Extraits du Dictatus Papae, 1075
« I – L’Eglise romaine a été fondée par le Seigneur seul.
1) Quels sont les "dictatus" qui évoquent le/ les pouvoir.s du pape ? Quelle est donc la liste de ces pouvoirs ? Sur quel.s espace.s s'étend la juridiction papale ?
Seul maître de l'Eglise, il n'a pas de contre-pouvoir. A quoi le voit-on dans le texte ?
2) S'il est celui dont tout procède, c'est du fait de sa nature particulière : quels sont les "dictatus" qui évoquent ce point ? De qui est-il l'héritier (spirituellement et temporellement)
3) De ce fait, son autorité s'affirme donc sans équivalent y compris sur les laïcs (Dictatus ....?). Quelles sont les conséquences de ce points sur les rapports du pape avec les princes laïcs ?
Chercher des informations sur la querelle des investitures et l'épisode de Canossa.
Copié/collé du passage du livre des Dardot-Laval, pour mieux comprendre le texte et ses enjeux
En 1075, la question était de savoir comment, à défaut d’armées qui lui soient propres, la papauté pouvait faire aboutir ses prétentions. C’est là que le droit joua un rôle décisif comme «source d’autorité» et comme «moyen de contrôle». Durant les dernières décennies du XIe siècle, le parti papal commença à rechercher le registre écrit de l’histoire de l’Église pour soutenir la souveraineté du pape sur le clergé aussi bien que l’indépendance du clergé vis-vis de toute la branche séculière de la société, voire une possible suprématie sur celle-ci. Il encouragea les érudits à développer une science du droit qui pourrait fournir une base de travail pour mettre en œuvre ces politiques. Dans le même temps, le parti impérial commença aussi à rechercher d’anciens textes qui pourraient appuyer sa cause contre l’usurpation papale. Des deux côtés, le conflit se porta ainsi sur le terrain du droit. En 1075, Grégoire VII rédigea un document proprement révolutionnaire, le Dictatus papae (« Ce que dicte le pape »), consistant en vingt-sept propositions [...]
Les propositions 2 et 3 font valoir que le pape n’est pas un évêque parmi d’autres, contrairement à ce qu’affirmaient les empereurs, puisqu’il est le seul à mériter en droit l’appellation d’« universel ». La proposition 7 revêt une importance décisive en ce qu’elle affirme une forme de souveraineté législative : le pape seul a le droit de « faire de nouvelles lois selon les besoins du temps » (pro temporis necessitate novas leges condere) et il est manifeste que, dans l’esprit du rédacteur, le pape est seul juge des «besoins du temps». En cela il s’arroge le monopole reconnu par le droit romain aux seuls empereurs. Certes, les « lois » dont il est ici question sont les lois de l’Église, mais elles n’en prétendent pas moins s’imposer à toute la « société chrétienne ». Comme on l’a déjà vu, le modèle de la création divine sera de plus en plus invoqué par la suite pour rendre compte de ce pouvoir de changer les lois : au début du XIIIe siècle, le canoniste Tancrède dira que le pape fait de rien quelque chose comme Dieu, qu’il peut accorder dispense au-dessus du droit et contre lui (super ius et contra ius), qu’il peut rendre injuste ce qui était juste en corrigeant et changeant le droit (corrigendo ius et mutando). La proposition 18 mérite tout particulièrement d’être soulignée : s’il est vrai que, comme le souligne E. Kantorowicz, l’essence de la souveraineté réside dans le fait de pouvoir juger tous les autres sans pouvoir être soi-même jugé par les autres, alors on a là le point central autour duquel gravite toute cette déclaration de souveraineté dans la mesure où le pape s’y proclame incontestablement juge souverain en s’arrogeant la prérogative de réviser tous les jugements rendus par d’autres que lui sans que d’autres puissent réviser les siens. De là, via la bulle Unam Sanctam de Boniface VIII, la maxime pontificale revendiquant la juridiction universelle : «Sancta sedes omnes iudicat, sed a nemine iudicatur». Pour peu que l’on rattache toutes ces propositions les unes aux autres, on s’aperçoit que cette revendication de souveraineté concerne aussi bien la relation du pape à l’Église tout entière (hiérarchie ecclésiastique et fidèles) que la relation du pape en tant que souverain de l’Église aux pouvoirs civils les plus élevés : car non seulement il peut déposer et investir les évêques (proposition 3), mais il peut aussi déposer les empereurs (proposition 11). On voit par là que le pape ne se contente pas d’être le monarque de l’Église, il se fait le champion d’une « papauté impériale » : le Dictatus affirme en effet que seul le pape peut utiliser les insignes impériaux (ceux prétendument donnés par Constantin à Sylvestre) et, de fait, Grégoire VII adopte définitivement le manteau rouge sur le modèle du manteau impérial d’Othon III, mais aussi sur le modèle byzantin. L’Église se voit ainsi assignée une mission universelle, celle d’unir le monde entier sous sa direction.
