Si, dans les programmes scolaires, nous n'avons le temps que de présenter le système démocratique mis en place à Athènes à la fin du VIe siècle avant JC, il serait pourtant utile de prendre du temps pour présenter d'autres systèmes d'organisation de gestion et de vie politique, notamment au Moyen Age. Etudier avec les élèves, dans une démarche comparative les différentes formes de systèmes républicains (Athènes, Rome, les communes italiennes médiévales) permettrait d'aiguiser leur regard sur la longue durée de la mise en place de l'idéal démocratique.
Le palais de la Seigneurie (dit "palazzo vecchio") qui abritait les conseils de la commune. |
Dans le "laboratoire italien" des formes politiques, Florence tient une place particulière étant donné la masse de documentation et donc d'études qui lui sont consacrées. A partir du XIIe siècle, cette commune a expérimenté toutes les formes d'organisation civique : partant d'une autonomie communale, elle devient République plus ou moins oligarchique selon les époques, puis passe sous la domination quasi seigneuriale des Medicis, puis au XVIe siècle la capitale de leur duché. J'ai consacré un billet de blog à une sommaire présentation de la première république et aux ordonnances de Giano della Bella, dans le cadre d'un cours de DNL italien. Aujourd'hui, je vais présenter de façon plus classique le fonctionnement du "regime democratico temperato" mis en place en décembre 1494, alors que la descente du roi de France Charles VIII avait initié les guerres d'Italie et après que la Seigneurie a chassé Pierre de Médicis, le fils de Laurent le magnifique. Je m'appuye sur l'article de Guidobaldo Guidi, "Il Savonarola e la partecipazione alla vita politica", paru dans Savonarole. Enjeux, débats, questions, Actes du Colloque International (Paris, 25-26-27 janvier 1996), Paris, 1997, p.35-44. Mais avant, je reprends, pour introduire le propos, une large citation de l'article de Jean Bourier et Yves Sintomer, "La République de Florence (12e-16e siècle). Enjeux historiques et politiques" (dans Revue française de Sciences politiques, 2014/6, vol.64, p.1055-1081) ainsi que la chronologie qui est fournie en annexe. Cet article constitue une bonne entrée en matière pour ceux qui voudraient avoir un aperçu général de l'histoire institutionnelle de Florence.
Rapide
historique de la commune de Florence
1154-1159 : la
commune qui a reçu l’autorisation de la part de son seigneur, l’empereur, d’administrer
elle-même la justice civile et criminelle, se dote de ses premiers statuts constitutionnels
1166 : première mention d’un Conseil de Boni
Homines (les « bons hommes »)
1180-1220 : années de
la mise en place du système des Arts (les corporations de Florence qui se
dotent de représentants)
1244 : le popolo
(ensemble des citoyens non nobles et non riches = petit peuple des artisans et
des ouvriers, à jour de leurs impôts) s’organise et se dote de deux capitaines.
En 1250, une insurrection renverse le groupe des notables qui dirigeait la cité
et met en place le premier régime du Popolo. Celui-ci va durer 10 ans.
Tensions entre deux factions rivales : les guelfes et
les gibelins.
1293 : approbation des Ordonnances de Justice qui visent à diminuer la puissance politique des plus riches et à expulser les nobles de la vie politique florentine. Création du gonfalonier de justice et du gouvernement élu de la « Seigneurie », constitué de prieurs des Arts.
1342-1346 : krach financier. Les grandes familles de la banque florentine font faillite. Les Arts mineurs par la suite rééquilibrent le pouvoir à leur profit.
1378 : révolte
populaire des Ciompi (artisans du textile) qui imposent une nouvelle
constitution ouvrant la vie politique aux petits ouvriers et artisans.
1382 : Fin du
gouvernement des Arts. Etablissement d’un régime oligarchique, hostile au
popolo minuto (les plus pauvres) qui perd tout accès au gouvernement.
Officiellement cependant, le cadre de la République est conservé.
1434 : A partir de
cette date, la famille des Medicis parvient à s’imposer comme l’unique famille
dirigeant effectivement la ville. Les institutions sont conservées, mais sans autonomie.
1478 : échec de la tentative de coup d’Etat
menée par les Pazzi contre les Medicis
1494 : la commune de Florence chasse Pierre de
Medicis et met en place un régime constitutionnel à nouveau élargi aux plus
pauvres.
1512 : retour des Medicis au pouvoir à Florence.
