dimanche 10 novembre 2019

La démocratie antique en débat

Le dossier documentaire pour les élèves




Doc 5 : Périclès jugé par Thucydide
Le gouvernement d’Athènes par Périclès

« -Les Athéniens- s’affligeaient de leurs souffrances : le peuple se voyait privé des maigres ressources qu’il possédait ; les riches avaient perdu leurs beaux domaines de la campagne (…).
On se plaignait surtout d’avoir la guerre au lieu de la paix. Leur colère à tous ne cessa que lorsqu’ils eurent infligé une amende à Périclès. Pourtant, peu de temps après, par un revirement dont le peuple est coutumier, ils le réélurent stratège en lui confiant la mission suprême des affaires ; (…) on l’estimait le plus capable de remédier à la situation critique de l’Etat. Tout le temps que, pendant la paix, il fut à la tête des affaires, il avait fait preuve de modération et de fermeté dans la conduite de l’Etat, qui sous lui parvint au comble de sa puissance : la guerre une fois déclarée, on constata qu’il avait évalué exactement la puissance d’Athènes. Après sa mort, on vit mieux encore l’exactitude de ses prévisions. Il avait prédit le succès aux Athéniens s’ils donnaient tous les moyens à la marine, s’ils renonçaient à augmenter encore leur empire (…). Mais sur tous ces points, on fit juste le contraire. D’autres entreprises (…) furent menées avec la seule préoccupation de la gloire et de l’intérêt personnels ; elles furent désastreuses pour les Athéniens et leurs alliés. (…)
Voici la cause de ce changement : Périclès avait de l’influence en raison de la considération qui l’entourait et de la profondeur de son intelligence ; il était d’un désintéressement absolu ; il contenait la multitude qu’il menait, beaucoup plus qu’elle ne le menait. (…) il n’avait pas à flatter la foule (…), il pouvait lui tenir tête et même lui montrer son irritation. (…) Mais ses successeurs, dont aucun n’avait sa supériorité et qui voulaient tous se hisser au premier rang étaient portés, pour flatter le peuple, à lui abandonner les affaires. De là tant de fautes, explicables dans un Etat puissant et possesseur d’un empire étendu. »

Thucydide, historien athénien (vers 460-vers 395 av. J.-C.), Guerre du Péloponnèse, II, 65, trad. Jean Voilqui, 1966, Garnier-Flammarion



Doc 6 : Extrait de Plutarque, Vie des hommes illustres, 100-110 après JC
"César, pour reconnaître la bonne volonté des Grecs, plaida contre Antoine, qu'ils accusaient de malversations, devant Marcus Lucullus, préteur de la Macédoine.  Il parla avec tant d'éloquence qu'Antoine, qui craignit d'être condamné, en appela aux tribuns du peuple, sous prétexte qu'il ne pourrait obtenir justice contre les Grecs dans la Grèce même.  À Rome, les grâces de son éloquence brillèrent au barreau, et lui acquirent une grande faveur. En même temps que son affabilité, sa politesse, l'accueil gracieux qu'il faisait à tout le monde, qualités qu'il possédait à un degré au-dessus de son âge, lui méritaient l'affection du peuple ; (5) d'un autre côté, la somptuosité de sa table, et sa magnificence dans toute sa manière de vivre, accrurent peu à peu son influence et son pouvoir dans le gouvernement.  D'abord ses envieux, persuadés que, faute de pouvoir suffire à cette dépense excessive, il verrait bientôt sa puissance s'éclipser, firent peu d'attention aux progrès qu'elle faisait parmi le peuple.  Mais, quand elle se fut tellement fortifiée qu'il n'était plus possible de la renverser, et qu'elle tendait visiblement à ruiner la république, ils sentirent, mais trop tard, qu'il n'est pas de commencement si faible qui ne s'accroisse promptement par la persévérance, lorsqu'en méprisant ses premiers efforts on n'a pas mis obstacle à ses progrès.  Cicéron paraît avoir été le premier à soupçonner et à craindre la douceur de sa conduite politique, qu'il comparait à la bonace de la mer, et à reconnaître la méchanceté de son caractère sous ces dehors de politesse et de grâce dont il la couvrait. (9) « J'aperçois, disait cet orateur, dans tous ses projets et dans toutes ses actions des vues tyranniques ; mais quand je regarde ses cheveux si artistement arrangés, quand je le vois se gratter la tête du bout des doigts, je ne puis croire qu'un tel homme puisse concevoir le dessein si noir de renverser la république. » Mais cela ne fut dit que longtemps après."


