Fiche de lecture Axe 1 du thème sur "Religion et Etat", 1ere partie du cours : la foi, entre liberté et dogme.
Référence : Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers, 1976 (Flammarion, Champs Histoire). Le livre est sous-titré "l'univers d'un meunier du XVIe siècle".
Remarque : la publication du livre de C. Ginzburg constitue un moment important de l'historiographie. Par ce livre, C. Ginzburg inaugure une méthode et une "école", celle de la micro-histoire, qui vise à comprendre, à partir d'une histoire individuelle et située, au plus près des indices laissés dans les sources, à reconstituer par l'enquête les modes de vie et de pensée , en général des plus humbles. Loin des abstractions sociologiques ou quantitatives, il s'agit de rendre compte d'expériences de vie irréductibles et pourtant jugées symptomatiques de faits plus larges (tel groupe social, tel mouvement culturel...) ce qu’Edoardo Grendi va désigner de l’oxymore « exceptionnel normal »,
C'est en fait de l'histoire "par le bas".
Argument :
Menocchio est ce meunier frioulan jugé deux fois par l'Inquisition en 1583 et 1599 dans le diocèse de Concordia. Au sein de sa petite et pauvre communauté villageoise, il se détache car il a appris à lire, et ses lectures le font beaucoup réfléchir sur les choses de la foi et de l'Eglise. Il semble aussi que ses réflexions soient aussi le fruit d'un violent désir de revanche sociale et d'une frustration liée à sa condition. "Grande gueule", comme on dirait maintenant, il tente d'imposer ses interprétations du monde, tant religieuses que sociales, et parle abondamment et très librement, imprudemment. Si sa communauté semble l'avoir toute sa vie protégé de lui-même et lui avoir attribué quelque position d'autorité , il n'a pas de disciple : quand il est dénoncé (par le curé de la paroisse ?), personne n'ose se revendiquer d'un enseignement de Menocchio. D'ailleurs lui -même, devant ses juges, évoque des propos ici et là, des opinions dont il est assez fier et qu'il ne cherche pas à travestir ou minimiser, mais sans jamais impliquer d'autres habitants de sa paroisse.
Pourquoi s'intéresser au cas de Menocchio ?
D'abord parce que c'est un livre très bien écrit, facile donc à lire et qui se présente comme une enquête. En rendant visible sa démarche, C. Ginzburg fait également un travail pédagogique : en lisant le fromage et les vers, vous comprendrez comment travaille un historien et ce que c'est que la recherche de la vérité historique.
Ensuite parce que les thèmes de réflexion ouverts par l'histoire de Menocchio sont très intéressants et somme toute rarement abordés dans l'Histoire scolaire :
A travers le procès, émerge un "texte caché" de la culture populaire, caché par nécessité de par la sourde lutte des classes et perdu par les textes tout comme l'iconographie qui ne rendent justice "que" aux puissants. Comme l'écrit C. Ginzburg dans son avant-propos de 1976 : "L’impressionnante convergence entre les positions d’un obscur meunier frioulan et celles des groupes intellectuels les plus raffinés et les plus conscients de son temps repose avec force le problème de la circulation culturelle formulé par Bakhtine [...]", et dans le "chapitre 61 "le cas limite de Menocchio repose avec force un problème dont on commence seulement maintenant à saisir toute la portée : celui des racines populaires d’une grande partie de la haute culture européenne, médiévale et postmédiévale. Des figures comme celles de Rabelais ou de Bruegel ne furent probablement pas de splendides exceptions. Toutefois, ils ont clos un âge caractérisé par la présence d’échanges souterrains féconds, dans les deux sens, entre la haute culture et la culture populaire. La période suivante fut, au contraire, marquée soit par une distinction toujours plus rigide entre culture des classes dominantes et culture artisanale et paysanne, soit par l’endoctrinement à sens unique des classes populaires. Nous pouvons placer la césure chronologique qui sépare ces deux périodes pendant la seconde moitié du XVIe siècle : elle coïncide de façon significative avec le renforcement des différences sociales sous l’impulsion de la révolution des prix. Mais la crise décisive avait eu lieu quelques décennies plus tôt, avec la guerre des paysans et le règne des anabaptistes de Münster. Les classes dominantes virent alors se poser de façon dramatique l’exigence de récupérer, même sur le terrain idéologique, les masses populaires qui menaçaient de se soustraire à toute forme de contrôle venu d’en haut – tout en maintenant et même en exaspérant les distances sociales. Cet effort renouvelé d’hégémonie prit différentes formes dans les diverses parties de l’Europe : mais l’évangélisation des campagnes par les jésuites et l’organisation religieuse capillaire, sur des bases familiales, réalisée par les Églises protestantes, peuvent être ramenées à une seule et même orientation. À celle-ci correspondirent, sur le plan de la répression, l’intensification des procès de sorcellerie et le contrôle sévère des groupes marginaux, tels les vagabonds et les gitans. C’est sur ce fond de répression et d’effacement de la culture populaire que se situe le cas de Menocchio."
