jeudi 3 octobre 2019

Socialisme et communisme allemands face à Hitler

Un extrait du livre de Peter Weiss, L'esthétique de la résistance


L'Esthétique de la résistance est le dernier livre de l'allemand Peter Weiss, publié en plusieurs volumes entre 1975 et 1982. Il y opère un travail magistral de recomposition de la mémoire, celle de ses jeunes années, pour lutter contre l'oubli et donner à comprendre, et surtout, en dénonçant, à se révolter contre les forces de la destruction. 
On ne peut donc pas comprendre son texte, écrit dans une langue précise et exigeante, sans références historiques.

Ce passage évoque un groupe d'amis, tous communistes, qui se réunissent secrètement en 1937 dans la cuisine familiale du narrateur, pour discuter de politique.
"Les trois décennies écoulées étaient une période courte, mais la division du prolétariat en deux grands partis et les autres défections suscitées inévitablement par les désaccords  -1- avaient favorisé des revers qui guettaient de toutes parts, chaque signe de faiblesse étant exploité pour attaquer et étouffer toute tentative de rénovation à peine engagée. La lutte menée jusqu’au bord de l’inimitié mortelle entre les partis ouvriers, -2- la destruction de la solidarité, les effets du fractionnement, c’est à tout cela qu’on touchait [...]. Les discussions sur l’unité d’action entre communistes et socialistes se fondaient sur les décisions d’orienter la politique vers la formation de fronts populaires, qui avaient été prises quelques semaines auparavant lors du Septième Congrès Mondial du Komintern -3-. Ne disposant pas de détails sur les débats, nous avions contemplé des photographies de l’immeuble de l’Internationale communiste pour avoir au moins sous les yeux le lieu où siégeaient ceux dont les délibérations déterminaient notre destin. À l’époque, l’édifice aux proportions régulières et aux nombreuses fenêtres, tout à côté de la porte Trojckije donnant sur le Kremlin, nous l’imaginions se teintant de rose sous les petits nuages effilochés dans le ciel du soir ainsi que les coupoles d’or se dressant au-dessus des murs rouges aux créneaux ouverts en forme de lis et de l’autre côté, devant l’énorme place ouverte, le cube tassé, la Kaaba noire contenant le cercueil de l’homme blafard, libéré de tout. Nous tentions d’inscrire notre minuscule espace clandestin dans le grand modèle et de faire coïncider nos expériences solitaires avec des instructions générales, des devises dont le vaste contenu avait été rassemblé, comparé, évalué, révisé, durci et commenté par les délégués au cours de la discussion. [...]  Nous nous accrochions fermement à l’idée qu’au dehors il existait quelque chose, et qui se fortifiait et se préparait à la riposte et plus il devenait difficile de prendre contact les uns avec les autres au sein de ce qui restait de groupements illégaux -4- , de s’entraider et de s’informer réciproquement sur les projets en cours, plus le moindre détail permettant de tirer des conclusions sur la situation, le déroulement d’opérations au-delà de nos frontières, prenait de l’importance. [...] Ce que nous avions entendu dire de l’Espagne, du mouvement révolutionnaire en Chine, des agitations et révoltes en Asie du sud-est, en Afrique, en Amérique Latine ou sur les grèves en général, le regroupement des syndicats et des partis ouvriers en France -3-, nous incitait à penser que l’idée de la victoire sur les forces réactionnaires dans le monde n’était pas si erronée qu’on voulait nous le faire croire dans la phraséologie braillarde consacrée à la mise au pas dans notre pays. Mais lorsque nous essayions de déceler dans les entreprises et les organisations les signes d’un changement, de rébellion, de sabotages, nous ne rencontrions le plus souvent qu’une adaptation résignée, une passivité muette, et nos utopies ne pouvaient pas nous empêcher de voir que bon nombre de ceux qu’en janvier trente-trois nous avions encore vu se rendre, tremblants de froid, habillés pauvrement, à la maison Liebknecht, défilaient maintenant sous les drapeaux dans le rouge desquels les outils croisés des travailleurs avaient été remplacés par le symbole raide et anguleux de notre anéantissement."

