vendredi 2 juillet 2021

L' Amérique latine, d'hier à aujourd'hui : histoire, éco, géopol...

 Excellente émission de Hors-Série " Amérique latine, berceau des luttes d'émancipation"  (26/06/2021) à l'occasion de la sortie de deux  livres coordonnés par l'historien Franck Gaudichaud




Pour accompagner le contenu de cette émission et remettre les analyses en contexte, voici le résumé d'un cours de fac dédié à l'histoire de l'Amérique latine. Donc, le texte n'est clairement pas de moi, mais je ne retrouve pas les références. My bad ...

Les éléments repris de l'émission seront en bleu. Ils concernent essentiellement la période actuelle.


Fil directeur : une Amérique latine, berceau des révolutions ? Deux siècles de mouvements sociaux et de révolutions dont certaines ont été victorieuses (cf Cuba) et servent de modèles (révolution mexicaine des 1910's, expérience sandiniste à p. de 1979 au Nicaragua) et ont alimenté les imaginaires y compris en dehors du sous-continent. ...eu croisement des luttes sociales et des mouvements de décolonisation (construire des Etats-Nation indépendants).

Attention : plusieurs types de révolutions sur le sous-continent

  • révolution socialiste
  • revolution anti-impérialiste
  • contre-révolution militaire
  • révolution nationale ...


L’Amérique latine début XXe

1. Culture européenne, cultures indiennes

Les indépendances du début du XIXe sont le fruit de l’aristocratie créole qui s’est opposée au pouvoir espagnol, leurs revendications s’inscrivent dans l’esprit des Lumières. Par exemple, au Brésil, sur le drapeau figure la devise de Auguste Comte ("Ordre et Progrès") Les élites latino-américaines sont donc fortement imprégnées de culture européenne. Cependant, leur objectif est de maintenir l’ordre social. Coexistent donc deux cultures : la culture officielle de référence européenne et la culture indigène. Les différences sociales sont déterminées par les différences culturelles et ethniques : blanc > créole > noir et indigène. Encore de nos jours, les sociétés latino-américaines sont marquées de cet ordre post-colonial.

2. La difficile consolidations des États-nations au XIXe

L’histoire des États américains au XIXe a été particulièrement mouvementée : conflits inter-étatiques (Bolivie/ Pérou, Pérou/Chili) essentiellement pour les frontières ET luttes intra-étatiques entre centralistes et fédéralistes (comme en Argentine). Les États américains sont, pour la plupart, des états fédéraux (Mexique, Argentine, Brésil) non seulement en raison de la taille des États. L’histoire de la consolidation des États-Nations au XIXe est celle d’un conflit permanant entre la volonté centralisatrice de l’État et les forces centrifuges des pouvoirs locaux et régionaux. Ces seigneurs territoriaux avec lesquels l’État devra négocier faute de pouvoir les contrôler, s’appuient sur des formes de sociabilité traditionnelle et des réseaux locaux fortement ancrés dans le territoire.


Que l’on ait adopté une constitution plutôt présidentialiste ou parlementaire, le suffrage universel n’est adopté en Argentine qu’en 1912, en URUGUAY en 1918 (y compris le suffrage féminin dans ce dernier cas). Ailleurs on en est encore très loin. À la veille de la première guerre mondiale, seulement 5% des adultes mâles votent en Colombie, 3% au Chili. Au Chili encore, dans les années 1960, il n’y a que 20% d’électeurs et 44 % seulement dans les années 70. De toute façon, le système électoral fonctionne bien mal, parce que il y a de très fortes contraintes sur les votes et parce que les résultats sont truqués.

Certains hommes ambitieux disposant de la force militaire (les caudillos) ont pu confisquer le pouvoir politique à leur profit, et exercer des dictatures plus ou moins violentes. Le caudillo est un guide pour son pays, sa légitimité étant fondée sur sa valeur militaire qui suppose des valeurs morales et politiques. L’exemple type du caudillo installé au pouvoir est celui de Porfirio Diaz au Mexique de 1876 à 1910. Vicente Gomez (1908 - 1935) au Venezuela


Au début du siècle, seuls l’Argentine, l’Uruguay, le Chili, la Colombie et le Costa Rica ont l’apparence de régime constitutionnels à peu près représentatifs. Dans la plupart des états, le choix politique est entre une oligarchie de propriétaire ou encore un caudillo exerçant le pouvoir de façon dictatorial s'accommodant ou pas avec l’oligarchie.



3. Les interventions des États-Unis en Amérique latine

Le fondement idéologique de cet interventionnisme est la doctrine Monroe en 1823, légitimé par le Manifest Destiny du peuple américain fondé sur le respect de l’autonomie des Amériques face aux européens. L’interventionnisme se dote d’un instrument efficace de propagande avec les conférences Panaméricaines où les États-Unis assurent la direction et établissent l’ordre du jour.

La défense des intérêts économiques des entreprises nord-américaines apparaît primordiale et particulièrement évident dans le cas de Panama. Après l’acquisition de la Compagnie française qui avait débuté les travaux par une cie américaine, les ÉU obtiennent une bande de territoire de 6 Miles de large pour 99 ans (janvier 1903). Cependant certains milieux colombiens voyant là un abandon de la souveraineté, les ÉU soutiennent une révolte de séparatiste panaméen qui aboutit à la création de l’État indépendant du Panama.

Fort de ses succès à Cuba et au Panama, Théodore Roosevelt définit placidement dans un mélange de naïveté et de cynisme, le droit d’intervention des ÉU sous le nom de politique du big stick (gros bâton). D’où les interventions en République Dominicaine en 1905 s’ensuit un véritable gouvernement des marines jusqu’en 1941, à Haïti en 1915, au Nicaragua en 1909, 1912 et 1926. L’arrivée au pouvoir de Franklin Delano Roosevelt en 1933 va représenter une certaine volonté de substituer une politique de “bon voisinage”. On reconnaît enfin tout au moins formellement l’égalité des nations, l’abolition de l ‘amendement Platt concernant Cuba par exemple, la non-intervention lors de la nationalisation de pétrole par Cardenas au Mexique en 1938. Mais cela ne signifie pas que les ÉU ne sont pas attentifs à la défense de leurs intérêts ni à la promotion d’un américanisme à l’échelle du continent, dont ils seraient le guide et qui s’exprimerait par le commerce.

Point sur : La Révolution mexicaine 1910 - 1920
Depuis 1876, Porfirio Diaz exerçait une véritable dictature de type bonapartiste. Si une certaine modernisation, fondée sur les investissements étrangers est indéniable, elle a surtout profité à l’oligarchie traditionnelle. => soulèvement militaire de Pascual Orozco et de Francisco “Pancho” Villa. D’autres soulèvements, plus ou moins bien coordonnés suivirent dans les dernières semaines de 1910 dans le Nord + mars 1911, soulèvement au Sud conduit par Emiliano Zapata. = des paysans et petite bourgeoisie. Le 28 novembre 1911, Emiliano Zapata publie son “Plan de Ayala”. Le programme est fondé sur les revendications paysannes : récupération des terres usurpées sous le porfiriat ; expropriation d’un tiers des latifundios ; confiscation des terres des hacenderos qui luttent contre la Révolution. En 1911, 95% des paysans étaient sans terre.
Renversement de Diaz et Madero élu président le 6 novembre 1911 entreprit de faire fonctionner la république parlementaire Mais affrontement avec les zapatistes et les partisans de Villa.
=>La constitution fédérale de 1917

Ainsi, si la propriété privée était garantie, elle instituait également la restitution des terres aux ejidos (structures paysannes collectives). Elle accordait parallèlement la journée de 8 heures et le droit de grève. Dans le domaine politique, elle garantissait les libertés publiques et imposait la non réélection du président, établissait le mariage et l’enseignement civil. Au total, une constitution clairement réformiste, sensiblement progressiste, mais qui ne satisfaisait pas les secteurs les plus radicaux. Elle sert néanmoins de modèle aux autres pays d'Amérique latine.


4. Un modèle agro-minier

L’essor économique dans le premier tiers du XXe est fondé sur l’exploitation des ressources naturelles.
Ressources agricoles en premier lieu : l’Argentine en 1913 est les 3e producteur mondial de blé et le 1e exportateur de viande bovine. Cet essor a été rendu possible par la baisse des coûts de transports et par la mise au point de la conservation par le froid.
Ressources minières également : le nitrate et le cuivre chilien ou anglo-chilien, l’étain bolivien, le pétrole mexicain (concession accordée par Porfirio Diaz à la Standart Oil de Rockfeller) et plus tard le pétrole Vénézuélien (Cédé par Vicente Gomez à la Shell) qui devient le 1er exportateur mondial et le 3eme producteur mondial de pétrole.

Une économie prospère mais débouchant sur un système mono-productif tourné vers l’exploitation des ressources agro-minières. C’est une économie très ouverte qui possède comme avantage de permettre un développement très rapide du pays mais c’est un économie déséquilibré qui engendre l’économie des cycles :par exemple au Brésil, au cycle du café qui fit la fortune de Sao Paulo suivit le cycle du caoutchouc. Ces cycles sont vites achevés après que les sols eurent été littéralement épuisés par une exploitation effrénée. Lorsque le retournement cyclique se fait sentir, il laisse des villes minières (Antofagasta au Chili par exemple après la fin du cycle du nitrate) ou des régions entières à l’abandon. De plus cet économie des cycles favorise une accumulation de capitaux destinés à la spéculation et non à l’investissement.

