dimanche 16 novembre 2025

Critiquer le présidentialisme de la Ve République

 Voici une proposition d'une activité pour le cours d'EMC Terminale.

On part d'un article, paru en février 2025 dans The Conversation, d'Arnaud Le Pillouer, constitutionnaliste à l'Université de Paris-Ouest Nanterre : "Notre démocratie est-elle minée par l’élection du président de la République au suffrage universel ?"




Les élèves préparent l'analyse du texte avec cette batterie de questions :

Relever les informations dans le texte

1.    Quel événement a profondément transformé la culture politique française, selon l'auteur ?

2. Quel rôle les partis politiques jouaient-ils initialement, avant l'importance accrue de l'élection présidentielle ?

3. Qu'est-ce que l'auteur qualifie de "représentation très appauvrie de la démocratie" ?


4. Quel était le principal motif invoqué pour justifier le maintien de l'élection présidentielle au suffrage universel direct ?

5. En quelle année Emmanuel Macron a-t-il été élu pour la première fois président ?

Interpréter (reformuler/expliquer) le texte.

6.        Pourquoi l'auteur considère-t-il que la combinaison de larges pouvoirs et une totale irresponsabilité [du président de la République] est "ni très appropriée ni très saine" ?


7.     Pourquoi l'auteur considère-t-il que les résultats des élections législatives de 2022 auraient dû forcer les partis à négocier ? [il s’agit d’expliquer comment fonctionne un régime parlementaire]

8.      Quel est le caractère "paradoxal" de la coalition entre le gouvernement et LR, selon l'auteur ?

9.      En quoi l'auteur critique-t-il l'idée de l'élection présidentielle comme incarnation d'un "homme providentiel" ?

 

Analyse Critique : nécessite de de focaliser sur le point de vue, les choix de vocabulaire et la 2e question réclame une synthèse.

10.      Quel est le ton général du texte ?  Pourquoi ce type d’article est-il un « point de vue » ? Justifiez votre réponse avec des exemples tirés du texte.

11.      Les problèmes mis en exergue par l’auteur sont-ils des problèmes liés à l’organisation de la Ve République ou à la pratique politique récente du pouvoir exécutif ?


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La correction permet de faire entièrement le cours (constitution de la Ve République et son organisation des pouvoirs, le présidentialisme, la pratique politique et la vie politique récente). Le texte est très riche et offre beaucoup d'arguments et d'exemples sur lesquels revenir.

Question 1 => 2000 réforme constitutionnelle du quinquennat et inversion du calendrier électoral. 

+ 1962 modification de la constitution pour élire le Président de la République au SUD.

Points abordés : A quoi sert la Constitution ? Comment la modifie-on ?

+ Une constitution voulue par De Gaulle pour donner plus de pouvoir à l'exécutif. Comparaison IV/ Ve (régime parlementaire, régime semi-présidentiel.)

+ raisons de la la modification constitutionnelle de 2000 : expliquer les cohabitations.

Question 2 et 3 +5 => Partis = producteurs de programmes, animateurs du débat public, sélectionnent les candidats aux élections. + "représentation très appauvrie de la démocratie, réduite à la simple capacité des citoyens à se choisir périodiquement un chef"

Points Abordés : Mais de plus en plus, de simples "écuries présidentielles" : la fameuse rencontre d'un Homme et de la Nation.

Cf En Marche ! et les conditions de la candidature d'Emmanuel Macron pour l'élection de 2017.  La volonté d'un dépassement du clivage gauche/droite.

Il est possible de compléter avec une référence interessante, le livre de 

qui analyse lexicologiquement les discours et prises de parole de Macron dans cette campagne pour montrer le flou programmatique et la focalisation autour de l'homme-Macron et d'une posture volontariste.

On peut aussi faire des analyses d'affiches présidentielles/slogan de Mitterrand à nos jours.

Question 4 = l'attachement des Français à l'élection présidentielle peut se mesurer à la comparaison des taux de participation. S'agit-il d'attachement  ou de la compréhension que le seul véritable enjeu se trouve dans ces élections ?

Possibilité d'approfondir sur la dépolitisation de l'OP (au sens d'une connaissance plus floue des corpus idéologiques), la faiblesse des militants et des membres des partis politiques.

Question 6 = "Loin de la figure d’arbitre au-dessus de la mêlée partisane défendue par de Gaulle en 1958, le président de la République est bien devenu, du fait de son élection au suffrage universel direct, le chef d’un camp (vainqueur d’un autre, au second tour) – un chef partisan, ayant remporté des élections compétitives, et qui prétend en conséquence gouverner. Cumulant le statut officiel de chef de l’État et celui, officieux, de chef du gouvernement (le premier ministre ne pouvant plus apparaître que comme un simple « collaborateur »), il veut bénéficier de la protection due au premier, tout en assumant les pouvoirs de gouvernement du second"

