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samedi 1 octobre 2022

Thucydide et l'hegemon athénien

 Voici une proposition d'activité à faire avec les 1ere SPE sur le thème de la puissance. Personnellement, je fais une leçon ayant pour objectif de définir et comparer deux formes d'exercice de la puissance, la forme hégémonique et la forme impérialiste. Le thème de la Puissance est mon 1er thème de l'année et c'est à l'occasion de cette leçon que je fais la première analyse de document-source que je présente ici. L'intérêt de ce choix réside à mon sens dans le fait que, parce que l'on peut s'appuyer sur les acquis de 2nde sur Athènes, les guerres médiques, la ligue de Delos, la guerre du Péloponnèse (qu'il convient bien sur de réactiver !), la mise en activité proprement dite sur le texte de Thucydide peut se faire quasi immédiatement.

Hégémon, le modèle athénien

Les élèves ont à disposition les documents suivants :

1) Un 1er extrait de Thucydide pour définir la notion d'hegemon

Les Athéniens reçurent ainsi l’hégémonie du plein gré des alliés […] : ils fixèrent quelles villes devaient leur fournir contre le Barbare de l’argent ou bien des navires – le principe officiel étant de ravager le pays du Roi en représailles pour les torts subis. […] le tribut qui fut fixé à l’origine se montait à quatre cent soixante talents ; on le déposait à Délos, et les réunions se faisaient dans le sanctuaire. Cependant, les Athéniens, dont l’hégémonie, au début, s’exerçait sur des alliés autonomes, et invités à délibérer dans des réunions communes, devaient [s’opposer] non seulement au Barbare, mais à leurs propres alliés, lorsque ceux-ci se montraient rebelles, et aux éléments péloponnésiens mêlés dans chaque affaire. […] : les Athéniens montraient des exigences strictes. […]. Aussi bien, d’une façon générale, l’autorité des Athéniens ne s’exerçait-elle plus comme avant, avec l’agrément de tous ; et, de même qu’ils ne faisaient plus la guerre sur un pied d’égalité avec les autres, de même il leur était aisé de châtier les dissidents. […] aussi Athènes voyait-elle croître sa flotte, grâce aux frais qu’ils assumaient, tandis qu’eux-mêmes, en cas de défection, entraient en guerre sans armements ni expérience.

Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I.96-99

Vocabulaire :

tribut : c’est la somme d’argent payée par les cités à Athènes contre sa protection militaire, pour la dédommager des frais supplémentaires que coûtent l’entretien d’une armée. Ce tribut s’appelle le « trésor » de la Ligue de Délos, laquelle est l’ensemble des cités qui payent cette somme à Athènes. D’abord localisé à Delos, il fut amené à Athènes par Périclès.

talent : monnaie athénienne équivalant à 6000 drachmes. Avec la Ligue de Délos, la monnaie athénienne va s’imposer dans toutes les cités alliées. Si l’on fait une opération de conversion, on s’aperçoit que 460 talents valent 2 760 000 drachmes, soit 2 760 000 journées d’un ouvrier travaillant sur le chantier de construction de l’Acropole, à la fin du Ve siècle avant J.-C.

autonomes : des cités autonomes sont des cités qui se donnent à elles-mêmes leurs propres lois donc qui se gouvernent seules.

dissidents : les cités qui refusent d’obéir (ici à Athènes)

 

Questions

1e étape : Quel est le plan du texte ?

R- Ici, la meilleure façon de couper le texte est de distinguer trois parties :

  • mode de fonctionnement de la Ligue de Délos
  • évolution de la Ligue de Délos entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse
  • analyse des causes de cette évolution

 2e étape : Quel est le contenu du document : Comment pourrait-on le résumer en une phrase ? Choisissez entre les propositions

a) Les Athéniens ont profité d’un contexte militaire difficile pour établir leur hégémonie sur le monde grec.

b) La Ligue de Délos reposait sur la participation volontaire de tous ses membres : l’attitude d’Athènes fut mal acceptée par les cités alliées.

c) Pendant les cinquante années qui se sont écoulées entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse, l’alliance militaire rassemblée autour d’Athènes pour répondre à la menace perse est devenue un empire maritime sous domination athénienne.


3e étape : relever la phrase qui définit ce qu'est l'hégémonie selon Thucydide, puis à différents endroits du texte, la façon dont l'auteur caractérise cette hégémonie.

R- Les élèves identifient la première phrase. L'hégémonie est donc une forme de domination consentie par ceux sur lesquelles elle s'exerce.

Ceci s'explique par :

-l'existence d'un but commun ("ravager le pays du Roi en représailles pour les dommages subis")

-ce but et les modalités pour y parvenir sont négociées ("ils fixèrent", "délibérer dans des réunions communes", "avec l'agrément de tous")

-cette domination n'est pas complète : les alliés restent "autonomes"


2) Une feuille de rappels et précisions historiques, pour aider à la contextualisation et à l'analyse

(très largement piqué sur le site Herodote.com)

Les informations de cette feuille sont largement utilisées pour l'introduction du commentaire de texte qui suit


3) Un deuxième extrait de Thucydide qu'il va s'agir de présenter et d'analyser, dans le format de l'épreuve de baccalauréat. Mon objectif ici est double. Du point de vue méthodologique, rappeler les bases de la méthode du commentaire de texte et d'initier à la spécificité de la Spé, l'analyse critique. Du point de vue didactique, c'est la première fois dans l'année que les élèves touchent du doigt la composante "Science Politique" du programme ; l'aspect un peu solennel de l'exercice, isolé, formellement identifié comme "théorie politique", leur permet de comprendre que la Sce-Po de HGGSP revient à étudier des auteurs qui ont forgé des théories et des concepts politiques qui vont nous permettre de mieux comprendre les exemples historiques et/ou géopolitiques du programme.


Activité

Dans un 1er temps, les élèves découvrent le texte et ses deux grands thèmes : l'hégémonie athénienne et ses transformations et la justification par Thucydide de la domination athénienne faisant intervenir une théorie naturaliste des relations entre Etats (= les deux questions sous le texte)

Ensuite, je leur demande de rédiger l'introduction (en ayant rappelé les différents points qui composent obligatoirement l'introduction du commentaire de doc). Nous avons réfléchi à la problématisation ensemble. Pour cela, je leur ai demandé de trouver comment mettre en lien l'enjeu principal du texte (= défendre la domination athénienne contre les critiques) avec l'idée principale du contexte (= la défaite athénienne dans la guerre du Péloponnèse). Nous en sommes arrivés à la question suivante : "En quoi/dans quelle mesure/comment la pratique athénienne de l'hégémonie sur les cités grecques peut permettre de comprendre la défaite de la cité-Etat ?"

Au moment de la correction des questions, on relève dans le texte les éléments du texte sur lesquels s'appuyer pour les deux parties

partie 1 : comment Thucydide répond-il aux critiques formulées à l'encontre d'Athènes ?

En rose

partie 2 : comment Thucydide justifie-t-il la domination athénienne par une théorie réaliste/naturaliste des relations entre Etats ?

En bleu



Enfin, les élèves sont remis en phase de réflexion, personnelle ou en groupe, pour élaborer un plan détaillé qui répond aux deux questions posées, intègre les citations, et complète au besoin les allusions du texte par des connaissances extérieures. Voici ce que ça donne après la mise en commun

1) l'hégémonie ath

  • une hégémonie juste. Thucydide parle de "mesure" (l.15)

- pcq'elle est régulée par des "conventions" et des lois (lignes 16-17)

-pcq ces règles placent Athènes et ses alliés "sur un pied d'égalité" (ligne 21) 

pcq les alliés ont la possibilité ont la possibilité d'intenter des procès à Athènes et de les gagner (l.16)

  • une hégémonie nécessaire pour le bien des cités de la Ligue
- Cette hégémonie a été "offerte" (l.6) <=> exposer les circonstances de la naissance de la Ligue, menace perse ...

