samedi 27 juin 2020

Pour accompagner la lecture de la pièce de Camus "Les justes"

En février 1905, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar de toutes les Russies. Cet attentat et les circonstances singulières qui l’ont précédé et suivi font le sujet des Justes. (…) Ceci ne veut pas dire que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis.

 (A. Camus, présentation de la pièce dans l’édition de 1950)

« Un groupe de jeunes révolutionnaires s’apprête à tuer le tyran qui gouverne leur pays. »

 


 

 

 

La pièce s’intitule Les Justes, ce qui laisse à penser que Camus porte le point de vue de ce groupe terroriste. Dans leur cas, l’utilisation de la violence, le meurtre sont justifiés. Pourquoi ? Quelle était la situation de la Russie en 1905 ? Pourquoi peut-on dire que le Tsar et sa famille étaient des tyrans ?

La Russie à la fin du 19e siècle est un immense pays arriéré, rural et pauvre. Il est dirigé depuis des siècles par des tsars qui s’appuient sur une noblesse, composée de grands propriétaires terriens.


Alexandre II (1855-1885
) entreprit de réformer et de moderniser le pays : abolition du servage des 30 millions de paysans (1861). Une partie des terres qui appartenaient à la noblesse leur fut vendue, mais les conditions de rachat étaient telles que les paysans demeurent dans la misère ; réforme administrative qui établit dans les provinces des conseils généraux élus (Zemstvo) avec une large autonomie; réforme judiciaire, qui donna aux magistrats des attributions plus définies, avec plus d'indépendance; réforme, dans un sens libéral, des lois sur la presse, sur l'instruction publique, etc. Toutes ces mesures constituent la page glorieuse du règne d'Alexandre Il mais il convient de remarquer que plusieurs d'entre elles n'ont pas été complètement appliquées et que, pour beaucoup d'autres, des règlements complémentaires en ont restreint de bonne heure l'étendue. Rien n'est plus instructif, à cet égard, que la suppression de la police politique (Ille section); en dépit de cette suppression, les arrestations et les déportations par voie administrative, sans intervention des tribunaux, ont toujours continué et se sont multipliées par milliers, à la suite par exemple des attentats contre le tsar, dans les dernières années du règne. Alexandre II est tué lors d’un attentat nihiliste en 1881. Son fils, Alexandre III, puis son petit-fils, Nicolas II, reviennent sur une partie des réformes. Le régime est autocratique (le pouvoir est concentré dans leurs mains). Nicolas II affirme « la force et la stabilité de la sainte Russie résident dans l'union du peuple avec le tsar, dans le dévouement illimité du premier au second. ». Mais le régime est violemment contesté, alors même que partout en Europe, la démocratie fait des progrès. En 1904, l’autocratie tsariste et la bourgeoisie libérale furent ébranlées par la défaite de la Russie devant le Japon. En août 1904, le Tsar annonça qu’il permettrait à la bourgeoisie de tenir un congrès.


Le congrès des zemstvos, qui se tint en novembre 1904, demanda de façon timide la mise en place de réformes, évitant soigneusement de parler des questions essentielles comme la Constitution ou la convocation d’une Assemblée constituante pour l’élaborer. Néanmoins, le Tsar craignait le pire et menaça de répression tous ceux qui "rêvaient inutilement d’une Constitution". Durant toute l’année 1905, la révolte gronde et elle éclate en octobre 1905 : grèves, manifestations …. Nicolas. II concède une Douma, une assemblée élue, afin d’éviter que la bourgeoisie ne s’allie au peuple dans la révolte contre lui. C’est le contexte qui explique l’attentat de février 1905.

 

Les attentats contre les rois ou leur famille ne sont pas une nouveauté. Souvenons-nous de Ravaillac qui assassina Henri IV, roi de France en 1610. A la fin du 19e siècle, les attentats sont souvent le fait de révolutionnaires de gauche, d’anarchistes. Que veulent-ils ?

Le nihilisme est assez proche de l’anarchisme, pour lequel le pouvoir et l’Etat, sont le mal absolu qui corrompt toute société puisqu’il soumet les uns au pouvoir des autres. Sa pensée, apparue en Russie dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, était en vogue dans les milieux de la jeunesse petite-bourgeoise. De nombreux auteurs de la littérature russe de cette époque reprennent ses thématiques et les popularisent.

Il s’agit d’affirmer au niveau individuel la liberté absolue de l’Homme et donc de n’admettre aucune contrainte de la société sur l'individu, ni politique, ni morale, ni familiale…Au niveau collectif, le spectacle de la misère du peuple, alors que la noblesse, très riche, vit de leur labeur, a conduit les nihilistes a vouloir réveiller dans le peuple le sentiment de l’injustice pour les amener à se révolter. => un terrorisme radical se réclamant de cette doctrine à partir de 1870.

En 1877, eut lieu à Moscou le procès des Cinquante ; une des accusés définissait ainsi, devant les juges, l'oeuvre du nihilisme :

«Le groupe auquel j'appartiens est celui des propagandistes pacifiques. Faire pénétrer dans la conscience du peuple l'idéal d'une organisation meilleure, plus conforme a la justice, ou plutôt éveiller l'idéal encore vague qui dort en lui, indiquer les vices de l'organisation actuelle, afin de prévenir dans l'avenir le retour des mêmes erreurs : tel est notre but. Mais quand sonnera-t-elle l'heure de cet avenir meilleur ? C'est ce que nous ignorons, car il ne dépend pas de nous de la fixer.»

remarque : 

Le Parti socialiste révolutionnaire est né à Berlin en 1901. Il se réclame du groupe terroriste Narodnaïa Volia (Volonté du peuple) , disparu dans la répression provoquée par l'assassinat de l'empereur Alexandre II en mars 1881. Contrairement au Parti ouvrier social-démocrate de Russie d’inspiration marxiste (dont le principal leader était Lenine), le SR met en avant la classe paysanne plutôt que la classe ouvrière. En 1904, « la brigade terroriste » du parti, sous la direction de Boris Savinkov, organise l'attentat contre le ministre de l'intérieur.




L’attentat terroriste est-il monstrueux ?

Les terroristes sont-ils des monstres ?

Doc 1 - Contextualisation : Brève « histoire » du terrorisme politique.

·         1794 : Naissance du mot pendant la période de la « Terreur ». Il désigne alors les partisans de cette politique.

Son usage se transforme au cours du xixe siècle pour désigner la violence politique (= l'emploi de la terreur à des fins politiques). Une caractérisation plus précise de ce qu’est une action terroriste est plus difficile à faire car sujette à controverse. Cependant, si le terrorisme naît avec les medias de masse modernes, c’est parce que les actes terroristes ont pour but de provoquer un mouvement général de prise de conscience ou de soulèvement d’un peuple contre la politique d’un Etat.

·         1858 : La Fraternité républicaine irlandaise luttant pour une indépendance radicale du pays est fondée. Les membres de cette organisation révolutionnaire, appelés « Fenians », tenteront d’accomplir des actes de violence contre le gouvernement britannique mais sans succès.

