Dans la série des thématiques des cours consacrés à la Démocratie en Première SPé HGGSP, il y a le danger de l'illibéralisme et les dérives internes aux régimes considérés comme démocratiques. J'ai cette année effectué avec les élèves une analyse de texte d'un discours de Joe Biden, pour approfondir la méthode de l'analyse critique de texte.
Voici le discours, largement caviardé pour permettre une analyse linéaire (mettre en évidence les thématiques, la structure interne du texte et sa logique, expliquer les allusions et les présupposés) dans une durée raisonnable (une séance de 2 H)
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JANVIER 2024 • L’ENTRÉE EN CAMPAGNE DE JOE BIDEN
L’élection américaine de 2024 a déjà commencé. Au centre de la campagne, il
y aura une question vertigineuse : de quel côté se situe la
démocratie ? Dans son premier discours fleuve, Joe Biden expose ce qui
sera le cœur de sa stratégie : face à Trump, il est le vrai défenseur de
l’Amérique et de la démocratie.. source : LE GRAND
CONTINENT
Présentation : Trois ans après
l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, Joe Biden a prononcé hier un discours
fleuve marquant l’ouverture de sa campagne de réélection non loin de Valley
Forge, en Pennsylvanie, haut-lieu de la guerre d’indépendance. C’est à cet
endroit précis que George Washington, au cours de l’hiver 1777-1778, décida de
stationner ses troupes, épuisées par la campagne, rongées par le froid, la
faim, la maladie. Quelques mois plus tôt, le Congrès fuyait Philadelphie, à
quelques dizaines de kilomètres, où fut signée la Déclaration d’Indépendance en
1776.
Cet exercice n’est pas anodin.
Alors que le mandat de Joe Biden présente un bilan économique globalement
favorable — ce qui, d’ordinaire, pourrait suffire à rallier la majorité des
électeurs —, les sondages semblent majoritairement indiquer, à dix mois des
élections, que Trump a le plus de chances de l’emporter. La majorité
républicaine de la Chambre contribue quant à elle à faire de l’immigration l’un
des principaux sujets qui détermineront la campagne, alors que la position de
Biden sur le sujet est largement critiquée par les électeurs républicains — et
de plus en plus dans les rangs des Démocrates. Les réussites du mandat de Biden
en matière d’infrastructures, de création d’emplois ou de transition
énergétique devraient quant à elles occuper une place secondaire pour une
grande partie d’électeurs.
Contrairement à ses précédents
discours des 6 janvier 2022 et 2023, Joe Biden a décidé cette année d’adopter
une posture beaucoup plus agressive vis-à-vis de Donald Trump. Ce dernier, qui
devrait certainement être investi par le Parti républicain, est présenté comme
le plus grand danger qui pèse sur l’essence même des États-Unis : la
démocratie, mentionnée à 27 reprises dans le discours. « Le choix est
clair. La campagne de Donald Trump est centrée sur lui, pas sur l’Amérique, pas
sur vous. La campagne de Donald Trump est obsédée par le passé, pas par
l’avenir. Il est prêt à sacrifier notre démocratie pour prendre le pouvoir. »
Après avoir auparavant mobilisé Abraham Lincoln
ou Franklin Delano Roosevelt, Biden a choisi de se rattacher à la figure de
George Washington pour lancer sa campagne présidentielle. Bien que peu apprécié
par les Démocrates, raviver la mémoire du premier président américain offre un
argument de choix pour s’attaquer à la candidature de Donald Trump. Tandis que
Washington annonça dans sa Farewell Address du 19 septembre 1796 ne pas briguer
un troisième mandat, Donald Trump encouragea la foule à entraver le transfert
pacifique du pouvoir le 6 janvier 2021, accomplissant ainsi ce contre quoi
George Washington mettait en garde lui-même 225 ans auparavant.