Démarche et déroulement de l'activité pour les élèves


·       Parmi ces 6 documents, quels sont ceux qui sont favorables à la démocratie ? Soulignez le passage de chaque texte qui exprime le mieux cette opinion.
·       Quel sont les textes hostiles ou critiques envers la démocratie ? ? Soulignez les passages qui expriment le mieux cette opinion.
·       Quel est le texte le plus impartial ? Pourquoi ?
·       Deux doc. sont des extraits de pièces de théâtre. Lesquels ?
·      Quel(s) auteur n'est/ne sont pas contemporain(s) des faits qu'il(s) relate(nt). 
·       Repérez les auteurs grecs sur la frise chronologique.
 




Les documents nous renseignent sur le fonctionnement de la démocratie athénienne et sur ses limites.
·       Dans le texte 4, Thésée définit les fondements de la démocratie. Reformulez  les 2 principes (un concerne la loi, l'autre concerne la citoyenneté)
·       Tribunal, Conseil et assemblée sont évoqués par Aristote. Donnez leurs autres noms et indiquez quelles sont leurs fonctions.
·       A quoi sert le misthos ? Quel est l'inconvénient de ce système pour Aristophane ?
·       Dans le texte 4, l'envoyé de Thèbes parle d" orateur qui flatte la foule et l'entraîne en tout sens pour son propre intérêt". Expliquez cette phrase.
·       Polybe dit que le problème de la démocratie athénienne fut qu'il n'y avait personne pour diriger la foule. En reprenant l'exemple de Périclès (doc 5), expliquez les qualités de Périclès comme homme d'Etat puis la situation d'Athènes à sa mort.
  • Plutarque raconte la crise de la République Romaine au 1er siècle avant JC. Il présente César comme un ambitieux qui, pour son ambition personnelle, a sacrifié la République et voulait se faire tyran. Comment analyse-t-il les causes de l'ascension politique de César ? En quoi est-ce une critique de la démocratie ? 



Grâce aux idées recueillies dans le travail préparatoire, vous pouvez maintenant compléter le tableau de recensement des idées.



Puis, compléter le plan thématique qui regroupe les idées et explications, non par documents, mais par arguments. L’intérêt ici est de montrer qu’ils se répondent

I/ L’intelligence collective ou la stupidité de la foule ?
II/ Des hommes politiques capables ou des démagogues ?
III/ Les mécanismes régulateurs de la démocratie pour éviter précisément les dangers pointés



mercredi 6 novembre 2019

Méthode 2nde analyse de texte à partir d'un doc sur les premières communautés chrétiennes

Ce post est la transcription d'une séance méthodo faite avec mes élèves de seconde. Le document support est tiré du nouveau manuel Hachette que nous utilisons au lycée (p.70)



Cette fiche méthode est pour l'essentiel composée de rappels du collège, pour un début d'année de seconde.

Introduire l'analyse d'un texte
1) Présentez le document pour délimiter le sujet
Première phrase rédigée à partir des informations périphériques (Nature/type + Auteur + Date + éventuellement source)

ici = Ce texte est une lettre (Epitre) écrite à la fin du IIe siècle par un auteur chrétien anonyme d'Alexandrie, probablement en Egypte.

Deuxième phrase pour indiquer le thème du document et sa thèse (idée principale affirmée). Souvent le titre donné au document par le manuel les indique, mais pas toujours. Il faut donc vérifier par la lecture du texte que recopier le titre est suffisant.
En réponse à une question d'élève : rappel le thème = ce dont on parle + un thème peut donner lieu à de nombreuses thèses i.e. on peut affirmer beaucoup de choses différentes. La thèse est une affirmation précise.

ici = L'auteur présente la vie des premières communautés chrétiennes dans l'empire romain pour montrer que les chrétiens sont maltraités par les autres habitants de l'Empire.

2)  Au lycée, la contextualisation devient obligatoire. Il s'agit d'aller chercher des connaissances factuelles (événements...) du cours qui se déroulent plus ou moins au moment des faits évoqués par le documents. On fait ceci pour permettre de mieux comprendre le texte et ses enjeux. Ici, le texte insiste sur les persécutions que subissent les chrétiens. On les présente donc rapidement dans l'introduction.

Depuis 64 qui correspond aux premières persécutions à Rome par l'empereur Néron, les communautés chrétiennes ont connu des épisodes de persécutions : les chrétiens parfois ont été arrêtés, exécutés parce qu'ils étaient chrétiens. Mais ces persécutions sont locales et sporadiques. le reste du temps, les chrétiens vivaient parmi les autres sans être inquiétés pour leur foi.

