lundi 20 janvier 2020

Le croquis d'organisation spatiale : méthodo et exemple

L'exercice de production graphique du bac a changé : on est passé d'un croquis de synthèse sur un sujet d'ordre général (voir la page "Lieux" pour télécharger quelques exemples de réalisation progressive de ces anciens croquis du Bac) à un croquis d'organisation d'un espace décrit par un texte, en général écrit ad hoc. Il s'agit donc de transposer le texte en croquis.

Les méthodes sont les mêmes et on pourrait penser que l'exercice, moins ambitieux, est plus simple pour les élèves, mais à condition de multiplier les exercices car, comme le texte à trous, cet exercice nécessite de rentrer dans logique de celui qui l'a pensé, surtout quand, en plus, est fourni aux élèves une légende à compléter qui les cadre certes, mais les contraint aussi.

Les étapes du travail
1- Élaborer l'organisation générale de la légende
On va prendre l'hypothèse que le texte a été écrit ad hoc. Dans ce cas, c'est plus simple. L'auteur aura théoriquement rédigé son texte en plusieurs paragraphes qui correspondent aux différentes parties de la légende et chaque paragraphe sera censé correspondre à une idée principale (une notion assez souvent) qui est exprimée en début ou éventuellement en fin de paragraphe. Puisque le croquis est une démonstration (même s'il utilise le langage cartographique), chaque partie de la légende est une étape de la démonstration. On privilégiera comme titre de partie des thèses = de courtes affirmations.

Par exemple dans cet exercice de Seconde,
















les idées générales sont soulignées en rouge. On voit tout de suite qu'entre la théorie et la réalité, il y a un hiatus, puisqu'on a deux phrases générales pour le 2e paragraphe. Il faut alors choisir. Dans une première analyse, on peut prendre la première : politiques mises en oeuvre pour réduire les inégalités. C'est d'ailleurs ce que propose le manuel.




Il faut aussi donner un titre au croquis ou schéma. En théorie, ce devrait être le titre du texte.


2- Relever les informations dans le texte et choisir les figurés de surface
A ce stade, il faut donc relever dans le texte les informations qui permettent de construire le croquis/schéma. On commence par chercher dans le texte les indications de lieu liées à des caractérisations d'espace. Le but, c'est de délimiter des zones de couleur (figurés de surface) = Les figurés de surface servent à caractériser les espaces. Tous les espaces du croquis/schéma doivent être caractérisés. On leur attribue une couleur.


Le manuel Hachette propose un choix de couleur : un dégradé jaune/orange/marron + des espaces en vert et des espaces en rose. Il faut donc relier nos espaces à la bonne couleur
Liste des espaces et leurs localisations (fluotés dans le texte) :
- massifs montagneux et forestiers qui coupent la ville => vert
- quartiers aisés le long des plages (info supplémentaire : comme la célèbre Copacabana) => jaune
- quartiers pauvres au nord (info suppl. : comme Bangu) => marron
- entre ces deux extrêmes, des quartiers de classe moyenne => orange
- favelas, quartiers de bidonville, comme Rocinha et Maré => celle qui reste, ce sera donc le rose

La règle générale, quand on a des lieux classés sur un critère commun dont la quantité est plus ou moins grande, c'est le dégradé de couleur. Si chaque lieu a une caractéristique différente, sans thème commun, alors on peut prendre les couleurs qu'on veut, en essayant d'avoir des couleurs symboliques de ce que l'on veut montrer : par exemple, un espace naturel sera plutôt en vert, un espace riche plutôt en jaune ou en rouge pour le faire ressortir sur le schéma (à savoir, les couleurs chaudes se voient plus que les couleurs froides)