·         1870-1905 : Attentats nihilistes ou anarchistes en Russie contre le régime tsariste. En 1881, le tsar Alexandre II est assassiné. En 1905, c’est le grand-duc Serge.

Alors qu’Alexandre II était plutôt libéral et réformait son pays (1861 : suppression du servage), le 1er attentat contre lui (1866) conduisit à l’arrêt des réformes en cours et au renforcement de l’Etat policier.

Les attentats anarchistes se multiplient aussi à la fin du 19e siècle en Europe occidentale. En France, le président de la 3e République, Sadi Carnot, est assassiné en 1894. Une série de lois restreignant les libertés fondamentales sont alors prises pour lutter contre les terroristes.

 

·         2de Guerre Mondiale : les résistants sont appelés terroristes par les armées allemandes d’occupation. Ils font des attentats contre les forces allemandes, font sauter des trains …

·         1946 : Une organisation juive sioniste fait sauter un hôtel, ce qui précipite le départ du Royaume-Uni (mandat palestinien) et le vote par l’ONU d’un plan de partition de la Palestine pour permettre la naissance de l’Etat d’Israël.

·         Décolonisation : 1954 , le Front de Libération Nationale (FLN) algérien fait exploser 70 bombes contre des bâtiments administratifs et militaires français. C’est le début de la guerre en Algérie, appelée par la France « opérations de pacification ». Le FLN est qualifié d’organisation terroriste.

·         1970 : Des pirates de l’air palestiniens du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) font exploser 3 avions qu’ils avaient détournés, après avoir libéré les passagers.

·         1972 : Dans le hall de l'aéroport  à Tel-Aviv (Israël), trois Japonais sortent grenades et fusils-mitrailleurs et tirent sur la foule, faisant 26 morts et une centaine de blessés. Les tireurs appartiennent à l'Armée rouge japonaise (ARJ), une organisation d’extrême-gauche, créée en 1969, alliée au FPLP.

·         1972 (septembre) : Onze athlètes israéliens sont abattus pendant les Jeux Olympiques de Munich par un commando de 8 terroristes palestiniens se revendiquant de l'organisation palestinienne Septembre noir. Ils s’introduisent dans le village olympique, abattent deux membres de l’équipe israélienne et en prennent neuf autres en otage. Les neuf otages seront tués et cinq des terroristes abattus, ainsi qu'un policier, au cours de l'assaut du car qui devait les conduire à un avion pour leur permettre de fuir.

·         1990’s : série d’attentats contre des intérêts militaires ou des ambassades américaines en Afrique et au Moyen-Orient. Ces attentats sont revendiqués par Al-Qaïda. Forte propagande anti-saoudienne.

·         11 sept 2001 : détournements d’avions kamikazes contre le WTC et le Pentagone, revendiqués par Al-Qaïda. Pas de revendication mais un message anti-américain et anti-occidental.

...

 

Doc 2 – Les Justes, Acte II

L’acte II identifie le drame : peut-on tuer des enfants ? La justice peut-elle se faire à n’importe quel prix ? La tension, elle, monte encore d’un cran. Kaliayev n’a pas pu lancer la bombe. Il est accablé. Mais on le voit soutenu par tous, excepté Stepan. Celui-ci se trouve isolé, le seul à justifier l’attentat à tout prix, même la vie des enfants.

 

« KALIAYEV, égaré.

Je ne pouvais pas prévoir... Des enfants, des enfants surtout. As-tu regardé des enfants ? Ce regard grave qu'ils ont parfois... Je n'ai jamais pu soutenir ce regard... Une seconde auparavant, pourtant dans l'ombre, au coin de la petite place, j'étais heureux. Quand les lanternes de la calèche ont commencé à briller au loin, mon coeur s'est mis à battre de joie, je te le jure. Il battait de plus en plus fort à mesure que le roulement de la calèche grandissait. Il faisait tant de bruit en moi. J'avais envie de bondir. Je crois que je riais. Et je disais "oui, oui"... Tu comprends?

(…) Il se tait.  Aidez-moi...

Silence.

Voilà ce que je propose. Si vous décidez qu'il faut tuer ces enfants, j'attendrai la sortie du théâtre et je lancerai seul la bombe sur la calèche. Je sais que je ne manquerai pas mon but. Décidez seulement, j'obéirai à l'Organisation.

 

STEPAN

L'Organisation t'avait commandé de tuer le grand-duc.

 

KALIAYEV

C'est vrai. Mais elle ne m'avait pas demandé d'assassiner des enfants.

 

ANNENKOV

Yanek a raison. Ceci n'était pas prévu.

 

STEPAN

Il devait obéir.

 

ANNENKOV

Je suis le responsable. Il fallait que tout fut prévu et que personne ne pût hésiter sur ce qu'il y avait à faire. Il faut seulement décider si nous laissons échapper définitivement cette occasion ou si nous ordonnons à Yanek d'attendre la sortie du théâtre. Alexis ?

 

VOINOV

Je ne sais pas. Je crois que j'aurais fait comme Yanek. Mais je ne suis pas sûr de moi. (Plus bas.) Mes mains tremblent.

 

DORA, avec violence.

J'aurais reculé, comme Yanek. Puis-je conseiller aux autres ce que moi-même je ne pourrais pas faire ?

 

STEPAN

Est-ce que vous vous rendez compte de ce que signifie cette décision ? Deux mois de filatures, de terribles dangers courus et évités, deux mois perdus à jamais. Egor arrêté pour rien. Rikov pendu pour rien. Et il faudrait [78] recommencer ? Encore de longues semaines de veilles et de ruses, de tension incessante, avant de retrouver l'occasion propice ? Etes-vous fous ?

 

ANNENKOV

Dans deux jours, le grand-duc retournera au théâtre, tu le sais bien.

 

STEPAN

Deux jours où nous risquons d'être pris, tu l'as dit toi-même.

(…)

DORA

Pourrais-tu, toi, Stepan, les yeux ouverts, tirer à bout portant sur un enfant ?

 

STEPAN

Je le pourrais si l'Organisation le commandait.

 

(…)

DORA

Ouvre les yeux et comprends que l'Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.

 

STEPAN

Je n'ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.

 

FOKA

Ce jour-là, la révolution sera haïe de l'humanité entière.

 

STEPAN

Qu'importe si nous l'aimons assez fort pour l'imposer à l'humanité entière et la sauver d'elle-même et de son esclavage.

 

DORA

Et si l'humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ?

 

STEPAN

Oui, s'il le faut, et jusqu'à ce qu'il comprenne. Moi aussi, j'aime le peuple.

 

DORA

L'amour n'a pas ce visage.

 

(…)

DORA, avec violence.

Mais j'ai une idée juste de ce qu'est la honte.

 

STEPAN

J'ai eu honte de moi-même, une seule fois, et par la faute des autres. Quand on m'a donné le fouet. Car on m'a donné le fouet. Le fouet, savez-vous ce qu'il est ? Véra était près de moi et elle s'est suicidée par protestation. Moi, j'ai vécu. De quoi aurais-je honte, maintenant ?

