Copié-collé du chapitre du livre de Giacomo Todeschini, Les Marchands et le Temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen Âge à l’Époque moderne, Albin Michel, Paris, 2017.
Chap 4, partie 4. La restitution des Scrovegni
La chapelle des Scrovegni, à Padoue, est un cas particulièrement significatif de « restitution », y compris du point de vue visuel. La construction de cet édifice, dont les fresques réalisées par Giotto, peintre « franciscain », sont célèbres, remonte au début du XIVe siècle. Elle résulte d’une donation des banquiers Scrovegni, c’est-à-dire d’une restitution de la part de leur richesse qui est supposée être le fruit de l’usure. Dans la géographie symbolique et charismatique de la ville de saint Antoine, véritable citadelle « mendiante » du nord de la Péninsule, cet édifice sacré, rendu encore plus précieux par le cycle iconographique de Giotto, apparaît donc comme la représentation matérielle, visible, de richesses accumulées de manière illégitime, mais rachetées, c’est-à-dire réinvesties dans un objet complexe, socialement profitable. Son usage multiple renvoie à une signification économique et civique complexe et cohérente.
Enrico Scrovegni, banquier mort à Venise en 1336. Monument funéraire (chapelle Scrovegni) Dans sa bio wikipedia, il est dit que "il poursuit la politique monétaire initiée par son père — placé par Dante Alighieri dans le septième cercle de l'Enfer de la Divine Comédie à cause de ses gains notoirement mal acquis — et l'utilise afin d'assurer son ascension politique. Étant lui-même étant un prêteur à grande échelle, la tradition veut qu'il ait fait construire la chapelle des Scrovegni et embauché Giotto pour expier ses propres péchés d'usure ainsi que ceux de son père. Ce qui peut infirmer cette idée aujourd'hui controversée est que la somptueuse chapelle était destinée à son usage personnel et reliée au grand palais attenant qu'il s'était fait construire. Il est banni de Padoue en 1328. |
Notons tout d’abord que la « Chapelle des Scrovegni », en tant qu’investissement ou richesse thésaurisée de la famille, se dévoile à la Padoue du xive siècle comme un emblème ostentatoire de la puissance de l’idéologie franciscaine et augustine de la dépossession. Elle témoigne de la réorganisation couronnée de succès d’une part illégale de patrimoine, permettant de légitimer celui-ci, selon des modes d’usage conçus comme socialement productifs. Le bien mal acquis de l’usure se convertit ainsi en murs consacrés et en images capables d’enseigner des concepts théologiques et économico-sociaux d’une haute complexité. Déployés par la tradition canonique et théologico-morale depuis le xiie siècle au moins, ces concepts se sont progressivement déposés dans les textes postérieurs au Decretum de Gratien, dans les codifications canoniques du xiiie siècle, avant d’être recueillis et mis en lumière par la réflexion économique des Mendiants.
Pour illustrer ce cas remarquable de « restitution », arrêtons-nous sur trois épisodes du récit narré par cet édifice : la signification qu’il prit par lui-même, en tant qu’objet sacré et précieux, produit par la dialectique réelle et métaphorique de la valeur concrétisée au cœur de la Padoue franciscaine ; le discours visible sur les vertus et les vices sociaux qu’il accueillit et transmit aux fideles ; la séquence visuelle, offerte sur ses murs, qui est aussi une réflexion complexe autour de la question des rapports entre le sacré et l’économique culminant dans la célèbre représentation des marchands chassés du Temple.
Construite entre 1302 et 1305 grâce au financement d’Enrico Scrovegni, la chapelle fut peinte à fresque par Giotto. Celui-ci était déjà célèbre à Padoue pour avoir peint dans la basilique Saint-Antoine.
