale quand il y a enfant. Les enfants métissés issus de ces mariages ainsi que les esclaves affranchis sont pleinement et totalement sujets du roi de France (art. 59).
=> Forte pop métissée, colons de couleur ayant hérités de leur père des plantations, parfois des titres de noblesse.

Mais face à l’accroissement vertigineux du nombre d’esclaves au XVIIIe siècle et à l’augmentation de la pop libre de couleur, une partie influente des colons va progressivement réussir à faire construire un ordre juridiquement et socialement ségrégationniste entre 1703 et les décennies 1760/1770…ce qui au passage permettra aux colons fra les plus tardivement arrivés d’attaquer les fortunes et les domaines des colons métis.
Les étapes :
-          la noblesse fra se ferme à partir de 1703. Le métissage devient mésalliance.
-          A p. de 1724, sont prises tte une série d’ordonnances excluant les libres de couleur de certaines charges et offices puis de certaines professions et fonctions. Leur interdisant finalement de se réunir.
Cette construction s’accélère à p. de 1765
-          juin/juillet 1773, obligation faite aux femmes de couleur de donner à leur enfant un prénom africain
-          février 1779, interdiction  pour les libres de couleur de s’habiller comme les blancs
-          avril 1778, défense faite aux blancs de se marier avec des mulâtres ou autres gens de couleur
Dans le vocabulaire, multiplication des termes péjoratifs pour indiquer le métissage et même le degré de métissage. (mulâtre, quarteron…)

3.      La remise en cause du préjugé de couleur
Elle est le fait des libres de couleur et d’une partie des colons.
L’avant-garde des libres de couleur = les soldats (qu’ils participent aux milices coloniales ou qu’ils aient fait, lors des campagnes de Géorgie et de Floride, la guerre d’indépendance us (chasseurs volontaires de St Domingue) <=> égalité avec les blancs devant la mort, égalité de bravoure, prise de cs « philosophique », liens et réseaux avec d’autres venus des autres îles

=> Profitant de ce contexte favorable, députation des notables libres de couleur appuyée par une partie des colons auprès du ministre de la Marine de LXVI (porte parole = Julien Raimond, quarteron originaire de St Domingue. -1783/1787
Le ministre maréchal De Castries est sensible à l’argument de Raimond qui fait de la classe moyenne des libres de couleur , à condition qu’elle puisse s’intégrer à l’élite, le meilleur rempart du système actuel contre les révoltes d’esclaves et contre les appétits des puissances étrangères . Selon eux donc, la ségrégation fragilise le système colonial et esclavagiste. De Castries envisage même d’aller plus loin et veut, à terme, « préparer l’affranchissement des noirs et les multiplier par eux-mêmes de manière à ce que la traite d’Afrique devienne inutile » (Essai rédigé par St-Lambert à la demande du ministre) = remplacement de la md’o esclave par une md’o créole
=> Ordonnances du 23 dec 1785 (St Domingue) et 15 oct 1786 (Iles du vent) restreignant le droit de propriété exclusive des maîtres sur leurs esclaves : ex. interdiction de posséder des esclaves pour tt maître convaincu d’avoir fait donner plus de 50 coups de fouet à un esclave, peine de mort ttes les fois qu’ils en auront fait périr un de leur autorité, pour quelque cause que ce soit…

=> violente réaction des colons qui se présentent comme les victimes du « despotisme ministériel ». De Castries doit démissionner en Août 1787.

1788 = création de la société des Amis des Noirs en France.

II/ Contre-révolution et guerre civile 1789/1792
= processus de remise en cause par les colons des liens qui les unissent à la métropole pour maintenir en l’état l’ensemble de leur système ségrégationniste et esclavagiste.
= divisions au sein de la classe des maîtres qui dégénère en guerre civile généralisée
= cette situation va ouvrir un espace de révolte élargi pour les esclaves

  1. L’Assemblée constituante et la question coloniale
Le 4 juillet 1789, l’AC admet 6 députés de St Domingue, puis plus tard 2 de Guadeloupe et 2 de Martinique. Ce sont des colons blancs, favorables à l’esclavage. Ils veulent un assouplissement su système de l’exclusif et obtenir un constitution spécifique aux colonies afin d’y maintenir le système esclavagiste et ségrégationniste.
Espérant au départ bénéficier de la révolution pour s’émanciper du « despotisme ministériel », ils basculent vite dans la contre révolution après l’adoption de la DDHC.
Ils s’organisent en « lobby » au sein du club Massiac créé le 20 août. = menaces de la perte des colonies au profit des autres puissances …
En réponse, le 29 août 1789, la Société des Citoyens de couleur (où l’on retrouve Julien Raimond) tente d’obtenir une représentation à l’AC. Elle prône l’alliance des libres de couleur, des esclaves et des défenseurs des droits de l’Homme pour détruire le système esclavagiste.

