Une précision : je résume ce livre lors de mes insomnies et dans les salles d'attente avec mon téléphone. Aussi, j'ai procédé essentiellement par copier/coller de passages avec quelques phrases de résumé pour faire la liaison...bien plus pratique que de tout écrire avec un tout petit clavier virtuel
Parmi les quelques questions importantes que l'on peut se poser sur les phénomènes révolutionnaires, il en est une incontournable, celle de la violence. Le nouveau livre de Timothy Tackett, cet historien américain éminent spécialiste de la période, a pour projet de chercher l'origine d'une culture politique de la violence qui s'impose au moment de la Terreur chez ceux qui conduisent la révolution française. Il s'agit d'en faire la généalogie depuis le début de la révolution, car pour l'auteur, c'est le processus révolutionnaire lui même qui a adapté les mentalités à l'acceptation d'une" politique d'Etat de répression sévère et violente", sans négliger toutefois le poids des événements spécifiques du moment 1792-1994.
Dans la phrase qui précède, j'ai repris la phrase de T. Tackett qui peut constituer une sorte de définition de la Terreur, mais l'auteur insiste sur deux mises au point liminaires et essentielles, au vu des controverses idéologiques autour de cette période :
1- la Terreur n'a jamais été un système organisé et unifié, mais au contraire largement bricolé/improvisé à partir de la fin de 1791
2- Il y a eu plus de morts lors des attentats du 11 septembre 2001 que d'exécutés à Paris durant toute la Révolution française. Ainsi, un pourcentage considérable des suspects de l'An II ont été relâchés et ont été au final disculpés. Cependant, 90 députés de la Convention (soit 10 % du total) périrent, exécutés ou en prison en 1794.
Enfin, dernière précision, ce livre s’intéresse aux révolutionnaires, c'est-à-dire concrètement une certaine élite de la France de l'époque, les hommes des classes moyennes éduquées, suffisamment riches pour ne pas avoir forcément besoin de travailler en lieu et place d'occuper des fonctions administratives locales, et au métier non physique. Ils appartiennent à Paris au cinquième de la population masculine, capable de faire plus que signer son nom sur un contrat de mariage et d'occuper un poste important parce que qu'ayant reçu une éducation en collège : pour la France, c'est environ 2 % seulement de la population ! Une très très forte proportion d’entre eux est passé par des études de droit : un tour d’esprit juridique était l’un des traits les plus caractéristiques de la culture des leaders révolutionnaires.
Dans le chapitre 1, l'auteur revient sur une présentation ample des traits les plus communément partagés entre les premiers révolutionnaires : formation, sentiment de classe (non pertinent d'après lui), position sociale, mentalité moins marquée par l'esprit des Lumières que ce que nos programmes nous invitent à exposer aux élèves, profonde curiosité et optimisme global, malgré les critiques des ratés du système dans lequel ils vivaient. "Clairement, dit-il, à la fin du XVIIIe siècle, la pensée critique allait de pair avec la déférence sociale". Il n'y a nulle part, dans les sources qu'il a compulsé (essentiellement les correspondances) de formulation d'un projet global de remise en cause de la société d'Ancien Régime. Les futurs révolutionnaires, quand ils reprennent les idées des Lumières, sont plus proches de Voltaire que de Rousseau qui est rarement cité. Vis-à-vis du peuple, il y a le plus souvent méfiance et une incompréhension à l'égard des emportements, de l’irrationalité et de la violence des mœurs. Enfin, il rappelle que les progrès économiques de la fin du XVIIIe siècle profitent globalement à ce groupe social alors même qu'ils inquiètent les catégories populaires fragilisées par l'inflation.
Sur l’appréciation générale de la violence chez ces futurs révolutionnaires avant le déclenchement de la Révolution, le point central est que globalement systématiquement s'exprime la condamnation la plus ferme de la violence, sous toutes ses formes : la violence ritualisée des nobles dans leurs duels pour l'honneur (concept qui ne correspond à rien chez les "révolutionnaires"), violence institutionnalisée et légitime de l'Etat avec l'usage de la torture et de la peine de mort, violence-colère des pauvres, même quand ils se révoltent contre leurs conditions de vie par ailleurs jugées indignes. En revanche, une forme de violence est acceptée, elle est à l'époque largement théorique, c'est celle qu'il faut utiliser contre les ennemis de l'Etat, les conspirateurs : la mise en danger de l'état était, selon les argumentations juridiques à la mode à l'époque (Beccaria par exemple), le seul crime qui méritait la mort. Cependant, les futurs révolutionnaires, comme tout le reste de la société, dans leur quotidien, s'accommodaient fort bien des dizaines d’exécutions publiques prononcées par le Parlement de Paris, la plus puissante cour d'appel du royaume. Parce qu'ils font partie d'une élite, économique davantage que sociale, la crainte du vol et de l'agression transparaît régulièrement dans leurs correspondances. On admettait alors que les exécutions publiques avaient un caractère dissuasif, le juriste Jean Lavie soutenait la peine de mort comme un moyen de « terroriser » les criminels, insistant sur la nécessité d’inspirer l’effroi dans la population en général si l’on voulait prévenir le crime. D'où la participation fréquente en tant que spectateur (aux fenêtres pour ne pas avoir à se mélanger avec la populace) aux exécutions publiques, toujours précédées à travers la ville d'un long parcours d'infamie et de pénitence (le condamné est en blanc, il doit demander pardon en récitant des phrases rituelles...). Dans les cahiers de doléances envoyés à Versailles en 1789, on ne trouve pas une seule demande réclamant la suppression totale de la peine de mort, même si certains plaidaient en faveur d’une réduction du nombre de crimes soumis à exécution. En mai 1791, Robespierre et plusieurs de ses alliés prononcèrent des plaidoyers passionnés en faveur de l’abolition totale de la peine de mort, mais ils ne furent pas suivi par l'Assemblée et leur proposition d'abolition fut rejetée. La peine de mort est donc maintenue pour crime, fausse monnaie et lèse-nation. Sur le recours à la guerre, on a la même attitude ambiguë : condamnation théorique de guerres inutiles et coûteuses, mais reconnaissance que certaines sont justes (la guerre d'indépendance des Etats Unis ou la guerre contre les Turcs par exemple) et fascination, malgré tout, pour les exploits militaires.
Dans les chapitre 2 et 3
L'auteur revient sur les origines de la révolution française et l'année 1789
Parmi les Français, la guerre d’Indépendance américaine avait été relativement populaire. Plusieurs de nos futurs révolutionnaires – Vergniaud, Romme, Colson, Ruault – révélaient dans leurs lettres leur intense intérêt pour ce conflit. Colson commentait les mouvements des troupes françaises dans nombre de ses notes de travail, employant le « nous » pour les désigner – un signe évident de précoces sentiments d’identité nationale. De manière tout aussi significative, aucun des témoins ne décrit cette guerre en termes idéologiques, ni même n’emploie le mot de « révolution ». Ils la replaçaient dans le contexte européen ; ce n’était ni plus ni moins pour eux qu’une occasion pour la France de prendre sa revanche sur l’Angleterre qui l’avait battue pendant la guerre de Sept Ans une quinzaine d’années auparavant. Mais cette guerre acheva de ruiner la monarchie française.
La crise atteignit un sommet à la fin de 1786, quand le ministre des Finances, Charles-Alexandre de Calonne, présenta au roi un budget – le premier budget global de l’histoire de France – qui révélait la situation précaire des finances de l’État. Calonne proposa alors un programme de profondes réformes qui auraient rationalisé la collecte des impôts et l’aurait rendue plus uniforme. La mesure la plus radicale soumettait tous les sujets, y compris la noblesse, à un impôt proportionnel calculé pour tous de la même manière sur la base de l’évaluation des propriétés détenues. Le projet comprenait aussi la suppression des douanes intérieures (les « traites »), la libre circulation des grains, et la mise en place d’un système d’assemblées provinciales dans lesquelles les citoyens joueraient un rôle dans l’évaluation des impôts locaux. Le problème, cependant, était de faire approuver ces mesures par les parlements, dont celui de Paris, qui depuis un siècle, bloquait systématiquement toute tentative de réforme fiscale. L’assemblée des notables réunie en 1787 apporta une fon de non non-recevoir à Louis XVI. Le reste de la population ne savait pas exactement pourquoi cette assemblée avait été réunie , mais peu à peu les contenus des débats filtrent et on assiste à une progressive politisation de l'opinion publique, certains comprenant le nécessite pour le roi d'opérer une profonde reforme fiscale, d'autres défendant les droits des Parlements menacés dans leur existence par un projet du roi....
La politisation des Français entre 1787 et 1789 – période parfois appelée « Pré-Révolution » – se trouva renforcée par la convocation des assemblées provinciales en maintes provinces du royaume. Les trois ordres – le clergé, la noblesse et le tiers état – choisirent leurs représentants par des élections locales et provinciales. Les députés ainsi désignés devaient collaborer avec les intendants – les personnages centraux de l’administration royale dans chaque région – dans l’administration de la province et la levée des impôts. Chaque assemblée y votait « par tête » et non par ordre comme dans les précédents États généraux. C’était une innovation étonnante prise par une monarchie qui se disait de droit divin et qui gouvernait à l’aide d’une bureaucratie autoritaire. Elle fournit un apprentissage de la politique représentative aux nombreux membres bientôt élus aux États généraux.
La noblesse
Même s'il y avait une large disparité de revenu au sein de la noblesse, la majorité était beaucoup plus riche tout de même que le reste de la population. Elle bénéficiait des impôts seigneuriaux et elle-même ne payait que la "capitation noble" et échappait aux lourdes ponctions qui pesaient sur les Français. Par ailleurs, malgré l'interdiction de pratiquer des activités commerciales, les plus riches profitaient de leur implication indirecte dans les mines et les manufactures, le commerce des grains, les plantations esclavagistes...Enfin, avec leur richesse, leurs relations et leur prestige, les nobles jouaient un rôle clef dans le système de patronage qui restait la caractéristique de la société d'Ancien Régime. A un moment ou à un autre, tout à chacun était contraint de demander la protection d'un noble pour sa carrière, pour obtenir une position...
Quelle était leur position par rapport aux événements révolutionnaires ? Quelques aristocrates se sont engagés dans le mouvement révolutionnaires, mais la majorité adhérait à une vision conservatrice de la société, croyaient à une société inégale et hiérarchisée, voire raciste dans sa conception (le "sang bleu"). En 1789, effrayés par les opinions toujours plus radicales de quelques membres du Tiers, les nobles des Etats Généraux commencent à s'organiser : un noble de robe, Duval d’Eprémesnil, forma un club réactionnaire à Paris fréquenté par plus d’une centaine de nobles qui soutenaient activement des candidats conservateurs aux prochaines élections. Ce « Comité des Cent » était incontestablement plus influent parmi la noblesse que la libérale Société des Trente (= les députés nobles favorables aux idées révolutionnaires). Ainsi, une opposition franche commençait à émerger entre un parti « patriote » et un autre « aristocratique ». Il est certain que le refus de la noblesse d’envisager aucune forme de compromis, et plus encore de leur attitude hautaine et méprisante quand ils les rencontraient cristallisa ensuite l’exaspération du Tiers envers les aristocrates et leurs privilèges en général.
La violence dès 1789
Contexte des années précédentes = crise frumentaire du fait des mauvaises conditions météo (cf terrible hiver 1788-1789) => émeutes et bandes de brigands sur les routes du royaume. Le contexte est donc favorable aux mouvements de panique, partout dans le royaume. Les rumeurs qui se propageaient renforçaient ici ou là les mouvements de panique. A partir de l'été 1789, la crainte d’un effondrement de l’autorité et de bandits attaquant les villages et les maisons, voire d’un complot aristocratique contre-révolutionnaire déclencha l’une des plus extraordinaires paniques de masse de l’histoire, connue des contemporains et des historiens ensuite comme la « Grande Peur ». Dans les villes, les autorités anciennes sont remplacées (par une action qui combinait pression, intimidation et démonstration de force) par de nouvelles qui organisent des milices (révolution municipale) pour se prémunir des pillards et organiser le ravitaillement, la sécurité des routes ...Ce mouvement, qui se répand par "onde", finit par toucher les 3/4 du royaume durant l'année 1789. Dans le même temps, certaines zones furent touchées par des soulèvements paysans, parfois liés à la Grande Peur, mais qui souvent n’avaient rien à voir. Dans la Basse-Normandie, le Hainaut, l’Alsace, la Franche-Comté, le Mâconnais, le Bas-Dauphiné et le Vivarais, des milliers de ruraux se soulevèrent, mus par des griefs variés selon les cas. Leur cible de choix était la noblesse, et des dizaines de châteaux furent attaqués. nobles. Mais ceux qui se révoltaient menaçaient aussi tous ceux qui les avaient opprimés dans le passé : le clergé régulier, les collecteurs d’impôts, les administrateurs royaux, les officiers municipaux, les Juifs, les propriétaires de petites manufactures, ou les propriétaires fonciers de la classe moyenne et les usuriers prêteurs, tous pouvaient se trouver attaqués, selon les régions et le contexte social. Entre la résistance passive, la mauvaise foi, les intimidations, les attaques, entre le refus de payer l'impôt, quel qu'il soit et les abus de biens qui deviennent généralisées ( bois seigneuriaux coupes pour vendre le bois, bêtes chassées pour vendre la viande...) , la paysannerie française s'est rendue ingouvernable entre 1789 et 1792/93
Partout, l'ancien régime s'effondrait. Les anciennes élites démissionnèrent et n'occupèrent plus leurs fonctions, même si l'assemblée nationale avait prévu leur maintien en fonction le temps de mettre en place les nouvelles institutions et d'appliquer les nouvelles lois. Les intendants royaux désertèrent leur poste, les collecteurs d'impôt ne pouvaient tenter de remplir leur mission qu'au péril de leur vie : les paysans en 1789, surinterprétant les décisions de l'assemblée refusant de continuer à payer les impôts, et de racheter les impôts seigneuriaux. Le chapitre 3, intitulé l'effondrement de l'autorité, montre amplement à quel point le royaume était au bord de l'anarchie et n'a tenu que grâce aux très nombreuse initiatives locales, communales, d'auto-organisation, mais qui du coup s'autonomisaient par rapport au "pouvoir" central, de moins en moins obéi ; et à l'investissement extraordinaire des nouveaux administrateurs, élus à partir de l'été 1790 dans les nouvelles circonscriptions (communes, département) qui jour et nuit, travaillaient à mettre en œuvre les décisions de l'Assemblée nationale. Mais la connexion entre l'Assemblée nationale et l'échelle locale était loin d'être évidente. Certaines municipalités se conduisaient comme de mini-républiques, soucieuses d'affirmer leur indépendance, après des années de soumission a la bureaucratie d'ancien régime. Confrontées au chaos généralisé, elles créèrent aussi des gardes nationales militarisées. Les administrateurs locaux devaient aussi affronter de multiples luttes de pouvoir internes. Ces nouvelles administrations n’étaient pas nées de rien. Elles se trouvaient inévitablement affectées par les rivalités et animosités locales, certaines remontant à l’Ancien Régime, d’autres au long interrègne qui avait vu les communautés et les individus prendre goût à l’autonomie. Étant donné l’autorité considérable dont elles étaient investies, les nouvelles élites administratives purent facilement froisser d’autres dignitaires locaux, particulièrement ceux qui avaient perdu leur ancien pouvoir. Dans certaines régions, se multiplièrent les démissions successives de fonctionnaires, frustrés de n’avoir pas réussi à se faire respecter et craignant parfois pour leur vie. En théorie, la hiérarchie de l’autorité dans le nouveau système était claire : elle allait en descendant des ministres royaux aux bureaucraties du département, du district et des municipalités. Mais en réalité, il était souvent difficile de faire appliquer lois et directives d’un niveau à un autre, et l’on trouverait de nombreux exemples de réticence, de résistance passive et de désobéissance ouverte aux instructions venues d’en haut. Dans quelques cas – particulièrement sur les questions les plus controversées de la réforme de l’Église ou de la répression des émigrés – les autorités locales pouvaient traîner les pieds ou « interpréter » librement les directives pour des raisons politiques ou idéologiques.
Entre août 1789 et octobre 1791, on a compté une cinquantaine de révoltes ou d’insubordinations de soldats contre leurs officiers, la plupart se produisant dans les garnisons des frontières ou dans les ports. Bien que beaucoup fussent relativement mineures, quelques-unes aboutirent à des confrontations majeures et violentes. La plus dramatique éclata à Nancy, en août 1790, quand plusieurs centaines de soldats se mutinèrent, accusant leur commandant d’avoir détourné l’argent de la compagnie. On envoya la cavalerie lourde et l’artillerie réprimer brutalement la mutinerie. Dans la bataille, plus de deux cents soldats furent tués, trente pendus en représailles, et environ quatre-vingts soldats du régiment suisse de Châteauvieux envoyés aux galères. La majorité de l’Assemblée, inquiète désormais des menaces de guerre et de l’indiscipline rampante dans l’armée, approuva la sévère répression. Mais beaucoup de radicaux parisiens protestèrent, et l’affaire de Nancy devint une cause célèbre, divisant radicaux et modérés parmi les élites révolutionnaires.
chapitres 4 , 5 et 6 : les racines de la violence
Les Journées d’octobre (marche des femmes de Paris à Versailles, attaque du château et retour de force de la famille royale à Paris) laissèrent une forte impression sur tous ceux qui les avaient vécues. Un grand nombre de députés et de Parisiens de la classe moyenne étaient profondément choqués. (cf l'article sur la marche des femmes de G. Mazeau dans Retronews) C’était souvent leur premier contact avec la violence des foules, et l’expérience les avait traumatisés. Un député du clergé subit une dépression nerveuse qui le laissa inactif pendant des semaines. D’autres se sentaient profondément déçus des actions « du peuple » qu’ils croyaient connaître, et qui leur semblait maintenant étranger et incompréhensible. Rosalie Jullien fut bouleversée par cet épisode : « Je suis pénétrée de douleur, écrivait-elle à son mari, et renfermée chez moi, sans crainte personnelle ; je ne prononce pas un mot, que des vœux au Ciel pour le salut général. » Pourtant, d’autres élites révolutionnaires – presque tous les futurs radicaux – regardaient la violence du peuple comme une regrettable nécessité. Le député vendéen Goupilleau exprima sa satisfaction de cette « seconde révolution », la capitulation du roi, et l’humiliation de l’aristocratie. Le journaliste Brissot vanta aussi l’issue positive de l’événement. « Il faut jeter un voile patriotique sur des scènes sanglantes, dont le récit diminuerait la joie que cause cette journée mémorable. » D’autres attribuaient la violence à la misère du peuple. Romme alla même plus loin. Il était de plus en plus convaincu, écrivait-il à son ami, que la violence avait en elle-même un rôle dans la transformation de la France et que l’argumentation rationnelle ne suffisait pas toujours. S’ils voulaient convertir toute la population aux bénédictions de la Révolution, « il [fallait] que la raison soit précédée de la terreur pour convertir tout le monde… ».
Parmi les Français, la guerre d’Indépendance américaine avait été relativement populaire. Plusieurs de nos futurs révolutionnaires – Vergniaud, Romme, Colson, Ruault – révélaient dans leurs lettres leur intense intérêt pour ce conflit. Colson commentait les mouvements des troupes françaises dans nombre de ses notes de travail, employant le « nous » pour les désigner – un signe évident de précoces sentiments d’identité nationale. De manière tout aussi significative, aucun des témoins ne décrit cette guerre en termes idéologiques, ni même n’emploie le mot de « révolution ». Ils la replaçaient dans le contexte européen ; ce n’était ni plus ni moins pour eux qu’une occasion pour la France de prendre sa revanche sur l’Angleterre qui l’avait battue pendant la guerre de Sept Ans une quinzaine d’années auparavant. Mais cette guerre acheva de ruiner la monarchie française.