Analysons d’abord la géographie des images pour y saisir le parcours et les particularités d’une réflexion théologique et canonique, telle que celle qui a été évoquée dans les pages précédentes, en essayant de ne pas forcer le contenu du texte iconologique. Il est clair, en raison en particulier de sa situation, que la représentation des « marchands chassés du Temple », où sont mis en scène les personnages et objets nécessaires pour illustrer la véhémence de l’expulsion et la fureur du Christ, en référence directe à l’évangile, appelle aussi immédiatement une autre référence, connue de tous les commentateurs des XIIe et XIIIe siècles : un texte apocryphe de Jean Chrysostome dont les collaborateurs de Gratien avaient tiré l’addition (palea) Ejiciens du Decretum, où le texte évangélique se muait en texte d’éthique économique. Il y était établi que l’usurier était « le plus maudit » des marchands et que l’usure, critère de la non-appartenance à la cité des fidèles, entraînait précisément l’expulsion du Temple, autrement dit l’exclusion de la communauté des véritables chrétiens. Dans le texte du Pseudo-Chrysostome et dans le contexte du Décret, comme du reste dans la fresque de Giotto, malgré une variante significative – comme nous allons le voir –, les « expulsés » du Temple appartiennent essentiellement à trois catégories : les marchands qui achètent et revendent les biens sans apporter d’améliorations ni les transformer ; les usuriers, qui tirent profit de la cession temporaire d’une somme d’argent qui autrement ne serait ni utilisée ni productive (ex pecunia reposita nullum usum capis) ; et, enfin, ceux auxquels se réfère le verset « et mensas nummulariorum evertit » (littéralement : « et il renversa les tables des changeurs » [Mt 21,10-17 ; Mc 11,15-17 ; Lc 19,45-46 ; Jn 2,13-17]). D’après le Pseudo-Chrysostome et d’autres passages du Decretum, ces derniers seraient le symbole des hommes non spirituels, des hommes charnels présents au sein de l’Église, qu’il faut donc expulser ; ou bien, ils représenteraient les Écritures antérieures aux évangiles, donc sans valeur et bons à être jetés hors du Temple.
D’autres passages du code de Gratien interprètent l’épisode évangélique dans un sens anti-simoniaque : dans cette perspective, les marchands « expulsés » seraient ceux qui vendent et achètent les choses sacrées et qui corrompent, en la dénaturant, l’atmosphère du Temple. Quoi qu’il en soit, la liste des « chassés du Temple » prend dans la palea Ejiciens une forme tripartite, qui ne correspond pas complètement au contenu de l’image de Giotto. Les étrangers au Temple sont des marchands qui exercent leur activité quand et comme il ne le faudrait pas. Mais ils sont aussi des hommes dont la condition pécheresse a déformé, falsifié l’« empreinte » (caragma : l’image frappée sur la monnaie). Leur condition est symbolisée ostentatoirement par leur capacité à échanger ce qui ne peut s’échanger, pour en tirer profit : la marchandise qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation, la monnaie qui ne circule pas, les choses sacrées. Jouant linguistiquement sur la métaphore « homo moneta Dei » qu’on trouve déjà chez Augustin, l’auteur du texte de la palea, puis à sa suite Gratien, ses commentateurs et les scolastiques du xiiie siècle, établissent une égalité entre l’immoralité marchande-usuraire et l’identité « infidèle » des hommes qui sont porteurs de cette immoralité. Si l’illégalité économique se concrétise par l’illusion de la vente de ce qui n’existe pas (la valeur d’argent ou de marchandises n’ayant aucune valeur ajoutée à leur valeur apparente), l’humanité, ou la chrétienté des « marchands du Temple », sont des falsifications, des monnaies frappées par le diable à la ressemblance de celle authentique, frappée à l’image de Dieu (in templo Dei non debent esse nummi, nisi spirituales, id est, qui Dei imaginem, non diaboli, portant).
Toutefois, dans l’image de Giotto ainsi que dans le texte de Gratien, quelque chose manque. Les « mercatores » expulsés du Temple sont bien de vrais marchands, et cela même s’ils sont dénoncés comme malhonnêtes et incapables, voire pire, comme marchands de « colombes », c’est-à-dire du Saint-Esprit (des biens consacrés) ; les « usurarii », chassés eux aussi, sont bien des vrais usuriers, autrement dit des marchands dépravés, qui font commerce d’une valeur inexistante ; mais les « nummularii », les changeurs, évoquent des attitudes morales qui ne sont pas symboliquement déformées par rapport au coin de la fidelitas authentique. Cependant, comme la monnaie échangée dans le Temple ne peut être que de nature spirituelle, leurs tables (mensae) sont renversées par le Christ. Le nummularius, le changeur, disparaît ainsi du discours en tant que figure professionnelle, concrètement analogue au mercator ou à l’usurarius. Aucune trace de lui dans la fresque de Giotto. On reconnaît, à gauche, la communauté apostolique, le groupe de fideles, porteurs d’une auréole dorée qui entoure leur tête (le caragma Dei, dans toute sa magnificence, comme un sceau d’or), au centre, le Christ qui, d’un geste menaçant, exprime sa volonté d’expulser les infidèles du Temple et, à droite, les « marchands », dépourvus des signes qui pourraient les désigner comme élus. Dans la bande inférieure de l’image, le bétail, les colombes, une table renversée évoquent l’activité marchande des rejetés. Mais rien ne les associe aux changeurs. La scène ne fait aucune allusion aux monnaies et ne contient aucune représentation précise de monnaies frappées.
