mardi 9 juin 2020

Les révoltes contre le roi de France et sa noblesse : un exemple médiéval

Dans la cadre du chapitre de Seconde sur l'affirmation de l'Etat et les contestations de la monarchie absolue

Partie 1 : la progressive construction de la monarchie absolue en France

B) Les révoltes contre le roi de France et sa noblesse.

 (Grandes Chroniques de FranceBnFms. français 2813 fº409v, vers 1375-1380).

(Temps long) L’année 1358

C’est une période difficile pour la monarchie française. Déjà affaiblie par le choc de la peste noire (1348), le royaume de France est dans une mauvaise phase de la guerre qui l’oppose aux Anglais (guerre de cent ans).  L’armée française connaît une série de défaites et à Poitiers en septembre 1356, le roi français Jean II dit le Bon est prisonnier des Anglais. C’est son fils, le dauphin Charles (futur Charles V), duc de Normandie, qui tente de rétablir l’ordre dans le pays, menacé de surcroît de guerre civile par Charles le mauvais, roi de Navarre qui revendique le trône de France. Dans le mois qui suivirent l’événement rapporté par ce texte, les paysans du Beauvaisis se soulèvent contre les seigneurs féodaux qui échouent à les protéger des bandes armées anglaises : c’est la Grande Jacquerie qui est réprimée par les nobles avec une extrême violence.

 

« Le jeudi 22 février de l’an 1357* au matin, second jeudi de Carême, le prévôt des marchands** fit assembler à St-Eloi près du palais tous les métiers de Paris, en armes, si bien qu’on estime qu’ils étaient près de 3000.[…] Le prévôt et quelques autres montèrent dans la chambre de monseigneur le duc, au palais, au-dessus de la galerie des Merciers et là, ils trouvèrent le duc et le prévôt lui dit en substance : « Sire, ne vous étonnez pas de ce que vous voyez car [ces choses] ont été ordonnées et qu’il convient que ce soit fait. ». A peine avait-il dit ceci que certains de sa compagnie se précipitèrent sur monseigneur Jean de Conflans, maréchal de Champagne et le tuèrent quasi sur le lit de monseigneur le duc et en sa présence. D’autres coururent sur le maréchal du duc, monseigneur Robert de Clermont, lequel se réfugia dans une autre pièce, mais ils le suivirent et là le tuèrent. [Au dauphin resté seul, le prévôt dit] « Sire, vous ne risquez rien ». Il lui donna son chaperon, celui de la ville, partie rouge et partie bleu. Le duc prit le chaperon et le porta tout le jour. Ceux de la compagnie du prévôt traînèrent fort inhumainement les corps des deux chevaliers devant le duc jusque dans la cour du Palais, devant le perron de marbre où ils demeurèrent étendus et découverts à la vue de tous ceux qui le voulaient jusque tard après l’heure du dîner, et personne n’osa les enlever.

Le prévôt des marchands et sa compagnie se rendirent dans leur maison de Grève, que l’on appelait la maison de la ville. A sa fenêtre, le prévôt parla à la foule assemblée et armée, leur dit que ce qui avait été fait l’avait été pour le bien du royaume et que ceux qui avaient été tués étaient faux, mauvais et traîtres. […] Le lendemain […] le prévôt [dénonce ceux] qui empêchent tous les bons conseils auprès de monseigneur le duc, [disant] qu’à cause d’eux la délivrance du roi de France avait été empêchée. [Sur le sujet de] la délivrance*** du roi avaient été assemblés l’Université, le clergé et la ville de Paris et tous ils s’étaient mis d’accord, [rejoints sur cette opinion par] les 44 membres du Conseil, mais les [traitres] avaient tout empêché. […] Le samedi, monseigneur le duc se rendit en la chambre du Parlement avec ceux de son conseil qui restaient. Le prévôt et d’autres, armés ou non, y réclamèrent que le duc valide et garde sans les modifier toutes les ordonnances qui avaient été faites par les trois Etats l’année précédente, et qu’il les laisse gouverner, comme autrefois ils faisaient. »

*L’année commençait en mars

** Il s’agit d’Etienne Marcel.

*** Les Etats généraux avaient été rassemblés pour discuter des modalités de collecte de l’énorme rançon due au roi anglais pour libérer Jean II et son fils Philippe. Ils profitent de la situation pour proposer un vaste plan de réformes visant à contrôler l’administration et les décisions royales.

 

Source : Chronique de Jean II le Bon et Charles V, ed Delachanal, SHF, t.1. Français modernisé.

 

Montrer qu’il s’agit d’une révolte politique :

1)      Relever les indices de l’aspect politique du soulèvement.

2)      Montrer en utilisant la présentation du contexte que le pouvoir royal est affaibli.