Enfin, très concrètement dans le cadre du cours, une lecture partielle et le survol de la table des matières peut vous permettre d'apprendre ce qu'était un procès pour hérésie, comment il s'organisait, ce qui était considéré comme hérétique et en quoi des éléments de croyance populaire (encore que Menocchio s'est forgé sa croyance personnelle) venaient régulièrement s'entrechoquer avec un dogme souvent incompréhensible et utilisé comme instrument de domination.
Quelques extraits...
...dans le chap 1 :
"Le 28 septembre 1583, Menocchio fut dénoncé au Saint-Office. Il était accusé d’avoir prononcé des paroles « hérétiques et très impies » sur le Christ. Il ne s’agissait pas d’un blasphème occasionnel : Menocchio avait bel et bien tenté de diffuser ses opinions, arguments à l’appui (« praedicare et dogmatizare non erubescit »). Ce qui aggravait tout de suite sa position. Ces tentatives de prosélytisme furent amplement confirmées par l’enquête qui s’ouvrit un mois plus tard à Portogruaro, pour continuer ensuite à Concordia et à Montereale même. « Il est toujours en désaccord avec quelqu’un sur la foi par goût de discuter, et même avec le curé», rapporta Francesco Fassetta au vicaire général. Et un autre témoin, Domenico Melchiori : « Il aime à discuter avec les uns et les autres, et comme il voulait discuter avec moi je lui ai dit : “Je suis cordonnier et toi meunier, et tu n’es pas un savant, à quoi bon discuter de ça ?” » Les choses de la foi sont profondes et difficiles, hors de portée des meuniers et des cordonniers ; pour en parler il faut un savoir, et les dépositaires du savoir sont avant tout les clercs. Mais Menocchio disait ne pas croire que le Saint-Esprit gouvernât l’Église, et il ajoutait : « Les prêtres nous tiennent en leur soumission, et s’arrangent pour nous faire rester tranquilles mais ils se donnent du bon temps » ; quant à lui, « il connaissait Dieu bien mieux qu’eux ». Et quand le piévan l’avait conduit à Concordia, chez le vicaire général, pour éclaircir ses idées, en lui disant « toutes tes fantaisies sont des hérésies », il avait promis de ne plus se mêler à ces histoires, mais avait recommencé aussitôt après. Sur la place, à l’auberge, lorsqu’il va à Grizzo ou Daviano, ou qu’il revient de la montagne : « Il a coutume, avec tous ceux avec qui il parle, dit Giuliano Stefanut, de lancer la discussion sur les choses de Dieu, et d’y entremêler toujours quelque bribe d’hérésie ; et ainsi il discute et crie pour défendre son opinion. »
...du chap 2 :
"Ensuite il avançait d’étranges affirmations, que les autres villageois rapportèrent au vicaire général de manière plus ou moins fragmentaire et décousue. Par exemple : « L’air est Dieu … la terre est notre mère » ; « Qu’imaginez-vous que soit Dieu ? Dieu n’est rien d’autre qu’un léger souffle, et ceci pour autant que l’homme se l’imagine » ; « Tout ce qui se voit est Dieu, et nous sommes des dieux » ; « Le ciel, la terre, la mer, l’air, les abîmes et l’enfer, tout est Dieu » ; « Croyez-vous donc que Jésus-Christ soit né de la Vierge Marie ? Ce n’est pas possible qu’elle l’ait mis au monde et qu’elle soit restée vierge : peut-être bien a-t-il été un homme de bien, ou l’enfant d’un homme de bien ». Enfin, on disait qu’il avait des livres interdits, en particulier la Bible en langue vulgaire : « Il est toujours en train de discuter avec tel ou tel, il a la Bible en vulgaire et s’imagine s’appuyer sur elle, et il s’obstine dans ses raisonnements.»