Biden à la tribune, janvier 2023 |
Le sujet de mon discours aujourd’hui est extrêmement sérieux, et c’est pour
cela qu’il doit être prononcé dès le début de cette campagne. Durant l’hiver
1777, l’armée continentale marchait vers Valley Forge dans un froid intense. Le
général George Washington savait qu’il était confronté à la tâche la plus ardue
qui soit : mener et gagner une guerre contre l’empire le plus puissant du monde
à l’époque. Sa mission était claire. La liberté, pas la conquête. La
liberté, pas la domination. L’indépendance nationale, pas la gloire
individuelle. L’Amérique a fait un vœu. Plus jamais nous ne nous inclinerions
devant un roi.
(…) Aujourd’hui, nous sommes ici pour répondre à la plus importante des
questions. La démocratie est-elle toujours la cause sacrée de l’Amérique ?
Je ne plaisante pas. Ce n’est pas une question rhétorique, académique ou
hypothétique. La question de savoir si la démocratie est toujours la cause
sacrée de l’Amérique est la question la plus urgente de notre époque, et c’est
l’enjeu de l’élection de 2024.
Le choix est clair. La campagne de Donald Trump est centrée sur lui, pas
sur l’Amérique, pas sur vous. La campagne de Donald Trump est obsédée par le
passé, pas par l’avenir. Il est prêt à sacrifier notre démocratie pour prendre
le pouvoir. (…) Il y a trois ans demain, nous avons vu de nos propres
yeux la foule violente prendre d’assaut le Capitole des États-Unis.
Lorsque vous avez allumé votre télévision et découvert ces images, vous avez eu
du mal à y croire. Pour la première fois de notre histoire, des insurgés
étaient venus empêcher le transfert pacifique du pouvoir en Amérique en brisant
des vitres, en fracassant des portes, en attaquant la police. (…) Plus de 140
policiers ont été blessés. Jill et moi avons assisté aux funérailles des
policiers décédés à la suite des événements de ce jour-là. C’est à cause des
mensonges de Donald Trump qu’ils sont morts ; parce que ces mensonges ont
poussé la foule vers Washington. Il avait promis que ce serait
« sauvage », et ça l’a été. Il a dit à la foule de « se battre
comme l’enfer », et l’enfer s’est déchaîné.
(…) La nation entière a regardé avec horreur. Le monde entier a regardé
avec incrédulité. Et Trump n’a rien fait. Les membres de son équipe, les
membres de sa famille, les dirigeants républicains qui étaient attaqués — à ce
moment précis — ont plaidé en sa faveur : « Agissez. Rappelez la
foule ». Imaginez s’il était sorti et avait dit
« Arrêtez ». Et pourtant, Trump n’a rien fait. C’est l’un des
pires manquements au devoir de la part d’un président dans l’histoire des
États-Unis : une tentative de renverser une élection libre et équitable par
la force et la violence.
Un nombre record de 81 millions de personnes ont voté pour ma candidature
et pour mettre fin à sa présidence. Trump a perdu le vote populaire de 7
millions de voix. Les affirmations de Trump concernant l’élection de 2020 n’ont
jamais pu être défendues devant un tribunal. Trump a perdu 60 affaires
judiciaires — 60. Trump a perdu les États contrôlés par les républicains. Trump
a perdu devant un juge nommé par Trump — puis devant d’autres juges. Et Trump a
perdu devant la Cour suprême des États-Unis. Il a perdu sur toute la ligne.
(…) M. Trump a épuisé toutes les voies légales à sa disposition pour
renverser l’élection. Mais la voie juridique n’a fait que ramener Trump à la
vérité, à savoir que j’avais gagné l’élection et qu’il était un perdant. Eh
bien, sachant comment son esprit fonctionne maintenant, il ne lui restait qu’un
acte — un acte désespéré — à sa disposition : la violence du 6
janvier. Depuis ce jour, plus de 1 200 personnes ont été inculpées pour
avoir attaqué le Capitole. Près de 900 d’entre elles ont été condamnées ou ont
plaidé coupable. Collectivement, à ce jour, elles ont été condamnées à plus de
840 ans de prison. Et qu’a fait Trump ? Au lieu de les appeler
« criminels », il a appelé ces insurgés « patriotes ». Ce
sont des « patriotes ». Et il a promis de les gracier s’il revenait
au pouvoir. (…) En essayant de réécrire les faits du 6 janvier, M.
