mardi 20 octobre 2020

Les frontières du royaume de France au Moyen Age

Résumé de l'article " Frontière idéelle et marqueurs territoriaux du royaume des Quatre rivières (France, 1258-1529)" de Léonard Dauphant, dans Entre idéel et matériel 


JP Genet a initié une énorme entreprise éditoriale d'une série d'actes de colloques ayant comme thématique commune le pouvoir symbolique en Occident (1300-1640), publiés conjointement par les Éditions de la Sorbonne et l’École française de Rome. Dans ce cadre, Entre idéel et matériel se focalise sur l'espace, dans une série de 5 colloques sur les vecteurs de l'idéel à l'échelle franco-italienne, et a été coordonné par Patrick Boucheron dont le travail sur les espaces du pouvoir à Milan est bien connu.

L'article s'ouvre sur une anecdote plutôt amusante que je livre in extenso

"Le 7 janvier 1410, le Lyonnais Imbert de la Chèze rend hommage pour sa terre de Molesole, sur les berges du Rhône. Il explique qu’autrefois, il était vassal du comte de Savoie quand son bien était en rive droite du Rhône. Mais le Rhône a changé de cours : Molesole est maintenant en rive gauche. La Chèze rend hommage au seigneur de Vaulx-en-Velin et devient donc arrière-vassal du roi de France. Quelle est cette étrange conception du pouvoir qui amène à rompre un hommage féodal à cause d’une crue du fleuve ? Transposée dans la région frontière entre Savoie et Dauphiné, nous avons ici une conséquence de la définition de l’État français par des limites fluviales : le royaume des Quatre rivières. À partir du XIIIe siècle, l’État français a cherché à donner une définition territoriale à son pouvoir, en se rattachant au souvenir du traité de Verdun (843) : la frontière est définie par une liste géographique, la mer à l’ouest, les Pyrénées au sud et quatre rivières à l’est, Rhône, Saône, Meuse et Escaut.



Entre 1258 et 1529 (ces dates sont des moments de redéfinition de la frontière), l'état capétien assure son pouvoir dans ce cadre territorial dont il revendique la pleine et entière souveraineté d'où le conflit avec le roi d'Angleterre, son vassal pour le duché d'Aquitaine. Pourtant, la monarchie a pris le contrôle de terres au-delà des limites du royaume telles qu'elle sont présentées ci-dessus. À la logique territoriale se superposent d’autres logiques, dynastiques (accaparer l’héritage angevin en Provence) et politiques (assurer la paix dans la vallée du Rhône, pour le Dauphiné). Le tournant est en fait 1349 : le Transport du Dauphiné donne un statut particulier à la principauté, achetée par le roi mais pas intégrée au royaume. Le pouvoir royal peut s’étendre mais le royaume est fixe. La pratique souple est ainsi renforcée par une représentation stable. À la fin du XVe siècle, les seigneuries frontalières, qui se sont construites de part et d’autre des rivières-limites, ont toutes des juridictions distinctes sur chacune des deux  rives.


Les Quatre rivières apparaissent ainsi comme une des définitions majeures du pouvoir capétien, qui permet de légitimer l’État royal face aux princes. Le discours des Quatre rivières est un discours d’État, énoncé d’en haut ou du "centre" contre les concurrents de la monarchie. Il fixe la limite du ressort de la justice royale (l'appel toujours possible à son parlement). Il impose une représentation générale qui ne prend pas en compte les réalités multiples du terrain et, de fait, rares sont les segments frontaliers effectivement fixés sur le cours des rivières. Il s’agit d’une stylisation, mais, en descendant à l’échelon local, trouve-t-on un véritable contrôle de la limite par le pouvoir central ou la limite est-elle une marge contrôlée indirectement ?

Trois cas concrets sont ensuite présentés car ils offrent trois degrés de domination de la limite : nulle (les Pyrénées) ou plus ou moins indirecte (le Roussillon et la Champagne orientale).

Dans les Pyrénées, il n'y a pas d'officiers royaux : Les communautés des vallées françaises et castillanes marquent leurs limites sur les crêtes et régulent elles-mêmes leurs conflits frontaliers selon des modes traditionnels. Ces communautés demeurent longtemps hors de portée des pouvoirs, castillans comme français. La frontière n'est tracée que sous Napoléon III. En revanche, à l'est, à la limite du Roussillon aragonais, la frontière est puissamment défendue par des forteresses françaises dès l'époque de Louis IX (St Louis). En Champagne orientale, dans le bailliage de Chaumont, la situation est encore différente. Le centre de contrôle royal est la forteresse et le péage d’Andelot. En retrait de la limite, il surveille une route qui est une des « issues du royaume » : depuis la fin du XIIIe siècle, la monarchie a organisé et sécurisé un itinéraire obligatoire pour les marchands, jalonné de péages. Ce seuil reste très en retrait de la frontière de Barrois et de Lorraine. Dans le bailliage de Chaumont, la monarchie n’est ni loin ni près : elle délègue ses intérêts locaux à une dynastie, les Baudricourt qui donne 6 baillis entre 1385 et 1516. La forteresse frontalière est privée, mais de fait au service du roi.


Ces situations diverses montrent un pouvoir plus intéressé par la défense de principes territoriaux généraux que par le marquage frontalier, surtout dans les zones les plus éloignées. Mais qu’en pensent les habitants de la limite eux-mêmes ? Pour eux, la limite est-elle une réalité, matérielle et idéelle ?

En Picardie, pays riche et densément peuplé, où le pouvoir capétien est très présent depuis ses origines, la frontière est polarisée par des seuils, souvent des arbres plantés au bord des grandes routes commerciales qui mènent de Paris aux villes des Pays-Bas. On s'intéresse ici à un exemple de délimitation entre le domaine royal et les fiefs puisque Artois et Flandres font partie du royaume (en revanche, sur la carte ci-dessous, on voit aussi la limite du royaume avec l'Empire)

