mardi 24 septembre 2019

Venise au Moyen Age

La Sérénissime



Une page du Livre des Merveilles de Marco Polo, dicté à Rusticien de Pise en 1299. Exemplaire du duc de Bourgogne. Les marchands arrivent à  Ormuz. Cet exemplaire est consultable sur le site de la BNF (ici) avec notices et extraits de texte.



Une République "qui se gouverne à la romaine" disait-on au Moyen Age



Le doge est un magistrat élu à vie, choisi dans un groupe étroit de familles dirigeantes, conservant une influence certaine en dépit de toutes les précautions prises pour qu'il ne puisse jouer aucun rôle personnel. Il dépend étroitement de ses mandants : les conseils qu'il présidait était les véritables centres de la direction collégiale de la ville et de sa politique. Le grand conseil (consiglio maggiore) est devenu au XIIIe siècle le rouage essentiel du système constitutionnel vénitien, aux mains des vieilles familles (case vecchie) qui rivalisent avec les nouvelles familles (case nuove), d'autant plus qu'à partir de 1297 s'instaure un système aboutissant à la proclamation de l'hérédité qui définit en 1323 un patriciat par une noblesse de fonction. 
Trop nombreux pour débattre des affaires de l'Etat, le Maggior Consiglio dut déléguer ses pouvoirs à des commissions restreintes, comme la Quarantia (1179) qui s'agrégea en 1327 à l'assemblée des Pregadi (les "priés"). En fonction des problèmes à résoudre, le travail du Sénat était confié à des commissions de sages qui, devenues permanentes, se réunirent à la Signoria dans le Collegio.
A partir du XIVe siècle, la classe politique tranche ses liens avec la classe populaire et concentre les pouvoirs des assemblées entre les mains du Conseil des Dix qui de surcroît, au cours de la seconde moitié du XVe siècle dépossède le Sénat de ses prérogatives diplomatiques et financières (frappe des monnaies ...)


La puissance de Venise en Méditerranée
Emission d'histoire (que de l'audio)



Venise au Moyen Age, un redoutable guerrier économique : lien vers vidéo France 24



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Un exercice 

(recyclage d'un ancien travail fait avec les secondes dans les années 1990's !!)


Venise au XIIe siècle / synthèse de documents.

Objectif 1) Présenter les documents

documents
Auteur et date
Nature
Contexte spatial
Contexte temporel
Thème
1





2





3





4






A
B
C
D
E
-          Rédigez les phrases A,B,C,D,E qui correspondent à chaque étape de la présentation des documents


Objectif 2) Faire l’analyse des documents
-          Pour chaque document, sélectionner les idées et les faits qui correspondent aux questions posées et remplissez sur votre feuille le tableau suivant 

document  
question
Eléments repérés dans les textes
paragraphe
1 et 3
Quels sont les inconvénients du milieu naturel de Venise ?

A
Quelles activités Venise a-t-elle développé pour
s’enrichir ?

2
Montrer que Venise se trouve au centre du commerce entre l’Orient et l’Occident.

B
1; 3; 4
Quels facteurs ont facilité le développement économique de Venise ?

C
4
Quel événement sert de prétexte à la prise de Constantinople en 1204 ?

D
Quel est l’intérêt politique pour les vénitiens de provoquer la prise de Constantinople ?

-          Puis rédigez les 4 paragraphes A,B,C,D qui correspondent à l’analyse de chaque texte.

Objectif 3) Rédiger la synthèse en une page maximum
Rédigez la synthèse en reprenant la présentation des dos pour faire une introduction, les 4 paragraphes de la question précédente et en soignant les liens logiques et phrases de transition ainsi que les annonces de point. Vous devez montrer qu’au XIIe siècle, Venise est une grande puissance en Méditerranée (= Thèse)



