dimanche 21 juillet 2019

Deux extraits de lettres de Louis XI sur les révoltes urbaines


LETTRE 67,   Mars 1463 "au duc de Nemours"

"…vous connaîtrez clairement qu'il y a trahison conspirée en la ville de Perpignan et pour ce, incontinent ces lettres vues, si vous n'y êtes, allez-y hâtivement. Et si la matière est disposée que vous en puissiez trouver la vérité et atteindre cette trahison, comme ainsi ferez, si vous voulez, gardez que incontinent vous fassiez prendre ceux que l'on soupçonnera, et si vous trouvez que ainsi soit, faites-en faire justice du plus grand jusques au plus petit. Et si vous ne pouvez trouver nuls langages ni nulle apparence -combien qu'il est bien fort que la chose se puisse celer, car on saura bien ceux qui la peuvent avoir menée, et aussi il faut qu'ils en aient parlé à plusieurs et, s'ils n'en ont parlé, si faut-il considérer ceux qui ont le peuple si à commandement qu'ils le pourraient faire émouvoir sans leur en parler- vous pourrez aviser ceux de qui vous aurez suspection, et incontinent les m'envoyer sous ombre de se venir excuser d'aucunes choses dont on les aura accusés. …."

Source : l'édition de certaines des lettres de Louis XI par Henri Dubois, Livre de poche, 1996


Lettre à Imbert de Batarnay et à Yvon du Fou (1474) sur la répression de l'émeute de Bourges qui s'est dressé contre les dépenses des fortifications de la ville (source Louis XI, de Gaussin)

"Comme vous le savez ceux qui se sont rebellés ne doivent jouir de l'impunité…en ce qui concerne vos prisonniers, je vous prie de les punir si rigoureusement que cela serve d'exemple aux autres et de n'épargner personne…j'entends que ceux qui auront mérité d'être exécuté soient exposés sur leurs portes…de plus tâchez de savoir q'il n'y a pas de gros bonnets qui aient pris part à la révolte , car les pauvres n'ont pu le faire d'eux-mêmes"
(Lettres, V, DCCXCVII )