Timides industrialisations en Argentine (industrie de transformation de la viande en conserve par ex). l’Uruguay le Chili, le Pérou.


Les économies ouvertes d’Amérique latine sont dépendantes vis à vis de l’étranger à la fois en amont et en aval. En amont, car les investissements proviennent dans leur quasi totalité de l’étranger. Seule l’Argentine et à un moindre degré la bourgeoisie de Sao Paulo sera en mesure à la fin des année 20 de procéder à une politique d’investissement au demeurant limitée. En aval la dépendance est d’autant plus forte que les exportations concentrés sur un ou deux produits et que la géographie des exportations est elle très concentrée. En 1928, les exportations comptent pour 30% dans la formation du PIB argentin, pour 35% au Chili ou au Pérou, mais pour plus de 50% au Costa Rica, au Honduras.

Remarque :Le cas le plus extrême est celui de la United Fruit Compagny qui en Amérique centrale et dans la région caraïbe/colombienne possède les plantations, les chemins de fer, les embarcadères, contrôle les douanes et exerce une domination totale sur la vie sociale et politique de la région et la politique économique menée par le gouvernement.

+ la dépendance financière <= emprunts. Dans les années 1920, l’Argentine consacre 39% de son budget à payer le service de la dette extérieur (22 emprunts cumulés). Beaucoup d’État d’Amérique centrale furent contraint de céder aux ÉU le contrôle et l’administration de leurs douanes ou de leur chemin de fer.


L’Amérique latine de 1930 à 1960 : L’époque “nationale-populaire”


Les décennies du milieu du siècle sont marquées en Amérique latine par une réaction contre la dépendance économique, politique et même culturelle à l’égard de l’Europe et des États-Unis.

1- La manifestation et les effets de la crise des années 30

Les économies latino-américaines furent particulièrement éprouvées par la crise. Le prix des exportations latino-américaines s’effondrèrent du tiers pour la laine et le caoutchouc, de moitié pour le café, le blé et l’étain. La valeur des exportations chuta de 64,3 % entre 1929 et 1933. Cuba perdit plus de 70% de la valeur de ses exportations, la Bolivie et le Chili, plus de 80%. À l’exception de l’Argentine, tous les Etats se déclarèrent en faillite et durent procéder en catastrophe à la dévaluation de leur monnaie.

Dans les années 30, dans beaucoup de pays, se développent des mouvement ultra-conservateurs, autoritaires (au Honduras et au Guatemala, ils sont même fascistes). Un des exemples les plus manifestes est celui du Guatemala ou se déroula une dictature particulièrement féroce au bénéfice de la United Fruit Company et d’une oligarchie latifundiaire d’origine allemande.

SAUF Exception : Au Mexique, les élections de 1934 voient la victoire de Lazaro Cardenas issu de la gauche mexicaine qui se réclame dans la continuité des réformes de la Révolution + nationalisation du pétrole => Or Roosevelt n’est pas intervenu à la fois dans l’optique du bon voisinage et dans les mauvaise relations qu’entretenait Roosevelt et les Compagnies pétrolières texanes.


À la fin des années 30 et durant les années 40, il se produisit en Amérique latine un phénomène politique que l’on nomme généralement "national-populiste”. Il s’agit d’une façon formelle d’expression politique qui se veut nationale et réformiste. Elle est fondamentalement liée au développement de nouvelles couches moyennes urbaines : petite bourgeoisie, employés et fonctionnaire. Peuvent y être rattachés tant l’APRA au Pérou que le MNR de Bolivie, l’Accion Democratica vénézuelienne et bien sur les régimes de Getulio Vargas au Brésil et de Peron en Argentine.

Malgré leur sociologie plutôt populaire, les partis “populistes” représentent en fait essentiellement les intérêts des groupes de la bourgeoisie nationale non liée au capital étranger. C’est le sens de leur soutien à l’État. Leur idéologie est fondée sur un nationalisme d’État teinté d’idéal socialisant plus ou moins affirmé, selon les cas (plutôt davantage dans le cas de l’APRA péruvienne de Victor Haya de la Torre, nettement moins dans le cas de Vargas -Brésil- ou de Peron -Argentine-). mais aussi non dénué d’une certaine sympathie pour certains traits du fascisme, notamment le culte du chef et le goût de l’ordre (surtout chez Peron). 
<=> mouvement populiste historique des années 1930's et 1940's = alliance de classes des classes populaires mobilisées contre l'oligarchie , le prolétariat flottant, précaire, urbanisé, les classes moyennes + incarnation dans un homme charismatique + tout en donnant des gages à l'oligarchie en étant un rempart contre le danger de la révolution socialiste/communiste <= obsession de l'ordre social , de contrôle de la société + idéologie nationaliste.
Mouvement caméléon, notamment en Argentine, qui peut être de gauche ou de droite conservatrice, selon le moment politique

Point sur : Au Brésil, l’Estado Novo
En 1937, Getulio Vargas lançait son programme d’Estado Novo sur le plan économique, il s’agit de réduire la monoculture caféière d’une part et de renforcer le capital national et de stimuler l’industrie d’autre part. Sur le plan politique et social, il s’agissait clairement d’établir une sorte de corporatisme. Vargas dissout les partis politiques et les syndicats. La population est intégré dans les corporations organisées par l’État. EN 1944, cependant, Vargas autorise à nouveau les partis (y compris le parti communiste clandestin depuis 1922 : son dirigeant Luis Carlos Prestes “le prisonnier politique le plus connu d’Amérique latine” est libéré) et les syndicats => coup d’État militaire qui le renverse en octobre 1945 au profit du général Dutra. Celui-ci organise bien des élections mais interdit le parti communiste et la Confédération des travailleurs brésiliens, centrale syndicale commune aux communistes et aux socialistes. En 1950, les élections présidentielles ramènent au pouvoir Getulio Vargas. Les milieux conservateurs s’emploient à le contester et à s’opposer à sa politique économique et sociale. Ils accusent sa planification, le protectionnisme et les nationalisations. En 1954, un “mémorandum des colonels” s’en prend à Vargas et le pousse au suicide. Mais la réaction populaire paralyse les ambitions de la droite civile et militaire. 1955 : la présidence de Juscelino Kubitschek.
Le nouveau président engage résolument le pays dans le “développementisme”, la planification, l’industrialisation et la modernisation (dont la construction d’une nouvelle capitale ex-nihilo : Brasilia).

2- Le “développement auto-centré”

Deux points expliquent la généralisation du nationalisme économique au milieu du siècle en Amérique latine :
  • La crise consécutive au Krach de 1929 avait montré la faillite des politiques économiques fondées sur l’exportation des ressources agricoles et minières. Vers la fin des années 30, des politiques de sortie de crise fondées sur la substitution des importations et l’intervention de l’État, menées au Mexique et au Brésil (+ 2,3% de croissance), avaient paru, au contraire indiquer une voie susceptible de renouer avec la prospérité.
  •  Le soutien d’une partie de la bourgeoisie nationale et celui des masses populaires urbaines.
<= La croissance démographique et ses effets cumulés est sans contexte un phénomène massif de l’histoire contemporaine du continent. Le taux de croissance annuel de la population est de 2,3% durant la décennie 1940-1950, de 2,7% pour 1950-1960, de 2,9% pour 1960-1970 et encore 2,7% pour 1970-1980. La population totale est de 160 millions en 1955, 275 millions en 1970 et de 352 millions en 1980 et de 540 millions en 2000. Mais , il faut noter que cette croissance n’est pas homogène selon les grandes zones sous-continentales. Cette croissance a provoqué celle des villes et des agglomérations et accru les tensions entre mondes urbains et ruraux.


Le nationalisme économique se manifeste par des mesures de lutte contre le capital étranger. Les mesures les plus spectaculaires et emblématiques furent les nationalisations avec indemnisation de compagnies étrangères. La nationalisation pionnière fut celle du pétrole mexicain en 1938. D’autres nationalisation de compagnies pétrolières suivirent comme en Argentine en 1946, nationalisation des chemins de fer : au Mexique en 1940, en Argentine en 1946, au Brésil de 46 à 50, au Chili en 51.

+ Luttes plus féroces pour l’électricité : le Brésil et l’Argentine se heurtèrent aux monopoles canadiens et états-uniens, dont celui de la Light. C’est encore plus difficile avec les trust miniers : au Chili, le gouvernement démocrate-chrétien de Frei eut toutes les peines du monde à imposer une participation de 25% dans le capital du trust du cuivre de l’Anaconda Cooper Cy.



En complément de ces transferts de propriété, les États s’efforcèrent également de réglementer les investissements étrangers :
  •  une législation anti-trust étaient institutée par l’Argentine en 46-48. En 1952, le Brésil exigeait des sociétés anonymes que 51% au moins de leurs capitaux soient souscrits soit par l’État soit par des particuliers brésiliens
=> la création et le développement d’entreprises nationales, publiques (dont la Pemex, cie de Pétrole mexicaine fut longtemps le modèle) ou semi- publique comme Petrobras ou Electrobras, cies du pétrole et de l’électricité du Brésil.
  • la tentative de concilier le développement des exportations et le protectionnisme. Le résultat devait être l’établissement d’un appareil industriel autochtone substitutif des importations.


3. La crise des années 1970 et 1980

La crise mondiale des années 70 touche de plein fouet les économies latino-américaines qui apparaissaient comme plus florissantes.

