vendredi 17 mai 2019

Rome, la pseudo donation de Constantin et le sacre impérial des carolingiens.

notes de lecture de Le mythe impérial et l'allégorie de Rome,entre St Empire, Papauté et Commune, Juan Carlos d'Amico, Caen, 2009


Rome, le pape, l'empereur


Au début du VIIIe siècle, Constantinople voulut créer un duché dans la région de Rome et le confier à un dux. En 753, les Lombards assiégèrent une première fois Rome. Le pape Etienne II se tourna alors vers les Francs, les seuls en mesure de s'opposer à la puissance lombarde. Dans un échange de "bons procédés", le pape reconnut la légitimité de Pépin le Bref sur le trône des Francs et lui confia le titre de patricius Romanorum, en échange de quoi Pépin se proclama défenseur de Rome et des biens appartenant désormais à la "République des Romains de la Sainte Eglise de Dieu". En 773, les Lombards attaquèrent de nouveau Rome ce qui donna le prétexte à Charlemagne d'annexer leur royaume. A la noël 800, Charlemagne est couronné empereur par Léon III. Pour la première fois, un empereur était couronné et nommé Auguste par un pape, semble -t-il en suivant un rituel oriental qui se limita à la collation des insignes impériaux, en présence de l'aristocratie romaine. En 816, Louis le pieux fut le premier à recevoir l'onction des mains du pape Etienne V.


Translatio Imperii

A la même période (750-760) fut rédigée la Donation de Constantin, qui devint objet de discorde entre les philo-papistes et les philo-impériaux plusieurs siècles plus tard.

 "[...] Afin que la suprématie pontificale ne s'avilisse pas, mais soit rehaussée de gloire et de puissance, bien plus que ne l'est la dignité d'un gouvernement terrestre, voici que nous livrons et abandonnons tant notre palais que la ville de Rome et toutes les provinces, localités et cités de l'Italie ou des régions occidentales au très saint pontife et universel pape Sylvestre : et par pragmatique sanction, nous avons décrété qu'elles resteraient sous la loi de la sainte Eglise romaine [...] car là où le prince des prêtres et le chef de la religion chrétienne a été installé par l'empereur céleste, il n'est pas juste que l'empereur terrestre conserve le pouvoir."
sur la Donation de Constantin, à lui faussement attribuée et mensongère / Lorenzo Valla ; trad. et commenté par Jean-Baptiste Giard, 1993, p.133-145) :

Ce texte était une réponse aux prétentions territoriales des Lombards , une revendication d'autonomie de l'Eglise romaine par rapport à l'empire byzantin et l'énonciation d'une nouvelle idée impériale faisant du pape à la fois le détenteur d'un pouvoir spirituel, chef de l'Eglise universelle, mais aussi véritable souverain des terres occidentales (en contradiction avec le cesaropapisme des basileus byzantins)


Les rois puis empereurs carolingiens sont protecteurs de l'Eglise et de ses biens temporels (patrimonium Petri) et ils n'ont pas souhaité établir une domination réelle sur les biens de l'Eglise en Italie centrale, contrairement aux empereurs germaniques successeurs des Ottoniens, ce qui a provoqué la réforme grégorienne. En revanche, ils ont utilisé toute la symbolique du sacre de Charlemagne pour renforcer leur autorité, en la doublant de la référence à l'antiquité, en la triplant d'une légitimité spirituelle.  

MAJ : disponible sur Arte-tv une excellente émission de l'excellente série "Quand l'histoire fait date" consacrée à l'histoire du texte de la donation de Constantin.


Le roi sacré : trois représentations de Charles le  chauve

1: Bible de Vivien, abbé de St Martin de Tours : présentation du cadeau au roi par une délégation de moines venant de Tours (845)


2: Psautier de Charles le chauve, école du palais, avant 869








3: Bible de St Paul hors les murs , dédicace au « rex carolus », 875


Construire la fiche de travail

- Présenter Charles le Chauve et les œuvres dans leur époque

- Comment est représenté Charles le Chauve dans chaque image ? (points communs et différences) 

- Quelles aspects de son pouvoir peut-on repérer sur ces images ? (objets,  décor, assistance...)

- Quels éléments montrent  le roi comme un élu de Dieu ?

- Qu'est-ce que la "cité de Dieu" (recherche rapide à faire) ? Dans quelle image est-elle représentée ?  Commentez la position de Charles le Chauve dans l'image 3.

- Faites une recherche rapide sur la cérémonie du sacre.

