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lundi 9 mars 2020

Rio, contrastes et segregation sociospatiale

En complément de l'exercice de schématisation sur Rio fait pour initier les élèves de 2nde à la méthode de l'exercice type bac (voir ici)  je leur ai aussi donné à faire sur une heure (qui s'est transformée en deux !) l'exercice noté suivant : à partir de la photographie de paysage, réaliser le schéma d'organisation spatiale . Le fichier est disponible ici.




J'ai rajouté comme consigne de rédiger en une page le texte d'analyse de leur photo de paysage : description/ explication qui s'appuie sur la légende. C'est un conseil reçu lors d'une formation à la cartographie que j'ai trouvé très pertinent : pour faciliter le passage texte-schématisation, il est aussi intéressant de le faire dans l'autre sens et donc de faire rédiger aux élèves des analyses  spatiales.

C'est un exercice qui leur a beaucoup plu et pour lequel ils ont obtenu de bons résultats...et cela m'a permis de vérifier dans la foulée ce qu'ils avaient compris de mon point méthodo. Enfin, grâce à ce tour d'horizon sur Rio, ma partie sur les inégalités socio-spatiales à l'échelle locale était faite (ciliegina sulla torta !)



Voici les éléments de correction. 



ce qui pourrait donner le texte suivant. 
La ville de Rio est devenue une ville touristique majeure du Brésil avec un taux de fréquentation touristique en croissance de 5% par an, surtout depuis les JO de 2016. C'est aussi une ville où la ségrégation socio-spatiale est le phénomène dominant pour comprendre l'organisation spatiale. En effet, il y a comme un gradient qui veut que plus les quartiers sont éloignés de la côte et plus ils sont pauvres. Le compartimentage des espaces du fait du relief accentue les disparités et les transforme en ségrégation : le long des plages se trouvent les quartiers riches et centraux de Copacabana et d'Ipanema. Un peu en retrait, coincés entre les collines sont les quartiers plus mélangés des classes moyennes. Derrière les monts Tijuca qui forment comme une barrière rocheuse et laissée naturelle (c'est un parc national) s'étale la partie pauvre de la ville de Rio. Et pourtant, entre Copacabana et Ipanema, sur le flanc le moins escarpé de la colline de Cantagalo, une favela s'est créée, îlot de pauvreté dans la partie la plus riche de la ville.

Car les quartiers qui  profitent le plus du tourisme sont justement les quartiers situés en bord de mer, habités par une population aisée  : Copacobana par exemple est mondialement connue pour sa plage en croissant de lune , avec la vue au nord sur le fameux "pain de sucre".  Ipanema est un quartier chic, chanté dans la bossa nova. Un boulevard longe le front de mer et sa promenade et relie les deux quartiers. Cette partie de la ville est densément équipée en infrastructures d'accueil pour les touristes nationaux et internationaux, au premier rang desquels les hôtels de luxe. Pour les visiteurs qui souhaiteraient ne pas se contenter du tourisme balnéaire et qui sont à la recherche d'un peu d'authenticité et d'une vie de quartier plus typique, la favela toute proche a été pacifiée par la police à l'occasion des JO et offre à l'activité touristique bed&breakfast et  petits restaurants. L'argent des touristes a provoqué une augmentation des prix, y compris des logements, ce qui engendre un processus de gentrification de ce quartier pauvre. La proximité de Copacabana et la vue qui plonge sur l'océan Atlantique et sur les plages sont deux atouts qui le rendent attractif. D'autres favelas plus lointaines (et sans aucun doute plus "typiques") n'ont pas cette chance...


R) J'y ai ajouté quelques compléments (vus dans l'exercice précédent sur Rio) pour proposer un texte que l'on peut transformer en schéma, si l'on ne veut pas faire l'exercice de transposition de la photo en schéma. 

lundi 20 janvier 2020

Le croquis d'organisation spatiale : méthodo et exemple

L'exercice de production graphique du bac a changé : on est passé d'un croquis de synthèse sur un sujet d'ordre général (voir la page "Lieux" pour télécharger quelques exemples de réalisation progressive de ces anciens croquis du Bac) à un croquis d'organisation d'un espace décrit par un texte, en général écrit ad hoc. Il s'agit donc de transposer le texte en croquis.

Les méthodes sont les mêmes et on pourrait penser que l'exercice, moins ambitieux, est plus simple pour les élèves, mais à condition de multiplier les exercices car, comme le texte à trous, cet exercice nécessite de rentrer dans logique de celui qui l'a pensé, surtout quand, en plus, est fourni aux élèves une légende à compléter qui les cadre certes, mais les contraint aussi.

Les étapes du travail
1- Élaborer l'organisation générale de la légende
On va prendre l'hypothèse que le texte a été écrit ad hoc. Dans ce cas, c'est plus simple. L'auteur aura théoriquement rédigé son texte en plusieurs paragraphes qui correspondent aux différentes parties de la légende et chaque paragraphe sera censé correspondre à une idée principale (une notion assez souvent) qui est exprimée en début ou éventuellement en fin de paragraphe. Puisque le croquis est une démonstration (même s'il utilise le langage cartographique), chaque partie de la légende est une étape de la démonstration. On privilégiera comme titre de partie des thèses = de courtes affirmations.

Par exemple dans cet exercice de Seconde,
















les idées générales sont soulignées en rouge. On voit tout de suite qu'entre la théorie et la réalité, il y a un hiatus, puisqu'on a deux phrases générales pour le 2e paragraphe. Il faut alors choisir. Dans une première analyse, on peut prendre la première : politiques mises en oeuvre pour réduire les inégalités. C'est d'ailleurs ce que propose le manuel.




Il faut aussi donner un titre au croquis ou schéma. En théorie, ce devrait être le titre du texte.


2- Relever les informations dans le texte et choisir les figurés de surface
A ce stade, il faut donc relever dans le texte les informations qui permettent de construire le croquis/schéma. On commence par chercher dans le texte les indications de lieu liées à des caractérisations d'espace. Le but, c'est de délimiter des zones de couleur (figurés de surface) = Les figurés de surface servent à caractériser les espaces. Tous les espaces du croquis/schéma doivent être caractérisés. On leur attribue une couleur.