Des révoltes fréquentes

 A Angers, les "pauvres gens de métiers", armés de "gros tricots et autres bâtons" pillèrent durant 3 jours les maisons des officiers, des bourgeois et des prêtres. Les autorités furent débordées. La répression contre les pillards fut rude. Cf Guillaume Oudin " Bien peu de temps après, plusieurs furent punis pour leur forfait, car les uns furent noyés, les autres décapités, les bras et jambes coupés, et les corps mis au gibet". Comme à Alençon, les habitants tinrent "plusieurs et diverses assemblées sans aucune autorité de justice, dans lesquelles ils ont conclu de ne pas obéir aux mandements des commissaires".
La miquemaque de Reims se place un mois environ après le sacre de Louis XI, qui avait donné aux gens quelque espérances quant à la levée des taxes. Assi lorsque les officiers des finances "firent mettre à l'encan les gabelles et autres impositions habituelles pour les adjuger (aux) conditions les plus avantageuses", l'émeute éclata. On accusa les officier d'avoir fabriqué un édit, "poussé par leur esprit de lucre et par leur audace". Les registres furent brûlés, leurs maisons pillées, ils durent prendre la fuite. Les troupes royales sont envoyées et les bourgeois de Reims arrêtèrent "quelques personnes du commun" qui passaient pour les auteurs de la sédition. La répression fut sans aucune commune mesure avec le mouvement : les 9 "principaux coupables" dont 3 femmes furent exécutés ; le cadavre de l'un d'eux, réputé leader du mouvement, fut écartelé ; 25 autres personnes furent bannies du royaume, 13 de Reims parmi lesquelles certaines furent battues et fustigées, "oreilles et poings coupés". 57 autres qui avaient fait amende honorable eurent les poings coupés ou furent frappées d'amendes…En tout,, plus de 180 personnes. Les notables de Reims firent intervenir le duc de Bourgogne qui implora la grâce du roi. => Chastellain "
A Aurillac, "cité grandement peuplée et grandement marchande" où deux partis s'opposaient dans les années 1472-1473 : celui du roi et celui d'Armagnac, avec Jacques, vicomte de Carlat et de Murat et Jean, son frère, évêque de Castres et abbé d'Aurillac, à ce titre seigneur de la ville. Entre les uns et les autres, depuis le Bien Public, ce n'était qu'embuscade, "détrousse de marchands".cf les propos du marchand du parti Armagnac, Bernard Salesses, qui à l'époque de Péronne (1468) parcourait la ville en criant aux royalistes : "allez le querir votre roi ! Il est mort ou prisonnier, au diable soit-il, mort ou vif car tant qu'il vivra il n'y aura  ni paix  ni bien dans ce royaume" Et les Laber, bouchers de leur état renchérissaient, affirmant que sans changement de roi, "le peuple serait opprimé et mangé" (P286) C'est l'époque où les habitants d'Aurillac refusaient d'envoyer leurs contingents de francs archers à Lectoure et en Roussillon (1473). LXI en eut assez et donnait comme instruction à on commissaire, Aubert le Viste "vous n'y saurez frapper mauvais coup, car ils m'ont toujours été traitres ou malveillants, endommagez-les moi bien'. Mais seule la capitulation de Nemours à Carlat, le 9 mars 1476 devait faire entrer Aurillac dans l'obéissance.
L'émeute de Bourges (ville natale de Louis XI) : émeute de 1474 à l'occasion d'un nouveau "subside des  fossés de la ville pour faire face aux dépenses de fortification de la ville ordonnée par le roi => "foulons, vignerons , boulangers ay autres gens de métier et menu peuple". Durant plusieurs jours, la ville appartint aux émeutiers qui tuèrent ou blessèrent les gens du roi. Puis, le notables se concertèrent dans la cathédrale, les uns partisans de la conciliation, "furent de la mauvaise opinion" selon l'expression du roi, les autres réclamèrent une action énergique "de façon à que force demeure au roi et que justice soit obéie", et l'emportèrent.
Troubles du Puy : 1477. Féodaux, bourgeois et peuple s'affrontaient, les premiers s'efforçant de détourner les impôts à leur profit particulier, à l'exemple du vicomte Armand XIII de Polignac qui se fit rigoureusement rappeler à l'ordre par LXI en 1465. L'accaparement des fonctions consulaires par un groupe restreint de familles riches aboutissait à faire porter sur les autres habitants l'essentiel des charges fiscales. De temps à autre, pour arrêter la montée des mécontentements, les hommes en place faisaient quelques concessions comme, en 1469, de permettre à de nouvelles familles riches d'accéder au pouvoir et, en 1473, les délégués des corps de métiers reçurent le droit de participer aux élections consulaires mais la liste des candidats devait être dressée par "7 personnes distinguées par leur vertu" => les plus riches en réalité. Le commun mettait en cause l'honnêteté des dirigeants, les accusait de prélever plus que nécessaire
Idem à Agen été 1481, peuple contre consuls. Les mécontents en appelèrent au Parlement de Bordeaux qui leur accorda un syndic. Les consuls se tournèrent vers le roi qui commit un conseiller concurrent du Parlement pour convoquer " la principale et plus saine partie " des Agennais : les notables acceptaient de ne lâcher que 3 posites consulaires et les "gens vivant noblement" eurent le dernier mot.

Agitation aussi rurale cf paysans de la région de Casteljaloux, contre les collecteurs d'impôts,  réunis dans un bois jurèrent de ne rien payer, de se défendre envers et contre tous" . Le commissaire du roi arrêta quelques séditieux, le tocsin sonna et l'insurrection locale éclata, les manant s'étant "armés et embastonnés".

samedi 20 juillet 2019

Lecture médiévale d'une révolte populaire

Source : Marie-Thérèse de Medeiros, Jacques et chroniqueurs. Une étude comparée de récits contemporains relatant la Jacquerie de 1358, Paris, 1979.


L'idée de ce billet m'est venue à l'écoute de l'émission du site Arrêt sur Images sur les visions du peuple. Je vous la conseille: il s'agit de la première émission de la série de l'été 2019. Ce que l'émission démontre bien, c'est la permanence des termes et des valeurs mobilisés par la classe dominante quand elle cherche à rendre compte des mobilisations populaires. Ce billet de blog sera pour moi l'occasion d'illustrer ces topoi par un exemple médiéval.