3) Je ne l'ai pas fait avec les élèves, car j'estime que c'est trop tôt.
  D'ici le bac, il faudra être capable de formuler une problématique à propos du texte. Par exemple, ici, on lit que l'auteur fait des chrétiens des "romains à part", ils ne sont pas comme les autres même s'ils vivent extérieurement comme les autres. C'est toute la structure du texte qui est construite sur cette opposition. On peut donc se demander ce qui distinguait les chrétiens des autres habitants de l'empire. Il y a des éléments dans le texte = les considérations sur l'âme/le corps ... et les allusions à la terre étrangère, les "citoyens du ciel"... Pour comprendre cela, il faut convoquer l'imaginaire eschatologique des premiers chrétiens. Même si ceci a été évoqué en classe, ça me semble bien compliqué à remobiliser pour mes élèves de seconde et c'est aussi pourquoi je n'en ai pas parlé pour les indications données dans la partie 2 du paragraphe 2 (voir infra)


Construire et rédiger l'analyse
Le document est accompagné d'une consigne globale, qui indique le plan : "après avoir....(paragraphe 1),  vous ....(paragraphe 2). Il faut respecter le plan proposé.

1) Le premier travail consiste à comprendre la consigne pour savoir comment s'organiser. Pour cela, on recherche le mot de la consigne et les thèmes des paragraphes.

Premier paragraphe = caractériser la place des chrétiens dans la société de l'empire.
Caractériser = répondre aux questions de base QUI?QUOI? OU ? QUAND ? COMBIEN ? COMMENT ?
Il faut donc se poser une série de questions sur les chrétiens dans la société romaine qui reprennent ces questions de base. Par exemple où vivaient les chrétiens dans l'empire romain à la fin du IIe siècle ? Combien étaient-ils ? Comment vivaient-ils ?

Deuxième paragraphe = montrer comment ils sont perçus à la fin du IIe siècle
Perçus par qui ? = par les non chrétiens.
Montrer = dans un premier temps prouver une thèse, puis dans un deuxième temps expliquer (question POURQUOI ?)
Il faut donc d'abord trouver la thèse : comment les chrétiens sont perçus par les non chrétiens, on le sait déjà puisqu'on l'a dit dès l'introduction (c'est à ça qu'elle sert, à lancer l'analyse sur de bons rails). Donc la thèse de l'auteur est : les chrétiens sont mal vus par les non chrétiens. On va le prouver puis l'expliquer (pourquoi sont-ils mal vus ?)

2) On peut maintenant reprendre le texte avec des fluos de couleur pour relever les informations qui correspondent à nos trois objectifs : 

ici = jaune paragraphe 1 / vert paragraphe 2 partie prouver / bleu paragraphe 2 partie expliquer.

3) Si besoin, on peut compléter les informations du texte par des connaissances de cours. Par exemple, ici, on ne sait pas grâce au texte où vivaient principalement les chrétiens dans l'empire romain, mais on le sait grâce au cours.

4) Pour rédiger les paragraphes, on rappelle dans la première phrase l'objectif du paragraphe (consigne). Il faut ensuite un plan pour organiser les différentes idées = les réponses aux questions qu'on s'est posées. 
ici = pour le 1er paragraphe, on liste les idées les unes après les autres. C'est une simple addition.
Les chrétiens vivent dans tout l'empire
Ils vivent comme les autres
Ils s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyen comme les autres

Chaque idée est justifiée au fur et à mesure grâce aux relevés qu'on a fait dans le texte, qu'on cite ou qu'on reformule. On n'est pas obligé de citer tous les relevés, si ceux-ci disent plusieurs fois la même chose (c'est le cas ici, l'auteur se répète beaucoup).
Par exemple, pour justifier "ils vivent comme les autres", l'auteur dit qu'ils parlent la même langue, qu'ils s'habillent et mangent de la même manière.

Parfois, l'auteur ne justifie pas son idée ou fait une allusion. On est donc amené à compléter le texte pour illustrer, expliciter l'allusion. Par exemple ici, quand l'auteur dit que les chrétiens s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyen, ces devoirs ne sont pas précisés. Grâce au cours, on peut donner quelques exemples de ces devoirs : l’impôt, le respect des lois, le culte de l'empereur ...
remarque : pour le culte de l'empereur, il y a des débats au sein de la communauté chrétienne car c'est en contradiction avec le monothéisme chrétien.

Dans le 2e paragraphe, le début est simple : on additionne tous les relevés du texte qui illustrent la mauvaise opinion qu'avaient les non chrétiens sur les chrétiens : on les insulte, on les calomnie, on les déteste et DONC on les tue, "tout le monde les persécute".