Le manuel Hachette propose un choix de couleur : un dégradé jaune/orange/marron + des espaces en vert et des espaces en rose. Il faut donc relier nos espaces à la bonne couleur
Liste des espaces et leurs localisations (fluotés dans le texte) :
- massifs montagneux et forestiers qui coupent la ville => vert
- quartiers aisés le long des plages (info supplémentaire : comme la célèbre Copacabana) => jaune
- quartiers pauvres au nord (info suppl. : comme Bangu) => marron
- entre ces deux extrêmes, des quartiers de classe moyenne => orange
- favelas, quartiers de bidonville, comme Rocinha et Maré => celle qui reste, ce sera donc le rose

La règle générale, quand on a des lieux classés sur un critère commun dont la quantité est plus ou moins grande, c'est le dégradé de couleur. Si chaque lieu a une caractéristique différente, sans thème commun, alors on peut prendre les couleurs qu'on veut, en essayant d'avoir des couleurs symboliques de ce que l'on veut montrer : par exemple, un espace naturel sera plutôt en vert, un espace riche plutôt en jaune ou en rouge pour le faire ressortir sur le schéma (à savoir, les couleurs chaudes se voient plus que les couleurs froides)

Remarque : dans notre exemple, le choix des auteurs s'est porté sur un dégradé inversé par rapport aux règles traditionnelles. On a un ensemble de quartiers plus ou moins riches. Si le critère est la richesse, il aurait fallu prendre la couleur la plus foncée (ici le marron) pour les quartiers riches, qui sont ici représentés en jaune, couleur la plus pâle. C'est donc que le critère n'est pas la richesse, mais la plus ou moins forte présence des pauvres dans la ville. Alors le choix de couleurs devient cohérent. Il faut en tenir compte dans la formulation de la définition des figurés en légende. Ce choix permet aussi de faire ressortir visuellement que les pauvres dominent spatialement la ville de Rio.(voir ce que je dis plus bas sur les choix à opérer)



remarque : je me suis mise dans les mêmes conditions que les élèves, à savoir que j'ai pris le fonds de carte fourni par l'éditeur. Cela pose trois problèmes :
- le fond de carte est en niveau de gris, donc les couleurs ne sont pas identiques sur le schéma, où l'on doit repasser sur du gris, et dans la légende.
- on ne sait pas comment colorier l'île au nord puisqu'il n'y a aucune indication dans le texte. J'ai choisi de ne pas en tenir compte
- le quartier de Santa Cruz est délimité par une ligne. La méthode du langage cartographique nous imposerait de le colorier d'une autre couleur (puisque une limite entre deux espaces indique que ces deux espaces ont des caractéristiques différentes). Mais dans le texte, il s'agit de montrer qu'à Santa Cruz, la municipalité de Rio a construit, dans un quartier pauvre, des logements sociaux. Ceci ne change pas la caractéristique du quartier, mais en rajoute une deuxième. Il faut donc, selon la méthode du langage cartographique, lui rajouter un deuxième figuré de surface, sur une zone déjà coloriée : des pointillés ou des hachures (je préfère en règle générale les pointillés qui surchargent moins le croquis que les hachures : il n'est jamais bon d'avoir trop de lignes dans un croquis/schéma). Bref, on a ici deux éléments de la méthodologie qui s'opposent. Il aurait fallu que l'éditeur ne délimite pas la zone, mais on peut comprendre que, pour un exercice de Seconde, il ait choisi de le faire.


Les pièges
Si certains espaces dans le croquis/schéma étaient laissés en blanc, le blanc deviendrait une couleur et devrait donc être défini dans la légende.
Remarque : il s'agit de caractériser les divers espaces de l'objet étudié. Tout ce qui ne correspond pas à l'objet d'étude peut être laissé en blanc sans que le blanc soit ici une couleur. Ainsi, dans notre exemple, l'océan Atlantique n'est pas Rio de Janeiro, on le laisse en blanc. Idem pour le reste du territoire brésilien dans le cadre du schéma.


3- Repérer les informations du texte pour les figurés qu'on pose en 2e temps : figurés ponctuels et flèches (de la famille des figurés linéaires)

Puisque les figurés de surface sont premiers, ils sont, en toute logique indiqués dans le texte en premier. C'est le cas ici. Ensuite viennent les autres figurés. Ils correspondent à des informations qui s'ajoutent dans nos espaces déjà caractérisés. Les figurés ponctuels vont être utilisés pour indiquer des infrastructures ou des faits géographiques localisés précisément.

Ici, il va s'agir de la présence dans la ville d'unités de police en charge de la sécurité (indiquées "unités de police pacificatrice". Le manuel a fait le choix de les représenter par des étoiles.

Le résultat final pour notre exemple, si l'on suit le manuel :




Les figurés linéaires ont deux fonctions :
- les lignes servent à indiquer une limite, mis à part la ligne du réseau de transport.
- les flèches indiquent la direction d'un flux (déplacement)


Remarque : comme les couleur utilisent le dégradé pour indiquer la proportionnalité, les figurés ponctuels et linéaires peuvent eux aussi indiquer une proportionnalité. On joue alors sur la taille du figuré ponctuel (plus ou moins grand) et sur l'épaisseur du trait de la ligne.

Remarque : on peut combiner couleur (figuré de surface) et figuré ponctuel. Dans le cas par exemple de villes ayant des fonctions différentes, on aura des cercles (figurés ponctuels pour localiser ces villes) et à l'intérieur des cercles, des couleurs différentes pour indiquer les différentes fonctions (figuré de surface qui caractérisent). Dans la légende, seront indiqués les deux figurés SÉPARÉMENT.


Les choix à opérer
1- Tout croquis a un objectif : celui-ci sera défini par le titre du texte, qui est aussi le titre du croquis. Un bon croquis est donc un croquis qui permet de VOIR l'idée principale qui structure l'organisation de l'espace représenté. Quand on hésite sur un type de figuré, il convient de se demander lequel sera le mieux à même de montrer visuellement l'idée principale.


2- La nomenclature (= les noms de lieux présents sur le croquis/schéma)
Il en faut, mais elle ne doit pas gêner la lisibilité du croquis. Reprendre les noms de lieux indiqués dans le texte.

3- Une question n'est toujours pas réglée (en l'absence d'instructions officielles de la part du ministère et des inspecteurs) : peut-on rajouter au texte ou l'interpréter ? peut-on modifier une légende quand elle est fournie ?

Par exemple ici, il y a bien plus dans le texte que dans la légende proposée.



  • une idée générale : améliorer l'image de Rio
  • des faits socio-économiques qu'il est possible de transformer en figuré :  le programme d'habitat social "qui repousse les pauvres en périphérie", le "développement du tourisme" dans les favelas qui a tendance à opérer un processus de "gentrification" (arrivée dans un quartier pauvre d'une population plus aisée conséquence en général d'opérations de réhabilitation urbaine, ce qui a tendance à faire partir les plus pauvres car les loyers augmentent. On peut donc définir la gentrification comme le processus de remplacement d'une population pauvre par une population plus aisée dans un quartier urbain)
Des élèves à qui j'ai donné cet exercice ont vu le problème et ont rajouté à la légende, mais sans penser/oser la transformer.