Remarque : dans notre exemple, le choix des auteurs s'est porté sur un dégradé inversé par rapport aux règles traditionnelles. On a un ensemble de quartiers plus ou moins riches. Si le critère est la richesse, il aurait fallu prendre la couleur la plus foncée (ici le marron) pour les quartiers riches, qui sont ici représentés en jaune, couleur la plus pâle. C'est donc que le critère n'est pas la richesse, mais la plus ou moins forte présence des pauvres dans la ville. Alors le choix de couleurs devient cohérent. Il faut en tenir compte dans la formulation de la définition des figurés en légende. Ce choix permet aussi de faire ressortir visuellement que les pauvres dominent spatialement la ville de Rio.(voir ce que je dis plus bas sur les choix à opérer)



remarque : je me suis mise dans les mêmes conditions que les élèves, à savoir que j'ai pris le fonds de carte fourni par l'éditeur. Cela pose trois problèmes :
- le fond de carte est en niveau de gris, donc les couleurs ne sont pas identiques sur le schéma, où l'on doit repasser sur du gris, et dans la légende.
- on ne sait pas comment colorier l'île au nord puisqu'il n'y a aucune indication dans le texte. J'ai choisi de ne pas en tenir compte
- le quartier de Santa Cruz est délimité par une ligne. La méthode du langage cartographique nous imposerait de le colorier d'une autre couleur (puisque une limite entre deux espaces indique que ces deux espaces ont des caractéristiques différentes). Mais dans le texte, il s'agit de montrer qu'à Santa Cruz, la municipalité de Rio a construit, dans un quartier pauvre, des logements sociaux. Ceci ne change pas la caractéristique du quartier, mais en rajoute une deuxième. Il faut donc, selon la méthode du langage cartographique, lui rajouter un deuxième figuré de surface, sur une zone déjà coloriée : des pointillés ou des hachures (je préfère en règle générale les pointillés qui surchargent moins le croquis que les hachures : il n'est jamais bon d'avoir trop de lignes dans un croquis/schéma). Bref, on a ici deux éléments de la méthodologie qui s'opposent. Il aurait fallu que l'éditeur ne délimite pas la zone, mais on peut comprendre que, pour un exercice de Seconde, il ait choisi de le faire.


Les pièges
Si certains espaces dans le croquis/schéma étaient laissés en blanc, le blanc deviendrait une couleur et devrait donc être défini dans la légende.
Remarque : il s'agit de caractériser les divers espaces de l'objet étudié. Tout ce qui ne correspond pas à l'objet d'étude peut être laissé en blanc sans que le blanc soit ici une couleur. Ainsi, dans notre exemple, l'océan Atlantique n'est pas Rio de Janeiro, on le laisse en blanc. Idem pour le reste du territoire brésilien dans le cadre du schéma.


3- Repérer les informations du texte pour les figurés qu'on pose en 2e temps : figurés ponctuels et flèches (de la famille des figurés linéaires)

Puisque les figurés de surface sont premiers, ils sont, en toute logique indiqués dans le texte en premier. C'est le cas ici. Ensuite viennent les autres figurés. Ils correspondent à des informations qui s'ajoutent dans nos espaces déjà caractérisés. Les figurés ponctuels vont être utilisés pour indiquer des infrastructures ou des faits géographiques localisés précisément.

Ici, il va s'agir de la présence dans la ville d'unités de police en charge de la sécurité (indiquées "unités de police pacificatrice". Le manuel a fait le choix de les représenter par des étoiles.

Le résultat final pour notre exemple, si l'on suit le manuel :




Les figurés linéaires ont deux fonctions :
- les lignes servent à indiquer une limite, mis à part la ligne du réseau de transport.
- les flèches indiquent la direction d'un flux (déplacement)


Remarque : comme les couleur utilisent le dégradé pour indiquer la proportionnalité, les figurés ponctuels et linéaires peuvent eux aussi indiquer une proportionnalité. On joue alors sur la taille du figuré ponctuel (plus ou moins grand) et sur l'épaisseur du trait de la ligne.

Remarque : on peut combiner couleur (figuré de surface) et figuré ponctuel. Dans le cas par exemple de villes ayant des fonctions différentes, on aura des cercles (figurés ponctuels pour localiser ces villes) et à l'intérieur des cercles, des couleurs différentes pour indiquer les différentes fonctions (figuré de surface qui caractérisent). Dans la légende, seront indiqués les deux figurés SÉPARÉMENT.


Les choix à opérer
1- Tout croquis a un objectif : celui-ci sera défini par le titre du texte, qui est aussi le titre du croquis. Un bon croquis est donc un croquis qui permet de VOIR l'idée principale qui structure l'organisation de l'espace représenté. Quand on hésite sur un type de figuré, il convient de se demander lequel sera le mieux à même de montrer visuellement l'idée principale.