<= relative stagnation du secteur agricole et faible modernisation + la structure de la production industrielle était fragile. L’industrie latino-américaine concerne pour plus de la moitié de la production des biens de type traditionnel (agro-alimentaire, meubles, tabacs, boissons) les industries des secteurs dynamiques (chimie, métallurgie, constructions automobiles) ne sont réellement présentes qu’en Argentine, au Brésil, au Mexique et dans une mesure bien plus faible en Uruguay ou en Colombie. Surtout, partout (y compris en Argentine ou au Brésil) la part des biens d’équipements dans la consommation des ménages est bien trop faible du fait de la pauvreté de la pop.



4- Impasse et échec des expériences “réformistes” :

Remarque : À la fin de la guerre et avec l’arrivée de Truman à la Maison Blanche, les États-Unis reprennent une politique active en Amérique latine. Celle-ci est à la fois réservoir de matières premières et un débouché pour les industries états-uniennes. Sur le plan politique, si entre 44 et 46, il s’agit pour les États-Unis de promouvoir une certaine démocratisation, à partir de 47, il s’agit surtout dans le cadre de la guerre froide de lutter contre le communisme : c’est l’idée de la “défense continentale”. Avec le soutien des oligarchies locales, bon nombre de mouvement démocratiques ou sociaux sont assez vite accusés de faire le lit du communisme. La Conférence interaméricaine de Rio de Janeiro de septembre 1947 et la création de l’OEA (organisation des États Américains) à Bogota en avril 48 sont les signes de cette volonté.


Plusieurs états connaissent durant les années 44-47, l’expérience de régimes démocratiques : le Pérou avec l’élection de José Luis Bustamante soutenu par l’APRA ( mouvement réformiste puissant et violemment anti-communiste), le Vénézuela avec celle de Romulo Betencourt, le Costa Rica où le président est soutenu par les communistes. Mais ces expériences tournent court : au Pérou et au Venezuela un coup d’état renverse le président en 48, au Costa Rica, l’acte additionnel à la constitution de 48 interdit le parti communiste (comme au Brésil, à Cuba, au Chili et au Pérou entre autres). Dans des contextes différents, l’histoire de la Colombie, du Guatemala et de la Bolivie témoignent de l’impossibilité de s’engager sur des voies réformistes à l’instar par exemple des expériences européennes contemporaines. L’expérience populiste de gauche du Pérou des années 60 en est une illustration supplémentaire.

ex. 1. Gaitan et le bogotazo en Colombie

Ospina Perez représentant de la droite conservatrice gagne les élections de 46 alors que le chômage et la vie chère favorisent la croissance du nombre des manifestations. Le gouvernement y répond par la répression légale et la violence terroriste exercée conjointement avec des milices au service des grands latifundiaires. L’opposition libérale de gauche s’organise à sont tour. La violencia devient le maitre mot de la vie politique en Colombie. Jorge Gaitan, dirigeant de l’aile gauche du parti libéral cristallise sir son nom toutes les aspirations démocratiques et révolutionnaires. En 1947, il exige la réforme agraire, une politique économique industrialisante et nationale, une réforme bancaire et l’élimination de la corruption. Il reçoit le soutien des syndicats. Le 9 avril 1948, il est mystérieusement assassiné. Les jours suivants, ses partisans déclenchent une émeute populaire qui tien la ville sous son contrôle pendant quelques temps (au moment ou se tient la conférence panaméricaine, obligée de suspendre sa séance). Ce soulèvement spontané est rapidement écrasé. La répression contre les démocrates s’étendit par la suite sur plusieurs mois (Gabriel Garcia Marquez donne une description de Gaitan et du Bogotazo dans son premier ouvrage, ses mémoires dont le titre français est Vivre pour la raconter). En 1949, le président Ospino Perez proclamait l’état d’urgence, dissolvait le parlement et suspendait toutes les libertés publiques.


ex. 2. La répression contre la révolution guatémaltèque

Les années de l’après-guerre sont marquées par l’établissement d’in régime démocratique. Après que les États-Unis, eurent en 1944 contraint à la démission le dictateur Ubico ; un soulèvement démocratique exigea des élections. Celles-ci furent gagnées par Juan Arévalo représentant de la gauche démocratique et réformiste. Le droit de vote aux femmes et aux analphabètes (80% de la population à l’époque). On promulgua un code du travail et établit la semaine de 48h. Le gouvernement entama une grande campagne d’alphabétisation et créa une banque nationale de crédit. Les latifundios allemands furent démantelés, mais les grands propriétaires nationaux conservèrent intacts leurs domaines.

Arévalo s’était réclamé du socialisme humaniste qu’il opposait au socialisme matérialiste. Or, il au pouvoir, il tenta de promouvoir une “démocratie fonctionnelle”, censée assurer la coordination des intérêts des différentes classes sociales. Les problèmes devaient être résolus dans le cadre de conférences locales, régionales et nationales. Une première conférence nationale n’eut pas de suite. Les conflits de classe ne pouvaient être ainsi estompés.

Les élections de 51 furent gagnés par Arbenz qui avec le soutien des partis réformistes, des syndicats et des communistes entama enfin la réforme agraire. Une réforme agraire au demeurant modérée, qui ne touchait que les domaines de plus de 300 hectares et qui permit à plus de 100 000 familles d’accéder à l’exploitation. Les élections de 1933 furent un vrai succès pour le gouvernement. Mais en juin 54, avec l’appui de l’OEA et des états dictatoriaux voisins, inquiets de l’exemple guatémaltèque et prétextant la dérive marxiste, le colonel guatémaltèque Armas envahissait le pays depuis le Honduras et obtenait de l’armée qu’elle dépose le président Arbenz. Une terrible répression contre les forces démocrates s’ensuivit.


ex 3. La “révolution réformiste” en Bolivie, 1952-1954 : un type nouveau de populisme
La Bolivie est le pays le plus indien de l’Amérique du sud, le pays le plus retardé aussi. C’est un pays de monoproduction, la chute du cours de l’étain en 52 a provoqué un déséquilibre important.

Au lendemain de la 2nd Guerre mondiale, la Bolivie est encore un pays frustré par le traumatisme de la guerre du Chaco. Dans une société où les indiens sont majoritaires et où les structures sociales sont les plus archaïques de toutes l’Amérique du Sud, l’oligarchie est destabilisée par la brusque chute des cours décidé par les États-Unis au moment de la guerre de Corée.

Une insurrection des mineurs porte au pouvoir le MNR (Movimiento nacionalista revolucionario) en 52; L’idéologie du MNR est passablement vague. Ce qui la rapproche des mouvements populistes. Mais le culte du chef n’y est point poussé comme au Brésil et a fortiori comme en Argentine. Dans son combat contre l’oligarchie, le MNR est très largement soutenu par les Indiens, les mineurs et les ouvriers, les classes moyennes et même paradoxalement par le parti communiste et les jeunes officiers progressistes des Forces Armées.

Le gouvernement du MNR procède à la nationalisation des mines d’étain et à la création d’un organisme public pour les gérer (la Comibol). Paz Estenssoro (président de 52 à 56 et de 60 à 64) promet la disparition des latifundios et l’affranchissement des Indiens. La réforma agraire, relativement importante, de 1953 s’inspire de la Révolution mexicaine. Si les terres des vallées les plus modernes et capitalistes ne furent pas concernées, près de 10 millions d’hectares des altiplanos furent distribués à plus de 200 000 familles.

Dans le domaine politique, le MNR établit le suffrage universel, autorise et encourage la création de centrale syndicale (la COB); mais surtout, il organise les ouvriers et paysans en milices chargées de défendre les acquis de la révolution.

La fin des années 50 vit les difficultés apparaître puis s’amplifier :
  • des divisions apparurent entre révolutionnaires, entre partisans de la poursuite du processus révolutionnaire et nationalisateur et ceux et qui pensaient que le pays devait se rapprocher des États- Unis afin de bénéficier des subsides que le gouvernement de Washington promettait dans le cadre de l’alliance pour le progrès.
  • la situation économique, due aux tensions sur le marché de l’étain dégrada les conditions de vie des ouvriers et les paysans étaient déçus des résultats de la réforme agraire.
  •  depuis leur défaite en 52, les forces armées avaient entrepris de se rendre plus populaire notamment grâce au général Barrientos, un homme neuf.
Paz emportait les élections de 64, mais son vice-président le général Barrientos le renversait le 4 novembre et les forces armées inauguraient une longue période de dictature militaire au demeurant très instable jusqu’à l’arrivée du général Hugo Banzer au début de la décennie 70. 


Point sur : La révolution cubaine, une révolution nationaliste progressiste
Depuis 1934, à la suite d’un soulèvement, Fulgencion Batista est l’homme fort de Cuba, sous son propre nom ou derrière ceux des hommes qu’’il porte à la présidence. À partir du coup d’État de 52, il renforce son pouvoir personnel et celui d’une mince oligarchie. La traditionnelle relation de dépendance à l’égard des ÉU est renforcée.

C’est dans ce contexte qu’a lieu en 53, la première tentative révolutionnaire de Fidel Castro, jeune avocat nationaliste qui se réclame de José Marti, le héros de la guerre d’indépendance. Son objectif est de libérer le pays de la corruption et du pouvoir des “secteurs aisés et conservateurs”, c’est-à-dire la haute bourgeoisie et le remettre au peuple qui regroupe dans sa conception tant la petite bourgeoisie (artistes, commerçants, enseignants, ingénieurs,...) que le prolétariat rural et urbain. Arrêté et jugé (“l’histoire m’acquittera”), condamné à 19 ans de prison, il est ensuite amnistié et se réfugie au Mexique. Il y prépare avec un groupe de 24 hommes dont l’argentin Ernesto “Che” Guevara le débarquement du 2 décembre 1956 dans la Sierra Maestra.