 

ANNENKOV

Stepan, tout le monde ici t'aime et te respecte. Mais quelles que soient tes raisons, je ne puis te laisser dire que tout est permis. Des centaines de nos frères sont morts pour qu'on sache que tout n'est pas permis.

 

STEPAN

Rien n'est défendu de ce qui peut servir notre cause.

 

(…)

STEPAN

Des enfants ! Vous n'avez que ce mot à la bouche. Ne comprenez-vous donc rien ? Parce que Yanek n'a pas tué ces deux-là, des milliers d'enfants russes mourront de faim pendant des années encore. Avez-vous vu des enfants mourir de faim ? Moi, oui. Et la mort par la bombe est un enchantement à côté de cette mort-là. Mais Yanek ne les a pas vus. Il n'a vu que les deux chiens savants du grand-duc. N'êtes-vous donc pas des hommes ? Vivez-vous dans le seul instant ? Alors choisissez la charité et guérissez seulement le mal de chaque jour, non la révolution qui veut guérir tous les maux, présents et à venir.

 

DORA

Yanek accepte de tuer le grand-duc puisque sa mort peut avancer le temps où les enfants russes ne mourront plus de faim. Cela déjà n'est pas facile. Mais la mort des neveux du grand-duc n'empêchera aucun enfant de mourir de faim. Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites.

 

STEPAN, violemment.

Il n'y a pas de limites. La vérité est que vous  ne croyez pas à la révolution. (Tous se lèvent, sauf Yanek.) Vous n'y croyez pas. Si vous y croyiez totalement, complètement, si vous étiez sûrs que par nos sacrifices et nos victoires, nous arriverons à bâtir une Russie libérée du despotisme, une terre de liberté qui finira par recouvrir le monde entier, si vous ne doutiez pas qu'alors, l'homme, libère de ses maîtres et de ses préjugés, lèvera vers le ciel la face des vrais dieux, que pèserait la mort de deux enfants ? Vous vous reconnaîtriez tous les droits, tous, vous m'entendez. Et si cette mort vous arrête, c'est que vous n'êtes pas sûrs d'être dans votre droit. Vous ne croyez pas à la révolution.

 

KALIAYEV

Stepan, j'ai honte de moi et pourtant je ne te laisserai pas continuer. J'ai accepté de tuer pour renverser le despotisme. Mais derrière ce que tu dis, je vois s'annoncer un despotisme qui, s'il s'installe jamais, fera de moi un assassin alors que j'essaie d'être un justicier.

 

STEPAN

Qu'importe que tu ne sois pas un justicier, si justice est faite, même par des assassins. Toi et moi, ne sommes rien.

 

KALIAYEV

Nous sommes quelque chose et tu le sais bien puisque c'est au nom de ton orgueil que tu parles encore aujourd'hui.

 

STEPAN

Mon orgueil ne regarde que moi. Mais l'orgueil des hommes, leur révolte, l'injustice où ils vivent, cela, c'est notre affaire à tous.

 

KALIAYEV

Les hommes ne vivent pas que de justice.

 

STEPAN

Quand on leur vole le pain, de quoi vivraient-ils donc, sinon de justice ?

 

KALIAYEV

De justice et d'innocence.

 

STEPAN

L'innocence ? Je la connais peut-être. Mais j'ai choisi de l'ignorer et de la faire ignorer à des milliers d'hommes pour qu'elle prenne un jour un sens plus grand.

 

KALIAYEV

Il faut être bien sûr que ce jour arrive pour nier tout ce qui fait qu'un homme consente à vivre. (…) Pour savoir qui, de toi ou de moi, a raison, il faudra peut-être le sacrifice de trois générations, plusieurs guerres, de terribles révolutions. Quand cette pluie de sang aura séché sur la terre, toi et moi serons mêlés depuis longtemps à la poussière.

 

STEPAN

D'autres viendront alors, et je les salue comme mes frères.

 

KALIAYEV, criant.

D'autres... Oui ! Mais moi, j'aime ceux qui vivent aujourd'hui sur la même terre que moi, et c'est eux que je salue. C'est pour eux que je [89] lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n'irai pas frapper le visage de mes frères. Je n'irai pas ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte. (Plus bas, mais fermement.) Frères, je veux vous parler franchement et vous dire au moins ceci que pourrait dire le plus simple de nos paysans : tuer des enfants est contraire à l'honneur. Et, si un jour, moi vivant, la révolution devait se séparer de l'honneur, je m'en détournerais. Si vous le décidez, j'irai tout à l'heure à la sortie du théâtre, mais je me jetterai sous les chevaux.

 

STEPAN

L'honneur est un luxe réserve à ceux qui ont des calèches.

 

KALIAYEV

Non. Il est la dernière richesse du pauvre. Tu le sais bien et tu sais aussi qu'il y a un honneur dans la révolution. C'est celui pour lequel nous acceptons de mourir. C'est celui qui t'a dressé un jour sous le fouet, Stepan, et qui te fait parler encore aujourd'hui.

(…)

STEPAN

C'est tuer pour rien, parfois, que de ne pas tuer assez.

 

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Fallait-il tuer les enfants ? Quels sont les arguments en présence ?

·         Relevez les arguments d’ordre affectif.

·         Relevez les arguments d’ordre politique.

·         Relevez les arguments d’ordre affectif et politique.

·         Relevez les arguments qui mettent en cause la morale personnelle et ceux qui engage l’organisation SR.

Résumez la position de chacun : Kaliayev, Stepan, Dora, Annenkov.

 Camus tranche-t-il  la question ?

LES LIMITES DE L’OBEISSANCE

Kaliayev défend sa thèse dans ce débat. Il refuse le terrorisme politique quand il conduit à tuer des enfants, s’oppose donc à l’Organisation comme le montre le connecteur : « Mais elle ne m’avait pas demandé de tuer des enfants ». S’associent à lui Voinov et Dora. Deux arguments sont avancés.

Le premier  est d’ordre affectif : les « enfants », terme récurrent dans le débat, sont le symbole même de l’innocence, d’où l’horreur éprouvée à la seule idée de les tuer. Elle est mise en valeur par les allusions aux réactions physiques face à cette idée : « Mes mains tremblent », avoue Voinov, « plus bas« , comme s’il ne pouvait même évoquer cet acte. La « violence » de Dora, signalée par la didascalie, reproduit ce sentiment d’horreur que souligne aussi sa question à Stepan avec l’apposition en son centre : « Pourrais-tu, toi, Stepan, les yeux ouverts, tirer à bout portant sur un enfant ? » Elle tente de le mettre en contradiction avec lui-même, en opposant sa réponse positive, et sa réaction : « Pourquoi fermes-tu les yeux ? » La défense de Stepan semble bien maladroite face à cette accusation, d’abord une forme de déni (« Moi, j’ai fermé les yeux ? »), puis une réponse peu convaincante : « C’était pour mieux imaginer la scène et répondre en connaissance de cause ».