- (l.4 -5) La domination ath doit être "une main de fer" pour pouvoir assurer la protection de la Grèce (évocation de "danger" sans que ce soit bien clair si c'est se mettre en danger pour la Ligne ou juste pour Athènes) + (l.23 "leur avoir conservé l'essentiel", allusion sans doute à la Liberté des cités alliées)

-T. insiste dans la l.6-7 que Athènes ne dirige pas son empire pour son  "intérêt"

  • Mais une hégémonie critiquée ( des critiques et des haines cf l.3 et l.15)
- sentiment d'injustice <=> reprendre la critique formulée dans le 1er texte étudié de Thucydide = pendant qu'Athènes se renforce militairement avec l'argent des alliés, ceux-ci n'ont même plus de quoi se défendre.

-"abus de pouvoir" (l.24) <=> donner des exemples historiques, au minimum le transfert du trésor de Délos à Athènes et un exemple d'une guerre de Athènes contre un allié révolté

- Il est reproché à Athènes d'être autoritaire (l.7) et de "chicaner" = contraindre ses alliés par des procès


2) De l'idéalisme au réalisme

ma proposition

  • Si l'on en croit T., Athènes assume une domination impériale
- il dit "empire" ("accepter un empire" l.6) et pas "Ligue"

- on ne dirige pas un empire en respectant des valeurs telles que "le sens de l'honneur" ou en écoutant les craintes de ses alliés (l.6 et 7)

- Athènes est présentée comme étant contrainte à cette manière de diriger l'empire (l.4 et l.22), mais elle n'abuse pas de son pouvoir (comme cela a été indiqué dans la partie 1)

Par souci d'efficacité donc, Athènes aurait, selon T., une conduite réaliste de sa politique.

  • Un Etat se conduit comme un être humain, en respectant des lois présentées par T. comme "naturelles"

- "Notre manière de faire n'a rien que de banal et de conforme aux usages humains" (l.5-6), "ce n'est pas nous qui avons inventé cela" (l.6-7)

- or,  le "penchant naturel de l'homme" est de "dominer les autres" (l.12) donc Athènes cherche à dominer

-D'ailleurs, d'autres cités en Grèce dominent elles-aussi (.18 à 20). Il n'y a pas que Athènes. Ici T. fait allusion à Sparte

- La nature veut que les forts dominent les faibles , et la violence est une nécessité découlant de la loi du plus fort (fin du texte)

  • Justice ou raison du plus fort ?
- Ce sont les faibles qui avancent les idées de justice ("le plus faible ne doit pas nécessairement se soumettre au plus fort") pour compenser leur faiblesse.(fin du texte)

- La justice est le résultat d'une négociation entre les hommes ou entre les Etats. C'est ce qui explique que les hommes s'irritent de subir l'injustice, rupture d'un pacte/ contrat d'égalité des droits. Puisqu'il y a eu contrat, ils peuvent donc espèrer restaurer le contrat, mais ne peut pas remettre en cause ni lutter contre la loi du plus fort. C'est une "necessité" (fin du texte)

- Il est donc difficile pour un Etat puissant (comme pour un individu) de s'imposer à lui-même des limitations ("digne d'éloge"...). Or c'est pourtant ce que fait Athènes.


Une autre proposition pour la partie 2, celle bien plus simple des élèves

  • Les Etats se comportent comme les Hommes
  • Dans les relations internationales, la domination n' a "rien que de banal"
  • La négociation de règles (le droit/la justice) peut tempérer les rapports de domination entre les Etats, mais il n'est jamais supérieur au désir de domination des Etats.


Je ne travaille pas dans ce TD la conclusion avec les élèves. Je me contente de leur signaler qu'il faudrait en l'occurence rappeler en conclusion, pour répondre à la problématique, que Sparte a agrégé dans une alliance, la ligue du Péloponnèse, toutes les cités mécontentes d'Athènes.


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La trace écrite du cours qui va avec l'exercice



La suite des événements ? Maintenant que la notion d'hégémonie est finement maitrisée, on va pouvoir avec les élèves passer à l'étude de l'hégémonie américaine (ses formes, sa mise en place, ses limites et remises en cause). Ici et pour approfondir, le lien vers un autre article sur ces notions d'hégémonie et d'impérialisme se basant sur des éléments plus contemporains.


>Donné en DM, voici le corrigé/barème : fiche Pearltrees


dimanche 29 mai 2022

Les jeunes et le vote en France

 Une proposition de séance pour la 1ere HGGSP, thème de la démocratie représentative.


Je suis partie d'une émission d'Arrêt sur Images que vous trouverez ici.

Le questionnaire pour prélever les informations de l 'émission se trouve ici.

Séance testée et validée. Ça marche du feu de dieu avec les élèves.

lundi 14 mars 2022

Analyser avec les élèves le discours de Poutine d'entrée en guerre

 

La mise en scène du pouvoir


Je mets ci-joint le fichier word du discours de Poutine du 24 février dans une version abrégée et vous trouverez à la suite les éléments d'analyse linéaire que l'on peut mener avec les élèves de SPE HGGSP.

J'espère que cela pourra vous être utile. C'est un document de travail préparatoire pour le professeur.

Merci aux Clionautes sur le site duquel j'ai récupéré le texte intégral ! 


dimanche 13 mars 2022

Machiavel, immoral ?

 Fiche de lecture très synthétique (!) à partir du livre de Felix Gilbert, MACHIAVELLI AND GUICCIARDINI. Politics and History in Sixteenth Century Florence. C'est un livre certes ancien (il date de 1965) et d'autres études ont été publiées depuis, mais il constitue la référence de base des études machiavéliennes.

Ce billet de blog est à mettre en pendant d'un autre (à venir) qui s'intitule "gouverner par la morale au Moyen Age". 


portrait posthume de Machiavel par Santi di Tito, Palazzo Vecchio de Florence

Niccolò Machiaveli appartient à une branche appauvrie d'une famille ancienne de Florence. Il a dû travailler dans la chancellerie de la République de Florence au moment des guerres d'Italie. Son intelligence, sa culture et sa capacité de travail sont remarqués et il devient un des bras droits de Piero Soderini, gonfalonier de justice à vie. Quand celui-ci est chassé en 1512 et que les Medicis reviennent à Florence, Machiavel est écarté et il se retire dans le contado, dans une maison de famille. C'est au moment où il quitte la vie politique qu'il se met à écrire des traités politiques dont le plus connu est le Prince. Il faut l'étudier en parallèle de son Discours sur la première Décade de Tite-Live. Les deux écrits se complètent et de surcroît, il ne faut pas perdre de vue que le Prince, sorte de miroir des princes moderne, manuel à l'usage des gouvernants, est écrit pour tenter d'entrer dans les bonnes grâces des Médicis et ainsi, "reprendre du service".

Ces deux traités peuvent être considérés comme le début de la pensée politique moderne, même s'il ne faut surtout pas séparer Machiavel de son contexte puisqu'il réfléchit précisément par rapport à l'histoire récente et aux échecs de Florence et qu'il n'est pas détaché de l'esprit du temps. Il n'y a donc pas totalement une rupture. Comme les penseurs humanistes de son époque, il réfléchit sur l'usage de la force et sur les vicissitudes de la Fortune qui font et défont si rapidement les dominations depuis que l'entrée des armées françaises en Italie en 1494 a totalement bouleversé le fragile équilibre des Etats Italiens. Comme d'autres (Guicciardini par exemple), il a une approche rationnelle et utilise son expérience pour réfléchir. Enfin, comme tous les autres, il utilise les exemples historiques romains comme base d'études de cas pour appuyer ses démonstrations. Machiavel entreprend de faire pour la politique ce que d'autres font à son époque pour les Arts, la jurisprudence ou la médecine, à savoir un traité qui clarifie et codifie les principes de gouvernement à suivre, en s'inspirant de l'exemple des Anciens, pour bien maîtriser l'arte dello stato, la technique du bon gouvernement.