A partir du XIe siècle, le Tronc Bérenger est le symbole de la frontière picarde. Situé entre Bapaume et Péronne, sur la grande route de Paris à la Flandre, près de l’abbaye d’Arrouaise, il délimite les conduits et accueille les rites de franchissement : Philippe Auguste y aurait épousé Isabelle de Hainaut en 1180 selon les Grandes Chroniques de France. À partir de 1202, l’arbre-frontière est doublé par le péage de Bapaume : ce passage devient une des issues du royaume, obligatoire pour les marchands. Aux XIIIe et XIVe siècles, le point est fréquemment pris pour la ligne : passer l’arbre signifie changer de pays. Selon un accord entre Louis VIII et l’avoué d’Artois, l’Artois est tenue du roi entre le cours de la Lys et le Tronc Bérenger (vers 1224). Plus tard, les coutumes du nord de la France définissent l’aubain (étranger) comme celui qui est « né outre le Tronc Bérenger». Cet arbre avait une épaisseur historique et mythique égale à celle des Quatre rivières, mais qui mêlait le sacré et le profane. Selon la Vita des saints Luglius et Luglianus, ces deux frères irlandais partis en pèlerinage d’Irlande à Rome sont martyrisés à Lillers en Artois (vers la fin du VIIe siècle ou au début du VIIIe). La Vita précise qu’ils ont été tués par trois frères bandits, Bovo, Exelmus et Berengerius, dont la tombe donne son nom à l'arbre-frontière.
En 1442, une enquête compile les tarifs du péage de Bapaume pour le duc de Bourgogne. L’enquête est précédée par un récit des origines : celui-ci insiste sur la forêt, dangereuse pour les marchands car repaire de voleurs, dont le fameux Bérenger. Les habitants auraient fait appel au comte de Flandres qui fit raser la forêt et construire la tour de Bapaume. Dans cette enquête ducale, les saints martyrs ont disparu, la mémoire de la frontière s’est sécularisée. Ce n’est plus l’abbaye qui pacifie la région, mais le comte de Flandre, héros civilisateur et prédécesseur de Philippe le Bon, qui rase la forêt et fonde Bapaume. Les officiers ont remplacé les bandits sur les lieux de leurs forfaits et les moines dans la transmission de la mémoire ; les abbayes ne sont plus que les sites des bureaux de douane. Mais c’est toujours autour du Tronc Bérenger que s’organisent l’espace et le temps, dans un vertigineux passage des origines féodales et monastiques à l’émergence de l’État fiscal moderne.

conclusion
Le roi de France capétien n’a pas l’auctoritas d’un empereur sans État, ni la potestas d’un roi de guerre : il choisit d’être empereur dans les limites de son royaume, soit une forme de pouvoir et une forme d’espace. Sa souveraineté est limitée en étendue, non en intensité. Sous François Ier, les Quatre rivières demeurent comme cadre mental mais passent au second plan : le roi de justice devient un roi de guerre, le paradigme de la potestas supplante celui du ressort de justice. La frontière se durcit. On est désormais plus sensible aux incohérences entre l’idée et le terrain. Mais un héritage est manifeste : le royaume a reçu une définition souple mais stable. Il est un cadre de pensée qui permet d’énoncer l’espace de la « nation France » : à l’évidence géographique répond alors l’évidence historique et politique.






















jeudi 1 octobre 2020

"Ils lui concédèrent la justice pour le maintien de la paix"

 Notes de lecture de l'article de Fredéric Boutoulle dans Des chartes aux constitutions : autour de l'idée constitutionnelle en Europe (XIIe-XVIIe siècle), F. Foronda et J.-P. Genet (dir.), Editions de la Sorbonne, Ecole française de Rome.

Cet ouvrage fait partie de la vaste entreprise menée par les deux directeurs de publications de publier des communications tenues en divers lieux et temps, mais ayant comme point commun "le pouvoir symbolique en Occident (1300-1600)".


Sous-titre de l'article : Une image du contrat politique et de l’origine des franchises au sein de la paysannerie gasconne au XIIIe siècle


Parmi les milieux sociaux dont on scrute la politisation à partir du XIIIe siècle, on retient généralement les milieux universitaires, voire curiaux et nobiliaires, mais quasiment jamais la paysannerie, même lors des grandes révoltes du milieu du XIVe siècle. Une des idées reçues (biais des sources ?) est que "l’expression d’une conscience politique paysanne s’accompagne nécessairement de violence sociale et qu’en dehors de ces formes d’explosion de colère et de fureur destructrice cette catégorie de la population est dépourvue de conscience politique". À l’inverse de ces positions, citons notamment M. Arnoux, Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (xie-xive siècle), Paris, Albin Michel, 2012, ou H. R. Oliva Herrer, « La circulation des idées politiques parmi les élites paysannes », dans F. Menant, J.-P. Jessenne (dir.), Les élites rurales dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XXVIIe journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (9-11 septembre 2005), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2007, p. 179-195.

Parallèlement, dans le royaume de France, s'élabore une idéologie royale qu'on pourrait qualifier de cesaropapiste. Signalons les premières utilisations du crime de lèse-majesté par la justice royale en 1259 et le "travail de Gilles de Rome, dont le De regimine principum (1279) est le premier miroir du prince à ne pas porter la marque d’une culture monastique et littéraire, et qui demeure, avec plus de 250 manuscrits conservés, le plus grand succès de la littérature politique du Moyen Âge. Pour Gilles de Rome, le roi idéal est un roi absolu qui règle tout dans son royaume de sa pleine autorité, et devant qui les sujets ne peuvent qu’obéir."

L'exemple qui est développé dans cet article va à l'encontre de ces a priori. Il s'agit d'une analyse du procès-verbal d’une enquête royale, menée en février 1237 en Bordelais, diligentée par le roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine Henri III, à propos des exactions commises par ses baillis. Ce texte remarquable à plusieurs points de vue, qui a été copié in extenso dans le Petit cartulaire de l’abbaye de La Sauve-Majeure au milieu du XIIIe siècle, résulte de la déposition de 120 représentants de 34 paroisses rurales. Le procès-verbal qui détaille, paroisse par paroisse, les exactions commises par les prévôts et sénéchaux du roi à l’encontre des habitants de la région, présente aussi les franchises des habitants de la région, puisque Henri III avait demandé à ses commissaires de recueillir des informations sur les franchises dont se prévalaient les habitants. Ce faisant, le texte fournit la version écrite la plus ancienne des coutumes et franchises d’une communauté d’habitants dans cette région, ce qui est d’autant plus intéressant que les habitants qui s’en prévalent ne sont pas des bourgeois, mais des paysans d’une sorte de communauté de pays.


Un contrat politique

Réfléchissant sur l'emploi du terme "concedere" utilisé à plusieurs reprises dans le texte, l'auteur dégage donc l’idée que le pouvoir du prince sur ses sujets est conçu par les déposants comme venant d’eux-mêmes et qu’il procède de délégation populaire. Ces hommes auraient "jadis cédé au comte (de Poitiers) le droit de justice, celui d’avoir des cautions, le droit de leur demander des hébergements, de les convoquer au service militaire ou de suivre son prévôt."

Schématiquement, il découle donc des dépositions des témoins une conception une relation à trois pôles : à la base, les sujets qui délèguent au roi leurs pouvoirs ; ce dernier au centre en tant que distributeur ; et, relégués en bout de chaîne, les seigneurs châtelains.