La crise atteignit un sommet à la fin de 1786, quand le ministre des Finances, Charles-Alexandre de Calonne, présenta au roi un budget – le premier budget global de l’histoire de France – qui révélait la situation précaire des finances de l’État. Calonne proposa alors un programme de profondes réformes qui auraient rationalisé la collecte des impôts et l’aurait rendue plus uniforme. La mesure la plus radicale soumettait tous les sujets, y compris la noblesse, à un impôt proportionnel calculé pour tous de la même manière sur la base de l’évaluation des propriétés détenues. Le projet comprenait aussi la suppression des douanes intérieures (les « traites »), la libre circulation des grains, et la mise en place d’un système d’assemblées provinciales dans lesquelles les citoyens joueraient un rôle dans l’évaluation des impôts locaux. Le problème, cependant, était de faire approuver ces mesures par les parlements, dont celui de Paris, qui depuis un siècle, bloquait systématiquement toute tentative de réforme fiscale. L’assemblée des notables réunie en 1787 apporta une fon de non non-recevoir à Louis XVI. Le reste de la population ne savait pas exactement pourquoi cette assemblée avait été réunie , mais peu à peu les contenus des débats filtrent et on assiste à une progressive politisation de l'opinion publique, certains comprenant le nécessite pour le roi d'opérer une profonde reforme fiscale, d'autres défendant les droits des Parlements menacés dans leur existence par un projet du roi....
La politisation des Français entre 1787 et 1789 – période parfois appelée « Pré-Révolution » – se trouva renforcée par la convocation des assemblées provinciales en maintes provinces du royaume. Les trois ordres – le clergé, la noblesse et le tiers état – choisirent leurs représentants par des élections locales et provinciales. Les députés ainsi désignés devaient collaborer avec les intendants – les personnages centraux de l’administration royale dans chaque région – dans l’administration de la province et la levée des impôts. Chaque assemblée y votait « par tête » et non par ordre comme dans les précédents États généraux. C’était une innovation étonnante prise par une monarchie qui se disait de droit divin et qui gouvernait à l’aide d’une bureaucratie autoritaire. Elle fournit un apprentissage de la politique représentative aux nombreux membres bientôt élus aux États généraux.
La noblesse
Même s'il y avait une large disparité de revenu au sein de la noblesse, la majorité était beaucoup plus riche tout de même que le reste de la population. Elle bénéficiait des impôts seigneuriaux et elle-même ne payait que la "capitation noble" et échappait aux lourdes ponctions qui pesaient sur les Français. Par ailleurs, malgré l'interdiction de pratiquer des activités commerciales, les plus riches profitaient de leur implication indirecte dans les mines et les manufactures, le commerce des grains, les plantations esclavagistes...Enfin, avec leur richesse, leurs relations et leur prestige, les nobles jouaient un rôle clef dans le système de patronage qui restait la caractéristique de la société d'Ancien Régime. A un moment ou à un autre, tout à chacun était contraint de demander la protection d'un noble pour sa carrière, pour obtenir une position...
Quelle était leur position par rapport aux événements révolutionnaires ? Quelques aristocrates se sont engagés dans le mouvement révolutionnaires, mais la majorité adhérait à une vision conservatrice de la société, croyaient à une société inégale et hiérarchisée, voire raciste dans sa conception (le "sang bleu"). En 1789, effrayés par les opinions toujours plus radicales de quelques membres du Tiers, les nobles des Etats Généraux commencent à s'organiser : un noble de robe, Duval d’Eprémesnil, forma un club réactionnaire à Paris fréquenté par plus d’une centaine de nobles qui soutenaient activement des candidats conservateurs aux prochaines élections. Ce « Comité des Cent » était incontestablement plus influent parmi la noblesse que la libérale Société des Trente (= les députés nobles favorables aux idées révolutionnaires). Ainsi, une opposition franche commençait à émerger entre un parti « patriote » et un autre « aristocratique ». Il est certain que le refus de la noblesse d’envisager aucune forme de compromis, et plus encore de leur attitude hautaine et méprisante quand ils les rencontraient cristallisa ensuite l’exaspération du Tiers envers les aristocrates et leurs privilèges en général.
La violence dès 1789
Contexte des années précédentes = crise frumentaire du fait des mauvaises conditions météo (cf terrible hiver 1788-1789) => émeutes et bandes de brigands sur les routes du royaume. Le contexte est donc favorable aux mouvements de panique, partout dans le royaume. Les rumeurs qui se propageaient renforçaient ici ou là les mouvements de panique. A partir de l'été 1789, la crainte d’un effondrement de l’autorité et de bandits attaquant les villages et les maisons, voire d’un complot aristocratique contre-révolutionnaire déclencha l’une des plus extraordinaires paniques de masse de l’histoire, connue des contemporains et des historiens ensuite comme la « Grande Peur ». Dans les villes, les autorités anciennes sont remplacées (par une action qui combinait pression, intimidation et démonstration de force) par de nouvelles qui organisent des milices (révolution municipale) pour se prémunir des pillards et organiser le ravitaillement, la sécurité des routes ...Ce mouvement, qui se répand par "onde", finit par toucher les 3/4 du royaume durant l'année 1789. Dans le même temps, certaines zones furent touchées par des soulèvements paysans, parfois liés à la Grande Peur, mais qui souvent n’avaient rien à voir. Dans la Basse-Normandie, le Hainaut, l’Alsace, la Franche-Comté, le Mâconnais, le Bas-Dauphiné et le Vivarais, des milliers de ruraux se soulevèrent, mus par des griefs variés selon les cas. Leur cible de choix était la noblesse, et des dizaines de châteaux furent attaqués. nobles. Mais ceux qui se révoltaient menaçaient aussi tous ceux qui les avaient opprimés dans le passé : le clergé régulier, les collecteurs d’impôts, les administrateurs royaux, les officiers municipaux, les Juifs, les propriétaires de petites manufactures, ou les propriétaires fonciers de la classe moyenne et les usuriers prêteurs, tous pouvaient se trouver attaqués, selon les régions et le contexte social. Entre la résistance passive, la mauvaise foi, les intimidations, les attaques, entre le refus de payer l'impôt, quel qu'il soit et les abus de biens qui deviennent généralisées ( bois seigneuriaux coupes pour vendre le bois, bêtes chassées pour vendre la viande...) , la paysannerie française s'est rendue ingouvernable entre 1789 et 1792/93
Partout, l'ancien régime s'effondrait. Les anciennes élites démissionnèrent et n'occupèrent plus leurs fonctions, même si l'assemblée nationale avait prévu leur maintien en fonction le temps de mettre en place les nouvelles institutions et d'appliquer les nouvelles lois. Les intendants royaux désertèrent leur poste, les collecteurs d'impôt ne pouvaient tenter de remplir leur mission qu'au péril de leur vie : les paysans en 1789, surinterprétant les décisions de l'assemblée refusant de continuer à payer les impôts, et de racheter les impôts seigneuriaux. Le chapitre 3, intitulé l'effondrement de l'autorité, montre amplement à quel point le royaume était au bord de l'anarchie et n'a tenu que grâce aux très nombreuse initiatives locales, communales, d'auto-organisation, mais qui du coup s'autonomisaient par rapport au "pouvoir" central, de moins en moins obéi ; et à l'investissement extraordinaire des nouveaux administrateurs, élus à partir de l'été 1790 dans les nouvelles circonscriptions (communes, département) qui jour et nuit, travaillaient à mettre en œuvre les décisions de l'Assemblée nationale. Mais la connexion entre l'Assemblée nationale et l'échelle locale était loin d'être évidente. Certaines municipalités se conduisaient comme de mini-républiques, soucieuses d'affirmer leur indépendance, après des années de soumission a la bureaucratie d'ancien régime. Confrontées au chaos généralisé, elles créèrent aussi des gardes nationales militarisées. Les administrateurs locaux devaient aussi affronter de multiples luttes de pouvoir internes. Ces nouvelles administrations n’étaient pas nées de rien. Elles se trouvaient inévitablement affectées par les rivalités et animosités locales, certaines remontant à l’Ancien Régime, d’autres au long interrègne qui avait vu les communautés et les individus prendre goût à l’autonomie. Étant donné l’autorité considérable dont elles étaient investies, les nouvelles élites administratives purent facilement froisser d’autres dignitaires locaux, particulièrement ceux qui avaient perdu leur ancien pouvoir. Dans certaines régions, se multiplièrent les démissions successives de fonctionnaires, frustrés de n’avoir pas réussi à se faire respecter et craignant parfois pour leur vie. En théorie, la hiérarchie de l’autorité dans le nouveau système était claire : elle allait en descendant des ministres royaux aux bureaucraties du département, du district et des municipalités. Mais en réalité, il était souvent difficile de faire appliquer lois et directives d’un niveau à un autre, et l’on trouverait de nombreux exemples de réticence, de résistance passive et de désobéissance ouverte aux instructions venues d’en haut. Dans quelques cas – particulièrement sur les questions les plus controversées de la réforme de l’Église ou de la répression des émigrés – les autorités locales pouvaient traîner les pieds ou « interpréter » librement les directives pour des raisons politiques ou idéologiques.
Entre août 1789 et octobre 1791, on a compté une cinquantaine de révoltes ou d’insubordinations de soldats contre leurs officiers, la plupart se produisant dans les garnisons des frontières ou dans les ports. Bien que beaucoup fussent relativement mineures, quelques-unes aboutirent à des confrontations majeures et violentes. La plus dramatique éclata à Nancy, en août 1790, quand plusieurs centaines de soldats se mutinèrent, accusant leur commandant d’avoir détourné l’argent de la compagnie. On envoya la cavalerie lourde et l’artillerie réprimer brutalement la mutinerie. Dans la bataille, plus de deux cents soldats furent tués, trente pendus en représailles, et environ quatre-vingts soldats du régiment suisse de Châteauvieux envoyés aux galères. La majorité de l’Assemblée, inquiète désormais des menaces de guerre et de l’indiscipline rampante dans l’armée, approuva la sévère répression. Mais beaucoup de radicaux parisiens protestèrent, et l’affaire de Nancy devint une cause célèbre, divisant radicaux et modérés parmi les élites révolutionnaires.
chapitres 4 , 5 et 6 : les racines de la violence
Les Journées d’octobre (marche des femmes de Paris à Versailles, attaque du château et retour de force de la famille royale à Paris) laissèrent une forte impression sur tous ceux qui les avaient vécues. Un grand nombre de députés et de Parisiens de la classe moyenne étaient profondément choqués. (cf l'article sur la marche des femmes de G. Mazeau dans Retronews) C’était souvent leur premier contact avec la violence des foules, et l’expérience les avait traumatisés. Un député du clergé subit une dépression nerveuse qui le laissa inactif pendant des semaines. D’autres se sentaient profondément déçus des actions « du peuple » qu’ils croyaient connaître, et qui leur semblait maintenant étranger et incompréhensible. Rosalie Jullien fut bouleversée par cet épisode : « Je suis pénétrée de douleur, écrivait-elle à son mari, et renfermée chez moi, sans crainte personnelle ; je ne prononce pas un mot, que des vœux au Ciel pour le salut général. » Pourtant, d’autres élites révolutionnaires – presque tous les futurs radicaux – regardaient la violence du peuple comme une regrettable nécessité. Le député vendéen Goupilleau exprima sa satisfaction de cette « seconde révolution », la capitulation du roi, et l’humiliation de l’aristocratie. Le journaliste Brissot vanta aussi l’issue positive de l’événement. « Il faut jeter un voile patriotique sur des scènes sanglantes, dont le récit diminuerait la joie que cause cette journée mémorable. » D’autres attribuaient la violence à la misère du peuple. Romme alla même plus loin. Il était de plus en plus convaincu, écrivait-il à son ami, que la violence avait en elle-même un rôle dans la transformation de la France et que l’argumentation rationnelle ne suffisait pas toujours. S’ils voulaient convertir toute la population aux bénédictions de la Révolution, « il [fallait] que la raison soit précédée de la terreur pour convertir tout le monde… ».
La menace contre- révolutionnaire provient de l'opposition majoritaire de la noblesse ( en 1789, seuls 1/6 des députés nobles se sont ralliés aux propositions des patriotes). D'abord divisée entre les rivalités des clans formés par les membres de la famille royale en exil, elle s'amplifie à la faveur de la question religieuse.
Elle prend la forme des armées constituées à l'extérieur des frontières et d'une opposition intérieure qui s'organise progressivement. Celle-ci était particulièrement visible pour les patriotes dans Paris : les députés réactionnaires à l’Assemblée, les journaux réactionnaires et les divers clubs conservateurs.
Le rôle de la presse
Elle prend la forme des armées constituées à l'extérieur des frontières et d'une opposition intérieure qui s'organise progressivement. Celle-ci était particulièrement visible pour les patriotes dans Paris : les députés réactionnaires à l’Assemblée, les journaux réactionnaires et les divers clubs conservateurs.
Le rôle de la presse
La presse conservatrice est vigoureuse jusqu' à la fin de la monarchie. A Paris, 8 à 10 périodiques de la droite, d'une grande variété de forme et de ton. huit à dix périodiques parisiens de la droite représentaient une variété de styles, de formats et d’opinions politiques. On y trouvait le très sérieux et modéré Mercure de France, proche des Monarchiens à l’Assemblée, et les brillants et satiriques Actes des Apôtres, rédigés par une équipe d’écrivains. l’Assemblée. Il y avait aussi toute une série de feuilles plus acides : la Gazette de Paris de Farmian Durosoy, l’Ami du Roi de l’abbé Royou. Les journalistes et écrivains qui y contribuent peuvent avoir soutenu au départ la Révolution, mais tous ont dérivé vers la droite après les journées d'Octobre, les débats sur l'Eglise et le vote de l'assemblée en juin 90 qui abolit la noblesse héréditaire. Beaucoup se sentent trahis et tous insistent à longueur de pages sur les aspects désastreux à leur sens des décisions révolutionnaires qui détruisent des institutions vénérables et plongent la France dans le chaos. Les idées de liberté et d’égalité n’étaient que des sottises, puisque « l’inégalité est inhérente au monde » et « la subordination le lien de base, l’âme véritable de la société ». Livrés à eux-mêmes, les gens du peuple étaient des animaux vicieux. Si la France devait être sauvée, c’était essentiellement en redonnant pleine autorité au roi et en reconnaissant l’impossibilité pour le peuple de se gouverner lui-même. Pour l’éditeur de l’Ami du Roi et pour plusieurs autres journalistes, la Révolution n’avait rien à voir avec la souveraineté populaire. Reprenant les prédictions pré- révolutionnaires de l’abbé Barruel, ils annonçaient que tout ce qui était arrivé était l’œuvre d’une petite minorité de philosophes, de protestants et de francs-maçons.
Ils en appellent donc à une intervention extérieure contre la Révolution. On estime le lectorat à environ 100 000 abonnés.
À plusieurs reprises, des foules parisiennes attaquèrent les bureaux et molestèrent les rédacteurs de journaux qui maltraitaient autant la Révolution. Cependant, en général prévalut un engagement des patriotes en faveur de la liberté de la presse et les journaux conservateurs purent continuer à paraître jusqu’à la chute de la monarchie, en août 1792. Cependant, il faut bien comprendre que, au fanatisme et à l'outrance verbale des journalistes de ces journaux réactionnaires correspond en miroir celle des patriotes extrémistes, tels Marat ou Freron. « Il faut avoir le courage de le répéter, écrivait le “petit Gautier”, que la France ne peut être régénérée que dans un bain de sang. Prenez en main le glaive du destin qui préside aux révolutions des empires. » Comme certains patriotes extrémistes, ils dépeignaient leurs adversaires sous les traits de « monstres » assoiffés de sang, préparant une nouvelle Saint-Barthélemy. Les journalistes patriotes et contre-révolutionnaires lisaient à l’évidence les papiers de leurs adversaires. Les deux côtés se répondaient, se combattaient l’un l’autre, et développaient une logique manichéenne qui diabolisait et déshumanisait l’adversaire. L’intense violence verbale étalée dans la presse extrémiste préfigurait la violence physique qui exploserait bientôt dans tout le pays. La presse de droite joua un rôle majeur en sensibilisant les patriotes à la présence et au danger des menaces contre- révolutionnaires. « Les brochures aristocratiques, royalistes, antipatriotiques sont plus violentes et plus nombreuses que jamais, écrivait Ruault au début de 1790. La guerre civile est dans les cerveaux. Dieu veuille qu’elle n’aille pas plus loin ! »
Le catalyseur religieux
Dès le printemps 1790, les troubles liés aux questions religieuses se multiplient un peu partout en France et font des morts.
La Constitution civile du clergé (le 12 juillet 1790) aggrave les choses. Bien que les députés aient affirmé avec insistance qu’ils n’avaient pas l’intention de toucher au dogme catholique, la transformation des structures ecclésiastiques était radicale. Alors qu’ils avaient déjà aboli le clergé régulier et annoncé la vente des biens de l’Église, ils supprimaient à présent les positions de tous les clercs qui n’administraient pas directement les sacrements – les chanoines, les chapelains, et les autres bénéficiers non résidents –, contraints de se retirer avec de petites pensions. Les évêques et le clergé paroissial devenaient des « fonctionnaires publics », désormais payés par l’État et élus par les électeurs laïcs, au lieu d’être choisis par la hiérarchie ecclésiastique. Les frontières de tous les diocèses étaient redessinées pour correspondre aux nouveaux départements – ce qui faisait disparaître environ cinquante évêchés et leurs titulaires. Les revenus des évêques étaient sensiblement réduits, et ils seraient à l’avenir choisis parmi les curés de paroisse plutôt que dans les grandes familles aristocratiques, comme dans le passé. Enfin les députés informèrent simplement le pape de cette nouvelle loi, sans lui demander son accord ou sa bénédiction. Jamais depuis la Réforme, au XVIe siècle, un État européen n’avait effectué unilatéralement de tels changements dans l’Église. Enfin, les fonctionnaires religieux devaient prêter un serment d'allégeance à la constitution donc à la constitution civile du clergé. Dans les premières semaines de janvier, tous les prêtres de France durent, debout devant l’autel, lever la main et prêter un serment solennel. Les leaders politiques ne furent pas surpris du refus de tous les évêques, sauf deux. Ils furent stupéfaits, en revanche, quand près de la moitié des 50 000 prêtres paroissiaux rejetèrent le serment. En fait, les curés de paroisse et leurs vicaires étaient profondément divisés au sujet de la Constitution civile et de sa signification pour l’Église. Un grand nombre adoptaient avec enthousiasme la législation révolutionnaire, convaincus que les nouvelles lois provoqueraient les réformes nécessaires au renouveau spirituel du catholicisme. D’autres, cependant, pensaient ne pas pouvoir accepter le serment sans le restreindre aux seules questions civiles. L’État devait respecter leur indépendance en matière spirituelle et leur allégeance au pape de Rome. La décision se compliquait encore du fait des pressions exercées sur les prêtres par les fidèles. Dans quelques régions, la cérémonie du serment se transforma en une sorte de référendum général pour ou contre la politique religieuse de la Révolution, politique perçue très différemment selon la culture religieuse locale. On connait le cas de la Vendée. A l'inverse, dans le bassin parisien, population et prêtres soutinrent unanimement la nouvelle loi.