Puis, il faut présenter en reformulant les explications qui sont apportées par l'auteur : si on les persécute, d'après l'auteur, cela semble incompréhensible "ceux qui les détestent ne peuvent pas dire la cause de leur hostilité". Mais il semble indiquer que c'est parce qu'ils sont parfaits : "leur manière de vivre est plus parfaite que les lois", "ils font le bien", "ils bénissent et ils honorent" ... . Autre explication : ils se laissent faire et même acceptent avec joie les persécutions. "tandis qu'on les châtie, ils se réjouissent comme s'ils naissaient à la vie". Vous constatez donc que c'est la partie la plus difficile à faire, car c'est à vous de formuler les idées du texte (= phrases soulignées juste au dessus)

Conclure
A terme, il y aura plusieurs parties dans la conclusion
1) le bilan qui permet de répondre à la problématique
2) la critique éventuelle de la position de l'auteur
On aurait pu le faire ici, et d'ailleurs le manuel nous invite à le faire dans les capacités indiquées. Mais comme pour la problématique, il me semble que c'est bien trop tôt. On se contentera de signaler en conclusion que ce texte exprime la vision d'un chrétien sur les persécutions et que donc le texte n'apporte pas toutes les explications possibles aux persécutions.
3) l'ouverture du sujet
Il s'agit de montrer comment le sujet qu'on vient de traiter ouvre de nouvelles pistes de réflexion. En Histoire, c'est assez simple car on peut se poser la question QUELLES CONSEQUENCES ?
ici, le texte porte sur les persécutions. On peut se demander si quelles conséquences ont eu ces persécutions ? Est-ce qu'elles ont fait disparaître le christianisme ? Or, on sait par le cours, que plus le temps passe, plsu le christianisme se renforce et les persécutions n'y changent rien. Même, au contraire, elles renforcent les chrétiens, qui ne craignent pas la mort. 
On se demande aussi ce qui se passe après la date du texte, sur le thème qui nous intéresse. Il faudra donc conclure en évoquant la conversion de Constantin et le passage d'une religion persécutée à une religion officielle dans l'empire romain.

J'insiste auprès des élèves sur le point que l'ouverture du sujet n'est pas une question, mais des phrases affirmatives. J'interdis la question d'ouverture pour limiter les risques de la question vague ou qui n'a rien à voir avec le sujet traité, ou encore la fausse question dont on connaît la réponse, du genre "on peut se demander si les persécutions ont continué ?", alors qu'on sait que non à partir de Constantin.

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BILAN
Il faut une heure pour cette séance méthodo, et ce parce que les élèves ont au préalable travaillé le texte à la maison, donc ils ne le découvrent pas.
Cela peut sembler long, mais je suis profondément persuadée que c'est nécessaire de montrer explicitement aux élèves comment on fait un travail de réflexion historique ou géographique. Les fiches méthodes théoriques ne servent pas à grand chose, à mon sens. Il faut les appuyer sur des exercices, faits avec eux.
Il est donc évident qu'à ce rythme là, je ne finis jamais les programmes. Ils sont en soi difficilement faisables, sauf à tout survoler. Ils deviennent infaisables si on s’intéresse vraiment à accompagner les élèves dans les apprentissages et les méthodes de raisonnement.


lundi 28 octobre 2019

Sur les traces de la RDA

Fiche de lecture du livre de Nicolas Offenstadt, Le pays disparu, folio Histoire


Alors qu'on s'apprête à célébrer les 30 ans de la chute du mur de Berlin, mais que dans le même temps l'extrême droite allemande renaît (AfD) notamment dans les Länder de l'ancienne RDA, il n'est pas inutile de se pencher sur les conditions de la réunification. Selon un sondage du Spiegel du 17 dec 1989, 71% des Allemands de l'Est aspirait non pas à l'unification, mais à une RDA réellement démocratique. Le 26 nov, un appel "Pour notre pays", signé par 1,2 million de personnes espérait en la "possibilité de développer une alternative socialiste à la RFA". (Monde diplo, nov 2019) Les années qui suivent, au contraire, ont vu une absorption de l'ex RDA par la RFA. Ce spectaculaire coup de force, l'annexion d'un Etat souverain, la liquidation intégrale de son économie et de ses institutions, la transplantation d'un régime de capitalisme libéral, fut particulièrement brutal et sidéra la population est-allemande.

Aussi, le livre de Nicolas Offenstadt est éclairant à plus d'un titre.