Les prudhommes des campagnes

La forme du texte, plus fidèle à l’enquête normande qu’à la procédure romano-canonique, laisse l’identité des 120 représentants en suspens car le contenu des dépositions a été réécrit par les commissaires royaux, un abbé cistercien saintongeais et un noble anglais, qui ont en quelque sorte digéré la parole des 120 jurés pour en faire des chapitres distincts. Cependant, puisque l’identité des jurés est présentée à part, au début du procès-verbal, et que l’enquête prosopographique dans les sources foncières contemporaines a permis d’en retrouver quelques-uns, un profil se dessine.

Ils appartiennent à un groupe social bien particulier, celui des élites non nobles que les sources anglaises désignent préférentiellement par le vocable de « prud’hommes », même si eux-mêmes se désignent par d’autres termes : « bons hommes », « francs », ou « voisins ». Ce sont de gros paysans, à la fois alleutiers et tenanciers.

Pour ce qui est de leurs responsabilités, deux niveaux apparaissent à travers cette enquête, les chartes de coutumes et les mandements qui leur sont adressés par la chancellerie du roi d’Angleterre. Vis-à-vis de leurs co-paroissiens d’abord, les prud’hommes arbitrent des conflits, contrôlent l’accès aux incultes à la manière d’un syndicat de co-propriétaires, sont associés à la gestion du système ecclésial (tout au moins des dîmes, car pour le patronage des églises c’est moins clair), participent à la désignation des sergents-messagers (mandatores) et, en matière de sécurité collective, veillent au respect de la mobilisation de tous par le cri d’appel Biafora. Vis-à-vis des exigences ducales ensuite, les prud’hommes sont des répartiteurs dans trois domaines spécifiques : les hébergements, les semonces à l’ost et les questes ou tailles payables à la fête de Saint-Michel.

Or ce système de médiation traditionnelle des exigences ducales dans les campagnes du domaine est mis à mal par des évolutions récentes de l'administration ducale à savoir l'établissement des prévôtés. Justement cette seigneurie de l'entre-deux-mers est réorganisée en prévôté dans les années 1210. Ce système des prévôts interfère sur les attributions des élites locales...alors que dans le même temps, leurs exigences augmentent. D'où plusieurs niveaux de réactions. Les premières attestées sont des demandes adressées au roi de la part des hommes francs de la région, dès 1214, de confirmations de leurs franchises jointes à des appels pour faire revenir les émigrants, ayant déguerpi pour cause de conjoncture frumentaire mauvaise. Ces appels du roi sont réitérés en 1222 et probablement en 1233. Des plaintes sont aussi émises contre les prévôts et baillis du roi, accusés de multiplier les extorsions sous couvert d’hébergements, semonces et autres levées de questes. C’est à partir de celle qu’ils ont adressée au roi en 1236, de concert avec le clergé de la région, qu’est lancée l’enquête de 1237. Enfin, par l’élaboration d’un argumentaire dont on a vu les principaux éléments pour légitimer l’idée que le pouvoir du roi procède de ces élites paysannes.

Ce discours mobilise des thèmes culturels et politiques qui soulignent l’existence d’une culture politique parmi ces élites roturières : les références à l’origine carolingienne de leurs alleux et franchises ou les allusions à l’idéologie de la paix pour souligner l’association des milices communales avec l’épiscopat sont la marque d’une mémoire sociale fondée sur des faits remontant d’un à quatre siècles en arrière. Ce qui se révèle de la mémoire sociale à l’occasion de cette enquête semble  issu de la captation de thèmes culturels à la mode en ces premières décennies du XIIIe siècle, la grande popularité de la geste carolingienne (Chanson de Roland voire l'Historia Karoli Magni du pseudo Turpin...) et dont l’audience dépasse manifestement les catégories privilégiées de la population. La maîtrise du passé ne sert pas seulement à justifier les actes de l’aristocratie. Cela vaut aussi pour les élites paysannes. L’existence d’écoles ou de confréries rurales, celle d’anciennes familles sacerdotales assurant à au moins un de leurs enfants l’éducation nécessaire pour accéder à la cléricature, concourent à cette réceptivité des ruraux non nobles à la geste carolingienne dans sa forme littéraire. La transmission orale ne peut pas non plus être négligée.


Aux fondements d’une vision contractualiste et gasconne du pouvoir royal 

Le schéma contractualiste porté par les représentants de la paysannerie de l’Entre-deux-Mers n’émerge donc pas spontanément et isolément.

Il est malaisé de reconstituer l'origine et le cheminement d'une telle conception de la distribution du pouvoir. On peut penser que se mêlent une réminiscence des prêches sur l'Ancien Testament, quand les anciens d'Hébron choisirent David pour roi, peut-être aussi une attention portée aux discours de la dissidence religieuse qui remet en cause l'autorité de l'Eglise romaine (?). Il n’est pas non plus impossible que la fréquence des serments mutuels entre les différents sénéchaux (au nombre de 11 pour la Gascogne entre 1216 et 1237) et leurs administrés ait aidé à la théorisation du pacte entre les hommes et leur roi, puisque ces serments reposent sur le principe d'obligations réciproques.

Les jurés réunis dans cette enquête ne doivent pas non plus méconnaître ce qui se passe au sein de deux régions d’Europe avec lesquelles cette partie de la Gascogne entretient des liens privilégiés : l’Angleterre, avec qui les contacts commerciaux sont étroits, et la Navarre. Depuis la Grande Charte (15 juin 1215) se diffuse en Angleterre l’idée que le roi est responsable devant ses sujets et qu’il est un sujet de la loi. Les versions révisées de la Magna Carta (1217, 1225, 1235) constituent le fondement d’un consensus inédit entre le roi et une communauté politique sur laquelle les barons gardent la haute main. Mais alors que celle-ci s’élargit peu à peu aux chevaliers des comtés et à la bourgeoisie des villes, le roi Henri III remet en cause les libertés garanties par la Charte. Une telle ligne politique, comme les abus des sheriffs qui la relaient, favorise l’émergence de communautés locales au sein de chaque comté, constituées des hommes libres les plus en vue, et qui finissent par devenir une force politique pesant lourdement dans les réformes de 1258-1262. Cette partie de la Gascogne a aussi des contacts étroits, familiaux et économiques, avec la Navarre où le changement dynastique et le couronnement de Thibaud IV de Champagne, le 5 mai 1234, provoquent l’émergence d’un modèle de monarchie pactiste, dans lequel le roi, tel que le précise le Fuero Antiguo, est choisi par le peuple.

Un autre texte vient confirmer la diffusion des idées contractualistes : l’autorisation de se regrouper derrière une enceinte collective accordée par le prince Édouard aux hommes de Cocumont, en Bazadais, le 23 mars 1255, à la fin d’une période troublée, à savoir la révolte des Gascons soutenus par le roi de Castille contre le gouvernement de Simon de Montfort (1248-1254). Dans ce texte, le prince Edouard affirme se réserver l'exercice de la totalité de la justice,  auparavant « concédée par eux » (ces éleveurs soucieux de conserver la main sur des terrains de parcours des bêtes et demandant, au nom de leur sécurité, le droit d’être protégés par une enceinte collective et un fort villageois).

