dimanche 19 mai 2024

Discours d'entrée en campagne de Biden contre Trump

 Dans la série des thématiques des cours consacrés à la Démocratie en Première SPé HGGSP, il y a le danger de l'illibéralisme et les dérives internes aux régimes considérés comme démocratiques. J'ai cette année effectué avec les élèves une analyse de texte d'un discours de Joe Biden, pour approfondir la méthode de l'analyse critique de texte.

Voici le discours, largement caviardé pour permettre une analyse linéaire (mettre en évidence les thématiques, la structure interne du texte et sa logique, expliquer les allusions et les présupposés) dans une durée raisonnable (une séance de 2 H)


                         7 JANVIER 2024 • L’ENTRÉE EN CAMPAGNE DE JOE BIDEN

L’élection américaine de 2024 a déjà commencé. Au centre de la campagne, il y aura une question vertigineuse : de quel côté se situe la démocratie ? Dans son premier discours fleuve, Joe Biden expose ce qui sera le cœur de sa stratégie : face à Trump, il est le vrai défenseur de l’Amérique et de la démocratie.. source : LE GRAND CONTINENT


Présentation : Trois ans après l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, Joe Biden a prononcé hier un discours fleuve marquant l’ouverture de sa campagne de réélection non loin de Valley Forge, en Pennsylvanie, haut-lieu de la guerre d’indépendance. C’est à cet endroit précis que George Washington, au cours de l’hiver 1777-1778, décida de stationner ses troupes, épuisées par la campagne, rongées par le froid, la faim, la maladie. Quelques mois plus tôt, le Congrès fuyait Philadelphie, à quelques dizaines de kilomètres, où fut signée la Déclaration d’Indépendance en 1776.

Cet exercice n’est pas anodin. Alors que le mandat de Joe Biden présente un bilan économique globalement favorable — ce qui, d’ordinaire, pourrait suffire à rallier la majorité des électeurs —, les sondages semblent majoritairement indiquer, à dix mois des élections, que Trump a le plus de chances de l’emporter. La majorité républicaine de la Chambre contribue quant à elle à faire de l’immigration l’un des principaux sujets qui détermineront la campagne, alors que la position de Biden sur le sujet est largement critiquée par les électeurs républicains — et de plus en plus dans les rangs des Démocrates. Les réussites du mandat de Biden en matière d’infrastructures, de création d’emplois ou de transition énergétique devraient quant à elles occuper une place secondaire pour une grande partie d’électeurs.

Contrairement à ses précédents discours des 6 janvier 2022 et 2023, Joe Biden a décidé cette année d’adopter une posture beaucoup plus agressive vis-à-vis de Donald Trump. Ce dernier, qui devrait certainement être investi par le Parti républicain, est présenté comme le plus grand danger qui pèse sur l’essence même des États-Unis : la démocratie, mentionnée à 27 reprises dans le discours. « Le choix est clair. La campagne de Donald Trump est centrée sur lui, pas sur l’Amérique, pas sur vous. La campagne de Donald Trump est obsédée par le passé, pas par l’avenir. Il est prêt à sacrifier notre démocratie pour prendre le pouvoir. » 

Après avoir auparavant mobilisé Abraham Lincoln ou Franklin Delano Roosevelt, Biden a choisi de se rattacher à la figure de George Washington pour lancer sa campagne présidentielle. Bien que peu apprécié par les Démocrates, raviver la mémoire du premier président américain offre un argument de choix pour s’attaquer à la candidature de Donald Trump. Tandis que Washington annonça dans sa Farewell Address du 19 septembre 1796 ne pas briguer un troisième mandat, Donald Trump encouragea la foule à entraver le transfert pacifique du pouvoir le 6 janvier 2021, accomplissant ainsi ce contre quoi George Washington mettait en garde lui-même 225 ans auparavant.