=> Le projet de décret préparé par le Comité des colonies (composé de planteurs ) présenté par Barnave –dont une partie de la famille possède des habitations à St Domingue-, est voté sans débat (refusé à Grégoire et Mirabeau) le 8 mars 1790. Les colonies doivent élire des assemblées coloniales, sous réserve d’acceptation par l’AN et le Roi. + Maintien de la traite et de l’Exclusif + protection des colons et de leurs propriétés, placés sous la sauvegarde spéciale de la Nation.
=>le débat se transporte dans les colonies, autour du pb de la représentation des libres de couleur dans les assemblées locales, du contenu des futures « constitutions internes » et de qui prendra le pouvoir parmi les clans de planteurs.

  1. La guerre civile à St Domingue
o   Les libres de couleur sont soigneusement écartés pour les élections des assemblées provinciales (Nord, Sud, Ouest)
climat de violence : 19 nov 1789, assassinat du juge Ferrand de Baudières pour avoir rédigé une pétition en faveur des droits politiques des hommes de couleur. + Julien Raimond est fusillé pour l’exemple.
Combat juridique ayant échoué en mars 1790, parti de prendre les armes au nom de la résistance à l’oppression augmentait chez les libres de couleur. Ex. Vincent Ogé, vétéran des chasseurs volontaires de St Domingue, membre de la société des citoyens de couleur de Paris, retourne à St Domingue en mars 1790, achète des armes à Londres… Il rejoint le groupe armé de Jean-Baptiste Chavannes, autre vétéran des EU. Leur but est d’imposer une lecture non ségrégationniste des décrets de l’AC de mars 1790. Ils organisent des élections de représentants, prennent le contrôle de la commune de Grande-Rivière. L’assemblée du Cap (Nord) envoie la troupe. Chavannes, Ogé et leurs compagnons sont livrés par les Espagnols, torturés et exécutés à p. du 25 février 1791.

o   La guerre civile entre blancs =
L’assemblée du Nord s’oppose dès sa création (1er nov 1789) aux autorités constituées et au gouverneur. Elle suscite la tenue d’une assemblée générale de la colonie laquelle vote en mai 1790 la constitution de St Domingue qui donne une grande autonomie interne à l’île donc à ceux qui la contrôlent. Les lois doivent être votées par l’assemblée de la partie française de St Domingue , vote sanctionné par le roi.
Mais à réception des décrets de la Constituante qui répondent aux vœux de la majorité des colons, scission au sein des colons et affrontement armés entre ceux qui veulent maintenir l’autonomie –pompons rouges-= « colons patriotes ».  et l’assemblée générale (dite assemblée de St-Marc) et les « légitimistes » qui veulent à nouveau obéir au gouverneur qui vient de dissoudre l’assemblée de St Marc –pompons blancs-. Fin juillet 1790, victoire des pompons blancs.
Mais pas victoire définitive Ex. dans le sud, insurrection des colons patriotes en mars 1791, qui chasse le gouverneur.

13 mai 1791, l’AN à Paris vote la proposition de Barnave d’abandonner l’organisation interne des colonies aux décisions des assemblées locales de colons blancs.
15 mai = droits politiques ne sont accordés qu’aux libres de couleurs nés de père et de mère libres

o   Insurrection des esclaves du nord de St Domingue dans la nuit du 22 au 23 août 1791 (environ une 100aine d’habitations)