...du chap 3 :
"Quant au contenu hétérodoxe de ce genre de prédication, aucun doute n’était possible, surtout quand Menocchio exposa sa très singulière cosmogonie dont un écho confus était parvenu au Saint-Office : « J’ai dit que, à ce que je pensais et croyais, tout était chaos, c’est-à-dire terre, air, eau et feu tout ensemble ; et que ce volume peu à peu fit une masse, comme se fait le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges ; et la très sainte majesté voulut que ce fussent Dieu et les anges ; au nombre de ces anges, il y avait aussi Dieu, créé lui aussi de cette masse en ce même temps, et il fut fait seigneur avec quatre capitaines, Lucifer, Michel, Gabriel et Raphaël. Ce Lucifer voulut se faire seigneur à l’image du roi, qui était la majesté de Dieu, et, à cause de sa superbe, Dieu commanda qu’il fût chassé du ciel avec toute sa suite et toute sa compagnie ; et ce Dieu fit ensuite Adam et Ève, et le peuple en grande foule pour occuper les sièges des anges ainsi chassés. Mais comme cette foule n’obéissait pas aux commandements de Dieu, celui-ci envoya son fils qui fut pris par les juifs et crucifié. » Et il ajoutait : « Je n’ai jamais dit qu’il s’est fait pendre comme une bête » (c’était une des accusations portées contre lui ; par la suite il admit que si, peut-être, il pouvait avoir dit quelque chose de ce genre ). « J’ai bien dit qu’il se laissa crucifier et que celui qui fut crucifié était un des enfants de Dieu, parce que nous sommes tous des enfants de Dieu, et de la même nature que celui qui fut crucifié ; c’était un homme comme nous autres, mais de plus grande dignité, comme, pour ainsi dire, aujourd’hui le pape, qui est un homme comme nous, mais plus digne par ce qu’il peut faire ; et celui qui fut crucifié est né de saint Joseph et de la Vierge Marie. »
...du chap 6 :
"Il commença par dénoncer l’oppression qu’exerçaient les riches sur les pauvres en utilisant, dans les tribunaux, une langue incompréhensible comme le latin : « Je pense que le fait de “parler” latin est une façon de trahir les pauvres, parce que dans les procès les pauvres gens ne comprennent pas ce qui se dit et ils sont roulés, et s’ils ont quatre mots à dire, ils ont besoin d’un avocat. » Mais cela n’était qu’un exemple d’une exploitation générale dont l’Église était complice et à laquelle elle participait. « Il me semble que dans notre loi, le pape, les cardinaux, les évêques sont si grands et si riches que tout appartient à l’Église et aux prêtres et qu’ils égorgent les pauvres ; si ceux-ci ont deux champs en location, ils appartiennent à l’Église, à un évêque ou à un cardinal. » On se souvient que Menocchio avait deux champs à cens dont nous ne connaissons pas le propriétaire ; quant à son latin, il se réduisait, apparemment, au credo et au pater noster qu’il avait appris en servant la messe ; et Ziannuto, son fils, s’était dépêché de lui trouver un avocat, dès qu’il avait été mis en prison par le Saint-Office. Mais ces coïncidences, ou possibles coïncidences, ne doivent pas tromper : le discours de Menocchio, même s’il naissait de son cas personnel, finissait par embrasser un domaine beaucoup plus vaste. L’exigence d’une Église qui abandonne ses privilèges, qui se fasse pauvre avec les pauvres, se reliait à la formulation, sur les traces de l’Évangile, d’une religion différente, sans dogmatisme, réduite à un noyau de préceptes pratiques : « Je voudrais que l’on croie dans la majesté de Dieu, et que l’on soit des hommes de bien, et que l’on fasse comme a dit Jésus-Christ, qui a répondu aux juifs qui lui demandaient quelle loi il fallait avoir : “Aimer Dieu et aimer son prochain.” » Cette religion simplifiée n’admettait pas, pour Menocchio, de limites confessionnelles. Mais l’exaltation passionnée de l’équivalence entre toutes les religions, sur la base des lumières également accordées à tous (« La majesté de Dieu a donné l’Esprit saint à tous : aux chrétiens, aux hérétiques, aux Turcs, aux juifs, il les aime tous et tous