L'objectif principal est d'apprendre à savoir affronter ou utiliser la Fortune (ou la "qualité des temps", la contingence). Il faut être capable de lire les circonstances historiques et naturelles pour prendre les décisions, sans tergiverser. 
Ceci implique de :
- Penser l'impensable comme possible et surtout être prêt à tout. Pour comprendre un monde mouvant, le prince peut s'appuyer sur des permanences 1) les hommes sont fondamentalement mauvais et gouvernés par leur recherche de la satisfaction de leurs humeurs égoïstes. L'avidité, la recherche et le maintien de la richesse sont les principaux moteurs ("...parce que les hommes pardonnent plus vite la mort d'un père que la perte d'un patrimoine") 2) Il y a dans les sociétés deux catégories d'hommes : ceux qui "touchent" et ceux qui "regardent", ceux qui sont mus par l'ambition et ceux qui obéissent et exécutent, les oligarques qui sont la classe dirigeante et le peuple (la multitude).

- Savoir adapter son propre comportement en agissant toujours selon la virtù (difficilement traduisible, il s'agit d'une qualité particulière liée à la force et au courage. Cela n'a ent tout cas rien à voir vace la vertu chrétienne, plus avec la virtu romaine).
Agir sans tergiverser est en rupture par rapport à la tradition florentine qui valorisait la prudence et le fait d'attendre de voir où soufflait le vent pour agir. Comme le montre F. Gilbert, mais aussi et surtout  Cecile Terreaux -Scotto dans son livre sur les Ages de la vie dans la pensée florentine, cette attitude de "vieux" politiques rusés est mise en échec par la rapidité nouvelle des changements militaires et donc politiques initiés avec les guerres d'Italie. Toute le nouvelle génération formée à partir de 1494, et donc pas seulement Machiavel, réinterroge la sagesse traditionnelle qui conduisait les politiques florentins à temporiser et au contraire insistent sur la vertu particulière rendue nécessaire par la qualité des temps : savoir saisir l'occasion. CF sa description de Cesar Borgia...et même la précipitation et l'absence de réflexion dans les décisions du pape Jules II (papa terribile) sont bonnes car ils lui donnent un temps d'avance sur ses adversaires et c'est ce qui explique que ce pape n'échoue pas dans ses actions. Action et initiative sont des conditions du succès. Neutralité et compromis sont gages d'un échec certain.

Les objectifs d'un bon gouvernant doivent être d'assurer la stabilité, de sa propre domination certes, mais par là du régime qu'il dirige. Pour cela, il faut :
- tenir à distance les grands, tout en leur permettant d'agir en fonction de leurs penchants, donc en leur confiant des postes. C'est la raison pour laquelle les écrits de M. diffèrent de ceux de l'élite intellectuelle de son temps. Il n'est pas membre du groupe dominant de Florence et ne propose pas, pour guérir Florence, un programme aristocratique. Sans aller jusqu'à faire de ces écrits une lecture démocratique, ce qui serait un contresens, M. cependant milite pour une République. Dans son esprit c'est un retour à l'Antique. La République dirigée par la virtù est, pour lui, le meilleur des gouvernements. Il tient les optimates pour responsables de la perte de la liberté florentine. Il estime que le critère de la richesse (comme c'était essentiellement le cas à Florence) pour déterminer l'appartenance à l'élite est un mauvais système. De plus, le désir d'enrichissement crée les tensions entre les Grands et le peuple. Il reprend la vision de Salluste et prend l'épisode des Gracques pour dater le début du déclin de la République romaine. Loin de reprendre le topos de l'opposition entre les intérêts privés et le Bien commun (avec cette idée que les premiers doivent s'effacer devant le deuxième quand ils deviennent irréconciliables), M. pense que pour garantir le bien commun, il faut céder aux intérêts privés...à condition que le prince n'en soit pas lui-même esclave. Sur ce point-là, il rejoint une idée développée par d'autres penseurs médiévaux, la bestialité du prince, sa soumission à ses instincts et à ses intérêts serait la cause de la ruine des Etats (c'est un point majeur de la pensée politique de Philippe de Commynes par exemple)
- partisan d'un régime populaire, M. fait remarquer que seul une armée civique et non de condottieri/mercenaires peut prémunir l'Etat de la ruine, car aucun Etat ne vit isolé et loin des dangers car toutes les constructions étatiques sont en compétition les unes contre les autres et la seule alternative est de grandir ou de périr. Il préconise une alliance entre le prince et le peuple. Mais le peuple , souvent trompé par une fausse idée du Bien, agit pour sa ruine.
- pour obtenir cette alliance, il faut que le prince agisse sur l'imaginaire collectif : il s'agit de cultiver  l'imaginaire du peuple ;  il faut que le prince "manipule" le peuple en lui présentant le gain qu'il a à suivre un prince courageux. S'il fait ceci, le peuple le suivra toujours car la croyance dans le courage le galvanise. Parce que le peuple est un acteur collectif qui ne participe pas du pouvoir politique, donc qui est à distance, il a souvent une perception fausse. Il faut donc lui présenter des choix simples sous forme de gain et de perte et bien soigner les apparences. 
Remarque : Parce qu'il en arrive à la conclusion que la survie d'un Etat et son bon gouvernement dépendent moins de ses institutions que de l'esprit qui anime ses soutiens, la fameuse virtù doit animer aussi bien le prince que le peuple. L'esprit de celui qui crée l'Etat et ses institutions doit infuser dans l'esprit collectif. Il doit aussi y avoir des offices qui seraient en charge de vérifier régulièrement que l'esprit des lois (sans jeu de mot de ma part) est bien respecté (comme les tribuns de la plèbe et les censeurs dans l'antique Rome)
- malgré sa critique des factions (rien d'original), M. reconnaît comme nécessaire l'existence de groupes à l'intérieur de la société politique. Ces groupes doivent correspondre aux différentes "humeurs" de la population (comme vu plus haut, les ambitieux et les obéissants). Au lieu de distribuer les hommes selon la richesse ou la naissance, il vaudrait mieux les distribuer en fonction de leur nature.
- au final, le bon prince est celui qui parviendra à persuader le peuple qu'il incarne en sa personne les intérêts de de la société toute entière.


M. effectue donc, en mêlant des thèmes qui ne lui sont pas propres, une rupture avec l'ancienne vision d'une société gouvernée par la morale (chrétienne) et où la notion de Bien commun était centrale. Il cherche à la remplacer par une analyse rationnelle de la réalité des constructions politiques humaines et à créer une nouvelle morale, qui serait spécifiquement politique, fondée sur l'efficience.


lundi 20 décembre 2021

Jouons à la diplomatie internationale en temps de crise avec la série The Brink

 Une proposition pour le thème "Puissance" du programme d'HGGSP 1ere.

The Brink (une seule saison, la saison 2 ayant été annulée)


Dans l'article de Pierre Langlais (Télérama, 22/06/2015) , cette mini-série de HBO est présenté comme un objet "quelque part entre "Docteur Folamour" et un "Homeland" du rire.