Trump tente de voler l’histoire de la même manière qu’il a essayé de voler
l’élection.
Le 28 octobre 2022, le mari de l’ancienne speaker démocrate de la Chambre
des représentants, Nancy Pelosi, a été attaqué à son domicile par David DePape,
un extrémiste armé d’un marteau adepte de théories conspirationnistes qui
cherchait ce jour-là à enlever Nancy Pelosi. Cette attaque d’une violence rare
dirigée contre un homme âgé de 82 ans qui n’était alors qu’une « victime
collatérale » de DePape a fait l’objet de moqueries par Donald Trump lors
d’un meeting fin septembre. Après avoir demandé sur un ton sarcastique
« comment se portait le mari de Nancy Pelosi » devant un public
hilare, l’ancien président ajoutait : « elle s’oppose à la
construction d’un mur à notre frontière, alors qu’elle a un mur autour de sa
maison — qui n’a manifestement pas fait du très bon travail ».
L’attaque de Trump contre la démocratie ne fait pas seulement partie de son
passé. C’est ce qu’il promet pour l’avenir. Il est direct. Il ne cache pas son
jeu. (…) Il a ajouté qu’il serait un dictateur dès le premier jour. Il a appelé cela, et je cite, la « suppression
de toutes les règles, de tous les règlements et de tous les articles, même ceux
qui se trouvent dans la Constitution des États-Unis », si c’est sa
volonté. (…) Avec d’anciens collaborateurs, Trump prévoit d’invoquer
l’Insurrectionist Act — ce qu’il n’est pas autorisé à faire dans des
circonstances ordinaires —, qui lui permettrait de déployer des forces
militaires américaines dans les rues de l’Amérique. Il l’a dit.
Il qualifie de « vermine » ceux qui s’opposent à lui. Il parle du
sang des Américains comme étant empoisonné, reprenant le même langage que celui
utilisé dans l’Allemagne nazie. Les propos tenus par Trump le 11 novembre
dernier lors du Veterans Day, un jour férié commémorant les sacrifices des
anciens combattants américains, ont fait couler beaucoup d’encre dans les
journaux et diverses publications en raison de leur proximité avec les discours
tenus par Adolf Hitler ou Benito Mussolini. Devant des militants tenant des
affiches sur lesquelles était inscrit « la paix à travers la force »,
Donald Trump a comparé « les communistes, les marxistes, les fascistes et
les voyous de la gauche radicale » à des « vermines », avant
d’accuser les immigrants « d’empoisonner le sang de notre pays ». (…)
[…]. Lorsque l’attentat du 6 janvier s’est produit, la vérité n’a fait
aucun doute. À l’époque, même les membres républicains du Congrès et les
commentateurs de Fox News ont condamné publiquement et en privé l’attentat. Comme
l’a dit un sénateur républicain, « le comportement de Trump était
embarrassant et humiliant pour le pays ». Mais aujourd’hui, ce même
sénateur et ces mêmes personnes ont changé de discours. Au fil du temps, la
politique, la peur, l’argent sont intervenus. Et maintenant, ces voix de
partisans MAGA (make America great again) qui
connaissent la vérité sur Trump le 6 janvier ont abandonné la vérité et la
démocratie.
Le 6 janvier 2021 a longtemps conduit à penser qu’une partie importante des
dirigeants et des électeurs du Parti républicain allaient se détourner de
Donald Trump en raison du rôle joué par celui-ci lors de l’insurrection. Trois
ans jour pour jour après les faits, il apparaît que seule une minorité du GOP (Grand old
party = le parti républicain) a
emprunté ce chemin. Selon la recension du site FiveThirtyEight, 162 élus et
responsables républicains ont à ce jour publiquement annoncé leur soutien à
Donald Trump, contre seulement 18 pour Ron DeSantis (son adversaire
au sein du parti républicain).