En deux ans, le noyau originel va se transformer en véritable armée rebelle et prendre La Havane, d’où Batista s’est enfui le 1er janvier 1959. Cette rapide victoire s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs :

- La capacité de Castro à rassemble les paysans pauvres en distribuant immédiatement les terres des grands domaines dans les régions qu’il contrôle.

- La petite bourgeoisie des villes et les étudiants soutiennent le mouvement qui lutte contre une dictature vénale, corrompue et inféodée aux ÉU.

- La situation très difficile du peuple cubain : 600 000 chômeurs sur une population de X millions d’habitants, le rend très réceptif.

Cette victoire revêt une importance tout à fait exceptionnelle. Pour la première fois en Amérique latine, une guérilla parvient à mettre en déroute une armée professionnelle. Ce triomphe a un immense retentissement dans tout le continent. Son importance est d’autant plus grande que le castrisme va être à l’origine d’une expérience révolutionnaire en Amérique latine par l’instauration dès 61 d’un régime socialiste.
Le 17 mai 1959 est promulguée la Réforme agraire. Il s’agit encore s’une réforme modérée, avec indemnisation. Le fait remarquable c’est qu’elle transforma la moitié des terres en coopératives plutôt que de la distribuer en trop petits lots. Cela a été plus facile ici qu’ailleurs, parce que les paysans des plantations de sucre étaient davantage des propriétaire ruraux que de véritables paysans ayant faim de terre. Dès cet instant, il se constitue un front anti-révolutionnaire formé des partisans de l’oligarchie des grands propriétaires - dont les nord-américains qui possédaient 50% des terres, de certaines fractions de la moyenne bourgeoisie qui possédaient des intérêts dans l’industrie sucrière et dont l’émigration de milliers de membres des calles aisées est le signe. Dans un discours prononcé à l’ONU en septembre 1960 Castro répond que Cuba ne peut accepter les exigences d’Eisenhower de voir les indemnisations payées immédiatement et en dollars. Les ÉU menacent l’île d’embargo qui dépendaient à 80% pour les produits industriels d’importation et à 90% pour les exportations de sucre.


C’était sans compter avec la détermination de Castro. Cuba signe avec l’URSS un accord commercial portant sur 20% de la production de sucre, puis un second accord qui prévoit l’échange sucre-pétrole. En mars 1960, un bateau explose dans le port de la Havane. En octobre, la socialisation de l’économie s’accentue avec la nationalisation des banques, puis l’expropriation des grandes entreprises industrielles ; par ailleurs, la loi de Réforme urbaine interdit à une personne privée de percevoir mensuellement plus de 600 dollars de loyer et institue un système qui vise à rendre tous les locataires propriétaires de leurs logements.

À la fin de 1960, l’URSS offre de défendre militairement Cuba. Le 16 avril 1961, la tentative de débarquement sur la Baie des Cochons est un fiasco pour les ÉU. Le même jour, Castro proclame le caractère socialiste du régime. Les tâches prioritaires sont désignées à l’ardeur des militants sont la lutte pour l’éducation et la santé.

En 1962, sous la pression des ÉU, Cuba est exclu de l’OEA. En octobre, la “crise des fusées” place Cuba au coeur des tensions internationales. En 1965, la création du nouveau parti communiste a pour objectif de réunir les membres de l’ancien parti communiste et les révolutionnaires castristes issus du mouvement de la Sierra Maestra.



La contre-révolution en Amérique latine

Les dictatures conservatrices n’avaient jamais disparu du continent, même durant les années 44-48, où l’heure semblait davantage propice aux régimes populistes d’une part et aux expériences démocratiques (au demeurant fragiles et éphémères) d’autre part. Ainsi parmi les plus répressives et plus longues celle de la famille Somoza au Nicaragua (propriétaire du 1/4 des terres du pays), celle de Trujillo en république Dominicaine. Passées les années de l’immédiat après-guerre, où la Maison Blanche les avait tenu à l’écart, les dictateurs avaient vu leur pouvoir consolidé. Sans doute, en partie grâce à la CIA qui voyait en eux d’excellentes sentinelles contre le communisme, mais également avec l’aval des oligarchies locales et sous l’effet, non négligeable des luttes de clans internes aux différentes classes dirigeantes et à l’armée. La révolution cubaine a incontestablement effrayé les forces conservatrices et a servi de prétexte tant aux coups d’états contre les moindres expériences réformistes qu’aux interventions préventives.

Au milieu des années 60, de l’aveu même de Lyndon Johnson, il apparaît que l’Alliance pour le progrès a échoué. Le désir de réaction sociale d’importants groupes des oligarchies locales prend comme justification la volonté de s’opposer de façon plus énergique au communisme. Lors de la conférence tricontinentale de La Havane en janvier 1966, Castro, il est vrai, appelle les peuples d’Amérique latine à la révolution sociale tandis que Che Guevara développe sa théorie du foco (foyer révolutionnaire) et mène la guerilla en Bolivie.

En fait, le mouvement de reprise en main autoritaire et oligarchique avait débuté bien avant en Argentine et le coup d’État militaire de 64 au Brésil en était le revélateur. Par ailleurs, les putschistes faisaient preuve d’une conception très élargie du danger “subversif” s’il leur incombait de mener la lutte contre les guérillas révolutionnaires en Colombie, au Pérou et plus tar au Guatemala, au Salvador et au Nicaragua, ils s’élevèrent ave la même volonté contre les expériences socialistes comme au Chili ou plus simplement “populistes réformistes” comme au Brésil ou au Pérou ; parfois même comme en Uruguay ou en Argentine en 76, le coup d’état était clairement préventif.

A la fin de la décennie 1970, le bilan est sombre. Si on excepte le Costa Rica et compte tenu de la confiscation de la vie politique par le PRI au Mexique et de la parodie de système représentatif en Colombie, tous, tous les pays d’Amérique latine vivaient sous un régime très autoritaire voir dictatorial au contenu fort conservateur.


1. Des militaires ultraconservateurs contrôlant le pouvoir en Argentine

Le renversement de Peron en Argentine en 1955 peut être interpétré comme une réaction conservatrice. L’expérience du général Lonardi de “péronisme sans Peron” tourne court en 1956 : le général Aramburu a pour objectif de faire disparaître toutes les dispositions, toutes les lois et tous les organismes issus du péronisme, en particulier en matière sociale. Mais la combativité ouvrière et syndicale empêchera les militaires libéraux et nettement pro-nord-américains (ceux qu’on appelle en Argentine les “gorilles”) de réaliser leur objectif. Le régime d’apparence démocratique rétabli (Le radical Frondizi est élu président en 1958) est en fait fragile dans un contexte dominé par l’armée. Les fractions dominantes au sein de l’armée assimilent au communisme le péronisme. et même le radicalisme de Frondizi. Malgré les concessions qu’il n’a cessé de faire aux militaires, l’armée le renverse en 1962 tout comme sons successeur en 1966. Les Forces militaires Armées désignent directement le président Ongania qui monopolise tous les pouvoirs. Ongania et la junte militaire qui l’entoure dissolvent tous les partis politiques et donnent comme objectif au pouvoir la défense par tous les moyens des valeurs de l’occident chrétien et menèrent une politique économique ultra- libérale.


Le projet échoue autant économiquement que socialement (manifestation de Cordoba en 69) et politiquement (subversion armée des péronistes de gauche : les Montoneros, manifestations populaires et élection de Peron à la présidence en 73 avec 62% des voix).
À son retour au pouvoir en 1973, Péron manifeste l’intention d’appliquer la même politique de conciliation des classes qu’il avait mené avant 1955. Mais la situation a beaucoup évolué. Politiquement, la crise économique que travers le pays ne lui permet pas de pratiquer la même politique sociale généreuse du justicialisme des années 40 ou de procéder à des nationalisations avec indemnisations. En même temps, la jeunesse et la gauche péroniste penche pour une évolution du justicialisme vers le socialisme tandis que la droite du parti prône au contraire une conciliation avec l’oligarchie. Peron choisit clairement de soutenir la droite du parti. Une orientation encore renforcée après sa mort par sa deuxième femme, Isabel, qui devient présidente en 1974 et le ministre Lopez Rega. Pour faire face à la guerilla des Montoneros, ils décrètent l’état de siège et laissent faire les escadrons de l’AAA ( Alliance Anticommuniste Argentine). Malgré tout, la lutte contre la “subversion” semble trop molle et l’orientation libérale pas assez nette aux militaires qui s’emparent à nouveau du pouvoir le 24 mars 1976. = La dictature des militaires
Cette fois-ci, la junte militaire dirigée par le général Jorge Videla n’a pas l’intention de simplement contrôler le pouvoir, mais bien, comme au Chili, de l’exercer directement. La répression fut d’une rare violence, pire qu’au Chili sans doute : plusieurs dizaines de milliers de disparus et de torturés, notamment dans les locaux de l’École de mécanique de la Marine.



2. Un signal : le coup d’État militaire au Brésil de 1964

Après que le successeur de Kubitschek : Janio Quadros eut démissionné en 1963, les conditions de l’affrontement de 1954 se dessinent à nouveau : d’un côté Goulart, soutenu par le mouvement populaire et nationaliste ainsi que par de larges fractions de l’Église ; de l’autre, les conservateurs, une partie des libéraux et une partie de la hiérarchie catholique et l’armée.