Le second argument est de nature politique, en envisageant le profit d’un attentat sur le long terme : « l’Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes. » Elle met en avant la contradiction entre l’idéal révolutionnaire, « le peuple entier, pour qui tu luttes », un idéal de justice, et l’assassinat d’enfants, qui ferait horreur à ce peuple-même : « la révolution sera haïe par l’humanité entière ». Sous forme hypothèses interrogatives, elle tente d’enfermer Stepan dans cette contradiction : selon elle, il n’est pas possible de faire le bonheur du peuple qu’on prétend aimer et conduire à la liberté en allant contre le libre choix de ce peuple.

=== Dora, Voinov et Kaliayev  représentent ceux qui ne sont pas prêts, pour satisfaire l’espoir d’une libération, à aliéner les valeurs humanistes qui les poussent, précisément, à entreprendre la lutte. Sacrifier leur propre vie, oui, mais sacrifier celle d’innocents, ils refusent avec force ce choix. Ils vivent donc un déchirement intérieur.

LE MILITANTISME POLITIQUE

Face à eux se dresse Stepan, évadé du bagne qui vient de rejoindre l’Organisation. Cet homme, victime de la tyrannie tsariste, est sans état d’âme : pour lui, un militant révolutionnaire doit obéir aux ordres, quels qu’ils soient.

Il insiste sur ce devoir d’obéissance comme le prouve le champ lexical qui parcourt le débat : « l’Organisation t’avait commandé », « Il devait obéir », « si l’Organisation le commandait ». C’est un argument qui fait passer les valeurs collectives avant celles des individus. Désobéir signifie, en effet, faire prendre des risques à l’ensemble des révolutionnaires : « nous risquons d’être pris ». De plus cela annule des mois de travail collectif, avec les efforts énumérés dans les questions de Stepan : « Deux mois de filature, de terribles dangers courus et évités, deux mois perdus à jamais ? », « Encore de longues semaines de veilles et de ruses, de tensions incessantes [...] ? » Plus grave encore, cela enlève tout sens à la mort de ceux qui se sont sacrifiés pour obéir, ce que renforce la répétition : « Egor arrêté pour rien. Rikov pendu pour rien. »  Toute cette réplique est prononcée sur un ton violemment polémique, avec l’interpellation finale qui vise à faire réagir les adversaires : « Êtes-vous fous ? »

Par contraste le ton du chef, Annenkov, est plus mesuré. Il ne donne pas tort à Kaliayev, mais, pour autant, réaffirme la puissance de l’Organisation en prenant sur lui la faute : « Il fallait que tout fût prévu et que personne ne pût hésiter sur ce qu’il avait à faire. » Cet aveu, en effet, souligne la puissance d’un ordre donné, face auquel personne ne doit « hésiter ». D’ailleurs son intervention vise bien à poser collectivement la décision, de façon à ce personne ne puisse ensuite se dérober à nouveau : « Il faut seulement décider si nous laissons définitivement échapper cette occasion ou si nous ordonnons à Yanek d’attendre la sortie du théâtre ». Le choix verbal, « nous ordonnons », confirme la primauté du collectif sur l’individuel. Il n’intervient plus dans la suite du débat, comme si pour lui toute cette argumentation n’était qu’accessoire.

Dans ce débat, Stepan considère que la fin, qu’il pose comme une certitude avec le futur, justifie tous les moyens mis en oeuvre pour l’atteindre : « nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera ». Il refuse ainsi toute forme de compassion, qu’il assimile à de la sensiblerie : « Je n’ai pas assez de coeur pour ces niaiseries », dit-il en parlant des enfants dont Dora suggère  l’innocence. C’est en raison de cette certitude aussi qu’il juge nécessaire de faire le bonheur du peuple malgré lui, s’il le faut : il s’agit d’ »imposer [la révolution] à l’humanité entière et [de] la sauver d’elle-même et de son esclavage ». Cela le conduit au paradoxe de la dernière réplique, en réponse à la question de Dora qui demande s’il « faudra [...] frapper » le peuple « aussi » : « Oui, s’il le faut, et jusqu’à ce qu’il comprenne. Moi aussi, j’aime le peuple. » Pour rendre libre le peuple, il serait donc indispensable de tout mettre à son service, quitte à accomplir les actes les plus terribles.

CONCLUSION

Cette analyse a adopté un ordre, qui aurait pu être inversé, car le débat n’est pas tranché dans ce passage… Il revient, en fait, au lecteur de délibérer sur le pouvoir politique et sur ses limites : peut-on justifier le crime révolutionnaire ? Peut-on justifier une dictature qui se proposerait pour but de mener au bonheur ? On sait, aujourd’hui, à quels excès ont conduit ces théories et que la « dictature du prolétariat » n’a jamais été, elle aussi, qu’une autre forme de dictature… Mais à l’époque de Camus, le débat restait d’actualité.
D’ailleurs il n’est pas clos aujourd’hui, où le terrorisme et son fanatisme sont revenus sur le devant de la scène, avec leur cortège d’innocents tués au nom de la justice. Le théâtre engagé peut certes paraître parfois trop bavard, trop argumentatif, ce qui lui enlèverait une part de son dynamisme. Mais Camus a su, en tout cas, créer des personnages attachants, dont les déchirements nous rappellent 
qu’il n’est pas si simple de décider qui sont « les justes » face à l’injustice que chacun s’accorde plus facilement à reconnaître.

 

 


Pour inciter les élèves à lire le beau roman de Silvia Avallone : D'acier


I/ D’Acier est un roman sur le thème de l’Autre.

Tous les personnages sont des individus isolés, solitaires et perdus. Entre eux et les autres, les relations sont difficiles, le plus souvent violentes et marquées par l’incompréhension.

Rosa :

« Elle souleva la bassine et la vida dans l’évier du balcon, les yeux sur les grumeaux de crasse dans le tourbillon du siphon. Elle aurait voulu le voir crevé là, écroulé par terre, agonisant. […] Après, lui rouler dessus avec la voiture, l’écrabouiller sur la chaussée, le réduire en bouillie, comme le ver de terre qu’il était. Francesca comprendrait. Le tuer. Si je n’étais pas tombée amoureuse, si j’avais cherché du travail, si j’étais partie il y a dix ans. »

Pourquoi Rosa veut-elle tuer son mari, le père de Francesca ?

D’une manière générale, comment qualifier les relations au sein des couples du roman : Rosa/Enrico ; Sandra/Arturo ; Cristiano/Jennifer.

 

LISA, FRANCESCA, ANNA et les autres …

« Les filles de leur âge, les boudins que leur propre vision dans le miroir plongeait dans la crise totale, les détestaient. Anna et Francesca, leur beauté, elles te l’envoyaient dans la gueule. Chaque putain de minute, il fallait qu’elles prouvent qu’elles étaient mieux que toi, qu’elles avaient gagné, a priori et pour toujours.