On pourrait donc avoir une légende comme suit

titre : Améliorer l'image de Rio de Janeiro
I/ De fortes inégalités socio-spatiales

Quartiers aisés épargnés par la pauvreté
Quartiers plus mixtes de classes moyennes
Quartiers pauvres
Favelas

II/ Pacifier la ville en vue des JO de 2016

Construction de logements sociaux
Développement d'un accueil touristique dans les favelas les plus proches du centre (flèches en provenance de l'extérieur vers Rocinha et Maré)
Présence d'unités de police pacificatrice

III/ Lutter contre les inégalités ou séparer les riches des pauvres ?

Massifs montagneux qui servent de barrière
Départ des pauvres en périphérie (flèche partant de Santa Cruz en direction du nord (hors zones colorées)
Gentrification des favelas les plus proches du centre (hachures sur Rocinha et Maré)



dimanche 5 janvier 2020

Le roi et le système féodal

Texte trouvé sur éducation.francetv.fr

Dans le principe, de vassal en suzerain, si l'on remonte la pyramide, le roi est au sommet, suzerain des suzerains, il est le « seigneur suprême ».


Enluminure du Maître de la Cité des Dames  -  Le roi adoubant le narrateur, Le Chevalier errant, roman de Thomas D’Aleran– Paris, début XVe siècle © BnF

Au-dessus des seigneurs dans la hiérarchie de la société, il incarne une fonction ultime d’intérêt général regroupé, nouée par une fonction symbolique : le roi est sacré, il n’existe que par un rite religieux, qui prend forme dans le sacre et le serment qu’il prête devant Dieu de défendre son « peuple chrétien ». Cependant, de l’effondrement de l’empire carolingien à la consolidation du système féodal, toute une période voit se renforcer la « société seigneuriale » et son réseau de « principautés », au détriment de la notion « d’état » et de royauté. Dès le début du Xème siècle, le paysage politique du domaine français est dominé par des princes qui, partout où c’est possible, relaient à leur profit les prérogatives royales, trament un maillage local où ils se placent en interlocuteurs premiers. Autour de l’an mil, la hiérarchisation des pouvoirs fonctionne mal et l’autorité royale n’est plus en état de défendre localement les sujets. Ces derniers se tournent, pour une protection rapprochée, vers les comtes et vicomtes, les ducs et les marquis, et la magistrature du roi devient essentiellement morale, insuffisante à empêcher le système des clientèles locales en train de se consolider. Le XIème siècle sera celui des seigneurs, les rois s’efforçant de contenir les excès du système, au milieu de l'éclatement de la souveraineté en une multitude de principautés indépendantes. Au XIIème siècle, Louis VI, dès le début de son règne, portera les premiers coups au système féodal en encourageant les pouvoirs communaux, s’en servant comme levier royal contre la puissance des vassaux ; les Croisades, de même, forceront les seigneurs à engager leurs pouvoirs à la couronne. Puis au XIIIème siècle, de Philippe Auguste à Philippe le Bel, les progrès du pouvoir royal arriveront à réimposer un gouvernement central. Le roi exige l’hommage de ses vassaux, intervient dans les fiefs, taxe de félonie ses vassaux indisciplinés, joue pour lui-même des sentiments de fidélité qui doivent s’attacher à la personne du seigneur. Se met alors en place une monarchie féodale, usant des obligations vassaliques pour faire plier principautés et seigneurs territoriaux. Par la force des armes, par des jugements, des achats, des jeux de succession, les souverains réuniront au domaine royal le plus grand nombre possible de fiefs, démembreront les privilèges des feudataires. Au-delà des Croisades, la guerre de Cent Ans posera la même contradiction entre la « mobilisation générale » d’un royaume et l’atomisation féodale. La question militaire se résoudra alors en arrachant la guerre aux seigneurs de la guerre et à leurs chevaliers, et en constituant une armée de métier à partir d’impôts centralisés : la question de fond est bien celle du passage de la féodalité à l’état royal.


Exercice : 
Transformez ce texte en frise chronologique

mardi 10 décembre 2019

La France malthusienne : exercice d'analyse d'image


Analyse de document : la France malthusienne
Caractérisez la situation démographique de la France dans la première moitié du XXe siècle puis montrez comment les documents illustrent deux conceptions opposées du rôle de la famille et au-delà, de la société.

conseil 1: faites attention aux dates des documents.
conseil 2 : une analyse attentive doit vous permettre de faire émerger les conceptions politiques des auteurs de ces deux documents.




mercredi 6 novembre 2019

Méthode 2nde analyse de texte à partir d'un doc sur les premières communautés chrétiennes

Ce post est la transcription d'une séance méthodo faite avec mes élèves de seconde. Le document support est tiré du nouveau manuel Hachette que nous utilisons au lycée (p.70)



Cette fiche méthode est pour l'essentiel composée de rappels du collège, pour un début d'année de seconde.

Introduire l'analyse d'un texte
1) Présentez le document pour délimiter le sujet
Première phrase rédigée à partir des informations périphériques (Nature/type + Auteur + Date + éventuellement source)

ici = Ce texte est une lettre (Epitre) écrite à la fin du IIe siècle par un auteur chrétien anonyme d'Alexandrie, probablement en Egypte.

Deuxième phrase pour indiquer le thème du document et sa thèse (idée principale affirmée). Souvent le titre donné au document par le manuel les indique, mais pas toujours. Il faut donc vérifier par la lecture du texte que recopier le titre est suffisant.
En réponse à une question d'élève : rappel le thème = ce dont on parle + un thème peut donner lieu à de nombreuses thèses i.e. on peut affirmer beaucoup de choses différentes. La thèse est une affirmation précise.

ici = L'auteur présente la vie des premières communautés chrétiennes dans l'empire romain pour montrer que les chrétiens sont maltraités par les autres habitants de l'Empire.

2)  Au lycée, la contextualisation devient obligatoire. Il s'agit d'aller chercher des connaissances factuelles (événements...) du cours qui se déroulent plus ou moins au moment des faits évoqués par le documents. On fait ceci pour permettre de mieux comprendre le texte et ses enjeux. Ici, le texte insiste sur les persécutions que subissent les chrétiens. On les présente donc rapidement dans l'introduction.

Depuis 64 qui correspond aux premières persécutions à Rome par l'empereur Néron, les communautés chrétiennes ont connu des épisodes de persécutions : les chrétiens parfois ont été arrêtés, exécutés parce qu'ils étaient chrétiens. Mais ces persécutions sont locales et sporadiques. le reste du temps, les chrétiens vivaient parmi les autres sans être inquiétés pour leur foi.