Le dossier documentaire

Texte 1 : Les premiers pas de Venise
" Venise, sur sa soixantaine d'îles et îlots, est un univers étrange, un refuge certes, mais incommode : pas d'eau douce, pas de ressources alimentaires, du sel, trop de sel ! On disait du Vénitien : "il ne laboure pas, ne sème pas, ne vendange pas". [...] Sa population entière se situe hors de ce secteur primaire d'ordinaire si largement représenté à l'intérieur même des villes préindustrielles. Venise déploie son activité dans les secteurs que les économistes d'aujourd'hui appellent "secondaire" et "tertiaire" : l'industrie, le commerce, les services, secteurs où la rentabilité du travail est plus élevée que dans les activités rurales. [...] C'est dès leurs premiers pas que Venise ou Amalfi, ou Gênes, toutes villes sans vrais territoires, ont été condamnées à vivre sur ce ped-là. Elles n'avaient pas d'autres choix. [...] La chance de Venise, c'est [...] placée sous la domination assez théorique de l'empire grec, elle a pénétré plus commodément qu'une autre l'énorme marché [...] de Byzance, rendu à l'empire des services nombreux, contribué même à sa défense. En échange, elle obtint des privilèges exorbitants. [...] Cependant, c'est sans erreur possible, l’aventure fantastique des croisades qui accélère l'essor marchand de la Chrétienté et de Venise. Voici que des hommes venus du nord prennent le chemin de la Méditerranée, s'y transportent avec leur chevaux, offrent le prix de leur passage à bord des navires des villes italiennes, se ruinent pour assurer leurs dépenses. Du coup les navires de transport grandissent, deviennent des géants, à Pise, à Gênes et à Venise? En Terre sainte, des Etats chrétiens s'implantent, ouvrent une brèche vers l'Orient et ses marchandises prestigieuses, le poivre, les épices, la soie, les drogues. Le tournant décisif pour Venise a été l'affreuse 4e croisade."
Extrait de Fernand Braudel, Civilisation matérielle, Economie et capitalisme. Le temps du monde, Paris, 1979.


Documents 2 : Venise et le commerce en Méditerranée

A/
 B/

Document 3 : Une remarquable réussite économique et politique
En 1082, Venise qui a loué sa flotte aux Byzantins afin qu'ils empêchent l'installation des Normands à Durazzo, reçoit de l'empereur le privilège d'acheter et de vendre dans tout l'empire, sans payer de taxe ni subir de contrôle douanier. Byzance renonce ainsi au monopole, qui avait fait sa puissance économique : le contrôle commercial des flux qui passe par elle puisqu'elle est située en position d'intermédiaire entre l'Orient et l'Occident. Quant à Venise, c'est le début de l'extraordinaire expansion qui peu à peu soumet le monde méditerranéen oriental à son influence, alors que le monde arabo-musulman est affaibli par les divisions politiques et religieuses et que les Latins, installés en Terre Sainte et en Syrie, ont besoin de ravitaillement par mer.
Mais les relations de Venise avec ses concurrentes italiennes (Gênes en particulier) et avec Byzance ne sont pas toujours faciles : en 1171, le quartier vénitien de Constantinople est mis à sac par les Génois. L'empereur fait arrêter tous les Vénitiens et leurs biens sont confisqués. Pourtant, en 1189, ce dernier rétablit, par un traité, les Vénitiens dans leurs privilèges ; Venise et sa flotte de guerre sont indispensables à la sécurité de l'Empire.
 D'après Y Renouard, Les villes d'Italie de la fin du Xe siècle au début du XIVe s, Paris, 1969