Les travaux qui se sont intéressés aux sociétés de la Gascogne méridionale du xie au xve siècle, celles des vallées pyrénéennes comme celles du Piémont, tels ceux de Benoit Cursente, ont mis en évidence l’existence de larges attributions judiciaires chez les élites gasconnes non nobles vivant dans les campagnes ou dans les castra, dans le cadre de la maisonnée, voire au-delà dans certaines circonstances précises. Notamment un droit à la violence légale, à la faide (vengeance) et à la poursuite de malfaiteurs.

Mais dans le texte qui nous occupe, il y a pourtant plus. Aux yeux des jurés en effet, ce n’est pas seulement la justice que le roi tient d’eux ou de leurs ancêtres, mais aussi le service militaire, le droit de lever des questes et de demander des hébergements qui découlent de ce transfert fondateur. C’est donc la pleine puissance du roi dans ses attributs régaliens qui vient de ces paysans et non seulement une partie de celle-ci.

Pourtant, Henri III, qui a reçu le procès-verbal de cette enquête, ne semble pas s’en être offusqué outre mesure. Le 3 août 1237, il répond aux hommes de l’Entre-deux-Mers : après avoir accusé réception de leur « lettre », il leur annonce la nomination d’un « sénéchal pacifique » pour remédier aux abus de ses baillis et la confirmation des libertés et coutumes telles que Jean sans Terre les a autorisées à leurs ancêtres.

Conclusion

La Gascogne constitue donc une région particulièrement intéressante pour mesurer la diffusion d’une idéologie contractualiste au XIIIe siècle au sein des groupes sociaux où l’on ne pense pas a priori la rencontrer. Ce cas montre aussi qu’il est difficile d’analyser la production de thèmes culturels et la politisation d’une partie de la société indépendamment d’un contexte. Avec leurs interrelations, ces différents éléments fonctionnent comme un système.

– Extraits du procès-verbal de l’enquête de 1236-1237 en Bordelais (trad. de l’auteur).

De même ils lui concédèrent qu’il aurait le jugement du sang, à savoir ce qui entraîne la peine de mort et la mutilation des membres, ce qui est la justice des violeurs de la paix tels que sont les routiers, les bandits, les voleurs de grands chemins, ceux qui s’attaquent nuitamment aux maisons habitées, aux champs et aux vignes, ceux qui oppriment les femmes violemment ou commettent quelque autre forfait. Sur ces causes en effet, ils lui concédèrent la justice afin de conserver la paix et, pour la connaissance de ces excès, un engagement sur tous les laïcs, quels que soient ces hommes ; cependant le seigneur roi, ainsi que nous le croyons, donna ensuite ses vigueries à un petit groupe de chevaliers qui exercent cette justice du sang à sa place, pour tout ou partie et en certains lieux qui appartiennent au seigneur roi, comme le seigneur de Benauges, le seigneur de Latresne, le seigneur de Vayres et le seigneur de Monferrand. Il donna également, ainsi qu’on le dit, des privilèges à La Sauve-Majeure relatifs à tout cela sur les hommes du monastère. De même, ils lui concédèrent que si un prévôt du seigneur roi veut mettre à l’amende un rebelle ou que celui-ci lui résiste, il peut solliciter les paroisses de son choix afin que quelques hommes lui soient envoyés pour l’aider, à condition qu’à la nuit tombée, s’ils ne peuvent pas rentrer chez eux, il les nourrisse avec lui.

[...] les paysans du roi appelés pour cela doivent venir pour faire ce que les hommes grossiers et sans armes savent et peuvent faire. Les autres paysans du roi ne doivent pas le service militaire, pas davantage que ceux des chevaliers parce que leurs seigneurs font le service militaire à leur place, ou ceux des églises parce que les églises combattent à leur place par les prières aussi efficacement que les laïcs avec leurs armes. Chacun pouvant et devant porter des armes doit se déplacer avec ses armes dès qu’il entend la clameur de Biafora contre un assaut ou une rapine en cours sur cette terre, quel que soit le responsable de ces violences ; et ceux qui ne viendraient pas devront une peine et gage qu’aura statuée le seigneur de cette contrée avec les prud’hommes du pays, car il n’y a nulle peine certaine définie sur ce point, soit parce que selon les époques diverses peines ont été définies, soit en raison de la diversité des statuts de paix.















samedi 26 septembre 2020

Mon cours sur la crise de 29 et ses conséquences

 Le manuel est le Belin


TH1 : La crise de 1929 et ses conséquences

Introduction

La crise de 1929 est une crise économique qui touche les Etats-Unis puis leurs partenaires commerciaux. Quelles sont les grandes caractéristiques de l’économie des pays occidentaux à cette époque ?

L’économie occidentale s’est profondément transformée au 19e siècle du fait du passage d’une économie traditionnelle, fondée sur la propriété foncière et l’exploitation des ressources de la terre/ la production « artisanale »/ le mercantilisme, à une économie industrielle. On parle, de façon impropre, d’une « révolution industrielle ».

Rappels pgme de 1ere :

·         1ere révolution indus : origine RU à p. fin 18e s, puis diffusion en Europe du nord. Bases machine à vapeur donc charbon comme source d’énergie. Transformation du travail par le regroupement de la production dans les usines. Naissance d’une nouvelle classe sociale = les ouvriers et ouvrières. Mécanisation d’anciennes productions (textile) et essor de nouveaux secteurs économique = chemin de fer, machines-outils

·         2e révolution industrielle à p. 2e ½ du 19s : multiplication des nouveaux secteurs économiques dans l’industrie lourde (chimie…), poursuite de la mécanisation grâce aux innovations techniques. Le tout permet un élargissement des horizons (dans le temps -photographie…- et l’espace -téléphone, transatlantiques ….) et une amélioration du confort de vie (éclairage électrique, pasteurisation…)

La révolution industrielle a entraîné une croissance économique sans précédent et la mise en place d’une économie que l’on qualifie de capitaliste.

Quelles sont les grandes caractéristiques de l’économie capitaliste ?

Système économique global qui se met en place avec la révolution industrielle => XIXe siècle. Il se caractérise par 3 éléments essentiels

-C’est la possession d’un capital ou l’accès à ce capital (car il peut être emprunté) qui distingue les agents économiques (moteurs du système) des autres. Ce système est qualifié par Marx  d’ « appropriation privée des moyens de production », c’est-à-dire que ceux qui ont accès au capital sont considérés comme les propriétaires des moyens de production (les usines…) et donc s’approprient les profits générés par le travail.