Lisa réalisait que jamais elle n’irait se mettre comme ça au milieu des garçons, au centre de leur attention. Les cartes à la main, elle se serrait dans sa serviette. Entre ses dents, elle sifflait : « petites putes ».[…]

Anna sortit de l’eau. Elle passa devant Lisa et les autres boudins sans leur accorder un regard. Mais elle eut un sourire mauvais quand elle marcha sur une de leurs serviettes, comme pour dire : pauvres filles. Puis de la main elle salua Donata. C’est pas obligé, pensait Lisa, quand on est belle, d’être cruelle, en plus. Si Anna, à l’instant même tombait des rochers et se bousillait définitivement le visage, ce serait juste. Et ce serait justice si Francesca avait tout à coup le métabolisme qui partait en vrille et se retrouvait avec des cuisses énormes bourrées de cellulite.

Le mec à décrocher, tu le trouves toujours, à force de te frotter le cul sur lui, de lui sauter au cou et de lui fourrer tes nichons sous le nez. […]

Francesca, ignorante de ce venin, se glissait sous la douche et se donnait en spectacle. « Tu ne peux pas me faire ça », disait Nino, » c’est pas des choses à faire à un homme ». Francesca se rinçait les cheveux, frottait ses jambes pour enlever le sel tout en regardant Nino à travers les gouttes. Nino essayait de se contenir mais c’était impossible, et il finit par bondir à son tour sous la douche, la prit dans ses bras et lui mordit doucement la nuque.

« T’es fou ! Tout le monde nous regarde…dit Francesca en le repoussant mais en riant aussi.

Elle l’avait voulu, et elle l’avait eu : Nino à ses pieds, suppliant. Elle lui claque un baiser sur la bouche, en récompense. La plage, c’était comme être sur une scène, elle sentait des millions d’yeux braqués sur elle. Face à la foule, elle perdait toute timidité.

Puis elle repartit en courant vers l’eau, rejoindre Anna. Et ce malheureux Nino à trotter derrière, comme un chien.

[…] Le bar à cette heure-ci était assiégé. Autour des tables en plastique Algida, sous les parasols effilochés, les plus grands se la coulaient douce en sirotant des trucs alcoolisés. Maria, les jambes sur la table en une pose pas exactement distinguée, observa Anna et Francesca quelques minutes puis alluma une cigarette. « Ces deux-là, dit-elle en les désignant aux autres, si elles continuent comme ça, l’an prochain elles seront en cloque.

-Tu parles ! se mit à rire Jessica. Son frère la tuerait.

-Il faudrait que quelqu’un lui dise. Regarde la faire l’idiote avec Massimo… »

Cristiano détacha sa Southern Comfort de ses lèves.

-« Eh les sorcières ! cria t-il en rigolant. Vous avez pas fini ? Laissez les vivre ! Vous étiez comment il y a quelques années ? J’ai pas oublié, moi … »

Tout le monde éclata de rire.

Il y avait aussi Sonia, la diva, celle qui avait gravé le nom d’Alessio sur le banc et qui se plantait parfois dans la chambre d’Anna pour regarder des pornos. Elle s’était assise en croisant les cuisses, et son pareo minuscule laissait presque tout voir. C’était une sorte d’ex-Francesca de la via Stalingrado, qui travaillait maintenant comme vendeuse chez Calzedonia, et il était loin le temps où elle était belle. »

Pourquoi Lisa en veut-elle tant à Anna et Francesca ?

Ce qui se joue sur la plage :

Montrez qu’il s’agit d’une question de pouvoir.

Montrez qu’il s’agit de profiter du peu de temps de bonheur dont une jeune fille dispose.

Montrez que ce théâtre de la plage est un théâtre d’illusions.

 

Elena :

« Elle, en effet, n’avait rien à voir avec ces trois-là. Jamais, elle n’avait porté ces minijupes en jean qui arrivent à l’aine, ni ces ceintures cloutées, encore moins tous ces colliers minables. Elle, quand elle s’asseyait, elle n’ouvrait pas les jambes. Les gros mots, elle se dispensait d’en hurler. Et le seul tissu de sa jupe fourreau lilas traçait entre son monde et le leur un fossé infranchissable.

Sonia, Maria et Jessica restèrent un instant indécises ; à la regarder, avec un mélange d’attirance et de méfiance.

Elle, avant même d’entrer à l’école primaire, elle connaissait l’alphabet et savait compter jusqu’à cent. Ses parents lui avaient appris à lire, ils lui avaient expliqué ce qu’est un livre et combien de métiers il y a dans le monde –toutes choses qu’il est donné à bien peu de savoir, via Stalingrado. Elle n’avait pas galopé dès l’âge de cinq ans dans les rues du quartier, ne s’était pas cachée dans les caves pour apprendre à fumer ni ne s’était laissée tripoter derrière les poteaux en ciment : personne, quand elle avait onze ans, n’avait soulevé sa jupe.

Pourtant elle était là, l’ovale de son visage souriant d’une façon désarmante. Et pour les trois filles, tout compte fait, c’était une satisfaction. Elle s’excusa de n’avoir pas trop de temps : on l’attendait à l’extérieur. Mais elle ne pouvait pas s’en aller sans leur dire au revoir. Elle les aimait bien, ces trois-là, qui de leur côté l’aimaient aussi, mais un peu moins. »

Pourquoi Elena est-elle une « extra-terrestre » dans ce monde-là. Qu’est-ce qui la rend si différente ?

Expliquez : « ces trois-là, de leur côté, l’aimaient bien aussi, mais un peu moins » ?

 

ANNA (& FRANCESCA)

« Elle (F ) ressentait une violente colère, à présent. Cette petite conne, qui ne s’était même pas souvenue de son anniversaire, qui ne lui avait pas souhaité Noël, n’avait même pas trouvé le moyen depuis tout ce temps de glisser un mot sous sa porte. Et maintenant elle se retrouvait à passer un bavoir au cou de son père avant de lui donner la becquée. Francesca haïssait le monde entier.

Anna aussi, assise en cet instant au bar Nazionale, obligée de se farcir son frère et cet autre imbécile de Cristiano –qui était là à roter, se rouler des joints sous la table et parler de cuivre, de dope, toujours la même chose-, aurait voulu rembobiner le magnéto du temps, s’arrêter un instant sur cet instantané de Francesca et elle devant le stand L’Oréal au Gardenia, et rewind à l’infini. Elles s’amusaient trop, à piquer du rouge ou du crayon à paupières. Elles construisaient toute une scène, avant de tendre discrètement la main…Anna se souvenait. Elles jouaient aux dames : « Essaie donc celui-ci Francesca, n’est-il pas magnifique ? Oh ! Je trouve qu’il te va très bien ! –mais non, Anna, tu ne vois pas comment il éteint mon visage ? Non, vraiment, il ne me convient pas du tout ! » Et au beau milieu de leur numéro, au lieu de poser le crayon à paupières, elles le glissaient dans leur poche.

Anna se souvenait et souriait. […] Elle ne voulait pas l’admettre, mais c’était tellement mieux avant, quand elles étaient amies. »

Que nous apprend cet extrait des rapports Garçon/Fille ?