Dans sa totalité, la chapelle constitue une restitution à la ville de l’argent usuraire. En tant qu’édifice sacré, écrin contenant des objets précieux et hautement représentatifs, chargé d’un discours en images, elle concrétise la volonté des banquiers Scrovegni de « restituer » à la civitas, selon les normes théologiques et éthiques, une richesse inutile, en la muant en richesse socialement utile, et donc pourvue de sens. Mais cette « restitution » contient en elle aussi des éléments argumentatifs qui en font comme un segment dans une séquence économico-politique autant théorique qu’impliquée dans la vie quotidienne, visant à distinguer qualitativement les divers aspects de l’économie citadine. Rien d’étrange, naturellement, dans le silence de Giotto, de Gratien et des scolastiques du xiiie siècle sur le métier de changeur. Les historiens ont d’ailleurs montré depuis longtemps que l’éthique économique médiévale, entendue à la fois comme pensée juridique et comme réflexion théologique et économique, avait manifesté sa faveur à l’égard de cette profession, considérée comme procédant à l’échange entre des valeurs réelles (les différents prix des monnaies). Elle était donc à l’origine d’un profit légitime et utile à la communauté, mais aussi des activités bancaires de marchands et compagnies de commerce.
Cependant, le chemin qui mène les Scrovegni à la « restitution » permet de comprendre quelque chose de plus à la reconnaissance de l’utilité d’un métier comme celui de changeur. C’est précisément le fait que les images et le lexique se complètent mutuellement dans une œuvre concrètement architecturale et picturale, visant à instruire et à moraliser, qui nous éclaire sur la légitimation des changeurs. Celle-ci n’est pas due à la nécessité de conformer la théorie à la pratique, de trouver un compromis entre doctrine et vie quotidienne, mais elle résulte plutôt du réseau complexe de comportements et de pratiques sociales auquel appartiennent les écrits de Gratien et des scolastiques, la politique de la restitution pratiquée par les Scrovegni, les pressions exercées par les frères mendiants sur les héritiers des usuriers pour qu’ils transforment la richesse mal acquise en œuvres utiles pour la société des fidèles[70], et les images de Giotto. Et ce sont ces images qui, en combinant de façon visible les enseignements des prêcheurs, théologiens et confesseurs, unifient et muent en un objet – le cycle des fresques des Scrovegni – une notion d’économie vertueuse.
Un fil rouge de notions économiques et sociales précises lie les fresques, et il est méta-linguistiquement représenté par la chapelle elle-même en tant qu’objet et contenant. En témoigne en particulier la représentation des vices et des vertus, peinte au-dessous du registre des scènes de la vie du Christ. Le cycle des vices conduit de la stultitia à la desperatio, de la vaine folie de la non-fidelitas au mouvement ondoyant de l’inconstantia, au geste autodestructeur de la desperatio induit par des comportements qui, comme l’invidia, illustrent clairement l’anti-socialité du désir de possession finalisé à lui-même.