-Les travailleurs subissent un mouvement de prolétarisation (encore un terme marxiste) c’est-à-dire qu’ils sont dépossédés du contrôle de leur travail : ils deviennent de simples agents d’exécution. Ils reçoivent pour leur temps de travail un (maigre) salaire.

- C’est un système qui repose sur la circulation du capital. Cette circulation du capital est assurée désormais pour l’essentiel par des intermédiaires qui sont les banques et les bourses.

- C’est une économie du risque : les acteurs économiques quels qu’ils soient prennent toujours des risques car l’économie est basée sur la compétition sur les marchés. De ce fait, on assiste à une alternance de cycles de croissance (innovation, nouveaux produits, nouveaux marchés) et de crise (ralentissement de la croissance du marché, surproduction)

 

Quelle est la situation économique des EUA au début du XX ?

Ils se sont industrialisés à p. de la 2e rev indus et ont rapidement rattrapé le RU. A la faveur de la 1ere GM, ils sont devenus la 1ere puissance industrielle et financière du monde occidental. Ils connaissent une phase de grande prospérité. Les salaires, même ouvriers, y sont plus forts qu’ailleurs. L’économie se bancarise (recours au crédit …) avec 30 ans d’avance sur l’Europe. Ils sont un modèle de prospérité capitaliste. En 1922, le $ remplace la £ comme monnaie d’échange internationale.

Pour autant, la crise de 1929 surprend le monde par son ampleur. Elle bouleverse les équilibres économiques et politiques de l’époque. Elle nourrit depuis l’imaginaire mondial de la catastrophe.

En quoi la crise de 1929 fut la grande crise du capitalisme ?

 

I/ Une crise sans précédent (la crise aux EUA)

A)  Une crise systémique (= « effet boule de neige », « cercle vicieux »)

Extraits vidéos dans pearltree

Synthèse = organigramme



L’événement déclencheur = le krach boursier du 24 octobre 1929 : panique boursière à Wall Street (5 fois plus de titres mis en vente ce jour-là qu’à l’ordinaire) et effondrement des cours (-10% en une jour. En 1932, la bourse a détruit 2/3 de la valeur de 1929)

Cette crise dure. Pourquoi ? = contagion de la crise boursière au reste de l’économie + « la crise nourrit la crise »

4200 faillites de banques => contraction du crédit et ruine des épargnants => contraction du marché (demande), baisse des prix et manque de financement => multiplication des faillites d’entreprises et donc chômage de masse (en 1932, ¼ de la pop act US est au chômage soit 12 millions de personnes. Pop US = 123 M) et pour les autres, les salaires baissent fortement.

Il s’agit d’une récession : recul de la production (plus de -50% dans l’industrie) et recul du PIB (1932, -25% pr début 1929)

 

B)  Pourquoi cette crise étonne et pourquoi les gouvernements n’ont pas une réaction efficace ?

La cause du krach = spéculation boursière effrénée et généralisée. Y compris les classes moyennes spéculent en achetant les actions à crédit (j’à 90% de sa valeur). En 1929, pour chaque $ emprunté, 40 cts l’étaient pour l’achat d’action. Phénomène de bulle : forte progression de la valeur des titres (+ 40% en 1928), supérieure aux réalités des profits des entr.

Les « années folles » vivent dans l’illusion d’une croissance ininterrompue : les salaires élevés (cf Ford, 5£ par jour), les innovations dans l’organisation de la production (1907 1ere Ford T produite en grande série, 1912 Taylor et les « principes d’organisation scientifique des entreprises », Ford et la Chaine à p. de 1913), la demande stimulée par la publicité naissante et le recours au crédit semblent avoir réglé le problème de l’adéquation de l’offre et de la demande.

R) D’après une étude économique de 1929, il y avait en 1928 parmi les foyers équipés en électricité, environ 1/3 équipés de machines à laver et /ou d’aspirateurs, 5% de réfrigérateurs. Il y avait 7,5 M postes de radio. La conclusion du rapport laissait prévoir un avenir radieux pour la consommation aux EU. : « En ce qui concerne tous ces appareils électriques, nous sommes loin du point de saturation (...) Il semble que nous n’ayons fait qu’effleurer les promesses de l’avenir. ». Les besoins semblaient inépuisables.

Un nouveau mode de vie se développe, fondé sur l’accès au confort et sur la satisfaction de tous les besoins matériels : c’est l’American Way of Life. Ce mode de vie américain devient un modèle pour les pays européens qui sont à la traîne. exemples : Le nbre d’automobile en circulation en 1929 était de 26 M aux EU. (1 auto pour 6 hbts) alors qu’il n’était que de 1,1 en France (1 auto pour 44 hbts). Le revenu par habitants aux EUA est passé de 522$/an en 1921 à 716 en 1929.+37%

 

Les présidents US , Coolidge puis Hoover, laissent faire la spéculation, puis n’interviennent pas pour contrer la crise. C’est le résultat d’une idéologie libérale : le « laisser faire ». L’Etat ne doit pas intervenir dans l’économie. Il doit se limiter aux fonctions régaliennes : sécurité du territoire (armée et police) ; justice, création monétaire. Pour financer ces fonctions et l’administration, l’Etat peut prélever des impôts, mais ceux -ci doivent être les plus légers possibles. En cas de crise, ne pas intervenir car la crise « purge » le marché et écarte les plus fragiles. L’idée est que la crise crée les conditions d’une croissance future (cf les cycles économiques de Kondratiev). En revanche, politique d’austérité : l’Etat dépense le moins possible pour limiter l’inflation.

 

C)   Une crise sociale sans précédent, porteuse de tensions

La crise touche tout le monde : agriculteurs ruinés, salariés sans travail, rentiers ruinés. Les expulsions mettent dans la rue des millions de gens, à la recherche d’un travail. Les gens se pressent en foule aux soupes populaires. Dans un Etat où n’existe aucune forme de sécurité sociale, la perte du travail est l’assurance de se retrouver à la rue. Les bidonvilles (Hoovervilles) se multiplient au pays de l’American way of life.

Les tensions sociales s’accentuent (voir doc pearltree pour témoignage + vidéo 3 : la grande manifestation devant la Maison Blanche des anciens combattants de la 1ere guerre mondiale qui réclame le paiement de leur pension en 1932)

Les idées communistes et socialistes progressent ce qui remet en cause l’idéologie libérale et même le système capitalisme. Police, armée et justice sont mobilisés contre les manifestants.

Illustration : Les raisins de la colère (voir post sur ce blog) ou Les Temps modernes de Chaplin

 

D)  Les mécanismes d’extension de la crise hors des EUA

PPO p. 26/27

Doc 1 et 2 : L’Amérique latine est particulièrement concernée par la crise du fait de sa forte croissance dans les années 1920, qui repose sur la production et l’exportation de produits de base (café, cacao, etc.) et dépend de l’accès aux marchés de biens et de capitaux des pays riches. Ce sont des économies extraverties, dépendantes des EUA qui étaient leur principal partenaire commercial.