Des politiques mémorielles allemandes, souvent abritées derrière le terme d'Aufarbeitung qui désigne plus ou moins un travail de mémoire sur le passé afin de la clarifier, ont été mises en place de façon officielle par l'Etat réunifié, alors que cette prérogative était plutôt réservée aux Länder. C'est ainsi que l'offre de musées publics sur la RDA ne cesse de se développer, que les archives de la STASI ont fait l'objet d'une politique de sauvegarde, de préservation et d'utilisation rapide, alors que dans le même temps, des initiatives de tout genre, mais privées, se multiplient, notamment à Berlin.
Ce n'est toutefois pas pas le propos de l'auteur, qu part à la recherche de la RDA à travers la pratique de l'exploration urbaine sensorielle et émotive, par le biais des traces provisoirement épargnées par la rénovation urbaine, par les rencontres et les témoignages aussi.Comme l'indique N. Offenstadt à la fin de son introduction, ce livre tresse trois projets : un parcours matériel dans l'ancienne RDA, occasion de s'interroger sur ces traces du passé et leur lien au présent et donc, de façon plus générale, de "penser les traces en historien, ce qu'elles sont, ce que l'on peut en  faire, ce qu'on peut leur faire dire".

La première parte de l'introduction est consacrée à des rappels (sur 5 pages) de ce que fut la RDA, géographiquement, institutionnellement, culturellement et idéologiquement, puis la chronologie du passage de la RDA à l'Allemagne réunifiée. Elle peut constituer le parfait vademecum à donner aux élèves sur le sujet.

 Quelques points au préalable : 
Pourquoi la RDA ? N.O. rappelle l'originalité de l'Allemagne dans l'histoire du mouvement ouvrier, à la fois par la figure des grands penseurs de la gauche (révolutionnaire ou social-démocrate), par la lutte contre le nazisme et par l’articulation avec le temps long (de la guerre des paysans au XVIe s aux résistants du XXe). C'est pourquoi, "à n'étudier la RDA que comme dictature, on prive de sens des vies entières qui s'étaient consacrées à l'édification de cet Etat austère et autoritaire et qui ont été flouées " ( Sonia Combe "usage savant et usage politique du passé" , Ead. (dir) , Archives et Histoire dans les sociétés post-communistes, Paris, La Découverte, 2009, p. 271)
Par ailleurs, il est rappelé dès l'introduction que la réunification, qualifiée d' "iconoclaste", s'est accompagnée d'une puissante entreprise de délégitimation de l'"expérience RDA" (l'expression n'est pas de l'auteur). Saskia Hellmund, allemande de l'est, née en 1974, qui vit en France, écrit dans ses Souvenirs : " au niveau national, il est pratiquement impensable de parler de perte, de dépossession, de regret. La RFA attend de la gratitude de ses nouveaux citoyens pour leur avoir apporté liberté et démocratie".  Il faut donc d'autres espaces à ces mémoires pour se dire, et le livre de N.O. en est un. 
Plus récemment, après la première phase de débarras des objets de vie quotidienne et des symboles de la RDA, après les jugements et humiliations des premiers temps, un "désir de revanche" a conduit à différentes pratiques politiques, sociales et culturelles dont les objets participent : retour de quelques "marques" de RDA, messages publicitaires se réclamant de la RDA, voire construits explicitement en opposition avec la RFA. L'année 2003 aura constitué un sommet avec le succès de Good bye Lenin ! et de multiples "Ostalgie-show" à la télévision ou des fêtes où l'on vient déguisé. Certains analysent ces pratiques comme un nouvel instrument de dépossession, tant elles sont marquées par une approche d'entertainment typique de l'ouest.
Un travail sur la trace : selon le principe d'une anthropologie symétrique, ce livre a le projet de faire l'histoire des "perdants" comme on fait celle des vainqueurs, par l'interrogation des traces laissées. Mais dans ce cas précis, la trace est vue comme une résistance, quelque chose qui dure quand autour, tout est bouleversé. Sous tous ses aspects, la trace n'a rien de naturel ; elle est un symptôme qui permet d'interroger les structures sociales et les rapports de force. En ce sens, la trace fonctionne dans des "séries" et des continuités, des retournement d'emploi, des changements de statut...

Histoires de Vies  (chap 1)

Il est difficile de synthétiser la collection d'exemples, de parcours de vie individuels qui composent le 1er chapitre. En revanche, l'auteur fait de nombreux développements reflexifs sur sa méthode de travail, sur le désarroi parfois, l’excitation souvent de travailler sur des "traces" recueillies dans des circonstances toujours particulières : en effet, pas d'autre méthode ici pour trouver l'archive que le hasard des trouvailles dans les vieux fonds déclassés, en déshérence et, encore plus souvent, dans les arrière-boutiques des brocanteurs (cas de Johanna Klepel, etc.) ou dans des bâtiments, par exemple industriels, abandonnés (cas de Heidrun K., etc.) et ce jusqu'à très tard, le début des années 2010.