Questions :
-1- Présentez les oppositions idéologiques entre les communistes et les socialistes allemands.
-2- Expliquez pourquoi l'auteur parle d'une "inimitié mortelle entre les partis ouvriers".
-3- A quelle date le Komintern passe t-il de la stratégie "classe contre classe" à la stratégie des fronts populaires", et pourquoi ?  En quoi consiste la nouvelle stratégie ?
-4- Que se passe t-il pour les mouvements ouvriers après l'accession de Hitler au pouvoir ?

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Une carte mentale sur le sujet des divisions entre communistes et socialistes qui résume la leçon



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Un sujet corrigé



Consigne : Après avoir présenté les documents, vous expliquerez les revendications du KPD et de ses partisans et décrirez leurs modalités d’actions. Vous préciserez enfin les limites de ces documents pour la compréhension de la diversité du mouvement ouvrier en Allemagne durant l’entre-deux guerres.

Document n° 1 : Roter Wedding (le « Wedding rouge »), Chant d’accompagnement des défilés du Front rouge des combattants, organisations paramilitaires du KPD.

 
               

Document 2 : « Le sens du salut hitlérien ». Couverture du magazine AIZ, octobre 1932. Sur l’affiche, on peut lire : « Des millions sont derrière moi ! » ; « Un petit homme qui demande de grands dons ».

 
 



Le document est extrait de l’hebdomadaire AIZ, Arbeiter-Illustrierte-Zeitung, journal illustré des travailleurs, fondé à Berlin en 1926. Le journal défend une ligne pro-soviétique et s’affirme à cette époque comme le magazine illustré des travailleurs. Le tirage peut atteindre jusqu’à 500 000 exemplaires. John Heartfield, de son vrai nom Helmut Herzfeld (1891-1968), publie dans l’hebdomadaire, entre 1930 et 1938, près de 250 photomontages. C’est en 1916 qu’il anglicise son nom pour protester contre le nationalisme allemand. Membre du parti communiste sous la République de Weimar (1919-1933), figure majeure du mouvement dadaïste de Berlin, il a pu être considéré comme le maître du photomontage de son époque et « le prototype et le modèle de l’artiste antifasciste » (Louis Aragon). Il fuit l’Allemagne nazie.





Proposition de correction 


                Le document n°1 est un chant d’accompagnement des défilés du Front rouge des combattants, organisations paramilitaires du KPD (parti communiste). Créé en décembre 1918, le KPD est membre de la IIIème internationale. Il a été fondé par R. Luxemburg et K. Liebknecht qui échouent dans leur tentative de révolution en Allemagne en 1919. Ils sont assassinés. Au début des années 1930, le KPD est un parti de masse, avec 300 000 militants venus du SPD (parti social-démocrate). Le document n° 2 est un photomontage c’est-à-dire un assemblage de photographies. Les principaux éléments donnent l’impression d’être rapportés, « collés » sur le document. Inventé par les dadaïstes berlinois[1], le photomontage a connu un essor considérable au lendemain de la Première Guerre mondiale. Forme satirique volontairement provocatrice, il est abondamment utilisé par les propagandistes et les publicistes. D’apparence simple, il permet d’être compris par un large public.