En voici l'argument (repris de l'article cité ci-dessus) :

"Créée par Roberto Benabib (ancien de Weeds) et son frère Kim sous influence du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, The Brink place littéralement le monde « au bord » d'une guerre nucléaire quand un militaire illuminé prend le pouvoir au Pakistan, et menace d'effacer Israël de la surface du globe. Le voisin Indien n'étant pas rassuré non plus, on est à deux doigts de la catastrophe. Deux hommes semblent pouvoir l'éviter : Walter Larson (Tim Robbins), le Secrétaire d'état américain – un séducteur à la santé sexuelle inversement proportionnelle à sa santé, tout court – et Alex Talbot (Jack Black), un employé de l'ambassade américaine à Islamabad – incompétent, maquereau du dimanche quand Larson est de passage en ville.
Produite et mise en scène par Jay Roach, réalisateur de Austin Powers et du téléfilm politique d'HBO Game Change (l'homme de la situation, donc), cette pochage géopolitique oscille entre blagues énormes à la nullité assumée et satire de la politique internationale (...). Le délire complet n'est jamais loin, mais les frères Benabib semblent vouloir conserver un fond de satire, et donc une once de réalisme dans les relations diplomatiques – on se doute bien qu'une série qui implique Washington, Jérusalem et Islamabad tient de quoi être politiquement très incorrecte, et peut se payer la tête des amitiés plus ou moins hypocrites des uns et des autres. En effet, pour éviter une Troisième Guerre mondiale, Larson et Talbot vont décider de soutenir un autre fou (plus conciliant, quoi que…), de provoquer un autre coup d'état, tout en tâchant de calmer les pulsions belliqueuses des uns et des autres."

La proposition a de quoi réjouir le prof d'Histoire-Géographie tant elle fourmille d'allusions, voire de clins d'oeil appuyés à des événements historiques. Par exemple, des jeunes filles réfugiées à l'ambassade américaine du Pakistan sont l'enjeu d'une négociation entre le secrétaire d'Etat américain et l'homme que ce dernier souhaite mettre au pouvoir au Pakistan pour remplacer son frère complètement dingue. Lors de leur conversation, Walter Larson rappelle comment Reagan a utilisé l'affaire des otages de l'ambassade américaine à Téhéran pour renforcer sa popularité et il sous-entend que leur libération, juste après l'élection présidentielle, a été négociée entre Reagan et l'ayatollah Khomeiny. De même, les quelques scènes de l'évacuation de l'ambassade à Islamabad sont filmées de manière à rappeler l'évacuation en urgence de l'ambassade de Saïgon en 1975. 
D'autres moments jouent avec les clichés et les idées reçues sur la puissance et le poids diplomatiques des différents pays. La réplique sur les tambours chinois de la cérémonie d'ouverture des JO de 2008 à Pékin  m'a personnellement fait sourire car elle exprime exactement ce que j'ai pensé en la découvrant.



Certes, la satire reste superficielle et en dépit des très nombreuses références, elle manque de fond et de réflexion. The Brink n'est en aucun cas une série qui permettrait d'engager avec les élèves un travail de compréhension des enjeux internationaux, même pas ceux de la géostratégie. En revanche, on peut l'utiliser dans une première approche et pour changer un peu des supports sérieux qu'on utilise d'habitude pour les  "relevés d'information".

Je joins à ce post les liens vers le découpage vidéo 1 et le découpage vidéo 2, ainsi que le questionnaire pour les élèves. L'idée est ensuite d'organiser un kahoot.

samedi 13 novembre 2021

L'organisation politique de Florence au moment savonarolien

Si, dans les programmes scolaires, nous n'avons le temps que de présenter le système démocratique mis en place à Athènes à la fin du VIe siècle avant JC, il serait pourtant utile de prendre du temps pour présenter d'autres systèmes d'organisation de gestion et de vie politique, notamment au Moyen Age. Etudier avec les élèves, dans une démarche comparative les différentes formes de systèmes républicains (Athènes, Rome, les communes italiennes médiévales) permettrait d'aiguiser leur regard sur la longue durée de la mise en place de l'idéal démocratique.



Le palais de la Seigneurie (dit "palazzo vecchio")
qui abritait les conseils de la commune.


Dans le "laboratoire italien" des formes politiques, Florence tient une place particulière étant donné la masse de documentation et donc d'études qui lui sont consacrées. A partir du XIIe siècle, cette commune a expérimenté toutes les formes d'organisation civique : partant d'une autonomie communale, elle devient République plus ou moins oligarchique selon les époques, puis passe sous la domination quasi seigneuriale des Medicis, puis au XVIe siècle la capitale de leur duché. J'ai consacré un billet de blog à une sommaire présentation de la première république et aux ordonnances de Giano della Bella, dans le cadre d'un cours de DNL italien. Aujourd'hui, je vais présenter de façon plus classique le fonctionnement du "regime democratico temperato" mis en place en décembre 1494, alors que la descente du roi de France Charles VIII avait initié les guerres d'Italie et après que la Seigneurie a chassé Pierre de Médicis, le fils de Laurent le magnifique. Je m'appuye sur l'article de Guidobaldo Guidi, "Il Savonarola e la partecipazione alla vita politica", paru dans Savonarole. Enjeux, débats, questions, Actes du Colloque International (Paris, 25-26-27 janvier 1996), Paris, 1997, p.35-44. Mais avant, je reprends, pour introduire le propos, une large citation de l'article de Jean Bourier et Yves Sintomer, "La République de Florence (12e-16e siècle). Enjeux historiques et politiques" (dans Revue française de Sciences politiques, 2014/6, vol.64, p.1055-1081) ainsi que la chronologie qui est fournie en annexe. Cet article constitue une bonne entrée en matière pour ceux qui voudraient avoir un aperçu général de l'histoire institutionnelle de Florence.


"Du 13e au 16e siècle, et plus particulièrement lors du moment « républicain » où elle se fait le héraut de la « liberté florentine » (Florentina libertas), Florence constitue une référence centrale pour l’histoire politique du monde occidental. Tôt libérée des rapports féodaux, elle est, pendant deux siècles et demi, et malgré quelques éclipses, le lieu d’une véritable réinvention de la politique, au sens où Moses I. Finley et Christian Meier entendent celle-ci [1]Moses I. Finley, L’invention de la politique. Démocratie et… – un débat public sur les choses de la cité appuyé sur des procédures permettant aux citoyens une participation politique institutionnalisée. Mais elle l’est aussi au sens des luttes et intrigues pour le pouvoir lorsqu’elles sont tranchées in fine sur la place publique, plutôt que confinées dans les coulisses, et qu’elles s’effectuent dans un champ largement autonome, en particulier à l’égard de la religion, et partiellement professionnalisé. Si les origines et les premiers temps de la Commune de Florence restent en partie dans l’ombre, c’est avec l’affirmation du Popolo, en liaison étroite avec les associations de métiers, qu’elle devient une cité de premier plan. (les phrases en gras sont de mon fait) Avec Venise et Gênes, c’est l’une des cités-États qui, durant la Renaissance, résiste le plus longtemps à la montée des nouvelles Seigneuries princières, celles des Visconti puis des Sforza à Milan, des Gonzague à Mantoue ou des Este à Ferrare et à Modène. Dans les représentations et discours de l’époque, elle incarne la version « populaire » de la République, quand la ville des doges en représente la version « aristocratique ». La mutation politique que Florence expérimente dès le 13e siècle participe de l’invention ou de la réinvention de techniques délibératives ou électives et de modes de scrutin qui seront typiques de la politique moderne. La cité-État a rompu progressivement avec l’univers de pensée féodal, avec la théologie politique de l’empire et avec les formes institutionnelles et idéologiques de l’autorité qui en étaient le corollaire. Quelques siècles avant que ne s’impose l’idée de la souveraineté populaire, une communauté politique quasi fédérative basée initialement sur les corporations (les Arts) et d’autres groupes fondés sur un statut spécifique reconnu par la cité (les quartiers, l’organisation regroupant les partisans du guelfisme, etc.), typique des communes médiévales, cède progressivement la place, au cours des 14e et 15e siècles, à une République plus unitaire.