Rapide présentation du contexte de la Grande Jacquerie

En 1358, alors que les barons du royaume de France viennent de perdre une très importante bataille contre les armées anglaises, à Poitiers (1356), 10 ans après la défaite de Crécy. Les conséquences sont catastrophiques puisque le roi Jean II est fait prisonnier et retenu en Angleterre contre la promesse de payer une énorme rançon. Son fils le régent, Charles, est contesté, jusque dans Paris où les Etats se sont réunis et essayent de lui imposer leurs vues. Le prévôt des marchands de Paris, Etienne Marcel, en 1358, dirige la rébellion ouverte contre son autorité. Il ne faut pas oublier non plus que la France, comme le reste de l'Europe, avait été touchée par la Grande Peste à partir de 1347 et que la guerre dite de 100 ans contre le roi anglais ravage les campagnes : la Grande chevauchée du Prince noir par exemple est terminée, mais les troupes démobilisées vont vivre sur le plat pays. Enfin, les campagnes sont grevées fiscalement d'impôts royaux finançant l'effort de guerre.

C'est donc dans ce contexte que les communautés paysannes du Beauvaisis et du nord de la région parisienne, qui n'étaient pas les plus pauvres de France loin de là, se soulèvent.


Quelles histoires de ce soulèvement ?

"Le 13 mai 1358 éclate un sursaut de colère paysanne qui très vite reçut le nom de Jacquerie. Son ampleur, sa violence ont profondément impressionné les témoins du temps qui n'étaient pas encore habitués aux "tumultes populaires" : la fortune du mot "Jacquerie" qui apparut alors pour la première fois, et qui désigne encore aujourd'hui une émeute paysanne en est déjà un signe, la mention systématique du mouvement dans toutes les chroniques de l'époque en est un autre."
On dispose de plusieurs chroniques contemporaines, que Marie-Thérèse de Médeiros classe en 4 catégories. Trois sont identifiées par le point de vue des auteurs : les chroniques dites "chevaleresques", "nobiliaires" de Jean le Bel et de Froissart ; Les versions cléricales de Jean de Venette et du continuateur de Richard Lescot ; La version officielle des chroniques de France. La 4e catégorie est identifiée par sa provenance : il s'agit des chroniques normandes émanant pour la première d'un clerc de Rouen, semble t-il, dite Chronique des quatre premiers Valois, et pour l'autre d'un autre anonyme, dont on ne peut dire avec certitude de quel milieu social il ressort, mais apparemment il n'est ni clerc, ni noble, et publiée par Auguste et Emile Molinier sous le simple nom de Chronique normande.

A partir de ce corpus documentaire (les textes sont fournis en appendice), l'auteure va mener une analyse comparée, aussi bien de la structure narrative que des éléments linguistiques pour "cerner comment sont perçus les paysans et plus particulièrement les paysans révoltés par leurs contemporains, à travers les écrans qu'implique fatalement le passage à l'écriture."


Pour bien mesurer le décalage entre le récit de ces événements et ce qu'on peut reconstituer et comprendre du mouvement par l'analyse historique (il y a d'autres sources, notamment judiciaires), il faut présenter rapidement ce que fut cette jacquerie : 
- un mouvement d'ampleur : les chroniques de France évoquent par exemple plus de 20 000 paysans morts à la St Jean de part la repression. C'est toute la région qui s'est embrasée.
- un mouvement armé, qui s'attaque aux troupes d'hommes de guerre, par exemple contre des réquisitions jugées excessives, qui s'attaque aussi à certains châteaux et aux familles y habitant. C'est donc une révolte antifiscale et antinobiliaire, ce dernier point étant très rare à l'époque.
- un mouvement organisé, ou du moins qui s'organisa : élection/nomination de chefs locaux (Motataire, Chambly, Angicourt ...) et une personne qui apparemment a tenté de coordonner le mouvement dans tout le Beauvaisis, Guillaume Carle/Calle/Charles.
- Un mouvement rural, mais qui tenta d'associer les villes (Compiègne, Senlis, Ermenonville...) avec plus ou moins de succès, mais en général, ils trouvèrent portes closes.
- Un mouvement qui subit rapidement une répression d'une férocité extrême, menée par les seigneurs locaux, mais aussi par de grands seigneurs, Charles de Navarre, Gaston Phoebus...On remarquera aussi la "discrétion" du régent qui n'est pas mentionné comme partie prenante de la répression.


