Cuba si, Yankee no (10 juillet 1960)
Camarades,
Nous sommes […] réunis dans ce lieu […] qui, de toutes les tribunes révolutionnaires de Cuba, symbolise le mieux la dignité et l’ardeur militante de son peuple.[…] Le peuple réuni ici a dit NON à l’intrusion étrangère […]jusqu’à faire de Cuba l’avant-garde de l’Amérique. Et à ce moment-là, l’Amérique lâcha ses fauves qui étaient, malheureusement les fils de ce même peuple et qui, de Floride, se jetèrent sur une Havane sans défense.[…][Alors] nous nous sommes trouvés en présence de l’avertissement du Premier Ministre de l’URSS (Applaudissements) qui bouleverse le caractère de notre propre avertissement. Envahir Cuba maintenant ne signifierait nullement la destruction de tous ses édifices par les bombes ennemies, cela ne signifierait pas seulement le massacre sans pitié de nos fils, de nos femmes, de tout notre peuple par les forces aériennes et par l’énorme supériorité de l’ennemi, cela signifierait quelque chose de plus qui doit faire réfléchir les hiérarques du Nord : l’invasion signifierait que les missiles atomiques peuvent effacer une fois pour toutes la nation qui incarne aujourd’hui la misère du colonialisme.(Applaudissements)
Ces fils du Pentagone et des monopoles nord-américains qui ont promené jusqu’à présent, sur les champs d’Amérique, leur arrogance, doivent prendre garde et bien penser à cela : Cuba n’est plus l’île solitaire au milieu de l’océan, ayant pour seule défense les poitrines de ses fils et les poitrines généreuses de tous les déshérités du monde. Cuba est aujourd’hui une île glorieuse au centre des Caraïbes, défendue par les missiles de la plus grande puissance militaire de l’Histoire.[…] Aujourd’hui, [les Etats-Unis] se trouvent face à une situation mondiale extrêmement neuve. La balance du pouvoir s’est inclinée définitivement dans le monde et les forces partisanes de la paix et de la coexistence pacifique ont triomphé et ces forces augmentent de jour en jour, et leur pouvoir de représailles devient de plus en plus redoutable.[…] Comme message à notre chef suprême qui n’est pas parmi nous en cette occasion, comme expression globale de la volonté d’un peuple, je vous demande de faire vibrer dans l’appareil récepteur de Fidel un seul cri lancé par toutes les bouches cubaines : « Cuba si, Yankee no ! » (La foule reprend le cri)
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Éléments d'analyse
Che Guevara = archétype du révolutionnaire moderne, symbole de la lutte des pays d’Amérique latine pour leur indépendance vis-à-vis de la domination américaine. Médecin argentin, marxiste, il abandonne tout pour soutenir le gouvernement du Guatemala en pleine réforme agraire en 1953, mais celui-ci est renversé par la CIA. Puis il s’associe à la révolution cubaine contre Batista, dictateur corrompu soutenu par les EUA. Ancienne colonie espagnole, Cuba est libre depuis 1901, mais les Américains y contrôlent le pouvoir politique et exploitent les principales ressources économiques (plantations de tabac, de canne à sucre + tourisme). Cuba est aussi l’arrière-cour des opérations mafieuses qui ont pour débouché le marché US.
La révolution aboutit au début de l’année 1959. Castro devint le 1er ministre du nouveau régime, reconnu par les EUA. Mais la rupture entre les deux pays a lieu très vite et se voit dans le doc qui date de juillet 1960.
En quoi celui-ci est typique d’un discours de guerre froide tout en comportant des spécificités propres aux préoccupations de l’Amérique latine ?I/ « L’avant-garde de l’Amérique » : la lutte contre la nation qui incarne « la misère du colonialisme »
1- La rupture progressive entre la Havane et Washington
La réforme agraire lancée par Castro en mai 1959 se heurte aux intérêts US à Cuba. Les latifundiaires amer sont expropriés. + nationalisation d’entreprises appartenant à des compagnies amer (sucreries et raffineries de pétrole).
En rétorsion, les EUA menacent de revenir sur l’accord de quotas sucrier qui permet à Cuba de vendre son sucre aux EUA au-dessus des prix du marché en échange de l’ouverture de Cuba aux produits américains. C’est chose faite en juin 1960.