Document 4 :Un récit de la 4e croisade
"Elle avait pour chef  l'italien Boniface de Montferrat, mais les chefs véritables étaient le pape Innocent III et le doge de Venise Dandolo. [...] Venise exigea que le prix du voyage lui fut entièrement versé avant le départ. Comme les croisés ne purent réunir la somme nécessaire, Venise exigea d'eux que, pour faire le complément, ils commencent par s'emparer de la ville de Zara, sur la côte orientale de l'Adriatique, pour son compte. Zara était une ville chrétienne, appartenant à un prince chrétien. Malgré l'indignation du pape, les croisés acceptèrent cette singulière condition et prirent d'assaut Zara, qu'ils remirent à Venise.
La croisade avait pour objectif l'Egypte, de laquelle dépendait la Palestine. Mais en Occident se trouvait alors le fils d'Isaac II Ange, détrôné par Alexis III, le jeune Alexis Ange : celui-ci suggéra aux croisés de d'abord le rétablir sur le trône, leur montrant tout l'intérêt d'avoir sur le trône d'Orient un empereur à leur dévotion. [...] la flotte fit voile sur Byzance où elle arriva en juin 1203. Constantinople fut prise d'assaut en juillet, Alexis III détrôné, Isaac Ange et son fils rétablis sur le trône. Mais les grecs, comprenant que ces souverains ne seraient que des instruments dociles aux mains des Latins se soulevèrent et les renversèrent. Alors, les croisés décidèrent de prendre la ville pour eux (13 avril 1204) Des scènes épouvantables de carnage et de pillage se déroulèrent pendant trois jours dans la ville saccagée : des membres de clergé latin y prirent leur part aux côtés des soldats du Christ. Les richesses immenses, éblouissantes aux yeux des croisés, accumulées depuis des siècles dans la ville jusqu'alors inviolée, furent dispersées à travers tout l'Occident dans les mois qui suivirent. Le comte de Flandre Baudouin fut élu empereur et couronné à Sainte-Sophie, le vénitien Tomasso Morosini devint patriarche. Le doge Dandolo et Baudouin se partagèrent le territoire byzantin. Le vénitien, seul parmi les croisés, fut dispensé de prêter serment de fidélité au nouvel empereur. Ainsi Venise acquit Durazzo, les îles ioniennes, la plpart des îles de la mer Egée, l'Eubée, Rhodes, la Crète, des places nombreuses dans le Péloponnèse, l'Hellespont, la Thrace. Cette croisade donna à Venise un empire en Méditerranée et renforça son hégémonie économique.
 Paul Lemerle, Histoire de Byzance, Paris, 1980.


Les premiers chrétiens à Rome

"Le sang des chrétiens est une semence" (Tertullien)


Pour les images...