 

Doc 5 : La crise se manifeste dans la décennie 1930 à une contraction considérable des échanges commerciaux, qui affecte l’agriculture tropicale, le secteur des métaux (la production de nitrate au Chili), entraînant un effondrement financier et monétaire et une récession générale dans ces pays d’exportation agricole et minière. La crise se caractérise de surcroît par une montée en flèche du chômage et par une très forte paupérisation

On peut mesurer cette chute brutale du commerce extérieur en prenant en considération l’évolution de la valeur des exportations pour la Bolivie, le Chili et la Colombie. Entre 1929 et 1932, la chute des exportations chiliennes est d’environ 300 millions de pesos et, pour la Bolivie, cette valeur est de 100 millions. Pour la Colombie, la valeur des exportations est pratiquement divisée par deux entre ces dates.

R)     La crise se propage du fait de la contraction du commerce mondial (- 202% entre janv 29 et mars 33). Les EUA importent moins. C’est la même chose en Europe. RU et All, très dépendants des EUA, sont lourdement touchés. La France, qui était plus protectionniste et commerçait essentiellement avec son empire colonial est touchée plus tardivement et moins fortement.

 

L’enlisement dans la crise économique appelle donc des solutions nouvelles.

Doc 3 : Pour lutter contre l’effondrement des prix (surproduction), en Amérique latine, comme aux EUA, les producteurs détruisent leurs récoltes.

D’un point de vue macroéconomique, l’État devient ouvertement interventionniste, revenant au dirigisme et à la planification pour sauver l’économie. Doc 5 : il investit pour substituer aux importations US une production industrielle locale = début de l’industrialisation et politique de développement autocentrée.

 

Doc 4 : Ce renforcement du poids de l’État se remarque particulièrement dans des pays qui choisissent la voie d’un régime autoritaire pour endiguer la crise. Au Brésil, l’Estado Novo de Getúlio Vargas (il est au pouvoir à p. de 1930 et fait un coup d’état en 1937) semble s’appuyer sur les forces traditionnelles de la nation (la famille et la patrie) et la mobilisation de tous les travailleurs, unis pour surmonter la crise. Ce régime paraît s’inspirer des techniques de gouvernement autoritaires, en recourant massivement à la propagande, comme l’indique cette affiche.

 

Les conséquences politiques ne sont pas moins considérables : entre 1930 et 1934, plus de la moitié des gouvernements d’Amérique latine sont renversés, mettant fin au processus d'émergence de gouvernements constitutionnels et inaugurant une phase caractérisée par l’autoritarisme gouvernemental, la répression des mouvements de masse et l’intervention des militaires dans l’exercice du pouvoir. Bien sûr, il ne faut pas oublier les États où la démocratie résiste (Colombie, Venezuela où la dictature est renversée en 1936) et l’existence de nombreux mouvements contestataires, liés ou non à l’influence des partis communistes (révolte de 1935 au Brésil contre l’Estado novo, révolte « rouge » au Salvador en 1932, ou la courte expérience de la République socialiste du Chili qui dure 12 jours en juin 1932).

La crise de 1929 contribue à accélérer la mise en place de régimes autoritaires en Amérique du Sud.

 

Quelle est la situation en Europe ?

 

II/ Un contexte inquiétant : les conséquences politiques de la crise en Europe

 

La crise touche rapidement l’Europe, pour les mêmes raisons que l’Amérique latine : la contraction du commerce mondial, renforcée par le protectionnisme, provoque faillites et chômage de masse.

Cependant, la mesure et la temporalité de la crise est un peu différente selon les pays : manuel p. 36/37 (statistiques) + PWPT et infos plus détaillée sur le cas français dans l’EED sur fev 1934

 

Fiche méthode : analyser un tableau stat dans manuel p. 37 à connaître et surtout les techniques de calcul taux de variation, coef multiplicateur (rapport entre les données de deux dates), indice.

 

L’Allemagne est relativement plus touchée que la France : sa situation se dégrade constamment jusqu’en 1933. En 1933, son PIB/hbt est à l’indice 87 (base 100 en 1929) alors que pour la Fra = indice 90. Sans être épargnée par la crise, il est indéniable que le commerce maintenu avec les colonies a joué pour la France un rôle d’amortisseur. Durant cette crise, les ouvriers sont le plus touchés (cf en France, recul des emplois industriels -1,4 millions) : ils grossissent les rangs de ceux qui se pressent aux soupes populaires dans les deux pays (voir vidéo INA accessible à partir du manuel p.24 « la crise en France ») et protestent en organisant manifestations et marches de la faim. Cependant, le chômage reste modéré en France tandis qu’il dépasse les 15% de la population active en Allemagne en 1932 (soit 6 millions de chômeurs). Ceci s’explique par la rapidité de l’effondrement économique en Allemagne, touchée dès 1929 alors qu’en France, la baisse de la production est plus graduelle.

 

A)  Les tensions en France fragilisent la démocratie, mais ne la détruisent pas

 La politique déflationniste menée par les gvts fra ne résout pas la crise (elle n'a d'ailleurs pas cet objectif) : but limiter la dette pour garder une monnaie stable donc baisse des dépenses de l'état. //t dans les entreprises, baisse également des salaires.

1-      Doc 3 p.25 : la politique suivie par les gouvernements successifs suscite de l’antiparlementarisme

Répondre à la question

Définir antiparlementarisme + politique de déflation

Dans les milieux touchés par la crise, on accuse le gouvernement parlementaire d’inefficacité : les politiques répondent en effet à la crise en appliquant les dogmes du libéralisme : baisser les dépenses de l’Etat pour conserver un équilibre budgétaire et donc ne pas créer d’inflation, susciter la baisse des salaires pour que les entreprises retrouvent des marges… et gérer policièrement les mécontentements. La solidarité avec les déshérités est laissée à la charité publique. Or ce type de politique dite déflationniste ou de rigueur, renforce la crise sociale. Les tensions s’exaspèrent : dans ce texte de juin 1934, le leader du parti agraire et paysan, Fleurant Agricola, en appelle quasiment à l’insurrection contre le gouvernement «  l’affiche […] sera le coup de clairon qui vous demandera […] de sortir de la tranchée […] Les paroles vont finir, les actes doivent les remplacer».

Il surfe là sur le climat insurrectionnel qui a éclaté en février 1934

 

Correction activité « février 34 » pour complément

Il faut en effet rajouter à l’exaspération liée à la crise deux points : 1) la crise en France est très sélective, elle touche les actifs. Les rentiers, les pensionnés, les propriétaires fonciers ne sont pas touchés. 2) Elle s’accompagne de scandales qui éclaboussent le gouvernement : le plus connu est le scandale Staviski (janv 1934) où un escroc parvient à détourner 200 millions de F-or grâce à ses connections dans le milieu politique. Mais déjà en 1932, le scandale des fraudes fiscales avait montré que des hauts personnages (noblesse, clergé, politiques, journalisme …) avaient fraudé le fisc de plus de 1 milliard de F-or et le gouvernement, attaqué à sa droite, avait abandonné les poursuites judiciaires.