S’oppose au cycle des vices celui des vertus, parmi lesquelles se distingue la figure particulièrement significative de la Karitas. Cette personnification majestueuse de l’art de la redistribution, fondement d’un gouvernement ordonné de la cité, évoque d’autres représentations du même sujet contemporaines ou plus tardives. Mais elle se distingue d’elles par la minutieuse précision de l’exécution du personnage et de l’inscription située au-dessous de l’image, échos d’une typologie conceptuelle empruntée aux traités politiques écrits dans les mêmes années par Rémi de Florence et Ptolémée de Lucques, mais aussi à la production doctrinale des écoles des Mendiants. Avec sa main gauche, Karitas offre son cœur au Christ, tandis qu’elle tient de sa main droite une représentation de la richesse offerte à la communauté des fidèles : des fruits de la terre, comme une corne d’abondance, transposant en image la réflexion sur l’éthicité de la fructificatio qui, de Pierre Damien aux débuts du xive siècle, avait progressivement opposé la productivité matérielle et spirituelle chrétienne à la stérilité improductive des infidèles[74], la capacité du serviteur fidèle d’investir les talents qu’on lui avait confiés à l’inique thésaurisation typique du serviteur paresseux.
Cette représentation de la fructification, autrement dit de la richesse vertueuse, dérivant de la Karitas, distribuée à la communauté par cette personnification de l’alliance solidaire entre fideles, ressort encore plus par la représentation de ce à quoi elle s’oppose : les bourses que la Karitas foule à ses pieds. C’est un indice clair de la condamnation des richesses thésaurisées et improductives, de la pecunia reposita, présentée comme la négation de la fertilité dans la tradition textuelle qui, d’Ambroise au Pseudo-Chrysostome, avait été accueillie dans le texte du Decretum. Significativement, Karitas apparaît de surcroît arrondie par une grossesse qu’on ne doit pas séparer symboliquement de la richesse sacrée de la ville, de la civitas christiana qu’elle représente. Dans d’autres représentations, comme la sculpture du Siennois Tino da Camaino (1321) ou le tableau de Pollaiolo (xve siècle), Caritas apparaît comme une allégorie de l’oblation et de la distribution dont la capacité nourricière se distingue peu des représentations contemporaines de la Vierge allaitant. Giotto traite ce sujet avec plus de subtilité, ou plus exactement selon les termes d’une dialectique savante et doctrinale spécialisée. Sa Karitas est à la fois productive et distributive : par sa force active, elle produit, reproduit et offre, mais elle nie aussi la richesse enclose et stérile. Comme l’ont remarqué Carla Casagrande et Silvana Vecchio, la richesse renfermée dans la bourse, placée inutilement sous les pieds de Karitas, n’est autre chose que « la bourse que tient Invidia ». Ainsi, dans la figure de l’invidia, le vain désir de ce que l’on ne possède pas, et qui pour cela prend de la valeur, coïncide-t-il avec la dynamique de l’avaritia. Par sa capacité à contenir, reproduire et distribuer, la caritas s’oppose donc aussi bien aux logiques du désir indiscipliné et antisocial qu’à celles de l’avaritia, la convoitise et l’accumulation stérile de richesses.
Notons aussi que l’association, fréquente dans le droit canon, entre caritas et sollicitudo, entre vertu administrative et diligence attentive – qui désignait à l’origine l’engagement du clergé à garder intacts les biens ecclésiaux, quitte à les enlever, si nécessaire, à celui qui s’en était emparé de manière arbitraire – se lie ici à une notion civique d’ordre économique. C’est précisément celle-ci que Giotto peint et que les frères mendiants examinent dans leurs traités sur les contrats. L’inscription placée sous l’image met enfin l’accent sur l’impartialité de la caritas (cuncta cunctis liberalis offert manu, spetiali zelo caret), désignant la vertu oblative par le terme qui signifiait classiquement la générosité en sens éthique (liberalitas). Ainsi sa compétence législative apparaît explicitement (pro decreto servat normam)[77].
Cet assemblage d’image et de texte n’est pas seulement avertissement ou enseignement : il dit le parcours et la formation de la notion de cité. Dans un cadre narratif, le cycle des vices et des vertus au registre inférieur et celui des scènes de la vie de Jésus et de la Vierge au niveau supérieur composent un objet, la chapelle elle-même, dont la valeur civique s’organise matériellement par la stratification de couleurs, figures, concepts, matériaux de valeur artistique et architecturale grande ou moins grande. Aussi bien l’expulsion des marchands du Temple, placée auprès de l’autel, que la manifestation de la Karitas, sur le côté opposé de la nef, à proximité de l’entrée de la chapelle, instruisent l’historien sur l’importance et la signification de l’acte de la restitutio dans la Padoue du début du xive siècle. La « machine » architecturale et picturale salutaire, voulue et payée par les Scrovegni, offre à la civitas des chrétiens un discours et en même temps une accumulation organisée de richesses. Elle illustre à la fois une technique (mendiante et scolastique) de persuasion économique et politique, une logique doctrinale et éthico-économique, et une manière concrète de « restituer » à la communauté chrétienne, entendue comme ville productive, cette part de richesses qui lui avait été soustraite par suite d’opérations économiques étrangères à la sacralité de l’activité collective. Ces actions ne coïncidaient donc pas avec la mystique d’une « productivité » (fructificatio), conçue comme caractéristique des probati et fideles, autrement dit des chrétiens porteur du caragma, du signe de la fides authentique.