La politique est dans la cité toscane tout à la fois étonnamment proche et foncièrement différente de la nôtre. Quelques aspects méritent ici d’être mentionnés. La délibération publique se déploie de façon importante, en particulier à partir de la fin du 14e siècle, mais dans des assemblées quasi informelles, les consulte e pratiche, qui discutent presque quotidiennement des questions sensibles, et non dans les Conseils législatifs, lieux qui sembleront son habitat « naturel » quelques siècles plus tard. L’élection et le vote au scrutin majoritaire sont employés et affinés mais, jusqu’à la fin du 15e siècle, ces modes de scrutin ne sont pas couplés à l’idée du consentement du peuple, typique des gouvernements représentatifs modernes. Florence voit émerger une véritable classe politique, quasi professionnalisée en ce qu’elle pratique cette activité à plein temps, dominée par les grandes familles qui exercent un large contrôle, à travers leurs réseaux, sur la vie politique. Mais elle voit aussi s’affirmer la participation active de milliers de citoyens à la gestion des affaires publiques à travers un mélange de cooptation, de tirage au sort et de rotation rapide des mandats. Elle développe nombre des techniques d’administration modernes, comme l’impôt proportionnel fondé sur un recensement très précis des richesses immobilières et mobilières, dans le cadre d’un vaste État territorial en cours de constitution, qui occupe au 15e siècle toute la vallée de l’Arno, des Apennins à la mer, au niveau de Pise et de Livourne. C’est aussi à Florence que la notion moderne de république est créée, à partir du moment où Leonardo Bruni (1ere moitié du XVe siècle) oppose le régime républicain au régime princier et où la république n’est plus simplement synonyme de bon gouvernement. Cependant, l’idéologie officielle de la cité toscane est marquée par l’idéal d’une représentation politique qui n’est pas la représentation-mandat mais la désignation des personnes les plus impartiales, les plus justes et les plus utiles pour l’harmonie communale, personnes qui forment une pars pro toto pouvant engager la collectivité."


Une longue chronologie commentée accompagne l'article dont je tire l'exercice suivant :

Une exercice pour les 1ere SPE HGGSP, thème démocratie

Rapide historique de la commune de Florence

1154-1159 : la commune qui a reçu l’autorisation de la part de son seigneur, l’empereur, d’administrer elle-même la justice civile et criminelle, se dote de ses premiers statuts constitutionnels

1166 : première mention d’un Conseil de Boni Homines (les « bons hommes »)

1180-1220 : années de la mise en place du système des Arts (les corporations de Florence qui se dotent de représentants)

1244 : le popolo (ensemble des citoyens non nobles et non riches = petit peuple des artisans et des ouvriers, à jour de leurs impôts) s’organise et se dote de deux capitaines. En 1250, une insurrection renverse le groupe des notables qui dirigeait la cité et met en place le premier régime du Popolo. Celui-ci va durer 10 ans.

Tensions entre deux factions rivales : les guelfes et les gibelins.

1293 : approbation des Ordonnances de Justice qui visent à diminuer la puissance politique des plus riches et à expulser les nobles de la vie politique florentine. Création du gonfalonier de justice et du gouvernement élu de la « Seigneurie », constitué de prieurs des Arts.

1342-1346 : krach financier. Les grandes familles de la banque florentine font faillite. Les Arts mineurs par la suite rééquilibrent le pouvoir à leur profit.

1378 : révolte populaire des Ciompi (artisans du textile) qui imposent une nouvelle constitution ouvrant la vie politique aux petits ouvriers et artisans.

1382 : Fin du gouvernement des Arts. Etablissement d’un régime oligarchique, hostile au popolo minuto (les plus pauvres) qui perd tout accès au gouvernement. Officiellement cependant, le cadre de la République est conservé.

1434 : A partir de cette date, la famille des Medicis parvient à s’imposer comme l’unique famille dirigeant effectivement la ville. Les institutions sont conservées, mais sans autonomie.

1478 : échec de la tentative de coup d’Etat menée par les Pazzi contre les Medicis

1494 : la commune de Florence chasse Pierre de Medicis et met en place un régime constitutionnel à nouveau élargi aux plus pauvres.

1512 : retour des Medicis au pouvoir à Florence.


En 1ere SPE sur le thème de la démocratie, j'insiste sur les antagonismes de classes à Athènes et surtout à Rome qui ont conduit à la mise en place d'institutions de compromis permettant aux riches comme aux pauvres,, aux aristocrates comme au plébéiens de constituer un seul peuple de citoyens, participant, chacun à leur mesure, à la vie politique. Les dosages sont le résultat de rapports de force constamment renégociés et mouvants. On retrouve cette même idée dans l'histoire de Florence. La chronologie a aussi l'avantage de montrer que noblesse et richesse ne sont pas forcément synonyme : à Florence, des magnats de la banque et de la finance s'imposent au pouvoir, sans être nobles et en ayant précisément profité de l'expulsion de la noblesse féodale après les Ordonnances de Justice.

Le questionnement pour les élèves pourrait être le suivant

1)      Repérer les différents types de pouvoir à Florence :

·         Avant le milieu du XIIe siècle, qui est le seigneur de Florence ? Avant 1293, quelle classe sociale dirigeaient la ville ? Que vous suggère l’appellation « Bons Hommes » pour désigner ceux qui dirigent Florence à cette époque ? A partir de 1280, quel groupe social prend de plus en plus d’importance et s’organise ?

·         Au XIVe siècle, quelles organisations contrôlent la commune ? Est-ce toujours le cas au XVe siècle ?

·         Qu’est-ce qu’un « régime du popolo » ?

2)      Comprendre les luttes sociales et politiques à Florence

·         « Fluotez » dans la chronologie toutes les mentions témoignant de tensions sociales et politiques.

·         Quelle typologie des tensions peut-on établir ?




Focus sur un régime du popolo : la "République savonarolienne"

(remarque : l'expression est impropre, mais ce n'est pas l'objet ici d'un débat de spécialiste)




 R) coquille : lire pratica et non praticha

+ le Grand Conseil ne débat pas, il vote les lois. En de très rares cas seulement, la Seigneurie appelle au débat au sein du Grand Conseil. En temps ordinaire, cela se faisait au sein des pratiche.


Précision sur le système d’élection aux magistratures de la commune

C’est un système extrêmement compliqué en 3 étapes et que je simplifie sans être d'ailleurs certaine d'avoir tout compris. Ce n’est donc pas un suffrage direct, mais indirect.

Les membres du Grand Conseil sont réunis dans un premier temps par quartier. L’élection dure toute la journée.

Etape 1 : tirage au sort. Trois bourses/sacs ont été préparées pour chaque quartier et pour chaque collège électoral (2 bourses pour les arts majeurs, 1 pour les arts mineurs) avec les noms des personnes qui pouvaient prétendre participer à la désignation des candidats (faire partie du Grand Conseil, être majeur, être à jour des devoirs de citoyens, être membre d’un Art…). En tout, on tirait au sort 108 personnes (3 par quartier pour chaque mandat à désigner).

Etape 2 : désignation des candidats à l’élection. Juste après le tirage au sort, chacun de ces tirés au sort proposait son candidat pour la Seigneurie en choisissant parmi les membres de Grand Conseil. Leurs candidats doivent habiter leur quartier et faire partie soit des Arts majeurs (6 « seigneurs + gonfalonier soit 7 postes à pourvoir) soit des Arts mineurs (2 postes), comme eux d’ailleurs.