L'unanimité de la condamnation

Le livre est très riche et très pointilleux sur l'analyse des sources. Je me borne  à rendre compte de ce qui est directement en lien avec mon propos liminaire.


  1. Ainsi, il est indéniable qu'on peut affirmer que les nobles de l'époque ont eu peur. Cette peur se retrouve dans les écrits dits "chevaleresque" de différentes manières :

R) L’auteure fait des parallèles intéressant avec les topoi sur le peuple dans les romans de chevalerie et la littérature courtoise  de l'époque.

L'accent est mis sur la sauvagerie, la brutalité des actes de paysans
L'appétit de destruction : les paysans brisent, "mus de mauvais esprit", détruisent par le feu, n'épargnent rien ni personne. Ils témoignent d'une cruauté inhumaine en violant les femmes devant leurs maris (c'est Froissart qui insiste le plus sur cet aspect). Faits "horribles", "deshonnêtes", "dyableries"...
Ils sont "forcenés" (Froissart)
Mise en scène de moments tragiques et pathétiques : enfants pendus au cou de leurs mères, fuyant.

Alors que chez J. Le Bel, qui écrit sur le moment, l'accent est mis sur la peur de tous, dans la reconstruction à postériori de Froissart, la peur n'est plus que celle des femmes. Les hommes ont disparu de son récit : ils ne sont réintroduits qu'au moment de l'évocation de la répression.

Ce qui se double d'une incompréhension, d'une méconnaissance, d'un refus d'envisager les motivations des insurgés
Totale imprécision sur les noms, les lieux. Effet de grossissement.
Les paysans sont une foule informe, "toujours multipliés en orgueil": "ils étoient ja tant multiplié que, se ils fuissent tout ensemble, ils eussent esté cent mil hommes."
Jacques le Bel, comme Froissart, utilisent par exemple un vocabulaire, pour rendre compte de la propagation du mouvement, qui le rapproche d'une épidémie : "rage", "pestilence"


La peur se lit dans la mise en scène positive de la répression
Les nobles se livrent eux aussi à des actes d'une extrême violence, mais sans que les chroniqueurs n'y trouvent à redire, encore que de Le Bel à Froissart, certaines mentions ont disparu (le pillage par exemple mené par les nobles). Seul Jean de Venette est réservé. Pour les autres, il y a de la jubilation et de la moquerie. Le vocabulaire de la chasse est convoqué. Les nobles "pendent aux premiers arbres qu'ils trouvoient" ; ils les "tuoient comme des pourceaulx", à Meaux, Froissart dit qu'ils les tuent "ensi que bestes" ; Ces paysans qui fuient " car on ne pourroit si tost dire ung ave maria" (Jacques le Bel)

La clarté des armes des troupes nobiliaires contrastent avec la noirceur des corps des paysans ("vilains noirs et petits et mal armés" Froissart) + J le Bel fait état de l'action courageuse du comte de Foix et du captal de Buch qui, "avec 40 lances et non plus" ont réussi à s'opposer aux Jacques.

Evidemment, la répression est voulue par Dieu

      2. Le "racisme", le mépris de classe est partout (ou presque) présent.

La bestialisation et le "monde à l'envers"
+
Le nom "Jacques Bonhomme" est donné par Le Bel au "capitaine qui était un parfait vilain", par Froissart comme celui "fait roi entre eux", alors qu'on sait par Jean de Venette que ce nom est une sorte d'insulte créée par les nobles. Les Jacques procèdent à une inversion des valeurs : d'après Froissart (et il est le seul à faire cela), ils ont élu un "roi". Les chroniques royales en revanche insistent sur la fidélité des Jacques au roi, évidemment !