Synthèse : faites le lien entre vos réponses, lesquelles doivent montrer une évolution dans la représentation du roi,  et la biographie de Charles le Chauve pour expliquer les causes de cette évolution.

Un site pour entrer dans l'analyse des images : expo virtuelle de la Bnf sur les Carolingiens

Les Années d'Annie Ernaux : un extrait à utiliser en classe




Utiliser les textes d'Annie Ernaux dans le cadre du cours d'Histoire

Qui est Annie Ernaux ? (source annie-ernaux.org)
Depuis la parution de son premier livre, Les Armoires vides, en 1974, Annie Ernaux n’a cessé d’explorer, à travers l’écriture, l’expérience vécue – son expérience, mais aussi celle de sa génération, de ses parents, des femmes, des anonymes et des oublié.e.s, des autres. Son écriture s’oriente sur plusieurs axes, qui se recoupent au fil du temps et des livres: l’expérience du corps et de la sexualité; les relations interpersonnelles (familiales, amoureuses); les trajectoires et inégalités sociales; l’éducation; le temps et la mémoire; et l’écriture, véritable fil conducteur qui relie entre eux ces aspects. Toujours, dans les livres d’Annie Ernaux, les expériences les plus personnelles, voire intimes, sont chargées d’une dimension collective, sociologique, qu’il s’agisse de l’expérience du deuil, de la honte sociale, de la découverte de la sexualité, de la passion amoureuse, d’un avortement clandestin, de la traversée de la maladie, ou de la perception du temps.

Après avoir publié des textes d’inspiration autobiographique, mais présentés comme romans (Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rienLa Femme gelée), Annie Ernaux, avec La Place,  s’est détachée de la fiction pour creuser les possibilités de dire l’expérience et le réel. Ce faisant, elle a travaillé sur des formes narratives qui constituent de nouvelles directions dans l’écriture de soi: ses textes auto-socio-biographiques (La Place, Une femme, La Honte) explorent sa vie, celle de ses parents, et le milieu dans lequel elle a grandi, tandis que l’autobiographie collective Les Années dépeint l’histoire sociale et culturelle de la France, des années 1940 aux années 2000. 


SUJET = LA SOCIETE DE CONSOMMATION PENDANT LES TRENTE GLORIEUSES
Analyse de texte

Le témoignage d’une femme de lettres

« Avec l’emploi stable, les jeunes ménages ouvraient un compte bancaire, prenaient un crédit Cofremca pour s’équiper d’un réfrigérateur avec compartiment de congélation, d’une cuisinière mixte, etc., étonnés de se découvrir, par la grâce du mariage, pauvres face à tout ce qui leur manquait, dont ils ne soupçonnait pas le prix avant, ni la nécessité, qui allait maintenant de soi. (…) On se mettait à fréquenter assidûment des lieux inusuels, Casino, les rayons alimentaires de Prisu et des Nouvelles Galeries. Les velléités d’insouciance, de vivre comme avant, une virée nocturne avec les copains, une séance de cinéma, s’épuisaient avec l’arrivée du bébé auquel, dans la salle obscure, on ne cessait de penser, tout petit, seul dans son berceau. On achetait donc une télévision –qui achevait le processus d’intégration sociale. Le dimanche après-midi, on regardait Les chevaliers du ciel1, Ma sorcière bien-aimée2. L’espace se rétrécissait, le temps se régularisait, découpé par les horaires de travail, la crèche, l’heure du bain et du Manège enchanté3, les courses du samedi. On découvrait le bonheur d’ordre.
(…)
Dans les déjeuners auxquels avec une anxiété et une fièvre de jeunes ménages on invitait la belle-famille pour montrer qu’on était bien installés et avec plus de goût que les autres membres de la fratrie, après avoir fait admirer les voilages vénitiens, toucher le velours du canapé, écouter la puissance des baffles, sorti le service de mariage –mais il manquait des verres-, quand tout le monde avait réussi à se caser autour de la table, commenté la façon de manger la fondue bourguignonne – dont on avait trouvé la recette dans Elle -, les conversations petites-bourgeoises s’engageaient sur le travail, les vacances et les voitures, San Antonio*, les cheveux longs d’Antoine**, la laideur d’Alice Sapritch***, les chansons de Dutronc. On n’échappait pas à la discussion pour savoir s’il était économiquement plus rentable dans un couple que la femme travaille au-dehors ou reste à la maison. (…) L’évocation de la guerre se rétrécissait dans la bouche des plus de cinquante ans en anecdotes personnelles, pleines de gloriole, qui paraissaient aux moins de trente du radotage. Nous étions d’avis qu’il y avait pour tout cela des discours de commémoration et des gerbes de fleurs. (…) La page était tournée.
La contraception effarouchait trop les tables familiales pour qu’on en parle. L’avortement, un mot imprononçable. »