  1. Guerre civile et contre révolution aux Iles du vent
Phénomènes identiques mais à plus petite échelle.
o   Une dizaine de révoltes d’esclaves entre 1789 et 1793 mais aucune ne parvient à durer. Les milices coloniales continuent leur travail de surveillance et de répression.
Ex. 30 août 1789, soulèvement des esclaves de St Pierre en Martinique. Les lettres qu’ils rédigent pour se justifier et indiquer leur programme témoignent de leur connaissance du droit naturel diffusé par les philosophes des lumières : « Nous savons que nous sommes libres » « nous voulons périr pour cette liberté »

o   assemblées tenue par les planteurs (plantocratie) qui définissent une csttion locale mais opposition des « colons patriotes » des villes (négociants, artisans) et des petits planteurs pour défendre bec et ongle le préjugé de couleur, barrière pour eux contre la concurrence économique de la classe intermédiaire.
EX. En Martinique, les colons de St Pierre massacrent les hommes de couleur le 3 juin 1790. Ils se sentent trahis par le gouverneur Vioménil qui œuvre pour l’égalité effective de tous les hommes libres.=> Vioménil envoie la troupe (composée aux 2/3 de libres de couleur). Les colons de St Pierre appellent la Guadeloupe à l’aide => troupes volontaires menées par Coquille Dugommier mais défaite le 25 sept 1790, assénée par l’armée des planteurs.
Mi septembre 1792, les 2 îles votent l’expulsion des colons patriotes dont certains se réfugient à St Lucie.

o   Quand la République est proclamée en France et qu’elle accorde des droits politiques à tous les citoyens, blancs comme noirs…(ce qui avait déjà été voté du temps de la monarchie constitutionnelle le 24 mars 1792), les 2 îles entrent en rébellion, jurent fidélité au roi et refusent d’accueillir les commissaires de la Convention. (
Les libres ainsi qu’un certain nombre d’esclaves basculent dans le camp de la République. Ils participent à la défaite des planteurs royalistes et à l’instauration d’un régime républicain.


III/ Révolutions et guerres d’indépendance 1793/1802
  1. Les révolutions de l’égalité 1793-1796

o   A St Domingue, l’insurrection générale des esclaves du Nord s’étend…ce qui n’empêche nullement l’assemblée du Cap de déclarer l’esclavage éternel par son décret du 15 mai 1792, tout en acceptant de reconnaître le décret de la législative du 4 avril accordant des droits politiques aux citoyens de couleur.
Mais vô + forte des colons de s’affranchir de la République Fra, par une indépendance blanche ou en faisant appel au gvt anglais. => le 25 février 1793, Malouet représentant une 100aine de colons signe à Londres un accord secret prévoyant de livrer la colonie au gvt brit. //t, les Espagnols aident les esclaves en guerre de Toussaint Louverture en leur fournissant des armes et munitions.
21 juin 1793, les colons du Cap déclenchent l’offensive contre les commissaires et les libres de couleur qui les soutiennent : chassés de la ville, ceux-ci reçoivent le renfort des esclaves insurgés du Cap et des environs. Le nouveau gouverneur Galbaud, partisan des colons blancs du Cap , et son armée sont écrasés et doivent embarquer pour se réfugier aux EU. Cette victoire inespérée des commissaires civils les amènent à décréter immédiatement l’affranchissement de tous les esclaves combattant pour la République (septembre 93). Dans le même temps, les colons blancs et métis partisans de l’esclavage livrent quelques communes à l’Angleterre dont les forces débarquent le 19 sept.-

o   //t en Fra, une députation des citoyens de couleur remettait une adresse à la société des Amis de la Liberté et de l’Egalité (club des Jacobins) et à la Convention nationales –début juin 1793- demandant l’abolition de l’esclavage et proposant une alliance défensive entre les révolutionnaires des 2 rives. La députation offrait à l’assemblée le drapeau de l’égalité de l’épiderme, emblème du programme politique de la rév dans les colonies = un drapeau tricolore figurant un noir sur fond bleu, un blanc sur fond blanc et un métis sur fond rouge, tous trois armés d’une pique surmontée d’un bonnet de la liberté et portant l’inscription «  Notre union fera notre force ».
24 juin 1793 = la Convention adoptait la csttion dont l’article 18 de la nouvelle DDHC précisait : «  tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre ni être vendu ; sa personne n’est pas aliénable »
4 février 1794 (16 pluviôse an II) la « convention nationale déclare que l’esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli ; en conséquence elle décrète que tous les hommes domiciliés dans les colonies sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution »
9 mars 1794 : loi ordonnant l’arrestation de tous les colons patriotes ainsi que des membres du club Massiac.

