jeudi 14 novembre 2019

La conscience politique de Geoffroy de Lagasnerie

Fiche de lecture du livre de Geoffroy de Lagasnerie , La conscience politique, Fayard, 2019.




La thèse principale : "penser politiquement semble impliquer penser par fiction".
Par exemple, quand Hobbes, fondateur de la pensée politique moderne (Leviathan) mentionne deux modes possibles de constitution de la République, la République d'institution dans laquelle des individus rassemblés réaliseraient un accord pour instituer un/des représentant(s) légitime(s) et la République d'acquisition où le pouvoir s'impose par la force, et qu'il affirme que, sous ces deux formes, c'est la même passion de peur qui anime les individus, il interprète notre relation à la politique selon des catégories qui ne correspondent pas à la réalité. Ces deux formes d'entrée dans l'Etat sont en réalité des fictions. Le choix que Hobbes évoque n'existe pas. Nous n'avons jamais le choix. Il n'est pas vrai qu'il y a une alternative à l'appartenance politique. Le fait d'être placé sous la soumission d'un pouvoir qui se donne le droit de disposer de soi nous est imposé à la naissance. Donc la question de l'Etat est la question d'une appartenance obligatoire. Il n'y a pas de contrat, même conclu par peur. Lorsque Hobbes place le consentement au fondement de l'appartenance politique alors qu'il s'agit peut-être de l'un des rares domaine où nous n'avons jamais consenti à rien, lorsque nous disons, selon une logique identique, que la démocratie est fondée sur le principe de la souveraineté populaire, que la souveraineté est transférée à travers le vote, que le peuple s'autoconstitue comme peuple à travers le rassemblement, que la Révolution est un moment de retrait de la souveraineté populaire des institutions étatiques, qu'une assemblée constituante est une institution où le peuple se dote de règles communes ou encore que le droit se construit à partir d'un processus de délibération rationnelle, que fait-on si ce n'est doter les phénomènes politiques et les formes de l'action politique d'une sorte de vie psychique et magique ? A quelle réalité renvoie la formule selon laquelle "le pouvoir réside dans le peuple" ?.
La volonté du peuple n'existe pas et représente une expression dénuée de signification.  L'idée d'une puissance souveraine du peuple institué en corps (Montesquieu) est rendue inopérante par les processus électoraux qui ont pour conséquence de rendre la démocratie indistincte de l'aristocratie : les votants sont en effet toujours une minorité . De plus, la volonté de la majorité peut être aussi tyrannique et oppressive qu'une caste, en ne permettant pas à la minorité de s'exprimer ou de peser, à leur mesure, sur les décisions. Tout au plus pourrait-on dire , pour différencier la démocratie de l'aristocratie, que sous un régime aristocratique, la minorité qui gouverne est fixée une fois pour toutes, tandis qu dans une démocratie, la minorité qui a triomphé aujourd'hui peut être battue demain et remplacée par une autre. Encore que la réalité nous enseigne que la différence entre les deux est minime. Un peu plus tard dans son livre, GdL fait quelques pages sur le vote est l'instrument par lequel un groupe impose sa volonté à un autre. C'est une action qui consiste non pas à sélectionner une Loi d'une rationalité et d'un fondement plus hauts, (les conceptions politiques les plus raisonnables cf Rawls, Théorie de la Justice) mais tout simplement c'est l'action d'imposer à tous, en s'appuyant sur la force de contrainte de l'Etat, la volonté d'un groupe. Autrement dit, voter est un moment de guerre sociale. Il faut donc restituer qui vote au détriment de qui, quel rapport social se reproduit, quel groupe est parvenu à se mobiliser pour étatiser va volonté, quel groupe se sert du vote dans quel but.  Par ailleurs, et c'est le deuxième argument, il n'y a pas d'expérience spontanée ou propre, ce que les individus peuvent éprouver comme "leur" expérience n'est souvent rien d'autre que la façon dont le pouvoir nous inculque un certain nombre de manières de réagir à ce qui nous arrive. Dans les sociétés capitalistes, la manière de conduire les individus à occuper la place qui leur est assignée ne se déploie pas avec une brutalité apparente et assumée. Des processus de dénégation sont à l'oeuvre. le rapport à l'ordre passe par tout un ensemble de médiations, notamment culturelles et scolaires. La culture, l'école, la religion, l'éducation créent les "formes esthétiques du respect de l'ordre établi" et les individus adoptent leur position assignée dans l'ordre social sans avoir besoin du contact direct avec les forces de l'ordre - ils y vont presque par eux-mêmes.
Dès lors, si les critiques du système existant, c'est-à-dire essentiellement les critiques du néolibéralisme, reprennent les fictions du citoyen délibérant, de l'égale participation à la délibération publique, de la souveraineté populaire, de quelle valeur et efficacité est cette critique ? (cf Wendy Brown, Défaire le démos, Paris/Amsterdam, 2018). Par exemple, dans le cas, populaire dans les milieux de l'extrême gauche (voir le Comité Invisible) de la pensée de Giorgio Agamben : Dans L'usage des corps, Agamben en appelle à une nouvelle forme d'action politique qu'il nomme "destituante". Il affirme que l'action politique a été largement pensée et pratiquée sur le mode du pouvoir constituant (Agir politiquement, c'est instituer un pouvoir). Mais la force constituante de l'action sera capturée par le pouvoir qu'elle va constituer pour que lui soit ôtée la possibilité de s'en retirer ou de le défaire pour constituer autre chose, d'où le recours aux révolutions. Agamben appelle à l'élaboration d'une action qui se déploierait sous la forme d'une puissance destituante, là où la révolution nous enferme dans des cycles de capture (retrait/reconstitution). C'est pourquoi, au jeu habituel de la politique, Agamben oppose la figure du désœuvrement, du dépôt, du blocage...Or, pour G. de Lagasnerie, ce projet réélabore en fait des schèmes classiques selon lesquels il suffirait que nous retirions notre consentement pour destituer, ce qui au fond est une reformulation des théories du contrat social et comme si , réellement, c'était la souveraineté populaire qui instituait un régime et qu'il suffisait donc de se retirer pour destituer. Pour l'auteur, la pensée d'Agamben donne des allures subversives à des formes de pensée conservatrices, en faisant passer pour radicales les formes bourgeoises du rapport au monde.