Le KPD et ses partisans ont pour revendication le renversement de la République de Weimar. Apparue en 1918, au lendemain du Premier conflit mondial, elle est jugée incapable de répondre aux revendications ouvrières : « Nous arrivons et nous faisons le nettoyage par le vide ». Ce renversement doit se traduire par la mise en place « d’une République soviétique allemande » à l’image de l’URSS, apparue après la révolution d’octobre 1917. Elle se caractérise par la collectivisation des moyens de production et la construction d’une société sans classes. La référence à l’URSS et à l’idéologie marxiste sont récurrentes dans le chant : « avant-garde de l’Armée rouge », « lutte de classe », « camarade », etc. Le texte révèle non seulement la dénonciation de la démocratie libérale symbolisée par la République de Weimar : « La République est un beau palais mais planté au milieu d’un marécage de bêtise et de réaction » mais aussi la mise en cause aussi violente du parti social-démocrate qui rejette toute démarche révolutionnaire : « Ni l’infamie du SPD », « la police du Zörgiebel » (préfet de police social-démocrate de Berlin). Respectueux de la Constitution, le SPD défend une république démocratique et parlementaire : c’est un parti de gouvernement qui participe à de nombreuses majorités. Le KPD considère le SPD comme un parti au service de la « bourgeoisie », ennemie du prolétariat. Enfin, « les fascistes » constituent une menace mais fixée, dans le document n° 1, « encore à l’horizon ». En 1929, les résultats du NSDAP (parti nazi) aux élections législatives, demeurent modestes (moins de 5 %) mais ne cessent de progresser. Le photomontage de J. Heartfield confirme ce présage. En 1932, à la faveur de la crise de 1929, le NSDAP atteint ses meilleurs scores (élections du 31 juillet : 37.3% des voix ; 6 novembre : 33.1%). Il constitue alors une véritable menace pour la démocratie et la révolution communiste voulue par le KPD. La « bourgeoisie » et le « capitalisme » sont accusés de favoriser l’ascension du parti d’Hitler. Si ce « petit homme » connaît un si grand succès, c’est parce que son parti est financé par de grands patrons : le personnage de gauche de grande taille comparativement à Adolf Hitler lui remet une épaisse liasse de billets.
Pour faire valoir leurs revendications, le KPD et ses partisans utilisent diverses modalités d’actions. Il s’agit tout d’abord de manifestations, défilés (le texte fait également référence à celui du 1er mai qui représente la fête du travail), à des chants (Roter Wedding mais aussi l’Internationale), à la violence (section paramilitaire du KPD, « poing serré », etc.), aux techniques artistiques. Ainsi, à travers le photomontage, John Heartfield, trouve un moyen de faire connaître les revendications du KPD au plus grand nombre. L’aspect satirique et volontairement provocateur (choix des titres) d’AIZ en font une revue particulièrement appréciée par les militants et sympathisants communistes.

Les deux documents rendent bien compte des revendications du KPD et de leurs adversaires au sein de la société allemande. La convergence de leurs points de vue ne permet pas de rendre véritablement compte de la diversité du mouvement ouvrier face à la République de Weimar et à la montée du nazisme. En contrepoint, ils révèlent les profonds désaccords existant entre le SPD et le KPD ; cette situation qui profite à Hitler. Après son arrivée au pouvoir, les organisations syndicales et partis politiques ouvriers sont supprimés.


[1]              Mouvement intellectuel et artistique qui, en Allemagne, se diffuse après la Première Guerre mondiale et remet en cause de façon radicale les contraintes imposées par l’art traditionnel, mais aussi la société (la guerre, la bourgeoisie, etc.).

jeudi 26 septembre 2019

Les récits de la première croisade

Notes de lecture d'un article d'Élisabeth Crouzet "les arts de la mémoire" dans Rerum gestarum scriptor : histoire et historiographie au moyen âge , mélanges Michel Sot 2012

Sur la première croisade, les récits foisonnent car il fallait faire connaître aux vivants les pieuses entreprises de ceux qui avaient pris la voie du Seigneur, et que, au nom de ceux qui étaient "morts dans le Seigneur", puissent se distribuer aumônes et oraisons. Ces événements "inouïs et dignes de la plus grande admiration" devaient être conservés dans la mémoire des fidèles. Sans doute pouvait-on ainsi susciter le désir du pèlerinage et inciter au départ.
Les ambitions des rédacteurs de ces récits sont celles de tous les historiens du moyen âge : raconter ce qui a été, sauvegarder la mémoire du passé, distribuer les enseignements, parfois faire le panégyrique d'un chef, tout en n'oubliant jamais que, dans l'histoire, s'accomplit l'œuvre de dieu. Dans le cas précis du récit de Croisade, il faut ajouter une fonction sacrée au récit, qu'on peut presque voir comme une incantation destinée à maintenir dans l'histoire la transcendance d'une geste sacrée.