La rumeur
Les recherches en psychologie sociale ont démontré que les individus sont particulièrement sensibles à la rumeur dans les temps d’inquiétude, d’ambiguïté ou de danger, et là où il y a un manque général de confiance dans les institutions chargées de diffuser l’information. Sous l'AR, les rumeurs étaient naturellement nombreuses étant donné le caractère non public des réunions du conseil du roi et la censure de la presse. Il était alors difficile d'avoir accès à une information fiable.
Avec la Révolution, à la fois la nature et l’intensité des rumeurs changèrent. Les histoires qui circulaient dans le pays sur les événements de juillet 1789 dans la capitale jouèrent un rôle majeur dans la réaction-panique en chaîne de la Grande Peur. Dans Paris même, à en juger par la correspondance de nos témoins, les réseaux de rumeurs continuaient de fonctionner comme sous l’Ancien Régime, mais les récits étaient bien plus politisés. Les « nouvelles improvisées » proliférèrent à partir d’une multitude de nouveaux lieux où s’échangeaient l’information et les spéculations. Les assemblées de section, les réunions de gardes nationaux et de clubs de quartier fourmillaient constamment des dernières histoires circulant dans la ville. Les rumeurs s’amplifiaient ensuite du flot d’assertions, souvent contradictoires, diffusées par des centaines de journaux non censurés et des pamphlets imprimés, que l’on pouvait soudain se procurer. Confrontés à la profusion d’écrits et ne bénéficiant pas d’une grande expérience de la liberté de la presse, beaucoup ont traité la presse comme une nouvelle source de rumeur ( d'autant plus que les titres de presse étaient criés dans les rues). Le pouvoir de la rumeur était particulièrement tenace dans les classes populaires parisiennes. Parmi elles, la plupart des individus étaient illettrés et participaient principalement à une culture orale. Les classes instruites, d’un autre côté, gardaient une position plus ambiguë à l’égard des histoires qui circulaient dans les rues.
Tous les mois, toutes les semaines circulait dans Paris en 1789 tout comme en 1791 des rumeurs effrayantes de menaces sur la population : attaque de bandits, maisons marquées par les voleurs, soulèvement d'aristocrates deguises4en garde-nationaux...
Ces rumeurs tenaient pour une large part à la croyance très répandue, parmi les élites comme parmi la population en général, que le chaos et la vacance du pouvoir qui avaient régné au début de la Révolution avaient permis aux criminels de proliférer. Colson revenait sans cesse pendant les deux premières années de la Révolution sur ce qu’il percevait comme une véritable vague de crimes. Il est difficile de savoir si les vols et les meurtres avaient réellement augmenté durant cette période, mais beaucoup de Parisiens en étaient persuadés. La rumeur et la réalité des vols et des actes de violence allèrent même jusqu’à entraîner une série de pendaisons « à la lanterne » par des groupes d’autodéfense dans certains quartiers. Entre mai 1790 et février 1792, il y eut treize lynchages ou tentatives de lynchages à Paris.
De la rumeur à l'obsession du complot, le passage s'explique aisément. C'est une caractéristique proprement révolutionnaire. Si dans les milieux populaires on recourait déjà dans l'ancien régime à l'explication du complot lors des crises, notamment frumentaires, cela n'existait pas chez les élites éclairées par la philosophie rationaliste des Lumières. Timothy Tackett, qui s'appuie sur un corpus de lettres et d'écrits divers des révolutionnaires n'en a pas trouvé chez eux avant 1789 la moindre trace : au contraire il constate globalement de l'optimisme et de la confiance envers les autres, tout comme vis-à- vis de l'avenir. La véritable rupture chez eux, c'est la fuite du roi et la révélation en juin 1791 de sa longue préparation et du réseau de complicités dont il a bénéficié, enfin et surtout du parjure du roi qui avait juré de défendre la constitution, mais qui s'enfuit pour mieux l'abattre. Les élus de la nation, qui l'avaient jusqu'alors soutenu mordicus, sont mortifiés de leur propre aveuglement.
La dialectique de la dénonciation
Au-delà des soupçons engendrés par la circulation des rumeurs, la peur et la méfiance furent favorisées, durant les premières années de la Révolution, par la pratique croissante de la dénonciation. Dès les premiers mois, les élites patriotes avaient promu la dénonciation comme un acte salutaire, influencées par leurs études au collège et les dénonciations des orateurs latins Caton et Cicéron, qu’ils avaient dû apprendre par cœur. Leurs pamphlets et leurs discours sont remplis de références à Cicéron et à sa volonté de préserver la république romaine, en dénonçant la conjuration de Catilina. C’est en grande partie sur la base de tels textes que Camille Desmoulins proclama « une déclaration des droits de l’accusateur », dans laquelle il affirmait que la prérogative fondamentale et le devoir de tout citoyen en démocratie étaient de rechercher les ennemis de l’État. Afin de permettre aux idéaux de la Révolution de survivre et de combattre les menaces contre-révolutionnaires, les citoyens devaient être constamment sur leurs gardes contre les adversaires de la liberté, quels qu’ils soient : « Nous avons besoin, dans les circonstances présentes, que le mot de délation soit à l’honneur".
Plusieurs des rédacteurs de journaux parmi les plus talentueux de la période firent de la dénonciation un élément central de leur pratique journalistique. Ils se définissaient comme les chiens de garde de la Révolution, et recommandaient continuellement la vigilance à leurs lecteurs. Jacques Brissot donna le ton, en juillet 1789, par l’épigramme qu’il fit apposer en tête de chaque édition de son Patriote français : « Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple. » Le champion de l’art de la dénonciation, cependant, fut incontestablement « l’ami du peuple », Jean-Paul Marat. Dès la première édition de son journal, l’accusation devint un élément fondamental de son fonds de commerce. « Je suis l’œil du peuple », écrivait-il en septembre 1789.
Le principe de ces dénonciations était qu'elles devaient être publiques et que la contradiction devait l'être aussi, si bien que l'on prenait l'opinion publique à témoin...mais qu'elle ne débouchait pas sir une procédure judiciaire. Dans l'esprit de ses zélateurs, elle était un moyen de dissuader les ennemis de la Révolution de mal agit et aussi un moyen de contrôler l'action des élus du peuple. Mais pratique courante, elle avait aussi ses détracteurs, inquiets qu'elle ne décourage les citoyens de s'investir.
Dans tout le royaume en 1791, l’image d’ennemis de la Révolution portant insidieusement « le masque du patriotisme » pour cacher leurs véritables intentions devint un leitmotiv de la culture de la dénonciation.
Au-delà du « tribunal de l’opinion », les révolutionnaires créèrent également plusieurs institutions de surveillance, conçues pour évaluer le flot de dénonciations et soumettre les coupables à des mesures disciplinaires sévères. Dès le 28 juillet 1789, au milieu de l’été chaotique, l’Assemblée avait créé un Comité des recherches pour traiter et examiner les accusations d’activités contre-révolutionnaires. Durant les quelque deux ans de son existence, le Comité des recherches de l’Assemblée constituante reçut de tout le pays des centaines de dénonciations d’activités suspectes, réelles ou imaginaires. Elles émanaient d’administrateurs, de sociétés populaires, d’officiers de la garde nationale, et de simples citoyens. Beaucoup des nouveaux administrateurs élus se donnaient comme priorité de débusquer les complots.
On progresse en même temps chronologiquement et vient le moment du bilan des premiers chap : l'échec de l'expérience monarchie constitutionnelle s'explique par l'accumulation des crises qui a aboutit à une radicalisation et une méfiance généralisée = La présence d’un monarque qui n’était pas fiable ne constituait pas la seule crise que les législateurs auraient à affronter. Ils allaient se trouver menacés non seulement par la contre-révolution, mais aussi par la montée du radicalisme dans Paris. Et rapidement ils furent confrontés à des poussées de violence populaire en province et au soulèvement massif des esclaves dans la riche colonie de Saint- Domingue. Au printemps 1792, la situation allait encore s’aggraver avec la déclaration de guerre. L’instabilité, la suspicion et la guerre seraient ainsi à l’origine des divisions profondes et des combats entre factions qui allaient émerger au sein de l’Assemblée et parmi les élites de toute la nation.
La France divisée en factions
Oct 1791 session de la nouvelle assemblée législative
Les sept cent quarante-deux députés qui prenaient place ce jour-là dans la nouvelle Assemblée étaient très différents de leurs prédécesseurs. Une loi votée en mai avait formellement interdit aux députés de se représenter. Les nouveaux députés étaient plus jeunes, avec un âge moyen de 41 ans, comparé aux 47 ans de la précédente Assemblée. Ils étaient davantage originaires des petites villes et des villages, avec seulement 5 % de Parisiens, contre 18 % précédemment. La plupart avaient déjà une grande expérience de la vie politique locale. Près des quatre cinquièmes avaient auparavant été élus en 1790 administrateurs ou magistrats dans des départements, des districts ou des municipalités30. La différence la plus frappante avec les députés précédents tenait, cependant, à leur origine sociale. Un peu plus de la moitié des députés de la première Assemblée venaient des ordres privilégiés de la noblesse et du clergé. Mais, avec la Constitution de 1791, qui avait supprimé la distinction entre « états », les ecclésiastiques et les anciens nobles ne représentaient plus que 10 % des députés. Parmi les nobles, il n’y avait aucun aristocrate de cour ni évêque d’Ancien Régime ; la plupart appartenaient à des familles qui avaient été récemment anoblies. Les ecclésiastiques, quant à eux, avaient tous prêté serment et soutenaient le nouveau régime. Ainsi les nouveaux députés formaient un groupe beaucoup plus homogène et, par la nature même du processus électoral, entièrement acquis au succès de la Révolution. Ironiquement, cette nouvelle Assemblée allait vite se déchirer en factions au moins aussi antagonistes que les patriotes et les aristocrates dans la précédente Assemblée.
La scission à Paris entre les jacobins et les feuillants, en juillet 1791, entraîna une correspondance suivie entre les deux clubs rivaux et les sociétés provinciales, chacun se déclarant le seul vrai représentant des Amis de la Constitution. Quand les deux sociétés refusèrent de se réunir, les membres des clubs affiliés furent obligés de choisir leur camp. La majorité opta pour les jacobins, mais les feuillants, avocats d’une monarchie forte et méfiants envers les masses, attirèrent les éléments modérées et conservateurs des communautés locales.
Une fois à Paris, les élus se placèrent d’eux-mêmes à droite, au centre ou à gauche dans la salle du Manège, reproduisant ainsi le schéma de septembre 1789. Il est difficile de connaître le nombre exact de ceux qui adhérèrent à l’un ou l’autre des deux partis rivaux – les jacobins et les feuillants. Pendant les premières semaines, il y eut une certaine fluidité, des députés passant d’une faction à l’autre. On sait qu’environ cent trente ont rejoint les jacobins de Paris début octobre, mais la liste est incomplète. À l’hiver 1791-1792, un peu plus de deux cents étaient ou membres ou sympathisants et votaient régulièrement avec le groupe. Pour leur part, les feuillants ne semblent pas s’être formellement réunis en club, au début de la Législative. En novembre, les représentants de droite s’étaient cependant suffisamment organisés pour voter en bloc pour le même candidat à la présidence de l’Assemblée.
Au début de l’année 1792, l’atmosphère dans l’Assemblée était extraordinairement tendue et les divisions étaient fortes. Rabusson-Lamothe décrivait le quotidien des séances dans une de ses lettres : « On s’injurie, on s’inculpe réciproquement avec une fureur qui tient du délire. » Pour Roubaud, la salle était le théâtre d’« une étrange bacchanale », où « peu s’en [fut] fallu qu’il y [eût] des morts ». On rapportait même que quelques députés venaient aux séances avec des pistolets dans leurs poche. Et pourtant leurs différences idéologiques étaient bien moins grandes qu'entre les patriotes et les aristocrates de l'assemblée précédente. Au-delà des rivalités de personnes et surtout d'ambitions, il faut comprendre cette division comme le produit de la profonde méfiance, de la peur généralisée et de la croyance dans les complots.= la culture du soupçon
La répression sévère à l’encontre des radicaux et des républicains à Paris, en juillet 1791, provoquée par la faction feuillante dominante au sein de l’Assemblé constituante, et notamment le massacre du Champ-de-Mars, avait laissé des traces et suscitait la colère et la méfiance chez les jacobins. Les liens évidents de plusieurs feuillants célèbres avec la Cour ne faisaient que renforcer leurs alarmes. À l’automne, beaucoup de jacobins conclurent que leurs opposants étaient des traîtres, complices de la conspiration : un « parti ministériel », comme ils l’appelaient par dérision, en lien avec un cercle de ministres perfides entourant le roi, et surtout la reine, souvent dénommé le « comité autrichien ». Le jacobin Pierre-Joseph Cambon constatait que « les feuillants intrigu[aient] sans cesse contre l’Assemblée nationale » et Guillaume Causse était convaincu qu’« il y avait des aristocrates déguisés » parmi eux. Mais les députés de droite accusaient les jacobins de la même perfidie. Les feuillants nourrissaient une profonde méfiance à l’égard des jacobins depuis leur liaison initiale avec le républicanisme. Ils les soupçonnaient d’être traîtres à la nation et de vouloir mobiliser les masses afin d’atteindre leur but. S'y rajoute une fracture profonde au sein des jacobins qui se joue sur l'opposition personnelle entre Brissot et Robespierre et sur leurs positions opposées vis-à-vis de l'opportunité d'une entrée en guerre de la France. Si bien qu'au printemps 1792, l'assemblée se divise en 3 factions en équilibre instable, qui chacune diabolise les deux autres : montagnards, girondins et feuillants.
La radicalisation des militants parisiens
Les courants radicaux fleurissaient aussi dans les réunions des districts, puis dans les sections qui leur avaient succédé. Jusqu’à l’été 1792, cependant, les sections étaient réservées par la loi aux « citoyens actifs », et le leadership était dominé par les membres des professions libérales, des « bourgeois » vivant de leurs revenus, des marchands, des artisans et des boutiquiers relativement aisés, dont la plupart étaient propriétaires de leur affaire et employaient des compagnons salariés. Néanmoins, depuis la fin de 1790, les élites instruites qui fréquentaient ces réunions avaient cherché le soutien de secteurs plus larges de la population. Elles étaient persuadées que la vraie démocratie devait inclure tous les hommes. Ces citoyens passifs, ces gens du peuple mobilisés dans les quartiers --> les sans-culotte
Au fil du temps, la coalition de militants parisiens élabora un programme de changement, une idéologie fourre-tout qui, par beaucoup d’aspects, était une synthèse des souhaits des classes laborieuses et des radicaux de la classe moyenne :
- l’expansion des idéaux de 1789 et la volonté de créer une démocratie « complète » dans laquelle la notion de « citoyen passif » n’aurait plus cours et qui accorderait à chaque citoyen masculin le droit de vote et l’accès aux fonctions publiques. Quelques-uns réclamaient même une démocratie directe, où tous les citoyens auraient le droit de ratifier les mesures prises par les députés, surtout après Varennes
- des mesures économiques : lutte contre les accapareurs, stabolisation de la valeur de l'assignat...
Pour se faire entendre les sans culotte et les sections parisiennes avaient les balcons de l'assemblee nationale puique les debats étaient publics et l'organisation de manifestations. Le feuillant Viénot de Vaublanc se souvenait que, lors d’une séance, « non seulement les immenses tribunes étaient remplies d’un peuple entassé, mais les cours, les avenues, les corridors en étaient obstrués ; sur l’entablement extérieur des hautes fenêtres, beaucoup de spectateurs étaient assis ou debout." Reprenant la tradition des processions religieuses, ces défilés rassemblaient des milliers de gens arrivant de toute la ville, radicaux des classes moyennes et sans- culottes, qui tous convergeaient vers l’Assemblée. Hommes, femmes et adolescents marchaient en rangs serrés, groupés par quartiers ou par professions. Ils criaient des slogans, entonnaient des chants révolutionnaires au son des tambours, et proclamaient leur foi en la Révolution en portant des bannières ou des objets symboliques, modèles réduits de la Bastille, exemplaires de la Déclaration des droits, piques coiffées du bonnet rouge. Une fois arrivés à l’Assemblée, une délégation y était introduite et y lisait des pétitions devant les députés.
Bien que les militants et leurs soutiens aient pu manier la pique pour « terroriser » leurs ennemis, ils menaient aussi des actions non violentes. Le banquet fraternel fut l’une des pratiques les plus créatrices des débuts de la Révolution = Des centaines, et même des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants
Durant l’hiver et le printemps 1792, les militants parisiens et leurs associés sans-culottes adoptèrent une panoplie de symboles qui favorisèrent leur union. L’idée du bonnet phrygien rouge, ou bonnet rouge, vint de la classe moyenne instruite, qui l’emprunta aux bonnets portés par les esclaves affranchis à Rome. Brissot fut le premier à en défendre l’idée dans son journal, en février 1792. Le 15 mars, plusieurs membres arrivèrent au club des jacobins coiffés de ce bonnet, et dans les jours suivants près de la moitié des participants en firent autant. Bientôt les spectateurs des galeries à l’Assemblée législative les imitèrent. Dans l’un des théâtres de Paris, à la fin d’une représentation de La Mort de César, les acteurs revêtirent le bonnet et en couronnèrent le buste de Voltaire dans le foyer du théâtre. Certes, tous les membres de l’élite révolutionnaire n’approuvaient pas l’idée. Robespierre y était opposé, et Ruault la trouvait « maussade » et refusait de porter ce bonnet. Le vieux Guittard de Floriban jugeait que toute cette affaire n’était qu’une « mascarade". On ne sait pas quand le premier arbre de la liberté apparut à Paris. Il est fort possible qu’il y en ait eu avant dans les provinces. Mais, pendant le printemps et l’été 1792, furent organisées dans la ville diverses cérémonies de plantation. Ces arbres étaient souvent surmontés d’un bonnet rouge, et décorés de rubans tricolores, et de pancartes, avec des formules telles que « La liberté ou la mort », ou « L’union fait la force ». Selon le député Malassis, dans une lettre de juin 1792, « depuis huit jours, Paris est occupé à planter l’arbre de la liberté dans toutes les rues ». La décision d’armer les Parisiens afin d’ajouter une ligne de défense supplémentaire fut loin d’être symbolique. Par manque de fusils, l’arme de choix devint la pique, une longue perche surmontée d’une lame aiguisée. Une fois encore, Brissot en fut le principal promoteur, s’inspirant des soldats-citoyens de la Grèce et de Rome.
La tourmente de la guerre
Alors que la Constitution avait été adoptée et que l’on se dirigeait vers « l’achèvement » de la Révolution, la plupart des députés imaginaient qu’ils se consacreraient à des réformes positives et aux améliorations civiques que la précédente Assemblée n’avait pas eu le temps d’accomplir : la réorganisation du système éducatif, par exemple, l’adoption d’un Code civil, ou la recherche d’améliorations pour le secteur agricole. Mais, dans les faits, les députés devaient employer surtout leur énergie à défendre le nouveau régime contre les diverses forces qui menaçaient son existence.
Jean Jaurès : « Comment, dans l’automne de 1791, la Révolution se découvre-t-elle subitement une âme guerrière ? » Le penchant pour la guerre se nourrissait aussi de la montée d’un profond nationalisme, souvent chauvin. Le nationalisme français n’était pas né avec la Révolution. Mais un fort sentiment d’identité française s’était répandu depuis 1789, marqué par les vagues de serments enthousiastes d’adhésion à la nation, et par les grandes cérémonies d’unité nationale lors des deux premiers anniversaires de la prise de la Bastille. Ce sentiment s’exprimait aussi à travers une variété de symboles, de l’arbre de la liberté et du drapeau tricolore aux chants patriotiques. Beaucoup de citoyens considéraient la France comme un modèle, l’exemple du futur de l’humanité, « la première dans l’univers », comme ils aimaient à le déclarer avec emphase. « Toute la terre, écrivait Colson, doit porter les yeux sur nous, et nous ne pouvons les porter que sur nous-mêmes. » « Oh, vous Français ! proclamait Prudhomme, quel peuple extraordinaire vous êtes, différent de tous les autres dans l’histoire ». L’effet de ce nationalisme sur les députés se constate dans la cérémonie de serment passionnée, qui se déroula le 4 octobre 1791. Au début de la séance, ils se levèrent tous spontanément, les mains levées vers le ciel, et prirent à haute voix le « saint engagement » de « vivre libre ou mourir » – la formule toute faite qui s’était rapidement répandue dans les semaines après Varennes.