Ce texte proprement révolutionnaire ne fut pas immédiatement rendu public. Mais, en décembre 1075, Grégoire fit connaître le contenu du « Manifeste papal » dans une lettre à l’empereur Henri IV où il requérait la subordination à Rome de l’empereur et des évêques de son empire. Henri répliqua, comme vingt-six de ses évêques, dans des lettres du 24 janvier 1076. Une lettre de l’empereur commence par ces mots : « Henri, roi non pas par usurpation mais par la sainte ordination de Dieu, à Hildebrand, à présent non pas pape mais moine félon. » Elle se termine ainsi : « Toi, par conséquent, damné par cette orientation et par le jugement de tous nos évêques et le nôtre propre, descends et renonce à la chaire apostolique que tu as usurpée. Laisse un autre monter sur le trône de saint Pierre. Moi, Henri, roi par la grâce de Dieu, je te dis, conjointement à tous nos évêques : Descends, descends [Descende, descende], sois damné pour les siècles. » En guise de réponse, Grégoire VII excommunia et déposa Henri, qui en janvier 1077 voyagea comme un humble pénitent à Canossa, où le pape séjournait, et aurait attendu trois jours pour pouvoir se présenter pieds nus dans la neige, confesser ses péchés et déclarer sa contrition. Ainsi, invoqué dans sa capacité spirituelle, le pape lui donna son absolution et retira son excommunication et sa déposition. Cela donna à Henri une chance de réaffirmer son autorité sur les magnats germaniques, ecclésiastiques ou séculiers, qui s’étaient rebellés contre lui. Mais la lutte avec le pape ne fut différée que pour un court temps. En 1078, le pape promulgua un décret dans lequel il disait : « Nous décrétons que nul dans le clergé ne devra recevoir l’investiture d’un évêché ou d’une abbaye ou d’une église de la main d’un empereur ou d’un roi ou de tout autre personne laïque, homme ou femme. » Il en résulta la reprise du conflit entre l’empereur et le pape et les guerres d’investiture. L’enjeu politique immédiat de ces guerres était celui du pouvoir des empereurs et des rois d’investir les évêques et autres ecclésiastiques des insignes de leurs fonctions. Derrière cette question, il y avait celle de la loyauté et de la discipline du clergé après l’élection et l’investiture. Ces questions étaient d’une importance politique fondamentale. Cependant, quelque chose de plus profond que cet enjeu politique était encore impliqué, à savoir le salut des âmes. Car, précédemment, l’empereur, ou le roi, en tant que « vicaire » du Christ, devait répondre pour les âmes de tous lors du Jugement dernier. À présent, comme on l’a vu, c’est le pape qui prétendait être le seul vicaire du Christ avec la responsabilité de répondre pour les âmes de tous les hommes au Jugement dernier. L’empereur Henri avait écrit au pape Grégoire VII que, selon les Pères de l’Église, l’empereur ne pouvait être jugé par aucun homme, lui seul étant sur Terre « juge de tous les hommes », et qu’il y avait un seul empereur, tandis que l’évêque de Rome n’était que le premier d’entre les évêques. Telle était en fait la doctrine orthodoxe qui avait prévalu pendant des siècles. Cependant, Grégoire voyait dans l’empereur le premier d’entre les rois, un laïc, dont l’élection comme empereur devait être confirmée par le pape et qui pouvait être déposé par le pape pour insubordination. L’argument était formulé en termes scolastiques : « le roi est soit un laïc ou soit un clerc », et, comme il n’est pas ordonné, il est évidemment un laïc et ne peut donc avoir aucune fonction dans l’Église. Mieux, dans un moment de tension, Grégoire VII a pu alléguer que l’autorité des rois et des ducs ne venait pas de Dieu mais du diable, tout en écrivant aussi au roi de Hongrie que son royaume, « comme les autres royaumes les plus nobles », ne devait être soumis à personne d’autre qu’à l’Église de Rome. Une telle prétention ne laissait aux empereurs et rois aucune légitimité, car l’idée d’un État séculier, c’est-à-dire sans fonction ecclésiastique, n’était pas encore née, étant seulement en train de naître. Elle attribuait aussi au pape des pouvoirs théocratiques car la division des fonctions ecclésiastiques en spirituelles et temporelles n’était pas encore née, étant seulement en train de naître. Regardée sous cet angle, l’Église issue de la révolution papale apparaît comme un État avant la lettre, mais qui, à la différence des États séculiers encore à venir, reposait sur une assise spirituelle et s’attribuait pour cette raison une vocation universelle, tout en ne répugnant pas à recourir à la violence et à la guerre pour s’imposer face aux pouvoirs concurrents : Grégoire VII aurait inlassablement répété l’exclamation du Prophète (Livre de Jérémie, 48, 10) « Maudit soit l’homme qui détourne son glaive du sang ! ». En fin de compte, en dépit de leurs prétentions à la domination universelle, ni le pape ni l’empereur ne purent maintenir leurs revendications originelles. Sous le concordat de Worms en 1122, l’empereur garantit que les évêques et les abbés