 

 

Biden à la tribune, janvier 2023

Le sujet de mon discours aujourd’hui est extrêmement sérieux, et c’est pour cela qu’il doit être prononcé dès le début de cette campagne. Durant l’hiver 1777, l’armée continentale marchait vers Valley Forge dans un froid intense. Le général George Washington savait qu’il était confronté à la tâche la plus ardue qui soit : mener et gagner une guerre contre l’empire le plus puissant du monde à l’époque. Sa mission était claire. La liberté, pas la conquête. La liberté, pas la domination. L’indépendance nationale, pas la gloire individuelle. L’Amérique a fait un vœu. Plus jamais nous ne nous inclinerions devant un roi. 

(…) Aujourd’hui, nous sommes ici pour répondre à la plus importante des questions. La démocratie est-elle toujours la cause sacrée de l’Amérique ? Je ne plaisante pas. Ce n’est pas une question rhétorique, académique ou hypothétique. La question de savoir si la démocratie est toujours la cause sacrée de l’Amérique est la question la plus urgente de notre époque, et c’est l’enjeu de l’élection de 2024.

Le choix est clair. La campagne de Donald Trump est centrée sur lui, pas sur l’Amérique, pas sur vous. La campagne de Donald Trump est obsédée par le passé, pas par l’avenir. Il est prêt à sacrifier notre démocratie pour prendre le pouvoir. (…) Il y a trois ans demain, nous avons vu de nos propres yeux la foule violente prendre d’assaut le Capitole des États-Unis. Lorsque vous avez allumé votre télévision et découvert ces images, vous avez eu du mal à y croire. Pour la première fois de notre histoire, des insurgés étaient venus empêcher le transfert pacifique du pouvoir en Amérique en brisant des vitres, en fracassant des portes, en attaquant la police. (…) Plus de 140 policiers ont été blessés. Jill et moi avons assisté aux funérailles des policiers décédés à la suite des événements de ce jour-là. C’est à cause des mensonges de Donald Trump qu’ils sont morts ; parce que ces mensonges ont poussé la foule vers Washington. Il avait promis que ce serait « sauvage », et ça l’a été. Il a dit à la foule de « se battre comme l’enfer », et l’enfer s’est déchaîné. 

(…) La nation entière a regardé avec horreur. Le monde entier a regardé avec incrédulité. Et Trump n’a rien fait. Les membres de son équipe, les membres de sa famille, les dirigeants républicains qui étaient attaqués — à ce moment précis — ont plaidé en sa faveur : « Agissez. Rappelez la foule ». Imaginez s’il était sorti et avait dit « Arrêtez ». Et pourtant, Trump n’a rien fait. C’est l’un des pires manquements au devoir de la part d’un président dans l’histoire des États-Unis : une tentative de renverser une élection libre et équitable par la force et la violence.

Un nombre record de 81 millions de personnes ont voté pour ma candidature et pour mettre fin à sa présidence. Trump a perdu le vote populaire de 7 millions de voix. Les affirmations de Trump concernant l’élection de 2020 n’ont jamais pu être défendues devant un tribunal. Trump a perdu 60 affaires judiciaires — 60. Trump a perdu les États contrôlés par les républicains. Trump a perdu devant un juge nommé par Trump — puis devant d’autres juges. Et Trump a perdu devant la Cour suprême des États-Unis. Il a perdu sur toute la ligne.

(…) M. Trump a épuisé toutes les voies légales à sa disposition pour renverser l’élection. Mais la voie juridique n’a fait que ramener Trump à la vérité, à savoir que j’avais gagné l’élection et qu’il était un perdant. Eh bien, sachant comment son esprit fonctionne maintenant, il ne lui restait qu’un acte — un acte désespéré — à sa disposition : la violence du 6 janvier.  Depuis ce jour, plus de 1 200 personnes ont été inculpées pour avoir attaqué le Capitole. Près de 900 d’entre elles ont été condamnées ou ont plaidé coupable. Collectivement, à ce jour, elles ont été condamnées à plus de 840 ans de prison. Et qu’a fait Trump ? Au lieu de les appeler « criminels », il a appelé ces insurgés « patriotes ». Ce sont des « patriotes ». Et il a promis de les gracier s’il revenait au pouvoir.  (…) En essayant de réécrire les faits du 6 janvier, M. Trump tente de voler l’histoire de la même manière qu’il a essayé de voler l’élection.