Les partis politiques libéraux et traditionnels semblants impuissants, les États-Unis se décide à soutenir les putschistes en avril 64 et amènent au pouvoir le général Castelo Branco. Après la réussite du coup d’État, tous les partis politiques et syndicats existant sont dissous. Le régime crée son propre parti : l’Alliance rénovatrice nationale. À partir de 1969, le régime militaire se durcit : les libertés politiques sont suspendues, la répression est accrue sur les militants de gauche, les intellectuels et même les membres de l’Église catholique engagés dans la lutte contre la dictature.

Au début, de la présidence du général Ernesto Geisel (1974 - 1979) s’amorce une timide révolution : les tortures et assassinats politiques diminuent.



3. Le coup d’État et la dictature sanglante de Pinochet au Chili / le modèle néolibéral (Chili et la junte mil argentine)

Le coup d’État du 11 septembre 1973 préparé par la CIA et les Forces armées a reçu le soutien de l’oligarchie mais aussi des classes moyennes et de l’Église. Le général Augusto Pinochet qui s’empare du pouvoir a pour objectif d’éradiquer le communisme et le socialisme athées. La répression sanglante qu’il fait subir au pays tue plusieurs milliers de personnes dans les semaines qui suivent le putsch. L’ampleur de la répression est telle que le cardinal-primat déplore en avril 74 les détentions arbitraires et le climat de peur dans le pays. Condamné à l’ONU, Pinochet se donne une légitimité en organisant à son profit un plébiscite en 78 qui lui assure tous les pouvoirs dans la constitution militaire de 1980. À partir de 1983, l’opposition clandestine parvient à organiser des manifestations (interdites biens entendu) de mineurs du cuivre puis une protesta dans les quartiers populaires (les poblaciones). L’armée procède à une 2nde vague répressive mais l’opposition à laquelle s’est jointe de larges secteurs de l’Église ne plie pas.

Il est indéniable que les dictatures militaires qui s’installent sur le continent durant les années 70 ont pour objectif clair de rompre avec les politiques économiques antérieures pour des raisons qui sont davantage sociales qui strictement économiques. Le cas du Chili est exemplaire :
Pinochet fait venir au Chili des disciples de Milton Friedman, professeur d’économie à Chicago, et chantre de l’ultralibéralisme. On assiste au démantèlement de la politique économique menée par l’Unité populaire mais aussi de bon nombres d’éléments structurant de l’économie chilienne.

Les entreprises publiques sont privatisées. L’ouverture du marché chilien est assurée par l’abolition des douanes et l’offre de conditions très avantageuses aux investissements étrangers. Malgré ce qui a pu être dit à une époque sur le “miracle chilien”, les résultats, y compris du strict point de vue économique sont très contrastés. L’économie est touchée par une très sévère crise en 1975 puis en 1982. À partir de 1984, certains indicateurs économiques paraissent donner de bons résultats : + 20% d’augmentations des exportations grâce à la hausse du prix du cuivre +Le pays bénéficient de larges crédits extérieurs. Les classes moyennes profitent de la libéralisation des importations sur bon nombres de produits étrangers. Mais en même temps, le PIB par habitant et la consommation par habitant dans les milieux populaires diminuent.

En Argentine Martinez de la Hoz, ministre de l’économie, seul civil du gouvernement de la Junte militaire est issu de l’oligarchie agraire et est très lié au capital étranger. Les principes qu’il compte appliquer sont :
  • liberté des prix
  • liberté des investissements
  • liberté du marché des changes et des taux d’intérêts
  • liberté des exportations et des importations
  • liberté des baux et loyers ruraux
  • suppression des tarifs préferentiels et des prix subventionnés pour les services publics et le combustible
  • liberté des salaires
Il s’agit de revenir au modèle qui avait fait la prospérité de l’Argentine à la fin du XIXe en promouvant la croissance de la production agricole et en accroissant la rente foncière. Le secteur agro-exportateur est effectivement dopé par la mise en oeuvre de cette politique. Mais l’industrie mise sur pied parfois difficilement durant les décennies antérieurs, livrée à la concurrence est fortement pénalisée.
En trois ans le salaire réel a diminué de 50%, l’inflation atteint 170%, le chômage touche 1 500 000 personnes en 1981, l’endettement extérieur est passé de 9 à 30 milliards entre 76 et 81. => Martinez de la Hoz est limogé en 1981. Mais aucun de ses successeurs ne parvient à résoudre la crise. L’inflation devient véritablement galopante : 250% en 1983. Les syndicats mais aussi les industriels réclament une relance de la consommation, mais une telle politique entrerait en conflit avec les consignes du FMI dont l’Argentine est tributaire.



4- Les dictatures désavouées

Au chili, en octobre 1988, pensant contrôler sans problème le scrutin, Pinochet organise un nouveau plébiscite afin de pérenniser son pouvoir jusqu’en décembre 1996, mais c’est le non qui l’emporte. Pinochet refuse de partir. Mais en décembre 1989, sous la pression populaire, il est contraint d’organiser des élections présidentielles. C’est le candidat démocrate-chrétien Patricio Aylwin qui l’emporte au nom de l’union de l’opposition contre le candidat de Pinochet et des chefs d’entreprises enrichis durant la période ultra-libérale du pouvoir militaire. Mais, Pinochet refuse de quitter son poste de commandant en chef de l’armée. Il est en position ainsi de surveiller cette démocratie contrôlée par l’armée.
La bonne nouvelle des années 80 fut la disparition de la plupart des dictatures les plus répressives du continent.

La disparition des dictatures est due sans doute à la combinaison des oppositions : L'Église et la théologie de la libération qui relaie les protestation populaires, celle du mouvement syndical qui peu à peu renaît, celle des intellectuelles. Mais elle s’explique également par le changement stratégique des États-Unis qui ne souhaitent plus soutenir des régimes peu compatibles avec leurs nouveaux discours sur les Droits de l’Homme (L’exemple de Noriega en 1989 est patent). Les crises économiques peuvent être aussi le ferment de contestations nouvelles :
L'ouverture à la concurrence des marchés intérieurs et les progrès de la mondialisation + les crises de la dette renforcent les inégalités sociales, héritées des structures sociales de l’époque coloniale et de l’appropriation des terres collectives indigènes au XIXe. L'extrême inégalité de la répartition des revenus n’est pas comblée par le développement économique : dans le sous-continent 5% des plus riches concentrent 35% de la richesse alors que 40% des plus pauvres ne disposent que de 5%. Mais cette moyenne continentale masque des écarts qui peuvent être bien plus grands : au Brésil notamment et tout particulièrement dans le Nordeste où l’ordre social inégalitaire est garanti par la répression privée des grands propriétaires couverte par la répression gouvernementale.
Partout échec social 1980 : 120 millions de pauvres en Amérique latine => 2005 : 250 millions de pauvres.

Pour autant, les “sorties de dictature” empruntèrent des voies différentes selon les conditions spécifiques à chaque pays et selon “les circonstances” ( Au Chili par exemple, les forces armées gardent un contrôle et une influence sur la vie politique). Ainsi en Argentine ce fut très directement la Guerre des Malouines du 2 avril au 14 juin 1982 qui précipita la fin du régime de la Junte militaire. Les succès argentins des premières semaines purent faire croire que les généraux allaient recréer les illusions des la victoire argentine lors de la coupe du monde de football de 1978. Mais l’ampleur de l’échec militaire et diplomatique face à la GB contraint le général Galtieri à la démission. En juillet, la Junte était dissoute mais les militaires conservaient encore le pouvoir. Cependant le mouvement populaire qui avait tenté de se maintenir sous les conditions extrêmement dangereuses de la dictature (syndicats clandestins, mouvement des mères de la place de Mai) s’enhardit et organisa à la fin de l’année d’importantes manifestations. Les partis politiques renaissaient. Les militaires durent concéder l’organisation d’élection pour octobre 1983. Celles-ci furent gagnées par le radical Raul Alfonsin. La question des disparus et des responsabilités de la répression allait néanmoins peser sur le mandat d’Alfonsin qui dut en outre faire face à de nouvelles tentatives de putsch.

Au Brésil, à partir de la fin des années 1970, une certaine opposition modérée (Mouvement démocratique brésilien) fut tolérée. Les luttes d’opposition à la dictature s’intensifient. En 1978, l’amnistie est proclamée, l’habeas corpus rétabli et la censure supprimée. Une certaine vie politique est rétablie mais elle reste limitée aux partis strictement contrôlés. Sous la présidence de Joao Figueiredo (1979-1985) le régime dictatorial s’affaiblit tandis que se consolide le mouvement anti-autoritaire.
En 1985, la campagne populaire pour l’élection au suffrage direct du président se heurte au refus du congrès et des militaires mais l’élection, au suffrage indirect, de José Sarney, pourtant issu de l’appareil politique du régime militaire, marque le début d’une véritable transition démocratique. Cependant la mandature de Sarney (1985-1988) est marquée par des hésitations politiques et la gabegie étatique. Sarney lance avec un certain succès le “plan cruzado” qui doit éliminer l’inflation galopante en gelant les prix et les salaires. Mais la situation se détériore et les partis d’opposition dont le Parti des Travailleurs accroît son influence en remportant la mairie de Sao Paulo aux élections municipales en 1988. Une Assemblée constituante est élue en octobre 1988. La nouvelle constitution modifie le mode d'élection du président (au SU à 2 tours) tout en renforçant le rôle du Congrès face à l’exécutif fédéral. De même est mise en vigueur une réforme fiscale renforçant les finances des États et des municipalités qui renouent dans une certaine mesure avec le fédéralisme



Point sur : L'économie mexicaine dans les années 1980
C’est sans doute l’histoire du Mexique qui témoigne le mieux du retournement économique général. La présidence de Miguel de la Madrid (82 - 88) signifie un changement qui ira en s’amplifiant par la suite, tant sur le plan économique que sur le plan idéologique et géopolitique (l’abandon des références à la Révolution et des discours tiers-mondistes par le gouvernement au cours des années 80 le rapproche des États d’Amérique centrale traditionnellement lié à Washington comme le Panama par exemple).