Cuba se rapproche de l’URSS dès le départ pour compenser la dégradation des relations économiques avec les EUA.
2- Le soutien US aux anticastristes
Des raids contre Cuba sont organisés depuis la Floride avec la complaisance des autorités amer à partir de l’automne 1959. (ce qui explique les lignes 4 et 5)
Parallèlement, les médias US mettent l’accent sur ce qu’ils considèrent comme des dérives communistes graves (procès politiques, exécutions publiques d’opposants)
Enfin, les EUA ont refusé de fournir l’aide économique qui est demandée par Castro dans un 1er temps, sur le modèle du plan Marshall. Après la radicalisation du régime de la Havane, les EUA suspendent les importations de sucre puis décrètent un embargo total de l’île sauf les produits alimentaires et les médicaments. Dans la foulée, les EUA promettent 500 millions de dollars d’aide aux pays d’Amérique latine pour les empêcher de basculer dans le camps castriste.
3- La rhétorique anti américaine dans la droite ligne du tiers-mondisme
A Bandoung (1955)est né le concept de Tiers-Monde. Ses leaders sont la Chine, l’Inde, l’Egypte, la Yougoslavie de Tito. Aucun de ces pays n’est véritablement neutre, ni totalement « non aligné ». Ils sont proches de l’URSS sans pour autant lui obéir. Che Guevara fait le tour de ces pays pour « vendre » la révolution cubaine entre 1959 et 1960. Il prône une voie cubaine vers le socialisme, comme il y a une voie chinoise … Il devient le leader du tiers-mondisme qui se développe dans les années 1960 autour et grâce des conférences de la CNUCED (conf des nations unies pour la croissance et le développement) qui sont autant de tribune pour condamner les anciennes puissances coloniales, responsables selon les leaders du TM, de l’état catastrophique des économies des pays nouvellement indépendants donc de leur sous-développement. Ces anciens pays colonialistes sont soupçonnés de mener toujours une politique impérialiste, mais en sous-main, par le biais des agents économiques.
Dans le discours, les EUA sont assimilés à ces anciennes puissances coloniales. L’objectif de Guevara est de diffuser en Amérique latine le mouvement initié à Cuba de libération des peuples de la tutelle américaine (voir le cri « cuba si, yankee no) et c’est pour cela qu’à la fin des années 1960, il se rend en Bolivie où il sera assassiné.
II/ Le soutien soviétique
1- Un régime rapidement communiste
Au départ, mise en place d’un gouvernement de coalition dont les plus modérés sont rapidement exclus au gré des rumeurs de complot contre Castro.
Le 13 février 1960, un accord commercial et financier est signé entre Cuba et Moscou. L’île, progressivement, passe sous aide économique soviétique.
2- La protection militaire soviétique
Période de la guerre froide = coexistence pacifique, lancée par Khrouchtchev. Il s’agit d’éviter les affrontements directs entre URSS et EUA, qui se déportent sur la recherche d’alliances nouvelles. Dans ce cadre, Cuba représente un atout de poids dans le bloc contrôlé par l’URSS du fait de sa proximité des côtes des EUA. C’est ce qui expliquera la « crise des fusées » entre juillet 1961 (installation des rampes de missiles soviétiques à Cuba) et octobre 1962.
La nouvelle alliance soviétique de Cuba place donc l’île dans une position nouvelle vis-à-vis des EUA : « Cuba est aujourd’hui une île glorieuse au centre des Caraïbes, défendue par les missiles de la plus grande puissance militaire de l’Histoire », ce qui équilibre le rapport de force entre la petite île et l’ »énorme supériorité de l’ennemi ».
3- Une rhétorique classique de guerre froide
L’URSS et son allié cubain sont présentés comme le camp de la paix qui ne font la guerre qu’en « représailles » ou pour se défendre. A l’inverse les EUA sont présentés comme des fauteurs de guerre, sans retenue et sans « honneur » : « L’Amérique lâcha ses fauves » + « massacre sans pitié de nos femmes et de nos fils ».
Conclusion
Remise en cause doctrine Monroe. Le continent américain n’est plus la chasse gardée des EUA ? cf Cuba et les autres pays d'Amérique latine => néobolivarisme.