2- La nomenclature (= les noms de lieux présents sur le croquis/schéma)
Il en faut, mais elle ne doit pas gêner la lisibilité du croquis. Reprendre les noms de lieux indiqués dans le texte.

3- Une question n'est toujours pas réglée (en l'absence d'instructions officielles de la part du ministère et des inspecteurs) : peut-on rajouter au texte ou l'interpréter ? peut-on modifier une légende quand elle est fournie ?

Par exemple ici, il y a bien plus dans le texte que dans la légende proposée.



  • une idée générale : améliorer l'image de Rio
  • des faits socio-économiques qu'il est possible de transformer en figuré :  le programme d'habitat social "qui repousse les pauvres en périphérie", le "développement du tourisme" dans les favelas qui a tendance à opérer un processus de "gentrification" (arrivée dans un quartier pauvre d'une population plus aisée conséquence en général d'opérations de réhabilitation urbaine, ce qui a tendance à faire partir les plus pauvres car les loyers augmentent. On peut donc définir la gentrification comme le processus de remplacement d'une population pauvre par une population plus aisée dans un quartier urbain)
Des élèves à qui j'ai donné cet exercice ont vu le problème et ont rajouté à la légende, mais sans penser/oser la transformer.

On pourrait donc avoir une légende comme suit

titre : Améliorer l'image de Rio de Janeiro
I/ De fortes inégalités socio-spatiales

Quartiers aisés épargnés par la pauvreté
Quartiers plus mixtes de classes moyennes
Quartiers pauvres
Favelas

II/ Pacifier la ville en vue des JO de 2016

Construction de logements sociaux
Développement d'un accueil touristique dans les favelas les plus proches du centre (flèches en provenance de l'extérieur vers Rocinha et Maré)
Présence d'unités de police pacificatrice

III/ Lutter contre les inégalités ou séparer les riches des pauvres ?

Massifs montagneux qui servent de barrière
Départ des pauvres en périphérie (flèche partant de Santa Cruz en direction du nord (hors zones colorées)
Gentrification des favelas les plus proches du centre (hachures sur Rocinha et Maré)



dimanche 12 janvier 2020

La construction de la majesté royale en France : l'épisode de la folie de Charles VI

Note de lecture du livre de Bernard Guenée, La folie de Charles VI, Biblis/CNRS editions



5 Août 1392. Le jeune roi Charles VI est saisi d'une hallucination furieuse et se rue, l'épée haute, sur son jeune frère. C'est la première crise de démence de ce roi, qui va rester 30 ans malade et au pouvoir. Que faire d'un roi fou, donc inutile et pour lequel l'alternance de périodes de crise où il est enfermé et de rémission où il peut régner est une des causes des malheurs du royaume ?

Charles VI aurait dû être déposé et pourtant, il ne le fut pas. Pour continuer ma liste de billets sur les théories et pratiques politiques médiévales (voir page "structures") c'est sur cet aspect du livre de B. Guénée que je ferai cette fiche de lecture partielle. Elle correspond, pour l'essentiel, aux derniers chapitres du livre.

En bien des domaines, la machine "administrative" pouvait tourner seule : prévôts et baillis administrent et jugent, le Parlement rend ses arrêts, le conseil publie les ordonnances royales. Cependant, il est des moments où le roi est indispensable : pour recevoir l'hommage de ses vassaux directs, pour accueillir les souverains étrangers et les ambassades et pour prendre les décisions dans les matières les plus importantes (en l’occurrence, la question du schisme et de la soustraction d'obédience, comme la reprise des tensions avec l'Angleterre) : le rôle du roi n'étant pas uniquement cérémoniel, la vie politique dépendait donc des hauts et des bas de chaque crise et de chaque rémission royale. De plus, plus le temps passe, plus les crises se rapprochent et moins le roi semble reprendre pied dans la réalité, singulièrement après 1407, année où les affaires de France prennent un tour dramatique : l'assassinat du duc d'Orléans sur ordre de Jean sans Peur, le jeune duc de Bourgogne, a lieu le 23 novembre 1407 et il plonge durablement le royaume dans la confusion. Les factions, Armagnacs et Bourguignons, s'engagent dans une guerre civile qui conduira de fait à la division du royaume et à l'intervention anglaise.