Pourquoi Anna et Francesca ne sont-elles plus amies ? Pourquoi ont-elles laissé passé tant de temps sans se réconcilier alors qu’elles se manquent ?

Observez la différence de niveau de langue quand elles « jouent aux dames ». Pourquoi peut-on affirmer que le langage  a une fonction de distinction sociale.

 

II/ Un roman social et politique 

D’acier est un roman profondément désenchanté, roman d’un lieu abandonné, quartier ouvrier en temps de crise, où aucun rêve ne semble réalisable.

 

La lutte des classes

« Elle se mit à examiner les murs : des parois hautes de 10 étages qui barraient la vue sur les quatre côtés. Elle aimait regarder. Elle aimait s’arrêter sur les détails. Il y avait de tout sur les rebords des fenêtres : des plantes desséchées, des chaussures, des casseroles mises à sécher. D’ici, on ne voyait pas la mer. On voyait les pans de crépi écaillé, les pointes de fer rouillées qui sortaient comme des ongles du béton armé des piliers.

Sa mère lui avait expliqué : il y a deux classes sociales. Et les classes sociales luttent entre elles, parce qu’il y a une classe de salauds qui ne fait rien, et qui opprime la classe honnête qui se donne du mal. C’était comme ça que le monde marchait. Sa mère était à Rifondazione communista, elle faisait partie de ces 5% là de la population italienne. Et Alessio, à cause de çà, la traitait de minable. Son père avait le mythe d’Al Capone et du Parrain –celui de Coppola. Son frère avait la carte au syndicat des metallos, la FIOM, mais il votait Forza Italia. Parce que Berlusconi, lui, c’est sûr que c’est pas un minable.

Anna examinait la cour avec attention. C’était son monde. Elle vit passer Emma avec son gros ventre : elle s’était mariée en toute hâte à seize ans avec Mario qui en avait 18.[…] Elle se dit qu’elle ne croyait ni à ce que disait sa mère, ni à ce que gueulait son frère, encore moins aux conneries de son père. Elle ne croyait qu’à la cour de son immeuble.[…] Anna y était née, mais elle voyait bien que les papiers gras, les mégots et quelquefois les seringues par terre, ça n’était pas bon signe. Que tout le monde pissait sous les piliers. »

 

Sur la violence des rapports de classe, voir le dialogue entre Elena et Alessio sur les licenciements (p. 332 sqq)

 

Le désenchantement de la politique

« Alessio était énervé. Il pensait à sa sœur, à la Golf GT tellement super. S’il y avait des gens qu’il ne supportait pas c’était bien ces trous du cul gâteux de la gauche. DS , Rifondazione. Quelle daube, ces cocos : les airs qu’ils se donnaient, les grands mots qu’ils débitaient. Aux élections du 13 mai, il avait voté Forza Italia. Il était sur d’une chose : les mots, ça ne sert à rien. »

 

Pourquoi le discours politique de la gauche ne fonctionne t-il plus dans ce milieu ?

 

L’usine, le personnage central du livre :

« L’épais magma noir et rouge du métal en fusion bouillonnait dans les poches de coulée, des fûts ventrus transportés depuis les wagons-torpilles. Citernes sur roues, semblables à des créatures des premiers âges. Alessio avait fini son service, il se versait une bouteille d’eau sur la tête.

Le métal était partout, à l’état naissant. Cascades ininterrompues d’acier et de fonte rougeoyante, de lumière visqueuse. Des rapides, des torrents, des estuaires de métal en fusion pris entre les digues de la coulée, enfermé dans les cuves des poches, transvasé par les entonnoirs et déversé dans les trains à bandes.

Si tu levais les yeux, tu voyais bouillonner le mélange de fumées grasses, dans un vacarme de robots. A toute heure du jour et de la nuit la matière était transformée. Le minerai et le charbon arrivaient par la mer, accostaient au port industriel sur de gigantesques navires minéraliers : un carburant, qu’acheminaient dans les airs les bandes transporteuses, ces autoroutes aériennes en sauts-de-mouton qui filaient sur une infinité de kilomètres, des quais jusqu’à la cokerie, jusqu’aux hauts-fourneaux. Au milieu de tout ça, tu sentais ton sang circuler à un rythme dingue, des artères jusqu’aux capillaires, et tes muscles gonfler par à-coups : tu régressais à l’état animal.

Dans ce gigantesque organisme, Alessio était minuscule, et vivant.

Il jeta un coup d’œil à la blonde du calendrier Maxim. L’envie de baiser, constante, là-dedans. La réaction du corps humain dans le corps du Titan industriel : bien plus qu’une usine, c’était la matière elle-même en transformation. Elle avait un nom et une formule. Fe26C6. La fécondation assistée s’opérait dans une cuve haute comme un gratte-ciel, l’urne rouillée de l’Afo4, avec son ventre et ses centaines de bras, sa tête en tricorne. »

Par quels procédés, l’usine est-elle assimilée à un monstre ?

 

Via Stalingrado, un lieu dont ne sort pas

Francesca :

« -Je ne veux pas devenir une ratée, continua t-elle ; Sonia, Jessica, ou même mon frère…Ils travaillent du matin au soir, et le week-end ils se défoncent. Après ils se marient, ils font un gamin, et pour finir ils meurent. Qu’est-ce qui leur est arrivé ? Rien. Personne ne s’est aperçu de leur existence.

-Il faudrait passer à la télé…

-C’est pas vrai ! Pardon pour les bimbos et les présentateurs et les danseuses…mais c’est pas Fabrizio Frizzi (présentateur d’une émission de variété) qui fera l’Histoire ! Elle balança un coup de poing devant elle. »C’est pas ça être quelqu’un de sérieux !

[…]

-Quand on est né ici, où il y a même pas un cinéma correct, quand on a grandi dans ce quartier de merde, à ton avis on peut faire l’Histoire ?

-Tu ne comprends pas. Au fond, toi t’es pessimiste. Mettons que je sois syndicaliste et je m’en prends à la Lucchini (l’usine sidérurgique), et je lance une grève tellement énorme qu’ils sont même obligés d’éteindre le haut-fourneau, ça serait super, non ? »

 

Quels sont les rêves d’Anna et de Francesca ? Ont-elles une chance de les réaliser ?

Quels sont les rêves des autres personnages ? Que leur arrive-t-il ?


Pouvoir et marges : La pensée de l'empire chez Ibn Khaldoun et ses avatars dans Dune de Frank Herbert

A partir du livre de Gabriel Martinez-Gros, La fascination du djihad, PUF 2016
A partir des livres de Frank Herbert, la série des Dune




Pourquoi Dune ?
Livre de science fiction, fondateur du genre space-opera et prototype de ce que l'on appelle un "livre-monde", Dune dont le premier volume a paru en 1965 (6 tomes écrits par Frank Herbert jusqu'en 1985), en plus d'être le livre de science-fiction le plus vendu au monde, a irrigué tout l'imaginaire de la science-fiction depuis les années 1970. Il inspire notamment Star Wars de G. Lucas, sorti sur les écrans américains en 1977 dont l'esthétique et les codes artistiques furent eux aussi très prolifiques. 
Par ailleurs, les thématiques qui s'entrecroisent dans le tissu narratif sont  universelles (pouvoir, religion, relation homme/science/nature) mais résonnent particulièrement dans la période actuelle : la foi en un absolu permet-elle ou anéantit-elle la liberté des hommes ? comment les sociétés humaines peuvent-elles s'adapter au changement permanent et néanmoins brutal de leur environnement ? comment gérer politiquement et économiquement la rareté des ressources ? 