Tout se passe comme si une sorte de magie était à l'oeuvre dans le monde et que, lorsque "la politique" apparaît, le "social" disparaît. Comme si, à ce moment-là, tout changeait : nous ne serions plus des individus dotés de caractéristiques sociales et animés par des intérêts, mais des citoyens ou des êtres raisonnables au sein du peuple ; le langage ne serait plus un outil inscrit dans le jeu de la domination, mais un instrument de la discussion ; les rapports interhumains  ne seraient plus des rapports de force et de guerre mais soudainement des rapports interindividuels de discussion et de délibération. Mais pourquoi nos rapports à l'Etat et à la Loi seraient-ils d'une nature différente que nos rapports aux autres institutions de la vie sociale ? Pourquoi les relations de pouvoir qui se constituent dans et à travers l'Etat ressortiraient-elles d'une autre économie que les autres relations de pouvoir ? Il est beaucoup plus convainquant de penser que les institutions politiques sont inscrites dans les dispositifs de la vie et immergés dans les rapports sociaux et qu'il faut donc les nommer et les penser à travers un langage ordinaire d'observation. La théorie politique est une sous-partie de la théorie du pouvoir et des interactions sociales. En cela, l'auteur s'oppose à ceux (Laclau, La raison populiste) qui  pensent que le politique serait cette activité où, précisément, quelque chose "totaliserait", "rassemblerait" ce qui existe à l'état dispersé dans le champ social. La démocratie supposerait l'existence d'un sujet politique qui se situe au-delà des sujets sociaux et ce sujet politique, ce serait le peuple. Construire une théorie politique , ce serait construire une théorie du peuple. Donc, même si nous ne sommes pas des citoyens qui formeraient une communauté ou un corps politique, il serait néanmoins inéluctable d'invoquer ces concepts. La philosophie politique devient donc chez Laclau et chez d'autres une méditation sur des entités qui n'existent pas, qu'il appelle des "signifiants vides". Mais pourquoi faudrait-il que nous nous identifiions comme citoyen au-delà de nos appartenances sociales, en  dépassant nos demandes singulières pour nous subjectiver comme citoyen au niveau  d'une communauté politique ? Cette conception se fonde sur un acte paradoxal de dépolitisation des luttes concrètes et des identités sociales, telles qu'elles émergent dans la réalité. Pour GdL, la politique ne consiste pas à devenir autre chose que ce qu'on est au sein d'une entité plus générale. Mais accepter une telle définition demande d'assumer le chaos et la complexité dans laquelle nous vivons et de forger un concept de politique immanent à ce qui apparaît dans le champ social, c'est-à-dire de réduire le concept de politique à ceux de pouvoir et de contre-pouvoir.