Le destin ordinaire des rois "inutiles"

Des princes déchus du pouvoir ou assassinés, il y en a toujours eu. Ce sont les justifications qui sont intéressantes et le propre de l'Occident médiéval, c'est d'en avoir construit une théorie réfléchie associée à une procédure élaborée. Tout vient de ce que l'Occident chrétien a dessiné très tôt le portrait du prince idéal (vertueux, juste, garant voire serviteur du bien commun, c'est-à-dire l'utilité publique à laquelle devaient être subordonnées les intérêts particuliers).  Quand le prince n'a pas les vertus nécessaires et qu'il verse dans les excès (de pouvoir), c'est un tyran. Les théories du tyrannicide ne sont pas ici notre sujet. Ce qui l'est, en revanche, ce sont les réponses juridiques élaborées pour répondre au problème du "roi fainéant", paresseux, non dotés des vertus politiques utiles à sa charge. Quand, par exemple, Pépin, fils de Charles Martel, maire du palais de Childéric III, voulut remplacer ce dernier, il sollicita l'avis du pape Zacharie, qui lui répondit à partir de St Matthieu ("qu'on jette ce serviteur inutile dans les ténèbres extérieures") qu'est roi celui qui possède le pouvoir. Les intellectuels au service des carolingiens, Eginhard le premier, s'attellent alors à forger la légende des rois inutiles (inutile regis nomem à propos de Childeric ; nec sibi nec aliis utilis), avant que le procédé ne se retourne, à l'occasion contre les carolingiens : on trouve au 13e siècle une mention d'un roi surnommé "fainéant" dans les Grandes chroniques de France (Viard ed., vol 4, p.300 sqq.) à propos de Louis le bègue : "il ne fit jamais quoi que ce soit qui méritât qu'on en fasse l'histoire".  Les Grandes chroniques de France sont écrites par l'abbaye de St Denis et constituent une série de texte au service du pouvoir monarchique et à la gloire de la dynastie capétienne.
Au XIIIe siècle, les docteurs en droit canon se penchèrent sur le cas des évêques absents ou incompétents ou trop vieux pour occuper réellement leur charge. Tout en leur conservant leur digité, l'administration fut confiée à un curator, remplaçant provisoire ou définitif de l'évêque. Cette solution s'appliqua aussi aux rois, pour la première fois en 1245, sur avis papal (Innocent IV) qui décida que le roi  Sanche II était incapable et devait céder la réalité du pouvoir à son frère Alphonse, tout en restant roi. Les canonistes à sa suite conclurent que seul le pape, qui est au dessus des princes, avait ce pouvoir de décision (ce dont certains se passèrent pourtant par la suite). Il fallait réserver aussi les droits des fils du roi "inutile", aussi celui qui administrait  le royaume ne pouvait lui succéder que pour autant que le roi véritable n'avait pas d'enfant.
Plus le XIVe siècle avançait, plus la théorie dressait la liste des dangers qu'un roi inutile faisait courir à son royaume et plus devenaient banales les nombreuses procédures qui permettaient d'écarter un prince insuffisant. En janvier 1327, les prélats, les barons et les communautés du royaume d'Angleterre déclarèrent qu'Edouard II s'était montré incapable de régner et déclarèrent son "insufficiencia gubernandi". La reine Isabelle et mère du prince Edouard convainquit le roi d'abdiquer. En 1358, Guillaume comte du Hainaut, fils de l'empereur Louis de Bavière, "entra en frénésie et perdit sens et mémoire". Il fut enfermé tout en conservant son titre et sa dignité et sa femme, puis son frère gouvernèrent en son nom le comté. En 1399, une commission anglaise constatait que le roi Richard II avait démontré son incapacité à administrer ses Etats. Emprisonné, il abdiqua. En 1400, le collège des princes électeurs déposa Venceslas IV, roi de Bohème et roi des Romains, "abruti par les débauches de la table", "négligent, inutile, dissipateur et indigne". Les textes théoriques accompagnaient ces pratiques. Par exemple, Nicolas Oresme, traduisant Le livre des politiques d'Aristote, vers 1370 écrivait : "Un roy fol met son peuple à perdicion", "le roi ne doit avoir aucun vice dans l'âme ou le corps qui répugne à la dignité royale, il ne doit être ni idiot, ni pervers, ni négligent".