En raison du dialogue qui s’établit entre ordres mendiants (franciscains et augustins) et marchands-banquiers (les Scrovegni), la dynamique de la « restitution » donne lieu à la réalisation et à l’institution de structures qui, comme la chapelle padouane, thésaurisent et capitalisent la valeur restituée. Elle transforme la valeur rendue en objets, thésaurisés au profit de la ville et non de l’individu ; elle la capitalise en la reproduisant sous la forme d’une conscience accrue – et diffusée au sein de la civitas – du sens éthique qu’acquiert la richesse des chrétiens, lorsqu’elle est investie selon les termes prescrit par la raison ecclésiale : des termes considérés comme productifs pour la collectivité des alliés au nom du Christ, des fidèles. Dans cette perspective, « restituer » signifie avant tout lire dans la richesse, dans toute sorte de richesse, même la plus égocentrique et déviante, la possibilité de la restaurer et de la réinvestir, de sorte qu’elle ouvre aux chrétiens unis par le lien de la caritas et de l’amor patriae une voie vers le salut. Une fois réintroduite dans le cercle du patrimoine citadin et contrôlée par les garants du sacré, même l’accumulation de monnaie la plus avaricieusement occultée peut se transformer en un flot de lait divin et inépuisable[78].
Dans ce sens, restituer, indemniser, compenser apparaissent, pour l’Occident chrétien à la fin du Moyen Âge, comme prémisses nécessaires de toute économie de l’échange. À tout moment, la restitutio offre au prêt, à l’achat et vente, à la cession à temps déterminé, à toutes les formes de dialectique du donner et de l’avoir une occasion de vérification et de réparation. La restitution, comme critère reconnu d’une économie éthique devient la marque d’un marché qui se pense comme une ecclesia, comme l’assemblée de ceux qui seront en toute probabilité sauvés. Cette assemblée peut s’entendre comme la congrégation des fidèles (congregatio fidelium) de Thomas ou d’Ockham, ou comme la convocation des prédestinés (convocatio praedestinatorum) de John Wyclif. Le système d’obligations entre personnes qui stipulent les contrats, ainsi que la communauté des contractants (communitas contrahentium) renvoie constamment à la possibilité de rétractation offerte par la restitutio. Au cœur énergétique de la fidelitas, comme un mortier liant ecclesia et marché, se tient l’amicitia politica, à la fois alliance et familiarité, que Thomas d’Aquin considérait, en se fondant sur Aristote, Cicéron et le premier droit pénitentiel du xiiie siècle, comme typique de toute communauté probe et efficace.
Plus d’un siècle après la « restitution » des Scrovegni, les Observants, héritiers de la tradition intellectuelle franciscaine qui, avec Olivi, avait commencé à codifier la réflexion sur « restituer » comme réflexion sur la circulation ordonnée de la richesse au sein de la communauté des chrétiens, transformeront définitivement les lexiques de la restitutio en un chapitre spécialisé de tout discours économique interne à la civitas fidelium. Très vite impliqués dans la construction d’un système discursif de l’administration citadine, des franciscains de l’observance, comme Angelo da Chivasso, à Gênes, ou Alessandro Ariosti et Francesco Piazza, à Bologne, pourront soutenir que « restituer » s’inscrit dans la logique, typique d’une société marchande, des indemnisations et des garanties commerciales. Ils découvriront aussi dans la restitutio un principe à même de légitimer la collecte de l’impôt, même si, cela vaut d’être rappelé, les collecteurs eux-mêmes chargés par les pouvoirs locaux resteront définis comme des sujets contraints à la restitution en cas d’abus de leur office.
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