Qu'est-ce que le peuple ? Qui le représente (s'il existe) ? Judith Butler, dans Nous, le peuple (Paris, 2016) réfléchit sur ce point à partir de l'invocation souvent utilisée dans les mouvements sociaux et politiques de constituer l'incarnation du peuple. Consciente que le peuple ne pre-existe pas et qu'il existe de plus toujours un écart entre le "nous" invoqué" et le "nous" constitué par et à travers le rassemblement, elle cherche néanmoins à caractériser ce qui advient comme peuple lors de ces rassemblement (puisqu'elle ne remet pas en cause la notion de peuple  et le concept de souveraineté populaire). Pour elle, même si les élections sont un moment de transfert de la souveraineté populaire à des représentants, ce transfert reste partiel puisque le principe de souveraineté reste entre les mains du peuple, qui peut la faire jouer contre ses gouvernements élus : "la signification de la souveraineté populaire n'est jamais totalement épuisée par l'acte de voter". Or, ce serait précisément quand ces rassemblements se constituent en "nous, le peuple" et donc que , par définition, ils contiennent la souveraineté populaire, qu'ils remettent en cause l'Etat et les normes que celui-ci impose dans le contrôle public des corps rassemblés (le Parlement...). Sa théorie politique consiste donc à mettre en question ces normes de contrôle et de régulation qui permettent, mal, aux démocraties d'éviter que des formes de souveraineté populaires dépassent, excèdent les formes parlementaires qu'elles fondent et qu'elles instituent. Il est évidemment important de réfléchir sur les modalités contemporaines de contrôle et de limitation de la manifestation et de l'occupation de l'espace public, mais qu'elles que soient les formes, il est significatif de constater que jamais celles et ceux qui manifestent ne sont autre chose qu'une petite minorité de la population. Jamais "le peuple" n'est présent dans ces rassemblements qui disent "nous, le peuple". Partout où se produisent des épisodes révolutionnaires, à part les quelques endroits où se déroulent les mouvements, le reste du pays est calme et la vie continue. Par conséquent, les plus nombreux vivent un rapport à la politique qui se distingue totalement de celui que vivent ceux et celles qui sont entrain de tente de conquérir l'appareil d'Etat ou d'éviter de s'en faire expulser et sur lesquels se focalisent l'attention. Quelle est la vie politique des "voix absentes" (Didier Eribon), de la "majorité silencieuse" ? La captation des faits qui se livrent à nous comme "politiques", à l'aide de catégories dites "politiques" conduit à doter d'une réalité homogène ce qui en fait ne relève que de l'action de groupes particuliers. Par des effets de performativité  c'est-à-dire par le fait de déclarer au nom d'un peuple qui n'existe pas quelque chose et par conséquent de faire advenir, justement par la déclaration, et le peuple et la chose déclarée, on reconnaît aux institutions, aux autorités, aux mouvements organisés cet étrange pouvoir de créer ce qu'ils disent créer. Toute théorie de la performativité est une sorte de légitimisme, même s'il s'agit de reconnaître une légitimité "après coup". Bourdieu qui réfléchit sur le langage performatif dans le champ social, sur la question des groupes, de l'identité et de leur représentation reconnait l'existence et l'efficacité des discours performatifs et parfois en parle comme d'une usurpation, par exemple à propos du phénomène du porte-parolat.

Bilan 1re partie : "Quand nous sommes 300 à nous rassembler devant l'Assemblée nationale en chantant "nous le peuple", nous ne sommes pas le peuple en train de contester les institutions en faisant apparaître une expression dissidente de la "souveraineté populaire". Nous sommes 300 qui nous mobilisons en tant qu'acteurs socialement situés, même si nous le disons autrement. Mais de la même manière, celles et ceux contre qui nous manifestons ne sont pas les "représentants du peuple", au sein d'une institution dont la légitimité proviendrait du transfert de souveraineté accompli au moment du vote. Ils sont 200, peut-être moins, gouvernants eux aussi socialement situés, mais qui sont en position de nous imposer leur volonté en l'appelant Loi. 300 contre 200 : telle est la vérité du rapport  politique. Rien de plus. Ce n'est pas la "République" contre le "peuple". Ces mots sont des abstractions qui ne renvoie pas à un rapport social concret."