Dans le cas français, la solution élaborée aux débuts de la maladie de Charles VI était donc conforme aux nouvelles pratiques : le roi conservait la dignité de roi, ce qui lui permettait de reprendre le pouvoir effectif quand il était en rémission, et le reste du temps, l'exercice du pouvoir était sous le contrôle de ses deux oncles, Jean de Berri et Philippe de Bourgogne. Cette solution fonctionna jusqu'à la mort de Philippe de Bourgogne (1404). Après cette date, il n'y plus de solution au problème de la "non-gouvernance" du royaume du fait des épisodes de plus en plus fréquents et longs de folie de Charles VI, de la rivalité entre les deux princes de sang qui se disputent le pouvoir, le jeune frère du roi Louis d'Orléans et Jean duc de Bourgogne, et de l'absence d'un pouvoir tiers qui aurait été capable de tenir à distance les deux rivaux, par exemple les pouvoirs urbains des bonnes villes de France qui ont été disqualifiés au milieu du XIVe siècle avec l'échec de la révolte parisienne d'Etienne Marcel (1358). Bilan : "autant les structures administratives du royaume de France, sa justice, ses finances, étaient solides et efficaces, autant ses structures politiques étaient déficientes. Ce grand corps qu'était le royaume souffrait d'une tête hypertrophiée. Le destin du royaume dépendait tout entier du roi. La maladie de Charles VI posa un problème insoluble. Le roi inutile n'a pas été déposé parce que personne, ni hors du royaume ni dans le royaume, n'avait les moyens juridiques ou politiques de le déposer, ni même de gouverner à sa place." Le sacre avait fait du roi une personne inviolable, élue de Dieu et recourir au pape était impensable dans un pays où s'élaborait au même moment la doctrine gallicane.

La construction de la majesté royale

Voir mon post sur le site des Clionautes, téléchargeable aussi ici : Comment on écrit l'Histoire au XIIIe siècle : Primat et le Roman des rois, qui est un autre livre de B. Guénée tout aussi intéressant.

Une des sources sur le règne de Charles VI est le Religieux de St Denis, auteur anonyme, mais dont on sait qu'il . Or, comme on peut le lire dans le post mis en lien ci-dessus, l'abbaye de St Denis fut le moteur de la construction de l'idéologie royale française à partir du XIIIe siècle. A l'époque de Charles VI, l'abbaye est toujours en charge de la sacralité royale, aussi le "Religieux" est bien ennuyé pour rendre compte de la folie du roi.
Tout se passe comme si, plus le corps physique du roi s’abîmait dans la déchéance, plus le texte du Religieux de St-Denis s'attache à le distinguer du corps "politique" du roi pour montrer que la maladie du roi ne compromet nullement l'autorité de la couronne et la majesté royale. On observe une multiplication des mots "symboles" , abstractions du pouvoir royal , tels couronne et majesté. 136 occurrences pour le mot "majesté" entre 1392 et 1420 (56 occurrences dans la période de la minorité de Charles VI). Le mot "couronne" fut mis en avant par l'abbé Suger au XIIe siècle et permettait d'insister sur la continuité de la royauté capétienne. De même, l'antique notion de majesté fut particulièrement utilisée sous Philippe le Bel, dans sa lute contre Boniface VIII, pour insister sur la grandeur et l'indépendance du pouvoir sacré de la dynastie française face à la majesté pontificale. Autour de Charles V, les juristes français et italiens (Balde) entendirent rapprocher la royauté de la prêtrise, via le sacre, et insistèrent donc sur la dignité royale, le mot dignité ayant des origines canoniques (droit canon). C'est aussi le moment où la notion de crime de lèse-majesté se développe : Michel Pintoin, le "religieux de St-Denis,  ne manque pas une occasion de rappeler combien le crime de lèse-majesté était grave et débordait largement la personne du roi : "le crime de lèse-majesté consiste non seulement dans les attentats contre la personne du roi, mais aussi dans les paroles injurieuses qui attaquent son honneur." Le roi pouvait être sain ou malade, la majesté royale était convoquée pour souligner le respect dû aux ordres du roi et de ceux qui gouvernaient en son nom. La majesté royale disait ainsi la continuité de l'Etat ; elle était la justification de l'autorité (auctoritas) du roi. Cependant, quand les désastres s'accumulent, après 1415 et le débarquement du roi anglais en Normandie, le mot ne revient plus sous la plume du Religieux de St-Denis. Plutôt que d'évoquer la majesté royale, il utilise de plus en plus souvent l'expression "auctoritas regis ou regia" (118 fois de 1412 à 1420). Plus l'autorité royale était en réalité bafouée, plus elle est invoquée par l'auteur. Il devient clair, et pas seulement dans le texte de la chronique, mais pour les gens de l'époque, parler du roi, c'est devenu invoquer une entité abstraite, car le roi est physiquement absent. La maladie de Charles VI a appris au royaume de vivre, tant bien que mal, sans le roi en exaltant la royauté.