3) Je ne l'ai pas fait avec les élèves, car j'estime que c'est trop tôt.
  D'ici le bac, il faudra être capable de formuler une problématique à propos du texte. Par exemple, ici, on lit que l'auteur fait des chrétiens des "romains à part", ils ne sont pas comme les autres même s'ils vivent extérieurement comme les autres. C'est toute la structure du texte qui est construite sur cette opposition. On peut donc se demander ce qui distinguait les chrétiens des autres habitants de l'empire. Il y a des éléments dans le texte = les considérations sur l'âme/le corps ... et les allusions à la terre étrangère, les "citoyens du ciel"... Pour comprendre cela, il faut convoquer l'imaginaire eschatologique des premiers chrétiens. Même si ceci a été évoqué en classe, ça me semble bien compliqué à remobiliser pour mes élèves de seconde et c'est aussi pourquoi je n'en ai pas parlé pour les indications données dans la partie 2 du paragraphe 2 (voir infra)


Construire et rédiger l'analyse
Le document est accompagné d'une consigne globale, qui indique le plan : "après avoir....(paragraphe 1),  vous ....(paragraphe 2). Il faut respecter le plan proposé.

1) Le premier travail consiste à comprendre la consigne pour savoir comment s'organiser. Pour cela, on recherche le mot de la consigne et les thèmes des paragraphes.

Premier paragraphe = caractériser la place des chrétiens dans la société de l'empire.
Caractériser = répondre aux questions de base QUI?QUOI? OU ? QUAND ? COMBIEN ? COMMENT ?
Il faut donc se poser une série de questions sur les chrétiens dans la société romaine qui reprennent ces questions de base. Par exemple où vivaient les chrétiens dans l'empire romain à la fin du IIe siècle ? Combien étaient-ils ? Comment vivaient-ils ?

Deuxième paragraphe = montrer comment ils sont perçus à la fin du IIe siècle
Perçus par qui ? = par les non chrétiens.
Montrer = dans un premier temps prouver une thèse, puis dans un deuxième temps expliquer (question POURQUOI ?)
Il faut donc d'abord trouver la thèse : comment les chrétiens sont perçus par les non chrétiens, on le sait déjà puisqu'on l'a dit dès l'introduction (c'est à ça qu'elle sert, à lancer l'analyse sur de bons rails). Donc la thèse de l'auteur est : les chrétiens sont mal vus par les non chrétiens. On va le prouver puis l'expliquer (pourquoi sont-ils mal vus ?)

2) On peut maintenant reprendre le texte avec des fluos de couleur pour relever les informations qui correspondent à nos trois objectifs : 

ici = jaune paragraphe 1 / vert paragraphe 2 partie prouver / bleu paragraphe 2 partie expliquer.

3) Si besoin, on peut compléter les informations du texte par des connaissances de cours. Par exemple, ici, on ne sait pas grâce au texte où vivaient principalement les chrétiens dans l'empire romain, mais on le sait grâce au cours.

4) Pour rédiger les paragraphes, on rappelle dans la première phrase l'objectif du paragraphe (consigne). Il faut ensuite un plan pour organiser les différentes idées = les réponses aux questions qu'on s'est posées. 
ici = pour le 1er paragraphe, on liste les idées les unes après les autres. C'est une simple addition.
Les chrétiens vivent dans tout l'empire
Ils vivent comme les autres
Ils s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyen comme les autres

Chaque idée est justifiée au fur et à mesure grâce aux relevés qu'on a fait dans le texte, qu'on cite ou qu'on reformule. On n'est pas obligé de citer tous les relevés, si ceux-ci disent plusieurs fois la même chose (c'est le cas ici, l'auteur se répète beaucoup).
Par exemple, pour justifier "ils vivent comme les autres", l'auteur dit qu'ils parlent la même langue, qu'ils s'habillent et mangent de la même manière.

Parfois, l'auteur ne justifie pas son idée ou fait une allusion. On est donc amené à compléter le texte pour illustrer, expliciter l'allusion. Par exemple ici, quand l'auteur dit que les chrétiens s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyen, ces devoirs ne sont pas précisés. Grâce au cours, on peut donner quelques exemples de ces devoirs : l’impôt, le respect des lois, le culte de l'empereur ...
remarque : pour le culte de l'empereur, il y a des débats au sein de la communauté chrétienne car c'est en contradiction avec le monothéisme chrétien.

Dans le 2e paragraphe, le début est simple : on additionne tous les relevés du texte qui illustrent la mauvaise opinion qu'avaient les non chrétiens sur les chrétiens : on les insulte, on les calomnie, on les déteste et DONC on les tue, "tout le monde les persécute".

Puis, il faut présenter en reformulant les explications qui sont apportées par l'auteur : si on les persécute, d'après l'auteur, cela semble incompréhensible "ceux qui les détestent ne peuvent pas dire la cause de leur hostilité". Mais il semble indiquer que c'est parce qu'ils sont parfaits : "leur manière de vivre est plus parfaite que les lois", "ils font le bien", "ils bénissent et ils honorent" ... . Autre explication : ils se laissent faire et même acceptent avec joie les persécutions. "tandis qu'on les châtie, ils se réjouissent comme s'ils naissaient à la vie". Vous constatez donc que c'est la partie la plus difficile à faire, car c'est à vous de formuler les idées du texte (= phrases soulignées juste au dessus)

Conclure
A terme, il y aura plusieurs parties dans la conclusion
1) le bilan qui permet de répondre à la problématique
2) la critique éventuelle de la position de l'auteur
On aurait pu le faire ici, et d'ailleurs le manuel nous invite à le faire dans les capacités indiquées. Mais comme pour la problématique, il me semble que c'est bien trop tôt. On se contentera de signaler en conclusion que ce texte exprime la vision d'un chrétien sur les persécutions et que donc le texte n'apporte pas toutes les explications possibles aux persécutions.
3) l'ouverture du sujet
Il s'agit de montrer comment le sujet qu'on vient de traiter ouvre de nouvelles pistes de réflexion. En Histoire, c'est assez simple car on peut se poser la question QUELLES CONSEQUENCES ?
ici, le texte porte sur les persécutions. On peut se demander si quelles conséquences ont eu ces persécutions ? Est-ce qu'elles ont fait disparaître le christianisme ? Or, on sait par le cours, que plus le temps passe, plsu le christianisme se renforce et les persécutions n'y changent rien. Même, au contraire, elles renforcent les chrétiens, qui ne craignent pas la mort. 
On se demande aussi ce qui se passe après la date du texte, sur le thème qui nous intéresse. Il faudra donc conclure en évoquant la conversion de Constantin et le passage d'une religion persécutée à une religion officielle dans l'empire romain.

J'insiste auprès des élèves sur le point que l'ouverture du sujet n'est pas une question, mais des phrases affirmatives. J'interdis la question d'ouverture pour limiter les risques de la question vague ou qui n'a rien à voir avec le sujet traité, ou encore la fausse question dont on connaît la réponse, du genre "on peut se demander si les persécutions ont continué ?", alors qu'on sait que non à partir de Constantin.