En moins de 20 ans durant la croisade ou juste après, ce sont huit auteurs qui écrivent l'histoire de l'expédition de Jérusalem. Ils composent les histoires primitives, ensuite largement reprises. Ce sont des chroniqueurs, tous plutôt liés à un seigneur ou un contingent dont ils ont tendance à privilégier la mémoire. Par ordre chronologique, ce sont l'Anonyme normand, Raymond d'Agiles, Pierre Tudebode, Foucher de Chartres. Ils fabriquent et composent l'histoire des hauts faits d'une guerre menée avec une immense ferveur. Puis trois moines et leur mise en récit, Robert le Moine, Baudri de bourgueil, Guibert de Nogent ( laïc) et Raoul de Caen. Ceux-ci reprennent le récit, au prix d'une reécriture. En effet, ils en poncent les aspérités.
Les premiers narrateurs décrivaient sans que leur plume ne tremble les horreurs et la violence extrême de la guerre, y compris celles commises par les croisés. La violence pour eux s'accomplissait au nom de Dieu et selon sa volonté, au cri de "Dieu le veut". En décembre 1098, Jérusalem est prise  après un siège de quelques semaines. La ville est pillée, et on marche sur les cadavres disent les chroniqueurs. L'amoncellement des morts rend plus manifeste encore l'immense victoire des croisés. Raymond d'Agiles évoque la puanteur des cadavres, mais il préfère s'attarder sur la tranquillité des combattants chrétiens enfin au repos ("sine fastidio") après tant de souffrances qu'il a détaillé tout au long du récit. Détail morbide qu'il cite, tout comme l'Anonyme normand, ils ouvraient les cadavres, fouillant dans les intestins, car on y avait trouvé des pièces d'or. Ils rapportent même que, pour survivre alors que la famine règne, les croisés vont manger les cadavres en décomposition des vaincus. Deux autres chroniqueurs expriment, à demi-mot une plus grande distance vis-à-vis de cet épisode : "on a rapporté, "ce sont les Thafurs"...
2e exemple : la description du massacre qui suit la prise d'assaut du Temple de Salomon.  Chez Raymond d'Agiles, on marchait à cheval dans le sang. Chez Baudri, des ruisseaux de sang coulent jusqu'aux chevilles. Pour l'Anonyme, "nul n'a jamais ouï, nul n'a jamais vu un pareil carnage de la gent païenne".
Les mémorialistes de la 2e génération vont atténuer voire gommer ces épisodes, pour proposer un modèle de guerrier plus conforme. Difficile en effet, alors que l'Eglise s'emploie à cetet époque de pacifier la société chrétienne, d'exalter la joie de tant de morts. Déjà avec Foucher de Chartes puis Guibert de Nogent, les milites (soldats, guerriers) se voient purifiés ("purgatio") par la bataille des péchés liés à leur condition. La grâce divine peut leur être donnée par la croisade, assimilée à un martyre s'ils meurent au combat. Le discours du pape Urbain II au concile de Clermont, appelant à la croisade, est donc abondamment repris : "Qu'ils combattent maintenant comme il est juste, ceux qui autrefois tournaient leurs armes contre des frères du même sang qu'eux".  De ces guerriers croisés, Guibert de Nogent écrit qu'au moment du siège d'Antioche, ils "menaient une vie, non de chevaliers, mais de moines" et se soumettaient à toutes sortes de privations. Les textes de la 2e génération, qui sont des textes issus des milieux monastiques, ont opéré une re-pacification (textuelle) des guerriers revenus, du fait de la guerre sainte, à la violence sans règle de leurs ancêtres.

Bilan : On peut donc mettre en évidence des strates successives d'une mémoire collective des croisades. On voit s'opérer un processus de façonnement des faits et de leur mémoire selon des enjeux contemporains. La construction narrative, procédant selon les auteurs et les moments d'écriture de manière plurielle a proposé et composé des logiques historiques particularisées.