Etape 3 : élection. Puis tous les membres du Grand conseil procédaient au vote (non = fève blanche, oui = fève noire) pour chaque poste (9) et pour chaque nom proposé (12x9), en respectant le fait que chaque quartier devait avoir deux élus. Un notaire procédait le jour suivant au dépouillement. On conservait la personne qui avait reçu le plus grand nombre de fèves noires, à condition qu’il ait reçu au moins 50% des suffrages. Il fallait au moins 1000 votes. Sinon, on recommençait (!)

Pour les magistratures mineures, on se contentait d’un tirage au sort.

Pour les élèves, avec un peu de concentration car c'est compliqué, ils peuvent repérer le rôle souverain du Grand Conseil, le rôle de la Seigneurie comme organe du pouvoir exécutif, la séparation des pouvoir, les mandats courts et la collégialité des magistratures, le contrôle de l'action des magistrats.

Dans un 2e temps, on peut leur demander (comme pour la comparaison avec Rome) si ce système est réellement démocratique au regard des critères athéniens. Ils repéreront que les participants à la vie politique sont, comme à Athènes, une minorité, mais que , contrairement à Athènes, le petit peuple est désavantagé à plusieurs niveaux (exclu du Grand Conseil, minoritaire à la Seigneurie). Cependant, la procédure de désignation des magistratures, leur garantit (contrairement au cursus honorum romain) d'avoir des élus.

Enfin, on peut leur faire identifier les différentes échelles administratives (le quartier, la commune) et les niveaux de compétence enchassés. Puis l'importance à Florence du monde économique qui structure en fait la vie politique.


Remarque : Le mode de scrutin pour la désignation des magistrats florentins a fait l’objet de nombreux débats et a changé en juin 1495 puis en mai 1498 et en mai 1499. Il est un enjeu de la "liberté florentine", c'est-à-dire de l'effectivité de son autonomie. Il vise à éviter la mainmise des factions sur le gouvernement (Seigneurie, 10 de Liberté ...) et notamment le retour au pouvoir des partisans des Medicis. En 1499, l'institution du gonfaloniérat de Justice à vie, confié à Piero Soderini, veut faire de Florence une République enfin stable.


Ci dessous, la version simplifiée pour les élèves, avec le questionnaire



vendredi 1 janvier 2021

Empire ottoman : un Etat moderne

Notes d'après le cours du Collège de France de Edhem Eldem, Histoire turque et ottomane (chaire internationale) / L'Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident



Il existe des modernités non occidentales. L'Empire ottoman qui naît au XVe siècle, à l'aube de la période moderne, est moderne par essence et puisque l'Etat est avant tout fiscal, militaire et administratif : il y a une machine étatique qui se met en branle qui a tous les attributs d'une modernité, pourtant avec des formes non occidentales.
Ceci dit, l'objet du cours est de montrer la transformations de cet Etat par ses dynamiques internes, certes, mais sous l'impact d'une influence de plus en plus forte de l'Occident sur un très long 19e siècle qui commencera au 18e et se terminera au 20e. Acmé = 19e où l'empire ottoman se "soumet" aux normes occidentales jugées plus modernes.
Trois temps :
  • 18e et début 19e : le "flirt"
  • milieu 19e : la modernité européenne est recherché
  • fin 19e-début 20e : l'empire cherche à se détacher du modèle européen en affirmant ses identités fortes (islam + turcité) et de la part de l'Europe, même si l'empire est au cœur de la géopolitique ("la question d'Orient"), les pays européens se désolidarisent du système politique, tout en conservant dans l'empire leurs intérêts économiques et leur présence.


Leçon 1

Une volonté d'ensemble : "sauver l'histoire ottomane des Turcs". = contre le fait dominant en Turquie où l'histoire est utilisé de façon patrimoniale et identitaire pour affirmer la turquité de l'empire ottoman et que donc les peuples de l'ancien empire n'était pas ottomans puisque non-turcs, par exemple les Arméniens. Ceci est un non sens pour l'histoire d'un empire, qui est toujours multiethnique. Un empire ne peut pas être réduit à une seule dimension ethnique, religieuse et politique. L'empire ottoman n'était pas un empire homogène : c'était un empire à l'ancienne, non homogène, tenu par des structures étatiques ténues et complexes.

=> l'empire ottoman était-il vraiment territorial ? les limites de l'empire étaient floues. Certains territoires s'autogéraient par exemple. Selon les espaces, des liens plus ou moins distants à Constantinople. L' "empire ottoman" est un terme que les Ottomans eux-mêmes n'utilisaient pas. Ils parlaient d'Etat, mais pas d'empire.

=> les historiens turcs qui n'ont accès qu'au cœur de la documentation impériale à Istanbul, qui l'utilise principalement, n'ont accès qu'à une partie de l'histoire, stamboulio-centrée et turco-centrée, une perception de l'histoire ottomane donc fort partielle et déformée, myope avec un "strabisme convergent" sur Istanbul, capitale de l'empire ottoman, avec le mythe d'un empire ottoman centralisé. Certes, les archives de l'empire ottoman sont extrêmement riches (fiscalité, "chose militaire", papiers administratifs). Mais elles masquent la faiblesse du contrôle des territoires de l'empire par sa capitale : l'empire ottoman ne survivant que par la négociation constante entre le centre et les périphéries. Il y a illusion du contrôle et de la centralité, mais la documentation de l'Etat sur ce point est trompeuse et doit être critiquée, contextualisée, croisée si possible avec d'autres sources.
remarque 1 : c'est un pb majeur car dans les territoires de l'ex empire qui se sont "libérés de la domination ottomane", les Etats successeurs de l'empire ottoman se sont tous délestés et désolidarisés du passé ottoman. Par ex la Grèce (du XVe s aux années 1830) juge que les 4 siècles de son histoire ottomane ne sont pas son histoire, la réduisant à une histoire d'occupation et de domination... avec une historiographie quasi téléologique, qui scrute la moindre aspiration à la libération et minimise les accommodements et la négociation constante avec le centre stambouliote. On ne fait pas l'histoire de la culture gréco-ottomane. Du coup, cela laisse aux turcs la possibilité de s'accaparer de ce trou noir de 4 siècles. Cependant, la réappropriation  de leur part de l'héritage ottoman, le récit flexible et réaliste, alternatif et concurrentiel au récit moniste des historiens turcs, a commencé depuis une dizaine d'année. Ce qui au passage permet une meilleur compréhension du fonctionnement et de la complexité de l'empire.
remarque 2: Le pb majeur de l'historiographie turque, c'est la faiblesse de l'approche critique des documents. Les débats d'historiens portent essentiellement sur les interprétations, les déchiffrements  "paléographiques" du document. E. E. parle de "fétichisme documentaire". Manque de contextualisation et de confrontation des interprétations.

Enfin, l'étude de l'histoire ottomane doit se démêler avec l'orientalisme, au sens ici de l'idéologie dix-neuvièmiste qui a fondé les relations entre l'occident et l'empire = une perception essentialiste par laquelle l'orient est réduit à  une forme d'apathie et d'incapacité surtout de se rénover, de se transformer, sans un stimulus extérieur = l'insémination par la modernité et la civilisation occidentale. L'empire ottoman, dans les cabinets diplomatiques européens du XIXe, était sans cesse stigmatisé, parce qu'oriental, parce que musulman, comme étant incapable de se régénérer, à moins de se soumettre à la volonté et aux normes de l'occident. Cette conception a été reprise par les Ottomans eux-mêmes dans certains milieux dirigeants de l'empire.
L'orientalisme a vicié notre conception de l'histoire ottomane.
=> les meilleurs études ottomanes sont faites depuis les Etats-Unis. Cf E. Said Orientalism, 1978
=> par effet de miroir, l'anti-orientalisme qui constate que l'orient a été lésé de sa dignité et que par conséquent on lui avait ôté les moyens de parler pour lui, a cherché les moyens de redonner la parole à l'orient, mais cela s'est fait malheureusement souvent au prix d'envolées spéculatives qui allaient à l'encontre de la raison historique.