Le refus de reconnaître aucune valeur positive aux paysans :
Incapables de se battre avec des armes, couardise. Ces "méchantes gens" qui "à la première déconfiture" "furent si éperdus et si évanouis qu'ils ne savoient que devenir".
+
désorganisation


La chronique des quatre premiers Valois
au contraire n'insiste pas sur la désorganisation et la couardise. L'auteur décrit au contraire Guillaume Carle comme d'un homme "bien sachant et bien parlant de belle figure et forme", mais qui le distingue de ce fait des autres. D'ailleurs, lorsqu'il y a déroute du côté des paysans, c'est quand ils sont privés de leur chef : "adonc furent les Jacques tous esperduz pour leur capitaine qui n'estoit point avecques eulx" Il y a un souci constant de démarquer le chef par rapport à ses troupes.
Quant aux troupes paysannes, l'auteur leur attribue une fière allure : "lesquelz de grand visiage et manière se tenoient en ordonnance et cornoient et businoient et haultement crioient Montjoye ey portoient moult enseignes paintes à fleur de liz" et ce toujours grâce à "Guillaume Charles et l'ospitalier [qui] rangerent les Jacques". On remarque que l'auteur n'a jamais parlé autrement des paysans qu'en les appelant Jacques. A croire que ce terme donné en 1358 était déjà passé dans le langage courant quand l'auteur écrit, vers 1370.
Malgré une présentation qui peut parfois paraître positive, voici le jugement que l'auteure porte en bilan : "Ni hommes, ni bêtes, ni anges ni démons, le statut des paysans rebelles dans cette chronique est plutôt celui des choses. Nous avons vu comment dans la première phase, la phase active pour les révoltés, leur rôle s'efface devant celui d'un fantasme de puissance de l'auteur, dans la deuxième phase, celle de l'action des nobles, ils gardent sans difficulté leur statut d'objet, statut qu'aucune ombre de compassion ou de chaleur humaine ne vient modifier."

Le "cas" Jean de Venette

Que Jean de Venette soit un "cas" à part, c'est ce qui ressort dans le livre par la juxtaposition de sa chronique avec celle du continuateur de Richard Lescot. Cette dernière reprend Jean de Venette, mais l'auteur, un moine de St Denis qui est une grande abbaye du royaume, en change fondamentalement la perspective. entre autres  exemples, il passe sous silence le comportement nobiliaire qui, pour J. de Venette, serait l'origine du mouvement.
Appartenant à un ordre mendiant ou assimilé, Jean de Venette est plus sensible que les autres au peuple.S'il est surpris, ce n'est pas tant de la révolte, ce n'était pas la première fois, mais de son ampleur qui est proprement inédite. Il est le seul à chercher à présenter les mobiles à la révolte, et il les trouve dans les malheurs du temps.
Dans sa chronique, il induit à plusieurs reprises, quand il évoque les malheurs du temps, que les nobles ont failli à leur devoir de protection de la population, qui quand elle échappe à des massacres, ne le doit qu'à elles-même.
Par ailleurs, les paysans (on suppose que jean de Venette tire ses informations de St Leu d'Esserent, proche de son lieu de naissance), sont rationnels et organisés : "ils se révoltèrent et prirent les armes. Ils se regroupèrent en une grande multitude, élirent comme capitaine un paysan fort habile, Guillaume Carle, orignaire de Mello. Puis, armés, portant leurs étendards, ils parcoururent en bandes le pays : tous les nobles qu'ils pouvaient trouver, même leurs propres seigneurs, ils les tuaient, décapitaient et traitaient sans aucune miséricorde". "On dit qu'ils violèrent de nobles dames et tuèrent de petits enfants innocents." Enfin, la repression nobiliaire n'est pas particulièrement valorisée : le chroniqueur incidemment en condamne la forme : "ils mettaient à mort les paysans, tant ceux qu'ils pensaient avoir été rebelles que ceux qu'ils trouvaient dans les maisonsou au travail dans les vignes et les champs". On voit toute la différence avec les récits des chroniques précédentes.

Cependant, le mouvement est ici aussi condamné moralement. "Ces faits monstrueux" (il faut comprendre ici contre nature, remettant en cause l'ordre naturel) "n'étaient pas destinés à durer" car :
- La violence du mouvement : "actes vils et néfastes".
- "Les paysans agissaient de leur propre chef. Dieu n'en était pas la cause. Ils ne s'étaient pas mis en branle à la demande de l'autorité reconnue d'un supérieur, mais de leur propre chef."