Pour une mise au point plus rigoureuse





Les chrétiens face aux barbares

extrait de l'article Bible de l'encyclopédie  Les barbares dirigée par B. Dumezil :
La pression des barbares sur l’Empire romain connut son apogée, surtout en Occident, aux IVe et Ve siècles, époque de l’épanouissement de la patristique latine. Les Pères cherchèrent à donner un sens à ces événements et à la réalité politique de l’Empire romain. Deux tendances principales se firent jour et se succédèrent. La première identifia les barbares contemporains à un ennemi mentionné dans la Bible, Gog, le peuple envahisseur venu du Nord mentionné en Ézéchiel 38-39, tout particulièrement 39, 2, puis dans l’Apocalypse 20, 8. Ambroise de Milan identifia les Goths à Gog (De Fide, 2, 16, 137-138) : leur succès serait temporaire, leur fin annoncée dans le Livre. Quodvultdeus reprit cette interprétation, élargissant l’identification de Gog et de Magog aux Goths, Maures, Gètes et Massagètes, tous représentants du diable et persécuteurs de l’Église de son époque (Livre des promesses et des prédictions de Dieu. Le demi-temps, avec les prodiges de l’Antichrist, § 22, qui s’appuie sur Ézéchiel, Daniel et l’Apocalypse). De manière générale, ces deux auteurs interprétèrent les incursions barbares comme des signes avant-coureurs de la fin des temps prophétisée dans la Bible (Quodvultdeus, ibid. ; Ambroise de Milan, Commentaire de l’Évangile selon Luc, 10, 10). Ces lectures ne firent pas l’unanimité : Jérôme les mentionnait dans la préface du Commentaire sur Ézéchiel mais se refusa à les défendre, préférant considérer Gog comme une figure des hérétiques (ibid., à propos du chapitre 39). Augustin récusa ces interprétations historiques qui limitaient à l’excès les prophéties bibliques : selon lui, Gog et Magog étaient à comprendre comme des ennemis partout répandus, membres du corps du diable et destinés à attaquer la Cité de Dieu. Ils désignaient des réalités d’ordre spirituel et non géographique ou ethnographique (La Cité de Dieu, 20, 11). Jérôme associa pourtant les barbares de son époque à une prophétie biblique, dans le traité sur Daniel. Ce commentaire fut probablement rédigé peu après 406, année où des Germains pénétrèrent en Gaule et dans une partie de l’Italie, mais avant 410 et le sac de Rome par les Goths d’Alaric. Jérôme y employa régulièrement le terme « barbare » pour désigner les Babyloniens ou d’autres peuples bibliques, également appelés « gentils » ou « nations ». Une occurrence se rapporte à ses contemporains (Dan. 2, 31-45). Le livre de Daniel évoque en effet à plusieurs reprises le thème de la succession des empires, que Jérôme interprète en s’inspirant de la tradition historiographique gréco-latine. Daniel 2 relate la vision de la statue à tête d’or, poitrine d’argent, ventre et cuisses de bronze, jambes de fer et pieds d’argile mêlés de fer. Une pierre, détachée de la montagne, la frappe aux pieds et provoque son écroulement. Daniel explique au roi babylonien que les empires qui se succéderont après lui seront de moins en moins puissants, jusqu’à disparaître, tandis que le royaume représenté par la pierre et suscité par Dieu demeurera éternellement. Selon Jérôme, ces divers empires correspondent à l’hégémonie des Babyloniens, puis à celle des Mèdes et des Perses, suivie de celle d’Alexandre et des royaumes hellénistiques, pour finir avec l’Empire romain. La pierre est l’empire éternel du Christ, de nature céleste et non terrestre. Jérôme ne prédisait donc pas la fin très prochaine de l’Empire romain mais il considérait que sa puissance s’était amoindrie au fil du temps et en voyait la preuve dans l’emploi de fédérés et de soldats d’origine barbare, à la fois pour les « guerres civiles » et pour tenir tête à « diverses nations ». Les barbares furent ainsi identifiés à la composante argileuse des pieds de la statue, c’est-à-dire à un élément hétérogène et déstabilisant pour la puissance romaine. Une vision plus positive des barbares se développa avec Orose qui, lui aussi, se fondait sur le livre de Daniel pour évoquer la succession des grandes puissances politiques. Il utilisa non l’épisode de la statue aux pieds d’argile mais celui des quatre vents des cieux (Dan. 7, 2) d’où surgirent des bêtes monstrueuses pour évoquer ces empires (Babylone, Carthage, la Macédoine, Rome), ce qui lui permit d’éviter la dégradation chronologique de leur puissance. Face aux Romains païens qui voyaient un lien entre l’adoption du christianisme comme nouvelle religion officielle et l’affaiblissement politique de l’Empire, Augustin et surtout Orose relativisèrent les événements de leur époque, notamment le sac de Rome : ils y lirent une punition divine, comme la Bible en relate souvent, moins violente que d’autres car les Goths, christianisés, épargnèrent les églises et le pape – comparé à Loth, figure du juste (Orose, Histoires contre les païens, VII, 39, 2). Au VIIe siècle, une nouvelle étape fut franchie par Isidore, évêque de Séville, qui descendait d’une famille aristocratique hispano-romaine et qui avait vu, dans sa jeunesse, le roi des Wisigoths, jusqu’alors arien, se convertir au catholicisme. Cette alliance nouvelle entre élites barbares et romaines conduisit Isidore à intégrer les Goths dans l’histoire romaine classique et chrétienne. Il composa une Histoire des Goths et fit l’éloge de ce peuple. Isidore reprit l’assimilation entre Goths et Magog mais la dépouilla de toute empreinte négative, se fondant sur la première occurrence biblique de Magog (Gen. 10, 2) : c’est ici le fils de Japhet, lui-même fils de Noé. On considérait que tous les peuples remontaient à Noé, puisque seuls lui et sa famille survécurent au Déluge. Octroyer une si haute antiquité aux Goths leur conférait un prestige certain, accentué dans la suite de l’histoire relatée par Isidore : les Goths furent assimilés aux Scythes, bien connus de l’ethnographie antique. On voit là comment la plasticité de la Bible accompagna l’évolution des représentations patristiques des barbares, du moins les Goths, passés, en trois siècles, de l’opprobre à l’éloge. 

dimanche 22 septembre 2019

Et si les "grandes invasions" n'avaient pas eu lieu ?

Petit préambule :
1) J'adore le ton alerte des conférences de cet éminent médiéviste des débuts du Moyen Âge
2) J'adore ses objets et les thématiques qu'il explore
3) Ses démonstrations sont lumineuses, s'appuyant sur une incontestable érudition et un petit côté pop-culture irrévérencieux qui entraîne le public avec lui.