Le 28 octobre 2022, le mari de l’ancienne speaker démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a été attaqué à son domicile par David DePape, un extrémiste armé d’un marteau adepte de théories conspirationnistes qui cherchait ce jour-là à enlever Nancy Pelosi. Cette attaque d’une violence rare dirigée contre un homme âgé de 82 ans qui n’était alors qu’une « victime collatérale » de DePape a fait l’objet de moqueries par Donald Trump lors d’un meeting fin septembre. Après avoir demandé sur un ton sarcastique « comment se portait le mari de Nancy Pelosi » devant un public hilare, l’ancien président ajoutait : « elle s’oppose à la construction d’un mur à notre frontière, alors qu’elle a un mur autour de sa maison — qui n’a manifestement pas fait du très bon travail ». 

L’attaque de Trump contre la démocratie ne fait pas seulement partie de son passé. C’est ce qu’il promet pour l’avenir. Il est direct. Il ne cache pas son jeu. (…) Il a ajouté qu’il serait un dictateur dès le premier jour. Il a appelé cela, et je cite, la « suppression de toutes les règles, de tous les règlements et de tous les articles, même ceux qui se trouvent dans la Constitution des États-Unis », si c’est sa volonté. (…) Avec d’anciens collaborateurs, Trump prévoit d’invoquer l’Insurrectionist Act — ce qu’il n’est pas autorisé à faire dans des circonstances ordinaires —, qui lui permettrait de déployer des forces militaires américaines dans les rues de l’Amérique. Il l’a dit.

Il qualifie de « vermine » ceux qui s’opposent à lui. Il parle du sang des Américains comme étant empoisonné, reprenant le même langage que celui utilisé dans l’Allemagne nazie. Les propos tenus par Trump le 11 novembre dernier lors du Veterans Day, un jour férié commémorant les sacrifices des anciens combattants américains, ont fait couler beaucoup d’encre dans les journaux et diverses publications en raison de leur proximité avec les discours tenus par Adolf Hitler ou Benito Mussolini. Devant des militants tenant des affiches sur lesquelles était inscrit « la paix à travers la force », Donald Trump a comparé « les communistes, les marxistes, les fascistes et les voyous de la gauche radicale » à des « vermines », avant d’accuser les immigrants « d’empoisonner le sang de notre pays ». (…)

[…]. Lorsque l’attentat du 6 janvier s’est produit, la vérité n’a fait aucun doute. À l’époque, même les membres républicains du Congrès et les commentateurs de Fox News ont condamné publiquement et en privé l’attentat. Comme l’a dit un sénateur républicain, « le comportement de Trump était embarrassant et humiliant pour le pays ». Mais aujourd’hui, ce même sénateur et ces mêmes personnes ont changé de discours. Au fil du temps, la politique, la peur, l’argent sont intervenus. Et maintenant, ces voix de partisans MAGA (make America great again) qui connaissent la vérité sur Trump le 6 janvier ont abandonné la vérité et la démocratie.