La prise de Jerusalem

4 textes pour monter une activité de comparaison des sources :
- soit pour illustrer l'article ci dessus, comparer le texte de l'anonyme normand avec celui de Guillaume de Tyr, plus tardif
- soit confronter source "croisée" et source musulmane









mardi 24 septembre 2019

Mémoires de la 2nde Guerre Mondiale : DS


Thème : Les mémoires françaises de la Seconde Guerre mondiale

Consigne : Après une introduction complète qui n'oubliera pas de présenter les documents, vous analyserez les documents pour montrer que la mémoire du rôle de la France pendant la seconde Guerre mondiale est passée d'une mémoire officielle résistancialiste (Première partie) à une reconnaissance "d'une dette imprescriptible" (Deuxième partie). Vous conclurez sur les débats encore vifs qui agitent cette mémoire.

Doc 1 : Extrait d'un manuel scolaire de 1958. Exercice sur  « La seconde guerre mondiale : Paris libéré, (août 1944). »
RÉCIT


Depuis 1940, les Allemands occupaient notre pays : les Français étaient esclaves sur leur propre sol. Mais ils voulaient rester un pays libre, et ils « résistaient » à l'« occupant ». L'occupant prit peur ; il emprisonna et tortura des milliers de patriotes français ; il les fit mourir de faim en Allemagne. D'autres furent fusillés ou massacrés. Des milliers de jeunes gens se réfugièrent dans le « maquis » où ils continuèrent la lutte. Malgré leur « résistance », les enfants de France ne pouvaient à eux seuls délivrer le pays. Les armées alliées débarquèrent en Normandie, et, en août 1944, elles marchèrent sur Paris. De leur côté, les Parisiens avaient attaqué les troupes allemandes qui occupaient Paris. Et voici les chars du général Leclerc qui arrivent dans la capitale. Les Parisiens, fous de joie, crient : « Vive la France ! » L'Allemagne capitule le 9 mai 1945.


QUESTIONS

1. Les Français « résistaient » : que faut-il entendre par là ?
2. Comment les « occupants » traitèrent-ils les Français ?
3. Que firent les armées alliées en 1944 ?
4. Comment Paris aida-t-il vaillamment à se libérer ?
5. V signifie Victoire : dessinez. »

Source :Extrait du manuel, Cours élémentaire,, Nathan 1959, direction Louis François, cité dans : Jean-Michel Gaillard, Histoire Terminale L-ES, Bréal, 2004, p. 266

Doc 2 : discours de J. Chirac en 1995 commémorant la rafle du Vel d'Hiv.

Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. (…) La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Conduites au Vélodrome d'hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l'on sait, d'être dirigées sur l'un des camps de transit - Pithiviers ou Beaune-la-Rolande - ouverts par les autorités de Vichy. L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. (…) Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible. (…) Cinquante ans après, fidèle à sa loi, mais sans esprit de haine ou de vengeance, la Communauté juive se souvient, et toute la France avec elle. Pour que vivent les six millions de martyrs de la Shoah. Pour que de telles atrocités ne se reproduisent jamais plus. Quand souffle l'esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l'exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d'une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. (…) Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'œuvre. Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France , droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy.





Sujet de bac: étude de document /
Les mémoires de la 2nde Guerre mondiale

Comment combattre le négationnisme ?

« L’instruction constitue un des vecteurs privilégiés de la transmission du savoir. « La mémoire est-elle menacée ? » questionne Le Monde pendant l’été 1988. Pour conjurer ce risque, certains ont entrepris des actions auprès des jeunes afin de les sensibiliser à l’histoire du génocide. Le comité d’information des lycéens sur la shoah […] propose à de jeunes gens des voyages à Auschwitz. Comme le précise l’avocat Serge Klarsfeld, ce ne sont pas des pèlerinages : « Nous voulons que ces garçons et ces filles, en majorité non juifs, soient les témoins des relais de la mémoire. » En mars 1988, une centaine d’enfants se retrouvent ainsi sur les lieux du camp d’extermination et entendent les explications d’anciens déportés.[…]
Parallèlement, certaines personnes, comme Henri Bulawko, résistant et ancien déporté d’Auschwitz, président de l’amicale des anciens déportés juifs de France, se rendent dans les lycées pour témoigner et transmettre leur expérience. Le combat contre le négationnisme et ses adeptes passe inéluctablement par la sensibilisation des jeunes générations susceptibles d’accréditer ce discours parce qu’ils n’ont pas vécu la période de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont plus à même de se laisser gagner par le doute. Nous le savons, les négationnistes […] ambitionnent de toucher la génération des 15-20 ans. »

Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000.