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BILAN
Il faut une heure pour cette séance méthodo, et ce parce que les élèves ont au préalable travaillé le texte à la maison, donc ils ne le découvrent pas.
Cela peut sembler long, mais je suis profondément persuadée que c'est nécessaire de montrer explicitement aux élèves comment on fait un travail de réflexion historique ou géographique. Les fiches méthodes théoriques ne servent pas à grand chose, à mon sens. Il faut les appuyer sur des exercices, faits avec eux.
Il est donc évident qu'à ce rythme là, je ne finis jamais les programmes. Ils sont en soi difficilement faisables, sauf à tout survoler. Ils deviennent infaisables si on s’intéresse vraiment à accompagner les élèves dans les apprentissages et les méthodes de raisonnement.


mardi 8 octobre 2019

La déportation des musulmans siciliens par Frédéric II

Extraits article de Annliese Nef dans Actes de la table ronde "le monde de l’itinérance en méditerranée de l’antiquité à l’époque moderne (Madrid 2004- Istanbul 2005)", De Boccard 2009


 Entre 1223 et 1246, Frédéric II, qui a consolidé son pouvoir dans l'’Empire germanique, peut consacrer une partie de son énergie à reprendre le contrôle de la Sicile. Il y écrase une série de révoltes fomentées par des communautés musulmanes perchées dans ce que l’on a désigné comme le “refuge corléonais”, au sud de Palerme. Après plusieurs campagnes militaires, il déporte alors une partie non négligeable (pars non modica, selon un chroniqueur Richard di San Germano) des rebelles à Lucera, en Pouille. Il s’agit à la fois d’un bannissement (interdiction de revenir en Sicile), qui s’accompagne pour les exilés de la perte de leurs biens, et d’une relégation dans la mesure où, sauf ordre contraire, ils ne peuvent quitter les alentours de Lucera. Toutefois, ce déplacement s’accompagne également d’une mise en valeur du territoire de cette cité qui se rapproche d’une forme de colonisation.

"Au sujet des Sarrasins de Lucera et de Girofalcum qui, à l’occasion de tractations commerciales, se rendent en Calabre, et tentent ensuite de gagner la Sicile, toi tu ne dois pas leur permettre de passer en Sicile. Nous désirons qu’à partir de maintenant tu agisses [en ce sens] et nous voulons que tu l’empêches tout à fait et que tu fasse exercer un contrôle de manière à ce qu’aucun de ces Sarrasins ne passe en Sicile. Nous voulons aussi et t’ordonnons que dans les régions de Calabre où il arrivera que ces mêmes Sarrasins se rendent avec leurs marchandises, tu fasses mettre en place une surveillance afin que nul d’entre eux ne demeurent en ces lieux ni y élisent domicile afin d’y vivre”. (Huillard-Bréholles, V/1, 590)
Cette décision qui plonge ses racines dans le XIIe siècle sicilien.  On peut distinguer trois temps : d’abord la période qui va des dernières années du règne de Roger II (1150  environ-1154)  jusqu’aux  années 1190, durant laquelle  le  statut  des musulmans de Sicile est progressivement mis à mal ; puis, de 1190 environ aux années 1220, on assiste au durcissement de la situation et au début de la révolte musulmane, avant que ne s’ouvre une dernière phase de vingt années au terme de laquelle Frédéric ii mate définitivement les rebelles. Du fait de l'alourdissement des taxes qui pesaient sur eux et de la dégradation connexe de leur statut, on assiste à un "décampement" important des musulmans siciliens durant la période, selon des processus encore mal connus. De plus, il est indéniable que l’immigration lombarde développée par les Hauteville aboutit à la formation d’un cordon de castra entre le val de Noto et le val de Mazara, les deux régions les plus arabisées. Sperlinga, Vaccaria, Maniace, Nicosia, Randazzo, Capizzi, Piazza, Mazzarino, Butera voient ainsi augmenter leur population latineOn analyse généralement comme le premier signe tangible du fossé creusé entre les groupes culturels, qui ne va pas tarder à s’élargir, le procès de l’eunuque Philippe de Mahdia, émir de Roger II ; accusé de trahison lors de l’attaque de Bône par les troupes siciliennes en 1153 (car il aurait facilité la fuite des élites arabo-musulmanes de la ville), il fut brûlé devant le palais royal de Palerme la  même année. Dans un contexte politique de tensions entre les grands et le souverain, en 1161 les communautés musulmanes sont victimes de violences collectives, d’abord à Palerme où elles ont été désarmées l’année précédente sur ordre du plus proche conseiller du roi, Maion de Bari, puis comme en écho, dans le val de NotoLes massacres collectifs de musulmans qui ensanglantent à nouveau Palerme à la mort de Guillaume II, en 1189, illustrent clairement la relation qui existe entre, d’une part, l’affaiblissement de l’autorité royale, garante du statut des musulmans, et, d’autre part, à la fois le rejet de la tyrannie dont sont rendus responsables les eunuques de la cour et la dégradation de la situation des communautés musulmanes insulaires. Mais c’est l’accession au pouvoir de Tancrède, un des initiateurs des massacres de 1161, qui précipite les événements en 1190. Les musulmans de Palerme gagnent cette fois le “refuge” du Corléonais et les régions plus méridionales, sous la houlette de cinq reguli qui refusent de servir le nouveau souverain.


A la mort de l’impératrice Constance (1198), alors que des clans se déchirent pour prendre le contrôle de la régence, les musulmans se rangent dans le camp de Markwald von Anweiler contre la papauté (Innocent III est le tuteur du futur Frédéric II) et ses représentants locaux, les prélats de Palerme. Les premiers appels lancés par le pape aux musulmans insulaires ne semblent avoir rencontré que le silence. En juillet 1200, entre Palerme et Monreale, Markwald et ses alliés connaissent une défaite cuisante après avoir soumis la capitale à un siège de trois semaines. Cette victoire, suivie d’une période mal documentée mais qui ne semble pas caractérisée par des affrontements violents, offre l’occasion à Innocent iii, d’une nouvelle ouverture pour tenter d’obtenir la neutralité des musulmans. En 1206, il adresse une missive aux qâdî et qâ’id/s et à tous les Sarraceni de Sicile ; il leur demande à nouveau d’être fidèles au jeune roi. Cette tentative reste sans lendemain. Les années qui suivent voient Frédéric II occupé en Allemagne, et cette vacance du pouvoir favorise l’émergence d’une autorité musulmane au cœur de la Sicile où Muhammad Ibn ‘Abbad devient, à une date inconnue, le chef de la rébellion. Il prend alors une titulature califale et frappe monnaie. De retour en Sicile, en 1220, Frédéric II ordonne aux Sarrazins de retourner chez eux et de reprendre leur condition antérieure. À partir de 1221, une importante contre-offensive impériale est lancée. Dans une lettre qu’il envoie à l’abbé du Mont Cassin la même année, le souverain définit exactement son intention : "Cum Sarracenos Sicilie qui Regni nostri tranquillitatem perturbant proponamus penitus exterminare de insula", exterminare signifiant ici “porter hors des confins. Les premiers prisonniers sont alors emmenés à Lucera.