Dans le cadre d'une éventuelle utilisation en cours, selon le cadre (Term Tronc commun) , on pourra croiser plusieurs exemples en montant un dossier sur le rôle des organisations comme la brigade ou le syndicat pour encadrer, émuler, aider le travailleur communiste ; sur la politique menée en RDA sur toute la période pour développer le travail des femmes, ses réussites et ses échecs en matière d'égalité homme/femme. On comparera avec profit la situation qui fut faite aux femmes de l'ex RDA juste après la réunification. (Monde diplo, nov 2019) : les femmes furent licenciées prioritairement alors que l'ex RDA était le pays où leur taux d'activité était le plus élevé du monde.


Un pays horizontal  (chap 2)

L'expression est heureuse et désigne la somme éclectique des objets d'un monde périmé, qui s'offre à la vente sur les étals des brocantes. Dans ce chapitre, Nicolas Offenstadt prend quelques uns de ces objets glanés pour les remettre en contexte : plaque d'une rue qui a été débaptisée, compteur électrique au nom de Staline, drapeau de l'association des jardiniers ouvriers de Iéna.

L'aspect parcellaire et volontairement modeste d'une présentation strictement adaptée strictement à l'objet, rend difficile une utilisation en classe ; on lira toutefois avec intérêt le "manomètre bulgare" qui présente rapidement les connexions économiques et productives au sein du CAEM.

Le (futur/ ancien) touriste berlinois sera intéressé par le passage sur la destruction du Palais de la République,

remplacé par une simili-reconstitution de l'ancien château des Hohenzollern qui avait été détruit par les bombardements de la 2nde guerre mondiale

Humbolt Forum

Effacer le RDA (chap 3 )

C'est à partir de ce moment-là du livre que le propos prend de la consistance. Le thème avait été annoncé justement par l'exemple de la destruction du Palais de la République : il s'agit de la destruction des traces de la RDA dans l'espace public (monuments, noms de rues, tracé urbain) qui justifie le titre du livre, "le pays disparu", et ceci a été au nom d'une politique mémorielle ouest-allemande. Dans une longue et passionnante introduction au chapitre 3, N.O. présente, à travers la biographie de  Hans Maur, ce que fut la politique mémorielle et patrimoniale de l'Allemagne de l'est et comment tout ce travail de mémoire fut balayé par les municipalités et les commissions d'enquête sur l'histoire de la RDA (dès 1992) sous le cadre global de la délégitimation au nom de la nature totalitaire du communisme, comparable au nazisme.
Ainsi, Hans Maur a travaillé au musée d'Histoire Allemande qui se trouve sur Unter Den Linden à Berlin, dirigeant le secteur "Mémoriaux du mouvement ouvrier et de la résistance antifasciste". Etablir des lieux de mémoires autant valorisés que les lieux de la mémoire bourgeoise (églises, châteaux, œuvres d'art) par une politique patrimoniale qui permettait de relier le passé de la classe ouvrière à son effort présent de construction du socialisme. Alors que le patrimoine socialiste, inscrivant dans la matérialité de lieux la continuité de la lutte des classe, était maltraité ou nié dans les sociétés capitalistes, la RDA affirmait une contre-culture, essentiellement centrée sur l'antifascisme. 
C'est ainsi que, sous sa houlette fleurissent les mémoriaux sur les sites des crimes nazis et les lieux emblématiques de la 2nde Guerre mondiale (monuments militaires soviétiques par exemple).
Cependant, au nom des impératifs politiques, le discours historique de la RDA était indéniablement biaisé, insuffisant, partial. A partir des années 1990, "l'antifascisme ordonné", c'est-à-dire promu par le SED, a été vu comme le paravent de la dictature, comme un récit manipulé ne valorisant que ce qui servait l'idéologie communiste. La traduction de ce discours est double :
d'un côté, les musées locaux, les mémoriaux anciens ferment ou se transforment les uns après les autres, leurs employés congédiés, considérés "contaminés par le régime"