Le 6 janvier 2021 a longtemps conduit à penser qu’une partie importante des dirigeants et des électeurs du Parti républicain allaient se détourner de Donald Trump en raison du rôle joué par celui-ci lors de l’insurrection. Trois ans jour pour jour après les faits, il apparaît que seule une minorité du GOP (Grand old party = le parti républicain) a emprunté ce chemin. Selon la recension du site FiveThirtyEight, 162 élus et responsables républicains ont à ce jour publiquement annoncé leur soutien à Donald Trump, contre seulement 18 pour Ron DeSantis (son adversaire au sein du parti républicain). Mercredi 3 janvier 2024, le chef de la majorité républicaine à la Chambre, Tom Emmer, a annoncé qu’il voterait pour Donald Trump en 2024, tandis que ce dernier le qualifiait quelques mois plus tôt de « Globalist RINO [Republican In Name Only] » : un Républicain considéré déloyal envers le Parti. Ils ont fait leur choix. Maintenant, le reste d’entre nous — Démocrates, indépendants, Républicains traditionnels — doit faire son choix.

(…) Sans démocratie, aucun progrès n’est possible. Pensez-y. L’alternative à la démocratie est la dictature — la règle d’un seul, pas la règle de « Nous, le peuple ». C’est ce qu’avaient compris les soldats de Valley Forge, c’est ce que nous devons également comprendre. Nous avons eu la chance de bénéficier pendant si longtemps d’une démocratie forte et stable. Il est facile d’oublier pourquoi tant de personnes avant nous ont risqué leur vie pour renforcer la démocratie, et ce que serait notre vie sans elle.

La démocratie, c’est la liberté de dire ce que l’on pense, d’être qui l’on est, d’être qui l’on veut être. La démocratie, c’est la possibilité d’apporter des changements pacifiques. La démocratie, c’est la façon dont nous avons ouvert les portes de l’opportunité de plus en plus largement à chaque génération successive, et ce malgré nos erreurs. Mais si la démocratie disparaît, nous perdrons cette liberté. Nous perdrons le pouvoir de « nous, le peuple » de façonner notre destin.

Si vous doutez de moi, regardez autour de vous. Voyagez avec moi lors de mes rencontres avec d’autres chefs d’État dans le monde entier. Regardez les dirigeants autoritaires et les dictateurs que Trump dit admirer — il dit tout haut qu’il les admire. Je ne vais pas tous les citer. Ce serait trop long. (…) Et regardez ce que ces autocrates font pour limiter la liberté dans leurs pays. Ils limitent la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTQ, les gens vont en prison…

(…) Il ne peut y avoir de compétition si l’on considère la politique comme une guerre totale plutôt que comme un moyen pacifique de résoudre nos différends. La guerre totale, c’est ce que veut Trump.

C’est pourquoi il ne comprend pas la vérité la plus fondamentale sur ce pays. Contrairement à d’autres nations sur Terre, l’Amérique n’est pas fondée sur l’ethnicité, la religion ou la géographie. Nous sommes la seule nation dans l’histoire du monde construite sur une idée : « Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes et toutes les femmes sont créés égaux ». C’est une idée énoncée dans la Déclaration, créée de manière à ce que nous considérions que tout le monde est égal et doit être traité de la même manière tout au long de sa vie.

Nous n’avons jamais été à la hauteur de cette idée. Nous avons encore un long chemin à parcourir. Mais nous n’avons jamais renoncé à cette idée. Nous ne l’avons jamais abandonnée auparavant. Je vous promets que je ne laisserai pas Donald Trump et les Républicains MAGA nous forcer à nous éloigner maintenant.

(…) Permettez-moi de conclure par ceci. […] En Amérique, les vrais dirigeants — les dirigeants démocratiques — ne s’accrochent pas au pouvoir sans relâche. Nos dirigeants rendent le pouvoir au peuple. Et ils le font de leur plein gré, car c’est ainsi que les choses se passent. (…) je refuse de croire qu’en 2024, les Américains choisiront de renoncer à ce qui a fait d’eux la plus grande nation de l’histoire du monde : la liberté. La démocratie est toujours une cause sacrée. Et aucun pays au monde n’est mieux placé que l’Amérique pour mener le monde.  (…) Que Dieu vous bénisse tous. Et que Dieu protège nos troupes.

Je vous remercie.