En réalité, la déportation d’une population n’est pas une pratique nouvelle dans le cadre insulaire. Sans même remonter à l’époque islamique qui offre quelques exemples de ce type de mesure, on peut rappeler d’autres déplacements forcés de l’époque normande en Sicile (XIe-XIIe siècles) ou bien décidés par Frédéric II lui-même. Cependant, la déportation des musulmans rebelles à Lucera n’est toutefois pas tout à fait comparable aux autres déplacements de population dont la Sicile avait été le cadre auparavant. La distance entre la terre d’origine et le lieu d’exil est bien plus grande qu’elle ne l’était en général et, symboliquement, le départ de l’île, qui entretient des relations intenses avec l’Afrique et est encore caractérisée au début du XIIIe siècle par une culture en partie islamisée, semble donner au châtiment une dimension plus radicale. La rébellion des musulmans de Sicile est-elle donc définie comme un crime de lèse-majesté ? L’hypothèse paraît d’autant plus séduisante que ce crime a, dans la définition qu’en donnent les juristes à l’époque précisément, partie liée avec la foi (fides) et la fidélité (fidelitas), deux fondements de la soumission au souverain mis à l’épreuve par les minorités religieuses non-chrétiennes en révolte. De fait, Dans la documentation relative à l’épisode de Lucera et à la période qui la précède, la question religieuse n’apparaît pas. Ni les lettres de Frédéric II à ce sujet ni celles d’Innocent III ne laissent à lire quoi que ce soit qui aille dans ce sens. Les missives pontificales (1199 et 1206) sont particulièrement révélatrices car elles établissent nettement la différence entre la fides des musulmans, exhortés à la maintenir (alors même que le souverain pontife compare Markwald von Anweiler à Saladin et l’effort exigé contre lui à une croisade, ce qu’il ne fera jamais pour les musulmans), et la fidelitas qu’il leur faut manifester à l’égard du jeune Frédéric. Quant à Frédéric, il définit les révoltes comme une “perturbation de la tranquillité du royaume”, crime grave s’il en est car le souverain est le garant de la paix interne.
Mais la lèse-majesté n'est pas convoquée dans les justifications. La déportation apparaît comme la condition nécessaire de la refondation du pacte entre les musulmans rebelles et le souverain. Lorsque Frédéric II propose aux rebelles de regagner les champs qu’ils cultivaient, une grande partie d’entre eux refuse. Il ne peut donc faire l’économie d’un nouveau statut pour les Arabo-musulmans de Sicile, désormais qualifiés de servi camere regie, une expression qui fait son apparition dans la documentation impériale en 1236, lors de la contre-offensive menée par Frédéric, mais dont on connaît d’autres occurrences dans l’Occident chrétien à partir de la fin du XIIe siècle. L’empereur étend ainsi aux communautés musulmanes une conception, relativement récente, élaborée dans un premier temps pour les juifs, qui mêle infériorité religieuse et service du prince. Cela signifie, en outre, que toute atteinte aux musulmans est, plus clairement encore qu’auparavant, conçue comme une atteinte au souverain lui-même, qui les protège. Les communautés arabo-musulmanes sont désignées comme une des assises économiques du royaume, mais aussi, plus largement, de la royauté et, comme telles, doivent être respectées par l'ensemble des sujets. La déportation, dans ce cadre, a pour objectif de soustraire les musulmans à la servitude de fait que cherchaient à leur imposer les institutions ecclésiastiques ou les feudataires siciliens, distincte de leur soumission absolue à l’autorité impériale. Leur est offerte une nouvelle possibilité d’intégration dans l’ensemble monarchique, non plus seulement dans l’administration comme sous les Hauteville, mais par le service militaire, dans l’ensemble de l’Italie au besoin. Enfin, cette solution ne concerne pas toute la communauté musulmane, mais ceux qui refusent les autres solutions proposées : le retour à la situation et au statut antérieur aux révoltes (travail de la terre, sous l'autorité d'un seigneur, avec des impôts supplémentaires spécifiques) ou la conversion.

Les rois angevins ont fini par réduire en esclavage les habitants de Lucera, comme si de l’idée de servi camere regie n’était restée que le premier terme, mais cette évolution ultérieure reflète surtout la politique de christianisation menée par la dynastie. La refondation de Lucera sous le nom de civitas S. Mariae ne laisse guère de doute sur les motivations de cette décision mais aussi sur la nature de la difficulté elle-même. Cet aboutissement reflète les limites de la tentative de Frédéric II puisqu’en réalité il n’y a jamais eu de place pour les hérétiques dans l’Occident médiéval, aussi déracinés et proches du pouvoir fussent-ils. L’empereur n’avait fait que gommer l’aspect religieux de la question, les Angevins, eux, l’ont remis sur le devant de la scène.

jeudi 26 septembre 2019

Les récits de la première croisade

Notes de lecture d'un article d'Élisabeth Crouzet "les arts de la mémoire" dans Rerum gestarum scriptor : histoire et historiographie au moyen âge , mélanges Michel Sot 2012

Sur la première croisade, les récits foisonnent car il fallait faire connaître aux vivants les pieuses entreprises de ceux qui avaient pris la voie du Seigneur, et que, au nom de ceux qui étaient "morts dans le Seigneur", puissent se distribuer aumônes et oraisons. Ces événements "inouïs et dignes de la plus grande admiration" devaient être conservés dans la mémoire des fidèles. Sans doute pouvait-on ainsi susciter le désir du pèlerinage et inciter au départ.
Les ambitions des rédacteurs de ces récits sont celles de tous les historiens du moyen âge : raconter ce qui a été, sauvegarder la mémoire du passé, distribuer les enseignements, parfois faire le panégyrique d'un chef, tout en n'oubliant jamais que, dans l'histoire, s'accomplit l'œuvre de dieu. Dans le cas précis du récit de Croisade, il faut ajouter une fonction sacrée au récit, qu'on peut presque voir comme une incantation destinée à maintenir dans l'histoire la transcendance d'une geste sacrée.