En vous appuyant sur le document et vos connaissances de cours, expliquez pourquoi la mémoire du génocide juif évolue avec/contre le négationnisme et montrez les enjeux et les difficultés du travail de l’historien.





SUJET ETUDE CRITIQUE DE DOCUMENT : La mémoire du génocide juif

Document : extraits du discours de Simone Veil1  , Amsterdam le 26 janvier 2006.

Et puisque nous commémorons demain la date anniversaire de l’arrivée de l’Armée rouge dans le camp d’Auschwitz, je souhaite rappeler comment nous, les déportés, avons vécu ce que l’on a appelé « la libération», ne serait-ce que pour mieux mesurer le chemin accompli dans la mémoire européenne depuis 1945. Je dis européenne, mais je pourrais dire mondiale, puisque l’Assemblée générale de l’ONU a, comme vous le savez, adopté en novembre dernier une résolution pour que le 27 janvier soit reconnu par les nations, même par celles qui n’ont pas été directement concernées par la Shoah, comme la « journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste. »
[…] Ce que nous avions à raconter, personne ne voulait en partager le fardeau. Dans l’Europe libérée du nazisme, qui se souciait vraiment des survivants juifs d’Auschwitz ? Nous n’étions pas des résistants, nous n’étions pas des combattants, pourtant certains étaient de vrais héros, et pour l’histoire qui commençait déjà à s’écrire, pour la mémoire blessée qui forgeait ses premiers mythes réparateurs, nous étions des témoins indésirables. Même le procès de Nuremberg dont nous venons de célébrer le soixantième anniversaire, avait peu pris en compte la dimension de la Shoah dans les crimes contre l’humanité, qui pour la première fois de l’histoire, étaient jugés. Il s’agissait de créer un nouveau concept pour juger les crimes de masses, avec bien sûr les victimes juives, mais celles-ci n’étaient pas au cœur des débats. Il a fallu attendre le procès d’Eichmann2 en 1961, pour que l’on commence à prendre en compte la spécificité des crimes commis par les nazis. D’ailleurs, même les historiens, pendant des décennies, ont mis très longtemps à prendre en compte nos témoignages, et chaque fois que j’y pense, j’éprouve le même sentiment de colère. Mais nous étions, pour eux, des victimes, et nos témoignages étaient donc subjectifs et partiaux. Pendant de longues années, la Shoah n’intéressait personne. Le lent et difficile travail de mémoire qui s’est enfin accompli depuis, l’a arrachée à l’indifférence, comme il nous a rendu notre place. Quel renversement ainsi aujourd’hui, où nous ne cessons d’être sollicités, où partout on nous demande de témoigner, parce qu’après nous, plus personne ne sera là pour rappeler ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vécu. Lentement, Auschwitz est peu à peu devenu le symbole du Mal absolu, la Shoah, le critère d’inhumanité auquel se réfère aujourd’hui la conscience moderne, chaque fois qu’elle craint de s’égarer. Cela a pris du temps. La portée universelle du génocide juif a été retenue. Cette maturation était nécessaire : elle a bouleversé la réflexion sur la modernité, révolutionné la pensée politique jusque dans ses fondements, entraîné les progrès du droit international3.
 […] Je voudrais à présent aborder, après la digue que constitue pour moi, la construction d’une Europe solide et démocratique, ce qui, à mes yeux, constitue un second rempart : je veux parler du rôle de l’histoire, de l’éducation et de la transmission de la Shoah. L’Europe doit connaître et assumer tout son passé commun, ses zones d’ombre et de lumière ; chaque Etat-membre doit connaître et assumer ses failles et ses fautes, être au clair avec son propre passé pour l’être aussi avec ses voisins. Pour tout peuple, ce travail de mémoire est exigeant, souvent difficile, parfois douloureux. […]

1-      S. Veil est une ancienne déportée, ancienne ministre sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
2-      Adolph Eichmann fut pendant la guerre le responsable de la logistique de la « solution finale » en tant que chef de la section du RSHA (police et renseignements) qui s'occupait des « affaires juives et de l'évacuation ». Echappant à l’arrestation, il vécut caché après-guerre en Amérique latine et fut « enlevé » par des agents des services secrets israéliens. Son procès eut un retentissement international. C’est à cette occasion qu’Hannah Arendt écrivit Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal.
3-      Peut-être une allusion à l’installation de la CPI (cour pénale internationale) en 2002. Basée à La Haye, elle juge les personnes pour crime de guerre, crime de génocide et crime contre l’humanité.