Remarque : N.O. rappelle d'ailleurs quelques pages plus tôt que 110 000 personnes firent l'objet d'une information judiciaire dans les dix ans qui suivirent l'unification et qu'il y eut au total 1500 condamnations, toujours au motif d'avoir participé au meurtre de citoyens de RDA dans le cadre de tentatives de fuite à l'ouest). Dans le Monde diplo de ce mois (novembre 2019), l'encart de la p.14 indique que "de 1989 à 1992, le nombre de salariés à temps plein de la recherche, de l'enseignement supérieur, y compris industriel, passait dans les nouveaux Länder de 140 567 à moins de 38 000, au rythme des fermetures de centres de recherches et d'académies des sciences. Parmi les scientifiques de l'ancienne RDA, 72% furent démis de leurs fonctions en 3 ans : ils durent émigrer ou se reconvertir dans des métiers sans rapport avec leurs qualifications. Le personnel résiduel fut soumis à des tests d'aptitude évaluant notamment ses convictions politiques. Cette élimination de 3/4 des scientifiques fut justifiée par un impératif idéologique : "il faut éradiquer l'idéologie marxiste en procédant à des changements de structure et de personnel", expliquait ainsi en juillet 1990 un document d'évaluation de l'Académie des sciences."  P. 16 : "un million de fonctionnaires ont perdu leur emploi dont 70 000 enseignants du supérieur et la totalité des magistrats pénalistes, chassés des tribunaux". Pour espérer se sauver de la débacle, 2 millions d'est-allemands sont partis s'installer à l'ouest, en général des jeunes diplomés. Les nouveaux Länder ne se sont jamais remis de cette hémorragie, surtout que dans le même temps -1989-1993-, le taux de natalité passait de 14 enfants pour 1000 hbts à 5 !

De l'autre, les nouveaux mémoriaux indifférencient les victimes des nazis ("pour toutes les victimes de la guerre et des dictatures"), incluant parfois les victimes de la Grande guerre, ce qui apparaît inadmissible à ceux qui ont fait de l'antifascisme le fondement des politiques du souvenir . Bref, d'un côté une mémoire de la lutte et donc une mémoire politique contre une mémoire mettant l'accent sur la douleur et la victimisation, si l'on veut schématiser. Cette opposition sur ce que doit porter une politique mémorielle,, à quoi elle rend hommage, quels sont ses objectifs, en quoi elle est forcément politique, est, il me semble, un bon exemple à garder en tête pour le cours de SPE Terminale, sur la thématique de la Mémoire.


Face au  dé-baptême des noms de lieux, la résistance initiale (1990-1992) des habitants s'efface vite devant les enjeux politiques et urbanistiques, surtout dans les grandes villes. Au rythme des destructions/reconstructions ou tout simplement sur décision municipale, les noms des anciens dirigeants de l'ex-RDA sont retirés en premier, ainsi que ceux trop liés à l'URSS. En 1993 à Berlin, le sénat de la ville considère que les communistes, tout autant que les nazis ont contribué à la chute de la République de Weimar, ce qui permit de retirer leur rue à tous les dirigeants du KPD d'alors. A Francfort, des arguments de retour à une "identité allemande" sont employés contre les noms des communistes étrangers...Cet effacement  par des moyens multiples, changement du nom des rues, enlèvement des plaques commémoratives et déboulonnement des statues, destruction ou déplacement des monuments, fermeture des musées locaux ou de sections dans les musées ne concerne pas que les souvenirs de la RDA, mais aussi celui des résistants face au nazisme, ou encore du KPD ou des Spartakistes au moment de la République de Weimar: c'est toute la mémoire du mouvement ouvrier au sens large qui est laissée à l'abandon, ou effacée, ou cantonnée dans l'ordre d'un folklore local et mineur. En 2015, une enquête de Léonie Beierdorf a montré que le démontage des monuments a concerné environ 20% des lieux et qu'il y avait eu très peu d'"attaques spontanées ou populaires" de ces monuments. Cependant, c'est une enquête partielle qui ne porte que sur 30 villes. De plus, l'approche quantitative ne prend pas en compte le fait que la disparition des monuments de première importance dans l'espace urbain et symbolique produit une nouvelle géographie mémorielle même si d'autres lieux demeurent. Enfin, même quand les œuvres ou les statues demeurent, le bouleversement de l'environnement qui les entoure rend leur présence étrange et peu compréhensible, parlant une langue disparue.

Effacer les traces, c'est aussi se débarrasser de la monumentalité des immeubles RDA, trop marqués par leur époque, trop empreints de grandiloquence socialiste. Les reproches à l'égard de ces bâtiments est toujours le même : "esthétiquement affreux".  L'architecture dans ce domaine n'est pas plus neutre que les politiques mémorielles. A Berlin (cf supra sur le Palais du peuple) comme à Postdam, on privilégie la reconstruction de bâtiments depuis longtemps disparu de l'époque prussienne : ainsi à Posdam, le chateau a été reconstruit ainsi que l'ancien palais Barberini. En revanche, l'ancien Interhotel RDA construit en 1969, devenu un Mercure,  a perdu une bonne parte de ses décorations réalisées par des artistes renommés de la RDA et le café Bellevue au 16e étage a été remplacé par des chambres de prestige, faisant disparaître du même coup l'oeuvre mosaïque et le décor de Wolfang Wegener.