En moins de 20 ans durant la croisade ou juste après, ce sont huit auteurs qui écrivent l'histoire de l'expédition de Jérusalem. Ils composent les histoires primitives, ensuite largement reprises. Ce sont des chroniqueurs, tous plutôt liés à un seigneur ou un contingent dont ils ont tendance à privilégier la mémoire. Par ordre chronologique, ce sont l'Anonyme normand, Raymond d'Agiles, Pierre Tudebode, Foucher de Chartres. Ils fabriquent et composent l'histoire des hauts faits d'une guerre menée avec une immense ferveur. Puis trois moines et leur mise en récit, Robert le Moine, Baudri de bourgueil, Guibert de Nogent ( laïc) et Raoul de Caen. Ceux-ci reprennent le récit, au prix d'une reécriture. En effet, ils en poncent les aspérités.
Les premiers narrateurs décrivaient sans que leur plume ne tremble les horreurs et la violence extrême de la guerre, y compris celles commises par les croisés. La violence pour eux s'accomplissait au nom de Dieu et selon sa volonté, au cri de "Dieu le veut". En décembre 1098, Jérusalem est prise  après un siège de quelques semaines. La ville est pillée, et on marche sur les cadavres disent les chroniqueurs. L'amoncellement des morts rend plus manifeste encore l'immense victoire des croisés. Raymond d'Agiles évoque la puanteur des cadavres, mais il préfère s'attarder sur la tranquillité des combattants chrétiens enfin au repos ("sine fastidio") après tant de souffrances qu'il a détaillé tout au long du récit. Détail morbide qu'il cite, tout comme l'Anonyme normand, ils ouvraient les cadavres, fouillant dans les intestins, car on y avait trouvé des pièces d'or. Ils rapportent même que, pour survivre alors que la famine règne, les croisés vont manger les cadavres en décomposition des vaincus. Deux autres chroniqueurs expriment, à demi-mot une plus grande distance vis-à-vis de cet épisode : "on a rapporté, "ce sont les Thafurs"...
2e exemple : la description du massacre qui suit la prise d'assaut du Temple de Salomon.  Chez Raymond d'Agiles, on marchait à cheval dans le sang. Chez Baudri, des ruisseaux de sang coulent jusqu'aux chevilles. Pour l'Anonyme, "nul n'a jamais ouï, nul n'a jamais vu un pareil carnage de la gent païenne".
Les mémorialistes de la 2e génération vont atténuer voire gommer ces épisodes, pour proposer un modèle de guerrier plus conforme. Difficile en effet, alors que l'Eglise s'emploie à cetet époque de pacifier la société chrétienne, d'exalter la joie de tant de morts. Déjà avec Foucher de Chartes puis Guibert de Nogent, les milites (soldats, guerriers) se voient purifiés ("purgatio") par la bataille des péchés liés à leur condition. La grâce divine peut leur être donnée par la croisade, assimilée à un martyre s'ils meurent au combat. Le discours du pape Urbain II au concile de Clermont, appelant à la croisade, est donc abondamment repris : "Qu'ils combattent maintenant comme il est juste, ceux qui autrefois tournaient leurs armes contre des frères du même sang qu'eux".  De ces guerriers croisés, Guibert de Nogent écrit qu'au moment du siège d'Antioche, ils "menaient une vie, non de chevaliers, mais de moines" et se soumettaient à toutes sortes de privations. Les textes de la 2e génération, qui sont des textes issus des milieux monastiques, ont opéré une re-pacification (textuelle) des guerriers revenus, du fait de la guerre sainte, à la violence sans règle de leurs ancêtres.

Bilan : On peut donc mettre en évidence des strates successives d'une mémoire collective des croisades. On voit s'opérer un processus de façonnement des faits et de leur mémoire selon des enjeux contemporains. La construction narrative, procédant selon les auteurs et les moments d'écriture de manière plurielle a proposé et composé des logiques historiques particularisées.


La prise de Jerusalem

4 textes pour monter une activité de comparaison des sources :
- soit pour illustrer l'article ci dessus, comparer le texte de l'anonyme normand avec celui de Guillaume de Tyr, plus tardif
- soit confronter source "croisée" et source musulmane









mardi 24 septembre 2019

Venise au Moyen Age

La Sérénissime



Une page du Livre des Merveilles de Marco Polo, dicté à Rusticien de Pise en 1299. Exemplaire du duc de Bourgogne. Les marchands arrivent à  Ormuz. Cet exemplaire est consultable sur le site de la BNF (ici) avec notices et extraits de texte.



Une République "qui se gouverne à la romaine" disait-on au Moyen Age



Le doge est un magistrat élu à vie, choisi dans un groupe étroit de familles dirigeantes, conservant une influence certaine en dépit de toutes les précautions prises pour qu'il ne puisse jouer aucun rôle personnel. Il dépend étroitement de ses mandants : les conseils qu'il présidait était les véritables centres de la direction collégiale de la ville et de sa politique. Le grand conseil (consiglio maggiore) est devenu au XIIIe siècle le rouage essentiel du système constitutionnel vénitien, aux mains des vieilles familles (case vecchie) qui rivalisent avec les nouvelles familles (case nuove), d'autant plus qu'à partir de 1297 s'instaure un système aboutissant à la proclamation de l'hérédité qui définit en 1323 un patriciat par une noblesse de fonction. 
Trop nombreux pour débattre des affaires de l'Etat, le Maggior Consiglio dut déléguer ses pouvoirs à des commissions restreintes, comme la Quarantia (1179) qui s'agrégea en 1327 à l'assemblée des Pregadi (les "priés"). En fonction des problèmes à résoudre, le travail du Sénat était confié à des commissions de sages qui, devenues permanentes, se réunirent à la Signoria dans le Collegio.
A partir du XIVe siècle, la classe politique tranche ses liens avec la classe populaire et concentre les pouvoirs des assemblées entre les mains du Conseil des Dix qui de surcroît, au cours de la seconde moitié du XVe siècle dépossède le Sénat de ses prérogatives diplomatiques et financières (frappe des monnaies ...)


La puissance de Venise en Méditerranée
Emission d'histoire (que de l'audio)



Venise au Moyen Age, un redoutable guerrier économique : lien vers vidéo France 24



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Un exercice 

(recyclage d'un ancien travail fait avec les secondes dans les années 1990's !!)


Venise au XIIe siècle / synthèse de documents.

Objectif 1) Présenter les documents

documents
Auteur et date
Nature
Contexte spatial
Contexte temporel
Thème
1





2





3





4






A
B
C
D
E
-          Rédigez les phrases A,B,C,D,E qui correspondent à chaque étape de la présentation des documents


Objectif 2) Faire l’analyse des documents
-          Pour chaque document, sélectionner les idées et les faits qui correspondent aux questions posées et remplissez sur votre feuille le tableau suivant 

document  
question
Eléments repérés dans les textes
paragraphe
1 et 3
Quels sont les inconvénients du milieu naturel de Venise ?

A
Quelles activités Venise a-t-elle développé pour
s’enrichir ?

2
Montrer que Venise se trouve au centre du commerce entre l’Orient et l’Occident.

B
1; 3; 4
Quels facteurs ont facilité le développement économique de Venise ?