Les commissaires nationaux partent vers les colonies avec une expédition de plus de 1000 soldats pour faire appliquer ces décrets.

o   A St Domingue, Toussaint Louverture rallie la République anti-esclavagiste, adopte le drapeau de l’égalité de l’épiderme en mai 1794, devient adjoint du gouverneur Etienne Laveaux en avril 1796.
o   En Guadeloupe, en juin 1794, les commissaires arrivent dans des îles livrées aux Anglais. Ils lèvent une armée révolutionnaire en amalgamant les sans-culottes venus de France aux esclaves et aux libres de couleur.
=> victoire du camp de Berville le  oct 1794=> les anglais abandonnent Basse-Terre au début du mois de décembre. 503 colons fais prisonniers sont guillotinés ou fusillés.
La Guadeloupe sert de tremplin à la révolution de l’égalité de l’épiderme dans les autres îles du vent. Les troupes républicaines rejoignent les insurgés de Ste-Lucie en avril 1795. A Grenade, cédée ax anglais en 1783, une insurrection prend le contrôle de l’île en février 1796. A St-Vincent, les Galifunas (métis entre Caraïbes et esclaves) se soulèvent en avril 1795. Tous ces soulèvements révolutionnaires sont finalement vaincus lors de la vaste offensive brit. De juin 1796.

  1. La défense des principes révolutionnaires 1797-1800
Après le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), le parti des colons reprend l’offensive politique. Dans son rapport sur les colonies présenté le 4 août 1795, Boissy d’Anglas propose une nouvelle forme de colonialisme, non esclavagiste mais assimilationniste. Ses propositions sont reprises dans la csttion du 22 août 1795 : les colonies st proclamées parties intégrantes de la République. + mouvement de réhabilitation des colons, maintien des grandes plantations, reprise en main des colonies et discussions sur l’opportunité d’une remise en cause de l’abolition de l’esclavage.

Aux Antilles, les pop réagissent partout selon le même plan d’action visant à défendre les principes révolutionnaires de 1793-1794 face à la contre-révolution montante en Fra =
Par exemple, mobilisation des armées révolutionnaire pour intimider et obliger les commissaires du Directoire à rembarquer vers la métropole.
Par exemple, refus du retour des colons émigrés sur les habitations séquestrées ou nationalisées. En effet, à St-Domingue par exemple, l’abolition de l’esclavage s’était accompagnée de la mise en place d’un nouveau système des cultures instaurant une forme démocratique de la gestion de la production sur les habitations. Partage de la production en 3 parts égales (Etat, propriétaire, cultivateurs) et vote des décisions au SU. Mais les cultivateurs réclament plus souvent la propriété de la terre, ce qui est refusé par la République. La question agraire annonce des conflits internes qui vont ainsi se perpétuer au sein de la société haïtienne.

=> Les officiers et l’armée coloniale apparaissent donc comme les protecteurs des nouveaux peuples nés en 1793-1794 et les gardiens de leur révolution. Cette vérité surgit dans toute sa lumière à l’esprit du 1er Consul qui comprend que le rétablissement de l’Ancien Régime colonial nécessite le renversement du « pouvoir militaire noir ».

  1. La prise d’autonomie et les guerres d’indépendance 1801-1802
C’est ce que comprennent aussi les leaders noirs des colonies qui souhaitent mettre en place un « pouvoir noir » confié à l’armée => rupture de l’alliance de l’égalité de l’épiderme.

o   A St-Domingue, en janvier 1801, après avoir battu le « pouvoir mulâtre » de son rival Rigaud dans le sud, Toussaint occupa la partie espagnole de l’île et renvoie l’agent de la métropole. Il convoque en mars une assemblée chargée de rédiger une csttion coloniale afin de protéger St –Domingue des lois spéciales que la csstion fra de l’An VIII permettait de faire appliquer dans les colonies. Le 8 juillet 1801, la ccsttion de la colonie de St –Domingue est proclamée, Toussaint Louverture est nommé gouverneur à vie, la liberté et l’égalité définitivement établis.
Le texte est reçu par le Consulat en octobre => expédition militaire du général Leclerc, forte de 23 000 hommes. Juin 1802, déportation de Toussaint Louverture mais aussitôt insurrection générale contre les armées fra. => défaite du 19 nov 1803 du général Rochembeau, proclamation de l’indépendance le 29 nov 1803 et naissance de la République d’Haïti, « Patrie des Africains du Nouveau Monde et de leurs descendants » le 1er janvier 1804.

