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mardi 9 juin 2020

Les révoltes contre le roi de France et sa noblesse : un exemple médiéval

Dans la cadre du chapitre de Seconde sur l'affirmation de l'Etat et les contestations de la monarchie absolue

Partie 1 : la progressive construction de la monarchie absolue en France

B) Les révoltes contre le roi de France et sa noblesse.

 (Grandes Chroniques de FranceBnFms. français 2813 fº409v, vers 1375-1380).

(Temps long) L’année 1358

C’est une période difficile pour la monarchie française. Déjà affaiblie par le choc de la peste noire (1348), le royaume de France est dans une mauvaise phase de la guerre qui l’oppose aux Anglais (guerre de cent ans).  L’armée française connaît une série de défaites et à Poitiers en septembre 1356, le roi français Jean II dit le Bon est prisonnier des Anglais. C’est son fils, le dauphin Charles (futur Charles V), duc de Normandie, qui tente de rétablir l’ordre dans le pays, menacé de surcroît de guerre civile par Charles le mauvais, roi de Navarre qui revendique le trône de France. Dans le mois qui suivirent l’événement rapporté par ce texte, les paysans du Beauvaisis se soulèvent contre les seigneurs féodaux qui échouent à les protéger des bandes armées anglaises : c’est la Grande Jacquerie qui est réprimée par les nobles avec une extrême violence.

 

« Le jeudi 22 février de l’an 1357* au matin, second jeudi de Carême, le prévôt des marchands** fit assembler à St-Eloi près du palais tous les métiers de Paris, en armes, si bien qu’on estime qu’ils étaient près de 3000.[…] Le prévôt et quelques autres montèrent dans la chambre de monseigneur le duc, au palais, au-dessus de la galerie des Merciers et là, ils trouvèrent le duc et le prévôt lui dit en substance : « Sire, ne vous étonnez pas de ce que vous voyez car [ces choses] ont été ordonnées et qu’il convient que ce soit fait. ». A peine avait-il dit ceci que certains de sa compagnie se précipitèrent sur monseigneur Jean de Conflans, maréchal de Champagne et le tuèrent quasi sur le lit de monseigneur le duc et en sa présence. D’autres coururent sur le maréchal du duc, monseigneur Robert de Clermont, lequel se réfugia dans une autre pièce, mais ils le suivirent et là le tuèrent. [Au dauphin resté seul, le prévôt dit] « Sire, vous ne risquez rien ». Il lui donna son chaperon, celui de la ville, partie rouge et partie bleu. Le duc prit le chaperon et le porta tout le jour. Ceux de la compagnie du prévôt traînèrent fort inhumainement les corps des deux chevaliers devant le duc jusque dans la cour du Palais, devant le perron de marbre où ils demeurèrent étendus et découverts à la vue de tous ceux qui le voulaient jusque tard après l’heure du dîner, et personne n’osa les enlever.

Le prévôt des marchands et sa compagnie se rendirent dans leur maison de Grève, que l’on appelait la maison de la ville. A sa fenêtre, le prévôt parla à la foule assemblée et armée, leur dit que ce qui avait été fait l’avait été pour le bien du royaume et que ceux qui avaient été tués étaient faux, mauvais et traîtres. […] Le lendemain […] le prévôt [dénonce ceux] qui empêchent tous les bons conseils auprès de monseigneur le duc, [disant] qu’à cause d’eux la délivrance du roi de France avait été empêchée. [Sur le sujet de] la délivrance*** du roi avaient été assemblés l’Université, le clergé et la ville de Paris et tous ils s’étaient mis d’accord, [rejoints sur cette opinion par] les 44 membres du Conseil, mais les [traitres] avaient tout empêché. […] Le samedi, monseigneur le duc se rendit en la chambre du Parlement avec ceux de son conseil qui restaient. Le prévôt et d’autres, armés ou non, y réclamèrent que le duc valide et garde sans les modifier toutes les ordonnances qui avaient été faites par les trois Etats l’année précédente, et qu’il les laisse gouverner, comme autrefois ils faisaient. »

*L’année commençait en mars

** Il s’agit d’Etienne Marcel.

*** Les Etats généraux avaient été rassemblés pour discuter des modalités de collecte de l’énorme rançon due au roi anglais pour libérer Jean II et son fils Philippe. Ils profitent de la situation pour proposer un vaste plan de réformes visant à contrôler l’administration et les décisions royales.

 

Source : Chronique de Jean II le Bon et Charles V, ed Delachanal, SHF, t.1. Français modernisé.

 

Montrer qu’il s’agit d’une révolte politique :

1)      Relever les indices de l’aspect politique du soulèvement.

2)      Montrer en utilisant la présentation du contexte que le pouvoir royal est affaibli.

3)      Quelles sont les revendications des parisiens ?

4)      Comment et pourquoi obtiennent-ils satisfaction ?

Vous pouvez répondre aux questions 1 à 3 dans l'ordre qui vous semble le plus logique.

lundi 1 juin 2020

Les lois scélérates

Fiche de lecture du livre de Raphaël Kempf, Ennemis d'Etat :  les lois scélérates des anarchistes aux terroristes, La fabrique, 2019

Une interview accessible à partir d'ici et une autre


R. Kempf n'est pas historien, mais avocat au  barreau de Paris. Aussi le décorticage auquel il se livre des indicateurs qui permettent de reconnaître une loi scélérate (partie 1), des mécanismes d'élaboration de ces nouvelles normes dans le contexte de la lutte contre les anarchistes à la fin du 19e siècle (partie 2) et des conditions historiques de leur application (partie 3) est particulièrement éclairante car reposant sur une approche certes contextualisées, mais relevant aussi et surtout de l'histoire du droit.
Le propos de l'auteur est de relever les similitudes avec les lois récentes (état d'urgence ...) nées des attentats de 2015 en France. Cependant, je ne retiens ici que ce qui concerne la présentation et l'analyse à proprement parler des lois scélérates, dans la perspective d'un éventuel travail avec les élèves pour le cours de 1ere intitulé "3 République, la mise en oeuvre du projet républicain".