Il faut "sauver le soldat Charles VI".


Il s'agissait de ne pas rendre le roi responsable des malheurs de la France. Par des notations plus ou moins subtiles, l'auteur de désengage la responsabilité royale. Par exemple, en 1415, quand Henri V d'Angleterre eut débarqué en Normandie, les chevaliers français ne surent même pas défendre la place forte de Harfleur. Après avoir dit la chute de la ville, le Religieux de St-Denis conclut : " Ce déshonneur semble devoir rejaillir sur le roi. Pourtant il est bien excusable. Car il n'est pas douteux que son entourage n'eût empêché ce malheur si l'état de sa santé le lui eût permis."

Jamais l'auteur ne dit clairement que le roi de France est fou : il n'utilise pas le mot de l'époque, la frénésie, alors que d'autres sources n'hésitent pas à y recourir. Jean Froissart, dans ses Chroniques,  par exemple le dit 6 fois en deux pages (le roi souffre de "frénésie et foiblesse du chef"). Il précise même, ce dont Michel Pintoin ne souffle jamais mot, que l'entourage royal envoya de nombreux messagers " en tous lieux où on sçavait corps saint ou de sainte qui euissent grâce et mérite par la vertu de Dieu à garir de frénaisie et de derverie". De la même manière, il n'évoque pas non plus l'explication par la possession du démon, qui est avancée à l'époque par d'autres. Le roi ne pouvait pas ne pas être sous la protection divine, même si celle-ci semblait l'avoir abandonné. D'ailleurs, le religieux de St-Denis insiste, pour la renommée de son abbaye autant que par mystique royale, sur les dons et dévotions de Charles VI à St Denis et Notrte-Dame de Paris quand il est dans ses phases de rémission.
En revanche, il prête plus d'attention aux accusations qui fleurissent à l'époque d'empoisonnement : Valentine Visconti, femme du duc d'Orléans, fut une de celle qui était accusée, comme si son origine italienne était une preuve suffisante (venant de ce pays où le recours au poison était courant) de sa culpabilité.


Les sources insistent enfin sur l'amour que la population portait à Charles VI, malgré les malheurs du temps. Lorsqu'en 1392, Charles VI tomba pour la première fois malade, et que la nouvelle s'en fut répandue dans tout le royaume, "tous les vrais Français pleurèrent comme pour la mort d'un fils unique" nous dit le Religieux de St Denis. Christine de Pizan en 1404 apporte un témoignage semblable : elle avait vu "maintes fois", les "femmes enfens et tout gens" courir pour le voir passer, pleurant presque de "compassion de son enfermeté et malaage" (infirmité et souffrance). Ainsi, malgré la ruine du royaume (reprise de la guerre avec l'Angleterre, guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs, insurrection parisienne de la Caboche...), le peuple conservait apparemment son amour pour le roi. A sa mort, le Bourgeois de Paris affirme que "son peuple et ses serviteurs ...moult faisoient grant deuil..et especialment le menu commun de Paris crioit quant on le portait parmy les rues : ah très cher prince, jamais n'arons si bon, jamais ne te verrons. Maldicte soit la mort..."  C'est sans doute pour cette raison que le surnom donné pour la postérité à Charles VI est "le bien-aimé" (1ere mention entre 1427-1433).