Ainsi, l'exemple de Jean de Venette fait ressortir avec force les a priori des autres chroniqueurs. "J de Venette fait un sort au vieux mythe de la stupidité paysanne en nous montrant que les insurgés sont capables de réflexion et d'organisation, il fait également un sort aux prétentions chevaleresques, quand elle veulent tirer argument pour rehausser leur valeur de leur victoire sur les paysans."

Au terme de son étude, l'auteure conclut que "seule la version chevaleresque a produit une image nette de la paysannerie en révolte, impeccable reflet du stéréotype de la littérature courtoise depuis le XIIe siècle" et "finalement, le grand point commun de [ces] chroniques  réside peut-être dans l'indifférence à l'autre, ou plus exactement dans sa méconnaissance. Qui étaient ces étrangers au monde chevaleresque, au milieu clérical, à l'univers royal, qui un jour de mai prirent les armes ?"


vendredi 19 juillet 2019

La colonisation française (19e-20e s)

Une série de support pour servir au cours ou pour des DS

 Pourquoi coloniser ?


Le 18 mai 1879, un banquet commémoratif de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises réunissait, cent vingt convives. Victor Hugo présidait le repas. Il avait à sa droite Victor Schoelcher, l'auteur principal du décret de 1848.
 Au dessert, M. Victor Schoelcher a dit les paroles suivantes:
            « Cher Victor Hugo, en vous voyant ici, et sachant que nous vous entendrons, nous avons plus que jamais confiance, courage et espoir. Quand vous parlez, votre voix retentit par le monde entier ; de cette étroite enceinte où nous sommes enfermés, elle pénétrera jusqu'au coeur de l'Afrique, sur les routes qu'y fraient incessamment d'intrépides voyageurs, pour porter la lumière à des populations encore dans l'enfance, et leur enseigner la liberté, l'horreur de l'esclavage, avec la conscience réveillée de la dignité humaine ; votre parole, Victor Hugo, aura puissance de civilisation ; elle aidera ce magnifique mouvement philanthropique qui semble, en tournant aujourd'hui l'intérêt de l'Europe vers le pays des hommes noirs, vouloir y réparer le mal qu'elle lui a fait. (…) ».
            Après ces paroles, dont l'impression a été profonde, Victor Hugo s'est levé et une immense acclamation a salué longtemps celui qui a toujours mis son génie au service de toutes les souffrances. Le silence s'est fait, et Victor Hugo a prononcé les paroles qui suivent :
            « Messieurs, (…) Le moment est venu de faire remarquer à l'Europe qu'elle a à côté d'elle l'Afrique. (…) Le moment est venu de dire à ce groupe illustre de nations: Unissez-vous ! allez au sud. (…).
            L'Afrique n'a pas d'histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe. (…) Cette Afrique farouche n'a que deux aspects : peuplée, c'est la barbarie ; déserte, c'est la sauvagerie ; mais elle ne se dérobe plus ; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles ; on trouve partout des fleuves navigables (…). De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la nature et attendent l'homme ; on voit les points où germeront des villes ; on devine les communications (…).
Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. (Applaudissements.)
            Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. (…)
            Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la.(…). Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. (Applaudissements prolongés.)
            Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez (…).»

            Victor Hugo, Depuis l'Exil 1876-1885, Actes et Paroles, volume 4


En contrepoint




Le racisme colonial


Doc  Chanson :  Les Amazones du Dahomey
[...] Ell's ont la peau comm' du cirage
On dit que ce peuple sauvage
A chaqu'repas mange du feu
Ça doit vous étonner un peu [...]

Refrain :
Mais, vraiment, l'on ne croyait pas
Qu'pareill's gens vivaient ici bas
Et qui n'fut douté jamais
D'aller au Dahomey

Ell's ont de drôles de coutumes
Ainsi qu'de primitifs costumes
Ell's ne port'nt pas de faux appas
C'est naturel du haut en bas [...]

Le roi souvent pour se distraire
Comme il est d'un' humeur sévère
Fait trancher pour son bon plaisir
La tête à son peuple martyr [...]

Pour mettre un terme à ce carnage
Il faut vers ce peuple sauvage
Sans hésiter, cré nom d'un nom !
Braquer sans tarder le canon [...]