Mercredi 3 janvier 2024, le chef de la majorité républicaine à la Chambre, Tom
Emmer, a annoncé qu’il voterait pour Donald Trump en 2024, tandis que ce
dernier le qualifiait quelques mois plus tôt de « Globalist RINO
[Republican In Name Only] » : un Républicain considéré déloyal envers
le Parti. Ils ont fait leur choix. Maintenant, le reste d’entre nous —
Démocrates, indépendants, Républicains traditionnels — doit faire son choix.
(…) Sans démocratie, aucun progrès n’est possible. Pensez-y. L’alternative
à la démocratie est la dictature — la règle d’un seul, pas la règle de
« Nous, le peuple ». C’est ce qu’avaient compris les soldats de
Valley Forge, c’est ce que nous devons également comprendre. Nous avons eu la
chance de bénéficier pendant si longtemps d’une démocratie forte et stable. Il
est facile d’oublier pourquoi tant de personnes avant nous ont risqué leur vie
pour renforcer la démocratie, et ce que serait notre vie sans elle.
La démocratie, c’est la liberté de dire ce que l’on pense, d’être qui l’on
est, d’être qui l’on veut être. La démocratie, c’est la possibilité d’apporter
des changements pacifiques. La démocratie, c’est la façon dont nous avons
ouvert les portes de l’opportunité de plus en plus largement à chaque
génération successive, et ce malgré nos erreurs. Mais si la démocratie
disparaît, nous perdrons cette liberté. Nous perdrons le pouvoir de
« nous, le peuple » de façonner notre destin.
Si vous doutez de moi, regardez autour de vous. Voyagez avec moi lors de
mes rencontres avec d’autres chefs d’État dans le monde entier. Regardez les
dirigeants autoritaires et les dictateurs que Trump dit admirer — il dit tout
haut qu’il les admire. Je ne vais pas tous les citer. Ce serait trop long. (…) Et
regardez ce que ces autocrates font pour limiter la liberté dans leurs pays.
Ils limitent la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de
réunion, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTQ, les gens vont
en prison…
(…) Il ne peut y avoir de compétition si l’on considère la politique comme
une guerre totale plutôt que comme un moyen pacifique de résoudre nos
différends. La guerre totale, c’est ce que veut Trump.
C’est
pourquoi il ne comprend pas la vérité la plus fondamentale sur ce pays. Contrairement
à d’autres nations sur Terre, l’Amérique n’est pas fondée sur l’ethnicité, la
religion ou la géographie. Nous sommes la seule nation dans l’histoire du monde
construite sur une idée : « Nous tenons ces vérités pour évidentes,
que tous les hommes et toutes les femmes sont créés égaux ». C’est une
idée énoncée dans la Déclaration, créée de manière à ce que nous considérions
que tout le monde est égal et doit être traité de la même manière tout au long
de sa vie.
Nous n’avons jamais été à la hauteur de cette idée. Nous avons encore un
long chemin à parcourir. Mais nous n’avons jamais renoncé à cette idée. Nous ne
l’avons jamais abandonnée auparavant. Je vous promets que je ne laisserai pas
Donald Trump et les Républicains MAGA nous forcer à nous éloigner maintenant.
(…) Permettez-moi de conclure par ceci. […] En Amérique, les vrais
dirigeants — les dirigeants démocratiques — ne s’accrochent pas au pouvoir sans
relâche. Nos dirigeants rendent le pouvoir au peuple. Et ils le font de leur
plein gré, car c’est ainsi que les choses se passent. (…) je refuse de croire
qu’en 2024, les Américains choisiront de renoncer à ce qui a fait d’eux la plus
grande nation de l’histoire du monde : la liberté. La démocratie est
toujours une cause sacrée. Et aucun pays au monde n’est mieux placé que
l’Amérique pour mener le monde. (…) Que
Dieu vous bénisse tous. Et que Dieu protège nos troupes.
Je vous remercie.