Entre 1893 et  1894, plusieurs lois sont votées en France par le Parlement, prétendument pour faire face à une vague d’attentats anarchistes. Le lien entre professions de foi anarchistes et attentats tout comme celui entre ces nouvelles lois et l'efficacité de la lutte contre les attentats sont les premiers points approfondis par l'auteur. Tout d'abord, R. Kempf fait remarquer le procès de Lyon en 1883 fut une première tentative du gouvernement de brser le mouvement anarchiste au moyen du droit pénal et de la justice, alors même qu'il n'y avait pas alors d'attentats. Ce qui est reproché à l'époque, ce sont les opinions et  notamment la propagande révolutionnaire. Les anarchistes sont particulièrement visés car ils revendiquent une "propagande par le fait". Il s'agissait de promouvoir une action politique qui dépasse la simple propagande intellectuelle et qui ne s'interdise pas les moyens "illégaux" pouvant aller jusqu'à la reprise individuelle (le vol pour contester le droit de propriété privée) et la violence politique (l'attentat contre les institutions et leurs représentants)
Gautier  (inculpé anarchiste au procès de Lyon) :"[...] je ne crois pas que l'émancipation du prolétariat puisse s'accomplir autrement que par la force insurrectionnelle. C'est déplorable sans doute, mais c'est ainsi.En le constatant, je fais une simple observation de physiologie sociale. L'Histoire, en effet, est là pour nous apprendre que jamais les classes privilégiées -individus ou classes- n'ont volontairement abdiqué leurs privilèges et que jamais un ordre de choses n'a cédé sans combat la place à un nouveau régime. Il n'est guère probable que la bourgeoisie se montre plus accommodante que l'ancienne aristocratie dont elle a recueilli la succession. Au contraire. Rien que le procès actuel en est un témoignage significatif." (p.13)
Les prévenus (dont le célèbre Kropotkine) ont été condamnés (et à nouveau en appel) car le ministère public a réussi à convaincre que des discours dans les réunions publiques, l'abonnement à des journaux anarchistes les affiliaient à une organisation internationale (l'AIT, association internationale des travailleurs, 1ere Internationale) interdite en France depuis une loi de  mars 1872. On voit comment le raccourci opéré entre intention et acte, opinion et conjuration dès lors qu'une loi d'exception existait déjà (celle de 1872) a permis de condamner 70 hommes contre qui il n'y avait rien de concret à mobiliser. Le juriste Fabreguettes, chef du parquet général de Lyon à l'époque du procès en appel, en est réduit à dénoncer une "complicité intellectuelle" :
"Qui est le coupable, le vrai coupable ? c'est le journaliste, car c'est lui qui a conduit le bras, sans y avoir pensé, je le veux bien" (p.15)

Aussi, tout est prêt pour faire basculer la législation à l'occasion des attentats qui ont lieu quelques années plus tard : mars 1892, Ravachol fait exploser trois bombes contre les domiciles du président de la cour d'assise Benoit, de l'avocat général Bulot et contre une caserne, en réponse à un procès jugé inique contre des militants anarchistes arrêtés sans motif au café  en mai 1891.  Il fut exécuté en juillet 1893. En novembre 1892 puis en février 1894, Emile Henry revendique deux attentats anarchistes et finit lui aussi sur l'échafaud. En 1893, autre attentat à la bombe pleine de clous et surtout en décembre, l'anarchiste Vaillant lance un engin explosif dans la Chambre des députés en pleine séance, sans faire de victimes. La première des lois scélérates est votée deux jours plus tard, sans étude préalable. Vaillant est exécuté en février 1894.  En juin 1894, l'anarchiste Caserio tue le président de la République Sadi Carnot en montant sur sa calèche lors d'un déplacement public. Il est guillotiné en Août. Voilà pour les attentats les plus connus.

Entre 1893 et 1894, ce sont donc 3 (voire 4) lois d'exception, dites scélérates par les défenseurs des droits de l'Homme, qui sont votées dans la précipitation, mais non sans avoir été pensées et préparées par la période précédente. Leur texte est publié à la fin du livre. Il s'agit de la loi modifiant la loi de 1881 sur la Presse du 12 décembre 1893, de la loi ajoutant un crime d'association de malfaiteurs au code pénal, votée le 18 décembre de la même année, de la loi du 28 juillet 1894 "tendant à réprimer les Menées Anarchistes" et on pourrait rajouter une loi sur la possession d'explosifs tandis qu' une autre augmentait les crédits à la police. 4 de ces 5 lois sont votées en décembre 1893. 

Les 3 lois principales sont bien des lois d'exception car elles dérogent au règles  usuelles de droit de plusieurs manières : elles établissent une distinction entre le citoyen ("rien dans ces projets n'est une atteinte à la liberté des citoyens, à la liberté de ceux qui méritent ce titre" dira Casimir-Perier, président du Conseil et futur président de la République, lors des débats parlementaires) et un ennemi, en l’occurrence l'anarchiste tel qu'il est ciblé nommément par les lois ("nous avons la résolution de poursuivre seulement ceux qui se placent eux-mêmes hors de la société" -suite de la citation de Casimir-Perier-) et donc, parce qu'il est tel est placé hors du droit commun qui protège le citoyen. Elles sont des lois d'exception car elles punissent l'opinion, censée être le gage d'une intention criminelle, elle-même ouvrant potentiellement la porte, par un glissement hasardeux,  à l'acte criminel ou délictueux, qui en droit ordinaire est le seul susceptible d'être puni. Elles punissent également d'un nouveau délit, l'entente, mot volontairement vague et donc susceptible de toutes les interprétations, dont les cas judiciaires réels présentés dans le livre montrent qu'il a couvert des réunions non spécifiquement politiques (une beuverie dans un café, une réunion d'amis pour fêter un anniversaire, un simple échange de lettres dans le cadre privé ...) . Enfin, elles permettent la relégation en Nouvelle Calédonie à la suite de la peine de prison, double peine ici encore qui déroge aux règles démocratiques du droit .
Pour être des lois d'exception, elles ne sont pourtant pas réduites à des circonstances exceptionnelles car l'auteur démontre qu'elles sont toujours concaténées dans notre droit actuel, à l'exception de la loi de 1894 spécifiquement dirigée contre les "menées anarchistes" qui, elle, a été  abrogée en 1992.



La suite de l'ouvrage publie le texte des 3 lois, et les textes de la Revue blanche qui argumentent (brillamment) contre les lois. Parus en 1899, dans le contexte de l'Affaire Dreyfus, il s'agit d'une brochure de 62 pages qui se divisent en 3 parties : un argumentaire général de François de Pressensé, journaliste et futur président de la Ligue des droits de l'Homme, une présentation par Leon Blum (mais signée anonymement "un juriste") des conditions indignes dans lesquelles elles ont été adoptées par la représentation nationale et une collection d'exemples de leur application dans des cas judiciaires présentés par Emile Pouget, anarchiste et futur syndicaliste. Les auteurs sont présentés ainsi que les intentions et la ligne éditoriale de la Revue Blanche et le contexte de rédaction (le lien avec l'Affaire Dreyfus). Bref, il y a là une somme de textes d'époque et d'analyse qui peuvent facilement être utilisés pour une ou des études de cas très précise(s) et très instructive(s) pour les élèves sur la République bourgeoise et sa lutte contre les mouvements socialistes et anarchistes (tronc commun de Première), sur l’utilisation du  Droit et de la Loi en tant qu'instrument de l'arbitraire ou, au contraire, en tant que contre-pouvoir démocratique (SPE 1ere thème de la démocratie ou option de terminale DGEMC).