seraient librement élus par la seule Église et il renonça à son droit de les investir avec les symboles spirituels de l’anneau et de la crosse, qui impliquaient le pouvoir de soigner les âmes. Le pape, pour sa part, concédait à l’empereur le droit d’être présent aux élections et, là où les élections étaient contestées, d’intervenir. De plus, les prélats germaniques n’étaient pas consacrés par l’Église jusqu’à ce que l’empereur les ait investis, par le sceptre, avec ce que l’on appelait les regalia, c’est-à-dire les droits féodaux de propriété, de justice et de gouvernement séculier, lesquels entraînaient le devoir réciproque de rendre hommage et fidélité à l’empereur (hommage et fidélité qui impliquaient de s’acquitter de services féodaux et de droits sur les grands domaines fonciers qui allaient avec les hautes fonctions ecclésiastiques). En Angleterre et Normandie, avec l’accord obtenu à Bec en 1107, le roi Henri Ier avait également accordé des élections libres, quoique en sa présence, et renoncé à son droit d’investiture. Le fait décisif est que le pouvoir de nomination ait été partagé, puisque soit le pape soit l’empereur pouvait en fait opposer un veto. Cependant, les concordats (Worms, Bec) laissaient au pape une autorité extrêmement large sur le clergé et une autorité considérable sur la société laïque. Sans son approbation, le clergé ne pouvait pas être ordonné. Il établissait les fonctions et les pouvoirs des évêques, des prêtres, des diacres et d’autres titulaires de fonctions cléricales. Il pouvait créer de nouveaux évêchés, diviser ou supprimer les anciens, transférer ou déposer les évêques. Son autorisation était requise pour instituer un nouvel ordre monastique ou pour changer la règle d’un ordre existant. Qui plus est, le pape était appelé le « principal dispensateur » de toute la propriété de l’Église, qui était comprise comme le « patrimoine du Christ ». Le pape était aussi souverain en matière de culte et de foi religieuse. Seul il pouvait donner l’absolution pour certains crimes (telle une agression contre un clerc), canoniser les saints et distribuer les indulgences. Aucun de ces pouvoirs n’avait existé avant 1075. Selon les mots de Gabriel Le Bras cités par H. J. Berman : « Le pape gouvernait l’Église tout entière. Il était l’universel législateur, son pouvoir n’étant limité que par la loi naturelle et la loi divine positive (consignée dans la Bible et dans des documents similaires de la Révélation). Il convoquait des conciles généraux, les présidait, et sa confirmation était nécessaire pour donner force de loi à leurs décisions. Il mettait fin aux controverses sur de nombreux points au moyen de décrétales. Il était l’interprète du droit et garantissait privilèges et dispenses. Il était aussi l’administrateur et le juge suprême. Les causes d’importance (maiores causae), dont il n’y avait jamais d’énumération définitive, furent réservées pour son jugement. » Là encore, aucun de ces pouvoirs n’avait existé avant 1075. Grégoire déclara que la cour pontificale était la « cour de toute la chrétienté ». Désormais, le pape avait une juridiction générale sur toutes les causes qui lui étaient soumises par quiconque, il était « juge ordinaire de toutes les personnes » et cela était entièrement nouveau. Sur les laïcs, le pape exerçait son gouvernement en matière de foi et de morale aussi bien que dans des matières civiles telles que le mariage et l’héritage. À certains égards, son gouvernement dans ces matières était absolu ; à d’autres, il était partagé avec l’autorité séculière. En d’autres matières encore qui étaient considérées comme relevant de la juridiction séculière, l’autorité papale devint souvent invoquée. Avant 1075, la juridiction du pape sur les laïcs avait été subordonnée à celle des empereurs et des rois et n’était généralement pas plus grande que celle d’autres évêques ayant un rôle dirigeant. Au-delà donc de la seule question des investitures, ce qui était profondément en question était la délimitation de deux sphères de juridiction, celle du temporel et celle du spirituel. Le conflit entre Henri II d’Angleterre et Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry et ancien chancelier démissionnaire, est à cet égard emblématique. Un âpre combat politique se déroula pendant six ans (1164-1170) entre ces deux hommes, combat qui prit fin avec l’assassinat de Becket dans la cathédrale de Cantorbéry par des chevaliers du roi. Un article des « constitutions » de Clarendon décrétées par le roi fut à l’origine du scandale : il stipulait que tout clerc accusé de crime, au cas où sa culpabilité serait établie par un tribunal ecclésiastique, devrait être renvoyé au tribunal royal pour la fixation de la sentence. Le conflit portait donc sur l’étendue de la juridiction ecclésiastique et mettait en pleine lumière une concurrence entre deux types de juridiction et les deux types d’autorité leur correspondant.
DARDOT, Pierre; LAVAL, Christian. Dominer (pp. 123-131). La Découverte.