  La maladie du roi fut pour les sujets du royaume l'occasion d'une multiplication de prières, d'aumônes, de pèlerinages, de processions pour la guérison du monarque. Durant les premiers temps de sa maladie, à chaque période de crise, il fallait implorer le secours divin. Ces processions pour la santé du roi étaient ordonnées par les plus hautes autorités de l'Etat. Le peuple était invité à jeûner le jour de la procession, puis à y venir pieds nus ou en chemise, à écouter le sermon. A en croire le religieux de St-Denis, des milliers de personnes des deux sexes participaient à ces processions, plus particulièrement à Paris. L maladie du roi a été l'occasion d'un élan vers Dieu dont le clergé a été le principal bénéficiaire. Elle a de plus entraîné les foules des fidèles vers des lieux où Dieu et le roi étaient inséparables (ND, Ste Chapelle, St-Denis). Mais Dieu restait sourd et dans les années 1410, plus personne ne croit à un possible rétablissement du roi. Les religieux engagent les fidèles à ne pas se contenter de prier, mais à  réformer leur conduite personnelle et à expier dignement leurs fautes.

Ainsi, la maladie dru roi, paradoxalement, fut l'occasion d'enraciner émotionnellement la propagande royale, dont la longue histoire a commencé avec le sacre carolingien, s'est structurée avec St Louis et, à travers toutes les vicissitudes de l"histoire du royaume de France aux XIVe et XVe siècle, n'aura en fait jamais été sérieusement remise en cause.



Synthèse sur la transition démocratique espagnole


TRANSITION DEMOCRATIQUE ESPAGNOLE
Intro :
A servi de modèle pour élaborer la notion de « transition démocratique ». Ce modèle sera appliqué ensuite à d’autres expériences de passage d’un régime dictatorial à un régime démocratique, comme la révolution de velours en Tchécoslovaquie par exemple après la chute du mur de Berlin.
ð  L’Europe achève sa démocratisation et son unification puisque tous ces pays vont adhérer à la CEE (1986 Espagne+ Portugal) ou l’UE (anciennes démocraties populaires d’Europe de l’est)
ð  La Transition démocratique a été invoquée par tous ceux qui ont voulu y voir le signe de la supériorité de ce régime sur tous les autres et la marche inévitable de la démocratisation du monde
R) Péninsule ibérique = les plus longues dictatures d’Europe
* Portugal de Salazar (puis M. Caetano, son successeur) : 1933-1975. Régime nommé Estado Novo
* Espagne de Franco 1936/39-dec 1976, date de l’autodissolution des Cortes franquistes.  TRANSITION de 1975 à nov 1982, date de l’arrivée au pouvoir en Espagne du parti socialiste et de son chef, Felipe Gonzales.

1-      Une transition voulue par les élites qui avaient soutenu le régime de Franco
R) Le régime franquiste reposait sur l’alliance et le soutien des pouvoirs économiques, de l’armée et de l’Eglise catholique : valeurs = tradition et ordre + anticommunisme.
Car Franco n’a pas désigné de successeur. Dans un texte « testament », il se contente de recommander d’obéir au roi d’Espagne, censé être le garant de la continuité. La mort de Franco ouvre un moment d’incertitude politique, d’autant plus qu’il n’y avait aucune constitution.
Car le contexte économique est mauvais. Le recul de la croissance, la crise économique touche l’Espagne comme les autres pays européens dans les années 1970, mais plus fortement encore qu’ailleurs. La courbe de la croissance du PIB (cf pwpt) montre l’ampleur de la récession dont l’Espagne ne sortira qu’à la fin des années 1980, essentiellement grâce à la CEE/UE et à ses transferts financiers. Les milieux économiques en ont bien conscience, mais il était inconcevable que l’Espagne adhère à la CEE sans se démocratiser. Les EUA (diplomatie secrète) poussent à la démocratisation.
Car le contexte social est également mauvais. Multiplication des manifestations et des grèves dans les usines + tensions séparatistes (surtout montée du terrorisme basque de l’ETA qui se convertit à cette époque aux idées de l’ultra-gauche cf les années 70 sont surnommées « les années de plomb ». C’est un phénomène général Italie « Brigade rosse »/ Allemagne « RAF-Fraction armée rouge »/ France « Action directe »). La mort de Franco (nov 75) redonne espoir aux aspirations républicaines, voire révolutionnaires.
2-      Une transition pilotée par la monarchie qui est en mesure d’organiser le compromis politique.
Le jeune roi Juan Carlos 1er, tout juste intronisé en 1975, adopte très vite l’idée de la transition démocratique. Eté 1976, il nomme comme chef du gouvernement Adolfo Suarez, ancien franquiste. Après la dissolution des Cortès, il organise les premières élections législatives démocratiques pour une assemblée constituante (la nouvelle constitution qui instaure la monarchie parlementaire date de dec 1978. Elle est adoptée par referendum à une majorité de 88%). De nouveaux partis émergent, et le principal est l’UCD, parti d’A. Suarez. (cf pwpt).
Ensemble, Suarez et Juan Carlos vont négocier avec les partis de gauche un compromis. En échange de leur légalisation, PSOE et PCE abandonnent leur revendication de 3e République (avril 77) et modèrent les revendications sociales. En oct 1977, le pacte de la Moncloa, signé par l’ensemble des forces politiques et syndicales signe cette alliance consensuelle. En oct 77, la loi d’amnistie (cf pwpt) permet aux anciens franquistes de vivre tranquillement dans le nouveau régime sans être inquiété pour leurs éventuels crimes. Cette impunité, au nom d’une « responsabilité collective » (tous les espagnols seraient responsables des horreurs commises, notamment durant les 3 ans de guerre civile entre 36 et 39) permet de renvoyer dos à dos les bourreaux et leurs victimes. Il y a donc un « pacte d’oubli » (l’expression est de Santos Julia, historien sur l’Espagne franquiste) qui à l’époque rassure une opinion publique encore traumatisée par la guerre civile.
Autre explication de la modération des forces de gauche : la menace, toujours présente, d’un putsch militaire (l’armée restant majoritairement fidèle au franquisme). Sophie Baby (autre historienne) rappelle que cette menace fut « fortement inhibitrice » pour ceux qui négociaient la transition.