Une activité possible avec les élèves autour de ce thème, ici

mercredi 8 avril 2020

Elites urbaines et honorabilité dans les villes "françaises" des XIVe et XVe siècles

Quelques éléments tirés de l'ouvrage de Thierry Dutour, Une société de l'honneur : les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Age, Paris, Champion, 1998

Les épithètes d'honneur sont utilisés avec parcimonie dans les sources urbaines et ils se diversifient à partir du XIVe siècle.
L'adjectif "sire" est utilisé pour qualifier les hommes de pouvoir : il correspond à la traduction française du latin dominus.  Souvent utilisé seul, il peut être combiné avec d'autres épithètes ("honorable personne, sire Untel"). C'est un adjectif utilisé depuis le XIIIe siècle et qui semble moins courant à la fin du XIVe. Il est le plus souvent donné à de grandes et anciennes familles, pas forcément nobles, mais quasiment toujours bourgeoises.
Les adjectifs nouveaux sont "sage", "honorable", "honnête". en général, ils ne sont pas utilisés seuls, mais combinés, associés ("honorable discrète personne et sage"). L'adjectif "honnête" est le moins employé et semble le plus modeste : à Dijon, il qualifie des individus qui ne participent pas au pouvoir ducal, mai sont bourgeois et échevins. Les seuls autres dijonnais à être dits honnêtes sont des ecclésiastiques. Il souligne donc à la fois l'honorabilité et la probité (vient du latin honestus qui signifie à la fois honorable et conforme à la morale). On le trouve donc plus employé pour des personnes qui s'occupent des comptes municipaux.
L'adjectif "sage" (prudenter) toujours associé par "et" à "homme" ou "personne" est secondaire et n'est pas constitutif de l'honorabilité. Il a le sens d'expert : on affirme par là une compétence, acquise souvent par les études en droit et/ou par l'expérience de fonctions importantes. C'est aussi le cas du titre de "maître" qui est lié à la graduation en droit. L'importance que la société du XIVe siècle accorde à cette compétence est telle qu'il devient un aspect de l'honorabilité, mais qui ne se suffit pas à lui seul.

Ces épithètes d'honneur manifestent l'honorabilité, mais ils indiquent surtout les qualités sociales attendues des membres de l'élite.

Les activités des membres de l'élite urbaine dijonnaise sont toujours multiples.  C'est sans doute aussi pourquoi les dijonnais les plus éminents indiquent rarement leurs activités dans les actes notariés. Mais on peut tout de même avancer :
- Chez les riches, la diversité des  activités est grande et toujours combinée : (par nombre décroissant) le commerce -draps, laine, épicerie-, l'administration du duché -conseillers du duc, maîtres des comptes, baillis ou lieutenants du bailli-, la gestion des finances publiques -receveurs ducaux, monnayeurs- puis les professions juridiques -jurisconsultes, procureurs, notaires-
-Chez les non-riches, moins nombreux, ils appartiennent aux mêmes groupes d'activité (marchands, juristes), mais aussi sergents, un artisan. La spécialisation/mono-activité les caractérise. Globalement, les notables ne sont pas artisans : quand un artisan réussit, il est  artisan-marchand, par exemple les pelletiers. Les activités artisanales ne confèrent pas une notabilité propre à introduire dans l'élite, et n'enrichissent pas suffisamment. Un procureur désargenté aura plus de chances d'accéder à l'échevinage qu'un artisan, même enrichi.
- Les membres des grandes et anciennes familles sont principalement marchandes (en combinaison avec d'autres activités) tandis que les isolés (qui n'apparaissent qu'une fois dans les listes d'échevinage et/ou sans autre membre de leur famille) sont des "hommes nouveaux", des dijonnais d'adoption, membres d'une famille en général récente ou de noblesse rurale et ils sont d'abord des administrateurs au service du duc, des gestionnaires des finances publiques.
- On remarque que sur la 2e partie du XIVe siècle, les positions des anciennes familles s'érodent. Elles perdent leurs positions dans le service du duc avec Philippe le Hardi qui introduit ses hommes...lesquels profitent aussi pour se positionner dans le commerce réglementé du sel (la gabelle du sel est établie en 1383) => la stratification de l'élite n'est pas figée, l'élite se renouvelle.

Résumé de la conclusion générale :