La deuxième partie du livre est donc le complément de la première partie qui a cherché à déconstruire les catégories politiques ordinaires et leur vocabulaire. Il s'agit de produire une description "juste" , parce que réaliste, basée sur les concepts de la sociologie, de la réalité politique actuelle.

On vote, mais on ne décide de rien.  "La personnalité de l'Etat est une pure fiction, il n'y a que les organes, c'est-à-dire des individus qui imposent aux autres individus leur volonté, et cela sous la sanction de la contrainte matérielle" (Léon Duguit, l'Etat, le droit objectif et la loi positive) L'Etat, ce sont les gouvernants investis du pouvoir de fait ; ils ne sont pas les dépositaires de ces abstractions que sont la volonté générale, la conscience collective ou la raison de la Loi. L'Etat est un appareil dont des volontés particulières se servent pour s'imposer. Cependant, substituer le concept de gouvernants à celui de l'Etat ne veut pas dire renoncer à une approche sociologique. Les gouvernants sont des individus, par définition porteur d'une éthique, d'un habitus, d'intérêts propres à leur appartenance sociale, en sorte que c'est bien une logique sociale qui est à l'oeuvre dans leur pratique politique. Il en résulte que l'Etat est une entité contradictoire, animé par des logiques hétérogènes. Ensuite, GdL contre-argumente la pensée qu'il y aurait des contraintes argumentatives spécifiques à la sphère du droit, qui s'imposeraient aux acteurs malgré et au-delà de leurs inclinations individuelles et qui feraient que l'on commettrait une erreur à vouloir réduire la Loi à la volonté des gouvernants qui les énoncent et veulent les imposer (c'est une thèse de Bourdieu, entre autres). Pour l'auteur, une telle autonomie des champs juridiques n'existe pas plus qu'ailleurs, et imaginer une situation dans laquelle l'existence d'intérêts particuliers n'est pas antagoniste avec la recherche et la production collective de l'universel est un leurre. Même si affirmer que la Loi est de la volonté étatisée ne signifie pas ramener brutalement les pratiques étatiques aux intérêts directs de celles et ceux qui l'écrivent, puisque ceux-ci le font aussi souvent au nom d'une certaine idée de l'universel. Mais précisément, cette idée de l'universel reste personnelle, individuelle, sous une multitude d'influences spécifiques et particulières. La méthode réductionniste que propose l'auteur pour caractériser l'action politique consiste à prendre en compte systématiquement la multitude des formes que peut prendre l'ancrage individuel et décisionnel des actes étatiques qui sont parfois pris au nom de l'Etat, mais d'une idée singulière et non partagée. (cf sa de-contruction de l'idée de peuple)
Dès lors, la Loi dont un lieu commun est de dire qu'elle existe en démocratie pour protéger nos libertés individuelles, voire normaliser nos comportements devient, dans la logique de l'auteur, un système qui donne du pouvoir à la police et au procureur pour choisir à qui elle va s'en prendre, quels groupes d'individus pour quels types de délit. On connaît l'engagement de GdL aux côtés du Comité Adama. Nul doute qu'il y pense à ce moment de son livre, même s'il n'y fait pas directement référence. Bref, en résumé, pour lui, ce qu'on appelle un "Etat de droit" n'abolit pas l'arbitraire mais  transfère l'arbitraire du souverain au couple parquet-police.