Points abordés : Les pouvoirs propres  du Président + la soumission du 1er ministre au Président (cf le mot de Sarkozy à propos de François Fillon, "mon collaborateur") < légitimité de l'élection du Président au SUD et l'élection législative qui suit l'élection présidentielle et donc qui donne une "majorité présidentielle". Donc le Président est le chef de l'exécutif et cumule de fait les pouvoirs du 1er Ministre aux siens. Expliquer "irresponsabilité" et la responsabilité du gvt devant l'Assemblée nationale : à cette occasion, motion de défiance/motion de censure (mécanisme et historique)

Question 7 et 8 : résultat des législatives de 2022 = majorité relative. A mettre en lien avec "[EM] n’a remporté un second mandat, en 2022, qu’en raison de l’identité de son adversaire" + "la machine s'enraye".  => une coalition avec LR mais implicite, qui s'est vue par le refus de LR de voter les motions de censure et un soutien au Sénat

Points abordés : ce qu'est une coalition électorale, ce qu'est un accord de gouvernement, ce qu'est le "fait majoritaire". Le choix du 1er ministre doit se faire dans le groupe arrivé en tête et les équilibres de la composition de son gvt reflètent les équilibres de sa majorité de coalition. Or = état des équilibres politiques actuels.

Pour expliquer la position de LR, possibilité de revenir sur l'alternance quasi systématique des majorités législatives à mettre en lien avec le mécontentement de la population, le déclin de deux grands partis de gvt (LR, PS), le dégagisme...

La conséquence = une pratique politique de plus en plus brutale, qui exploite à fond toutes les possibilités données par la Constitution d'un passage en force au Parlement des textes voulus par le gvt.

Question 9 : C'est presque de la paraphrase du doc "Les candidats à la fonction que l’on dit (significativement) « suprême » sont encouragés à apparaître comme providentiels, et à multiplier les promesses excessives – lesquelles sont immanquablement déçues par la suite. Cette succession d’annonces d’un avenir radieux et de désillusions abyssales ne fait que ruiner la confiance des citoyens dans les institutions. Bref, l’élection du président au suffrage universel, loin de réaliser la démocratie, la mine de l’intérieur."

Exemples de promesses non tenues (cf Hollande avec "mon ennemi, c'est la finance"). Montée de l'abstention et montée de l'extrême -droit peut être comprises comme le résultat de cette déception/dégoût de la politique.

Rappel historique = l'homme providentiel par excellence = De Gaulle. cf affiche Oui pour le référendum de la nouvelle constitution. Racines monarchistes/bonapartistes de cette conception du pouvoir. C'est aussi ignorer que la démocratie, c'est le dissensus organisé et pacifié autant qu'il est possible. Cf les critiques sur le "bordel" à l'Assemblée nationale.

Question 10 : Un point de vue résolument critique cf le vocab, et argumenté.

Mais est-ce un point de vue personnel ? Subjectif ? = Les critiques sont faites sur la base de la comparaison entre théorie politique et droit constit et la situation française. On ne connaît pas l'avis personnel de l'auteur dont il faut rappeler qu'il est constitutionaliste. De plus, des critiques anciennes (cf l'opposition à la Ve Rep dans les premières années, Pierre Mendès-France, Mitterrand et son Coup d'Etat permanent)

Question 11 : Il y a donc un pb originel (un régime qui déséquilibre les rapports exécutif/législatif + confie trop de pvs politiques à une seul homme), mais ces problèmes sont aggravés par l'hyper-présidentialisation, issue de la réforme de 2000 (que la réforme de 2008 n'a pas réussi à contenir) et au contexte particulier de crise sociale et  politique. C'est le point aveugle du texte qui se focalise sur les aspects institutionnels, sans soumettre à la réflexion que les évolutions récentes de la pratique politique sont aussi une réponse à la crise (en même temps qu'elles l'aggravent) et une tentative de garder le contrôle de la vie politique.

lundi 13 octobre 2025

Le Komintern dans les années 1930 : un tournant stratégique

 

 Les tensions politiques européennes dans les années 1930

Doc  : extraits du discours prononcé par Palmiro Togliatti en juillet 1935 lors du VIIe congrès du KOMINTERN à Moscou

« Au nom de l’union des combattants de la révolution prolétarienne mondiale, au nom des travailleurs de tous les pays, nous nous adressons à toi, camarade Staline, notre chef, continuateur de l’œuvre de Marx, Engels et Lenine. Sous ta direction, l’Union Soviétique est devenue le puissant rempart de la révolution socialiste, un rempart contre le fascisme et la réaction, un rempart contre la guerre. […]

Mais si le bourgeois essaie aujourd’hui de demander aux peuples du monde s’ils veulent la paix ou la guerre, le fascisme ou le socialisme, les peuples du monde ne veulent pas la guerre et ne veulent pas du fascisme. […] Nous revenons ainsi une fois de plus à la nécessité d'une action unie, d'un front uni à l'échelle internationale. Cette question est incontournable et nous y reviendrons sans cesse jusqu'à ce que nous puissions la résoudre. Le sort de la lutte pour la paix en dépend.