1- la banalité dijonnaise
La ville qui se développe de façon visible à partir du XIIe siècle apparaît comme l'un de ces innombrables marchés d'importance locale dont la prospérité est intimement liée à celle des campagnes avoisinantes. La ville, en fait puis en droit, n'a qu'un seul seigneur. Elle forme, depuis la construction de l'enceinte de 1137, une seule unité topographique. Les habitants jouissent de franchises au XIIe s, on ne sait pas exactement quand et possède depuis 1183 une commune au sein de laquelle l'aristocratie des chevaliers citadins joue, comme ailleurs, un  rôle de 1er plan. Dijon n'est pas un foyer industriel et commercial important, comme le sont bien des villes de Flandres, ou d'urbanisation récente, elle n'est pas non plus une ville qui s'éveille aux libertés communales avec la bienveillance intéressée d'une monarchie aux abois. Elle n'est ni ville royale, ni ville frontière, ni ville épiscopale. Mais y siègent les organes centraux de l'administration méridionale des possessions du duc de Bourgogne.
2- les principes de cohésion de la société urbaine
---------------------> La société urbaine est hiérarchisée. Pour les citadins, hiérarchie et organisation sont synonymes. La stratification s'organise en fonction de l'estime social accordée à chacun, estime sociale qui dépend de la notabilité, elle-même liée aux activités, au mode d'insertion dans la société et au niveau et au type de fortune de la famille.
On distingue 4 strates sociales principales. Les exclus du discours, les menus (de 60 à 65% de la population citadine). Entre eux et les moyens (environ 20%) et les notables (10%) il y a une vraie barrière sociale hermétique : les moyens peuvent par des mariages et des relations économiques conclure des alliances avec les notables, en revanche il n'y a que des rapports de soumission économique entre les menus et les autres.
---------------------> L'intégration à la société locale est permise par une installation stable et par l'appartenance à une famille. Celle-ci est le lieu naturel des activités, courantes entre parents, relativement rare entre individus qui ne le sont pas et alors toujours conçue sur le modèle des relations familiales.
=> La société urbaine est conçue comme une association de chefs de famille
=> La notabilité est liée à l'ancienneté de l'installation des famille à Dijon ainsi qu'à leur taille. cf Christine de Pisan "bourgeois sont ceulz qui sont de nation ancienne, enlignagiez ès citéz".
Ainsi richesse et notabilité ne coïncident pas exactement. Voilà pourquoi les chiffres moyens du nombre d'activités économiques exercées par les membres de l'élite s'ordonnent en une progression rigoureusement inverse de celle des degrés de notabilité.
3- une organisation des relations sociales
-------------------> Il y a consensus des habitants de la ville sur des conceptions sociales et politiques : il n'y a pas contestation de la supériorité de ceux qui satisfont à leurs critères d'attribution de la prééminence sociale + consensus sur la justification et les buts du pouvoir municipal (servir le prince et le bien public) et sur ses formes d’organisation (participation des habitants aux affaires communes qui en  confient la direction à l'élite sociale, mais celle-ci doit consulter pour les affaires les plus graves un conseil élargi aux "moyens", voire organiser des assemblées ouvertes au "commun".
------------------> L'élite se présente comme une minorité organisée formant une unité sociale cohérente, même si on peut distinguer des sous-groupes
-------------------> On ne distingue pas d'opposition entre l'élite et les "moyens", à la différence de ce qui se passe dans bien d'autres villes. Certes, les artisans installés et les chefs des métiers n'exercent pas le pouvoir, mais ils sont associés de diverses façons à son exercice et physiquement comme socialement, les notables ne s'isolent pas du reste de la société : ils fréquentent des "moyens", prêtent de l'argent, parfois même se marient (surtout élite nouvelle)
-------------------> Il y a parfois des conflits entre la ville et le duc (défense, impôts, finances...) et parfois, en général pour des questions fiscales, la violence de la rue nécessite l'intervention de l'armée du duc. Dans ce cas, on ne voit pas les moyens prendre la tête du mouvement populaire.
4- Permanences et évolutions
---------------> L'accroissement des compétences du pouvoir municipal, comme ailleurs dans le royaume au XIVe siècle. Après 1350, le pouvoir municipal jouit de compétences administratives et financières plus étendues.
---------------> Le renouvellement de l'élite, par sédimentation successives. Il n'y a pas remplacement. Après 1341, ascension de nouvelles familles et d'isoles qui font souche grâce au service du duc. Le renouvellement des activités se fait plus rapide. La physionomie de l'élite change lentement, mais pas son organisation en degré de notabilité. Globalement, les membres des grandes familles récentes prospérèrent dans le négoce tandis que les isolés se signalent d'abord dans le service du prince et que les anciennes familles connaissent à partir des années 1370 un effacement relatif sans doute liée à la conjoncture économique générale en Bourgogne (baisse de la population, baisse de la demande de biens de consommation courante)
---------------> Une importance de plus en plus forte de l'honorabilité dans la conception de l'organisation sociale de la part de l'élite. On le devine à divers indices dont la signification apparaît quand on les réunit : diversification du vocabulaire de l'honorabilité et des formes de distinctions sociale (consommation somptuaire ...), importance plus forte attribuée à l' "estat" qui est notée plus systématiquement dans les sources, par exemple les contrats de mariage, discrétion plus grande dont ils entourent les prêts d'argent (et donc le versement d'intérêt), place très restreinte des professions artisanales dans les activités de l'élite, plus forte endogamie entre familles appartenant à l'élite. Cette période est celle aussi de la prédominance sociale des bourgeois. Ils représentent alors plus de 68% des membres de l'élite. Même les nobles se disent avant tout bourgeois dans les actes notariés. En fait, la bourgeoise a assimilé la noblesse urbaine.


Notes de lecture de l'article de Michel Hébert, "Communications et société politique : les villes et l'Etat en Provence aux XIV et XVe siècles" , dans La circulation des nouvelles au Moyen Age, XXIVe Congrès de la SHMESP, publications de la Sorbonne et de l'Ecole française de Rome, 1994

Sans reprendre les éléments concrets de la démonstration basée sur les délibérations de la ville de Sisteron à propos d'une levée d'impôt pour le roi en 1389, je vais directement aux conclusions et tout particulièrement à celle qui m’intéresse dans le cadre de ce post. La ville de Sisteron dépêche à plusieurs reprises des ambassadeurs pour négocier avec les commissaires royaux et l'affaire dure près de 8 mois, singulièrement auprès du sénéchal, dur à rencontrer car il bouge tout le temps. Ils offrent à ces occasions des cadeaux et multiplient les rencontres avec les envoyés des autres villes, avec des individus importants de la région (important car bien insérés dans les réseaux locaux et nationaux) et pour leur cause. => complexité du réseau des interlocuteurs : le sénéchal et/ou ses commissaires + mes subtilités juridiques rendent nécessaires de recourir à des avocats ou procureurs à la solde de la ville, en résidence permanente dans la capitale régionale (Aix, là où siègent les Etats provinciaux et les grands officiers de justice). Le réseau d'interlocuteurs des villes provençales est loin de se limiter à la cour royale (un recours direct au roi est toujours envisageable) ou à son personnel. Les villes entretenaient entre elles des réseaux serrés d'amitié et de conjonction d'intérêt (ex "je paye l'impôt si toutes les autres villes le payent aussi ..." , savoir où se trouvent les troupes de brigands, cf aussi la guerre de l'Union d'Aix) et on soupçonne, au hasard de quelques notations éparses, qu'elles cultivaient aussi des amitiés auprès des nobles et prélats généralement possessionnés à proximité de leurs territoire : dans le dossier présenté par l'article, on apprend que la ville de Sisteron consulte plusieurs seigneurs pour obtenir leur avis sur l'opportunité de conclure une alliance entre les villes de Sisteron, Apt et Forcalquier. => Dense réseau d'amitiés, mal connu + réseau coûteux qu'il faut entretenir au prix de beaucoup de cadeaux et d'attention (tout comme les ambassades auprès des officiers royaux sont toujours l'occasion de cadeaux apportés par la ville. Ces cadeaux sont codifiés : on voit souvent des ambassades des villes pour se renseigner sur ce qu'il est opportun d'offrir) + il faut aussi avoir les recommandations...= rituel de soumission et d'amitié.

