Les frontières :
extraits de l’entretien avec Catherine Wihtol de Wenden, politologue et spécialiste des relations internationales, Commissaire
scientifique de l’exposition Frontières à la cité de l’Immigration. (Oct 2015)
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Vous dites dans votre dernier
ouvrage que la frontière est un des attributs de la souveraineté de l’Etat.
Pouvez-vous revenir sur cette relation entre Etat et frontière ?
L’Etat à travers la frontière contrôle
sa population, ceux qui travaillent, ceux sur qui on va lever l’impôt et ceux à
qui on impose le service militaire. Ce sont trois aspects régaliens très classiques :
le contrôle de l’économie, la levée de l’impôt et ce qu’on appelle l’impôt du
sang. […] Pendant très longtemps, les Etats ont donc été réticents à laisser
sortir leurs nationaux […] mais aujourd’hui on a eu une inversion de la logique
des frontières. Depuis les années 1990, les Etats ont compris qu’il était
souvent plus intéressant pour eux de faire sortir leur population parce qu’ils peuvent
en tirer un bénéfice comme les transferts de fonds voire exporter le chômage ou
la contestation sociale. La frontière qui était fermée de l’intérieur est
devenue frontière ouverte, en revanche le droit d’entrée est devenu de plus en
plus difficile.
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Comment la matérialisation des
frontières et les formes de contrôle des frontières ont-ils évolués ces
dernières décennies (par rapport au début du 20è siècle notamment) ?
On a dévoyé la frontière quand on s’est
aperçu qu’elle n’était pas assez étanche. Depuis le système de Schengen, on s’appuie
sur d’autres types de frontière, à distance par le système des visas dans les
consulats des pays européens, par des accords bilatéraux de contrôle des
frontières au sud et à l’est, avec des accords de re-admission des clandestins
dans les pays d’origine. En fait, on a externalisé la frontière en dehors de l’Europe.
Mais on s’est aperçu que ça ne
fonctionnait pas toujours car les pays en charge de contrôler pour l’Europe sa
frontière extérieure ne sont pas stables : les révolutions arabes ont fait
exploser les Etats sur lesquels on s’appuyait le plus. Cette logique de l’externalisation
et de la délégation de compétence a trouvé ses limites.
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Aujourd’hui, quelles questions
posent les frontières ?
Aujourd’hui ce qui est en débat, c’est
précisément la pertinence des frontières, parce que le monde est en mouvement.
Nous sommes dans un monde fluide, un monde qui bouge et finalement on s’interroge
parfois sur la réalité des frontières parce qu’on est dans une sorte d’interdépendance
totale du monde. Aujourd’hui les informations, les capitaux, les biens de
consommation, la connaissance circulent et les seuls qui ont des difficultés à
circuler, ce sont les hommes et les femmes. Par ailleurs, la réalité des
frontières a déjà été fortement battue en brèche à l’échelle européenne avec l’ouverture
interne des frontières de l’Europe (on est en train de célébrer les 30 ans de
Schengen pour la circulation interne des européens). [donc les équilibres
entre ouverture et fermeture sont à revoir] Mais il y a des positions
opposées et contradictoires entre les acteurs : un seul exemple, le
patronat est pour l’ouverture des frontières, tout comme les associations
militantes « no border » tout en étant opposés sur d’autres points.
Au milieu de toutes ces contradictions, les Etats sont frileux à faire avancer
le débat dans l’opinion publique, d’autant plus que l’extrême-droite a un peu
posé les termes du débat dans l’opinion publique.
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Est-ce que de nouveaux modèles
émergent déjà ?
Le forum mondial « Migration et
développement », dialogue de haut niveau promu par l’ONU, vise précisément
à promouvoir un droit international à la mobilité. La stratégie de dissuasion
et sécuritaire des pays d’accueil qui dure depuis 30 ans a échoué. […] Mais il
manque encore les outils de gouvernance qui pourraient s’imposer aux
Etats-Nation.
Après avoir présenté le document dans
son contexte pour préciser les enjeux qu’il évoque, vous ferez l’analyse critique de ce
texte afin de montrer et d’expliquer en quoi le débat actuel autour de la
question des frontières vise à préciser son degré d’ouverture et/ou de
fermeture.