1)
Repérer les différents types de pouvoir à
Florence :
·
Avant le milieu du XIIe siècle, qui est le
seigneur de Florence ? Avant 1293, quelle classe sociale dirigeaient la
ville ? Que vous suggère l’appellation « Bons Hommes » pour désigner
ceux qui dirigent Florence à cette époque ? A partir de 1280, quel groupe
social prend de plus en plus d’importance et s’organise ?
·
Au XIVe siècle, quelles organisations contrôlent
la commune ? Est-ce toujours le cas au XVe siècle ?
·
Qu’est-ce qu’un « régime du popolo » ?
2) Comprendre
les luttes sociales et politiques à Florence
·
« Fluotez » dans la chronologie toutes
les mentions témoignant de tensions sociales et politiques.
·
Quelle typologie des tensions peut-on établir ?
Focus sur un régime du popolo : la "République savonarolienne"
Précision sur le système d’élection aux magistratures de
la commune
C’est un système extrêmement
compliqué en 3 étapes et que je simplifie sans être d'ailleurs certaine d'avoir tout compris. Ce n’est donc pas un suffrage
direct, mais indirect.
Les membres du Grand Conseil sont
réunis dans un premier temps par quartier. L’élection dure toute la journée.
Etape 1 : tirage au sort.
Trois bourses/sacs ont été préparées pour chaque quartier et pour chaque
collège électoral (2 bourses pour les arts majeurs, 1 pour les arts mineurs) avec les noms des personnes qui
pouvaient prétendre participer à la désignation des candidats (faire partie
du Grand Conseil, être majeur, être à jour des devoirs de citoyens, être membre
d’un Art…). En tout, on tirait au sort 108 personnes (3 par quartier pour
chaque mandat à désigner).
Etape 2 : désignation des
candidats à l’élection. Juste après le tirage au sort, chacun de ces
tirés au sort proposait son candidat pour la Seigneurie en choisissant
parmi les membres de Grand Conseil. Leurs candidats doivent habiter leur
quartier et faire partie soit des Arts majeurs (6 « seigneurs +
gonfalonier soit 7 postes à pourvoir) soit des Arts mineurs (2 postes), comme
eux d’ailleurs.
Etape 3 : élection. Puis
tous les membres du Grand conseil procédaient au vote (non = fève
blanche, oui = fève noire) pour chaque poste (9) et pour chaque nom proposé (12x9),
en respectant le fait que chaque quartier devait avoir deux élus. Un notaire
procédait le jour suivant au dépouillement. On conservait la personne qui avait
reçu le plus grand nombre de fèves noires, à condition qu’il ait reçu au
moins 50% des suffrages. Il fallait au moins 1000 votes. Sinon, on recommençait
(!)
Pour les magistratures mineures,
on se contentait d’un tirage au sort.
Pour les élèves, avec un peu de concentration car c'est compliqué, ils peuvent repérer le rôle souverain du Grand Conseil, le rôle de la Seigneurie comme organe du pouvoir exécutif, la séparation des pouvoir, les mandats courts et la collégialité des magistratures, le contrôle de l'action des magistrats.
Dans un 2e temps, on peut leur demander (comme pour la comparaison avec Rome) si ce système est réellement démocratique au regard des critères athéniens. Ils repéreront que les participants à la vie politique sont, comme à Athènes, une minorité, mais que , contrairement à Athènes, le petit peuple est désavantagé à plusieurs niveaux (exclu du Grand Conseil, minoritaire à la Seigneurie). Cependant, la procédure de désignation des magistratures, leur garantit (contrairement au cursus honorum romain) d'avoir des élus.
Enfin, on peut leur faire identifier les différentes échelles administratives (le quartier, la commune) et les niveaux de compétence enchassés. Puis l'importance à Florence du monde économique qui structure en fait la vie politique.
Remarque : Le mode de scrutin pour la désignation des magistrats
florentins a fait l’objet de nombreux débats et a changé en juin 1495 puis en mai 1498 et en mai 1499. Il est un enjeu de la "liberté florentine", c'est-à-dire de l'effectivité de son autonomie. Il vise à éviter la mainmise des factions sur le gouvernement (Seigneurie, 10 de Liberté ...) et notamment le retour au pouvoir des partisans des Medicis. En 1499, l'institution du gonfaloniérat de Justice à vie, confié à Piero Soderini, veut faire de Florence une République enfin stable.