Par ailleurs, Lagasnerie redéfinit la politique, non pas comme la constitution d'un corps politique qui est en fait, toujours déjà constitué et qui s'impose à tous, mais comme le moment de l'affrontement entre la volonté de quelqu'un et ce que dit la Loi. S'il n'y a pas d'écart, la question politique est gommée, il n'y a plus rien à dire, plus rien à analyser, plus rien à fonder puisque chacun se gouverne comme le veut la Loi. "L'expérience politique, dit l'auteur, ce n'est pas le moment où je contracte, c'est le moment où je me fais arrêter, c'est le fait d'être toujours arrêtable." La réalité de la politique se révèle dans la scène de la confrontation. Dans cette confrontation, il suggère pour l'individu/sujet/citoyen qui s'oppose une attitude de retrait et non pas de désobéissance civile, car celle-ci présuppose l’adhésion à l'ordre juridique et la reconnaissance de celui-ci dans ses prétentions.De façon sans doute provocatrice, il affirme "Pour moi, le rapport que j'entretiens avec ce qui est devenu la Loi française est identique au rapport que j'entretiens avec mon voisin. C'est par hasard que nous nous retrouvons face à face. Et quand nous sommes en désaccord, je l'affronte, et je ne lui reconnais pas une prétention à me gouverner et même à me concerner". Il revendique pour lui-même, et semble t-il, pour tous, l'idée que la Loi est coloniale, comme les Black Panthers qui, sur la base d'une analyse du fonctionnement des lois américaines, en concluait qu'ils étaient soumis à un Etat qui n'était pas le leur.Se définir comme une colonie, c'est sortir de l'espace d'application de la Loi. Les analyses des Blacks Panthers ne seraient pas une théorie parmi d'autres, valables pour un groupe socio-racial particulier, mais une expression de la conscience politique, importante parce qu'elle rompt avec la conception abstraite de l'individu et du peuple en démocratie. Fondamentalement, par expérience, être un citoyen, c'est être un sujet "occupé", au sens d'un individu soumis à des lois "occupantes", forces étrangères qui organisent le monde dans lequel il se trouve. Dès lors, désobéir ne suffit pas, car c'est encore dire à la Loi qu'on lui appartient, comme si l'obéissance aux lois était naturelle, mais il faudrait s'en rendre étranger.
Mais cela ne signifie pas que nos vies se déroulent sur le mode exclusif de l'affrontement conscient et explicite. A rebours de toute pensée contractualiste, laquelle présuppose, quelle que soit la théorie politique bâtie ensuite, qu'à la base de toute relation entre l'Etat et le sujet, il y a un consentement, GdL insiste sur le sujet politique comme "spectateur". Ceux qui n"ont jamais consenti à rien et n'ont jamais rien dit sont les majoritaires. La relation à la politique prend plus souvent la forme d'un rapport d'extériorité et de passivité que celle de l'activité et de la co-construction.
Et de conclure " au fond, quand on remet en cause des concepts totalisants comme ceux de peuple, de loi, et que l'on renonce à tout fantasme d'autogouvernement, on se rend compte que c'est bien la valeur du mot "démocratie" que nous devons interroger".

Les derniers chapitres sont consacrés à la question de la violence. Ici encore, GdL déconstruit la notion au coeur de la science politique du monopole de la violence légitime par l'Etat. L'idée classique de l'Etat est que celui -ci ne peut être taxé de violent puisqu'il respecte les procédures et réglementations qui le fondent et qu'il édicte. La violence serai ce qui relève du secteur "privé", de l'arbitraire ; en revanche, on ne code pas comme violent ce qui est légal. Or, l'idée de violence légitime relève d'une impossibilité logique car il n'y a pas nécessairement reconnaissance de la part de ceux qui sont soumis à la Loi de la légitimité de celle-ci. Dans son texte sur 'les trois types de la domination légitime", Max Weber affirme qu'il est nécessaire de recourir au concept de légitimité parce que l'explication du respect de la Loi par la coutume (l'incorporation des structures sociales et l'inertie des habitus) et le jeu des avantages et des inconvénients (l'anticipation de la répression) lui paraît insuffisante. Un ordre politique serait instable s'il n'était considéré comme légitime par ceux qui y sont soumis. Tout ordre de domination serait lié donc à un système de légitimation et Weber place au coeur de la question politique la question des modes de légitimation de l'autorité. En général, le mode de légitimation est purement quantitatif, c'est l'argument de la majorité. Cependant, il faudrait par honnêteté admettre que l'espace culturel et politique est par nature violent puisqu'il s'impose à la minorité/ aux minorités. Toute réflexion  sur la politique doit commencer non pas par une interrogation sur les fins et les finalités des institutions, mais sur les moyens. La question fondamentale est "jusqu'où" ? Jusqu'où un groupe majoritaire est prêt à aller pour imposer sa volonté, sachant qu'aucune procédure ne pourra éradiquer l'extériorité du sujet à la Loi. La conscience politique conduit à placer la question de la police, du système pénal, de la contrainte au centre de toute analyse de la pratique.

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