se sauvent d’une manière ou d’une autre ») aboutit à une violente attaque contre les juges et leur superbe doctrinale : « Et vous autres prêtres et frères, vous voulez encore en savoir plus sur Dieu et vous êtes comme le démon, et vous voulez vous faire dieux sur terre, et tout savoir comme Dieu, ainsi que l’a voulu le démon : et qui pense en savoir le plus, en sait moins. » Et abandonnant toute retenue, toute prudence, Menocchio déclara qu’il refusait tous les sacrements, y compris le baptême, comme des inventions des hommes, des « marchandises », des instruments d’exploitation et d’oppression de la part du clergé : « Je crois que la loi et les commandements de l’Église sont tous des marchandises et que celle-ci en vit. » Du baptême il dit : « Je crois que dès notre naissance nous sommes baptisés, parce que Dieu qui a béni toute chose nous baptise, et que le baptême est une invention, et que les prêtres commencent à manger les âmes avant la naissance et ils les mangent continuellement jusqu’après la mort. » De la confirmation : « Je crois que c’est une marchandise, une invention des hommes, qui ont tous le Saint-Esprit, et qui cherchent à savoir et ne savent rien. » Du mariage : « Ce n’est pas Dieu qui l’a fait, mais les hommes : avant, l’homme et la femme se promettaient fidélité et cela suffisait ; ensuite sont venues ces inventions des hommes. » De l’ordination : « Je crois que l’esprit de Dieu est en chacun de nous… et je crois que tout homme qui a étudié pourrait être prêtre, sans être ordonné, parce que tout cela ce sont des marchandises. » De l’extrême-onction : « Je crois que ce n’est rien et que ça ne vaut rien, parce qu’on oint le corps et qu’on ne peut oindre l’esprit. » De la confession il avait coutume de dire : « Aller se confesser aux prêtres et aux moines, autant aller se confesser à un arbre. » Quand l’inquisiteur lui répéta ces mots, il expliqua avec une pointe de suffisance : « Si cet arbre savait donner la teneur de la pénitence, cela suffirait, car il y a des hommes qui vont se confesser aux prêtres parce qu’ils ne savent pas quelle pénitence ils ont à faire pour leurs péchés ; ils veulent qu’on le leur dise ; mais s’ils le savaient ils n’auraient pas besoin d’y aller ; et ceux qui le savent n’ont pas à y aller. » Ces derniers, il faut qu’ils se confessent « dans leur cœur, à la majesté de Dieu, et qu’ils le prient de pardonner leurs péchés ». Seul le sacrement de la communion échappait à la critique de Menocchio – mais réinterprété de façon hétérodoxe. Les phrases rapportées par les témoins avaient tout l’air, il est vrai, de blasphèmes ou de négations méprisantes. Arrivant chez le vicaire de Polcenigo un jour où l’on faisait des hosties, Menocchio s’était exclamé : « Pauvre Vierge Marie, elles sont bien grandes, ces bêtes-là ! » Et une autre fois, alors qu’il discutait avec le prêtre Andrea Bionima : « Je ne vois là rien d’autre qu’un morceau de pâte, comment se fait-il que cela puisse être notre Seigneur Dieu ? et qu’est-ce que c’est que ce Seigneur Dieu ? rien d’autre que la terre, l’eau et l’air. » Mais il avait expliqué au vicaire général : « J’ai dit que cette hostie est un morceau de pâte, mais que le Saint-Esprit descend du ciel en elle, et je crois vraiment cela. » Et le vicaire général incrédule : « Mais que croyez-vous que soit le Saint-Esprit ? » Menocchio : « Je crois que c’est Dieu. » Mais savait-il combien il y a de personnes dans la Trinité ? « Oui, Messire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. » « Dans laquelle de ces trois personnes croyez-vous que se transforme cette hostie ? » « Dans le Saint-Esprit. » « Quelle personne précise de la Sainte Trinité croyez-vous qu’il y ait dans cette hostie ? » « Je crois que c’est le Saint-Esprit. » Une pareille ignorance était inconcevable pour le vicaire : « Quand votre curé a fait des sermons sur le saint sacrement, qu’a-t-il dit qu’il y avait dans la sainte hostie ? » Toutefois, il ne s’agissait pas d’ignorance : « Il a dit