Dans cette conférence, vous apprendrez l'origine du Seigneur des Anneaux (les influences de JRR Tolkien sont bien connues pour être médiévales)



Mais surtout, entre 30 min et 45 min, c'est là qu'on entre véritablement dans le sujet : la localisation dans le nord de la Francie/ Belgique seconde des tombes guerrières que l'on identifiait comme barbares car grandes épées franques (spatha), des chaudrons avec de la bière, squelette de cheval et bijoux d'apparat en orfèvrerie cloisonnée de grenats pouvait faire croire à l'arrivée de nombreuses troupes venues de Germanie, amenant avec eux leurs traditions. Mais cette interprétation ne tient pas, je vous laisse découvrir pourquoi.
Le plus vraisemblable, d'après Dumezil, serait que les populations gallo-romaines ont changé leur référent culturel pour s'adapter à la nouvelle dynastie royale (Clovis et ses descendants), d'autant plus que se déclarer franc permettait d'être exempté d'impôt !



Une révision de mon cours s'impose.

La suite (partie III) est toute aussi intéressante puisque Bruno Dumézil fait, à grands traits, toute la généalogie de cette interprétation historique qui naît au 19es, celle des grandes invasions. Le passage sur les Allemands, l'érudition allemande et le germanisme et le Völkerwanderung permet d'avoir un contrepoint au roman national français qui se constitue à la même époque et donc un deuxième exemple à présenter aux élèves du rôle politique joué par l'histoire nationale au 19e siècle. (autour de 55 min)...puis vient un passage édifiant sur la présentation des barbares dans les manuels de la 3e République. C'est là que j'apprends que cette carte qu'on utilise tous, qui présente les invasions par de grandes flèches traversant toute l'Europe, a été forgée en plein moment revanchard, avec les arrière-pensées que l'on comprend sans peine.

Bref, un grand moment de révision de mes certitudes en plus d'une heure de conférence qui passe comme un éclair.