Leçon 2 : Curiosité et hésitations

Leçon 3 : Les premiers signes d'engagement

XVIIe-XVIIIe
Il s'agit d'analyser la nature des premiers contacts entre les Ottomans et l’Europe, tout en soulignant qu’il ne s’agit pas à proprement dire d’une véritable découverte puisque les Ottomans ont, depuis le début, été en contact avec un monde occidental d’abord italien, puis de plus en plus français. La véritable différence, au XVIIIe siècle, tient à un changement sensible du rapport de forces entre les deux parties : tandis que les Ottomans, depuis la fin du XVIIe siècle, commencent à perdre prise (face aux Russes, aux Autrichiens...), leurs interlocuteurs occidentaux, eux, se font de plus en plus puissants et, souvent, arrogants. Il s’agit donc d’une situation nouvelle qui force les Ottomans à revoir leur politique envers un Occident de plus en plus envahissant et menaçant.

Un empire ottoman qui se voit comme un centre du monde (entre la Perse et l'Egypte...) et ne conçoit de relations à l'Europe que comme unilatérales : pas d'ambassade permanente alors qu'à l'inverse il y a des ambassadeurs permanents dans la Sublime Porte depuis le XVIe siècle (appointés d'ailleurs par le sultan), une étiquette qui marque la supériorité de l'empire sur ses hôtes par des mesures vexatoires plus ou moins discrètes. Cf la pratique du bagalgîr lors des audiences impériales : deux gardes empoignent l'ambassadeur par les aisselles et le forcent à se prosterner devant le sultan.
Cependant, au XVIIIe s, dans certains cercles, il y a une curiosité pour le goût européen : on le voit dans les collections d'objets (textiles, faïences), dans certaines réalisations urbanistiques ou palatiales (jardins, architecture). De même en France, c'est le début de la mode des "turqueries".

Ambassade de Yirmisekiz Mehmed Çelebi (1720-1721) et celle de son fils Said Efendi (1741) sont deux cas particuliers. Loin d'être des ambassades diplomatiques, il s'agit de sortes de "voyages d'étude". Son livre d'ambassade au "pays des infidèles" semble avoir eu une petite  influence à Istanbul. Mais il ne s'agit pas pour autant d'occidentalisation. Pourtant, quelques traces timides d'innovation, par exemple la première presse en caractères arabes fonctionne de 1727 à 1742 dans la capitale, malgré l'opposition de certains cercles conservateurs. Mais peu de livres sont parus, 17, jamais tirés à plus de 500 exemplaires. L'innovation est quelque chose qui fait peur, généralement critiquée car considérée comme allant à l'encontre de l'équilibre de la société.
Mais pas de traces, pas de sources pour comprendre comment ces quelques timides nouveautés étaient reçues par le public général.
Une source en revanche très intéressante,  le Tableau des nouveaux réglements de l'Empire ottoman, publié en 1798 de Mahmud Raif Efendi. C'est un texte écrit et pensé en français par cet homme, nommé secrétaire de la première ambassade permanente à Londres et qui cherche à apprendre des Européens, dit-il dans sa préface, pour participer au relèvement de l'empire. Les termes qu'il utilise pour justifier son entreprise, "lumières de la raison", "Etre suprême", "constitution politique" n'ont pas d'équivalent à l'époque en turc. Le vocabulaire équivalent en turc n'apparaît qu'un demi-siècle plus tard. Tout le vocabulaire consacré du XVIIIe siècle européen est utilisé : ce texte se dissocie de la rhétorique ottomane du XVIIIe et il est écrit pour un public éclairé, autour de Sélim III. 
Attention, quand on se penche sur la table des matières, on n'y trouve pas de proposition de réformes politiques ; toutes les réformes envisagées sont fiscales ou militaires...ce qui est typiquement ottoman. L'empire en effet, a toujours été très attentif aux innovations militaires de l'occident.

De quand dater le basculement ? Un événement majeur = l'expédition d'Egypte menée par Bonaparte. L'incapacité dans laquelle les Ottomans se sont trouvés de même pouvoir répondre à l'agression, à la perte de la province la plus riche de l'empire, les a profondément marqués.
1798 : L'expédition d'Egypte, à la source de l'orientalisme, càd un mélange de clichés et d'érudition.
 + rend évidente la faiblesse de l'empire ottoman.

A partir de là, la première moitié du XVIIIe correspond pour l'empire à des efforts de modernisation sur le modèle occidental, mais de façon formelle, et pas du tout effective dans la réalité, ni efficace dans ses effets. Par exemple, publication par Mahmud Raif en 1803 d'un magnifique atlas qui va jusqu'à donner tous les détails toponymiques des côtes des Etats-Unis et du Canada (en traduction littérale turque, puisque, en fait, il s'agit de la traduction de l'ouvrage de William Faden de 1793). Mais il n'y a pas de navigateurs ottomans en Atlantique => "un exercice stérile".

Pour cette période aussi, on peine à mesurer la réception et la diffusion de ces témoignages d'ouverture de l'empire ottoman au reste du monde. Certes, des documents existent, mais il semble qu'ils restent isolés et peu diffusés.
Remarque : par exemple, cf le magistral texte d'Evliya Çelebi = 10 volumes de récit de voyage très précisément documenté. Or ce texte du XVIIe est retrouvé au 19e siècle par un orientaliste allemand. On  n'a retrouvé que 5 ou 6 exemplaires de ce manuscrit. On n'en retrouve pas mention dans les inventaires après décès. De plus, Çelebi est un cas quasi unique (alors que multitude de textes de voyageurs à la même époque en occident)


Une preuve du nouveau regard sur l'Europe et la modernité, ex. du portrait du sultan de Selim III envoyé à "son ami l'empereur", Napoléon (après 1804)
remarque : l'échange de portrait n'est pas du tout une tradition ottomane.


Certes, c'est un portrait en majesté selon les codes ottomans, mais on remarque dans la niche à droite les symboles l'ouverture intellectuelle, signes de la modernité à l'occidentale = livres de l'imprimerie impériale de Constantinople, globe terrestre, longue-vue, horloge européenne et le matériel pour écrire.
Image qui témoigne d'un désir de délivrer un message à l'occident qui signifie qu'on appartient à cette modernité, devenue valorisée/valorisante.