ð  Mécontentement de gauche, antiparlementarisme de droite, gouvernements fragilisés (cf les deux premiers textes) => situation inflammable. C’est donc à ce moment que les ligues d’extrême-droite telles l’Action française et ses Camelots du roi, les Jeunesses patriotes, certaines associations d’anciens combattants (U.N.C. ; Croix de feu) pensent renverser le gvt et prendre le pouvoir. L’occasion en est la manifestation du 6 février 1934, qui tourne à l’émeute, en combats de rue entre manifestants de droite et manifestants de gauche et est réprimée par la police. Une vingtaine de morts et un millier de blessés.

 

Conséquences ?

Sur le moment, le gvt Daladier démissionne. L’échec ne décourage pas les ligues et autres organisations monarchistes et fascistes (au max = 300 000 adhérents toutes organisations confondues), mais leur moment est passé. Le gvt les rend illégales (dissolution des ligues) donc elles sont contraintes à la clandestinité.

 

2-      Le front populaire

En revanche, fev 34 fait peur au mvts de gauche qui y voient la possibilité d’un basculement dans le fascisme. Instruits de l’exemple allemand (la division entre socialistes et communistes a permis l’arrivée au pouvoir de Hitler en janvier 1933) et avec la bénédiction de Staline, les deux gauches s’allient : (cf images dans PWPT)

·         12 février = manifestation unitaire

·         Juillet = conclusion officielle de l’alliance avec pour slogan « le pain, la paix, la liberté »

·         Juillet 1935 : constitution du « Front populaire » avec ralliement du parti radical (centriste). Le chef de cette alliance, celui qui prendra la tête du gvt de front populaire = Léon Blum, leader du parti le plus important, la SFIO (socialiste / environ 130 000 adhérents contre seulement 28 000 au PCF)

·         Fin avril-Début mai 1936 : victoire électorale aux élections législatives. Les communistes doublent leurs voix par rapport à 1932.

 

PPO Les accords Matignon

Quelle est la proposition de la gauche pour sortir de la crise ? Peut-elle mettre son programme en action ?

 

Parcours A > 1. Les accords de Matignon sont conclus dans le contexte des grandes grèves du printemps et de l’été 1936 et après la victoire historique de la coalition du Front populaire. On a appelé ce mouvement les « grèves joyeuses » car il s’agissait, pour une fois, d’appuyer le gouvernement et les syndicats dans les négociations avec les syndicats patronaux.1,5 millions de grévistes paralysent l’économie du pays, et pour la première fois, occupent les usines. 2. Il s’agit pour le gouvernement de tenter de mettre fin au grand mouvement de grève qui paralyse le pays, et aussi de relancer l’économie. Le rapport de force étant favorable, les syndicats ouvriers arrachent facilement d’importantes concessions au patronat : ce sont les plus grands acquis sociaux du mouvement ouvrier français depuis l’origine.

·         augmentation des salaires dans le privé de 7% à 15% puis, dans une deuxième vague des salaires des fonctionnaires. Il s’agit de relancer la consommation

Par la suite, le gvt Blum crée une première assurance-chômage et un système d’assurance-retraite pour les mineurs, créant ainsi un embryon de sécurité sociale + politique de grands travaux pour employer les chômeurs.

 

Pour mieux contrôler l’économie, nationalisation de certains secteurs jugés stratégiques : création par ex de la SNCF (chemins de fer), des industries d’armement, contrôle renforcé de la Banque de France pour contrôler le Franc (d’ailleurs dévaluation du F pour doper les exportations)

 

Mais il s’agit aussi de réconcilier les travailleurs avec la République en améliorant leur vie et en leur redonnant de la fierté :

·         15 jours de congés payés par les employeurs + diminution du temps de travail (semaine de 40H)

Et au-delà des accords Matignon, d’autres mesures sont prises :

·         Billets de SNCF à tarif réduit

·         Création de maison de la culture dans les quartiers

 

3. La politique du Front populaire transforme durablement, par les accords de Matignon, les rapports au sein des entreprises en créant des délégués syndicaux dans les entreprises et en inaugurant la pratique des négociations tripartites. 4. Cette politique suscite des critiques car elle impose des augmentations de salaires et diminue les pouvoirs des patrons dans les entreprises grâce aux délégués syndicaux. L’opposition au Front populaire s’organise et l’expérience du Front Pop est somme toute éphémère : dès juin 1937, le parti radical change d’alliance et le gvt Blum est renversé. A partir de 1938, les lois du Front Pop sont « détricotées ».

 

Rq) prolongement voir affiche anticommuniste p. 65 et l’affiche de la Révolution nationale p.107

 

Bilan : La politique économique du Front populaire est une politique de relance par la consommation, ainsi qu’une politique de gauche, socialiste, visant à équilibrer les rapports de force et de dignité au sein de la société française.

 

B)  La crise de 1929 précipite l’arrivée de Hitler au pouvoir

1-Mesures de la crise : PWPT

 

2-Causes du succès du parti nazi

 

L’Allemagne de la République de Weimar (1918-1933) a un régime politique fragile parce que récent et sans tradition démocratique solidement enracinée => le nazisme recrute dans les milieux conservateurs et de certains anciens combattants, unis dans leur détestation de la démocratie et des droits de l’homme, vues comme facteur de division entre le peuple et donc comme facteur de faiblesse pour l’Etat, dans le cadre d’un monde qui est hostile et dont il faut se défendre (cf diktat) + anticommunisme. Mais le parti de Hitler, le NSDAP, reste relativement confidentiel jusqu’au déclenchement de la Grande crise de 1929.

 

Grace à un programme "attrape tout" de droite et de gauche PWPT : ordre+ mise au pas du prolétariat + exaltation de la grandeur nationale (cf passage du syndicat à la corporation, interdiction des grèves) mais réponse au besoin de protection (l’Etat garantit une solidarité nationale – NSDAP « affranchissement de toute servitude capitaliste »), grâce à une propagande massive (« sans la radio, nous n’aurions pas gagné » dit Hitler), à une action de terrain (distribution de soupes populaires et , en même temps, l’action des « corps francs » (= unités armées qui font le coup de main contre les communistes  = SA) qui leur permet de recevoir des financements des grands industriels et de la noblesse qui craint le désordre et la révolution, les nazis gagnent les élections de 1932.