Je complète ce post avec l'article Barbaricum de l'encyclopédie Les Barbares dirigée par Bruno Dumézil.
Depuis les migrations des Cimbres et des Teutons vaincus par Marius à la fin du IIe siècle av. J.-C., puis les déplacements des Suèves d’Arioviste combattus par César en 58 av. J.-C., le monde germanique paraissait relativement stabilisé. Ces migrations avaient concerné des populations partant du sud de la Scandinavie, qui se heurtaient aux Celtes, tout en étant marquées par leur influence. L’origine de ce phénomène tenait probablement à un ensemble complexe de facteurs, climatiques, démographiques, voire culturels. On a évoqué un refroidissement climatique affectant la Scandinavie depuis le VIe siècle av. J.-C., mais son impact réel demeure discuté. On a également quelques difficultés à vérifier par l’archéologie l’hypothèse d’un éventuel surpeuplement de cette région durant la même période. On suppose parfois l’existence de rites obligeant les plus jeunes générations de guerriers à s’emparer de nouveaux territoires, qui rappelleraient les pratiques de certains peuples italiques. Ces migrations avaient abouti à l’établissement de tribus très morcelées, vivant au contact du limes. C’est d’ailleurs à cette même époque que les historiens antiques tels que Posidonios de Rhodes en 90 av. J.-C., puis César commencèrent à désigner l’ensemble de ces populations sous le terme générique de Germains. Pour César, il s’agissait également d’expliquer l’arrêt de l’expansion romaine sur le Rhin, alors que, de part et d’autre de ce fleuve, vivaient des tribus très marquées par la civilisation celtique. Au contraire, selon Strabon, contemporain des conquêtes augustéennes, les Germains étaient apparentés aux Celtes. Même après le ralentissement de ces mouvements de grande ampleur, les Germains restèrent soumis à des brassages constants, qui rendent très difficile l’individualisation de groupes particuliers dont on pourrait suivre l’évolution jusqu’au IIIe siècle. C’est ainsi que les distinctions topographiques ou ethniques opérées par César ne coïncident pas forcément avec celles de Velleius Paterculus, de Strabon, de Pline l’Ancien, de Tacite ou encore de Ptolémée au IIe siècle. Il y eut vraisemblablement des rassemblements qui se faisaient et se défaisaient autour de quelques lignages aristocratiques se réclamant d’ancêtres mythiques communs. Les chercheurs contemporains fondent plutôt leurs classifications sur l’archéologie et la linguistique. Désormais, les peuples barbares sont donc distingués les uns des autres selon des critères plus culturels qu’ethniques. Ils se seraient répartis dans trois grandes régions : les Germains du Nord ou Germains de la mer, Angles, Cimbres et Jutes en Scandinavie et dans le Jutland ; les Germains de l’Ouest, ou Germains de la forêt, entre le Rhin, le Danube et l’Elbe ; les Germains de l’Est ou Germains de la steppe, Bastarnes, Skires, Costoboques, Goths, Vandales, Burgondes et Gépides au-delà de l’Elbe. Ce sont ainsi les Germains occidentaux qui se trouvèrent les premiers au contact de l’empire romain. Dès le premier quart du IIe siècle de notre ère, les migrations reprirent en Germanie orientale, en suivant d’abord la même direction que le mouvement qui avait déjà conduit les Bastarnes, les Skires puis les Costoboques en Ukraine et sur la mer Noire au IIIe siècle av. J.-C. Les Vandales remontèrent la vallée de l’Oder pour s’établir en Silésie, Galicie et Slovaquie. Derrière eux, les Goths, sans doute repoussés des côtes de la mer Baltique par la famine et la surpopulation, remontèrent les vallées de la Vistule et du Dniestr, où ils se scindèrent en Ostrogoths et Wisigoths. Les Burgondes se dirigèrent vers l’ouest en direction des vallées du Main et du Rhin, tandis que les Gépides parvenaient sur le territoire actuel de la Hongrie. Ces peuples, surtout les Goths, étaient généralement plus puissants et plus unis que les Germains occidentaux, notamment grâce aux richesses tirées du commerce de l’ambre. En effet, les Goths accédèrent au rang de puissance militaire en fédérant les peuples divers qu’ils rencontrèrent. Les Germains orientaux repoussèrent donc les populations qui se trouvaient sur leur passage. Il s’agissait d’une part des nomades des steppes qui s’étendaient à l’est des Carpathes, généralement d’origine iranienne : parmi les Sarmates, qui avaient absorbé les Scythes, on distinguait les Roxolans entre le Don et le Dniepr et les Iazyges sur le cours inférieur de la Tisza et du Danube, déjà mêlés aux Bastarnes. D’autre part, le contrecoup de ces migrations fut d’autant plus ressenti à l’ouest que le territoire occupé par les Germains occidentaux avait sans doute vu augmenter la densité de son peuplement. La pression se fit donc plus forte sur le Rhin, sur les champs Décumates et surtout sur le Danube. Les frontières romaines furent ainsi franchies à partir de 166 apr. J.