Refrain :
Il faut donc aller sans retard
Déployer chez eux l'étendard.
 Libre enfin, le noir, désormais  Vivrait au Dahomey

Édouard Vézinaud, Les Amazones du Dahomey, 1890 (sur l’air de : Devant la Samaritaine)




La destructuration des sociétés traditionnelles


et 

En 1931, un jeune géographe, Jacques Weulersse, traverse l'Afrique. À Élisabethville, au Congo belge, il s'entretient avec l'évêque.

Je conçois votre admiration, me dit-il après quelques instants de conversation. Oui nous avons accompli une oeuvre admirable, admirable et terrible. Ici, comme partout dans le monde contemporain, plus que partout ailleurs sans doute, la puissance de nos moyens d'actions l'emporte sur le sens de nos responsabilités. La création soudaine d'une gigantesque industrie dans un pays reculé, peuplé de primitifs, pose d'angoissants problèmes. La question de la main d'oeuvre prime toutes les autres ; pour que les usines grandissent, pour que les rails s'allongent dans la brousse ou la forêt, pour que les capitaux engagés rapportent, il faut à tout prix du travail noir, et chaque jour davantage.
Mais le recrutement intense -vous l'avez vu se développer le long de toutes les pistes- dissocie la vie indigène; les villages se désagrègent, les antiques coutumes périssent, le malheureux indigène transporté brusquement de sa case solitaire dans l'usine colossale, devenu un "matricule" sur un chantier, astreint à une tâche mécanique, impitoyable dans sa régularité, comment pourrait-il résister à un si brutal dépaysement ? L'âme naïve du Noir est troublée jusque dans ses profondeurs. Nous voulons en faire le support de notre organisation industrielle, mais notre civilisation matérielle est trop lourde pour lui ; il ne la soutient pas, il la subit, et elle l'écrase.

Cité par. C. Pervillé, l'Europe et l'Afrique de 1914 à 1974, Ophrys, 1994.
  







Réformer la domination coloniale


Doc : discours de Constantine d'Albert Sarraut
« [La] puissance coloniale [de la France] est un de ces éléments fondamentaux, dans le présent et dans l'avenir. Avec son domaine d'outre-mer, la France est une nation de cent millions d'habitants, riche d'incomparables richesses. Sa force militaire, c'est-à-dire sa sécurité, et son avenir économique, c'est-à-dire son indépendance, dépendent largement encore demain de ce potentiel colonial. Voilà donc ce qu'il faut analyser. Et le communisme français, qui, sur l'ordre de l'extérieur, se porte sur tous les points où s'articule notre vie nationale pour fausser successivement tous les rouages, désagréger les organes, rompre les assemblages, saboter les mécanismes de notre activité, s'est attaché spécialement, en ces dernières années, à essayer de briser les clés de voûte de notre grande œuvre coloniale.
Vainement, le groupement révolutionnaire qui s'acharne à cette besogne essaie-t-il de donner le change en invoquant un prétexte d'humanité, au nom duquel il prétend émanciper des colonies opprimées et des indigènes asservis. Stratagème trop grossier, dont il sait lui même que l'on ne peut plus être dupe. Car l'honneur de la colonisation française est précisément d'avoir totalement transfiguré l'esprit de l'entreprise coloniale, en la pénétrant du sens profond du droit humain. LA COLONISATION N'EST PLUS POUR LA FRANCE UNE OPERATION A CARACTERE MERCANTILE, ELLE EST ESSENTIELLEMENT UNE CREATION D'HUMANITE; si le colonisateur a le droit évident d'en recueillir de légitimes avantages, il considère -c'est la doctrine française- qu'elle n'est pas simplement un enrichissement universel, profitant à l'ensemble du patrimoine mondial, (,,,) à la fois la richesse morale et la richesse matérielle; cet enrichissement d'humanité doit être fait et poursuivi dans l'acceptation et avec la collaboration des races que le colonisateur gouverne et qu'il a pour premier devoir d'accroître en valeur et en dignité humaine.(...)


Albert Sarraut, Discours à Constantine, 23 avril 1927, le Petit Parisien.