Envisageant le conflit comme un grand engagement moral à étendre les bienfaits de la Révolution à tous les « peuples esclaves » de l’Europe, « la guerre, la guerre, tel est le cri de tous les patriotes, écrivait Brissot à la fin de décembre, emporté toujours plus loin par sa propre rhétorique. Le moment est venu pour une nouvelle croisade […], une croisade de la liberté universelle.» Pas à pas, toutes les composantes de la vie politique se sont ralliées à la guerre. Seuls Robespierre et une poignée de ses amis continuaient à s’y opposer. Les girondins et leurs alliés moquaient Robespierre. Le parfum enivrant des appels à la guerre, maintenant présentée comme le remède à tous les problèmes, peurs et inquiétudes de la nation, leur montait à la tête. La guerre amènerait la défaite définitive des émigrés, et la fin de leurs intimidations arrogantes ; elle donnerait une leçon aux puissances étrangères, notamment aux Autrichiens, qui imaginaient pouvoir intervenir dans les affaires intérieures de la France ; elle apporterait aide et assistance aux peuples esclaves partout où ils luttaient pour leur liberté ; elle mettrait fin à l’agitation intérieure permanente en ralliant tous les Français à la patrie, incitant les citoyens à obéir à la loi, à payer leurs impôts et à accepter les assignats. De plus, la guerre démasquerait tous les conspirateurs...
La Révolution avait-elle alors franchi un seuil irréversible ? Cela pourrait être débattu à l’infini. À partir de l’été, en tout cas, le cours des événements, comme on le verra, semblait se diriger, avec la force inexorable d’une tragédie classique, vers le régime de la Terreur.
CHAP 7 : La chute de la monarchie
Pour les leaders politiques, la prestation misérable de l’armée, dans les premières semaines de la guerre, était un véritable choc. « Il serait difficile, écrivait Rabusson-Lamothe, de vous rendre combien le public de la capitale et l’Assemblée nationale en ont été affectés. » Toutes les angoisses anciennes à propos des conspirations et de la présence menaçante d’ennemis intérieurs resurgirent. Des rumeurs en tout genre parcoururent à nouveau la ville : le roi allait encore fuir et la couronne avait déjà été envoyée en Allemagne ; on avait vu un officier du palais brûler des papiers ; la garde privée du roi comprenait des prêtres réfractaires déguisés ; il y avait des projets visant à tuer les leaders révolutionnaires. Tous avaient vu des individus suspects rôder dans la ville. Les journalistes radicaux prédisaient une nouvelle Saint-Barthélemy des patriotes.
À la suite de ce qu’il fallait bien appeler un désastre militaire, alors que l’espoir d’une victoire rapide était réduit à néant, les factions de l'Assemblée se retournèrent les unes contre les autres.
L'assemblée sous la pression de la rue
L'envahissement du chateau des Tuileries par une foule de manifestants le 20 juin 1792 et la confrontation directe entre le roi et les militants parisiens suscitèrent une énorme controverse dans le pays. Les semaines suivantes, des centaines de lettres arrivèrent à l’Assemblée, les unes approuvant l’irruption du peuple dans le palais, les autres la condamnant fermement, les unes défendant le roi, les autres le dénonçant.
Sans surprise, l’Assemblée législative elle-même se divisa nettement entre factions. Pour un montagnard comme Georges Couthon, la manifestation n’avait été qu’une légitime et paisible expression de l’opinion du peuple : les citoyens « allèrent rendre visite au roi », pour lui faire connaître leurs vues, « et ils se retirèrent paisiblement, en chantant avec une gaieté touchante l’air charmant “Ça ira” ». Mais le sympathisant feuillant Roubaud avait un avis assez différent : « L’Assemblée nationale a été conspuée, la dignité royale avilie, le représentant héréditaire de la Nation outragé, son palais forcé […] et la loi, abandonnée partout, a fléchi et s’est tue devant une horde de brigands."
À la fin de juillet, plus de cinq mille jeunes gardes nationaux avaient gagné Paris, et beaucoup annonçaient leur intention de rester. Ils venaient d’Angers, de Rennes et de Nantes dans la France de l’Ouest, de Besançon et de Dijon à l’est, de Lyon, de Montpellier et de Toulon au sud-est, de Bordeaux, de La Rochelle et d’Angoulême au sud-ouest. Ils arrivaient avec leurs accents et leurs uniformes régionaux. Presque partout, durant les trois dernières années, les gardes nationaux s’étaient politisés. Très proches des clubs jacobins locaux, dont beaucoup étaient d’ailleurs membres, ils se voyaient eux-mêmes comme les agents de la Révolution dans les provinces, où ils avaient fréquemment participé à la répression de ceux considérés comme contre-révolutionnaires. Ils étaient à présent impatients de répondre à l’appel de l’Assemblée et de débarrasser la patrie des ennemis extérieurs et intérieurs. Arrivés à Paris, la majorité d’entre eux se lièrent avec les militants et les sans-culottes. Un comité central des fédérés, avec des délégués de tous les contingents, commença à se réunir de nuit, de concert avec les leaders des jacobins, des cordeliers et des sections. Le comité central devint bientôt le point focal de l’organisation d’une insurrection armée pour contraindre le roi à se démettre de son trône. Même si les fédérés venaient de toute la France, deux des plus larges contingents arrivaient des régions les plus reculées du royaume. Le 26 juillet, 400 à 500 Bretons entraient au pas, en venant du port de Brest, et on en attendait encore des centaines dans les jours suivants. Le 30, un plus large contingent de soldats-citoyens arrivait de Marseille et de la Provence, « armés jusqu’aux dents », selon l’expression de Pinet, et ayant apporté avec eux de l’artillerie. Alors que beaucoup de gardes nationaux étaient à l’origine issus de la classe moyenne, les « Marseillais » étaient majoritairement ouvriers et artisans. Les militants de Paris les attendaient depuis des semaines, surtout depuis qu’ils avaient fait imprimer et diffuser une déclaration patriotique radicale, et leur entrée dans Paris fit sensation. Comme ils marchaient à travers le faubourg Saint-Antoine et entraient sur la place de la Bastille, ils chantèrent le « Chant de guerre de l’armée du Rhin », composé quelques semaines plus tôt à Strasbourg et rapidement renommé « La Marseillaise ». Ce chant vibrant et patriotique était aussi un avertissement féroce adressé au monde : ils n’hésiteraient pas à arroser la terre du sang de leurs ennemis. Ils firent bientôt savoir qu’ils ne partiraient pas au front tant que le problème du roi ne serait pas résolu. Quelques jours après leur arrivée, ils avaient envoyé une pétition à l’Assemblée demandant la destitution du roi.
Quelques témoignages sur la journée du 10 août
Devant l'inaction et l'indecision des députés de l'assemblée législative, les sections parisiennes, fortes du soutien d'une large partie de la garde nationale et des fédérés présents dans la capitale, décidèrent que c'était à elles de régler la question du sort du roi. Elles préparèrent l'insurrection.
Juste avant minuit, les cloches de l’église des Cordeliers sonnèrent le tocsin, traditionnel signal d’un danger. Aussitôt les cloches des autres églises de la ville se mirent à sonner en rythme, et bientôt tout le monde était éveillé. Rosalie Jullien décrivit la scène dans une lettre haletante adressée à son mari à la toute fin de la nuit : « Le toscin sonne, la générale bat, l’alarme est répandue dans tout Paris. » Les rues étaient remplies de citoyens, les femmes tremblaient à leurs fenêtres. « 800 000 âmes livrées à toutes les angoisses de l’épouvante que les crêpes noirs de la nuit redoublent. »
Vers cinq heures du matin, au point du jour, les militants s’emparèrent de l’arsenal royal, à l’est de Paris, et distribuèrent ainsi des armes supplémentaires aux gardes et aux fédérés. Vers sept heures, les commissaires des sections, réunis à l’Hôtel de Ville, juste à côté de la salle du conseil municipal légal, annoncèrent qu’ils prenaient le pouvoir et qu’ils avaient créé une « Commune insurrectionnelle ». Quand les conseillers « légaux » protestèrent – la plupart étaient des sympathisants feuillants – on leur rétorqua : « Lorsque le peuple se met en état d’insurrection, il retire tous les pouvoirs pour les reprendre."
Au matin, une fois la famille royale évacuée, la garde suisse ouvrit le feu. La terrible guerre civile au cœur de Paris a duré un peu plus de deux heures. Plus d’un millier de personnes trouvent la mort – c’était la plus grande hécatombe dans la ville depuis le XVIe siècle. Les gardes suisses, dont 600 ont été tués, ont subi les plus lourdes pertes. Une centaine de nobles ont aussi péri pendant l’assaut, et près de 400 insurgés ont été té tués ou blessés. Les jeunes volontaires de Marseille et de Bretagne pris dans le feu croisé de la cour sont les principales victimes parmi les patriotes.
Cet épisode, les élites parisiennes qui l’avaient vécu étaient saisies d’émotions complexes, lorsqu’elles cherchaient à expliquer et à justifier la violence. Presque quarante ans plus tard, Victoire Monnard se souvenait encore d’avoir tremblé dans sa chambre, quand elle avait vu depuis sa fenêtre les Parisiens capturer et abattre les défenseurs des Tuileries en fuite dans les rues. Les insurgés étaient persuadés que s’ils avaient perdu, ils auraient subi le même sort. Et chacun revenait sans cesse à l’attaque traîtresse contre les patriotes dans la cour extérieure. Adélaïde Mareux, fille du propriétaire du théâtre du Marais, raconta dans une lettre enfiévrée l’horreur ressentie quand les Suisses avaient soudain ouvert le feu sur les Marseillais et sur les gardes nationaux : « La rage s’empare de tout le monde contre ces monstres. » Pinet décrivit « l’abominable trahison » des forces royales, qui avaient attiré le peuple dans le palais avant d’ouvrir le feu. Après cet acte, « la fureur du peuple a été à son comble ». Beaucoup de radicaux étaient convaincus que la bataille des Tuileries avait sauvé Paris du sort bien plus terrible que lui auraient réservé le roi et la Cour, « cette Cour abominable qui ne s’abreuvait que de sang », comme la décrivait le notaire parisien et futur député Bancal des Issarts. Bancal se lamentait du nombre de jeunes gens, sans expérience du combat, qui avaient perdu la vie, fauchés par des soldats de métier dans les Tuileries. Pour bien des révolutionnaires, le vrai massacre n’était pas celui des Suisses, mais celui des patriotes, « le massacre de la Saint-Laurent », comme ils l’appelèrent, le 10 août dans le calendrier grégorien étant le jour du martyre de saint Laurent. Bancal frémissait en pensant qu’ils avaient été près de tout perdre. La seule conclusion à en tirer était qu’« une Providence admirable veille sur les Français et ne veut pas que la liberté périsse. Elle veut son triomphe et celui de l’égalité».
Pour tous, le 10 août marque le debut d'une 2e revolution. Dans sa première proclamation, la Commune insurrectionnelle de Paris déclara que « le peuple de Paris vient de prévenir la ruine de la Patrie en reprenant une seconde fois ses droits ». Adrien Colson et Nicolas Ruault firent tous deux référence à la « nouvelle révolution qui annule celle de 1789 »
CHAP 8 : la 1ère Terreur
Correspond à la periode entre le 10 août et le 20 septembre. Le pays sombre dans l'anarchie et les violences se multiplient ( cf les massacres de septembre)
En fin de compte, la chute de la monarchie simplifiait grandement la situation politique au sein de l’Assemblée, permettant aux jacobins, et notamment à la faction girondine des jacobins, d’en prendre le contrôle. Beaucoup des plus conservateurs avaient déjà été menacés et hués par la foule. Devant la violence du 10 Août, la grande majorité des feuillants cessèrent de siéger à l’Assemblée ou refusèrent de prendre part aux débats. Jusqu’à la fin de la Législative, seuls environ 300 députés sur les 745 semblent avoir été présents, formant une sorte d’« Assemblée croupion ». « La terreur de la proscription, écrivait le député breton Rivoallan, retient un grand nombre de députés à l’écart et cachés." Quelques députés feuillants se rapprochèrent de leurs collègues jacobins, certains sous l’effet de la peur et de la coercition, d’autres après bien des états d’âme et un vrai changement d’opinion. Ils avaient été très choqués d’apprendre que le général La Fayette, longtemps le héros de la droite, avait déserté et rejoint les Autrichiens. D’autres réévaluèrent leur position quand on ouvrit des documents ministériels secrets saisis par les insurgés. Les documents montraient à l’évidence, selon Pinet, que le roi « fut l’âme et le chef de tous les projets de nos ennemis ». Il avait non seulement continué à payer ses anciens gardes du corps, pour beaucoup réfugiés en Allemagne, mais il avait entretenu une correspondance secrète avec ses frères émigrés, et subventionné les journaux et les pamphlets contre-révolutionnaires, dont un grand nombre étaient conservés dans les papiers ministériels. Aubert-Dubayet, qui jusqu’alors penchait plutôt vers les feuillants, écrivit : « Toutes les pièces trouvées chez le roi, chez l’intendant de la liste civile, ont ajouté à la forte conviction de la trahison de la Cour. » « Enfin, annonçait Rabusson- Lamothe, nos yeux sont dessillés, le bandeau est tombé et, à mon grand étonnement, j’ai reconnu que les rois sont incorrigibles ».
La Législative forme un conseil executif. Danton en tant que ministre de la Justice prend le contrôle de ce gouvernement. L’Assemblée, contrôlée quant à elle maintenant entièrement par la gauche, promulgua un ensemble de nouvelles lois, qui constituaient un véritable second élan de démocratie. Par exemple, les elections de la future Convention se tinrent au suffrage universel masculin ; la notion de " citoyen passif" est abolie. Certaines de ces mesures avaient déjà été discutées et partiellement votées avant le 10 août, mais c’est surtout après la disparition du droit de veto que de grandes avancées furent possibles. Les députés pouvaient maintenant progresser « à pas de géants », comme Pinet le formula : « le peuple peut tout à présent. Il faut profiter de la circonstance et mieux finir cette révolution »
Pourtant, alors que l’Assemblée allait de l’avant avec cette série de réformes, son autorité était défiée, comme jamais, par les différents pouvoirs parallèles, présents à Paris depuis longtemps, mais plus actifs et plus influents désormais. La logique de la souveraineté populaire et d’un exercice de la démocratie sans limites avait déjà posé des problèmes au gouvernement. Pendant cet interrègne, cependant, qui dura jusqu’à la réunion de la nouvelle Convention – et qui fut bien plus chaotique que celui de 1789-1790 –, le climat de suspicion et de méfiance conduisit la ville et le pays au bord de l’anarchie. La Commune insurrectionnelle de Paris, le club des jacobins et les sections parisiennes bravaient tous les jours l’autorité de l’Assemblée, si bien que personne ne savait vraiment qui gouvernait le pays. Même à l'intérieur de la Commune insurrectionnelle, les sections qui avaient beaucoup d'autonomie, étaient devenues instables. La suppression des citoyens passifs, donnant le droit à tout homme d’y participer, avait rendu les discussions des sections plus volatiles et imprévisibles. Souvent, les sections restaient dominées par les élites qui avaient tout à la fois l’envie et le loisir de siéger dans les comités dirigeants. Des débats spécifiques pouvaient cependant attirer un plus grand nombre de participants, si bien que les positions des différentes sections pouvaient varier du tout au tout d’un jour à l’autre.
Des mandats d’arrêt furent lancés contre les anciens ministres du roi, les journalistes royalistes et divers députés de l’Assemblée constituante, comme Antoine Barnave. Ils visèrent aussi un grand nombre de nobles suspects, du prince de Poix, parent de La Fayette, à Madame du Barry, dernière maîtresse de Louis XV. Avant même le décret de la Législative ordonnant la déportation des prêtres réfractaires, la Commune et les sections avaient commencé à les arrêter systématiquement. « Des prêtres, abbés et évêques, écrivait Rivoallan, sont arrêtés par milliers par les différentes sections. » « Il n’est pas de nuit, écrivait de son côté Pinet, que plusieurs personnes suspectes ne soient conduites dans les prisons, qui regorgent de détenus ». En fait, Rivoallan et Pinet exagéraient grandement la réalité : nous savons que la population totale des prisons augmenta seulement de quelques centaines de détenus pendant le mois d’août, et que les prisons étaient loin d’être remplies. Pourtant, les contemporains étaient persuadés qu’elles étaient pleines à craquer.
En face de telles pressions, les députés acceptèrent, le 17 août, la création d’un nouveau « tribunal d’exception ». Conçu pour traiter des cas politiques sans appel et avec des jurés élus par les sections, le « tribunal du 17 août » servit de modèle aux tribunaux révolutionnaires de 1793. Tous ceux jugés coupables seraient immédiatement guillotinés avec la nouvelle machine à décapiter dressée sur l’une des principales places de Paris. Pourtant, le nouveau tribunal procéda plus lentement et plus posément que ne le souhaitaient de nombreux Parisiens.
La violence dans les provinces et à Paris
Personne à Paris ne savait comment l’assaut des Tuileries et l’arrestation du roi seraient accueillis en province. Dès le 10 août, l’Assemblée inondait les départements d’adresses, de décrets et de lettres afin d’obtenir leur soutien. La pièce centrale de cette propagande était la publication des documents saisis dans le palais qui suggéraient la trahison et le double jeu du roi. En même temps, les députés faisaient tout aussi pour convaincre personnellement leurs administrés, justifiant le renversement de la monarchie et soulignant l’issue positive de la journée du 10 Août, qui avait sauvé la Révolution et transformé la nation. « La contre-révolution était certaine, expliquait Sylvain Codet, si un acte de vigueur n’eût fait avorter dans un instant les complots des conspirations internes et externes.» «Réunissez-vous à vos concitoyens, écrivait Michel Azéma, imitez Paris ; il n’y a plus d’aristocrates, de modérés, rien que des patriotes». Clairement, la plus grande menace pour Paris et l’Assemblée venait des différents contingents de l’armée française en position aux frontières. La défection de La Fayette et ses tentatives pour convaincre ses soldats de marcher sur la capitale, après le 10 août, avaient provoqué une énorme angoisse. La Législative envoya rapidement plusieurs députés, la plupart eux-mêmes officiers, expliquer aux soldats la nouvelle situation politique. Plusieurs généraux démissionnèrent, mais deux des plus compétents, Biron et Custine, annoncèrent qu’ils acceptaient le renversement du roi.
Dans maintes régions, pourtant, la vacance du pouvoir pendant l’interrègne fit, tout autant qu’à Paris, vaciller l’autorité. Le contrôle incertain du pouvoir central et des instructions conflictuelles émanant de l’Assemblée et de la Commune contribuèrent à l’intensification des luttes de pouvoir entre les factions locales. De plus, différents niveaux de la bureaucratie donnaient des ordres contradictoires.