Consigne : après une rapide présentation du document, vous expliquerez pourquoi Simone Veil parle des juifs rescapés de 1945 comme des « témoins indésirables pour une mémoire blessée qui forgeait ses premiers mythes  réparateurs». Dans un deuxième temps, vous présenterez les différentes étapes et processus qui ont permis l’établissement de la mémoire du génocide juif. Dans une 3e partie vous reviendrez sur l’analyse que fait l’auteur de la difficulté et de l’importance du travail de mémoire effectué par la communauté historienne.




Thème : Le procès Papon et la mémoire de la collaboration

Consigne : Après avoir rappelé l'évolution de l'opinion publique sur la collaboration du régime de Vichy, montrez que le procès Papon est révélateur d'une nouvelle mémoire de cette période. Expliquez, à partir de ce document, les débats qui agitent les Français sur la tenue de ce procès. 

         "Le 2 avril 1998, après 94 journées d'audience, 12 h de réquisitoire, 72 h de plaidoiries et 19 h de délibéré, la cour d'assises de Bordeaux rend son verdict. Reconnu coupable de complicité de crimes contre l'Humanité pour son rôle dans l'arrestation de 1 600 Juifs alors qu'il était Secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, Maurice Papon et condamné à dix ans de réclusion criminelle et à la privation de ses droits civiques. Le procès le plus long de l'après-guerre s'achève. Et avec lui un autre procès, instruit celui-là hors du prétoire, dont l'accusé fut autant l'ancien haut-fonctionnaire de 87 ans rattrapé par son passé vichyste que son procès lui-même.
         Faut-il juger Maurice Papon ? Interrogés par plusieurs instituts de sondage avant l'ouverture des débats, les Français, surtout le jeunes et les sympathisants de gauche, sont majoritairement favorables à la tenue du procès. Les intellectuels, eux, sont plus septiques. Certains doutent de la légitimité d'un procès qui a lieu plus d'un demi-siècle après les faits. [...] Pour ses contempteurs (= personne qui dénigre quelqu'un ou quelque chose), le procès Papon pose donc la question de la mise en pratique de l'imprescriptibilité des crimes contre l'Humanité, inscrite dans le droit français depuis 1964. Persuadé "qu'une des conditions d'un jugement équitable manque quand on est trop loin des faits", l'essayiste Paul Thibaud craint que cette distance n'amène la justice à se tromper d'objet. "L'opinion se moque bien que le procès de Papon soit équitable. C'est le procès d'un régime, voire d'une époque, qui l'intéresse, estime-t-il (Le Débat, 09 / 10 / 1997).
         Juger Vichy à la place de Maurice Papon ? Le risque paraît d'autant plus légitime que beaucoup de Français, en cette fin de XXe siècle, restent convaincus que "l'épuration n'a pas été faite", comme l'observe l'historien Pierre Nora. [...] D'où l'attente suscitée par le procès Papon, censé parachever, après ceux de Klaus Barbie et de Paul Touvier cette "seconde épuration", selon l'expression de l'historien Henry Rousso, plus centrée sur la question du génocide que ne le fut l'épuration d'après-guerre. [...]
         En tant que dernier survivant, Maurice Papon se trouve [...] érigé en symbole d'une politique de collaboration dont il ne fut qu'un agent d'exécution. "Il est très difficile de juger un seul homme pour tout un système, toute une politique, de lui en faire porter tout le poids", reconnaît Claude Lanzmann. (Le Monde, 1er avril 1998).

Article de Thomas Wieder,
Rétrocontroverse : 1998, fallait-il juger Maurice Papon ?, Le Monde, 16 août 2007




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