qu’il y avait le corps du Christ, mais moi je croyais que c’était le Saint-Esprit, parce que je crois que le Saint-Esprit est supérieur au Christ qui, lui, était un homme, alors que le Saint-Esprit est venu de la main de Dieu. » « Il a dit mais moi je croyais… » : dès que l’occasion se présentait, Menocchio confirmait presque avec insolence sa propre indépendance de jugement, son propre droit à prendre une position autonome. Devant l’inquisiteur il ajouta : « Le sacrement me plaît : on s’est confessé, on va communier, et on reçoit le Saint-Esprit, et on a l’esprit joyeux … ; quant au sacrement de l’Eucharistie, c’est une chose bonne pour gouverner les hommes, inventée par les hommes grâce au Saint-Esprit ; la messe est une invention du Saint-Esprit, comme l’adoration de l’hostie, afin que les hommes ne soient pas comme des bêtes. » Messe et sacrement de l’autel étaient donc justifiés d’un point de vue quasi politique, comme instruments de civilisation – par une phrase où se retrouvait l’écho involontaire, comme un signe renversé, de la réplique au vicaire de Polcenigo (« hostie… bêtes »). Mais sur quoi se fondait cette critique radicale des sacrements ?
Je m'arrête là. La suite du livre à la fois raconte le procès et son issue, mais surtout part à la recherche des clés de compréhension de ce sacré personnage qu'est Menocchio : d'où lui sont venues ces idées ? de quel mélange de lectures, de rencontres et de réflexion personnelle sont-elles le fruit ?
Je signale le livre de R.I Moore , en traduction et édition française Hérétiques : résistances et répression dans l'Occident médiéval (Belin, 2017) pour prolonger sur les hérésies. A travers une accumulation d'exemples entre le XIe et le XVe, accumulation parfois indigeste, il faut bien le dire, on comprend comment elles furent le plus souvent une création de l'Eglise qui cherchait à s'imposer à la population et à mieux contrôler les élites, par l'intermédiaire des ordres mineurs dont le rôle était parallèlement la prédication et la normalisation des actes de la foi. Mais l'Inquisition, ou avant elle (qui fut fondée en 1231 par le pape Grégoire IX) les procès épiscopaux furent aussi instrumentalisés par certains contre d'autres dans des jeux de pouvoir.
Toute fin de l'épilogue (p.472-473)
"Si utile qu'elle ait été à l'occasion comme instrument de terreur, la guerre à l'hérésie ne fut pas principalement dirigée contre la masse de la population [au Moyen-Age]. La plupart des accusations d'hérésie s'élevèrent lors des conflits au sein des élites, parfois localisés, parfois à très vaste échelle, comme avec la révolution religieuse du XIIe siècle ou la Croisage albigeoise. Le spectre de l'hérésie au sein du peuple était un symbole dérangeant du malaise soulevé chez les privilégiés par ceux sur qui les privilèges pesaient si lourdement. C'était là l'un des éléments qui faisaient de l'accusation de répandre les hérésies une arme si dangereuse dans les disputes entre courtisans, maîtres des écoles et des universités ou prédicateurs. L'impératif de "maintien de l'unité" -c'est-à-dire de réfréner les remises en question de l'autorité détenue par ceux qui occupent les postes et de la sagesse conventionnelle qui soutient cette autorité- peut presque toujours servir à couper court à toute autre considération dans quelque débat que ce soit. [...] Tout ceci ne découla d'aucun plan général ni d'aucune intention consciente mais, étape après étape, de la seule préoccupation pour ce qui apparaissait comme les nécessités urgentes du moment. Les hommes qui transformèrent tous les aspects de la société et du gouvernement européens entre le XIIe siècle et le XIIIe le firent très largement en [...]convertissant ou en remplaçant les dirigeants des petites communautés. Ils passèrent maîtres dans l'art de se convaincre eux mêmes et les uns les autres que la résistance à leur autorité et à leur noble et sincère idéal d'unité chrétienne, sous la direction de l'Eglise universelle, était l'œuvre du diable."