De la chute de la monarchie à la réunion de la Convention, au moins 93 personnes furent tuées lors d’une quarantaine d’incidents différents. Ces meurtres se produisirent dans 32 des 83 départements, mais étaient surtout concentrés autour de Paris, dans les villes de la vallée du Rhône, en Provence et dans le Bordelais. Parmi les victimes, on comptait des nobles, des administrateurs, divers citoyens accusés de méfaits, mais surtout des membres du clergé réfractaire, considéré comme la source principale de la contre-révolution dans l’intérieur, qui formaient à eux seuls plus du tiers des victimes. A Paris, du 2 au 6 septembre, la foule tue entre 1000 et 1400 prisonniers ( massacres de septembre). Il semble que, dans l’anxiété du moment, une large partie des élites parisiennes soutinrent les massacres ou les considérèrent comme un mal nécessaire. De fait, aucun des journaux de Paris ne les condamna, qu’ils fussent radicaux ou modérés, girondins, montagnards ou indépendants. Pour le relativement modéré Courrier français, « le peuple se faisait un devoir de purger la ville de tous les criminels, pour qu’il n’eût pas à craindre un débordement des prisons contre les femmes et les enfants ». « Ils nous ont fait tant de mal, écrivit le montagnard Audouin, ils ont tant conspiré, ceux que la hache populaire sacrifie dans ces jours de vengeance.» Le sympathisant girondin Gorsas jugeait les événements « terribles, mais nécessaires». Dans leur correspondance, un large échantillon de révolutionnaires de diverses tendances politiques en venaient aux mêmes conclusions. Pour le sympathisant montagnard Pierre Dubreuil-Chambardel, « toute la race scélérate des non-assermentés éprouve le sort que méritent leurs forfaits. Il y a lieu à croire que l’empire sera bientôt purgé de tous ces monstres. » Le feuillant Pierre Ramel acceptait lui aussi l’événement : « C’est un malheur pour l’homme vertueux qui en est la victime. Mais le peuple est à plaindre, et non à blâmer. » Guittard notait dans son journal intime : «Qu’il est triste d’être obligé d’en venir à de pareilles extrémités, mais on dit qu’il vaut mieux tuer le diable avant qu’il ne vous tue.» Certes, il y eut des exceptions, des individus qui condamnèrent les tueries dès le début. « Ô honte, ô crime, écrivait Ruault à son frère. Ô comble des horreurs et des forfaits politiques ! Tous les prisonniers ont été massacrés ces jours-ci, sans pitié, sans remords, avec un sang-froid infernal.» Le jeune montagnard Claude Basire était également outragé et horrifié : « Il faut du courage pour être homme d’État et conserver une tête froide dans de pareils bouleversements et dans des crises aussi terribles.» Mais Ruault et Basire, à la différence de nos autres témoins, avaient tous deux assisté directement aux massacres. Basire fut l’un des délégués envoyés à l’Abbaye par la Législative dans un inutile effort pour arrêter les tueries, et Ruault était venu par deux fois dans la même prison, enjambant les cadavres et les mares de sang, afin de demander la clémence pour un voisin emprisonné et en attente d’être jugé. Cependant, les massacres de Septembre ne furent pas des actes isolés de violence par les classes inférieures enragées, mais un phénomène soutenu par un large consensus de la population parisienne.
CHAP 9 . La Convention se divise
À la veille de la réunion de la Convention, quelques observateurs espéraient encore qu’il serait possible de repartir sur de nouvelles bases, et que les divisions de la précédente Assemblée ne seraient plus qu’un lointain souvenir. « Plus de partis, écrivait Prudhomme au début de septembre. Nous ne faisons plus qu’un. Cette harmonie, tant désirée et nécessaire, va présider à toutes nos opérations.» Pourtant, dès les premiers jours de la Convention, la confrontation entre les députés girondins et montagnards parut tout aussi féroce que celle qui avait opposé jacobins et feuillants dans la Législative. Dans les premiers mois, la lutte n’impliqua probablement qu’une petite minorité de députés. Au début de janvier 1793, Pierre Vinet parlait de deux groupes «de cinquante personnes dans l’un et l’autre bout de la salle». Une majorité substantielle de députés restaient non alignés et siégeaient au centre, ou dans la « Plaine » de l’Assemblée. Pourtant, les orateurs les plus vigoureux se trouvaient dans les deux factions, et leur mutuelle animosité allait affecter profondément l’ensemble du corps. Les leaders girondins étaient les mêmes hommes qui avaient dominé la Législative à la fin de son existence. Les leaders de la Montagne étaient tous des radicaux de Paris, dont la plupart avaient été membres de la Commune insurrectionnelle et du club des Cordeliers. Leur lieu de réunion ne fut pas un salon privé, comme pour les girondins, mais l’arène publique du club des Jacobins. Comme les jacobins ne pouvaient plus s’intituler Amis d’une Constitution qu’on avait rejetée, ils prirent le nom d’Amis de la Liberté et de l’Égalité. En octobre 1792, beaucoup de ses membres arboraient à nouveau le « bonnet de la liberté », se liant ainsi ostensiblement avec le peuple ouvrier de Paris. Comme pour la division antérieure entre jacobins et feuillants, il est souvent difficile de savoir pourquoi un individu a rejoint telle ou telle faction, pourquoi d’autres, la majorité, ont refusé d’être associés à l’un ou l’autre camp. Par leur âge et leur profession, les membres des deux factions étaient très proches. Ce qui les distinguait, de la manière la plus frappante, était leur origine géographique. Les montagnards venaient réellement de tous les coins du pays, avec au moins un partisan par département, hormis 4 départements sur les 83. Les girondins, en revanche, étaient absents de 28 départements, et étaient particulièrement présents dans les régions atlantiques et méditerranéennes, et à la périphérie du pays, toujours loin de Paris. Dans leurs options idéologiques, les deux factions étaient souvent du même avis. Toutes deux soutenaient l’abolition de la monarchie, le 21 septembre, en dépit des réticences des girondins à la proclamer après le 10 Août. Les deux groupes approuvaient le principe de la souveraineté populaire, la répression des émigrés et des prêtres réfractaires, et la poursuite de la guerre. S’il y avait une question qui les séparait, c’était, comme sous la Législative, leur attitude envers les masses parisiennes. Influencés en partie par le club des jacobins et par leur base électorale constituée pour une large part de militants parisiens, les montagnards glorifiaient continuellement le peuple. Par contraste, Brissot et ses collègues, nonobstant leur soutien passé aux masses parisiennes, paraissaient maintenant nourrir une quasi-répulsion physique à leur égard. Selon eux, les montagnards flattaient la populace, et ils devraient être qualifiés d’« anarchistes », de « désorganisateurs » et d’« hommes de Septembre ». Pétion recourait à l’image d’«hordes de barbares ignorants ». « Les luttes actuelles, proclamait-il, sont entre les lumières et les ténèbres, entre l’ignorance et le savoir."
Dès l'ouverture de la Convention, les Girondins attaquent les Montagnards, accusés dans un serie de discours d'être les responsables des massacres de septembre, dans l'espoir d'utiliser la populace pour éliminer leurs rivaux et installer une dictature. Ils en veulent pour preuve les mandats d'arrêt lancés par la commune insurrectionnelle de Paris contre Brissot et Roland début septembre. Fin octobre, un contingent de la garde nationale defilait en sourien à Brissot et Roland et reclamait les têtes de Robespierre et Danton. Les Montagnards réagirent en excluant les Girondins des réunions du club des Jacobins ( où de toutes façons ils ne venaient plus) et en appelant leurs adversaires les " noirs", la "droite", soit les mêmes noms qu'ils avaient déjà utilisés contre les aristocrates en 89 puis contre les Feuillants. Le procès du roi qui s'ouvre en décembre devant la Convention ( procédure d'exception au mepris du droit pénal et de l'inviolabilité constitutionnelle de la personne du roi) est l'occasion d'un nouvel affrontement entre Girondins et Montagnards, curieusement à front renversé. Les Girondins suggèrent qu'on en appelle directement à la nation, « appel au peuple », référendum national, dans lequel tous les citoyens masculins confirmeraient, ou non, le verdict de la Convention. Un référendum était nécessaire, notamment, disaient-ils, pour contrer les montagnards, qui voulaient la mort du roi afin de s’emparer eux-mêmes du pouvoir – des hommes, comme l’affirmait Louvet, qui avaient été achetés « par beaucoup de guinées anglaises ». En réponse, les montagnards mobilisèrent leurs meilleurs orateurs. parler. Ils saisirent aussi l’occasion pour attaquer leurs rivaux, décrits comme une « faction criminelle », une « cabale de perfides ennemis du peuple », proposant hypocritement une mesure qui prolongerait le procès pendant des mois et pourrait aboutir à épargner un roi coupable. Beaucoup d’électeurs dans la campagne, argumentaient-ils, étaient illettrés, et il leur serait impossible d’être bien informés et de saisir l’enjeu. Ouvrir le procès à un vote populaire délégitimerait la Convention, et provoquerait le chaos et peut-être même la guerre civile. Les députés commencèrent à voter le 15 janvier : 4 votes avec appel uninominal et motivation du vote, sur la culpabilité du roi, sur l'appel à la nation, sur la peine, puis quand la mort fut décidée à une très courte majorité, la motion des Girondins sur le sursis. Le tout prit 5 jours et nuits.
La condamnation et l’exécution de Louis XVI au début de la nouvelle année ne constituaient pas le premier exemple de peine capitale imposée par le gouvernement pour crime politique. Plusieurs « contre-révolutionnaires » avaient été guillotinés, l’été précédent, pendant la première Terreur. Mais il est évident que l’exécution d’un roi avait une valeur symbolique et un poids émotionnel nettement plus grands. Le monarque français avait longtemps été une figure quasi mythique. Même si la plupart des élites du XVIIIe siècle ne croyaient plus aux pouvoirs surnaturels du roi, il avait conservé l’image d’un bon père bien intentionné, une image qui avait même perduré avec plus de force encore au début de la Révolution – au moins jusqu’au fiasco de Varennes. L'exécution du roi parut exacerber les animosités et les rendre plus dévastatrices. Si l’on pouvait justifier le meurtre d’un roi-père, ne pouvait-on justifier aussi le meurtre de quiconque était convaincu de mauvaises intentions ? Le régicide de 1793 fut « un choc traumatique sans précédent ». Au vrai, il y avait une certaine vérité dans l’observation de Mercier : « C’est parce qu’ils avaient fait tomber la tête de Louis XVI qu’ils s’enhardirent à faire tomber sur la même place celles de leurs collègues. » L’exécution du roi ne mena pas directement à la Terreur. Mais il est possible que, lors de l’avènement de la Terreur, son exécution ait pu grandement contribuer à transformer celle-ci en « Terreur meurtrière » : ne mettant pas simplement en œuvre la répression, l’emprisonnement ou le bannissement des ennemis, mais leur extermination. Un autre acte de violence, la veille de l’exécution du roi, allait, comme une fatalité, intensifier encore les haines des factions. Le soir du 20 janvier, le député Louis Michel Le Peletier de Saint-Fargeau payait sa note de restaurant dans les jardins de l’Égalité – l’ancien Palais-Royal – quand il fut assailli par six hommes et poignardé. Il mourut le matin suivant, sept heures seulement avant le roi. Alors qu’il était issu d’une grande famille parisienne de la noblesse de robe, Le Peletier était devenu un fervent montagnard qui avait voté la mort du roi. Sa réputation de transfuge de la noblesse avait attiré la colère de ses assaillants royalistes. Les députés craignaient depuis longtemps pour leur vie. Les girondins se plaignaient sans cesse d’être menacés par le peuple dans les rues. Les montagnards Robespierre, Drouet et Chabot affirmaient aussi avoir reçu des menaces de mort. On avait dorénavant la preuve que personne n’était à l’abri d’un assassinat.
Chap. 10 : La crise de 1793
La convention est dominée par les Montagnards. En réponse à cette situation, la faction de Brissot réactiva sa rhétorique belliciste employée avec tant de succès l’année précédente. Il s'agissait d'aller semer les graines de la Révolution et libérer les peuples européens, voire toutes les colonies appartenant au Royaume-Uni et à leurs alliés hollandais. « L’Asie et l’Amérique nous appellent. » Quelles que fussent les causes initiales du conflit dans l’esprit des députés, peu doutaient du triomphe de la France sur toute l’Europe. Dans les lettres qu’ils écrivirent en février et au début du mois de mars à la fois aux sociétés patriotiques et à leur famille et leurs amis, ils prédisaient une victoire rapide et écrasante des armées de la république. Un remarquable optimisme, une véritable exaltation régnaient parmi les girondins, les montagnards et les membres de la Plaine. « Je ne doute pas, écrivait le montagnard Couthon, que si nous le voulons fermement, nous n’ayons avant six mois donné la liberté à l’Europe et purgé la terre de tous les tyrans. »
Les premiers mois de 1793 virent aussi une participation accrue des femmes. Certaines avaient suivi de près les événements de la Révolution depuis le début et y avaient souvent participé. Mais un nombre significatif de femmes, à la fois des classes moyennes et des classes populaires, affirmaient à présent le droit de prendre part à la politique nationale de manière permanente. Cette mobilisation venait en partie de la hausse incessante du prix des grains et du rôle traditionnel des femmes comme gardiennes du ravitaillement. Elles furent au premier rang des émeutes parisiennes, en février 1793, qui les virent protester contre le coût excessif non seulement du pain, mais aussi des autres denrées qu’elles considéraient comme essentielles – le café, le sucre, les chandelles et, pour le grand nombre de blanchisseuses, le savon et la soude. Selon Guittard, les femmes avaient d’abord essayé de se faire entendre dans le système politique en présentant leurs doléances à leurs sections et à la Convention, mais, comme personne ne les écoutait, elles annoncèrent qu’elles étaient prêtes à agir par elles-mêmes. Entre le 25 et le 27 février les femmes, bientôt rejointes par de nombreux hommes, s’en prirent aux boulangers et aux épiciers, les menaçant de la lanterne s’ils ne baissaient pas leurs prix. Elles s’emparèrent parfois simplement des marchandises, en en payant le prix qu’elles estimaient juste. Les femmes furent sans doute beaucoup plus nombreuses dans ces émeutes de février 1793 qu’au cours de la marche sur Versailles d’octobre 1789. Un autre facteur important dans la politisation des femmes fut le départ au front de nombreux chefs de famille. Les femmes croyaient que, après le départ à la guerre de leurs maris et frères, la Convention les aiderait à faire vivre leur famille. Quand il fut clair que cela n’arriverait pas, des groupes de femmes se mobilisèrent pour revendiquer leurs « droits », demandant un impôt prélevé sur les riches pour subvenir à leurs besoins.
L’intégration remarquable des femmes à la vie des sections entraîna une conception élargie de leur place dans la nouvelle culture politique et dans la société en général. Il est difficile de savoir combien parmi elles connaissaient la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges. De Gouges était connue pour ses opinions royalistes et elle était peu appréciée des républicaines révolutionnaires. Elle n’est ainsi jamais mentionnée par Rosalie Jullien. Cependant la correspondance de cette dernière nous permet de comprendre l’évolution de la conscience politique de quelques femmes de la classe moyenne. En 1792, Jullien était restée seulement observatrice des événements, décrivant l’insurrection du 10 Août depuis sa fenêtre, ou marchant ensuite dans les rues avec son jeune fils à la main. Elle avait assisté de temps à autre aux séances de l’Assemblée ou du club des jacobins. Au cours d’un dîner, les propos du collègue de son mari, Bertrand Barère, l’amenèrent à se mêler à la conversation. Barère affirmait que « les femmes de Paris n’aiment ni la Révolution, ni la république ». Mais Rosalie répliqua : « Toutes les femmes que je connais sont patriotes et républicaines. Les femmes ici soutiennent la Révolution, quoiqu’elles n’en aiment ni le bruit, ni le fracas. » L’erreur de Barère avait été de penser seulement aux femmes de l’aristocratie. En fait, déclara-t-elle, « je suis plus flattée de ce qui vient de mon sexe que ce qui vient du vôtre. Votre orgueil masculin qui possède tout est trop fier sur ses avantages, et nous autres, la partie aimante et sensible de l’humanité et l’âme du corps des sociétés, nous sommes souvent oubliées. J’ose le dire, il y a des dames françaises qui sont déjà spartiates et romaines, et capables d’atteindre aux vertus républicaines avec moins d’efforts que les hommes ». La présence active de Rosalie Jullien à la Convention soulignait un autre aspect de l’évolution de la politique parisienne dans la période : l’intervention à haute voix dans les débats du public assis dans les tribunes, hommes et femmes confondus. Le règlement intérieur de la Convention, rédigé en septembre 1792, interdisait tout commentaire du public et, au début, les députés faisaient tout pour faire respecter le silence des spectateurs, attitude qui perdura jusqu’au début de l’année 1793.
La guerre civile
Dans les provinces, l'agitation liée à la question ecclésiastique ne désarme pas, tout spécialement dans l'ouest de la France. Et le décret de février sur la levée de 300 000 hommes déclenche l'insurrection des campagnes la plus violente depuis 1789
Dans les régions éloignées de Paris et du front, les nouveaux volontaires se faisaient souvent très rares. Dans de nombreux villages, pas un seul jeune homme ne se présenta. Les administrateurs locaux durent recourir à divers moyens de persuasion ou de coercition – du tirage au sort au vote – pour désigner qui devait partir. Malheureusement, dans l’esprit de beaucoup de jeunes gens, l’actuel recrutement se confondait facilement avec la milice honnie de l’Ancien Régime. Au commencement du mois de mars, la Convention était déjà consciente des réponses décevantes apportées au problème de la conscription, qui souvent parurent « d’une lenteur vraiment désespérante ». Aux yeux de beaucoup de ruraux, les décrets de la Révolution n’avaient fait que prendre leurs prêtres, tuer leur roi, et voter une série de lois qui avaient à peine diminué leurs impôts, quand elles ne les avaient pas augmentés – des lois souvent imposées par des gardes nationaux brutaux et arrogants venus des villes. Maintenant la Convention voulait les envoyer se faire tuer pour cette Révolution, dans une guerre à des centaines de kilomètres de chez eux – alors que ceux qui avaient déclenché et soutenu la guerre restaient dans les villes à percevoir les impôts et diriger le pays. Comme l’un des chefs rebelles l’expliquerait, « la loi de la milice a seule fait éclater l’indignation d’un peuple consterné depuis si longtemps par tous les maux qu’on lui a faits ». Ce à quoi les Républicains répondaient : « Citoyens, vous vous êtes laissé égarer par vos prêtres et par vos nobles, déclarait le commandant militaire républicain en mars, c’est avec douleur que nous sommes obligés de verser votre sang, mais nous vous exterminerons jusqu’au dernier si vous persistez". (Chassin, Charles-Louis, La Vendée patriote,p.28)
La guerre civile dans les provinces, l’agitation et les critiques des enragés à Paris, et les revers dramatiques sur le front formèrent l’arrière-plan de la crise et de la quasi-panique qui s’empara de la Convention et de la population de Paris en mars et avril. La crise entraîna la création de toute une série d’institutions répressives en réaction aux menaces. Elle renforça aussi les récriminations et les terribles soupçons qui parcouraient les rangs révolutionnaires. Les mauvaises nouvelles reçues par les députés durant cette période étaient si nombreuses qu’il est souvent difficile de savoir qui, dans Paris, savait quoi et à quel moment, et de pouvoir discerner si ce furent des faits particuliers, ou plutôt les peurs et l’incertitude générale, qui influencèrent les décisions prises. Mais, sans aucun doute, l’accumulation d’événements imprévus à l’intérieur et à l’extérieur du pays et qui menaçaient directement la survie de la Révolution – au moment même où les responsables politiques avaient manifesté tant d’optimisme – conduisit à la mise en place de mesures improvisées qui allaient former le socle du régime de la Terreur.