Avec la crise, les partis extrémistes, hostiles à la République, progressent tandis que les partis au pouvoir reculent. C’est particulièrement le parti nazi (NSDAP) qui bénéficie le plus de la crise (en 1930, 28 % de membres ouvriers adhérant normalement au SPD ou au KPD). Lors des élections de 1932, le NSDAP devient le premier parti au Reichstag avec 33% des voix contre 20,4% pour le SPD et 16,8% pour le KPD.

ð  Les socialistes et communistes sont majoritaires mais leur division va permettre aux nazis de prendre le pouvoir. Le président Hindenburg fait de Hitler son chancelier en janv 1933. Aussitôt, celui-ci met fin à la République.

 

3-      L’action de Hitler pour sortir de la crise PWPT

Grands travaux (rien d’original cf Roosevelt cf Fra)

Corporatisme pour soumettre les ouvriers au patronat

Remilitarisation => essor de l’industrie lourde dopée par les commandes de l’Etat

Puis Hitler compte sur la guerre et le pillage des ressources des pays étrangers pour sortir définitivement les Allemands de l’ornière.

 

III/ Sauver le capitalisme

 

A)  Roosevelt et le New deal

 

Video dans pearltree

Président démocrate, membre d’une aristocratie politique (un de ses lointains oncles avait été président des EUA au début du XXe siècle) il rompt avec la succession de présidents effacés et sans autorité. Il s’appuie sur les moyens modernes de communication, il fait une campagne très axée sur sa personne, sa famille et une promesse, celle du redressement du pays. Le jour de son investiture, il demande des pouvoirs spéciaux pour « mener la guerre » à la crise.

 

1-      Les « cent jours » du New Deal

PPO : 1933 Roosevelt et le New Deal pp. 28-29 compléter avec les doc dans pearltree et doc 1 p. 41 => « l’etat providence »

Les conséquences du New Deal = PWPT

 

 

Parcours A au complet : synthèse à rédiger pour les élèves (travail ramassé pour préparer la QP)

 

Dès le début de son 1er mandat en tant que président des EUA en mars 1933, Franklin Delano Roosevelt inaugure une politique de combat contre la crise économique et sociale dans son pays, ce qui constitue une rupture avec la politique de ses prédécesseurs.

 

 

Traditionnellement, les gouvernements américains étaient libéraux, c’est-à-dire qu’ils se refusaient à intervenir dans l’économie. Se contentant de soutenir la valeur de la monnaie, ils menaient une politique déflationniste (baisse des dépenses, baisse des salaires, laisser-faire des marchés) et protectionniste dans les échanges extérieurs. Les faillites d’entreprises, le chômage de masse, la paupérisation de la population ne trouvaient donc pas de solution et la crise a nourri la crise de 1929 à 1933. Roosevelt, lui, a fait campagne en promettant le « retour des jours heureux ». Il propose un nouveau pacte entre la population américaine et l’état fédéral qu’il nomme le « New Deal ». Les principes qui sous-tendent la politique de Roosevelt sont assez simples. D’un côté il s’agit d’injecter de l’argent dans l’économie pour stimuler la reprise de la consommation, et donc de la production. Il s’inspire là des idées de Keynes. De plus, un Etat plus protecteur qui garantisse une certaine sécurité pour tous, même ceux privés d’emploi, doit permettre de redonner la confiance nécessaire à la relance économique et la justice sociale nécessaire à la pacification du pays. De l’autre, il faut que l’Etat réglemente plus étroitement les entreprises et les marchés, en se dotant des moyens de contrôle et en créant des contre-pouvoirs au pouvoir patronal dans les entreprises.

 

Roosevelt bénéficie d’un climat favorable pour agir très rapidement. En 100 jours, il fait passer beaucoup de réformes. C’est le « premier new deal ». Dans le domaine agricole, par l’A.A.A. (agricultural adjustment administration), il subventionne les agriculteurs pour qu’ils réduisent leur production ce qui permet de faire remonter les prix. Dans les entreprises, la NRA (national recovery administration) surveille la concurrence pour établir des règles justes, impose un salaire minimum et un temps de travail maximal. Un peu plus tard, les syndicats sont autorisés dans les grandes entreprises avec un pouvoir de négociation. Avec la WPA (Work projects administration), l’Etat fédéral lance une politique de grands travaux à travers le pays (construction de barrages, de ponts, de bâtiments administratifs) pour lesquels il embauche des chômeurs. Les sans-abri sont logés dans des camps fédéraux où ils sont correctement pris en charge. Enfin, le Social Security Act en 1935 marque la création d’une forme d’état-providence aux Etats-Unis avec des aides spécifiques pour les personnes fragiles. C’est le retour de la confiance, favorisé par la propagande gouvernementale et les « causeries au coin du feu » du président.

 

Le bilan du New Deal est mitigé et difficile à faire car Roosevelt s’est heurté dans la 2e partie du New Deal à beaucoup de résistances et n’a donc pas pu mettre totalement en œuvre son programme. Dès 1935-36, la Cour suprême a majorité conservatrice censure les principales mesures du 1er New deal. « L’économie a recommencé à lentement décroitre et le chômage à augmenter » (doc 4 p.29). Mais la postérité du New Deal est importante : il a inspiré les politiques européens (par les grands travaux, même Hitler s’en inspire). Son conseiller, Keynes, est à l’origine d’une doctrine économique qui triomphe partout en Occident durant les 30 glorieuses. C’est un nouveau modèle qui remplace le libéralisme économique. Son embryon de sécurité sociale est la base de réflexion de Beveridge, qui pendant la 1nde Guerre Mondiale propose un modèle de sécurité sociale universelle, laquelle se répand, elle aussi dans les sociétés occidentales des 30 glorieuses. Le nouveau système américain devient le modèle occidental de l’après seconde guerre mondiale.

 

 

Bilan / Sauver le capitalisme = au prix de l’abandon du libéralisme et du renforcement du rôle de guidage éco et de réglementation de l’Etat. Les résistances de la fin des années 1930 sont balayées par la seconde Guerre mondiale. Les recettes de F D Roosevelt deviennent après 1945 la base du modèle américain.

 

 

B)  Les Etats-Unis reprennent la main (en guise de conclusion-ouverture)

 

Avec la 2nde GM, les EUA deviennent « l’arsenal des démocraties », ce qui leur permet de sortir définitivement de la crise. La machine à produire tourne à plein régime grâce aux commandes militaires.

 

 

Au sortir de la 1nde GM, les EUA assument leur rôle de grande puissance économique et négocient, avec leurs alliés, à la conférence de Bretton woods, la mise en place d’une système économique international stable, basé sur le dollar et les investissements américains. PWPT

 

Jeter un œil à la suite du manuel chap « un nouvel ordre international »

Le programme du CNR (p 117) et la création de la sécurité sociale p.115 pour la France

Les accords de Bretton Woods p. 121

Le plan Marshall p. 137

 


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