De Leipzig à Buchenwald, la mémoire antifasciste est elle aussi troublée. Le discours et la mise en scène communistes insistant en particulier sur la résistance des rouges et de leurs alliés , quitte à minimiser ou écarter d'autres thématiques, d'autres enjeux, d'autres acteurs, ne pouvait se maintenir dans le nouveau contexte. Par ailleurs, certains de ces camps ayant servi  aux Soviétiques dans d'autres circonstances, ils permettent désormais d'illustrer le discours des "deux dictatures allemandes", de la continuité de l'oppression et d'appuyer la dénonciation du communisme. NO développe l'exemple de Buchenwald.

Résistances et renouveau (chap 4)

Les mémoires de la RDA sont aussi un commerce, principalement à destination des touristes.
Au chapitre des projets qui n'ont pas vu le jour, mais qui témoignent de l'approche générale de cette mémoire particulière de l'ex-RDA, N.O signale l'entreprise de Frank Georgi qui en 1993 imagine un parc d'attraction sur un ancien terrain militaire de Wandlitz. Il s'agissait d'une mise en scène destinée à immerger le visiteur dans une "expérience". De façon caricaturale, des mises en scène, à l'intérieur de cet espace entièrement entouré de barbelés, reconstituaient un marché noir, des lieux d'internement de prisonniers politiques, des espaces d'habitation ou des magasins remplis de produits de l'est, où la propagande radio/télé aurait diffusé des émissions de l'époque. A titre personnel, j'ai trouvé également caricatural le petit musée privé sur l'ex-RDA qui se trouve à Berlin derrière l'île des musées et notamment le texte du livre du musée qui est mis en vente. Des musées RDA privés (DDR-museum) ont partout fleuri en ex-RDA, souvent attachés à des fondateurs collectionneurs. Ces musées ne s'inquiètent pas des questions muséographiques scientifiques, mais articulent ambiance et monstration d'objets. Quasiment tous affirment autre chose qu'un objectif de connaissance ou de pédagogie, plutôt quelque chose qui relève du souvenir, du rappel, voire de la nostalgie. Les chercheurs et spécialistes de muséographie affichent leur mépris pour des expositions sans reflexivité, ni sur le discours sur l'ancien régime, ni sur la mise en scène. Pourtant, c'est un phénomène intéressant par la multiplicité de ces initiatives et par le caractère souvent "artisanal" de nombre de ces petits musées. Par exemple, à Thale en Saxe-Anhalt, au pied du Harz : sur le parking, un fourgon de la "police du peuple", customisé, accueille le visiteur. Au dernier étage d'une fabrique de textile, installée dans le bâtiment administratif de la VEB sidérurgique de Thale, 19 pièces ordonnées le long d'un couloir racontent par les objets et la reconstitution la vie quotidienne de la RDA selon un parcours chronologique. La dernière pièce reconstitue une pauvre habitation de réfugiés chassés de l'est par l'avancée de l'armée rouge. On circule librement dans ces pièces, contrairement à d'autres musées, en pouvant toucher les objets, s'assoir dans les fauteuils ou sur le lit...Le musée se veut neutre, mais le discours se coule parfois dans le discours dominant, tel ce panneau sur l'après 1989 qui est un hymne à l'unité allemand. Chaque 1er mai, sur le parking est organisée un "ost-mobile"nqui rassemble les fanas des anciens véhicules de l'est.
En 2006, à Pfaffroda, le petit musée de la Volkspolizei est ouvert par un couple dont le mari était précisément policier " de proximité". Il ne s'agit pas ici de collection seulement, mais bien de la construction d'une continuité biographique articulée à un discours politique. L'ancien policier rassemble toute la documentation disponible sur l'histoire de la police en RDA et l'ordonne chronologiquement. Il entend montrer les choses "comme elles furent vraiment", sans les affirmations qu'il constate ailleurs,, comme par exemple vouloir attribuer une fonction de 'torture" à des objets qui n'avaient rien à voir avec cela. L'ancien policier tient à son indépendance, au caractère privé de son musée, garant selon lui de la liberté de son récit alternatif face au discours dominant. Il décrit sans ancien métier comme une forme d'arbitrage à la campagne, bien plus que comme l'exercice d'une forte autorité policière. Dans les deux pages que N.O. consacre à la biographie de ce monsieur, il y a cette jolie phrase : " Les gens ont été ravis de se débarrasser de la domination du parti, ce père sévère, mais ils n'ont pas compté qu'ils y perdaient toute la sécurité qui leur été assurée : la mère protectrice partait avec."




Faire trace : écritures de la RDA perdue  (chap 6)