Ainsi, pour élargir et synthétiser le propos, l'auteur conclut de la manière suivante : "il me semble que du point de vue des communautés d'habitants en Provence aux XIVe et XVe siècles, le développement extraordinaire de l'Etat et de la ponction fiscale a agi comme catalyseur de la formation d'une société politique, c'est-à-dire d'un groupe restreint d'élites urbaines de plus en plus spécialisées et ayant par nécessité un réseau complexe d'échanges entre elles." Ce petit groupe de gens fortunés qui partout accaparent le pouvoir urbain, se le "passent" entre eux par cooptation ou par élection, ne laissant que peur de place à l'arrivée d'homes nouveaux, se caractérise en relation avec les qualités attendues pour les fonctions et les charges qu'ils occupent. C'est sur ce point que je vois la jonction avec la première partie du post sur Dijon. 
  • la fréquence et la longueur des assemblées et ambassades exigent une grande disponibilité
  • la nature délicate des missions suppose un vaste et diversifié réseau d'amis et de relations
  • Exigence fréquente de se porter garants sur ses biens personnels ou d'avancer des sommes pour la cité suppose pour ces élites une assise financière solide

mardi 17 mars 2020

Fiche communisme au 20e siècle


LE COMMUNISME AU 20e SIECLE : LE MODELE SOVIETIQUE
ORIGINES
(remercions les grands Marx, Engels, Lenine, Staline -de gauche à droite-)
Marx (philosophe et journaliste allemand du milieu du 19e siècle) Il est le fondateur du marxisme, à la base du communisme. Il théorise que les sociétés sont organisées sur l’affrontement de deux catégories sociales aux intérêts opposés : les exploités (nommés prolétaires) et les exploiteurs (la bourgeoisie). C’est la lutte des classes. Cette lutte des classes doit mener, grâce à une révolution, à abattre la domination bourgeoise. Les prolétaires au pouvoir organisent la dictature du prolétariat, c’est-à-dire un démocratie mais réservée aux prolétaires. Les « ennemis de classe » (la bourgeoisie) ne bénéficie pas des droits démocratiques
Révolution russe :
Oct 17 : les bolcheviks, dirigés par Lenine, s’emparent du pouvoir en Russie

1917-1920 : Guerre civile –Blancs contre-révolutionnaires contre Rouges communistes

1922 : création de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) 1er pays communiste au monde.

UN MODÈLE DE SOCIÉTÉ IDÉALE ?
UN RÉGIME TOTALITAIRE
Socialement 
·                    Une société sans classe sociale => égalité absolue (devant la loi, mais aussi égalité économique)

·                   Pas de propriété  privée.
·                   Nomenklatura (les cadres dirigeant du PC sont privilégiés)

·                   Dictature du prolétariat <= lutte contre les ennemis du régime, les bourgeois
Politiquement
·                   Suffrage universel direct (y compris féminin)
·                   Soviet (assemblées syndicales décisionnaires)
·                    Parti unique
·                    Culte du chef
Économiquement
·                   Collectivisation de l’agriculture
·                   Planification de l’économie
·                   Nationalisations de tous les secteurs d’activité.

·                    Répression contre les paysans
·                    Plan irréaliste, qui privilégie l’industrie lourde (sidérurgie…) et l’armement au détriment des industries de biens de consommation
·                    Pénuries et famines
Vie quotidienne
Changer les mentalités pour créer un « Homme nouveau »
·                    Surveillance , contrôle et encadrement de la population dans tous les moments de la vie
·                    Répression (GOULAG = camps de travail)
·                    Propagande omniprésente

LE « GRAND FRÈRE » SOVIÉTIQUE MONTRE LA VOIE AUX COMMUNISTES DU MONDE ENTIER
La révolution bolchevique est la première révolution communiste au monde…et elle a réussi. L’URSS jouit d’un immense prestige auprès des communistes du monde entier. Elle devient la « patrie des travailleurs », de tous les travailleurs…fidèle au mot d’ordre de l’Internationale : « travailleurs du monde entier, unissez-vous »
Lénine appelle à la révolution mondiale. Mais à sa mort, en 1924, les tentatives de révolution ailleurs en Europe ont échoué.

Staline, qui dirige l’URSS entre 1928 et 1953, décide de « construire le socialisme dans un seul pays » = renforcer d’abord la puissance de l’URSS avant d’exporter la révolution.
Après la 2e guerre mondiale, l’URSS devient le 2e super-grand. C’est le début de la Guerre froide contre les EUA. En 1947, l’URSS crée le Kominform, l’internationale communiste qui regroupe les PC du monde entier et obéit au « grand frère soviétique ».

1949 : La Chine devient communiste. C’est le début de l’amitié sino-russe.

Mao se lance dans des réformes pour « soviétiser » son pays . Mais il prend petit à petit son indépendance…

D’autres pays (période de Guerre froide) entrent dans le bloc des pays communistes.

La Chine dispute à l’URSS son rôle de leader.

dimanche 26 janvier 2020

Obéir ...ou pas, au pouvoir politique

Au croisement de plusieurs de nos cours, il y a cette question de l'obéissance. Comme nos collègues de SES et de Philo, j'utilise souvent la référence à l'expérience de Milgram pour expliquer les processus d'obéissance : il s'agit donc de montrer qu'il est difficile pour un individu "normalement" socialisé de désobéir à une autorité, surtout s'il la juge légitime. C'est pourquoi la démocratie dans laquelle l'autorité de l'Etat dérive de la Loi, qui elle-même est censée être l'expression de la volonté générale, réclame et obtient des citoyens une obéissance quasi générale.

Dans l'ancien programme, on pouvait filer ce thème sur plusieurs cours, l'installation de la République en France et à contrario, les régimes totalitaires. Désormais, les cours sont "explosés" sur les deux années de Première et de Terminale. Cependant, je propose dans le même post les ressources que j'utilisais.

Sur les processus d'obéissance :


vidéo "le jeu de la mort" (disponible sur Youtube) pour présenter l'expérience de Milgram => la 1ere heure. Puis discussion avec les élèves et cette fiche pour fixer une trace écrite.

OBEIR : COMPRENDRE LES RESULTATS DE L’EXPERIENCE DE MILGRAM
Stanley Milgram qualifie les résultats de : "inattendus et inquiétants", car aucun des participants n'a eu le réflexe de refuser et de s'en aller. Et une proportion importante d'entre eux (60%) a continué jusqu'au niveau de choc le plus élevé du stimulateur.
S. Milgram en déduit que :
1.      Le mal pouvait être perçu comme banal et que ceux qui avaient administré les chocs les plus élevés l'ont fait car ils s'y croyaient contraints moralement de par l'idée qu'ils se faisaient de leur obligation. Il a considéré que les pulsions agressives étaient en la circonstance peu en cause.
S. Milgram consacre quelques pages à démontrer que l'agression n'est pas à la source des comportements des sujets (205 à 208) ; qu'ils n'ont pas profité de l'expérience pour assouvir des pulsions sadiques.  
2.     Le conditionnement de chaque personne, avec toutes ses inhibitions s'oppose à la révolte et arrive à maintenir chacun au poste qui lui a été assigné.
3.     La mise en scène et les moyens exposés ont suffi à neutraliser efficacement les facteurs moraux.
=> Qu'est-ce qui rend le sujet aussi obéissant ?