Le Mexique de 1970’ s avait paru s’inscrire dans un renouveau de la tradition Cardeniste. Après la répression qui avait frappé la contestation étudiante de 1968, l’accession à la présidence de Luis Echevarria (70 - 76) avait paru signifié la volonté de renouer avec l’esprit révolutionnaire et l’expérience du président Cardenas : la politique économique est placée sous le signe du “développement partagé” ; l’État renforce son rôle dans les secteurs jugés prioritaire, en outre, des efforts significatifs sont faits en faveur de l’éducation. 
Le mandat d’Échevarria est également marqué par l’affirmation du Mexique comme non-aligné et par la rhétorique tiers-mondiste. Il se rapproche de Cuba, affirme son soutien à Allende et rompt les relations diplomatiques avec le Chili en 73. Il s’efforce d’atténuer la dépendance économique du Mexique par rapport aux ÉU en développant les échanges avec les autres États latino-américains.

Mais la situation économique du pays se dégrade rapidement au début des années 1980. La hausse du cours du pétrole et la découverte de nouveaux gisements avaient poussé dans les années 70 la Pemex a contracter de très lourds emprunts d’équipement. En 1981, la dette du Mexique s’élève à 80 milliards de $, la 2nd du monde. Comme le pays tire l’essentiel de ses devises de la vente des hydrocarbures, l’effondrement brutal du prix du brut le met dans l’impossibilité d’honorer ses remboursements : d’autant plus que compte tenu de la hausse brutale des taux d’intérêts, le service annuel de la dette s’élève à 1,1 milliards de $. La récession aux ÉU qui contracte les exportations vers ces pays et la fuite massive des capitaux mexicains vers les EU (35 Milliards de $) aggravent la situation et pousse le président Lopez Portillo à nationaliser les banques privées mexicaines et à instaurer le contrôle des changes. En 1982,le gouvernement mexicain procède à deux dévaluations successives du peso en février et avril de 60% et de 68% et instaure un programme d’austérité qui ampute de 70% le pouvoir d’achat des salariés.

En contrepoint de l’obtention en 84 d’un rééchelonnement des remboursements de la dette, Miguel de la Madrid prend des mesures d’austérité budgétaire sévères. Les conditions de vie des travailleurs mais également d’une bonne part des classes moyennes se détériorent. Le mécontentement social s’exprime au travers de la candidature de Cuaunhtémoc Cardenas aux élections de 1988 et qui recueille 31% des suffrages.

Pour le candidat de PRI, Carlos Salinas de Gortari (88 - 94) élu avec seulement 50,35% des suffrages va engager décidément le Mexique dans la voie du néolibéralisme que son prédecesseur avait ouverte et rompre avec plus d’un demi-siècle de tradition national-populaire et interventionniste. La dette (105 milliards de $) dont le service représente en 89 60% du budget national est la principale préoccupation de Salinas qui engage à cet effet des négociations avec ces créanciers qui aboutissent à la réduction du nominal de la dette commerciale et à un nouvel rééchelonnement plus supportable pour l’économie mexicaine : 14 milliards de $ affectés au service de la dette en 90- 91. Cependant certains experts nord-américains ont calculé qu’en 10 ans, le Mexique avait déboursé 118 milliards de $ sans que la dette ait diminué. 
Salinas engage une très vaste campagne de privatisation (on passe de 11 000 entreprises publiques à seulement 200) qui a pour objectif immédiat de fournir au Trésor des liquidités destinées à satisfaire ses engagements vis à vis de ses créanciers, et pour objectif structurel le retrait de l’État et l’adoption du libéralisme.

Après l’adhésion du Mexique au GATT, l’aboutissement de cette démarche est la signature le 12août 1992 du traité de commerce avec les ÉU et le Canada. L’ALENA entre en vigueur le 1er janvier 1994. Le traité prévoit de supprimer progressivement les barrières douanières entre les 3 états membres en attendant de s’ouvrir à d’autres partenaires comme le Chili. Le traité facilite également la circulation des capitaux. C’est ainsi que les firmes nord- américaines ont désormais le droit d’investir dans les services portuaires ou le secteur énergétique mexicains. Les filiales de la PEMEX sont privatisées en 96. En revanche, la circulation de la main d’oeuvre demeure soumise à contrôle : des accords complémentaires au traité prévoient d’organiser et de réguler l’immigration mexicaine aux ÉU.


Exemples : Pérou, Argentine 

Au Pérou, début des années 80 = crise sociale sans précédent au Pérou : 70% des habitants vivent dans la pauvreté. 
Le Président Alan Garcia, premier président issue de l’APRA, tente en 1984 de mener une politique en dehors des exigences du FMI et va même jusqu’à nationaliser les banques. Il se heurte alors à une campagne de presse qui lui aliène les classes moyennes. En décembre 1987, Garcia se soumet et adopte une série de mesures conformes aux injonctions du FMI : dévaluation sélective et sévère politique salariale, sans pour autant se concilier les bonnes grâces des conservateurs.

Dans un climat alourdi par la guerilla du Sentier Lumineux et du Tupac Amaru, c’est un candidat sans parti mais doué d’un sens certain de la manipulation et de la démagogie : Alberto Fujimori qui accède à la présidence contre la gauche socialiste et contre la droite ultra-libérale de Mario Vargas Llosa. Cependant Fujimori accepte le plan d’ajustement draconien de l’économiste Hernadi de Soto et du FMI. Face au mécontentement populaire, Fujimori s’appuie sur l’armée pour faire passer de force un programme ultra-libéral de privatisations, d’ouverture commerciale et d’appel aux investissements étrangers. Les conséquences sociales (tel l’exode rural qui fait doubler la population de Lima)sont telles que l’Église demandent un calmement. Les prêtres sont mis au pas. Le programme économique est poursuivi tandis que le régime est de plus en plus soutenu par l’armée et les services secrets (qui luttent sans merci contre la guérilla) alors que le trafic de drogue devient une activité importante du pays.


L’Argentine est à bien des égards un cas d’école. De 1989 à 2001, elle a suivi à la lettre toutes les recommandations du FMI. Si au Chili, le modèle libéral des Chicago Boys n’avait donné les résultats escomptés, en Argentine, le libéralisme des militaires et de Martinez de la Hoz avait donné des résultats catastrophiques :  300% d’inflation en 1983, 700% en 1982, 1000% en 1986. Et un déficit budgétaire égal à 14% du PIB, la dette extérieure est multipliée par six.

En l’absence de nouveaux crédits, les autorités argentines démocratiques vont devoir mettre en place les politiques d’ajustement préconisées par le FMI : le plan Austral du nom de la nouvelle monnaie. L’Argentine rembourse ses dettes - le transfert financier est négatif, estimé à 3 milliards de $ en 83, 6 en 86, 4 en 89- Mais les salaires s’effondrent, le chômage explose, l’inflation un temps stoppée repart. En 1988 un nouveau plan, plus sévère comprenant la réduction drastique du déficit et des privatisations entre en vigueur. Profitant du mécontentement social, les péronistes emportent les élections en mai 1989.
Mais le président Carlos Menem va conformément aux injonctions du FMI engager le pays dans la voie de la dérèglementation, des privatisations (pétrole, téléphone, mines, électriques, eau, autoroute, chemins de fer, métro, poste, santé, enseignement° et du champ libre aux effets de marché : en moins de 2 ans, la conversion de l’Argentine péroniste, entamée sous la dictature militaire et poursuivi par le radical Alfonsin a été achevé par ... un péroniste, entouré, il est vrai de technocrates venus des banques états-uniennes et de représentants de l’oligarchie. Toutes entreprises, les infrastructures, les services sont remis au secteur privé (en l’occurrence au Cies nord- américaines et espagnoles). Le commerce extérieur est entièrement libéralisé, le contrôle des changes supprimé. Licenciements de dizaines de milliers de fonctionnaires, retraites diminuées.

En mars 1991, le ministre des Finances Cavallo établit la libre convertibilité de l’austral et du $. L’orthodoxie libérale est récompensé par le retour des crédits des institutions financières internationales. Le taux d’inflation chute de 4521% en 89 à 3,0% en 94. Buenos Aires devient une place financière importante. On parle alors de la remarquable réussite de l’Argentine libérale, citée comme exemple par les experts des institutions internationales.




Flux et reflux de la démocratisation (depuis les années 2000)


La contestation de l’ordre social conservateur et des politiques néo-libérales, longtemps anesthésiée par la crise des modèles socialistes (échec des sandinistes au Nicaragua, cf aussi l'échec de Chavez dans sa tentative de coup d'état militaire en 1992) et socio-démocrates n’avait semblé devoir être représentée que par des mouvements intrinsèquement oppositionnel et marginalisé comme la rébellion des indiens du Chiapas menée par Marcos depuis 94.