-C. Les Chattes pénétrèrent en Gaule Belgique, les Chauques pratiquèrent la piraterie à l’embouchure du Rhin, les Quades et les Marcomans parvinrent en Norique puis en Vénétie, les Carpes en Dacie, les Sarmates Iazyges franchirent le Danube, les Costoboques et les Bastarnes atteignirent l’Achaïe et l’Asie. La stratégie impériale s’avéra alors inadaptée aux moyens militaires romains et à la situation au-delà des frontières. Après avoir consacré une grande partie de son règne à repousser les incursions germaniques, Marc Aurèle aurait peut-être envisagé de résoudre la question barbare en établissant deux nouvelles provinces au-delà du Danube. Si tant est qu’il ait réellement existé, ce projet fut abandonné par Commode et, moyennant parfois le versement de subsides, la situation se stabilisa jusqu’au règne de Caracalla. Son règne correspondit en effet à l’émergence d’un nouveau phénomène : la formation de vastes coalitions de tribus germaniques. La ligue des Alamans, attestée pour la première fois en 213 à l’occasion des combats qui valurent le titre d’Alamannicus à Caracalla, regroupait ainsi des tribus installées dans les hautes vallées de l’Elbe et de la Saale. Étymologiquement, le terme alaman est en effet formé de l’adjectif « tous » et du nom « hommes ». Il s’agissait pour ces Germains du haut Danube de résister aux pressions des autres peuplades germaniques en s’emparant de nouveaux territoires. Quant à la ligue franque, elle se constitua pour des raisons similaires quelques décennies plus tard sur le cours inférieur du Rhin en rassemblant dans un premier temps les Chamaves, les Chattes, les Sicambres et les Bructères, dans un second temps les Usipètes et les Tenctères. Ils sont attestés pour la première fois dans la biographie d’Aurélien de l’Histoire Auguste (Vie d’Aurélien, VII, 1-2). Le terme « Franc » découlerait de l’appellation « hommes libres » ou de leur réputation de bravoure, voire de férocité. Dans d’autres cas, les adversaires nouvellement venus au contact de l’empire fusionnèrent avec les occupants précédents tombés sous leur domination et introduisirent des formes d’organisation politique et militaire plus efficaces qui en faisaient désormais des adversaires redoutables et imprévisibles. Au contraire, les peuples combattus jusqu’au règne de Marc Aurèle étaient plus connus des Romains et plus limités dans leurs moyens d’action. Or, le pouvoir impérial et les élites de l’empire ne semblent pas avoir pris nettement conscience de la gravité de ces menaces d’une ampleur inédite. La meilleure preuve en est que les Romains tardèrent à adapter leur terminologie à leurs nouveaux adversaires. C’est ainsi que, généralement, les auteurs anciens ne distinguèrent pas avant un certain temps les populations récemment parvenues aux frontières de l’empire de celles qui les avaient précédées. Goths, Vandales et même plus tard Huns continuèrent à être souvent appelés Scythes. La première attestation du nom Goth remonte au titre de Gothicus Maximus revêtu par l’empereur Claude II en 269, alors que les incursions de ce peuple en Asie Mineure et dans les Balkans avaient commencé dès 238. Certes, Pline l’Ancien avait déjà évoqué des Gutones dans son Histoire naturelle au Ier siècle de notre ère, mais les Romains du IIIe siècle s’avérèrent incapables d’opérer le rapprochement entre les deux. Cette attitude est révélatrice autant d’une conception fixiste des êtres et des choses que d’un complexe de supériorité culturelle profondément ancrés dans les mentalités gréco-romaines. En outre, la vision augustéenne d’un empire ayant atteint les limites du monde connu et utile avait fini par contaminer les connaissances géographiques du temps. En outre, les buts de guerre des Germains demeurèrent longtemps difficiles à appréhender par les Romains. En effet, au IIIe siècle, il ne s’agissait généralement pas de véritables conquêtes territoriales mais plutôt d’incursions prédatrices à grandes distances destinées à faire le plus de butin et de captifs possible. L’inscription retrouvée à Augsbourg en 1992 gravée sur un autel dédié à la Victoire (AE, 1993, 1231) mentionne ainsi plusieurs milliers de prisonniers italiens arrachés aux Juthunges sur le chemin du retour par le gouverneur de Rhétie Marcus Simplicius Genialis en avril 260. Elle témoigne de la capacité des barbares à pénétrer très loin de leurs bases jusqu’au cœur de l’empire et donc de l’inadaptation du système défensif des frontières. En outre, le caractère très mouvant de leurs organisations politiques, oscillant entre éclatement et fédération, ne permettait pas toujours au pouvoir impérial romain d’identifier des interlocuteurs fiables et représentatifs avec lesquels engager des négociations. Après un répit relatif entre la Tétrarchie et le règne de Julien l’Apostat, la conjoncture militaire se dégrada de nouveau aux frontières romaines à partir du milieu du IVe siècle. En effet, les incursions barbares n’avaient plus pour seul objectif le pillage : certaines populations extérieures aspiraient désormais à s’installer à l’intérieur de l’empire. Elles y cherchaient les ressources qui leur manquaient mais aussi la sécurité, dans la mesure où elles se sentaient elles-mêmes menacées par l’arrivée de nouveaux peuples sur leur propre territoire. C’était particulièrement le cas des Goths qui tentaient d’échapper à la pression des Huns apparus entre le Don et le Danube vers 360. Cependant, comme au siècle précédent, le pouvoir impérial semble avoir mal apprécié la gravité respective des différentes menaces auxquelles il se trouvait confronté. Cette incompréhension est à l’origine de l’écrasement à Andrinople de l’armée romaine par les Goths, le 9 août 378, et, le 31 décembre 406, du franchissement du Rhin par les Vandales, les Suèves et les Alains.

Proposition de séquence : 
Voici en PJ la frise chronologique que je donne aux élèves (frise avec questions que les élèves complètent avec les 30 premières minutes de cette autre conférence de Bruno Dumézil) : Les invasions barbares, la fin de l'empire romain

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