  1.    Le désir de tenir la promesse faite au début à l'expérimentateur et d'éviter tout conflit.
Le sujet perçoit l'expérimentateur comme ayant une autorité légitime au regard de sa position socioprofessionnelle, des études qu'il est censé avoir faites... => souhait de se montrer "digne" de ce que l'autorité attend de lui... + Refuser d'obéir, serait un manquement grave aux règles de la société, une transgression morale. Il éprouve une forte angoisse à l'idée de rompre ouvertement avec l'autorité.
=>La perspective de cette rébellion  et du bouleversement d'une situation sociale bien définie qui s'en suivra automatiquement constitue une épreuve que beaucoup d'individus sont incapables d'affronter.

 2.  La tendance pour l'individu à se laisser absorber par les aspects techniques immédiats de sa tâche, lui faisant perdre de vue ses conséquences lointaines.

3. Le besoin ressenti de continuité de l'action : le fait de poursuivre jusqu'au bout rassure le sujet sur le bien fondé de sa conduite antérieure. Il neutralise ainsi son sentiment de malaise (sa mauvaise conscience) vis à vis des précédentes actions avec les nouvelles. 
C'est ce processus fragmentaire qui entraîne le sujet dans un comportement destructeur. La facilité à nier sa responsabilité quand on est un simple maillon intermédiaire dans la chaîne des exécutants d'un processus de destruction et que l'acte final est suffisamment éloigné pour pouvoir être ignoré.  La fragmentation de l'acte humain total permet à celui qui prend la décision initiale de ne pas être confronté avec ses conséquences. 
La fragmentation de l'acte social est le trait commun le plus caractéristique de l'organisation sociale du mal. L'individu ne parvient pas à avoir une vue d'ensemble de la situation, il s'en remet à l'autorité supérieure.

=>  l'abandon de toute responsabilité personnelle en se laissant instrumentaliser par le représentant de l'autorité. = état « agentique »
Certains voient les systèmes érigés par la société comme des entités à part entière. Ils se refusent à voir l'homme derrière les systèmes et les institutions. Quand l'expérimentateur dit : "l'expérience exige que vous continuiez", le sujet ne se pose pas la question : "l'expérience de qui ? ". Pour certains "l'Expérience" était vécue comme ayant une existence propre.

4.   La capacité à justifier psychologiquement l'acte cruel en dévalorisant la victime
Beaucoup de sujets trouvaient nécessaire de déprécier la victime "qui s'était elle-même attiré son châtiment par ses déficiences intellectuelles et morales".

5. La difficulté à transformer convictions et valeurs en actes.
Certains sujets étaient cependant hostiles dans une certaines mesure à l'expérience. Ils protestaient sans cesser toutefois d'obéir. Les manifestations émotionnelles observées en laboratoire (tremblements, ricanements nerveux, embarras évident) prouvent que le sujet envisage d'enfreindre les règles. 
D'autres éléments sont à prendre en compte dans le processus de l'obéissance :
Les causes profondes de l'obéissance sont inhérentes aussi bien aux structures innées de l'individu qu'aux influences sociales auxquelles il est soumis depuis sa naissance. Stanely Milgram renvoie à différentes approches comme la thèse évolutionniste et l'adaptation, la théorie sur les effets de groupe. Et notamment :

  •          La définition claire du statu de chacun pour maintenir la cohésion de la bande.
  •        La propension de chaque individu à se rallier au groupe même quand il a irréfutablement tort. (S. Milgram renvoie ici aux expériences menées par E. Asch).
  •          La volonté des personnes à vouloir s'intégrer dans la hiérarchie, et les modifications conséquentes de comportements qui vont s'en suivre. Ce processus est en rapport avec une structure de récompense. La docilité rapporte à l'individu une récompense, alors que la rébellion entraîne le plus souvent un châtiment.
S. Milgram rappelle aussi que parmi les nombreuses formes de récompenses décernées à la soumission inconditionnelle, la plus ingénieuse reste celle qui consiste à placer l'individu dans une niche de la structure dont il fait partie. Cette "promotion" a pour but principal d'assurer la continuité de la hiérarchie. 

  •      L'identification de l'autorité à la norme.
La légitimation d'un contrôle social par une 'idéologie justificatrice. "Lorsqu'on est à même de déterminer le sens de la vie pour un individu, il n'y a qu'un pas à franchir pour déterminer son comportement". Tout en accomplissant une action, le sujet permet à l'autorité de décider à sa place de sa signification. Cette abdication idéologique constitue le fondement cognitif essentiel de l'obéissance.


Tension et désobéissance : Quelles ont été les sources de tension chez les sujets ?
- les cris de douleurs de « l'élève » provoquant une réaction spontanée,
- la violation des valeurs morales et sociales inhérente au fait d'infliger des souffrances à un innocent,

- la menace implicite de représailles par la victime, certains sujets craignant que leur conduite soit répréhensible sur le plan légal,
- la dualité provoquée par la contradiction des exigences reçues simultanément par l'expérimentateur et l'élève (la victime),
- l'incompatibilité de l'image qu'ils ont d'eux même pendant l'action avec celle qu'ils se font d'eux même.

La tension éprouvée par les sujets ne montre pas la puissance de l'autorité mais au contraire sa faiblesse. Pour certains la conversion à l'état agentique n'est que partielle. Si son intégration dans le système d'autorité était total, le sujet n'éprouverait pas d'anxiété en exécutant les ordres aussi cruels soient-ils.

Tout signe de tension est la preuve manifeste de l'échec de l'autorité à convertir le sujet à un état agentique absolu. Le pouvoir de persuasion du système d'autorité mis en place au laboratoire est évidemment sans commune mesure avec ceux des systèmes tout-puissants, comme les structures totalitaire d'Hitler et de Staline. Dans ces structures les subordonnés s'identifiaient avec leurs rôles.
 S. Milgram compare l'absence de conscience des sujets pendant l'expérience, à un sommeil dans lequel les perceptions et réactions sont considérablement diminuées, mais pendant lequel un fort stimulus peut faire sortir l'individu de sa léthargie.

Quels sont les mécanismes qui permettent la résolution de la tension ?