Durant la seconde quinzaine de mars 1793, la Convention était bombardée quotidiennement de lettres annonçant les désastres de la guerre et les insurrections intérieures. Les discours proposant des mesures d’urgence pour renforcer la frontière du Nord étaient interrompus par l’arrivée de lettres de province appelant à l’aide contre les insurrections qui semblaient éclater partout en même temps. Une correspondance paniquée arrivait des villes de Bretagne, toutes assiégées par les « brigands ». Les députés qui venaient des départements touchés étaient particulièrement accablés, et plusieurs envoyaient des lettres désespérées aux leurs dans la région. Étienne Chaillon, qui vivait dans une petite ville à l’ouest de Nantes, apprit après plusieurs jours d’angoisse que sa fille aînée avait réussi à s’enfuir avec ses autres enfants en traversant la Loire à Paimbœuf. Mais Paimbœuf avait été assiégé à son tour, et sa fille lui faisait part de rumeurs de terribles massacres et de pillages dans les environs. « Je crois bien qu’à ce moment je n’ai plus ni meubles ni effets mobiliers, écrivait-il. Mais au moins, mes enfants sont hors de danger. » Puisqu’il était impossible d’estimer l’ampleur des soulèvements, beaucoup d’autres députés qui avaient des amis et des parents près des régions touchées étaient rongés d’inquiétude.
Et pratiquement tous étaient convaincus que tout ce qui arrivait résultait d’un complot coordonné. Ce n’était certainement pas une coïncidence si les soulèvements intérieurs se produisaient juste au moment où les Autrichiens et les Prussiens attaquaient au nord. Comment autrement expliquer que les émeutes contre le recrutement semblaient éclater partout en même temps ? Ces députés étaient persuadés du rôle des nobles et du clergé réfractaire dans la conduite de ces révoltes. Quelle autre explication donner au soulèvement des paysans qui, croyaient-ils, avaient tant gagné à la Révolution ? Les députés girondins et montagnards partageaient le même constat : le recrutement « n’est qu’un prétexte mis en avant pour déguiser un grand complot. Ce sentiment est renforcé par la defection de Dumouriez.
La Terreur est la politique de personnes terrorisées...et épuisées. A cette époque, la Convention siège jour et nuit.Il n’y eut jamais de plan systématique. Les députés improvisèrent au fil des mois et mirent en œuvre progressivement, puis renforcèrent, des institutions qui, au début, pour certaines, avaient été à peine esquissées. Même si ces nouvelles structures allaient favoriser les montagnards, les deux factions de la Convention les créèrent ensemble. D’ailleurs, presque toutes ces institutions avaient déjà des précédents : le Tribunal révolutionnaire, les représentants en mission, les comités de surveillance, le Comité de salut public – toutes avaient été en germe après la crise de Varennes ou après le 10 Août et avaient été mises sur pied soit par des décrets nationaux, soit par des administrations locales. Certes, la suppression de l’immunité parlementaire et la purge subséquente des députés étaient inédites. Mais les girondins eux-mêmes avaient déjà implicitement demandé une telle purge, quand ils avaient cherché à exclure les leaders montagnards à l’automne 1792. Pourtant la crise de 1793 eut un profond effet non seulement sur les institutions de la Terreur, mais aussi sur l’« état d’esprit » qui caractérisa cette période. Les députés des deux factions répétaient sans cesse que, lorsque la Révolution était en danger de mort, tous les moyens étaient justifiés pour la sauver. Georges Couthon, le leader montagnard, le dit explicitement, début mai : « Les mesures qui seraient des délits politiques sous un gouvernement tranquille et bien établi deviennent indispensables. » Le sympathisant girondin, Michel-Edme Petit, utilisait plus ou moins le même argument : « On dut faire taire les lois, l’humanité, la nature devant la nécessité, et la vertu même dut se composer de toutes sortes d’excès. Telle est la morale effrayante dont nous avons eu besoin pour faire notre Révolution. » Pour le député-fermier Dubreuil, qui siégeait habituellement avec la Plaine, « ce n’est plus des demi-mesures que la Convention emploiera, mais bien celles que les circonstances exigent, et la patrie sera sauvée, et nos lâches ennemis terrassés et déjoués ». Cette évolution dans les attitudes se devine par l’importance croissante dans le lexique patriote du verbe « exterminer ». Vers la fin mars, Louis-Marie Prudhomme publia un appel extraordinaire à la répression la plus sévère dans son journal, Les Révolutions de Paris. Alors qu’il avait longtemps été un fervent partisan de la Révolution, il avait appelé à la modération au cours des derniers mois, et il avait été brièvement arrêté le 2 juin – injustement sans doute – comme sympathisant girondin. Quelques années plus tard, il allait même critiquer sévèrement tout le régime de la Terreur. Mais, au milieu des désastres du printemps, sa patience était à bout : « Ils veulent notre sang », répétait-il comme une litanie, en dressant la liste de tous les ennemis. Les aristocrates, les prêtres traîtres, les ministres infidèles, les étrangers suspects vivant au milieu d’eux, « ils veulent tous notre sang ». Il réservait en particulier son venin aux « monstres » de la Vendée, qui « ont mis en pièces les magistrats, les administrateurs fidèles au peuple, et le peu de bons prêtres qui refusent de faire cause commune avec les réfractaires. Eh bien ! puisqu’ils veulent du sang, il faut en faire couler, et que ce soit le sang » de tous les traîtres, et même d’un certain nombre de députés : « Et vous aussi, représentants traîtres à vos serments, tremblez ! » Et, désignant tous les ennemis de la Révolution, son appel était clair : « il faut que tout ce sang coule sans délai ».
Les Conventionnels prirent une série de mesures d’urgence, improvisées et révisées à l’annonce de chaque nouveau désastre.
- Dans la deuxième semaine de mars, leur première tâche fut de renforcer l’armée du Nord et d’accélérer le recrutement militaire. Les députés décidèrent d’envoyer à présent de manière systématique des commissaires – dénommés « représentants du peuple en mission » – dans tous les départements avec pour mission de favoriser le recrutement et pour surveiller les différentes armées. Ils reçurent le pouvoir de réprimer les « brigands » ainsi que de lever des armées locales et de réquisitionner des fournitures de guerre. Rapidement, ils exercèrent un contrôle quasi dictatorial sur toutes les administrations locales et purent y lancer des purges « par motif de sûreté publique ». Ils avaient à peu près la même autorité que les intendants de l'ancien régime.
- Afin de lutter contre les ennemis intérieurs, après de longs débats, la Convention décida le 11 mars, d’établir un Tribunal révolutionnaire qui jugerait sans appel, à l’instar du tribunal créé le 17 août et qui fut ensuite supprimé. Les députés se souvenaient trop bien de l’assaut des prisons parisiennes, en septembre, juste avant le départ du premier contingent de volontaires vers le front. C’est dans ce contexte que Danton lança sa phrase souvent citée : « Profitons des fautes de nos prédécesseurs. Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être ». Des comités de surveillance furent créés à cette fin dans chaque municipalité. Rapidement, d’abord à Paris, puis dans toutes les villes du pays, les nouveaux comités exercèrent des fonctions de surveillance de toutes sortes de mauvaise conduite politique, encourageant les dénonciations d’activités suspectes et renvoyant les « suspects » devant le Tribunal révolutionnaire. Ces comités institutionnalisèrent la pratique des dénonciations, pratique souvent mise en œuvre de manière improvisée auparavant par les autorités municipales et les sociétés populaires.
- Début avril, la Convention créa « un gouvernement vigoureux », selon le mot de Gillet, qui paraissait une nécessité pour répondre à la crise, malgé le danger de la "dictature" qui avait fait écarter jusqu'alors cette idée. Le 6 avril, avec le soutien des girondins, de la Plaine et de la Montagne, la Convention établit un « Comité de salut public », conçu comme une autorité exécutive centralisée détenant un pouvoir illimité sur les ministres. D’abord composé de neuf, puis de douze membres, le Comité se réunirait en secret, sans la présence de personnes extérieures – à la différence du plus large Comité de défense générale. Le premier Comité était grandement dominé par les montagnards modérés. On y trouvait la forte personnalité de Danton.
CHAP 11. LA TERREUR JUSQU'À LA VICTOIRE
Les longs mois de crise economique, de penuries à Paris, d'agitation dans les provinces et desormais de guerre civile avec des troupes vendéennes victorieuses, la division entre les factions, entre les "enragés" et les modérés , tout cela mina la légitimité de la Convention. On ne savait plus qui gouvernait. La révolte fédéraliste, enfin, joua un rôle majeur dans l'avènement de la Terreur.
Dès les premières semaines de la Convention, les girondins avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour influencer la politique dans les provinces. Brissot et ses amis avaient essayé de faire venir des « armées » départementales à Paris pour les protéger et pour contrer les militants et les sans-culottes parisiens. Pendant le premier semestre 1793, et particulièrement après que les sections parisiennes eurent demandé leur expulsion, ils envoyèrent un flot de lettres à leurs mandants, en les avertissant de la menace que les « anarchistes » parisiens faisaient peser sur la Révolution. Barbaroux, Salle, Boyer-Fonfrède, Grangeneuve et Gensonné avaient tous écrit chez eux en pressant d’agir contre la capitale. Vergniaud, qui avait rarement été en contact avec ses mandants dans le passé, rédigea une lettre particulièrement passionnée, début mai : « Hommes de la Gironde, levez-vous ! Frappez de terreur les hommes qui provoquent la guerre civile ». Ces lettres se trouvaient confortées par la rhétorique des journaux girondins, dont plusieurs (ceux de Brissot, de Gorsas et de Carra notamment) étaient largement diffusés dans les provinces. Avant la fin mai, plusieurs villes envisageaient déjà une rupture avec la Convention. À Marseille, les modérés avaient chassé les jacobins du pouvoir et contraint les représentants en mission à quitter la ville. Le 27 mai, un soulèvement à Lyon renversait le régime municipal du sympathisant montagnard Joseph Chalier. Presque au même moment, Bourg-en-Bresse se déclarait aussi en état d’insurrection et les chefs politiques de la ville de Caen appelaient à la levée d’une armée départementale pour marcher sur Paris.
L’intervention des militants parisiens, le 2 juin, pour imposer l’arrestation des vingt-neuf députés girondins provoqua l’indignation d’une grande partie du pays. Ce fut là un facteur central de la révolte contre la Convention qui éclata dans plusieurs grandes villes. Une bonne moitié des departements protestèrent officiellement. La Convention, disaient-ils, ne représentait plus la nation, mais seulement l’opinion d’une petite minorité parisienne " anarchiste". En réalité, la plupart des départements protestataires firent rapidement marche arrière. Les montagnards mobilisèrent toute leur énergie pour convaincre les leaders locaux, les pressant de ne pas briser l’unité nationale, s’engageant à rédiger une nouvelle Constitution aussi vite que possible et promettant l’amnistie à ceux qui retireraient leur opposition. Les représentants en mission de la Convention, déjà présents dans les départements, eurent aussi un rôle influent, en jouant de la carotte et du bâton auprès des responsables locaux. Presque partout, en outre, les élites étaient elles-mêmes profondément divisées. Beaucoup des administrateurs de district et des officiers municipaux des petites villes rejetèrent les protestations de leurs supérieurs. Devant un tel désaccord, plusieurs administrateurs de département révisèrent leur jugement et changèrent de position. Néanmoins, une douzaine de départements, la plupart dominés par de grandes villes depuis longtemps sourdement opposées aux montagnards, refusèrent fermement de s’incliner, même devant le risque d’une guerre civile. À Marseille, Lyon, Toulon, Nîmes, Bordeaux, Caen et dans plusieurs départements alentour, les responsables désavouèrent formellement la Convention. Les villes rebelles se coordonnèrent et tentèrent de mettre sur pied une force arméecontre Paris. MAIS Les leaders de la classe moyenne furent incapables de convaincre les classes laborieuses et les paysans de quitter leur foyer et de s’enrôler pour aller combattre Paris. Ils avaient aussi des difficultés à trouver des fonds afin d’habiller et d’équiper leurs armées. Et les principaux centres de l’insurrection ne purent faire leur liaison. Les revoltes federalistes finirent par échouer
A Paris, entre les arrestations et le refus des autres députés girondins de siéger, les quelques 300 députés montagnards eurent le champ libre à la Convention et dominèrent tous les débats, et les élections, pendant un an. Depuis 1789, c’était la première fois qu’une faction exerçait une telle domination sur une Assemblée.
Les montagnards se mirent rapidement à rédiger une nouvelle Constitution. Il s’agissait là, après tout, de la mission originelle et de la raison d’être de la Convention. Selon le député Dubreuil, ce serait « le plus grand remède qu’on puisse aujourd’hui appliquer à tant de maux ». Écrite rapidement par Hérault et Couthon, et aussitôt approuvée par une majorité montagnarde, le nouvel « acte constitutionnel » reprenait de nombreux principes proposés par les girondins en février. Mais il était rédigé dans une prose plus directe, sans les longues réflexions philosophiques de Condorcet. Dépourvu de tous les articles relatifs à la monarchie et ne disant presque rien des institutions locales, le texte ne faisait qu’un tiers de la Constitution de 1791. La Déclaration des droits, en revanche, était, elle, beaucoup plus longue. Elle comprenait plusieurs articles nouveaux sur les responsabilités sociales du gouvernement de la république : l’engagement à assurer une instruction publique pour tous les citoyens, la promesse d’une assistance publique pour les nécessiteux et l’abolition de la traite. À la différence de la précédente, la nouvelle Constitution serait soumise à un référendum. Tous les citoyens de sexe masculin seraient invités à voter dans leurs assemblées primaires. La rédaction de la Constitution eut très certainement un impact considérable sur les représentants de la Plaine qui avaient longtemps hésité entre les deux partis. Le député Barbaroux, victime de la purge du 2 juin, et donc assigné à residence chez lui, était particulièrement amer de constater que tant de membres du centre de l’Assemblée « reconnaiss[aient] l’existence de la Convention et continu[aient] à délibérer avec la Montagne ». Environ cent trente députés, qui n’avaient pas systématiquement voté avec la Montagne auparavant, acceptaient à présent de siéger dans les comités de la Convention ou de servir comme représentants en mission.
La fuite en province de la plupart des députés girondins qui pour l'essentiel se rallièrent au mouvement federaliste et, surtout, l'assassinat de Marat par Charlotte Corday le 13 juillet, mirent fin à la politique de conciliation menée jusqu'alors par les Montagnards. Les funérailles dramatiques de l’Ami du peuple, qui se déroulèrent trois jours plus tard, firent forte impression et soulignèrent toute l’horreur du meurtre. Mise en scène par le peintre Jacques-Louis David, un proche de Marat, la procession funèbre traversa la ville, le soir, à la lueur des torches. Guittard regarda le grand et sombre cortège passer devant chez lui. Il assista à une seconde cérémonie, deux semaines plus tard, lors du dépôt du cœur de Marat dans les jardins du Luxembourg. Partout en France, le buste de Marat fut placé à côté de celui de Le Peletier, rappel permanent de la menace d’assassinat qui pesait sur tout républicain dévoué. Pourtant nombreux etaient, avant l'assassinat, ceux qui étaient très réticents devant les outrances de Marat.
Le 10 juillet, la Convention vota le « retrait » du Comité de salut public des députés qui avaient prôné la conciliation avec les fédéralistes et les girondins. Danton, Delacroix et Cambon furent destitués, et le radical montagnard Pierre-Louis Prieur, député de la Marne, fut élu à leur place. Robespierre fut élu au Comité deux semaines plus tard. Depuis le printemps 1793, il était celui qui avait affirmé avec le plus de véhémence l’existence d’une grande conspiration liée aux girondins et qui avait soutenu le plus fermement la nécessité de prendre toutes les mesures pour la réprimer. Il n’avait jamais accepté la politique conciliante de ses collègues montagnards. Dans des notes personnelles, prises vers cette époque, il ne laissait aucun doute sur son attitude à l’égard des girondins et des fédéralistes. Les seuls moyens de mettre fin à la guerre civile étaient « de punir les traîtres et les conspirateurs, surtout les députés et les administrateurs coupables […] et de faire des exemples terribles de tous les scélérats qui ont outragé la liberté et versé le sang des patriotes ».
Les députés votèrent, le 23 août, le célèbre décret sur la levée en masse. Le texte de base semble avoir été rédigé par deux ingénieurs militaires récemment élus au Comité de salut public, Lazare Carnot et Claude-Antoine Prieur de la Côte-d’Or. Mais il fut traduit par Barère en langage épique. « Dès ce moment et jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la république, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. » Un peu avant, les délégués provinciaux demeurés à Paris ( ils s'agit de ceux qui avaient été mandatés pour le vote sur la nouvelle Constitution) avaient proposé une « loi des suspects », réclamant l’arrestation, le procès rapide et l’exécution de tous les ennemis potentiels. Claude Royer, un « prêtre rouge » radical, leader d’un comité des délégués de Bourgogne, résumait la position de tous : « Soyez terribles, mais sauvez la liberté. » Et au club des jacobins, à la fin du mois d’août, il eut une formule appelée à devenir le cri de ralliement des radicaux de Paris et de la Convention : « Il faut placer la Terreur à l’ordre du jour ". Cette loi est votée un mois plus tard, le 17 septembre. Entre temps, l'irruption des petitionnaires du 5 septembre à la Convention, plaçant une nouvelle fois les députés sous la pression des foules les plus radicales poussa les leaders de la Montagne à mettre sur pied un plan d'action cohérent.
S'ouvrant pourtant à des députés radicaux, comme Collot d’Herbois et Billaud-Varennes, le CSP décida de s’en prendre aux leaders les plus vulnérables des enragés (Jacques Roux et Jean-François Varlet) Quelques semaines plus tard, ils fermèrent le club des républicains révolutionnaires, si étroitement liées aux enragés. Ils essayèrent aussi de brider les activités des sections parisiennes. Sur une motion de Danton, la Convention vota la fin de la « permanence » des sections qui existait depuis plus d’un an et les limita à deux séances par semaine. Les interventions directes du peuple dans la Convention cessèrent, et, après septembre, le nombre des manifestations collectives des militants radicaux et des sans-culottes déclina fortement.
Néanmoins, le Comité ne pouvait ignorer longtemps les demandes des pétitionnaires du 5 septembre. Dans les semaines suivantes, le Comité étendit et durcit des institutions créées dans la panique de mars et d’avril :
- Le 9 septembre, la Convention créa l’armée révolutionnaire que les militants parisiens avaient si longtemps réclamée, mettant en œuvre une loi votée le 2 juin, mais jamais appliquée. Pendant l’automne, des forces paramilitaires salariées constituées de militants dévoués parcoururent la campagne, contraignant les paysans à vendre les fruits de leur récolte et s’en prenant à quiconque paraissait suspect. Recrutés généralement dans les classes inférieures de la société parisienne, ces soldats irréguliers bien armés et indisciplinés allaient terrifier les ruraux et se lanceraient bientôt activement dans une politique hostile à l’Église et à la religion catholique. C’était aussi une manière pour le Comité et les leaders de la Montagne d’éloigner temporairement de Paris les militants les plus actifs – et les éléments les plus perturbateurs.