Bref lire les romans de Frank Herbert, c'est ouvrir un univers vaste de questions, souvent sans réponse unique et ce pour plusieurs raisons : Tout d'abord parce que  presque tous les protagonistes de l'histoire étant des "ordinateurs humains" (mentats ou formés aux techniques bene gesserit), ils ont des raisonnements particulièrement complexes, et les dialogues et "voix off" sont volontairement elliptiques (ils sont censés penser plus vite que nous et donc ils "sautent des étapes", c'est souvent exaspérant, il faut bien le dire) ; ensuite parce que la pensée de Herbert n'est ni figée ni didactique et expose les points de vue différents des différents personnages sans parti-pris affirmé. Sur la longueur du cycle, en revanche, une constante apparaît : Dune est bien une dystopie, elle présente les dangers de la pensée figée, que ce soit les absolus en politique et dans la religion ou même le respect trop strict des codes sociaux, car elle empêche les sociétés de s'adapter au changement. Toute tentative de contrôle du changement (la sélection génétique par l'ordre féminin du bene gesserit par exemple) est également vouée à l'échec.

Dans le cadre des programmes d'HGGSP, il y a de multiples portes d'entrée pour utiliser Dune. 

  1. La géopolitique de l'épice, ressource essentielle aux déplacements et donc au contrôle de l'empire peut être aisément reliée à la prise de contrôle de la production de pétrole par les pays de l'OPEP à partir de 1960, mettant en échec, par la nationalisation, les cartels pétroliers occidentaux (les majors, les "7 soeurs", la CHOM dans Dune). C'est précisément le contexte de rédaction du premier volume de Dune. Il y a là indéniablement un écho de l'Histoire. Le pétrole, comme l'épice sont indispensables aux déplacements et à l'économie des empires, occidental et intergalactique. Or, c'est une ressource "rare" car strictement géolocalisée dans une région qui, par conséquent, a été soumise au contrôle de la puissance dominante. Paul Muad'Dib, fils du duc Leto Atréides à qui l'empereur a confié le gouvernement de la planète Arrakis, se réfugie dans le désert à la suite d'un complot de l'ennemi héréditaire le baron Harkonnen, soutenu en sous-main par l'empereur lui-même, il s'allie aux Fremen pour reconquérir Arrakis mais aussi pour prendre le contrôle de l'empire. Pour cela, il doit forcer et la guilde des navigateurs intergalactiques et la CHOM qui contrôle le commerce et le conseil des grandes familles régnantes (le Landsraat) de lui faire allégeance : pour cela, il menace de détruire l'épice car "qui peut détruire l'épice détient le vrai pouvoir", dit-il.
  2. Le thème de la transformation environnementale est également au programme de Terminale et ici encore, Dune peut être utile. Le lien entre transformation environnementale et transformation sociale est au cœur du volume 3, Les enfants de Dune. -suivre ce lien pour une conférence sur l'écologie dans Dune- C'est une piste sans doute plus facile à mettre en oeuvre à partir d'extraits du livre.
Car le souci, c'est la mise en oeuvre didactique. Le volume 1 est épais, les fils à tirer sont dispersés et ténus. Il n'est pas envisageable d'en prendre un extrait pour en faire l'analyse. Quant au film de David Lynch, il est tellement daté et mauvais qu'on ne peut pas décemment le recommander aux élèves. Il existe une mini-série, mais ancienne, aussi je doute qu' elle soit visible sur le web et 4 jeux vidéos, eux aussi anciens.

Aussi, la piste qui me semble la plus intéressante est celle que je vous propose ici : un peu de sciences politique médiévale...

Qu'est-ce qu'un empire ? Comment se crée t-il ? Comment se maintient -il ?

Il me semble qu'on peut utiliser la pensée d'Ibn Khaldoun comme grille d'analyse de Dune, et inversement, se servir de Dune pour illustrer et incarner les théories d'IK.

Ibn Khaldoun (1332-1406) né en Tunisie d'une famille andalouse émigrée. 


L'empire de Tamerlan (1336-1405)
Le rôle de l'économie
Sa théorie de l'histoire, née en terre d'Islam mais d'ambition universelle, pense le "mouvement des sociétés", dans une approche très originale pour l'époque (IK est contemporain de la grande vague de peste noire) c'est-à-dire l'explication de la politique par l'économie, alors même que les progrès économiques sont si lents qu'ils sont invisibles donc impensés par les intellectuels depuis l'antiquité jusqu'au 18e siècle.
On peut résumer l'enjeu de la pensée d'Ibn Khaldoun en une seule question : comment créer de la richesse dans une société qui n'en crée pas spontanément, ou dont on ne perçoit pas le progrès ? La réponse, c'est qu'il faut la mobiliser artificiellement par la coercition. Le tribut qu'infligent les conquérants aux conquis, ou l'impôt qu'exige le pouvoir de ses sujets permettent l'accumulation des richesses, et donc des hommes et des compétences, dans un lieu dédié, la ville. La tâche fondamentale et fondatrice de l'État, c'est en effet la collecte de l'impôt. Or celui-ci n'est pas consenti spontanément. Il faut donc exercer une force coercitive pour l'imposer à une population qui doit être désarmée. D'où l'opposition fonctionnelle opéré par IK entre sédentaires (le peuple de l'Empire pacifié) et bédouins (la force au service de l'empire). En échange de l'impôt, l'empire offre à ses sujets soumis toutes les protections souhaitables – militaire, policière, judiciaire, sociale. 

Dans cet extrait d'un reportage de ARTE, l'empire perse de Darius a conquis puis pacifié un vaste empire, dont les habitants lui doivent l'impôt. Or l'impôt est la forme impériale du tribut que le conquérant impose aux peuples vaincus.

Le rôle de la violence
Dans le même temps, l'empire doit mobiliser une armée coûteuse, à la fois pour intimider son troupeau producteur et lui faire rendre l'impôt, mais surtout pour protéger ce troupeau qu'il maintient désarmé contre les prédateurs extérieurs.
Le pouvoir impérial n'a d'autre recours que de confier la charge de violence qu'il interdit à ses sujets à quelques-unes de ces tribus hostiles afin de s'en assurer l'alliance contre les autres. La part violente et « bédouine » (pour reprendre les termes d'Ibn Khaldoun) de l'empire peut être acquise par l'achat de tribus mercenaires (c'est déjà le cas dans l'empire chinois au Ier siècle avant notre ère), ou tout simplement par l'invasion, dont la victoire fournit paradoxalement au système impérial les forces qui lui sont nécessaires. À terme, le résultat est à peu près le même : le pouvoir revient à ceux qui ont la charge des fonctions de violence, parce qu'ils ont les armes, qu'ils conquièrent ce pouvoir par l'invasion, ou qu'ils en héritent en assurant les fonctions armées qui leur ont été volontairement confiées (les Barbares des dernières générations de l'Empire romain sont ainsi dans les deux rôles d'envahisseurs et de défenseurs).