- Le refus d'obéissance. Mais peu d'individus en sont capables car ils choisissent des moyens moins radicaux et plus faciles pour réduire leur tension. 
- La dérobade est le plus primitif de ces mécanismes. C’est le plus répandu car le plus facile. = Le sujet tente de se dissimuler les conséquences de ses actes. + se désintéresser de la victime. Elle vise l'élimination psychologique de la victime comme source de malaise.  + le refus de l'évidence. Proche de la dérobade, ce mécanisme a pour but de prêter une fin plus heureuse aux évènements. C'est une force de persuasion aussi bien pratiquée par les bourreaux que par les victimes.

Mais le comportement le plus répandu durant l'expérience est :
- Le refus de leur propre responsabilité. C'est le comportement de rationalisation par excellence, qui s'exprime par différentes voix pour justifier de la légitimité de l'expérience,
- Certains sujets ont utilisé des subterfuges afin de diminuer leur tension.
Cette façon d'aménager l'ordre reçu n'est en fait qu'un baume sur la conscience du sujet. C'est une action symbolique révélant l'incapacité du sujet à choisir une conduite en accord avec ses convictions humanitaires, mais qui l'aide à préserver son image.
Sans rejeter les ordres, certains sujets ont essayé d'en diminuer la portée, par exemple, en envoyant quand même la décharge électrique ordonnée, mais en diminuant le temps, ou l'intensité. D'autres essayaient de faire comprendre à l'élève quelle était la bonne réponse par des intonations de voix.

En réduisant à un degré supportable l'intensité du conflit que le sujet éprouve, ces mécanismes lui permettent de conserver intacte sa relation avec l'autorité.

Processus de la désobéissance :
 Désobéir est un acte très anxiogène, il implique non seulement le refus d'exécuter un ordre, mais de sortir du rôle qui a été assigné à l'individu (ici au sujet). Ce qui crée à une petite échelle une forme d'anomie.
 Alors que le sujet obéissant rejette sur ce dernier la responsabilité de son action, le sujet rebelle accepte celle de détruire l'expérience. Il peut avoir l'impression corrosive de s'être rendu coupable de déloyauté envers la science.
Ce processus est le difficile chemin que seule une minorité d'individu est capable de suivre jusqu'à son terme. S. Milgram insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une démarche négative, mais au contraire d'un acte positif, d'une volonté délibérée d'aller à contre-courant : "La désobéissance exige non seulement la mobilisation des ressources intérieures, mais encore leur transformation dans un domaine situé bien au-delà des scrupules moraux et des simples objections courtoisement formulées : le domaine de l'action.
On ne peut y accéder qu'au prix d'un effort psychique considérable."
Conclusions
Tout être possède une conscience qui endigue avec plus ou moins d'efficacité le flot impétueux de ses pulsions destructrices. Mais quand il s'intègre dans une structure organisationnelle, l'individu autonome cède la place à une créature nouvelle privée des barrières dressées par la morale personnelle, libérée de toute inhibition, uniquement préoccupée des sanctions de l'autorité.
Pour le promoteur de l'expérience les résultats sont perturbants. Ils incitent à penser qu'on ne peut faire confiance à l'homme en général ou, plus spécifiquement au type de caractère produit par la société démocratique pour mettre les citoyens à l'abri des cruautés et des crimes contre l'humanité dictés par une autorité malveillante.
A une très grande majorité, les gens font ce qu'on leur demande de faire sans tenir compte de la nature de l'acte prescrit et sans être réfrénés par leur conscience dès lors que l'ordre leur paraît émaner d'une autorité légitime



Pour l'Allemagne nazie :

en complément du cours sur les Régimes totalitaires, une étude des mécanismes de propagande dans un discours d'Hitler et un cours spécifique de synthèse et d'approfondissement sur l'appareil d'Etat nazi dont la trame était celle-ci :

Rétrospectivement, l’impasse du régime et de la politique nazie saute aux yeux : un éminent historien biographe de Hitler (Ian Kershaw Hitler) souligne à raison que Hitler n’a jamais rien fait d’autre que détruire, jusqu’à mener son pays et son peuple dans une impasse autodestructrice à la fin de la 2nde GM. C’est pourquoi la question se pose : comment et pourquoi les Allemand, peuple civilisé s’il en est, se sont-ils laissé entraîné dans de telles folies meurtrières ? Pourquoi et comment les garde-fous de la raison et de l’intérêt n’ont-ils jamais fonctionné ? Pour répondre à cette interrogation qui est sans doute la cause de la fascination qu’exerce cette période chez le plus grand nombre, il nous faut comprendre les processus d’obéissance mis en place par le régime nazi.


I/ Un pouvoir charismatique
A) Hitler, un homme providentiel
Hitler, un médiocre nationaliste allemand 

                        Mais qui sut tirer parti d’un contexte troublé pour l’Allemagne 
Démocratie en crise, attaquée par les élites
Pop touchée de plein fouet par la crise économique

Un programme « attrape-tout’ : Nationalisme + parti ouvrier + parti autoritaire (autorité de l’Etat)

B) Une idéologie qui répond aux peurs des Allemands
Une population invitée à se confier à la toute puissance de l’Etat  et du parti 
Activisme agressif de la pol etr
Pol sociale et economique à l’impulsion de l’Etat

                        Une population valorisée pour ce qu’elle est = la communauté nationale
Race aryenne
Lebensraum

                        Les ennemis désignés comme bouc-émissaires 
Faibles, fragiles, malades, étrangers mais surtt les juifs
Idéologie et propagande antijuive + cf. les pseudo justifications scientifiques
Progressivité des lois antijuives qui les excluent progressivement de la communauté nationale

C) Un charisme renforcé par une propagande omniprésente
                        Culte du chef 
Homme providentiel cf les grands rassemblements de Nuremberg, scénographie
Serment de fidelite pour tous les fonctionnaires => légitimité de l’Etat remplacée par des liens personnels

                        Pop embrigadée 
Propagande scolaire
Associations/organisations nazies qui remplacent les organisations syndicales, de jeunesse (socialistes et catholiques ou protestantes)

                        Pop à qui l’on ment
Les décisions les plus graves sont cachées : « solution finale » , « figure » au lieu de mort…

II/ Un pouvoir dictatorial
A) qui récompense ses fidèles
                        Une structure originale de pouvoir qui tire parti des initiatives autonomes de ses acteurs 
Cf fuhrerprinzip
= Compétition entre « grands » du régime pour se faire écouter de Hitler (Goering contre Von Ribbentrop)
Résultat de la dissolution de toutes les autres structures d’autorité (les Lander notamment)

                        Avec la promesse d’avancement, d’enrichissement pour les serviteurs zélés 
Ex Goering
Cf les privilèges de la SS
+ « colifichet »

B)  et condamne ses opposants 
                        Quoi ?
Procès politiques
Exil /Camp de travail dits de réhabilitation (Dachau 1933)

                        Qui ?
Arrestations massives et dissolution/interdiction de tous les partis d’opposition
Ouvriers/ syndicalistes ….tous suspects de bolchévisme
Juifs

R) En revanche, n’ont jamais été inquiété les milieux économiques , l’armée, les églises, les paysans, ni même véribalement les intellectuels (même si autodafé des œuvres de « l’art dégénéré » …)
 150 000 morts dans les années 30 (procès politiques) et 180 000 pdt 2nde GM


Sur la possibilité de désobéir en démocratie,

je faisais une rapide présentation de la désobéissance civile, suivie d'un débat avec les élèves à partir d'une étude de cas, en fonction de l'actualité, de plus en plus, récemment, sur les lanceurs d'alerte.