Il faut attendre la fin de la décennie pour repérer les premier frémissements de cette contestation au niveau politique national. Les années 1990's sont un moment destituant. Mouvements populaires (multi-classes) en lutte avec un caractère commun : la lutte contre le néo-libéralisme. = De nouveaux acteurs par rapport aux mouvements de lutte des décennies précédentes car ces acteurs-là ont été écrasés par la répression d'Etat et par les transformations économiques (travailleurs précaires et précarisés, une partie du mouvement syndical, mais affaibli, les mouvements indigènes qui sont les premiers impactés par les multinationales qui ravagent leurs espaces de vie). + Nouvelles formes de mobilisation : davantage en dehors des partis et des actions de terrains spontanées : barrer des routes, agir dans sa vie quotidienne ex des cantines populaires autogérées...+ grandes manifestations populaires (cf Argentine 2001 avec le mot d'ordre "Que se vayan todos") + mouvement des sans-terres car la question agraire n'est toujours pas réglé.


L’accession au pouvoir d’Hugo Chavez au Venezuela en 98 est le premier signe du retournement de tendance. Chavez engage son pays dans un important programme de réformes sociales, relance alphabétisation et élabore une stratégie de croissance inspirée des programmes développementistes des années 50 à 60. La rébellion des paysans indigènes d’Equateur en janvier 2000 et l’élection en novembre 2002 du candidat des pauvres Lucio Gutierrez ; au Pérou, la démission forcée de Fujimori au Pérou en novembre 2000 en sont autant d’indices... L'élection du représentant du parti des travailleurs Luis Inacio Lula da Silva à la présidence du Brésil en octobre 2002 est le détonateur : pour la première fois, l’immense Brésil, 170 millions d’habitants, 10eme PIB du monde est gouverné dans des conditions démocratiques par un représentant de la gauche radicale fort critique à l’égard de la mondialisation libérale.
+2005 : élection en Bolivie d'Evo Morales qui traduit la cristallisation politique de tous ces mouvements sociaux et indigénistes.

=> on voit donc plusieurs scenarii d'accès au pouvoir de ce "moment progressiste".
  • La coagulation des mouvements sociaux qui se cristallise en mouvement politique qui gagne les élections et gouverne au nom du peuple (Bolivie/Equateur, Vénézuela))
  • La lente conquête du pouvoir par un mouvement institutionnalisé (le PT brésilien qui gagne les élections après 4 campagnes présidentielles) et qui va petit à petit se recentrer politiquement 
  • La récupération et la canalisation de l'agitation sociale, c'est le cas en Argentine, par un péronisme de gauche.


=> Ces trente dernières années ont été marquées par une intensité de mobilisations sociales et politiques assez extraordinaires. En réaction aux gouvernements dictatoriaux et au modèle néo-libéral imposé par la force. Crise d'hégémonie du néo-libéralisme ?

Principales réformes mises en place dans ces Etats (Venezuela, Brésil,  Equateur, Bolivie, Nicaragua) tant sur le niveau politique (= retour de l'Etat social, compensateur, redistributif) et économique (Etat post néolibéral, mais sans rupture avec le capitalisme) et international (accent mis sur les intégrations régionales, discours bolivarien de l'unité des pays d'Amérique latine, contre les EUA) 
=> amélioration très concrète des conditions de vie des populations les plus pauvres, développement des infrastructures
Remarque : ceci est rendu possible par un moment économique particulier = prix internationaux élevés des matières premières qui permet la redistribution accrue SANS ATTAQUER les inégalités structurelles de la répartition des richesses.
=> nouveau moment géopolitique : les EU semblent se détourner de l'Amérique latine et davantage se tourner vers l'Asie et vers le Moyen-Orient tandis que l'Amérique du Sud s'affirme sur la scène internationale
=> une démocratie plus participative (développement des conseils communaux et des espaces de dialogue et/ou de participation directe entre les mvts sociaux mobilisés et l'Etat) = une manière de repenser la démocratie. = Reconfiguration des rapports entre l'Etat et la société
=> dans les pays où forte pop indigène, transformations institutionnelles en Etat pluri-nationaux qui ont permis un déplacement politique très clair des minorités blanches vers une représentation plus juste des différentes communautés
Remarque : jamais les progressistes n'ont pu gagner tout le pouvoir. Le plus souvent l'appareil judiciaire, les grands industriels et les milieux économiques, ainsi que les patrons des grands médias sont très hostiles à ces gouvernements progressistes.


Cependant, le caractère "rupturiste" et  transformateur de ces mouvements initiaux n'a pas duré. Il s'est transformé par l'exercice du pouvoir = Institutionnalisé, verticalisé, bureaucratisé + l'impulsion par en bas est canalisée, "subalternisée" et donc au final désarmée par ces gouvernements qui ne sont absolument pas révolutionnaires. Il y a aspiration des leaders des mouvements sociaux qui deviennent des cadres de l'appareil d'état institutionnel + l'hyperprésidentialisme qui est historique en Amérique latine (le "césarisme"), empêchent l'autonomie des mouvements sociaux. De plus, les critiques de gauche, décoloniales/anti-patriarcales et féministes/contre l'extractivisme/ écologiques, sont désamorcées, voire réprimées quand elles ne peuvent être cooptés. Par exemple, dans la même période, il y a aussi des formes de répression syndicale. Il n'y a donc pas eu d'alternative de gauche au progressisme.

Rupture dès le début des années 2010 : 
  • Pour son 2e mandat (2014 jusqu'à sa destitution = "coup d'état institutionnel" en août 2016), Dilma Roussef adopte une politique économique d'inspiration libérale en gouvernement avec des chicago boys brésiliens, le tout dans un contexte de crise économique.
+ la difficulté à sortir du modèle éco extractiviste. Ce schéma de dépendance vient de la longue durée du colonialisme. Sortir de la dépendance aux matières premières est compliqué sur le court terme et est même impossible pour un seul pays. La volonté d'enrichir la pop a tout de même provoqué un néo-extractivisme alors que c'est contradictoire avec le schéma de la gauche qui veut combattre les dépendances et avec les revendications indigénistes.
  • Garcia Linéra, le vice-président bolivien (qui est aussi sociologue) a produit des textes fondamentaux pour comprendre la période et sa trajectoire est emblématique. Au départ, il est le chantre des communes indigènes comme force de transformation, mais ensuite il ne jure plus que par l'Etat. Or l'Etat n'a plus, du fait de la crise économique, les moyens de sa politique sociale. De plus, il est confronté à la réaction et à la montée en puissance politique et culturelle des forces oligarchiques, évangélistes, militaristes (cf les trois "B" au Brésil = Boeuf, Bible, Balle). La possibilité d'une politique de conciliation de classe n'est plus possible.
                            

Bilan : ces gouvernements n'ont pas construit un bloc historique mobilisé, politisé, capable d'affronter la remontée en puissance des droites qui sont très installées dans ces sociétés. L'inclusion des pauvres par la consommation et la redistribution sociale a laissé ces gouvernements seuls quand la conjoncture économique et politique s'est retournée.

=> Comment réformer des sociétés face à des oligarchies qui ne sont nulle part démocratiques et sont prêtes à la violence ?


Enfin, le cas du Venezuela est un drame pour les gauches américaines. Corruption du pouvoir (c'est le drame de la rente pétrolière ici comme ailleurs car l'état n'a pas modernisé ses structures politiques et économiques), dérive autoritaire avec l'augmentation de la répression contre les syndicats, effondrement économique qui se manifeste par l'effondrement du salaire moyen (salaire minimum = 1,54$/mois), l'effondrement de la monnaie, la fuite des capitaux, et donc 5 millions d'émigrants. La gestion de Maduro est catastrophique pour le pays, même si le rôle des EU (le poids des sanctions illégitimes US contre le Venezuela) n'est absolument à négliger. Le régime tient car il tient l'armée et redistribue à sa clientèle, la boli-bourgeoisie, qui elle, vit très bien.


R) point non abordé ici : les relations aux Etats-Unis...histoire de vous laisser l'envie d'aller écouter l'émission :) 

lundi 28 juin 2021

Lettre du conquérant de Constantinople au pape Nicolas V (1453)

 Source : la lettre, envoyée en latin et en français est reproduite in extenso par Jean Chartier dans sa Chronique de Charles VII, roi de France, Vallet de Vireville ed., vol.3, chap. 267, p.36-39

J'ai laissé le texte dans ses formulations et sa syntaxe d'ancien français, me contentant de moderniser la graphie des mots et la ponctuation, pour simplifier la lecture.


"Morbezan*, lieutenant du grand empereur, seigneur du pays d'Achaïe, fils de Oreste, avec ses frères dont l'un est Collabullabre, et [l'autre] Collaterales, [tous] hommes de guerre, au nom de Uganéus Empereur (sic), au grand prêtre romain, nous jouxtes ses mérites, salut.

Il est naguère parvenu à nos oreilles que, aux prières et requêtes du peuple des Vénitiens, vous faites publiquement divulguer en vos églises que quiconque prendra armes contre nous aura, en ce siècle, rémission de ses péchés et leur promettez benoite vie au temps à venir. Laquelle chose nous avons su par certaines vérités, par la venue d'aucuns piétons portant croix, lesquels ont naguères transnagé et passé la mer es navires des Vénitiens. Pour laquelle chose, nous sommes grandement émerveillés. Car jaçoit que [quoique] du grand Dieu tonnant vous fût donné la puissance d'absoudre et délier les âmes, de tant devriez-vous à ce procéder meurement [avec réflexion] et ne devriez induire les chrétiens contre nous, spécialement les Italiens. Car nous savons depuis naguères que nos pères dirent que notre peuple des Turcs avoit été innocent et quitte de la mort de votre Christ crucifié.