Ces tribus sont violentes à la mesure de la privation de violence des majorités qu'elles protègent, gardent ou intimident. L'empire crée, à ses frontières, des réserves de violence que la tribu naturelle, ignorante de l'existence de l'État impérial, ne montre jamais. Il s'y ajoute le mépris et l'aversion que les tribus manifestent pour la civilisation urbaine, et parfois la haine religieuse pour la décadence de la civilisation impériale (dans le cas des arabes musulmans historiquement)
Si l'empire aiguise la violence à ses marges, c'est parce qu'il est radicalement pacifique en son centre.
Mais il survit et se développe car, comme l'explique Ibn Khaldoun, c'est sur l'infinie fragmentation du monde bédouin que repose la fragile tranquillité du monde sédentaire. Le rôle du pouvoir est donc de jouer des divisions, de tenir l'équilibre instable des tensions.

Mais la violence solidaire des bédouins plongés dans la société sédentaire s'y érode et s'y corrompt. Le processus de désarmement et de pacification de l'État s'exerce aussi sur sa propre violence. La tribu disparaît parce qu'elle ne sert plus à rien, parce que l'État impérial pourvoit à tout.
Dans sa volonté de régner seul au détriment des chefs qui partageaient autrefois avec lui la décision dans le conseil, le roi accentue puis précipite la décomposition de sa tribu, qui l'a pourtant hissé au pouvoir. Ses sages ministres lui font en outre voir que la tribu, tant qu'elle est armée, est une menace pour l'essence même de l'État, c'est-à-dire pour la tranquille levée de l'impôt. Enfin, la crise finale des dynasties selon Ibn Khaldoun : l'hypertrophie de l'appareil d'État y écrase une économie déjà anémiée.

Selon Ibn Khaldoun, l'histoire est ce processus de déperdition qui dissout des ethnies créatrices d'empires pour en faire des populations sédentarisées, désolidarisés, indifférenciées, incapables de création historique. En un siècle ou deux, ceux dont les ancêtres ont forgé l'histoire la quittent pour rejoindre le troupeau sans nom des producteurs contribuables. L'empire tue ceux qui le font.

Le rôle de la religion
IK s'en explique dans les chapitres qu'il consacre au califat et dans la comparaison qu'il mène, dans ces mêmes pages, entre les trois monothéismes. Fidèle à la vision unanime des auteurs médiévaux, il ne sépare pas la religion de son incarnation impériale, ou du moins de sa forme politique. Par définition, la religion est ce qui donne corps et forme à un peuple, et à l'inverse, un peuple se définit d'abord par sa religion. La preuve de la véracité de la religion, c'est qu'elle règne. Le christianisme, c'est Rome – et les chrétiens sont couramment nommés Rûm, « Romains » ; le judaïsme, c'est le royaume d'Israël ; l'islam (la religion musulmane), c'est l'Islam (l'empire islamique) ; s'il l'avait mieux connue, Ibn Khaldoun aurait ajouté que le bouddhisme, c'est la Chine.
La fondation de ces empires religieux suppose donc à la fois une croyance prosélyte – une dawa, un appel, une cause – et ce qu'Ibn Khaldoun nomme une assabiya, c'est-à-dire un rassemblement de solidarités tribales ou bédouines animées par cette cause religieuse et par l'ambition commune de conquérir l'espace sédentarisé dont l'existence d'un empire est inséparable. En un mot, un empire naît d'une conquête souvent dictée par une foi religieuse.
Mais c'est ici qu'apparaissent déjà les différences. Le judaïsme fut d'emblée une dawa – une foi et surtout une Loi, que Moïse reçut sur le Sinaï –, mais sans assabiya, sans peuple capable d'en faire un royaume. Les Hébreux vers lesquels Moïse revint avec les commandements divins étaient des sédentaires, les plus vils des sédentaires, puisqu'ils sortaient de l'esclavage et donc d'une totale dévirilisation. Pour en faire ce peuple qui conquit Canaan, nous dit Ibn Khaldoun, il fallut que Moïse l'entraîne pendant quarante ans dans le désert, de sorte que la génération qui avait reçu la marque infâmante de l'esclavage disparaisse, et qu'un peuple nouveau, né du désert, acquière les vertus bédouines qui lui permirent de mettre en œuvre la Loi divine et de fonder le royaume d'Israël. Puis le royaume se sédentarisa, sombra, et le judaïsme se réduisit à une pure religion sans État. En somme, Israël en revint à la condition mutilée – une dawa sans assabiya – de ses origines.
Dans aucun de ces cas – judaïsme, christianisme, bouddhisme –, la religion et la conquête (dawa et assabiya) n'ont coïncidé, au contraire de l'Islam. La geste fondatrice de l'Islam confond en effet déploiement bédouin et message religieux, fonctions de guerre et fonctions du sacré dans la personne du Prophète, puis, dans une moindre mesure, dans celle de ses Compagnons les premiers califes. La preuve de cette union, c'est le califat, succession du Prophète à la tête du peuple et dans tous les pouvoirs qu'il a exercés – à l'exception de la prophétie, bien sûr ; et c'est le djihad, qu'il a ordonné et que ses Compagnons ont mené à bien en lançant les Arabes à la conquête du monde. La guerre associée à la religion est un caractère propre de l'Islam : Le djihad est de tous les âges. Ibn Khaldoun fixe à un siècle ou un peu plus la durée de la vie moyenne d'une dynastie, au terme duquel, souvent, un djihad venu des confins l'emporte. La religion ne s'y manifeste avec une particulière véhémence que dans le camp des assaillants. La violence des nouveaux venus fait contraste avec le vieillissement timoré du pouvoir en place. Le souverain et la ville apparaissent comme déconcertés par l'intrusion d'une réalité étrangère, alors que les révoltés réformateurs ou rénovateurs ne rappellent, le plus souvent, que les principes de la geste originelle de l'Islam. (Les Almoravides, les Almohades, les Ottomans ou les Safavides ont commencé comme des sectes des confins)





Mise en oeuvre
Partir de la question : "A quoi servent les théories politiques ?"
Exemple de la théorie de l'empire d'Ibn Khaldoun (voir ici la fiche sur Ibn Khaldûn distribuée aux élèves)

Proposer un tableau synoptique structuré autour des problématiques proposées ci-dessus (qu'est-ce qu'un empire ....) : colonne 1 pensée de IK/ colonne 2 les exemples historiques sur lesquels il a réflechi / colonne 3 les extraits de Dune qui illustrent

Travail sur l'argumentation pour les élèves : justifier les relations faites dans le tableau synoptique entre la théorie politique d'IK et les extraits de Dune de Frank Herbert.

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