La consigne :  à l'aide du document, éclairé et contextualisé par vos connaissances de cours, expliquez pourquoi Albert Sarraut veut une évolution de l'administration coloniale et montrez que son programme de réforme représente en fait une application stricte des principes qui ont justifié la colonisation.


Contester la domination coloniale


Doc : Extrait de la lettre du capitaine Khaled (Algérie) au président Wilson (Etats Unis) en 1919
(source : Guy Pervillé, L'Europe et l'Afrique, Ophrys, 1994, p. 25-27)

En vaincus résignés, nous avons supporté tous ces malheurs, en attendant et en espérant des jours meilleurs.

La déclaration solennelle suivante : « Aucun peuple ne peut être contraint de vivre sous une souveraineté qu'il répudie », faite par vous en mai 1917 dans votre message à la Russie, nous laisse espérer que ces jours sont enfin venus.
Mais sous la tutelle draconienne de l'Administration algérienne, les indigènes sont arrivés à un tel degré d'asservissement qu'ils sont devenus incapables de récriminer : la crainte d'une répression impitoyable ferme toutes les bouches.
Malgré cela, nous venons, au nom de nos compatriotes, faire appel aux nobles sentiments de l'honorable Président de la libre Amérique: nous demandons l'envoi de délégués choisis librement par nous pour décider de notre sort futur, sous l'égide de la Société des Nations. 
Vos 14 conditions de paix mondiale, Monsieur le Président, acceptées par les Alliés et les puissances centrales, doivent servir de base à l'affranchissement de tous les petits peuples opprimés, sans distinction de race ni de religion. 
Vous représentez aux yeux du monde entier le digne porte drapeau du droit et de la justice. Vous n'êtes entrés dans cette guerre gigantesque que pour les étendre à tous les peuples. Nous avons une foi ardente en votre parole sacrée. Cette requête est faite pour éclairer votre religion et attirer votre bienveillante attention sur notre situation de parias. 
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre haute considération.




2-



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Une proposition de DS : analyse de documents

Doc 1 : Célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie
 En 1930 le centenaire de la prise d’Alger est l’occasion de célébrer les aspects positifs de la colonisation. A cette occasion de nombreux événements sont organisés par les dirigeants de la III° République en France et en Algérie.




Doc 2 : Les conséquences de la colonisation : l’exemple de la Mitidja.

La Mitidja est une plaine de 100 km de longueur et de 20 de largeur au pied de l’Atlas soit 120 à 130 000 hectares. En 1830 elle est en partie constituée de marécages dans lesquels sévit le palud. Elle souffre d’un excès d’eau en hiver et de sécheresse en été.
       
Travaux réalisés 
- 1860 : plus de 12 000 hectares sont assainis grâce à un réseau de plus de 200 km de canaux.
- 1930 : 22 000 ha assainis ; creusement d’une galerie souterraine de 2900 mètres sous le Sahel pour évacuer l’eau de la partie occidentale vers la mer.
- 1930 : 17 000 hectares sont irrigués, dont 7000 à partir de réservoirs, le reste à partir de barrages

Population en 1930 : 130 000 habitants dont 42 000 Européens.

Répartition de la propriété foncière en 1930 
- Exploitations détenues par les Européens = 110 000 ha.
- Exploitations tenues par les musulmans = 20 000 ha (contre 50 000 ha en 1917).




Consigne bac : En utilisant les documents et vos connaissances, vous montrerez les différences entre les représentations et la réalité de la colonisation en Algérie.
Aide à la mise en œuvre :
1-   Présentez le document en insistant sur le contexte.
2- Relevez dans le document 1 les éléments qui représentent la réussite coloniale sur le plan technique, économique et humain. Commencez par décrire : distinguez les différents plans de l’affiche, le paysage, les personnages. Trouver la correspondance avec les termes de la consigne (quel élément symbolise la modernité technique, la prospérité économique, l’égalité entre les hommes). 

3- Confrontez le document 1 au document 2 : la réalité correspond-elle à cette représentation ?

- Quels sont les éléments du doc 2 qui reflètent les travaux et la transformation de l’environnement ?

- Quels sont les éléments qui montrent les aspects négatifs de la colonisation ?


Sur le même thème, voir autre post du blog  : les sociétés coloniales (époque moderne)