[…] De toute évidence, nous considérions comme essentiel, et ne pouvions faire autrement, que notre lutte pour une action unie avec l'Internationale ouvrière et socialiste s'accompagne d'une action anti-guerre indépendante de la part de l'avant-garde communiste, et que cette action soit suffisamment énergique pour gagner le soutien de larges masses de travailleurs de tous les courants politiques et pour influencer fortement la situation […] Nous devons nous mettre au travail avec toute notre énergie, dans tous les pays et sur tous les fronts – et en premier lieu parmi les travailleurs syndiqués – afin d'isoler l'agresseur fasciste en arrêtant tous les chargements destinés à l'Italie fasciste et à ses voisins, et en mobilisant la classe ouvrière et l'opinion publique en général, à la plus grande échelle et sous toutes les formes possibles, contre le fascisme italien, contre les intrigues de guerre du national-socialisme et contre l'agression japonaise en Chine.»

 

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Questions


1- Présenter le document en insistant sur le contexte.

2- A quoi voit-on dans le texte que Togliatti était un communiste ? (Relever et commenter)

3- Quels pays et régimes sont désignés comme agresseurs dans ce discours ? (Relever et expliquer) Pourquoi Togliatti fait-il un lien avec la « bourgeoisie » ? (Expliquer)

4- Comment Togliatti envisage-t-il la mobilisation de la classe ouvrière contre la guerre ? (Relever)

5- En quoi le discours de Togliatti illustre-t-il la stratégie du Komintern face à la montée du fascisme en Europe dans les années 1930 ? (C’est la question du front uni : qui doit s’unir avec qui ? Pourquoi est-ce une nouveauté stratégique ?)

dimanche 14 septembre 2025

Rencontre au sommet

 Petite activité d'introduction au thème de la puissance en 1ere HGGSP, qui a bien fonctionné et permet de replacer/ rappeler le vocabulaire de l'analyse de doc.


En vous aidant de la grille ci-dessus, repérer dans le texte de Pierre Haski les différents moments de l'analyse de l'image opérée par le chroniqueur.

Texte de la chronique de Pierre Haski, France Inter, 2 sept 2025, 8H17 :
On dit parfois qu’une image vaut mille mots. Voilà une photo qui en vaut beaucoup plus… C’était hier à Tianjin, le port chinois situé à l’Est de Pékin. On y voit Xi Jinping, Vladimir Poutine et Narendra Modi, les dirigeants de la Chine, de la Russie et de l’Inde, se tenant par la main et d’excellente humeur.
Il faut s’arrêter sur cette photo qui nous dit beaucoup sur la transformation du monde, mais aussi la mise en scène des relations internationales. Ces trois hommes dirigent trois puissances nucléaires, représentent plus du tiers de la population mondiale, des cultures et des histoires très différentes ; leurs pays se sont même fait la guerre par le passé.
Mais hier, ils ont choisi de se mettre en scène cette bonne humeur partagée, quelles que soient leurs arrière- pensées. La photo n’a pas besoin de légende, elle dit tout sur l’absent du cliché : Donald Trump évidemment. La scène lui est dédicacée : bons baisers de Tianjin.
Pourquoi ce besoin de mise en scène ? Souvenez de la rencontre Trump-Zelensky dans le bureau ovale, le 28 février dernier , qui a tourné à l’humiliation du président ukrainien. A la fin, Donald Trump lance « ça fait de la bonne télévision ». Les images de Tianjin, c’est pareil, ça fait de la bonne télévision, mieux que de longs discours.
Ce « front du refus » qui s’affiche à Tianjin présente une image opposée à la brutalité du bureau ovale. Trump s’emploie à humilier ses interlocuteurs ; les dirigeants réunis à Tianjin revendiquent un ordre mondial alternatif, respectueux des souverainetés. C’est un leurre, mais Trump est tellement caricatural qu’il en légitime d’office ses adversaires.
Avec le premier ministre indien, son « grand ami » Narendra Modi, Trump s’était affiché lors de son premier mandat dans un stade rassemblant des milliers d’indiens vivant aux États-Unis. Les droits de douane à 50% imposés à l’Inde ont brisé cette image idyllique d’amitié, qui constituait un atout politique pour Modi en Inde.
A Tianjin, les trois hommes sont tout sourire, on en oublierait presque que l’un a envahi son voisin, le second a un régime totalitaire, et le troisième est sur la voie d’un « illibéralisme » certain. Ce n’est qu’une photo, le message est simple mais efficace.
Mais ce n’est pas qu’une bataille de communication : ce qui est en jeu, ce sont les nouveaux rapports de force entre les empires du XXI° siècle. Donald Trump a voulu frapper un grand coup pour réimposer l’hégémonie américaine contestée, et il utilise les armes dont il dispose, les droits de douane, la puissance technologique de la Silicon Valley, la première armée mondiale. Mais il a dressé contre lui un « front du refus » hétéroclite, au centre duquel la Chine et sa puissance économique voient la possibilité d’émerger en leader du monde non-occidental. C’est l’erreur commise par Donald Trump : il a poussé dans les bras de la Chine tous ceux qu’il veut soumettre en les humiliant.
Reste l’Europe, qui est prisonnière de son alliance avec les États-Unis à cause de la guerre à ses portes : elle n’a pas encore fait la démonstration de sa capacité à incarner une « troisième voie », susceptible de s’opposer à la fois au monde de Trump, et à celui qui émerge la photo de Tianjin.

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