- La fameuse « loi des suspects », votée par la Convention avec très peu de débats le 17 septembre, fut également essentielle dans l’institutionnalisation de la Terreur. Son intention était en théorie de donner une définition plus précise du concept de « suspect ». En réalité, le texte comprenait une série de clauses élastiques qui visaient « tous ceux qui [s’étaient] montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté », ou qui ne pourraient justifier de « leurs moyens d’existence », ni donner une preuve évidente de leur « civisme » – terme dont le sens ne fut jamais clairement défini. Les comités locaux de surveillance étaient désormais libres de désigner eux-mêmes les suspects, remplissant le rôle souvent dévolu auparavant aux sociétés populaires. Ces comités étaient d’autant plus effrayants qu’aucun appel n’était possible contre leurs décisions et qu’ils ne comptaient désormais parmi leurs membres que des patriotes radicaux. En juin précédent, Barère s’en était pris aux activités de ces comités de surveillance qu’il avait accusés de violer la Déclaration des droits de l’homme. Mais, depuis, le Comité de salut public avait changé d’avis. Comme l’expliquait Collot d’Herbois, « les droits de l’homme sont faits non pour les contre-révolutionnaires, mais seulement pour les sans-culottes ».
Pendant les dix mois suivants, onze des douze membres qui siégeaient dans le Comité de salut public à la mi-septembre seront continuellement maintenus dans leurs fonctions par la Convention et bénéficieraient d’une autorité renforcée. Le 13 septembre, le Comité reçut le pouvoir de nommer les membres de tous les comités de la Convention. En octobre, il obtint aussi le droit de diriger les enquêtes du Tribunal révolutionnaire. Entre-temps, le Comité de sûreté générale, en charge des activités répressives de la Convention et composé de radicaux montagnards, se mit à travailler de plus en plus étroitement avec le Comité de salut public. Un décret, promulgué le 10 octobre, dota le Comité de salut public de l’autorité exécutive.
L'exécution des Girondins ( exemplaire d'un procès révolutionnaire à l'époque de la Terreur)
Un temps en residence surveillée. La situation se durcit avec la fuite en province de certains d'entre eux qui rejoignirent les rangs fédéralistes. Un décret du 28 juillet designa les fuyards comme " traitres à la patrie " , passibles d'une exécution immédiate. La pression extérieure, par exemple celle d'Hebert, poussait la Convention, malgré sa répugnance, à soutenir ce genre de mesures. Le 7 octobre, le journaliste girondin Gorsas fut le premier député du peuple décapité.
Le procès des girondins devant le Tribunal révolutionnaire s’ouvrit le 24 octobre et dura sept jours. Il fut conduit par cinq magistrats et le jury était composé de quatorze hommes, tous militants radicaux et pour la majorité parisiens. Environ 1 200 spectateurs suivirent les débats depuis le fond de la salle ou les tribunes. La foule était sans aucun doute attirée par la présence de plusieurs ténors de la faction, dont Brissot, Vergniaud, Gensonné, Lasource, Boyer-Fonfrède, Ducos et Carra. Mais les autres accusés étaient moins célèbres, et quelques-uns étaient quasiment inconnus, « du fretin », comme disait Jullien. C’était la première fois qu’une « fournée » d’individus divers était ainsi jugée en même temps, inaugurant une pratique caractéristique des grands procès politiques de l’année à venir.
Les girondins eurent droit à un défenseur – apparemment nommé par le Tribunal – et on les autorisa à témoigner pour leur propre défense. Cependant, ils ne purent consulter à l’avance les charges retenues contre eux, et seuls les témoins de l’accusation furent appelés à comparaître. Les preuves invoquées comprenaient un grand nombre de « on-dit » et de témoignages indirects, en dépit des protestations vigoureuses des défenseurs. L’accusation était menée par Antoine Fouquier-Tinville, mais les magistrats et les jurés aussi intervinrent en n’hésitant pas à attaquer brutalement les accusés. Les principaux témoins de l’accusation étaient tous des militants de premier plan : Chaumette, Dobsen, Léonard Bourdon et surtout Hébert lui-même.
Fouquier et Hébert sentirent tous deux que le procès pouvait très bien tourner en leur défaveur puisqu’ils risquaient de perdre le soutien de l’opinion publique. De plus en plus mal à l’aise, Hébert demanda dans son journal et au club des jacobins que le procès fût abrégé. Les magistrats de la Cour en appelèrent aussi directement à la Convention. S’ils étaient obligés de suivre la loi à la lettre, expliquèrent-ils, tous les accusés pourraient sans cesse réfuter les charges et le procès durerait indéfiniment. À leurs yeux, le verdict était clair : « Les preuves de leurs crimes sont évidentes ; chacun a dans son âme la conviction qu’ils sont coupables. » Les jacobins, eux aussi, adressèrent une pétition aux députés. Afin que « ces monstres périssent », dirent-ils, et que « la Terreur soit toujours à l’ordre du jour », les magistrats devaient en finir et condamner les accusés. Devant toutes les pétitions, Robespierre et Barère proposèrent un « compromis » : le procès arriverait à son terme dès que le jury affirmerait en conscience être suffisamment éclairé pour prendre une décision.
Le lendemain 30 octobre, le jury fit savoir dans un premier temps qu’il n’avait pas assez de preuves, et que les témoignages devaient continuer encore quelques jours. Mais, après une longue suspension l’après-midi – et très vraisemblablement après une forte pression exercée par les magistrats et le procureur –, le jury annonça qu’il était prêt à délibérer. Un observateur décrivit la scène quand le jury revint vers dix heures du soir, après trois heures de délibérations et que les accusés regagnèrent leur place : « l’heure avancée de la nuit, les flambeaux allumés, les juges et le public fatigués d’une longue séance, tout donnait à cette scène un caractère sombre, imposant et terrible ». Mais le moment parut plus grave encore quand le jury annonça le verdict : les vingt et un accusés étaient tous jugés coupables de conspiration contre l’unité et l’indivisibilité de la république. Un des jurés lut ensuite une explication de la décision. Il y avait, déclara-t-il, suffisamment de preuves montrant que les accusés avaient agi ensemble dans des conclaves secrets la nuit, avaient conspiré pour encourager des soulèvements en province, et avaient eu notamment le projet de lever une armée contre Paris. Un tel comportement avait conduit la république au bord du gouffre. Il espérait que « l’exemple sévère qui aura lieu à leur égard effrayera les mandataires infidèles qui tôt ou tard seraient tentés de les imiter ». Rosalie Jullien, toujours présente parmi les spectateurs, parut elle aussi convaincue : « Dans les sept jours que le Tribunal a tenu cette grande affaire, tous ont parlé longuement et avec vigueur, mais les témoins mettaient en défaut tous les artifices de leur éloquence. » Le président du Tribunal lut alors la sentence. En vertu de la loi « sur les crimes contre l’unité de la république » – une loi votée à l’unanimité en décembre 1792 – les vingt et un accusés seraient guillotinés le lendemain. Les girondins parurent stupéfaits. Ils ne s’attendaient manifestement pas à une telle sentence. « La terreur se peint sur tous les visages des accusés, écrivit Rosalie Jullien. Brissot laisse tomber sa tête, Vergniaud, avec ses deux bras, semble faire un appel au peuple, Gensonné parle pour faire une objection sur le décret, on lui dit qu’il n’a plus rien à exprimer. » D’autres criaient : « Je suis innocent ! », ou même « Vive la république ! ». Puis, soudain, « un mouvement spontané les fait tous se lever ; tout est en mouvement, et chacun se presse, s’agite et, un moment plus tard, la confusion est à son comble ». Alors que les spectateurs se mettaient à crier « Vive la république ! », les criminels serrés par la gendarmerie nationale [étaient] reconduits dans leurs cachots. Un des vingt et un restait, cependant, derrière : Dufriche-Valazé, chez qui les girondins s’étaient si souvent réunis, gisait inerte sur son banc, s’étant lui-même poignardé en plein cœur.
= fin d'une époque. Les girondins sont exécutés devant une foule morne.
Avant même la mort des leaders girondins, les contemporains se mirent à observer une plus grande prudence dans leurs écrits. Beaucoup cessèrent simplement toute correspondance. Ceux qui continuaient d’échanger des courriers n’exprimaient leurs pensées et leurs opinions qu’avec beaucoup de circonspection et en faisant preuve d’autocensure. Certains brûlaient tout ce qu’ils avaient écrit ou reçu, ou déchiraient des pages entières de leur journal. Adrien Colson n’évoquait plus que des questions liées à ses affaires. Le vieux Guittard de Floriban rédigeait toujours son journal, mais il ne rapportait généralement que des « faits », les événements mentionnés dans les journaux, observés depuis sa fenêtre ou lors de ses promenades près de Saint-Sulpice. Pendant un moment, Rosalie Jullien put rester plus franche dans ses lettres puisqu’elle les envoyait dans un sac spécial à son fils aîné, agent personnel de Robespierre. Pourtant, en févier 1794, elle se crut obligée d’ajouter un mot à l’adresse de quiconque ouvrirait son courrier, le priant de ne pas bloquer un message d’une mère à son fils. Par la suite, le ton de ses lettres et de celles de bien d’autres contemporains devint bien plus affecté et plus idéologique. De tous nos témoins, seul peut-être Nicolas Ruault continua de s’exprimer en toute sincérité. Mais il écrivait moins fréquemment, et uniquement quand il pouvait confier ses lettres à un messager privé en qui il avait confiance. Autrement, comme il le dit à son frère, il aurait été obligé pour des raisons de sécurité de « conformer son langage à la fureur dominante »
CHAPITRE 12. L’an II et la Grande Terreur
La période fut marquée par une série de mesures qui cherchèrent à créer une société plus juste et plus égalitaire. La Déclaration des droits votée par la Convention, en juin 1793, avait engagé la république à organiser une instruction générale et une assistance publique pour tous les nécessiteux. En décembre, les députés avaient décidé que chaque commune aurait une école primaire avec des instituteurs payés par l’État. En février suivant, ils votèrent un crédit de dix millions de livres pour le soulagement des indigents, des vieillards, des infirmes et des mères célibataires avec de jeunes enfants, même nés hors mariage. Les enfants « illégitimes » étaient dès lors considérés comme égaux devant la loi aux autres enfants – une innovation remarquable compte tenu des préjugés du temps. Des mesures supplémentaires visaient à promouvoir l’agriculture et les transports – en partie certes pour aider à l’effort de guerre, mais aussi pour améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population. Le partage des biens communaux et les décrets dits « de ventôse », à la fin du mois de février et au début de mars, représentaient les premières tentatives de redistribution de la terre. Proposées à la Convention par Saint-Just, ces lois visaient à distribuer entre les pauvres les propriétés confisquées à ceux qui avaient été condamnés par le Tribunal révolutionnaire. Peut-être plus extraordinaire encore fut le décret du 4 février 1794 abolissant l’esclavage dans toutes les colonies françaises. La France devenait le premier grand pays des temps modernes à promulguer ce type de lois. L’abolition de l’esclavage donna lieu à une grande célébration populaire à Paris, suivie par des milliers d’hommes et femmes, dont un certain nombre d’Africains qui vivaient là. La Convention poursuivit aussi une série de changements remarquables pour les femmes. Des décrets, qui instituaient des droits pour les femmes mariées – sur la propriété familiale et l’autorité parentale –, amélioraient considérablement leur condition, en comparaison avec celle qui était la leur sous l’Ancien Régime. Avec l’avènement du divorce, des milliers de femmes recoururent aux tribunaux pour fuir un mariage malheureux. Cependant la Convention restreignit leurs droits politiques. En septembre et octobre 1793, les députés interdisent toutes les sociétés populaires féminines. Certains députés, dans leurs discours, tinrent des propos misogynes sur la nécessité de confiner les femmes et les filles à leurs foyers. On leur permit encore d’être présentes dans les tribunes de clubs masculins, et beaucoup continuèrent à y venir et à pétitionner à la Convention et dans les sections de leur quartier. Rosalie Jullien suivit la politique aussi passionnément qu’auparavant – au moins jusqu’à la chute de Robespierre en juillet 17947. En réalité, beaucoup des décrets sociaux de la Convention, y compris ceux concernant l’instruction et la redistribution des terres, ne furent appliqués qu’avec réticence, quand ils le furent. La guerre et la terrible politique des factions qui régnait à l’intérieur du pays empêchèrent souvent les montagnards de mener ces réformes à leur terme.
Rien n’illustre mieux la distance extraordinaire parcourue depuis 1789 par les révolutionnaires les plus militants que l’évolution rapide de leurs opinions sur la religion. Avec le progrès de la Révolution et le renversement de toutes les anciennes autorités, le temps n’était-il pas venu, demandaient-ils, de déclarer le règne de la raison et de rejeter la superstition de la liturgie catholique ? N’était-il pas maintenant évident que toute religion était une imposture, manigancée par le clergé pour maintenir son pouvoir et son influence dans la société ?
À Paris, le mouvement de « déchristianisation » déferla avec force en octobre et novembre 1793. Un nouveau calendrier républicain, conçu en partie par Gilbert Romme, fut adopté en octobre et mis en pratique à la fin novembre. L’ère ne commençait plus avec la naissance du Christ, mais avec la fondation de la république, le 21 septembre 1792. Les douze mois de l’année (chacun de trente jours) recevaient des noms plus rationnels, faisant référence aux saisons : ainsi le 25 novembre 1793 devint le 5 frimaire an II de la république. Plus spectaculaire encore était le remplacement de la semaine de sept jours par une décade de dix jours, de sorte que le jour de repos n’était plus le dimanche, mais le dixième jour, ou « décadi ». Pour insister encore davantage sur la rupture culturelle que représentait la Révolution, les radicaux changèrent la dénomination des villes, des rues et des lieux géographiques, effaçant toute référence aux saints, à la Vierge ou à tout ce qui rappelait la religion chrétienne, comme ils avaient plus tôt supprimé toute référence à la royauté.
Dissociation avec le peuple. Même à Paris, les habitants continuent à suivre les rituels religieux traditionnels.
+ sympathisants jacobins furieux de la culture antireligieuse des militants imposée par la contrainte et la terreur ( sans ttfois affirmer ouvertement leurs pensées) par ex. Nicolas Ruault était convaincu, comme Voltaire qu’il admirait, que le peuple avait besoin de religion. Il s’inquiétait des effets en province « de l’anéantissement des prêtres, des temples, de la religion enfin ». Il était ulcéré des bacchanales de jeunes militants dans les rues près de son logement : « une centaine de chenapans défilaient dans une procession de Carnaval, couverts de chapes, de chasubles, conduisant un âne revêtu d’ornements ». Il se désolait aussi de la destruction des tombeaux des rois dans la basilique de Saint-Denis. « Quel triste temps que celui où les vivants et les morts sont également persécutés pour des votes et des opinions ! ». Cepdt, Robespierre, lui aussi inquiet devant le mvt de dechristianisation, proposa un décret réaffirmant la tolérance religieuse garantie par les Déclarations des droits de 1789 et 1793. Les opinions de Robespierre n’eurent dans un premier temps que peu d’effets. Cependant, après avoir consolidé son influence politique au printemps 1794, c’est lui qui fut en grande partie responsable de l’exécution de Chaumette et de l’évêque défroqué de Paris. Il se fit l’avocat du culte déiste de l’Être suprême pour rejeter l’athéisme. Début juin, il présida une magnifique cérémonie au cœur de Paris en l’honneur du nouveau culte. Le député-artiste Jacques-Louis David érigea une montagne symbolique sur le Champ-de-Mars, là où se dressait naguère l’autel de la Patrie –.
La poursuite de la guerre.
A l'automne 93, même si les désertions continuaient à poser un problème pour les généraux, et que, dans certaines régions les paysans persistaient à refuser l'engagement de force, beaucoup de jeunes patriotes étaient convaincus par le slogan révolutionnaire de « vivre libre ou mourir ». Beaucoup avaient déjà servi dans des bataillons de la garde nationale et participé chez eux aux sociétés populaires. D’autres, adolescents trop jeunes pour rejoindre ces organisations, les avaient regardées et écoutées de loin avec enthousiasme, formant parfois des clubs de jeunes gens ou des compagnies spéciales de la garde nationale. Quand s’en offrit l’opportunité, ils se précipitèrent en grand nombre pour se porter volontaires, et, au début de l’année 1794, les forces françaises comptaient environ 750 000 hommes. Au front, les nouvelles recrues restaient influencées par la propagande des clubs des villes dans lesquels ils s’étaient engagés et par les journaux radicaux, comme Le Père Duchesne, distribués gratuitement par le ministère de la Guerre.
Les premiers succès arrivèrent à l'hiver, principalement grâce au manque de coordination entre les armées assaillantes. Et vers la fin 1793, l’appel à une « guerre totale » pour sauver la Révolution commençait à produire ses effets. De plus en plus de soldats arrivaient aux frontières et l’économie était à présent mobilisée pour la fourniture d’armes et le ravitaillement des troupes.
Dans une certaine mesure, les Français révolutionnèrent aussi la guerre elle-même. Ils durent en effet expérimenter de nouvelles stratégies pour s’adapter à la composition brusquement modifiée de leurs armées. Dans l’ensemble, les soldats de la république ne s’adonnaient plus aux stricts exercices et mouvements en rangs et en colonnes, nécessaires pour garder les armées d’engagés de l’Ancien Régime en ordre de bataille. Plutôt que d’avancer laborieusement par une série de manœuvres prudentes et de sièges, les soldats français, qui combattaient à présent pour des raisons politiques, attaquaient « en masse » afin de briser les lignes ennemies en un point, et se ruaient en avant pour « terroriser » l’adversaire. Ils avaient en grande partie abandonné l’idée de gagner les soldats ennemis à la cause de la Révolution. Il était plutôt question désormais de ne pas faire de quartier face à ces «armées d’esclaves».
Une nouvelle génération de jeunes généraux dévoués à la Révolution émergea – toujours sous l’œil attentif des députés de la Convention qui étaient bien déterminés à ne plus connaître de trahison. La plupart venaient de familles roturières ou de très petite noblesse, et n’auraient jamais eu aucun espoir de commander sous l’Ancien Régime.
Dans tout le pays, les succès militaires furent marqués par une série de célébrations joyeuses. Paris organisa une grande fête à la fin décembre en l’honneur des récentes victoires et de la chute de Toulon. Guittard se tenait sur un pont, dans le vent froid de l’hiver, alors que les représentants de chacune des quatorze armées françaises paradaient à pied ou à cheval, suivis par une fanfare, par des chars décorés remplis de vétérans blessés, et par des délégations de la Convention, de la Commune et de tous les clubs de la ville. Un chariot portait une statue de la liberté. Il était entouré d’une centaine de sans-culottes coiffés du bonnet rouge républicain, et alla des jardins des Tuileries au Champ-de-Mars. Les hommes étaient suivis par des groupes de jeunes femmes habillées de blanc, frissonnant un peu et portant des branches de laurier en signe de victoire. Guittard fit un petit dessin dans son journal pour l’occasion avec des hommes, des chevaux et des drapeaux défilant sur toute la page. En juin et juillet, les victoires en Belgique donnèrent lieu à de nouvelles célébrations dans la capitale, dont certaines attirèrent des centaines de milliers de spectateurs. Pour l’une de ces fêtes, le député Jean-Baptiste Marragon sortit avec son épouse et ses trois enfants pour voir les illuminations nocturnes des jardins des Tuileries et écouter de la musique jouée par l’orchestre de l’Opéra. « Il est impossible, écrivait-il, de rendre la sensation délicieuse que je partageais avec tous ceux qui m’entouraient ». Il y eut aussi plusieurs banquets commémoratifs, surtout après la victoire de Fleurus. Les voisins dressaient des tables dans les rues et partageaient des « repas fraternels ». À la mi-juin, la famille Jullien se joignit un soir à une centaine de voisins pour un de ces dîners : « Les pauvres, les riches confondus se traitent si amicalement, si fraternellement que jamais il n’y eut de plus agréable repas. » Ils burent à la santé de la république et de la Convention, et ensuite le mari de Rosalie, d’un grand sérieux d’habitude, se leva et entonna « La Marseillaise ». De semblables banquets marquèrent la célébration de la Bastille en 1794. Une fois encore, c’était à la fortune du pot, chacun y contribuant selon ses moyens. Sur la place Saint-Sulpice, « on offre à boire à tous ceux et celles qui passent, sans les connaître. On chante, on rit, on danse », indiquait Guittard. On mangeait dans le même plat, parfois avec les mains, puisque tous les citoyens n’avaient pas de fourchette. « On soupe en grande famille ».