o   A la Guadeloupe, le contre-amiral Lacrosse débarque en mai 1801 avec moins de 200 hommes, la colonie étant jugée tranquille. La rancœur des militaires de la Guadeloupe éclate quand Lacrosse veut faire arrêter le 21 oct 1801 les officiers de couleur de Pointe-à-Pitre dont le capitaine Joseph Ignace et le colonel Pélage. Insurrection, les gardes nationales blanches sont désarmées, Lacrosse est expulsé de l’île.
Isolés, les indépendantistes sont soumis à de vives tensions face aux loyalistes. Lorsque paraît en mai 1802, l’armée du général Richepance, soutenue par les Britanniques, l’armée guadeloupéenne se divise et livre Pointe-à-Pitre sans combattre. Le colonel Pélage rejoint le camp de Richepance. Encerclés, Ignace et ses hommes se battent jusqu’au bout (tactique de la guérilla). 300 insurgés se font sauter le 28 mai 1802 plutôt que de se rendre.
=> répression sauvage, rétablissement d’un système esclavagiste et ségrégationniste tel que la monarchie absolue n’en avait jamais connu.
17 juillet 1802, arrêté pris par le général Richepane
« Considérant que les colonies ne sont autre chose que des établissements formés par les Européens, qui y ont amenés des Noirs comme les seuls individus propres à l’exploitation de ce pays ; (…) que les autres colonies, soumises à ce régime domestique et paternel, offrait le tableau de l’aisance de toutes les classes d’hommes en contraste avec le vagabondage, la paresse, la misère et tous les maux qui ont accablé cette colonie, et particulièrement les Noirs livrés à eux-mêmes ; de sorte que la justice nationale et l’humanité commandent autant que la politique le retour des vrais principes dans lesquels reposent la sécurité et les succès des établissements formés par les Français en cette colonie …. »

(article de 32 pages)


Pour une fiche d'activité niveau Seconde sur ce thème, voir ici
Sur le même thème, voir autre post du blog : la colonisation française (19e-20e s)

lundi 3 juin 2019

Négoce et progrès des connaissances



Fiche de lecture : Histoire des sciences et des savoirs, Dominique Pestre dir., vol 1, De la Renaissance aux Lumières

Les savoirs du commerce : le cas de l'Asie par Romain Bertrand.


Avec l'arrivée de Christophe Colomb à Hispaniola en 1492, puis celle de Vasco de Gama à Calicut en 1498, l'Europe entre dans ce qu'il n'est pas exagéré de nommer un "long siècle des Indes" (de sa progressive conquête), lequel s'achève vers le milieu du XVIIe siècle avec l'installation territoriale pérenne des Hollandais et des Britanniques en Inde et Insulinde. Inde étant compris au pluriel , Asie et Amerique.

Les cartes
Comme le prouve l'exemple privilégié des Provinces-Unies à l'orée du Siècle d'or, les univers du négoce et de la connaissance savante, loin d'être dissociés, s'entremêlent sur une échelle et des modalités inédites. Les savoirs concrets accumulés par les navigateurs, les explorateurs et les commerçants qui se confrontent aux connaissances héritées des Antiques (la géographie de Ptolémée par exemple) et aux textes érudits médiévaux provoquent une remise en cause de ces derniers. Ainsi, l'historiographe des Indes, nommé par le roi d'Espagne en 1523, Gonzalo Fernandez de Oviedo y Valdés affirme que ce qu'il sait et dit des heurs et malheurs de la conquête "ne peut s'apprendre à Salamanque, ni à Bologne ou Paris, mais dans la chaire du gaillard arrière, avec le quadrant en main".


Les Moluques , carte de Petrus Clancius et Cornelis Claes, c.1593, exposée au palais municipal puis royal du Dam (Amsterdam).
On remarque que la carte est illustrée des produits que les compagnies de commerce néerlandaises achetaient dans l'archipel pour les revendre à prix d'or en Europe. La cargaison de la première expédition commerciale néerlandaise quelques années avant la réalisation de cette carte a généré une recette qui aurait permis de rembourser toutes les dettes contractées par la toute jeune République lors de sa guerre contre l'Espagne.