(1) Série télévisée française diffusée à partir de 1967
(2) Série télévisée américaine
(3) Emission pour enfants
* Personnage de roman policier
** Chanteur
***Comédienne et humoriste

D’après Annie Ernaux (écrivain français née en 1940), Les Années, Gallimard, 2008

Questionnaire :
1) Présentez le document : nature et type, auteur, source, dates (du document et de la période abordée par le document), idée principale.

2) Relevez et classez par thèmes les nouveautés économiques de cette époque. Définissez et expliquez l’expression « société de consommation ».

3) Montrez que se constitue une culture populaire commune.

4) Montrez que cette période est une époque d’émancipation des femmes mais que la conception de la famille reste traditionnelle.



jeudi 16 mai 2019

Rome, histoire médiévale et mythe

notes de lecture de Le mythe impérial et l'allégorie de Rome,entre St Empire, Papauté et Commune, Juan Carlos d'Amico, Caen, 2009

La déesse Rome

Les Romains vouaient un culte à une déesse nommée Rome, comme aux autres dieux de leur panthéon. L'origine de ce culte peut être grec (en Grande Grèce, on honorait une Pallas roma). Le culte officiel de Rome s'épanouit avec l'arrivée d'Auguste et il était étroitement lié au caractère impérialiste du pouvoir

La manière de figurer la déesse n'était pas uniforme. En tant qu'image de pouvoir, de souveraineté : Elle pouvait être assise ou debout sur un globe, la tête couronnée par le génie romain ou par une victoire ailée. D'autres représentations la montrent avec le sceptre dans la main droite (R/ le sceptre, bâton confié à l'orateur en assemblée dans la cité grecque) et l'épée ou le globe dans la main gauche.
En tant que figure guerrière, elle peut être armée d'un bouclier et d'une lance et coiffée d'un heaume romain à cimier. Dans un fragment de fresque datant du premier quart du IVe siècle, elle est assise sur un trône, enveloppée dans un manteau pourpre (couleur impériale), entourée de ses armes (lance et bouclier). elle porte dans sa main droite une statuette ailée féminine, une Victoire. (Déesse Barberini, Palazzo Massimo, Rome)

Après Constantin le Grand (306-337) qui décida de transférer la capitale de l'empire à Constantinople en 330 et inaugura une ère de liberté religieuse qui bénéficia au christianisme, Rome s'appauvrit. En 395, Théodose partage l'empire en deux : Constantinople devient lors la capitale de l'empire d'Orient et Ravenne prend la place de Rome pour l'Occident. la même année, le paganisme est définitivement proscrit. Dans les œuvres littéraires, Rome personnifiée est souvent présentée comme une vieille femme, supportant difficilement le poids de ses armes, plaidant pour retrouver sa liberté et sa grandeur passée. Dans le De bello Gildonico de Claudien (398), Rome se hisse jusqu'à l'Olympe pour demander de l'aide pour nourrir son peuple affamée. Son discours émeut Jupiter. Un "miracle" se produit et un souffle divin rajeunit la déesse qui retrouve sa splendeur. Ce retour à la jeunesse deviendra un lieu commun dans les représentations futures : Même si elle vieillit historiquement, chaque renovatio de Rome est censée lui permettre de retourner sa jeunesse, consolidant ainsi le mythe de la ville éternelle.
C'est dans un autre poème de Claudien que l'on voit réapparaître la figure de la Roma mater, dont les qualités sont l'affection et la quête du bonheur de ses enfants. Il est clair qu'il s'agit d'une période de transition entre la "mort" de la déesse et la naissance de l'allégorie.