Ces témoignages de moments de liesse et de communion ne doivent cependant pas masquer l'atmosphère de peur et de méfiance généralisée de l'hiver et printemps 1793.
Robespierre
Dans les semaines qui suivirent le 5 septembre 1793, le Comité de salut public adopta totalement l’idée de « mettre la terreur à l’ordre du jour », même si cette phrase ne fut jamais officiellement décrétée. Pour réaliser cet objectif, il travailla en étroite collaboration avec le Comité de sûreté générale, l’autorité centrale qui supervisait les arrestations et la répression. Des décrets de la Convention, en octobre et en décembre, avaient donné au Comité de salut public toute l’autorité d’un gouvernement de guerre : il dirigeait les ministres et les diplomates, avait le droit de nommer ou de démettre les généraux, et disposait de larges pouvoirs sur les représentants en mission dans les départements. Les deux grands Comités supervisaient aussi un réseau de comités de surveillance et de tribunaux révolutionnaires, conçus pour dénicher les conspirations cachées et punir ceux qui se révoltaient contre la république. Bien qu’aucun individu ne dominât la Révolution française, comme ce fut quelquefois le cas dans les révolutions du XXe siècle, Robespierre avec sa personnalité remarquable – même s’il n’était pas pour autant exempt de défauts – fut clairement un acteur central du drame politique de la Terreur. Robespierre oscillait dans sa politique de semaine en semaine, en partie parce qu’il essayait de maintenir l’alliance entre les diverses positions représentées au sein du Comité. Par moments, et on ne doit pas le sous-estimer, il chercha à modérer les pires éléments de la Terreur. Il intervint personnellement et à plusieurs reprises en faveur des soixante-quinze députés arrêtés en octobre 1793 en raison de leurs sympathies girondines et que les militants radicaux voulaient exécuter. Il était pour autant toujours fermement convaincu de l’existence d’une «grande conspiration», et d’« essaims insaisissables, sans nombre et invisibles d’espions de l’étranger », que beaucoup craignaient au moins depuis l’automne 1791. Son obsession dévorante des complots sembla croître avec le temps.
Il conduisit avec le CSP la lutte contre la sedition en france : À ses débuts, la répression de la Terreur était dirigée avant tout contre ceux qui s’étaient ouvertement engagés dans une guerre civile contre la Convention. Alors que les fédéralistes furent défaits assez rapidement dans plusieurs régions – en Normandie, à Bordeaux, à Marseille –, les révoltes de Lyon et de Toulon ne furent réprimées qu’au prix de longs et coûteux sièges. => executions collectives 1900 personnes à Lyon = intimider et répondre de façon légale au desir de vengeance et à la haine des patriotes.
Encore plus implacable à l'ouest . Seuls l’effroi causé par la guerre civile et la diabolisation des rebelles de la Vendée – qui eux-mêmes avaient diabolisé les patriotes – peuvent expliquer les meurtres de masse qui furent perpétrés contre ceux qui avaient été pris les armes à la main ou qui étaient simplement suspects de sympathiser avec la rébellion. Même si les estimations varient, il est vraisemblable que de 250 000 à 300 000 personnes furent tuées dans l’Ouest, soit au cours des combats, soit dans la répression qui suivit, dont peut-être 100 000 morts du côté républicain et 170 000 à 200 000 soldats et civils vendéens. Le tristement célèbre Jean-Baptiste Carrier, représentant en mission à Nantes, fut lui-même responsable de la mort par fusillade ou noyade dans la Loire de peut-être 10 000 prisonniers. Parmi eux, il y avait non seulement des insurgés suspects, mais aussi des prêtres et des religieuses qui avaient refusé la Révolution.
Cependant, les leaders patriotes ne s’en prenaient pas uniquement aux contre-révolutionnaires, ils commencèrent aussi à s’exécuter entre eux. Pratiquement tous, au XVIIIe siècle – avant et pendant la Révolution –, avaient accepté le principe de la peine capitale pour les cas de trahison envers l’État
L'histoire est connue. Quel bilan ? Un peu plus de 120 députés et proches députés furent guillotinés ou se suiciderent furant cette année qu'a duré la Terreur. À l’apogée de la Terreur, au moins 300 000 suspects avaient été arrêtés, étaient en prison en attente d’un procès ou gardés sous surveillance chez eux. On les accusait de toute une série de crimes, mais de loin les plus communs concernaient diverses formes de « sédition ». Nous ne saurons jamais précisément le nombre des victimes de la Terreur. Un décompte précis de tous les exécutés à l’issue d’une procédure judiciaire arrive à un total d’un peu moins de 17 000. Mais ce chiffre ne comprend pas les exécutions sans procès, ni les morts en prison – et, étant donné les conditions misérables qui régnaient dans beaucoup de prisons, de nombreux accusés devaient succomber avant même leur procès. Un bilan d’au moins 40 000 victimes ne semble pas invraisemblable. Toutes les classes sociales, de plus, furent touchées par ces exécutions : environ un quart des victimes étaient des paysans, et près d’un tiers étaient des artisans ou des ouvriers ; seulement 8,5 % étaient des nobles et 6,5 % des clercs. Beaucoup avaient presque certainement été capturés les armes à la main. De loin, ce furent dans les départements touchés par les révoltes de la Vendée et du fédéralisme qu’il y eut le plus d’exécutions. Le nombre des victimes fut à son maximum vers la fin de l’année 1793 alors que les soulèvements les plus importants avaient échoué ou étaient clairement sur le déclin et qu’une terrible répression s’abattait sur le pays. Mais dans certaines régions l’impact de la Terreur dépendit largement de l’attitude des représentants en mission. Tous soutinrent les comités de surveillance locaux et ils établirent parfois des tribunaux révolutionnaires. Certains pourtant furent moins virulents que d’autres. La sévérité de la Terreur selon les régions était aussi étroitement liée aux rivalités locales particulières et aux habitudes de coopération ou à la prééminence de la haine et de la méfiance. Six départements n’enregistrèrent aucune exécution, et un bon tiers en connurent moins de dix. À Paris, cependant, il y eut un pic des exécutions au printemps et au début de l’été 1794 – au moment même où leur nombre diminuait en province. La loi dite « de prairial » (10 juin), qui accélérait les procédures devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, fut en grande partie à l’origine de cette évolution. Robespierre collabora étroitement à la préparation de cette loi, rédigée finalement par Georges Couthon. Ce dernier exposa clairement son objectif : « Il n’est pas question de donner quelques exemples, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie. » L’innovation de ce décret tenait à la relative élasticité des clauses qui définissaient ceux qu’on devait considérer comme des « satellites de la tyrannie » : quiconque attaquait la Convention, trahissait la république, entravait l’approvisionnement, abritait des conspirateurs, médisait du patriotisme, égarait le peuple, répandait des fausses nouvelles, portait outrage à la moralité, abusait d’une fonction publique, ou travaillait contre la liberté, l’unité ou la sécurité de l’État. Dorénavant, les accusés n’auraient plus droit à un avocat, plus d’auditions préalables, et le seul verdict serait l’acquittement ou la mort. Les raisons qui expliquent l’intensification de la Terreur à Paris, alors qu’elle déclinait dans les provinces et que les armées de la république allaient de victoire en victoire, ne sont pas du tout évidentes. Certains révolutionnaires semblaient croire que c’était la répression elle-même qui entraînait les succès militaires et que, s’ils y mettaient fin, surgirait le danger de nouvelles trahisons qui saboteraient la victoire, comme cela s’était produit en mars 1793. Cependant, on peut aussi relier l’adoption de la loi de prairial à une vague de peur qui balaya la Convention – et qui n’était pas très éloignée des paniques de mai 1792 et de mars 1793. La peur fut à l’origine provoquée par deux tentatives d’assassinat, le 20 mai, contre Collot et Robespierre par un homme et une jeune femme. Durant toute la période, des pamphlets anonymes et des affiches qui menaçaient d’assassinat les leaders révolutionnaires continuaient à paraître dans les rues. Il était vraisemblable, du moins le pensait-on, que les conspirateurs qui avaient assassiné Le Peletier et Marat cherchaient à s’en prendre désormais à Robespierre et aux membres du Comité de salut public. Robespierre lui-même était obsédé par la crainte d’être assassiné. Chaillon arguait même que Pitt (le ministre anglais) avait mis l’assassinat « à l’ordre du jour ». Au même moment, de nouvelles rumeurs circulaient évoquant une évasion imminente des prisons, avec des criminels payés pour fondre sur les patriotes, tout comme au temps des massacres de Septembre. De fait, les exécutions prévues par la loi de prairial commencèrent quand le Comité de sûreté générale ordonna de vider plusieurs prisons et d’exécuter la plupart des prisonniers. Comme en septembre 1792, de nombreux criminels de droit commun, soupçonnés d’être des brigands stipendiés par les conspirateurs, furent aussi envoyés à la guillotine.
Dans les semaines qui suivirent la mort de Danton, un certain nombre de députés qui se sentaient en danger commencèrent à se réunir pour discuter secrètement de possibles plans d’action contre Robespierre, perçu, à tort ou à raison, comme la menace la plus dangereuse pour leur survie. Certains avaient été de proches amis ou des alliés de Danton. D’autres avaient été attaqués par Robespierre pour leur attitude trop sévère ou trop conciliante lorsqu’ils avaient été représentants en mission. Parmi ceux qui sentaient la lame du couteau sur leur tête, on trouvait des montagnards aussi influents que Fréron, Dubois-Crancé, Fouché, Carrier, Barras et Tallien. Robespierre était vraisemblablement au courant d’au moins une partie de leur « complot » par ses liens étroits avec la police. Mais la peur seule ne suffit pas pour mettre fin à la Terreur. Ce qui fut crucial fut la division grandissante entre les deux Comités. Les membres du Comité de sûreté générale étaient furieux que l’autre grand Comité empiétât sur leurs prérogatives et les traitât comme des subordonnés. Des dissensions apparurent aussi au sein du Comité de salut public lui-même au sujet de la poursuite de la guerre et de la domination qu’exerçait le « triumvirat » de Robespierre, Couthon et Saint-Just. Les radicaux Billaud et Collot, pour leur part, supportaient mal l’appui de Robespierre au culte de l’Être suprême et ses discours assommants sur la « vertu ». Vers la fin juin, Robespierre entra dans une violente querelle avec plusieurs membres du Comité, quitta la pièce et n’y revint plus pendant un mois.
À la fin juillet, Robespierre prit la décision fatidique de rompre avec les deux Comités et de s’adresser directement à la Convention. Le 8 thermidor du calendrier révolutionnaire (26 juillet), il y retourna pour la première fois depuis six semaines et y fit un long discours décousu où il dénonçait l’existence de conspirateurs qui devaient être punis et dont certains se trouvaient dans la Convention et dans les deux Comités eux-mêmes. Au début personne ne protesta. Mais Cambon, le député protestant de Montpellier qui était l’un des rares que Robespierre avait nommément désignés dans son discours, se leva pour se défendre. Avec un grand courage, et sentant peut-être qu’il n’avait rien à perdre, il attaqua ouvertement Robespierre. D’autres députés, plus prudents, demandèrent à Robespierre de nommer ceux qu’il accusait. Il répondit qu’il les désignerait quand cela serait nécessaire. À la fin, la Convention prit la décision d’envoyer le discours aux deux Comités, soit aux hommes qu’il avait précisément accusés. C’était un camouflet implicite pour Robespierre. Cette nuit-là, Robespierre réitéra son discours au club des jacobins. Furieux du traitement reçu des députés, il fit comprendre qu’il était prêt, au besoin, à soutenir un soulèvement contre la Convention. Il fit allusion à une nouvelle purge de l’Assemblée, menée une fois encore par Hanriot et la garde nationale, comme au 2 juin. Quand Billaud et Collot tentèrent de protester, ils furent accusés d’être des conspirateurs et furent brutalement expulsés avec leurs habits déchirés. Un juge qui était présent se moqua même d’eux : « Je vous attends demain au Tribunal révolutionnaire » Avec tant de députés et de membres des comités convaincus que leur vie était en danger, de furieuses manœuvres eurent lieu pendant la nuit pour faire obstacle à Robespierre à la Convention et mettre fin à son influence. Dans les deux Comités qui se réunirent en son absence jusqu’à cinq heures du matin, Collot et Billaud pestèrent avec rage contre le traitement qu’on leur avait infligé aux jacobins. Le lendemain , robespierre et saint-just devaient parler , mais Tallien interrompit Saint-Just au bout de quelques phrases et passa à l’offensive. Quand Robespierre voulut lui répondre, Collot, le président de l’Assemblée, refusa de lui donner la parole. Après un moment de tumulte et alors que Robespierre accusait toute la Convention d’être composée d’« assassins », Louis Louchet, un ancien professeur et un admirateur de Danton, demanda l’arrestation de Robespierre. Des cris de « tyran, tyran ! » jaillirent dans l’Assemblée. Robespierre, Couthon et Saint-Just furent décrétés en état d’arrestation. Mais la Commune de Paris, dominée par des fidèles de Robespierre, ordonna la relaxe des prisonniers et leur transfert dans l’Hôtel de Ville où ils arrivèrent vers minuit, et où ils trouvèrent refuge dans une salle à côté de l’assemblée générale. La Commune se déclara en insurrection contre la Convention, exactement comme Robespierre l’avait prévu la nuit précédente. Hanriot fut envoyé placer des canons autour de la Convention, et ordre fut donné à toutes les sections de Paris de marcher pour défendre Robespierre. Cette fois, cependant, les députés se révélèrent beaucoup plus agressifs que le 2 juin. Siégeant en permanence toute la nuit, ils ordonnèrent l’arrestation d’Hanriot et décrétèrent les cinq députés et ceux qui aideraient à l’insurrection « hors la loi », donc promis à une exécution immédiate. => bras de fer entre la Convention et la Commune de Paris.
En fin de compte, seuls quelques milliers d’hommes marchèrent au secours de Robespierre, alors que la plupart des gardes nationaux et la majorité de la population se rangeaient du côté de la Convention. Pourquoi ce choix ? Une grande partie des jeunes patriotes radicaux avaient alors quitté la ville pour combattre à la guerre. Beaucoup de ceux qui restaient étaient très mécontents de la politique économique de Robespierre et du Comité de salut public. Le maximum des prix n’avait jamais vraiment fonctionné. Sauf le pain, presque tout était rare et accessible seulement au plus haut prix au marché noir. Le maximum des salaires, en revanche, fonctionnait trop bien, et beaucoup d’ouvriers étaient exaspérés et certains avaient même tenté de se mettre en grève. Par ailleurs, Robespierre avait toujours pris grand soin de ne pas apparaître comme un dictateur, et il ne fit rien pour encourager la Commune ou pour rallier à sa cause les gardes nationaux qui s’étaient rassemblés à l’extérieur de l’Hôtel de Ville. Il laissait simplement les événements venir.
Ccl
La mort de Robespierre et de ses plus proches collaborateurs ne mit pas fin aux exécutions de Thermidor. En trois jours, pas moins de 87 des 140 membres de la Commune de Paris furent aussi envoyés à la guillotine, dont 71 le 29 juillet. C’était la plus grande fournée jamais livrée à la machine en un seul jour. Parmi les victimes, on trouvait des petits artisans et des boutiquiers – cordonniers, ébénistes, perruquiers – mais aussi des marchands, des manufacturiers et des avocats, composant la mixité ordinaire de sans-culottes issus des milieux populaires et de militants venant de l’élite, qui avaient longtemps représenté la frange la plus radicale de la ville. Tous auraient soutenu l’insurrection contre la Convention et avaient été ainsi déclarés « hors la loi », condamnés à une exécution immédiate après une simple confirmation d’identité. Guittard de Floriban dessina dans son journal une longue file d’hommes, les mains liées dans le dos, attendant au pied de l’échafaud.
Les pouvoirs du gouvernement furent redistribués entre douze comités, le Comité de salut public conservant le contrôle de la guerre et de la diplomatie, mais perdant son autorité sur les affaires intérieures. Le second grand Comité, celui de sûreté générale, purgé des sympathisants robespierristes, vit aussi ses pouvoirs limités. Dans les mois suivants, de nombreuses autres institutions qui avaient tenu la France sous l’emprise de la répression furent supprimées ou transformées de fond en comble. Le Tribunal révolutionnaire fut réorganisé et son pouvoir diminué. Le président et plusieurs jurés étaient morts avec Robespierre, et le procureur Fouquier-Tinville fut arrêté. On réduisit le nombre de comités de surveillance, qui perdirent leur indépendance d’action. La terrible loi de prairial fut abrogée. Désormais, toutes les personnes arrêtées devaient être informées des accusations portées contre elles, et elles ne pouvaient être déclarées coupables que si l’on pouvait apporter la preuve qu’elles avaient réellement commis des actions contre-révolutionnaires, et non sur la base d’intentions présumées. D’abord lentement, puis plus rapidement, des centaines de prisonniers furent libérés. Les membres de la Convention et les autres citoyens français, qui avaient interrompu leur correspondance pendant la Terreur ou qui avaient prudemment censuré leurs lettres, reprirent à nouveau la plume pour décrire les événements de Thermidor et des semaines qui suivirent. Presque tous sans exception dénoncèrent la tyrannie des Comités et le grand nombre d’exécutions, dirigeant leur colère par-dessus tout contre Robespierre, souvent dépeint comme un « monstre » responsable de tout.
Les événements de Thermidor, avec la purge et l’exécution de Robespierre, ne mirent pas fin à la violence révolutionnaire. Terminer une révolution est, de fait, au moins aussi difficile que la commencer. À l’automne 1794, rares étaient les membres des élites politiques de Paris et des provinces qui n’avaient pas été affectés par l’une ou l’autre des purges, qui n’avaient pas été un moment en prison ou en résidence surveillée après avoir été jugés suspects. Alors que la Terreur montagnarde avait pris fin, une « terreur blanche » éclata en maints endroits de la république, dirigée par ceux qui avaient perdu des amis ou des membres de leur famille en l’an II, par ceux qui avaient été eux-mêmes menacés et humiliés, et qui, maintenant que le vent avait tourné, réclamaient des châtiments dans un cercle vicieux de vengeance et de revanche. Des centaines de jacobins et de montagnards furent emprisonnés ou assassinés. En décembre 1794, les députés girondins survivants furent libérés de prison ou sortirent de leurs caches, et ils contribuèrent à pousser la Convention encore plus à droite. Après une dernière tentative d’insurrection des sans-culottes, en mai 1795, l’armée revint dans Paris et la répression contre les radicaux s’accentua. Un certain nombre de députés de gauche furent exclus et plusieurs furent guillotinés ou se suicidèrent en prison – dont Gilbert Romme qui refusait de renoncer aux idéaux défendus par les jacobins radicaux. Les régimes suivants – le Directoire, le Consulat et l’Empire – allaient tous recourir à l’occasion à la répression violente et aux exécutions arbitraires, alors qu’ils luttaient pour rétablir la stabilité dans une nation déchirée par les conflits de factions et par la guerre civile. Le fantôme de la Révolution, son legs contradictoire entre réforme sociale et répression réactionnaire, régime républicain et régime autoritaire, rêves utopiques et peurs conservatrices continueraient à diviser la nation jusqu’aux XIXe et XXe siècles.