Une partie d'une carte des Indes occidentales, exposées dans le palais municipal puis royal de  Dam. Peter Goos, c.1660

Les curiosités
Au tournant du XVIIe siècle, les "routes des Indes" charrient vers l'Europe quantité de "curiosités" qui s'arrachent à prix d'or à Amsterdam, Paris ou Londres. Pierres, animaux empaillés, plumes...les exotica des Indes nourrissent, sur fond de crise du merveilleux et de divorce entre science et théologie une réflexion avivée sur les frontières mouvantes entre règnes animal, minéral et végétal.  Les botanistes européens missionnent les marins pour qu'ils leur ramènent des plantes et graines exotiques pour alimenter leurs catalogues. La direction de la VOC (compagnie des Indes néerlandaises) fait instruction aux apothicaires et chirurgiens navigant sur leur bateaux de ramener systématiquement à Amsterdam les exemplaires nouveaux de plantes, fruits et feuilles. Ces diverses naturalia, disposées harmonieusement sur les étagères des cabinets de curiosité sont propices également ç une réflexion philosophique, voire dévote, sur les merveilles de la Création de Dieu.
A la fin du XVIes, chez les humanistes qui depuis des décennies développent un savoir antiquaire (c'est aussi les premières fouilles et les premiers musées , au Capitole par exemple, exposant les beautés des vestiges antiques), le cabinet de curiosité se doit également de posséder des artificialia , objets indigènes qui témoignent de la diversité de l'artisanat et des croyances. Mais les critères de classification et d'historicisation de tels objets font débat : peut-on insérer une statuette en ivoire de Ceylan sur la même étagère qu'un marbre romain ? Les statuettes boudhistes sont-elles de même statut que les croix ouvragées orthodoxes ?...

Le commerce des curiosités des "Indes" devient si rentable dans l'Europe lettrée du premier quart du XVIIe siècle que d'habiles faussaires se mettent à fabriquer de toutes pièces les exotica les plus recherchées.


noix de coco gravée

boule prélevée dans l'intestin d'une chèvre


Bilan : La collecte, la conservation et le commerce des exotica des Indes contribue fortement à l'affinement des techniques de la description et de la catégorisation des choses de la nature. Plus largement, le cabinet de curiosité est l'un des lieux ou l'une des matrices de la réorganisation humaniste des arts et des savoirs

Johann Georg Hinz, 1666
Ce tableau pourrait faire l'objet d'une séance HDA introductive au chapitre sur "l'ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du "nouveau monde"

Les livres
La "description des Indes" n'est pas qu'affaire de commentaires savants. Elle s'accomplit aussi sous la forme de récits de voyage. Un 3e monde, celui de la librairie et de l'édition spécialisée unit commerce et savoir, sous le signe des Indes. De par l'ampleur de leur catalogue, certains éditeurs comme Cornelis Claesz à Amsterdam ou la famille Craesbeeck à Lisbonne, contribuent fortement à fixer les règles du genre, entre "descriptions vraies" et "récits de choses merveilleuses", illustrées systématiquement par des gravures. En dehors des canaux de l'université se développé aussi les méthode d'apprentissage des langues indigènes et tout spécialement du malais qui était parlé et compris d'un bout à l'autre de la route des Épices (de l'océan Indien aux Moluques). Le premier livre de malais parlé est publié en 1603 à Amsterdam ; il est le fait d'un marchand, Frederik de Houtman, qui a appris le malais durant sa captivité dans le sultanat d'Aceh, au nord de Sumatra, entre 1599 et 1601. Dans les décennies suivantes, ce sont les commis de la VOC ou des ministres ordinaires de l'Eglise réformée qui voyagent sur leurs bateaux, qui effectuent les premières traductions du Credo et des Évangiles en malais.
Les compagnies à chartes (VOC, Compagnie danoise des Ondes orientales ...) et les réseaux missionnaires (jésuites, dominicains, augustins...) fonctionnent alors, conjointement et concurremment, comme de puissantes agences d'institutionnalisation de la circulation de l'information savante tout au long des réseaux transocéaniques. L'inquisition tente de réguler et limiter la diffusion des savoirs, elle qui a charge de contrôler l'orthodoxie des européens qui partent s'installer dans les terres lointaines. L'usage des "magies et superstitions locales" par les soldats ou les matrones est traqué et réprimé. De lourdes peines associant amendes et pénitences publiques frappent ceux qui useraient des remèdes et onguents locaux ou emploieraient des médecins locaux, assimilés à des jeteurs de sorts.





A Lire : L'Histoire à parts égales : récits d'une rencontre Orient(Occident XVI-XVIIe s , par Romain Bertrand, Seuil, 2011

Pour prolonger : billet de blog " la Voc et les voyages marchands"

Printfriendly