3)      Quelles sont les revendications des parisiens ?

4)      Comment et pourquoi obtiennent-ils satisfaction ?

Vous pouvez répondre aux questions 1 à 3 dans l'ordre qui vous semble le plus logique.

lundi 1 juin 2020

L'économie de l'Europe à la Renaissance

Une petite carte faite par mes soins, avec mes faibles moyens, mais j'en ai besoin pour le cours sur l'ouverture atlantique et je n'ai pas trouvé l'équivalent mieux fait.


Les lois scélérates

Fiche de lecture du livre de Raphaël Kempf, Ennemis d'Etat :  les lois scélérates des anarchistes aux terroristes, La fabrique, 2019

Une interview accessible à partir d'ici et une autre


R. Kempf n'est pas historien, mais avocat au  barreau de Paris. Aussi le décorticage auquel il se livre des indicateurs qui permettent de reconnaître une loi scélérate (partie 1), des mécanismes d'élaboration de ces nouvelles normes dans le contexte de la lutte contre les anarchistes à la fin du 19e siècle (partie 2) et des conditions historiques de leur application (partie 3) est particulièrement éclairante car reposant sur une approche certes contextualisées, mais relevant aussi et surtout de l'histoire du droit.
Le propos de l'auteur est de relever les similitudes avec les lois récentes (état d'urgence ...) nées des attentats de 2015 en France. Cependant, je ne retiens ici que ce qui concerne la présentation et l'analyse à proprement parler des lois scélérates, dans la perspective d'un éventuel travail avec les élèves pour le cours de 1ere intitulé "3 République, la mise en oeuvre du projet républicain".


Entre 1893 et  1894, plusieurs lois sont votées en France par le Parlement, prétendument pour faire face à une vague d’attentats anarchistes. Le lien entre professions de foi anarchistes et attentats tout comme celui entre ces nouvelles lois et l'efficacité de la lutte contre les attentats sont les premiers points approfondis par l'auteur. Tout d'abord, R. Kempf fait remarquer le procès de Lyon en 1883 fut une première tentative du gouvernement de brser le mouvement anarchiste au moyen du droit pénal et de la justice, alors même qu'il n'y avait pas alors d'attentats. Ce qui est reproché à l'époque, ce sont les opinions et  notamment la propagande révolutionnaire. Les anarchistes sont particulièrement visés car ils revendiquent une "propagande par le fait". Il s'agissait de promouvoir une action politique qui dépasse la simple propagande intellectuelle et qui ne s'interdise pas les moyens "illégaux" pouvant aller jusqu'à la reprise individuelle (le vol pour contester le droit de propriété privée) et la violence politique (l'attentat contre les institutions et leurs représentants)
Gautier  (inculpé anarchiste au procès de Lyon) :"[...] je ne crois pas que l'émancipation du prolétariat puisse s'accomplir autrement que par la force insurrectionnelle. C'est déplorable sans doute, mais c'est ainsi.En le constatant, je fais une simple observation de physiologie sociale. L'Histoire, en effet, est là pour nous apprendre que jamais les classes privilégiées -individus ou classes- n'ont volontairement abdiqué leurs privilèges et que jamais un ordre de choses n'a cédé sans combat la place à un nouveau régime. Il n'est guère probable que la bourgeoisie se montre plus accommodante que l'ancienne aristocratie dont elle a recueilli la succession. Au contraire. Rien que le procès actuel en est un témoignage significatif." (p.13)
Les prévenus (dont le célèbre Kropotkine) ont été condamnés (et à nouveau en appel) car le ministère public a réussi à convaincre que des discours dans les réunions publiques, l'abonnement à des journaux anarchistes les affiliaient à une organisation internationale (l'AIT, association internationale des travailleurs, 1ere Internationale) interdite en France depuis une loi de  mars 1872. On voit comment le raccourci opéré entre intention et acte, opinion et conjuration dès lors qu'une loi d'exception existait déjà (celle de 1872) a permis de condamner 70 hommes contre qui il n'y avait rien de concret à mobiliser. Le juriste Fabreguettes, chef du parquet général de Lyon à l'époque du procès en appel, en est réduit à dénoncer une "complicité intellectuelle" :
"Qui est le coupable, le vrai coupable ? c'est le journaliste, car c'est lui qui a conduit le bras, sans y avoir pensé, je le veux bien" (p.15)