C
4
Quel événement sert de prétexte à la prise de Constantinople en 1204 ?

D
Quel est l’intérêt politique pour les vénitiens de provoquer la prise de Constantinople ?

-          Puis rédigez les 4 paragraphes A,B,C,D qui correspondent à l’analyse de chaque texte.

Objectif 3) Rédiger la synthèse en une page maximum
Rédigez la synthèse en reprenant la présentation des dos pour faire une introduction, les 4 paragraphes de la question précédente et en soignant les liens logiques et phrases de transition ainsi que les annonces de point. Vous devez montrer qu’au XIIe siècle, Venise est une grande puissance en Méditerranée (= Thèse)



Le dossier documentaire

Texte 1 : Les premiers pas de Venise
" Venise, sur sa soixantaine d'îles et îlots, est un univers étrange, un refuge certes, mais incommode : pas d'eau douce, pas de ressources alimentaires, du sel, trop de sel ! On disait du Vénitien : "il ne laboure pas, ne sème pas, ne vendange pas". [...] Sa population entière se situe hors de ce secteur primaire d'ordinaire si largement représenté à l'intérieur même des villes préindustrielles. Venise déploie son activité dans les secteurs que les économistes d'aujourd'hui appellent "secondaire" et "tertiaire" : l'industrie, le commerce, les services, secteurs où la rentabilité du travail est plus élevée que dans les activités rurales. [...] C'est dès leurs premiers pas que Venise ou Amalfi, ou Gênes, toutes villes sans vrais territoires, ont été condamnées à vivre sur ce ped-là. Elles n'avaient pas d'autres choix. [...] La chance de Venise, c'est [...] placée sous la domination assez théorique de l'empire grec, elle a pénétré plus commodément qu'une autre l'énorme marché [...] de Byzance, rendu à l'empire des services nombreux, contribué même à sa défense. En échange, elle obtint des privilèges exorbitants. [...] Cependant, c'est sans erreur possible, l’aventure fantastique des croisades qui accélère l'essor marchand de la Chrétienté et de Venise. Voici que des hommes venus du nord prennent le chemin de la Méditerranée, s'y transportent avec leur chevaux, offrent le prix de leur passage à bord des navires des villes italiennes, se ruinent pour assurer leurs dépenses. Du coup les navires de transport grandissent, deviennent des géants, à Pise, à Gênes et à Venise? En Terre sainte, des Etats chrétiens s'implantent, ouvrent une brèche vers l'Orient et ses marchandises prestigieuses, le poivre, les épices, la soie, les drogues. Le tournant décisif pour Venise a été l'affreuse 4e croisade."
Extrait de Fernand Braudel, Civilisation matérielle, Economie et capitalisme. Le temps du monde, Paris, 1979.


Documents 2 : Venise et le commerce en Méditerranée

A/
 B/

Document 3 : Une remarquable réussite économique et politique
En 1082, Venise qui a loué sa flotte aux Byzantins afin qu'ils empêchent l'installation des Normands à Durazzo, reçoit de l'empereur le privilège d'acheter et de vendre dans tout l'empire, sans payer de taxe ni subir de contrôle douanier. Byzance renonce ainsi au monopole, qui avait fait sa puissance économique : le contrôle commercial des flux qui passe par elle puisqu'elle est située en position d'intermédiaire entre l'Orient et l'Occident. Quant à Venise, c'est le début de l'extraordinaire expansion qui peu à peu soumet le monde méditerranéen oriental à son influence, alors que le monde arabo-musulman est affaibli par les divisions politiques et religieuses et que les Latins, installés en Terre Sainte et en Syrie, ont besoin de ravitaillement par mer.
Mais les relations de Venise avec ses concurrentes italiennes (Gênes en particulier) et avec Byzance ne sont pas toujours faciles : en 1171, le quartier vénitien de Constantinople est mis à sac par les Génois. L'empereur fait arrêter tous les Vénitiens et leurs biens sont confisqués. Pourtant, en 1189, ce dernier rétablit, par un traité, les Vénitiens dans leurs privilèges ; Venise et sa flotte de guerre sont indispensables à la sécurité de l'Empire.
 D'après Y Renouard, Les villes d'Italie de la fin du Xe siècle au début du XIVe s, Paris, 1969



Document 4 :Un récit de la 4e croisade
"Elle avait pour chef  l'italien Boniface de Montferrat, mais les chefs véritables étaient le pape Innocent III et le doge de Venise Dandolo. [...] Venise exigea que le prix du voyage lui fut entièrement versé avant le départ. Comme les croisés ne purent réunir la somme nécessaire, Venise exigea d'eux que, pour faire le complément, ils commencent par s'emparer de la ville de Zara, sur la côte orientale de l'Adriatique, pour son compte. Zara était une ville chrétienne, appartenant à un prince chrétien. Malgré l'indignation du pape, les croisés acceptèrent cette singulière condition et prirent d'assaut Zara, qu'ils remirent à Venise.
La croisade avait pour objectif l'Egypte, de laquelle dépendait la Palestine. Mais en Occident se trouvait alors le fils d'Isaac II Ange, détrôné par Alexis III, le jeune Alexis Ange : celui-ci suggéra aux croisés de d'abord le rétablir sur le trône, leur montrant tout l'intérêt d'avoir sur le trône d'Orient un empereur à leur dévotion. [...] la flotte fit voile sur Byzance où elle arriva en juin 1203. Constantinople fut prise d'assaut en juillet, Alexis III détrôné, Isaac Ange et son fils rétablis sur le trône. Mais les grecs, comprenant que ces souverains ne seraient que des instruments dociles aux mains des Latins se soulevèrent et les renversèrent. Alors, les croisés décidèrent de prendre la ville pour eux (13 avril 1204) Des scènes épouvantables de carnage et de pillage se déroulèrent pendant trois jours dans la ville saccagée : des membres de clergé latin y prirent leur part aux côtés des soldats du Christ. Les richesses immenses, éblouissantes aux yeux des croisés, accumulées depuis des siècles dans la ville jusqu'alors inviolée, furent dispersées à travers tout l'Occident dans les mois qui suivirent. Le comte de Flandre Baudouin fut élu empereur et couronné à Sainte-Sophie, le vénitien Tomasso Morosini devint patriarche. Le doge Dandolo et Baudouin se partagèrent le territoire byzantin. Le vénitien, seul parmi les croisés, fut dispensé de prêter serment de fidélité au nouvel empereur. Ainsi Venise acquit Durazzo, les îles ioniennes, la plpart des îles de la mer Egée, l'Eubée, Rhodes, la Crète, des places nombreuses dans le Péloponnèse, l'Hellespont, la Thrace. Cette croisade donna à Venise un empire en Méditerranée et renforça son hégémonie économique.
 Paul Lemerle, Histoire de Byzance, Paris, 1980.


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