La Rome chrétienne

Dans le deuxième livre de Contre Symmaque (lequel tente de reintroduire le paganisme à Rome), le poète Prudence introduit une longue histoire providentielle de Rome-urbs. La Rome de Prudence est la mise en scène d'une renovatio de la ville sous le signe de la religion chrétienne. Rome prend la parole : sa longue existence, dit-elle, lui a appris à mépriser la mort, et maintenant, on lui manifeste la déférence qui lui est due en appelant "venerabilis et caput orbis". Rome accuse son ancien maître Jupiter d'avoir été cruel, à l'origine de tous les crimes commis dans son histoire. Elle invite l'empereur à ne pas écouter Symmaque qui défend un culte mort. Sous la croix du Christ, elle a retrouvé sa liberté, elle a pu se purifier de ses crimes et laver ses mains qui avaient trempé dans le sang sacré de justes (des martyrs). Désormais, elle et son prince règnent sur l'univers et grâce au Christ, l'Empire de Rome se prolonge au ciel => romanisation de l'Eglise et christianisation de l'Empire

Mais le sac de Rome en 410 par les Goths d'Alaric provoque un traumatisme. Certains, comme Augustin d'Hippone (St Augustin) y voient un châtiment de Dieu pour punir les péchés des chrétiens et l'orgueil de la ville. Il s'agirait d'une incitation à se détourner des ambitions mondaines pour se consacrer au royaume céleste. La cité terrestre devient l’antithèse de la cité céleste.
Mais pour d'autres, Rome doit devenir le centre de  diffusion d'un nouvel universalisme, religieux cette fois. Les papes de cette époque et principalement Léon le Grand inaugurent un programme de reconstruction et d'embellissement de Rome, sur un programme urbanistique et architectural typiquement romain : restauration et transformation des édifices anciens, forum, aqueduc et transformation des basiliques en vastes églises. cf Ste Marie Majeure... jusque Grégoire le Grand, pape entre 590 et 604 qui achève de faire de Rome un lieu de pèlerinage, alternative au pèlerinage à Jérusalem. L'image de la Rome chrétienne, avec ses basiliques, sans sanctuaires (cf tombe de St Pierre) , ses catacombes, se superposait progressivement à celle de la Rome païenne, et les lieux symboliques du pouvoir impérial, qui tombaient en ruine, étaient utilisés pour exhiber la suprématie de la religion chrétienne. L'exaltation de la gloire de la nouvelle Rome chrétienne qui a définitivement triomphé de la Rome antique devient un topos chez les écrivains ecclésiastiques. A la domination éternelle exercée sur le peuple chrétien s'opposait la décadence physique de la ville, autrefois domina orbis terrarum. Si Rome n'est plus le centre du pouvoir temporel, elle reste le centre du monde spirituel, représenté par la gloire du pape.
Pourtant, l'époque de la "renaissance carolingienne" (voir fausse donation de Constantin et sacre chez les carolingiens) voit Rome devenir la capitale d'un empire à la fois temporel et spirituel, même si son nouveau statut n'élimine pas la position de faiblesse de l'Eglise vis-à-vis des Empereurs. D'ailleurs, à maintes reprises, les grandes familles romaines cherchèrent l'appui des empereurs pour réduire la puissance du pape. Ainsi, en 817, après l'élection de Pascal 1er (817-824) : bien qu'à cette occasion, Louis le pieux eût confirmé à la Papauté la possession des territoires du patrimonium Petri et les privilèges et immunités de l'Eglise de Rome, une rébellion de l'aristocratie romaine opposée à la seigneurie temporelle des papes se termina par la répression exercée par le nouveau pape, qui fit aveugler et décapiter les révoltés. Dans l'aristocratie romaine, il y a la réutilisation des titres antiques comme consul, patricius ou princeps romanorum, référence aussi bien à l'époque républicaine qu'impériale, pour affirmer une tradition "laïque" face au pape. A cette époque, Louis le pieux fit rédiger un Libellus de imperatoria potestate pour fixer les rapports entre les deux institutions et il institua des missi dominici pour contrôler la justice papale.


Rome et la monarchie universelle

Othon 1er le grand (912-963) réussit à se faire sacrer empereur et obtient du pape que seuls les rois germaniques (les dirigeants de ce qui s'appellera à partir de Frédéric 1er -1155/1190- le St Empire romain germanique) pourraient ceindre la couronne d'empereur. En échange, le couronnement devait avoir lieu à Rome. Le mythe de la Rome antique revient sur le devant de la scène avec Otton III (973-1002) que celui-ci revendique comme la capitale réelle de son empire. Les textes de l'époque célèbrent la renaissance de l'Empire de Rome et les deux astres/luminaires qui éclairent la nouvelle monarchie universelle : le pape (Grégoire V) illustrant l'Eglise par le rayonnement de sa parole, et l'empereur Otton chassant les ténèbres par son glaive. Cependant l'idée impériale qui ressort de ces textes (et du cérémonial du sacre) diffère de celle carolingienne ; il s'agit ici de représenter Cesar comme le seul vicaire de Dieu sur terre. C'est un pouvoir laïc qui renvoie davantage à Auguste qu'à Constantin. Sur un sceau d'Otton III, est figuré Rome en jeune femme avec l'iconographie antique de la déesse Rome (son bouclier et sa lance) accompagnée de l'inscription [REN]OVATIO IMP.ROMANO. La mort d'Otton III et de Gerbert d'Aurillac, le pape Sylvestre II, ancien précepteur de l'empereur, mirent fin au projet politique qui utilisait le mythe de la monarchie universelle pour installer concrètement le pouvoir politique impérial au coeur de Rome. Ce qui n'empêcha pas les successeurs (Henri II) de se proclamer "roi des Romains" avant même la cérémonie du sacre.