Aussi, tout est prêt pour faire basculer la législation à l'occasion des attentats qui ont lieu quelques années plus tard : mars 1892, Ravachol fait exploser trois bombes contre les domiciles du président de la cour d'assise Benoit, de l'avocat général Bulot et contre une caserne, en réponse à un procès jugé inique contre des militants anarchistes arrêtés sans motif au café  en mai 1891.  Il fut exécuté en juillet 1893. En novembre 1892 puis en février 1894, Emile Henry revendique deux attentats anarchistes et finit lui aussi sur l'échafaud. En 1893, autre attentat à la bombe pleine de clous et surtout en décembre, l'anarchiste Vaillant lance un engin explosif dans la Chambre des députés en pleine séance, sans faire de victimes. La première des lois scélérates est votée deux jours plus tard, sans étude préalable. Vaillant est exécuté en février 1894.  En juin 1894, l'anarchiste Caserio tue le président de la République Sadi Carnot en montant sur sa calèche lors d'un déplacement public. Il est guillotiné en Août. Voilà pour les attentats les plus connus.

Entre 1893 et 1894, ce sont donc 3 (voire 4) lois d'exception, dites scélérates par les défenseurs des droits de l'Homme, qui sont votées dans la précipitation, mais non sans avoir été pensées et préparées par la période précédente. Leur texte est publié à la fin du livre. Il s'agit de la loi modifiant la loi de 1881 sur la Presse du 12 décembre 1893, de la loi ajoutant un crime d'association de malfaiteurs au code pénal, votée le 18 décembre de la même année, de la loi du 28 juillet 1894 "tendant à réprimer les Menées Anarchistes" et on pourrait rajouter une loi sur la possession d'explosifs tandis qu' une autre augmentait les crédits à la police. 4 de ces 5 lois sont votées en décembre 1893. 

Les 3 lois principales sont bien des lois d'exception car elles dérogent au règles  usuelles de droit de plusieurs manières : elles établissent une distinction entre le citoyen ("rien dans ces projets n'est une atteinte à la liberté des citoyens, à la liberté de ceux qui méritent ce titre" dira Casimir-Perier, président du Conseil et futur président de la République, lors des débats parlementaires) et un ennemi, en l’occurrence l'anarchiste tel qu'il est ciblé nommément par les lois ("nous avons la résolution de poursuivre seulement ceux qui se placent eux-mêmes hors de la société" -suite de la citation de Casimir-Perier-) et donc, parce qu'il est tel est placé hors du droit commun qui protège le citoyen. Elles sont des lois d'exception car elles punissent l'opinion, censée être le gage d'une intention criminelle, elle-même ouvrant potentiellement la porte, par un glissement hasardeux,  à l'acte criminel ou délictueux, qui en droit ordinaire est le seul susceptible d'être puni. Elles punissent également d'un nouveau délit, l'entente, mot volontairement vague et donc susceptible de toutes les interprétations, dont les cas judiciaires réels présentés dans le livre montrent qu'il a couvert des réunions non spécifiquement politiques (une beuverie dans un café, une réunion d'amis pour fêter un anniversaire, un simple échange de lettres dans le cadre privé ...) . Enfin, elles permettent la relégation en Nouvelle Calédonie à la suite de la peine de prison, double peine ici encore qui déroge aux règles démocratiques du droit .
Pour être des lois d'exception, elles ne sont pourtant pas réduites à des circonstances exceptionnelles car l'auteur démontre qu'elles sont toujours concaténées dans notre droit actuel, à l'exception de la loi de 1894 spécifiquement dirigée contre les "menées anarchistes" qui, elle, a été  abrogée en 1992.



La suite de l'ouvrage publie le texte des 3 lois, et les textes de la Revue blanche qui argumentent (brillamment) contre les lois. Parus en 1899, dans le contexte de l'Affaire Dreyfus, il s'agit d'une brochure de 62 pages qui se divisent en 3 parties : un argumentaire général de François de Pressensé, journaliste et futur président de la Ligue des droits de l'Homme, une présentation par Leon Blum (mais signée anonymement "un juriste") des conditions indignes dans lesquelles elles ont été adoptées par la représentation nationale et une collection d'exemples de leur application dans des cas judiciaires présentés par Emile Pouget, anarchiste et futur syndicaliste. Les auteurs sont présentés ainsi que les intentions et la ligne éditoriale de la Revue Blanche et le contexte de rédaction (le lien avec l'Affaire Dreyfus). Bref, il y a là une somme de textes d'époque et d'analyse qui peuvent facilement être utilisés pour une ou des études de cas très précise(s) et très instructive(s) pour les élèves sur la République bourgeoise et sa lutte contre les mouvements socialistes et anarchistes (tronc commun de Première), sur l’utilisation du  Droit et de la Loi en tant qu'instrument de l'arbitraire ou, au contraire, en tant que contre-pouvoir démocratique (SPE 1ere thème de la démocratie ou option de terminale DGEMC).



Une activité possible avec les élèves autour de ce thème, ici

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