Leçon 5 : Vers de nouveaux savoirs

(ce résumé est celui de E.E., disponible sur le site du collège de France)
 "L'historien et chroniqueur Şanizade Ataullah Efendi, dont l’Histoire (Tarih) a souvent et longtemps été vantée pour la « modernité » de son introduction (mukaddime), s’était « librement » inspiré de l’article « Histoire » de Voltaire dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. L’aspect le plus surprenant de la question était que Şanizade avait réussi à obtenir l’approbation et les éloges du sultan Mahmud II (r. 1808-1839) pour un texte émanant d’un auteur considéré, avec Rousseau, comme un mécréant et un blasphémateur. Évidemment, il n’y a pas vraiment de mystère : Şanizade s’était contenté d’adapter le texte de Voltaire afin de le rendre compatible avec l’idéologie conservatrice de l’establishment ottoman.
Une lecture plus détaillée du texte de Şanizade permet de comprendre mieux le modus operandi de cette « adaptation ». D’une manière générale, il apparaît que celui-ci a procédé par omission, par rajouts et par distorsions. Les « statistiques » montrent bien les dimensions de cette manipulation : le texte de Voltaire faisait environ 8 500 mots ; celui de Şanizade n’en compte que la moitié (4 300), dont moins des deux-tiers sont du philosophe (2 600). Voltaire cite près d’une vingtaine d’historiens ; Şanizade ne retient qu’Hérodote, dont il écorche le nom en « Heredod ». Bien des omissions sont dues à l’ignorance : Şanizade choisit de sauter et d’omettre bien des passages qui lui sont culturellement et intellectuellement inaccessibles. Ces lacunes et omissions sont évidentes lorsqu’il parle de l’histoire romaine, révélant son incapacité à distinguer les Grecs des Romains. De même, son traitement de l’histoire de l’Asie dévoile son ignorance de personnages comme Cyrus ou Oghuz Kagan qui devraient pourtant lui être familiers. Les rajouts, au contraire, lui permettent de « corriger » Voltaire lorsque celui-ci ignore ou raille le fait religieux. C’est ainsi qu’il infuse une bonne dose de doctrine islamique dans son texte, renversant complètement la logique fondamentale du texte plagié. Enfin, des transpositions extrêmement brouillonnes et souvent déplacées visent à rendre les exemples « exotiques » de Voltaire compréhensibles par des lecteurs ottomans. Ainsi, les expéditions portugaises en Asie sont comparées à la reconquête du Hedjaz par les Ottomans à peine dix ans plus tôt, tandis que la découverte intellectuelle de la Chine par l’Europe est « traduite » par une longue digression sur la victoire de Murad Ier à Kossovo en 1389. Dans un cas comme dans l’autre, ces exercices d’adaptation se font l’occasion de chanter les louanges du sultan régnant et de ses ancêtres, contribuant à la « réussite » de Şanizade auprès de son maître.
Ce cas très particulier met à nu certaines questions fondamentales, à commencer par la faiblesse de l’historiographie ottomane et turque qui a tout ignoré de cette généalogie textuelle pendant près de deux siècles. Plus encore, la « méthode » de Şanizade illustre certaines faiblesses intrinsèques de l’occidentalisation ottomane, notamment le désir de s’inspirer de l’Occident sans avoir à en assumer les implications intellectuelles et idéologiques. De toute évidence fasciné par le texte de Voltaire mais ne pouvant ni ne voulant le plagier tel quel, Şanizade avait opté pour une demi-mesure qui en gardait la forme tout en le dénaturant dans le sens. Cet opportunisme utilitaire restera une des caractéristiques principales de l’occidentalisation ottomane et turque pendant les deux siècles à venir.

2e remarque : l'occidentalisation commence à devenir tellement prégnante que même les sources proprement ottomanes peuvent à l'occasion être lues par la médiation européenne : ex d'une édition de 1860 de la Muqaddima d'Ibn Khaldun où le propriétaire (un intellectuel et historien du début du XXe s) indique de façon manuscrite une référence "lire l'ouvrage de Gumplowicz, Aperçus sociologiques".

Leçon 6 (fin année 1) Les défis du nouvel ordre

En 1815, les Ottomans ne sont pas conviés au Congrès de Vienne qui entend refonder l'ordre en Europe. Ce n'est qu'en 1856, après la guerre de Crimée que l'Empire ottoman est partie prenante d'une conférence internationale de paix, ce dont ils sont très fiers car ils le considèrent comme la reconnaissance de leur intégration à la modernité occidentale.

L'empire ottoman, depuis les Lumières, était présenté comme typique de l'immobilisme et du despotisme oriental. Pourtant, avec Selim III à la fin du XVIIIe siècle, il y a des efforts de modernisation interne. Sélim III, sous le nom de "nouvel ordre", fait une série de réformes fiscales et militaires, mais il tombe en 1807 quand il essaie de compléter sa réforme en s'attaquant au corps des janissaires. Il est assassiné par les partisans de  son cousin et successeur, Mahmud II, qui mène une contre révolution de palais. Ce dernier est le dernier de la lignée ottomane. Il n'est pas assez puissant pour assurer l'autonomie du pouvoir face aux pouvoirs périphériques : dans les provinces (les Ayan = notables provinciaux qui ne doivent rien à l'empire. ce sont de gros propriétaires terriens et ils contrôlent l'affermage local) et à Constantinople, les janissaires, qui sont bien plus qu'un corps d'armée, mais qui ont aussi des activités économiques qui rapprochent leurs intérêts de la moyenne bourgeoisie stambouliote. Il attend avant de poursuivre la modernisation de l'empire. Mahmud II signera donc en 1808 le « pacte d’alliance » (Sened-i İttifak) avec les principaux ayan, reconnaissant par là leur statut en échange de leur soutien. Néanmoins, quelques années plus tard, il s’engagera dans une politique visant à réduire l’autorité et l’autonomie de ces magnats des provinces. Ce n’est que bien plus tard qu’il osera enfin à s’attaquer aux janissaires, cette fois-ci de manière décisive. L’« heureux événement » du 16 juin 1826 anéantira manu militari des janissaires, bannissant jusqu’à la mémoire de ce corps et de ceux qui lui étaient affiliés. C'est l'insurrection grecque qui précipite le mouvement. 

Ce qui se passe en Grèce n'est pas une de ces insurrections banales de l'empire. 
* Jusque là, les puissances européennes ne s'impliquaient pas dans la défense des minorités chrétiennes de l'empire et même elles considèrent les mouvements sécessionistes de l'empire ottoman dans les Balkans comme des phénomènes dangereux pour l'ordre global de l'Europe. Mais sous le poids de l'opinion publique et des volontaires européens qui rejoignent les rangs grecs (cf Lord Byron), elles finissent par intervenir (bataille de Navarin) et cette intervention est décisive pour la naissance de la Grèce (1830).
* C'est une rébellion qui a une nouvelle rhétorique (nationalisme) ce qui rend quasi impossible la négociation entre Constantinople et la Grèce. Les anciennes méthodes pour amener une province à composition ne peuvent plus fonctionner avec la Grèce. + un phénomène assez large.

Rouge îles insurgées en mer Egée / Jaune insurrection matée par l'armée ottomane / Vert îles paisibles

 
* Incapacité de l'armée à obtenir des résultats = fin de la rébellion. De plus, le recours aux troupes irrégulières (bachibouzouks) entraîne des débordements contre les civils qui sont préjudiciables à l'image de l'empire et dont il doit "s'excuser" auprès des diplomates européens (cf massacre de Scio en 1822). On voit l'insistance dans les lettres des diplomates européens sur la "barbarie" de la repression (les têtes et les oreilles coupées) Enfin, la comparaison avec l'armée égyptienne, qui elle s'est réformée sur le modèle occidental, rend éclatant le retard ottoman. Manque de moyen, désorganisation...

* La Grèce du fait du philhellénisme n'est pas un territoire "neutre" pour les occidentaux. Les arguments occidentaux, par exemple ceux de la défense du patrimoine artistique,
Lettre de Stratford Canning à Reçip Pacha

La réponse de Reçip Pacha :


... finissent par infuser dans les discours ottomans : 
Lettre de Reçip Pacha au sultan


Les ottomans commencent à comprendre que l'Europe fonctionne sur des symboles extrêmement puissants : Athènes au centre des préoccupations/obsessions identitaires de l'Europe alors que pour les Ottomans, Athènes était un petit village reculé.
=> prise de conscience de la difficulté à gérer une diplomatie nouvelle, qui n'est pas juste la délimitation des rapports de force, mais qui se nourrit d'une réelle connaissance de l'autre, de ce qui lui importe, de son histoire et de ses valeurs.

To be continued ? saison 2 = 2019

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