L’EXERCICE DE LA CITOYENNETE
Obéir, désobéir : jusqu’où ?
Doc 1

Extrait de l’introduction du livre Pourquoi désobéir en démocratie ? , Ogien  et Laugier, La Découverte ed.
"Les appels à la désobéissance civile se sont mis à proliférer dans la France de la fin des années 2000. Le refus délibéré de suivre les prescriptions d’une loi, d’un décret ou d’une circulaire tenus pour indignes ou injustes semble devenu une forme courante d’action politique. Et, sans que personne ne sache si ce phénomène n’est qu’un effet de mode, ou s’il va transformer durablement les pratiques de la démocratie représentative, le recours à la désobéissance civile s’étend.
La liste des groupes d’individus qui s’engagent dans ce genre de protestation s’allonge : travailleurs sociaux et professionnels de santé qui refusent de livrer leurs secrets professionnels aux maires dans le cadre de la politique de « Prévention de la délinquance » ; membres du Réseau Éducation sans frontières (RESF) qui cachent ostensiblement les élèves étrangers menacés d’expulsion ; militants associatifs qui viennent en aide aux clandestins dans la « zone de transit » de Calais ; arracheurs volontaires d’OGM cultivés en plein champ ; agents de l’ANPE qui refusent de se plier à l’obligation qui leur est faite de contrôler la régularité du séjour en France d’un étranger demandeur d’emploi et d’en informer la préfecture de police ou qui refusent de communiquer des noms de chômeurs afin de procéder à leur radiation ; citoyens qui refusent de se soumettre à un prélèvement ADN à la suite d’une interpellation par la police ; inspecteurs du travail qui n’acceptent pas de traquer les étrangers en situation irrégulière sur leur lieu de travail ; enseignants qui « retiennent » les notes ou suspendent leur participation aux instances d’évaluation ; parents, proches et médecins qui déclarent ouvertement avoir pratiqué l’euthanasie. Et cette liste pourrait encore comprendre ces « jeunes » qui se réunissent dans les halls d’immeubles et dans les cages d’escalier ou portent des cagoules en signe de défi à la police…
Les raisons qui poussent à contrevenir délibérément à une loi, un décret, une circulaire ou un article de règlement en faisant de leur refus d’obtempérer un acte politique sont différentes. Mais, au-delà de leur disparité, ces actes posent une même question :  EST-IL LEGITIME DE DESOBEIR EN DEMOCRATIE ?"


La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent. Le terme fut créé par l'américain Henry David Thoreau dans son essai Résistance au gouvernement civil, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique.
Q/ Historiquement, dans quels cas la désobéissance au pouvoir a-t-elle été pratiquée ?
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R/La désobéissance civile est une forme d'action non-violente qui s'est développée au cours du XX° siècle à partir d'expériences de luttes socio-politiques comme l’action non-violente de Gandhi contre le colonisateur anglais, les marches des afroaméricains dirigées par Martin Luther King pour réclamer leurs droits civiques ….


Q/Pourquoi le principe de la désobéissance civile pose un problème en démocratie ?
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R/ Dans un régime politique où l’organisation de la société civile et le dialogue social sont des réalités  et où les alternances politiques existent, le fait qu’une partie de la population refuse d’appliquer une loi ou un texte réglementaire porte en lui une menace pour le principe même de la démocratie. C’est la raison pour laquelle il est si difficile d’y reconnaître un droit à la désobéissance civile, c’est-à-dire d’octroyer aux citoyens la liberté de se soustraire à la « loi républicaine » en revendiquant la légitimité de leur décision.

Q/ A quelles conditions la désobéissance civile est-elle acceptable en démocratie ?
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R/Six éléments sont caractéristiques d'un acte de désobéissance civile :
  •   Une infraction consciente et intentionnelle
  • Un acte public
  •     Un mouvement à vocation collective
  • Une action pacifique
  • Un but : la modification de la règle
  • Au nom de principes supérieurs
Y a-t-il un droit à la désobéissance civile ?

Elle n'est pas explicitement reconnue juridiquement dans la hiérarchie des normes françaises. Toutefois l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que :
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
Or, le Préambule de la Constitution de 1958 est très court mais il renvoie à deux textes fondamentaux dans notre histoire juridique : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et le préambule de la Constitution de 1946. Ces deux textes ont valeur normative.
Cependant l'affirmation de ce droit reste quelque peu théorique et n'est pas directement utilisée par les magistrats lors de jugement de personne ayant commis un acte de désobéissance. Une autre norme du droit français interprétée a contrario (article 433-6 du code pénal) accorde une certaine protection aux personnes faisant des actes de rébellion à l'égard de fonctionnaires publics qui agiraient sans titre (par exemple dans le cas d'une perquisition sans autorisation du Juge des Libertés et de la Détention). D'autre part, lorsqu'un fonctionnaire reçoit un ordre manifestement illégal, il lui appartient d'y opposer un refus d'obéissance (article 122-4 du code pénal).

 De plus, un même argument politique fonde toujours le recours à la désobéissance civile  : une démocratie se grandit en œuvrant à élargir l’espace de liberté et à garantir l’exercice des contre-pouvoirs dont les citoyens disposent ; elle s’affaiblit lorsqu’elle cherche à étouffer les revendications d’extension des droits individuels au nom de la règle majoritaire, de la raison d’État ou en décrétant que la légalité ou la sécurité sont en péril 
Ceux qui décident de pratiquer la désobéissance civile tablent sur la force de l’exemple personnel pour sensibiliser leurs concitoyens à une cause dont ils pensent qu’elle devrait les concerner, en comptant parfois sur le fait que cet acte inhabituel mobilisera des médias friands de ce genre d’événement et donnera écho à leur revendication. C’est peut-être ce qui leur permet de tenir un engagement qui réclame de s’investir dans un combat qui risque de durer longtemps avant qu’il ne débouche sur une fin satisfaisante.

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