Evangéliaire d'Henri II : Rome tend le globe à Henri II. Figure de la translatio imperii

Rome et Babylone

La seconde moitié du XIe siècle marque le début d'un long conflit entre la papauté et l'Empire dans le cadre de la "querelle des investitures". L'Eglise de Rome revendique la plenitudo potestatis, la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. En Italie, l'Eglise de Rome revendique son autonomie politique et son rôle de puissance féodale. L'Etat pontifical se structure et se centralise. Dans cette lutte, la Papauté utilise les Normands, arrivés dans la péninsule pour combattre les Sarrasins en Italie du Sud et qui créent un royaume de Sicile dont le roi est investi par le pape. A Rome, faction impériale et faction papale s'affrontent régulièrement : en 1075, un complot contre Grégoire VII (auteur des Dictatus papae qui résument en 27 points l'idéologie théocratique affirmée par ce pape) blesse et enferme le pape la nuit de Noël. Le pape est libéré le lendemain "a furor di popolo" et l'animateur du complot, Cencius, fils d'un préfet de Rome, doit se réfugier auprès de l'empereur, Henri IV. C'est dans ce contexte qu'apparaît le thème, voué à une grande popularité dans les siècles suivants, de la Rome corrompue, nouvelle Babylone. Dans le texte de la chronique du moine benedictin Geoffroi Malaterra, De rebus gestis Rogerii Calabriae et Siciliae comitis et Roberti Guiscardi ducis fratis eius, alors que jadis Rome, resplendissante sur toute le terre, imposait ses lois et rabaissait par son épée les superbes, au contraire aujourd'hui, elle nourrit en son sein tous les vices, la luxure, l'avarice, l'hérésie simoniaque. L'ordre sacré tombe en ruine et Rome est responsable de son déclin. Le texte a probablement été écrit lors du schisme cause par la double élection papale de 1130 : Anaclet II,élu par les cardinaux romains et Innocent II, proche des milieux français, ce qui entraîna des guerres en Italie entre les Normands de Roger II de Sicile qui soutenaient Anaclet et une coalition suscitée par Bernard de Clairvaux, réunissant l'empereur et le roi de France, qui soutenaient Innocent.

Il faut relier cette thématique de la décadence de Rome aux texte prophétiques médiévaux qui circulaient largement. Une des plus anciennes ré-élaborations médiévales des prophéties antiques concernant Rome est celle de la prophétie de la Sibylle de Tibur. G.L. Potesta en compte 130 manuscrits pour la période médiévale. ("Roma nelle profezia ai secoli XI-XIII", in Roma antica nel Medioevo, p. 365-398). Il s'agit d'un texte probablement élaboré en Syrie entre les années 378 et 390, racontant l'arrivée à Rome d'Hécube, fille de Priam, pour interpréter un rêve que cent sénateurs avaient eu la même nuit. Sur l'Aventin, la sibylle associent les 9 soleils du rêve aux âges du monde. Le 4e âge est celui de la monarchie universelle d'Auguste et de l’avènement du Christ. le 5e correspond à celui des Apôtres et des pères de l'Eglise. Le 6e âge voit la décadence de Rome. La prophétie annonce que Rome est destinée à endurer d'innombrables souffrances avant une rénovation impériale qui l’amènera à dominer le monde entièrement catholique ne fois la conversion des Juifs. Puis ce sera le jugement dernier. Ce qui rejoint la prophétie de la Sibylle de Cumes, texte probablement composé au XIe siècle, dans lequel la fin de Rome est reliée au rêve de Daniel, tel que Jérôme l'avait interprété. Rome sera détruite par un empereur venu de l'extérieur.

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