Et comme il soit ainsi que les lieux et les terres où sont vos choses saintes, nous ne possédons pas ni nous, ni nos gens, mais toujours ayons et avons eu en haine le peuple des Juifs car selon que nous lisons en nos histoires et chroniques, ils baillèrent proditoirement [donnèrent par traîtrise] et par envie ycelui Christ au juge des Romains en Jérusalem et le firent mourir au gibet de la croix. Partant, nous émerveillons aussi et regrettons que les Italiens se sont mis contre nous, comme il soit ainsi que nous avons inclination naturelle à les aimer car ils sont issus du sang de Troie et en ont eu leur première noblesse et seigneurie. Duquel sang et lignée nous sommes anciens hoirs [descendants/héritiers] et les nommés avoir été augmentateurs et accroisseurs [réputés en avoir été les augmentateurs]. Lesquels étaient issus du grand roi Priam et de sa lignée en laquelle nous sommes nés et avons intention de mener notre seigneurie et empire en les parties d'Europe, selon les promesses que nos pères en ont ouïes [entendues] du grand Dieu. Nous avons aussi intention de réparer Troie la grande et de venger le sang d'Hector et la ruine d'Ilion, en subjuguant à nous l'empire de Grèce et en l'unissant à l'Etat de notre Dieu, et nous punirons les hoirs des transgresseurs.

Nous avons aussi intention de soumettre totalement à notre empire et seigneurie la Crète et les autres îles de la mer, lesquelles les Vénitiens nous ont violemment ôtées [alors qu']elles nous sont promises.

Pour ce, nous requérons votre prudence et prions pour que vous imposiez silence à vos messagers par la terre d'Italie [...] en ne provoquant plus ainsi le peuple chrétien sous espoir de puissance, puisque nous n'avons aucune guerre envers lui. Pour la croyance et différence qui est entre nous, il ne vous appartient en rien si nous ne croyons pas en votre Christ, lequel nous réputons avoir été très grand prophète. Et aussi, selon que nous avons entendu, selon la loi d'ycelui, vous ne nous devriez point obliger à sa croyance.

Que si aucune [une] controverse est mue entre nous et les Vénitiens, cela procède de ce qu'indument et sans nulle couleur de justice, sans l'autorité de César ni d'autre prince, mais par leur orgueil et leur témérité, ils ont subjugué et occupé aucunes [certaines] îles de la mer et autres lieux qui sont compris en notre empire, ce que désormais nous ne pouvons ni ne devons souffrir, car le temps de notre vengeance approche.

Pour lesquelles choses vous pouvez et devez par raison nous désister de vos entreprises et vous taire. Spécialement à cause que nous connaissons ce peuple des Vénitiens être bien étrange et divers de la vie et des mœurs des Romains, car ils ne vivent pas selon les lois et les mœurs des autres, mais se tiennent être les meilleurs que tous les autres peuples adjacents. Desquels, à l'aide de notre grand Dieu, nous mettrons l'orgueil et la folie à fin. Ou autrement, si votre prudence ne se désiste de ses entreprises, nous nous efforcerons aussi contre vous, à l'aide des empereurs et autres rois d'Orient, lesquels feignent aujourd'hui dormir, et de nos contrées feront venir aide d'armes et nefs artificieuses en abondance, par le moyen desquels nous avons intention de résister courageusement, non pas seulement contre vos piétons portant croix, mais aussi contre la Germanie, la Romanie et la France, si contre nous les incitez. Avec l'aide de nos vaisseaux de guerre, nous avons l'intention de traverser et passer l'Hellespont, avec innombrables quantité de navires poussés par voiles et avirons, et ensuite venir jusque en Allemagne. Et nous avons aussi intention de passer par la région septentrionale pour visiter spécialement ces contrées et venir vers la Dalmatie et la Croatie.

Donné en l'an de Mahomet 840, en notre palais triomphal, scellée et enregistrée."

Remarque : il y a erreur sur la datation. Ce devrait être l'an 857 de l'hégire.

*Morbazenne, bey (gouverneur militaire dans l'armée ottomane) avait deux autres frères nommés Collabulabra et Collaterales. Matthieu d’Escouchy se sert du même appellatif dans sa Chronique au chapitre XCIV: “Comment Morbazenne, grant Turcq, print d’assault la cité de Constantinoble”: “Mais depuis ces choses advenues, ledit Turcq moru en ses pays, lequel avoit trois filz, dont l’un estoit nommé Morbazenne Horesti, le second Collabulabra, et le tiers Collatelarus. Morbazenne succeda à la seignourie, qui pooit avoir d’aage vingt-quatre ans ou environ” (édition Gaston Du Fresne de Beaucourt, Paris, 1864, t. II, p. 50); Jacques Du Clercq parle de Barbesan (cf. ses Mémoires dans la Collection des chroniques nationales françaises, écrites en langue vulgaire du treizième au quatorzième siècle, avec notes et éclaircissements par Jean-Alexandre Buchon, Paris, Verdière, 1826, t. XXXVIII, p. 139). On retrouve cet appellatif – Morbesianus – pour Umur bey, maître de Smyrne, mortellement blessé en 1348.


Pour remettre aussi les choses en contexte, le texte qui, dans la chronique, précède cette lettre est la relation de la prise de Constantinople par Jacopo Tedaldi. L'auteur y appelle à une croisade générale contre Mehmet II. Voici comment la BNF présente ce texte

l s’agit de la relation de Jacques Tedaldi, marchand florentin, témoin oculaire de la prise de Constantinople le 29 mai 1453. Le récit nous apprend qu’il était de garde sur les murailles de la ville, lorsque les Turcs commencèrent l’assaut. Au vu du désastre, il s’enfuit à la nage et fut recueilli par une galère vénitienne fuyant vers Nègrepont. M. L. Concasty émet l’hypothèse que ce passage du ms. français 6487 constitue la version la plus proche d’un texte original perdu, transcrit vraisemblablement en italien, comme le prouvent plusieurs italianismes dans la version française (cf. Concasty, art. cit., p. 101 n. 2). Comme le suggère la souscription du f. 21, le récit a été apporté en Occident par Jean Blanchin, puis copié – sinon traduit en français, le mot « transumptum » n’impliquant pas l’idée de traduction (Concasty, art. cit., p. 101 n. 4)- par Jean Columbi le 31 décembre 1453. C’est peut-être Blanchin lui-même (« Blancet » dans d’autres versions) qui a transcrit le récit oral de Jacques Tedaldi, alors que celui-ci venait d’arriver à Nègrepont à bord des galères vénitiennes en déroute « arriver desquelles veoir estoit moult piteuse chose, oyans leurs perdes et leurs lamentations ». Le manuscrit d’origine comportait peut-être un croquis explicatif dont s’inspire la miniature du ms. français 6487. Dans d’autres manuscrits (et dans l’édition du XVIIIe siècle), le récit porte un titre différent qui mentionne comme destinataire le cardinal d’Avignon, légat du pape chargé de convaincre les princes occidentaux de partir immédiatement en croisade. Mais à la date de la souscription du ms. français 6487 (31 décembre 1453), il n’a pas encore reçu sa mission diplomatique, ce qui explique l’absence de son nom. Ce n’est que par la suite que ce récit fut rendu public pour appuyer son action, assorti de remarques sur Mehmet II et de conseils stratégiques pour une expédition. Dès le début de l’année 1454, une version latine de la relation fait de celle-ci un véritable « document de propagande » (Concasty, ibid.). Il s’agit du Tractatus de expugnatione urbis Constantinopolitanae dont le texte est proche de celui du ms. français 6487, sous une forme littéraire, avec des additions, mais pas de carte. Les autres manuscrits de la relation de Tedaldi confirment cette hypothèse. Sur ces copies partielles destinées à diffuser le plus largement possible le texte de propagande, deux sont en français du Nord (Bruxelles 19684, Paris, BnF, ms. français 2691), une troisième est en dialecte picard (Cambrai, B. M., ms. 1114). Enfin, le souscripteur du Tractatus porte un nom flamand. Il convient donc de mettre en rapport ce texte avec les préparatifs du duc de Bourgogne en vue d’une croisade contre les Turcs. Outre le récit de la prise de Constantinople, qui était au cœur des préoccupations de Philippe le Bon, plusieurs indices permettent d’avancer l’hypothèse que le ms. français 6487 a été réalisé dans l’entourage du duc de Bourgogne (...)


Au final, ce texte est un faux. Umur bey, sous le nom de Morbesianus, est l’auteur de la lettre apocryphe – du sultan au pape – fabriquée par un adversaire de la croisade à l’époque de l’expédition d’Humbert de Viennois (1345-1347). Il s’agit de la lettre rapportée par Jacques Du Clercq et Matthieu d’Escouchy à la suite du récit du siège de Constantinople. Ce document a été publié par Jules-Marie-Michel Gay, Le pape Clément VI et les affaires d’Orient (1342-1352), Paris, Bellais, 1904, pp. 172-174.)

cf Monica Barsi , "Constantinople à la cour de Philippe le Bon (1419-1467). Compte rendus et documents historiques" dans Sauver Byzance de la Barbarie du monde, Quaderni di Acmé n° 65, Milan, 2004, .p.185

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