3) Le mythe de la transition pacifique
Le compromis n’arrête pas la violence. Du côté de l’extrême droite franquiste, l’éclatement en de nombreux micro-mouvements, l’affaiblissement électoral (cf pwpt), le sentiment d’avoir été trahis, le soutien d’encore de nombreuses personnalités importantes dans l’appareil d’Etat et dans l’armée => espoir de reprendre le contrôle du pouvoir => rumeurs incessantes de coup d’Etat + violences dans la rue, terreur. Le 23-2- 1981, un putsch longuement préparé, mené par le général Tejero échoue de peu parce que les putschistes avaient compté sur le soutien de Juan Carlos et ils ne l’auront pas (discours télévisé du roi voir manuel p.51). Le contexte était pourtant favorable puisque leur autre ennemi, A. Suarez était tellement affaibli qu’il perd sa place au gouvernement.
Les années de transition sont aussi les pires années de la violence séparatiste, et notamment des attentats terroristes. (cf pwpt). Historiquement, l’Espagne a été formée de la réunion de royaumes indépendants. La nouvelle constitution maintient l’unité de l’Etat (acquis franquiste), mais concède de larges autonomies à des régions puissantes face à l’Etat central. Les deux principaux séparatismes sont le catalan (renforcé par le souvenir de la guerre civile quand la Catalogne fut le dernier bastion de résistance à Franco) et le basque. Autant les Catalans décident de rejeter la lutte armée, autant l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, « pays Basque et Liberté ») organise des attentats visant, à Madrid et ailleurs, fonctionnaires et police + enlèvement et exécution d’industriels.

CCL
(cf résumé Espagne, et maintenant la République ? + pwpt) Avec l’arrivée d’une nouvelle génération, après 25 ans d’oubli, les ratés de la transition démocratique ressurgissent :
·          il n’y a pas eu de « dé-franquisation » => fin 2010’s, les socialistes reprennent ce thème contre la classe politique de droite, héritière du régime dictatorial. CF affaire du transfert de la dépouille de Franco (Valle de Los Caidos)
·         La monarchie, lgtps considérée comme garante de la démocratie, est désormais attaquée. Le roi a beaucoup de pouvoirs pol et surtout accusations de corruption. => abdication de Juan Carlos en 2014 + résurgence des revendications républicaines
R) Cette transition incomplète, basée sur compromis, oubli et maintien des anciennes élites donc plaies mal pansées, c’est aussi ce qui s’est passé au Chili après Pinochet (écarté du pouvoir en 1988 après qu’il a perdu un referendum). Or, on voit actuellement explosion sociale et politique de la jeunesse au Chili. Il n’est pas étonnant que tout de suite ait émergé la revendication d’une nouvelle constitution plus démocratique.


le pwpt

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